Migros magazin 06 2014 f vs

Page 16

|

PORTRAIT

| No 6, 3 FÉVRIER 2014 |

«Ces jeux interviennent trop tôt»

Natif de Bettmeralp dans le Haut-Valais, Christof Franzen est le correspondant de la TV alémanique en Russie. C’est en montagnard qu’il décrypte les jeux de Sotchi où il s’est déjà rendu à de nombreuses reprises ces dix dernières années. Corruption, atteinte à la nature, gigantisme, site inapproprié: le regard négatif porté en Occident sur les jeux de Sotchi est-il justifié?

Christof Franzen lors d’un reportage en Iakoutie, république qui appartient à la Fédération de Russie.

Ce seront en tout cas des jeux atypiques. Sans doute géniaux du point de vue de l’organisation et des infrastructures. Le grand problème est de savoir ce qui va advenir de tout cela après, ainsi que le prix que ça a coûté, qui est une vraie folie. Je trouve très bien que la Russie développe les sports d’hiver. Il n’y a pas de raisons que les Russes ne puissent pas skier chez eux. Et ils ont le droit d’organiser des jeux comme n’importe quel autre pays. Mais vouloir développer un domaine skiable à travers les jeux, c’est une faute, surtout en un temps si court. C’est la brièveté des délais – sept ans pour tout construire de zéro – qui a créé une pression énorme et engendré de la corruption. Ces jeux interviennent trop tôt. C’est le contraire qu’il aurait fallu faire: développer d’abord des stations de sports d’hiver et ensuite, dans dixquinze ans, lancer une candidature. Vous vous êtes rendu plusieurs fois dans la station de Krasnaïa Poliana où auront lieu les épreuves, et ce, bien avant déjà la candidature olympique. Comment était-ce?

La première fois que j’y suis allé, il avait tellement neigé qu’ils avaient dû creuser la neige sous le télésiège, mal conçu, pour dégager un passage. Mais ça me rappelait le Bettmeralp de mon enfance, très romantique, avec une bonne atmosphère, une chouette ambiance. Sauf que Bettmeralp, comme la plupart des stations valaisannes, a été développé par les gens sur place, alors que Sotchi a été développé par Moscou avec des méthodes pas franchement idéales. A l’époque, il

MIGROS MAGAZINE |

existait à Krasnaïa Poliana la volonté d’un développement à l’européenne, avec des investissements locaux. Les responsables du coin m’avaient cité ce proverbe: «La montagne n’aime pas les grandes enjambées.» Les Jeux olympiques ont tué tout ça. Il paraît que la météo y est épouvantable en février…

Tout est possible. J’ai suivi là-bas il y a deux ans les épreuves de Coupe du monde qui se déroulaient justement en février. C’était génial, les conditions étaient extraordinaires. L’an dernier, par contre, il y avait trop de neige et la pluie qui est venue par-dessus. En général c’est vrai, le temps n’est pas terrible à cette période, très imprévisible et changeant en tout cas, c’est tellement proche de la mer. La mer et les montagnes toutes proches représentent quelque chose d’unique que Poutine a mis en avant. Mais est-ce que c’est une bonne idée de construire des stades de glace dans une région maritime? Une dame m’a dit làbas: «Ils ont arraché nos champs de tomates. Que va-t-on faire maintenant? Jouer au curling?» Après les JO, la Formule 1 à Moscou, puis la Coupe du monde de foot en 2018. Qu’est-ce qui pousse la Russie à vouloir organiser les grands rendez-vous sportifs internationaux?

D’abord, et pour la première fois depuis la disparition de l’Union soviétique, ils ont l’argent pour ça, ou du moins ils pensent qu’ils ont l’argent. La Russie se développe et il existe une volonté de montrer ce développement. C’est un peu du show, c’est concentré sur une brève période dans quelques endroits. Des infrastructures superbes ont été construites à Sotchi, mais ailleurs il n’y a rien. N’empêche, les Russes ont envie de se montrer. La population supporte donc ces jeux?

Oui en général, tous les sondages le montrent. Les gens sont fiers que leur pays organise un événement de cette envergure. Quand on regarde Sotchi aujourd’hui, si on ne pense pas aux coûts, aux droits bafoués des travailleurs, à la corruption, aux expropriations, c’est très impressionnant, avec des installations de la meilleure qualité possible. Il n’existe pas d’équivalent en Suisse, à une telle échelle. Les libérations de Khodorkovski et des Pussy Riot sont-elles vraiment liées aux JO?

D’abord c’était le bon moment. Une amnistie de prisonniers était de toute façon

Photos: Christian Schnur, SRF

SOTCHI 2014 16 |


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
Migros magazin 06 2014 f vs by Migros-Genossenschafts-Bund - Issuu