Migros Magazin 16 2009 f AA

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entretien MARC BONNANT | 29

MIGROS MAGAZINE 16, 14 avril 2009

nous qui sommes des jouisseurs, ne voir là que d’inanes calembredaines. Mais il ne faut surtout pas demander à celui qui est le gardien de cet idéal d’en professer un différent. Dans la vision chrétienne, Dieu s’occupe des hommes et il s’en occupe au point d’être consubstantiel à la naissance de chaque enfant. Ce n’est pas simplement votre petite secousse et le bonheur de mon étreinte: le pape rappelle que Dieu veille et que Dieu veut et que nous n’avons pas à contrarier cette volonté-là au titre de plaisirs au demeurant dérisoires. Une Suisse sans secret bancaire, qu’est-ce que cela vous fait?

Les circonstances de notre abandon sont calamiteuses. Il a suffi des rodomontades d’un Gaulois et des diktats d’un kapo germain pour que le Conseil fédéral se baisse et s’abaisse. Cela m’a précipité dans une réflexion incroyablement amère sur notre souveraineté. Les troupes allemandes auraient franchi la frontière, les Français auraient déboulé d’Annemasse, avec leurs faibles armées, que je ne l’aurais pas vécu différemment. Comment expliquer cette déroute?

Le bonheur est débilitant. Notre classe politique est admirable pour avoir des opinions sur la 42e révision de l’AVS, exceptionnelle pour ouvrir des tronçons d’autoroute. Mais dès que le vent se lève, elle est étonnement peu testiculée. Nous avons abandonné en rase campagne avant d’avoir tiré le moindre coup. Il a suffi qu’on parle de liste noire pour que nous hissions aussitôt le drapeau blanc, minés de l’intérieur par une sorte de honte de notre condition heureuse. Honteux d’être ce que nous Publicité

«Il a suffi qu’on parle de liste noire pour que nous hissions le drapeau blanc» sommes, honteux d’être un peu moins pauvres que les autres, d’être un peu plus apaisés que les autres, un peu plus industrieux que les autres. C’est pour cela que je dis malheur à la paix qui fait des âmes molles, malheur au bonheur qui fait des politiques lâches. Les exigences des Européens et des Etats-Unis envers la Suisse n’étaient-elles pas justifiées? Il s’agissait quand même d’évasion fiscale...

La première question que devrait se poser un pays avant de donner des leçons urbi et orbi est la suivante: qu’est-ce qui fait que malgré mon climat de douce France ou la beauté de mes fleuves allemands, les gens vont voir ailleurs?

La tolérance psychologique aux ponctions étatiques a un seuil. Au-delà de ce seuil, l’impôt c’est le vol. Si les talents et les énergies s’expatrient, c’est en raison d’une fiscalité injuste et frustratoire. Qui peut se résigner à travailler huit, dix mois par an pour les autres? Je suis très favorable au secret, notamment fiscal. Je n’ai aucune dilection pour la société d’exhibition et de transparence. Une Suisse sans secret bancaire mais avec minarets?

Je pense que, quelle que soit notre opinion sur notre identité, il n’y a aucune manière de la conserver intacte et sans altération. Le temps est au métissage, inévitablement, l’histoire au mouve-

ment, aux migrations. Les frontières ont vocation à être abolies. La mondialisation ne suppose pas simplement la libre circulation des marchandises, mais aussi des personnes, donc des idées, donc des cultures. L’inévitable est que nous serons demain un peu moins occidentaux qu’aujourd’hui, un peu moins blancs, un peu moins chrétiens. Comme nous sommes dans l’irréversible, le mouvement de l’Histoire, il ne sert à rien de livrer des batailles symboliques d’arrière-garde. La paix sociale suppose que nous acceptions dans une large mesure la différence, avec quelques exigences. Non pas exiger que cette différence ne se voie pas – abolition du voile, destruction des minarets – mais que cette différence s’intègre dans les valeurs que nous avons mis quelques millénaires à édifier. Il ne s’agit donc pas d’interdire la construction des minarets, il s’agit peut-être d’être vigilant sur ce qui s’y prêche. L’affaire du fils Kadhafi, comment l’avocat que vous êtes l’a-t-il ressentie?

Je trouve juste que le juge d’instruction ait traité M. Kadhafi comme n’importe quel citoyen. Le comportement qu’il avait eu, d’après les témoignages, était parfaitement inacceptable. C’était l’importation sous nos latitudes de rapports humains et de force que nous ne connaissons pas, que nous avons justement bannis et abolis. C’est un des honneurs de notre justice de s’appliquer de manière égale aux puissants comme à la menuaille. Et d’être indifférente aux foucades d’un bédouin irascible. Propos recueillis par Laurent Nicolet Photos Nicolas Righetti / Rezo


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