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Saveurs
La pizza fait toujours l’unanimité. Aucun plat de restauration rapide n’est plus populaire en Suisse.
En quête de la meilleure pizza de Suisse
Il suffit de six ingrédients pour faire une pizza. Mais en trouver une bonne, voire la pizza parfaite, n’est pas chose aisée. Un voyage gastronomique à travers le pays le prouve.
Sans m’en rendre compte, je me lance en septembre 2020 dans un voyage en quête de la meilleure pizza de Suisse. Jusqu’alors, je n’avais même pas de pizzeria préférée. J’ai grandi avec la Family Pizza M-Budget: elle croustillait à chaque bouchée et j’étais heureux. Au restaurant, je commandais toujours la Prosciutto. Jusqu’à ce que je déménage, il y a deux ans, à proximité du restaurant San Gennaro à Zurich, la deuxième meilleure pizzeria de Suisse – du moins si l’on en croit le Gault&Millau. Sur le site web du San Gennaro, tout est écrit en italien, et même au restaurant sur les bords de la Limmat, tout le monde parle italien. Je commande la pizza San Gennaro avec fior di latte, salsiccia con semi di finocchio, friarielli et parmigiano. Je n’ai aucune idée de ce que l’on va me servir.
La découverte du monde des pizzas
La pizza San Gennaro a un bord qui est nettement plus haut que ce à quoi je suis habitué. Comme une chaîne de montagnes, il encadre la garniture. Sur la pâte, il y a des taches sombres et brûlées, une sorte de motif léopard. Et ce qui me surprend, c’est que la pizza se passe de sauce tomate. Après la première part, je sais que j’ai désormais une pizzeria préférée. Je me sens comme Neo, qui a choisi la pilule rouge dans le film Matrix: je découvre enfin le véritable monde des pizzas. Je savoure même la pâte, que je ne mange habituellement que pour des considérations de gaspillage alimentaire. Moelleuse, salée et légèrement humide.
Je vais désormais presque chaque semaine au San Gennaro, j’y emmène des amis qui sont aussi vite conquis et je commande souvent la pizza du mois, avec laquelle les pizzaiolos tentent des expériences. Plus le temps passe, plus je me demande pourquoi cette pizzeria n’est que le numéro deux en Suisse. Y a-t-il vraiment mieux? Oui, d’après le Gault&Millau. Il paraît que la meilleure pizza se trouve au restaurant Napulé à Meilen (ZH).
Chez le triple champion du monde de pizza
Raffaele Tromiro, le fondateur du Napulé, est triple champion du monde de pizza et a reçu un doctorat honorifique de l’Université de Bologne pour avoir représenté l’art napolitain de la pizza, comme on peut le lire sur le site internet. Cela paraît trop beau pour être vrai! Je décide d’aller le voir, de comprendre pourquoi quelqu’un met autant d’ardeur pour un plat composé de six ingrédients. C’est le début de mon voyage à travers la Suisse, en quête de la meilleure pizza.
Une vie dédiée à la pizza
Sur la côte d’or zurichoise, Raffaele Tromiro est déjà dans sa cuisine. Ses origines et ses traditions sont importantes pour lui. Il s’assied à la table à côté du four à pizza décoré de mosaïque dorée. Il devient vite évident que c’est un passionné, un fou de pizza. «Je suis un peu cinglé, je veux toujours m’améliorer», plaisante l’homme de 45 ans. Il ne pouvait devenir que pizzaiolo. Son grand-père tenait déjà une pizzeria à Naples, et Rafaelle Tromiro a failli y naître. Sa mère a perdu les eaux dans la cuisine, son père a d’abord sorti les dernières pizzas du four avant de la conduire à l’hôpital. Le nom de son fils était une évidence depuis longtemps: «Le premier-né de chaque deuxième génération dans notre famille s’appelle Raffaele», explique-t-il.
Pizzaiolo et chimiste
Raffaele Tromiro a étudié la chimie. Ses pizzas ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat d’années de travail. Pour sa Margherita, il met pendant 90 secondes 250 grammes de pâte, 80 grammes de sauce tomate (pressée à la main, les machines cassent les pépins de tomate, ce qui rend la sauce acide) et 80 grammes de mozzarella dans le four chauffé à 420 degrés. Le temps de cuisson bref à haute température permet d’obtenir le motif léopard, de sorte que le bord soit croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur. «Si la pizza reste plus longtemps au four, la pâte perd trop de liquide», explique-t-il.
Personne ne peut atteindre ces températures chez lui, dans sa cuisine. Il recommande toutefois de régler le four à son maximum et de cuire la pizza le moins longtemps possible. En outre, il convient d’utiliser avec parcimonie les ingrédients pour la garniture. «Trop chargé, le fond ne sera pas cuit à cœur et restera pâteux.»
Raffaele Tromiro, triple champion du monde de pizza
Un secret dévoilé
«L’ingrédient le plus important pour une pizza est toutefois la farine, avec la bonne valeur V.» Raffaele, le chimiste, explique: plus cette valeur est élevée, plus la farine peut absorber d’eau et plus la pâte est élastique. Si V est trop élevée, la pizza sera caoutchouteuse. L’équilibre doit être parfait. Comme il ne trouvait pas la bonne farine dans le commerce, il a commencé à fabriquer la sienne à Weinfelden (TG) avec une minoterie. Raffaele se lève, va dans la cuisine et ouvre une boîte contenant des pâtons de 250 grammes qui reposent depuis 48 heures. Pendant ce temps, la plupart des sucres contenus dans la pâte fermentent, ce qui facilite la digestion. «Après une bonne pizza, vous ne vous sentez pas repu ou ballonné.» Il rabat la pâte sur sa main, l’écarte jusqu’à ce que ses doigts transparaissent, presse la tranche sur une pelle à pizza, la garnit et dessine un «6» avec un filet d’huile d’olive. Selon lui, c’est une tradition napolitaine qui porte chance. Il glisse la pizza dans le four et raconte: «La meilleure pizza de ma vie, je l’ai mangée chez mon grand-père. Pour la pâte, il utilisait de l’eau de mer du golfe
Raffaele Tromiro est non seulement triple champion du monde de pizza, mais également un artisan inventif: pour ses restaurants, il a créé sa propre farine.


Notre journaliste Dario Aeberli a grandi avec la pizza M-Budget.
La pizza créée par Christa Rigozzi est entrée dans le menu de la chaîne de restaurants Molino.

Ci-dessus et ci-contre: Dieci a inventé les boîtes chauffe-plat pour la livraison de ses pizzas.




Ci-dessus: au San Gennaro, les pizzaiolos portent du blanc et les pizzas sont en imprimé léopard. Si vous le souhaitez, vous pouvez parfaire votre italien dans ce restaurant.
Les coins de la spécialité Cometa de Serena Barone à Lausanne ne sont pas simplement décoratifs: ils sont remplis de ricotta et de salami. de Naples. Depuis, j’essaie de reproduire ce goût de mon enfance.» Au bout de 90 secondes, il sort la Margherita du four. C’est sa pizza préférée.
«Je commence toujours par casser le bord et je le sens. C’est comme ça que je sais si la pâte a reposé suffisamment longtemps», dit-il en poussant l’assiette de pizza vers moi et en me regardant. Je n’aime pas être observé pendant que je mange... Et si je n’aime pas sa pizza? Pourtant, le bord est une merveille. Et la sauce est-elle vraiment moins acide ou est-ce que je me fais des idées à cause du récit de Raffaele? «C’est bon?», me demande le triple champion du monde de pizza. J’ai déjà la bouchée suivante dans la bouche et je ne peux que lever le pouce. Il sourit.

Un paysan à la conquête de la Suisse
Les pizzas Napulé ne sont disponibles que dans la région de Zurich, plus une pizzeria à Netstal (GL). Mais la meilleure pizza de Suisse ne devrait-elle pas être aussi la plus connue? Napulé est loin de connaître le succès de Rocco Delli Colli, le fondateur du service de livraison de pizzas le plus prospère de Suisse: Dieci. Cinq millions de pizzas ont été vendues par la chaîne en 2021 sur 45 sites en Suisse romande et en Suisse alémanique. Rocco Delli Colli semble avoir touché le palais de la population comme personne d’autre. Comment a-t-il fait?
«J’ai la chance que d’autres aiment la même chose que moi», déclare Rocco Delli Colli sur la terrasse de son restaurant à Rapperswil (SG). Limonade à la main, il raconte son enfance. Ayant grandi dans une ferme non loin de Rome, sa mère faisait du pain une fois par semaine. Avec les restes, elle faisait des pizzas, garnies de lard ou de légumes. «Je parcourais tous les jours 7 kilomètres pour aller à l’école et une fois de retour, j’aidais à attraper les poules ou les moutons. Sa pizza me donnait de l’énergie et me procurait un véritable plaisir.»
La cuisine de son enfance
À 18 ans, Rocco Delli Colli a quitté la ferme de ses parents pour s’installer en Suisse et travailler comme électricien. Très vite, la cuisine de la maison lui a manqué. «Je me suis rendu compte de la formidable enfance que j’avais eue: ma maison était un trésor de saveurs», dit l’homme de 61 ans. En 1990, il a ouvert le premier Dieci Bar et Pizza dans la vieille ville de Rapperswil. Au fond, depuis qu’il vit en Suisse, il essaie de transmettre les saveurs, les souvenirs de son enfance et les talents culinaires de sa mère.
Mais le succès de Dieci n’est pas seulement dû au goût de ses pizzas, mais aussi à l’esprit novateur de ses fondateurs. Dans les années 1990, Rocco Delli Colli et ses partenaires ont inventé les boîtes chauffe-plat pour les services de livraison. «Avant, je devais expliquer aux clients par téléphone que nous ne faisions pas cuire les pizzas entièrement et qu’ils devaient donc préchauffer le four chez eux», raconte Rocco Delli Colli. Aujourd’hui encore, les boîtes indiquent qu’il faut passer la pizza au four quelques minutes chez soi. «C’est mon conseil de gourmet», dit-il. Je l’essaie à la maison: la pâte redevient croustillante. Mais contrairement au San Gennaro ou au Napulé, il manque l’effet «waouh», l’effet surprise.
Rocco Delli Colli, fondateur du service de livraison de pizzas Dieci
Une pizza inventée par Christa Rigozzi
Cette surprise, c’est Christa Rigozzi qui l’a créée en 2018. L’ex-Miss Suisse a inventé cette année-là la pizza
Christa Rigozzi pour la chaîne de restaurants Molino. La combinaison du carpaccio de bœuf, de la roquette, des copeaux de parmesan et de l’huile de truffe a tout de suite été plébiscitée par le public. «J’ai déjà mangé une telle pizza au Molino pendant mes études à Fribourg. Je devais cependant commander chaque ingrédient séparément et les ajouter à ma Margherita», raconte Christa Rigozzi au téléphone. Comme il n’y a pas encore de pizzeria Molino au Tessin, traverse-t-elle donc spécialement le Gothard pour une bonne pizza? «Non, ce que je préfère, c’est faire ma propre pizza à la maison avec mes enfants ou aller à Ascona à l’Osteria Nostrana. Vous devez absolument goûter la pizza au feu de bois.»
Apprendre à aimer le gorgonzola
Dans le brouhaha de l’Osteria Nostrana, à Ascona, le suisseallemand prédomine, les serveurs alternent entre l’italien et l’allemand. Christa Rigozzi dit avoir déjà goûté presque toutes les pizzas de la carte, mais recommande la Nostrana au gorgonzola et au jambon de Parme. Le fromage à moisissures me dégoûte, mais je ne veux pas ignorer la recommandation et je la commande quand même. Et heureusement. Associé à la pâte fine et fumée et aux champignons sucrés, le gorgonzola me plaît pour la première fois de ma vie.
Seul le bord fin me semble un peu sec après les pizzas napolitaines. Christa Rigozzi explique qu’au Tessin on s’oriente vers la pizza «normale» et que le bord léopard est surtout servi dans le sud de l’Italie.
L’une des rares pizzaiolas du pays
Je commence à me demander s’il n’y a pas mieux que la pizzeria San Gennaro à côté de chez moi. Mais voilà que je lis l’histoire d’une nouvelle pizzeria à Lausanne, où l’une des rares pizzaiolas de Suisse s’est fait remarquer. Dans les hauts de la ville, dans le jardin de la trattoria Un Po’ di Più, les employés de service mangent ensemble des spaghettis à l’ail et aux tomates cerises avant le rush de midi. Les murs du restaurant arborent des photos de célébrités auréolées, juste à côté des toilettes, par exemple, Roger Federer avec une raquette de tennis et un citron dans les mains.

Voilà à quoi ressemble la meilleure pizza de Suisse: garnie de fior di latte, mortadelle, pesto de pistache et stracciatella.
Le hasard fait bien les choses
Le restaurant vit du hasard. Jasmine Gfeller, co-propriétaire, achète une fois par semaine de la vaisselle neuve à la brocante. Aucune tasse à café, aucune assiette n’existe en double. Une carafe ressemble à un cacatoès, une tasse à expresso est dotée d’oreilles et d’un nez. «Même notre pizzaiola, nous l’avons rencontrée par hasard», dit Jasmine Gfeller. Lorsqu’ils ont repris le lieu en février 2021, tous les restaurants étaient fermés pour cause de coronavirus. Mais en mars, tout s’est soudain accéléré et une semaine avant l’ouverture du restaurant, il manquait à la pizzeria de Jasmine Gfeller quelqu’un capable de faire des pizzas. «J’ai demandé au partenaire d’une amie, originaire du sud de l’Italie, s’il pouvait venir. Mais il venait de prendre un autre poste.» Il avait cependant une sœur qui connaissait le métier de pizzaiolo: Serena Barone.
«Quand Jasmine m’a appelée, je vivais encore à Caserte, près de Naples», raconte Serena Barone. Elle a pris le premier vol pour Genève, a emménagé chez son frère à Morges (VD) pendant trois mois avant de trouver son propre appartement. À Lausanne, elle prépare quelque 100 pizzas par jour depuis un an. «Pourtant, je n’ai jamais voulu devenir pizzaiola. J’ai commencé la formation uniquement pour embêter mon frère.» Ce dernier s’était vanté de ses pizzas et de son restaurant et s’était qualifié d’artiste, ce à quoi Serena a répondu que tout le monde pouvait le faire et s’est inscrite à la formation. «J’étais la seule femme de la classe parmi vingt hommes, mais j’ai tout de suite su que ce travail me convenait.» Elle reçoit un feedback direct de la clientèle et peut gérer son temps comme elle l’entend.
Serena Barone, pizzaiola à la trattoria Un Po’ di Più»
Et la pizza gagnante est...
Dans la ville natale de Serena Barone, Caserte, c’est Francesco Martucci qui tient la meilleure pizzeria du monde, selon des médias concordants. «Il est une énorme source d’inspiration, il ose expérimenter. Par exemple, il a créé une pizza avec de la sauce ragù et de la mayonnaise, c’est fou», raconte Serena, qui mangeait régulièrement chez lui. Sur Instagram, elle a également vu une pizza en forme d’étoile et l’a intégrée à son menu à Lausanne. «Dans les coins de pâte pliés de notre pizza Cometa, il y a du fromage ricotta et du salami», explique-t-elle en préparant la première pizza de la journée. Dans ses mains, la pâte ressemble à un ballon d’eau rempli de liquide qui se balance d’avant en arrière.
Certes, la carte du restaurant Un Po’ di Più ne compte que six pizzas, mais j’ai du mal à choisir. Heureusement que mon amie est là, je peux quand même en goûter deux. Nous commandons la pizza Cometa en forme d’étoile et la pizza Adele avec fior di latte, mortadelle, pesto de pistache et stracciatella. Waouh! Les pizzas de Serena Barone réunissent toutes les caractéristiques importantes que j’ai découvertes au cours de mon voyage. À l’origine, il y a des souvenirs et de la famille, le bord est aéré et humide, la garniture est généreuse, le fond est malgré tout croustillant. J’ai trouvé la meilleure pizza de Suisse, me dis-je en souriant. La prochaine fois que je ferai ma propre pizza, je m’inspirerai de ce souvenir – et j’échouerai en beauté. MM