Migros Magazin 46 2011 f VD

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PHIlIPPe gelUCk

| No 46, 14 Novembre 2011 |

«Je suis un sale gamin et je suis très belge»

Le temps d’un album, Philippe Geluck délaisse l’humour absurde et bonhomme du Chat. Pour mieux enfoncer le clou de l’humour vache. Entretien avec un dessinateur sans tabou.

Vous refaites une infidélité au Chat en sortant un deuxième livre sans lui, «Geluck enfonce le clou». Pourquoi?

Comme on dit dans l’agriculture: changement d’herbage réjouit le veau! (rires) Disons que ça permet à l’herbe de repousser dans ma peinture. C’est une habitude que j’ai prise il y a longtemps, quand j’ai publié les livres du Docteur G ou les Encyclopédies universelles. Je le faisais déjà en alternance avec le Chat. C’est un rythme qui correspond à l’envie de me diversifier, de ne pas rester continuellement face au Chat sur mes feuilles de dessin. Je sais que ça pourrait devenir un enfermement et je ne voudrais pas que ça le soit.

«Je ne donne pas de leçon, je chatouille là où ça dérange»

Quand «Geluck enfonce le clou», l’humour devient virulent, cruel, iconoclaste, provocateur. Une façon de se venger du politiquement correct ambiant?

Oui. Avec le Chat, je suis parvenu à faire lire entre les lignes. Mais le Chat étant bonhomme, sympathique, familial, il risque de passer parfois pour un gros nounours. J’avais envie de montrer, et de me prouver, que je peux rester féroce et cinglant, en dehors du Chat qui est plus consensuel.

Vous abordez tous les thèmes qui fâchent: l’Islam,la castration chimique,le déni de grossesse, le pape, le racisme…Vous n’avez aucun tabou?

Je n’en ai aucun, tant qu’on reste dans la fiction. Les tabous, il faut les avoir dans la vraie vie. Dans l’invention, la littéra-

ture ou le dessin satirique, on peut forcer le trait. Présenter ces thèmes sous le biais de l’humour, qui est une des multiples facettes de la philosophie,est aussi une façon de réfléchir. De commenter l’actualité avec une loupe déformante. Vous ne vous autocensurez jamais?

Dans ce livre, non. Ça m’arrive parfois avec le Chat. Mais ce livre est la suite du premier, Geluck se lâche, né de ma participation à Siné Hebdo, journal satirique aux dessins rageurs. Ça m’a redonné le goût du genre que j’avais découvert dans Hara-Kiri quand j’étais môme et que j’avais perdu dans mon expression.C’est un peu un retour à mes années de jeunesse et à mes premières indignations. Peut-on vraiment rire de tout, mais pas avec n’importe qui, comme disait Desproges?

Oui,on ne peut pas raconter des histoires juives avec des nazis. Mais avec des nazis, on ne peut rire de rien, mieux vaut ne pas les fréquenter… Est-ce qu’avec des musulmans, on peut rire de l’islam? Je pense que oui. Je ne souhaite pas heurter des gens dans leur foi, dans leur intimité et surtout pas blesser des gens en faiblesse. Le pape, le président Sarkozy font partie des people dont on peut plaisanter. Ce sont des personnages publics, qui ont tout fait pour en arriver là. Mais quand je mets en scène un couple gay, de confessions juive et musulmane, ou des enfants myopathes, je ne me moque pas d’eux, je ne ris ni de la religion ni du handicap. Je crée un dessin qui peut provoquer un malaise,mais qui pose des questions. Je ne donne pas de leçon, je chatouille là où ça dérange. Pourriez-vous faire des caricatures de Mahomet?

Philippe Geluck a créé le personnage malicieux du Chat en 1983.

MIgroS MAgAzIne |


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