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Mode
JACQUELINE LOEKITO 2019
Yannick Aellen, quelle est la valeur réelle d’un t-shirt? Il est difficile de donner un prix exact. Mais je dirais qu’un t-shirt blanc normal devrait coûter au moins 30 à 35 francs.
Que pensez-vous des t-shirts à 5.95 francs? Derrière un t-shirt, il y a la production, le travail manuel, les matériaux et l’achat. Un prix aussi bas ne peut être juste pour les personnes tout au long de la chaîne. Par ailleurs, j’ai conscience que certaines familles disposent d’un petit budget et se réjouissent de telles offres. Je peux donc tout à fait comprendre pourquoi l’on achète des articles bon marché. ou l’emprunter. On trouve également de nouveaux outils en ligne qui permettent d’enfiler un vêtement virtuel. On ne le passe pas réellement, mais la photo donne l’impression que l’on arbore un pull Balenciaga ou un ensemble Chanel. Pour les personnes qui ont toujours soif de nouveautés, cela peut être intéressant. Comment les réseaux sociaux influencent-ils notre mode de consommation? Celles et ceux qui décident d’utiliser ces canaux sont influencés inconsciemment. Mais tout dépend bien sûr de l’âge de la personne, de l’environnement dans lequel elle évolue et du réseau social qu’elle choisit. C’est frappant chez les enfants: ils portent quasiment tous les mêmes types de vêtements, comme des uniformes. Mais les jeunes ont besoin de leurs propres tendances. C’est normal et il en a toujours été ainsi dans la culture pop. La mode peut-elle être durable? Il n’est pas facile de concilier ces deux points: même si les matières premières sont biologiques,
Et comment jugez-vous des t-shirts à 595 francs? Tout dépend de ce dont il s’agit. Si c’est une pièce unique ou un exemplaire rare, ce prix peut être justifié. Est-il peint ou orné de broderies élégantes? Cela a un coût. Le travail requis pour sa fabrication a son importance et doit être apprécié à sa juste valeur. Mais, bien sûr, certaines marques sont tout simplement de grosses machines à fric où des marges énormes sont appliquées. Trop bon marché ou trop cher: on a parfois l’impression que l’industrie de la mode est devenue folle... La mode présente de nombreux visages. On pense probablement tout d’abord aux grandes marques, à la fashion week, au glamour et à la haute couture. Là, le coronavirus n’a pas seulement eu un impact négatif: le secteur de la haute couture a apprécié ce ralentissement. À mon sens, on a compris qu’il ne fallait pas s’envoler pour Londres ou New York à tout bout de champ. Et aussi que des collections plus réduites ou moins nombreuses sont parfaitement justifiables. Quels problèmes persistent? La communication, c’est-à-dire la pédagogie, est un grand défi. Même dans un pays riche comme la Suisse, où beaucoup de personnes pourraient se permettre d’acheter des articles plus chers et devraient être mieux informées, les prix bas sont plébiscités. Il est important que les gens comprennent pourquoi la qualité a un prix. Quelle serait, selon vous, l’attitude idéale face à la mode? Pour commencer, les vêtements doivent être consommés de manière responsable et sélective. En d’autres termes, avant d’acheter, il faut se poser la question: en ai-je vraiment besoin? Et qui a fabriqué cela? La mode devrait avant toute chose être source de plaisir. Je vais avoir 45 ans dans quelques semaines. À cet âge, il est plus facile de dire qu’il faut faire ses courses consciemment. J’ai également consommé beaucoup à l’adolescence et dans ma vingtaine. Aujourd’hui, de nombreux jeunes sont très responsables et aiment acheter des vêtements d’occasion.
Yannick Aellen, 44 ans, est fondateur et directeur de Mode Suisse. Il a grandi dans le canton de Berne, a vécu à Paris et en Angleterre et vit maintenant à Zurich.
Que pensez-vous du shopping en tant que hobby? De temps en temps, c’est permis, mais je ne pense pas qu’il faille encourager cette pratique comme unique passe-temps du samedi. En tant que consommateur ou consommatrice, comment trouver l’équilibre entre une consommation responsable et la pression de constamment renouveler son style pour Instagram? Ce sont en effet deux mondes qui s’affrontent, surtout pour les influenceurs. Mais il existe des plateformes où l’on peut louer des tenues – même de haute couture. Ainsi, si quelqu’un ressent vraiment le besoin de s’exhiber ou de montrer une nouvelle pièce chaque semaine, il peut la louer
«Il est important que les gens comprennent pourquoi la qualité a un prix» Migros est à la mode
Le lundi 30 août, la 20e édition de Mode Suisse aura lieu à Zurich. Depuis dix ans, deux fois par an, l’événement offre une plateforme aux créateurs de mode suisses. Dès le début, Mode Suisse a été soutenu par le Fonds pionnier Migros. Cela a permis de promouvoir de nouveaux projets dans divers domaines thématiques. L’objectif est de faire en sorte que les projets soient autonomes au bout d’un certain temps. Cette année, le parrainage actuel de Mode Suisse par Migros et d’autres partenaires prendra fin. Cependant, Mode Suisse continuera d’exister. Pour le moment, si quelques nouveaux partenariats ont déjà été conclus, ils sont toujours à la recherche de sponsors.


la mode nécessite d’utiliser des ressources. Mais ce n’est pas impossible non plus. Il existe par exemple des collections basées sur l’upcycling. Mais la durabilité ne doit pas non plus être négligée à d’autres niveaux: la branche de la mode génère des emplois et nourrit des familles.
De nombreuses entreprises proposent désormais des collections durables. Qu’en pensez-vous? C’est bien et c’est important. Hermès a récemment lancé son premier sac fabriqué en cuir de champignon. Le cuir végétal est également de plus en plus présent dans de nombreuses autres maisons de luxe. Des initiatives intéressantes sont notamment menées par la société suisse Sohotree, qui fabrique du cuir à partir de pommes. Il est important que l’on prenne conscience de l’importance de la durabilité dans la mode.
Mais tout ce qui est dit durable ne l’est pas forcément, n’est-ce pas? Bien sûr, les entreprises ont tort de proposer des collections durables uniquement pour la bonne conscience et d’agir à l’inverse par ailleurs. Ce n’est rien de plus que du greenwashing. Mais si une entreprise compte des personnes essayant honnêtement de rendre la production plus durable, on ne peut que s’en réjouir. Puis-je partir du principe que le t-shirt à 595 francs a été produit de manière équitable? Pas nécessairement. Il existe sur le marché des t-shirts en coton imprimés qui peuvent coûter très cher sans être produits de manière responsable. Vous avez déclaré dans une interview que la scène suisse de la mode était durable avant même que ce sujet ne devienne tendance. Pourquoi? Il me semble que nous autres en Suisse avons grandi en ayant conscience de la nature. Lorsque j’étais enfant, dans les années 1980, nous séparions les piles, le métal et le verre. En France, il y a encore quelques années, tout était jeté à la poubelle. Depuis que j’ai commencé à travailler dans la branche, la plupart des créateurs et créatrices en Suisse se préoccupent de la provenance des marchandises, préférant produire en Europe voisine plutôt que plus loin. Ce phénomène s’est intensifié au cours des dix dernières années.
Qu’est-ce qui distingue la scène suisse? Une grande diversité. Il est toujours agréable de constater à l’étranger que notre travail est accueilli positivement. Notre approche est jugée surprenante et rafraîchissante. Nous avons de bonnes écoles de mode à Genève, à Zurich et à Bâle; on compte beaucoup de créatrices et créateurs talentueux, ainsi qu’un corps enseignant compétent. Il est vrai que Mode Suisse a permis de faire bouger les lignes et de gagner en professionnalisme. Notre mode est aujourd’hui extrêmement variée, elle chatouille, elle peut parfois provoquer le dialogue. Mais elle offre aussi un vestiaire classique. De nombreux Suisses et Suissesses n’ont jamais porté de vêtement made in Switzerland, soit parce qu’ils n’y ont pas accès, soit parce que le prix est trop élevé. Je ne peux que leur recommander de s’informer. Par exemple, dans la boutique en ligne «Laufmeter», qui est également soutenue par le Fonds pionnier Migros, on peut se procurer de superbes pièces de designers suisses, également à des prix plus bas. Les créations de Mode Suisse sont aussi vendues en septembre dans le magasin Jelmoli à Zurich. Quelles marques suisses recommanderiez-vous à un débutant? Le premier nom qui me vient à l’esprit est Nina Yuun. Simple
Au choix:
Noir ou blanc? Noir
Vintage ou neuf? Neuf. Mais portez-le jusqu’à ce qu’il devienne vintage.
Zigerli ou Zara? Zigerli
Zurich ou Berne? Zurich au quotidien, Berne dans le cœur
Laine ou coton? Coton
Analogique ou numérique Analogique
Unisexe ou sexy? Unisexe
Sur scène ou en coulisses? Les deux!
LUCA XAVIER TANNER 2021 mais très raffiné, bon rapport qualité-prix. Une blouse en soie de Mourjjan x Ginny Litscher ou des boucles d’oreilles de Vanessa Schindler sont également recommandées. Vous pouvez aussi commencer par les lunettes de soleil de Sol Sol Ito ou Viu? Si vous avez un peu plus de budget, je vous recommande vivement Julia Heuer ou Nomadissem.
Il y a dix ans, vous avez créé Mode Suisse, une plateforme pour les créateurs de mode helvétiques. Comment se porte ce secteur? Le coronavirus ne nous a pas rendu la tâche facile. C’était déjà dur auparavant de susciter l’intérêt et d’atteindre les gens. Mais la pandémie a fait de la mode indépendante une niche encore plus petite. Il est toutefois intéressant de noter que l’intérêt pour le local s’est renforcé, ce qui est une chance. Mais les designers ne peuvent pas se contenter de faire leurs collections et de se reposer sur leurs lauriers. Il faut travailler dur pour gagner chaque franc.
Quelles sont les tendances à venir? Chez Mode Suisse, j’attends de la couleur et du confort. Je pense qu’il s’agira de collections positives et pleines d’espoir. Y a-t-il une tendance que vous ne suivriez jamais? Lorsque j’étais à Paris à l’âge de 20 ans, je suivais beaucoup les tendances. Maintenant, j’ai trouvé mes «uniformes personnels». Je sais ce qui fonctionne pour moi.
Et à quoi ressemble votre «uniforme»? (Il se regarde) Quelque chose comme ce que je porte aujourd’hui. Là, j’ai une chemise de la collection Le Shirt que le designer Rafael Kouto a créée avec la Société de l’industrie de la soie de Zurich pour le numéro actuel de Mode Suisse. Il s’agit d’une chemise aux manches larges avec un style un peu années 80/90. Elle a aussi une influence afro et japonaise. Je me sens paré pour toute la journée. MM