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Art
Croquer le monde
Lucie Pittet, carnettiste hors pair, aime autant voyager que dessiner les paysages qu’elle traverse. Elle livre ses conseils pour réussir un journal de bord de ses vacances... du premier coup!
Texte: Patricia Brambilla Photos: Dom Smaz
Elle s’appelle Lulu Bouledeneige. Enfin, côté artiste. Côté quotidien, Lucie Pittet, 32 ans, est enseignante à l’école primaire. Et vit dans une verdoyante demeure médiévale de Romainmôtier (VD). Ce qui ne l’empêche pas de faire régulièrement ses valises. Et même aussi souvent que possible. Argentine, Patagonie, Corée du Sud, Burkina Faso, Italie... autant de pays traversés et… dessinés. Depuis le Ponte Vecchio, croqué à 17 ans, elle n’a plus lâché le pinceau. «Je ne pars plus sans mon carnet, c’est même devenu un objectif de voyage», dit-elle, les yeux bleu horizon.
La jeune femme a donc rejoint l’association des Carnettistes helvétiques, qui organise plusieurs rencontres par année sur le terrain. «C’était l’occasion de donner plus de place au dessin dans ma vie de tous les jours. Et de rencontrer d’autres gens avec la même passion.»
Oui, le carnet de voyage est un art – un coup d’œil à l’ouvrage de Dora Formica Curry, kiwis et caïpirinha (Éd. Hélices hélas), illustratrice bourlingueuse, suffit à s’en convaincre. Un art qui affûte le regard, ralentit le temps et invite à prendre le large, loin ou près de chez soi.
Pour Lucie Pittet, le départ est imminent: ce sera cinq mois au Canada à vélo, avec bien sûr des carnets dans ses bagages.
Trousse de voyage «Toutes les techniques sont possibles. Aquarelle, stylo à encre de Chine imperméable, feutres fins, tampons, scotchs décoratifs, mais aussi éponge, brosse à dents… Chacun est libre de laisser parler sa créativité! Mais mieux vaut que la trousse de matériel soit pratique et pas trop volumineuse, car on se retrouve souvent à dessiner sur des marches d’église ou un banc fortuit.»
Montrez vos papiers! «Évidemment, il faut penser à adapter le papier à la technique. Pour l’aquarelle, un grammage plus élevé est nécessaire. Toutes les tailles de carnet sont possibles, mais le format moyen, horizontal ou carré, est très confortable pour débuter. Il est plus stressant de remplir une grande page, d’où l’avantage du petit format. Penser à le tourner dans tous les sens et à prendre parfois du papier coloré, genre cappuccino, ou à faire des fonds colorés à l’éponge. Cela permet d’apprivoiser la page blanche tout en variant les plaisirs!»
L’art d’observer «Je commence toujours par me balader, pour me laisser imprégner par les lieux. Et je profite d’attraper le crayon pendant les pauses café, à table ou dans les parcs. Mieux vaut débuter par les sujets statiques, statues, plantes, jolies devantures, qui ont l’avantage de ne pas se déplacer. Dessiner, c’est 98% d’observation, d’où l’importance de bien regarder.»
Gardez le ticket! «Penser à s’amuser avec les couleurs, les formes de l’écriture. Et ne pas hésiter à coller ce que l’on trouve, carte du lieu, tickets de musée ou de transport, prospectus découpés ou non, étiquettes de bouteille... Et si on fait une tache avec son café ou une erreur, on profite de l’intégrer dans le dessin.

Toutes les techniques de dessin sont possibles pour créer un beau carnet de voyage. Mais il ne faut pas oublier d’adapter le papier en conséquence.
Il faut jouer avec les imprévus! Et surtout se sentir libre. On dessine pour soi, pour garder un souvenir, pas pour être exposé au Louvre. D’où l’importance d’être indulgent, surtout si on ne maîtrise pas totalement le dessin.»
Tout est bon pour «carnetter» «Dessiner permet de trouver de l’intérêt dans toutes les situations, même par mauvais temps ou dans un décor ingrat. Dans une salle d’attente d’aéroport ou un quartier maussade, le carnet permet de passer le temps en bonne compagnie et de voir les choses autrement. Et ça crée souvent des rencontres, des discussions avec des gens que l’on ne connaît pas.»
Condensateur de souvenirs «Le carnet optimise et démultiplie la force du souvenir. Je me rappelle tout, les gens rencontrés, les anecdotes, la météo du jour, les musiques du bar où je me trouvais… Carnetter enrichit le voyage et ancre dans le présent. C’est presque une méditation, comme des exercices de yoga. On se met dans sa bulle, on ne pense qu’à une seule chose. Et on en sort régénéré ou… épuisé avec des fourmis dans les jambes!» MM