Migros Magazin 23 2011 f VD

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ENTRETIEN STÉPHANE GUILLON

Migros Magazine 23, 6 juin 2011

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mandat des billets libres, et si possible insolents, sur l’actualité et sur l’invité politique du jour. Et je leur ai obéi au doigt et à l’œil. Ils m’avaient d’ailleurs choisi un slogan qui, aujourd’hui, prête à sourire: «la différence, c’est l’insolence». Je n’ai fait que très bien travailler pour contenter mes patrons (sourire). Il se fait que mes patrons ont changé, et que les nouveaux étaient nettement moins ravis. C’est à ce moment-là que vous avez senti que ça partait dans le mur et qu’autant aller jusqu’au bout?

Avec l’arrivée de Jean-Luc Hees et de Philippe Vaals, le vent a très vite tourné. Et j’étais de toute manière coincé. Si j’avais levé le pied, tout le monde aurait dit que je baissais mon pantalon.

D’où à un moment donné un certain jusqu’au-boutisme?

Sur le moment, en tout cas, je ne l’ai pas vécu ainsi. La situation avait quelque chose d’incroyable: nos propres patrons tiraient sur Alain Porte et moi par articles de presse interposés. A un moment, oui, je me suis dit qu’il fallait me défendre. Des propos que vous regrettez?

Dans des chroniques quotidiennes, il y a toujours des moments meilleurs que d’autres. «Œil de fouine» pour Eric Besson, c’était une erreur. Parce que tout le monde n’a retenu que ça sur la totalité d’un papier qui me paraissait contenir un vrai fond. On enlève ce qualificatif, le papier se montre aussi féroce, il réagit à l’identique sauf que je suis inattaquable. Après, nous sommes dans une société tellement frileuse que l’on aurait trouvé un autre prétexte pour me virer. Au sujet de l’irrévérence, vous avez autrefois travaillé dans le théâtre parisien de Dieudonné. Quel regard portez-vous sur ce qu’il estime être sa manière de provoquer?

Oui j’ai bossé chez lui quand c’était encore possible. Là, il a quitté le champ de l’humour...

Où se situe la frontière à ne pas franchir?

D’abord l’obligation d’être drôle.

«Quelqu’un qui va serrer la main au président iranien, je n’ai plus rien à lui dire.»

Historiquement, son premier dérapage chez Fogiel en rabbin intégriste n’avait rien de marrant. Plus tard, il l’a d’ailleurs lui-même reconnu. A ce moment-là, je l’ai défendu parce que, malgré ce ratage, je trouvais qu’on lui tombait dessus un peu fort. Ensuite, il a persisté, jusque dans la provocation, puis plus tard au-delà même de celle-ci. Un mélange des genres nauséabond. Pas du tout ma came. Quelqu’un qui va serrer la main du président iranien, je n’ai plus rien à lui dire. A propos d’humour politique, que pensez-vous des radios bistrots de Roumanoff?

Je suis assez fan du parcours d’Anne. Quelqu’un de bien, qui a affronté courageusement le creux de la vague avant de revenir très fort. J’aime beaucoup l’écriture de Bernard Mabille (qui écrit les chroniques de Roumanoff, ndlr.), qui a de vraies trouvailles, comme il en avait déjà avec Thierry Le Luron. Après, c’est une autre manière de faire. Mais bon, de manière générale, je ne dis pas de mal de mes camarades humoristes. Par principe. Vous pratiquez aussi la langue de bois, alors?

Si vous voulez. Je trouve que critiquer un confrère a toujours quelque chose de suspect. On renifle de la rancœur, voire de la jalousie. En revanche, je me réjouis que l’humour politique, l’humour à texte, ait de nouveau sa place. Pendant un moment, il n’y en avait que pour un rire beaucoup plus léger.

J’ai lu que vous aviez, comme beaucoup, adoré la biographie de Keith Richards. Et puis ailleurs que votre compagne disait qu’elle avait l’impression de vivre avec un Rolling Stones. Etes-vous vraiment si rock’n’roll?

Ce doit être la dimension du vengeur masqué. J’ai des vrais fans, de vraies manifestions dans la rue… Des filles qui se déshabillent, tout ça?

Pas à ce point-là. Mais on sent parfois que ce qu’on dit représente beaucoup pour des gens. Comme si on leur faisait du bien en disant tout haut ce qui les révolte tout bas. Je pense que c’est ça, mon côté Rolling Stones. Pour le reste, encore une fois, je suis très pépère dans mon jardin à planter mes légumes. Assez Suisse, alors?

Peut-être.

Vous êtes le bienvenu, le cas échéant, on vous accueillerait avec plaisir.

Oui, je vais venir faire du vin. Devenir une sorte de Carole Bouquet suisse. Il y a d’ailleurs dans le canton de Vaud voisin une très noble confrérie d’amateurs baptisée le Guillon.

Oui, oui, on m’en a parlé.

Hélas. Un peu par tout. La vieillesse, mes enfants qui grandissent, la crainte de devenir has-been en me répétant tout le temps. Bon l’angoisse est un bon moteur. Ça évite de s’installer en se disant qu’on y est arrivé. Vous savez, j’ai pas mal galéré au début de ma carrière et cela m’a structuré. Comment vous voyez-vous dans dix ans?

Avec un mal de dos plus prononcé. Mais aussi la même pugnacité?

Oui, parce qu’elle est assez excitante. Mais j’espère que ça ne deviendra pas une recette, que je ne me transformerai pas en caricature de moi-même. Et rester libre, même un peu surveillé?

Avant tout. Parce que je crois que ma liberté, c’est ça qui les emmerde.

Propos recueillis par Pierre Léderrey Photos Fred Merz-Rezo et Keystone

St Stéphane Guillon se sera à Morgesso sous-rire avec so son (excellent) sp spectacle «L «Liberté (très) su surveillée», le 22 juin. De retour en Suisse, au Théâtre du Léman à Genève, le 11 novembre. 97 16 Réservation : 021 804 et www.morges-sous-rire.ch

Le vin apaise les angoisses. Et il paraît que vous en faites un beau, d’angoissé...


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