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Bientôt le retour des mammouths?

Les avancées génétiques permettraient de faire renaître certaines espèces disparues. Lionel Cavin, paléontologue, fait le point sur la situation actuelle et explique l’impact positif que pourraient avoir certaines réintroductions sur la nature sauvage et la biodiversité.

Texte: Patricia Brambilla

Lionel Cavin, faire revivre des dinosaures… Possible ou science-fiction? Ils n’ont pas disparu puisque les oiseaux descendent des dinosaures… Boutade mise à part, si on imagine retrouver de l’ADN et le réimplanter dans un animal, à la façon de Jurassic Park, il ne faut pas rêver, ce n’est actuellement pas possible et cela ne le sera sans doute jamais. Par contre, il y a un moyen détourné de faire revivre certaines espèces, en faisant de l’évolution à l’envers. Comme les oiseaux ont encore en eux des caractéristiques des dinosaures, les plumes et la forme des pattes par exemple, des projets comme Chickenosaurus ont été lancés pour faire désévoluer un oiseau et le faire redevenir dinosaure. Il s’agit alors de réactiver des gènes présents chez le dinosaure et qui sont inactifs chez l’oiseau. Le meilleur modèle est le poulet, où l’on arrive à réactiver le gène des dents et à faire réapparaître un début de queue. Pour l’instant, ça reste au niveau de l’embryon. Mais ces études sont intéressantes, car elles permettent d’étudier les gènes du développement. On peut aussi manipuler l’ADN pour ressusciter des espèces disparues. Comment ça marche?

De quoi parle-t-on?

Si l’on pouvait ressusciter des espèces éteintes, lesquelles voudrait-on revoir? Dinosaures, tigres à dents de sabre ou paresseux géants? Lionel Cavin, conservateur au Muséum d’histoire naturelle à Genève, interroge sur l’avenir de la grande faune et sur la place que l’homme laisse à la vie sauvage.

Faire revivre des espèces disparues? (Éd. Favre, 4 février 2022)

La récente découverte de l’outil CRISPR-cas9 permet de faire de l’édition génétique. Jusque-là, on introduisait un gène qui allait se placer n’importe où dans le génome. Aujourd’hui, on peut très précisément remplacer un gène par un autre grâce aux ciseaux moléculaires. On est aussi plus en mesure de comprendre la fonction des gènes. On va donc vers la possibilité de changer des caractères particuliers. À l’échelle de dix ou vingt ans, on pourrait commencer à transformer un animal actuel en quelque chose qui ressemblerait à un animal disparu. En implantant par exemple un gène qui intervient dans la longueur des poils et un autre dans la taille des oreilles chez un éléphant d’Asie, on obtiendrait un animal qui serait proche du mammouth laineux et qui jouerait le même rôle écologique. C’est une perspective assez réaliste, d’autant que le mammouth laineux est plus proche de l’éléphant d’Asie que celui-ci ne l’est de l’éléphant d’Afrique. La fonte du permafrost n’ouvre-t-elle pas aussi des perspectives? On retrouve en effet des molécules d’ADN, mais elles sont tout éparpillées. En 2019, des chercheurs japonais ont trouvé un peu d’activité biologique dans une cellule de mammouth laineux. Plus surprenant, on a

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Fascinant Colosseum

aussi réveillé un rotifère qui avait 24000 ans! C’est une bestiole minuscule très résistante, qui vit dans la mousse et qui se met dans une coque dès qu’il n’y a plus d’eau. C’est moins sensationnel qu’un mammouth, mais c’est une preuve que les cellules biologiques peuvent survivre assez longtemps. Cela dit, reconstituer un génome ne fonctionne que sur des espèces disparues il y a très peu de temps, comme le mammouth qui existait encore il y a 4000 ans, quand les Égyptiens construisaient leurs pyramides. Plus on remonte dans le temps, plus c’est difficile. Or les plus jeunes fossiles de dinosaures ont 66 millions d’années…

Techniquement, quelles espèces pourrait-on ressusciter aujourd’hui? On parle du mammouth laineux, parce que c’est le plus spectaculaire. Mais il y aurait des espèces plus récentes comme le thylacine, un loup marsupial qui a vécu en Tasmanie jusqu’en 1930. Un projet australien tente l’expérience de le déséteindre, mais pour le moment sans succès. Un autre candidat potentiel serait la grenouille plate à incubation gastrique, originaire également d’Australie. Cette même équipe de chercheurs n’a pour le moment développé que de petits embryons. On pourrait aussi faire revivre le pigeon migrateur, très abondant autrefois en Amérique du Nord, mais complètement exterminé au début du XXe siècle. Ce sont les candidats les plus réalistes et les plus emblématiques à la résurrection, parce que ce sont aussi des espèces parapluies, qui permettraient de faire revivre tout un écosystème.

Mais ce n’est pas si facile de faire revivre une espèce… On a un exemple de désextinction réussie… pendant dix minutes: le bouquetin des Pyrénées ou bucardo. On a pu sauvegarder quelques cellules de la dernière femelle de cette sous-espèce morte, et on les a réimplantées dans un ovule de chèvre. Un petit bucardo est né, mais il n’a vécu que dix minutes. Par ailleurs, on a réussi à refabriquer une sorte d’aurochs par croisement, en rassemblant les gènes disséminés dans des races de vaches actuelles, dont il est l’ancêtre. C’est un projet qui a réussi, puisqu’on en trouve actuellement dans certains parcs, en Pologne, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Bio express

1968 Naissance à Bex (VD).

1987-1997 Études de biologie à Neuchâtel, puis de paléontologie à Paris.

2002-2004 Enseignant chercheur en Thaïlande. Puis chercheur au Musée d’histoire naturelle de Londres.

2006 Conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève. Continue la recherche sur les poissons fossiles, en particulier le cœlacanthe.

2009 Publie Darwin et les fossiles (Éd. Georg)

2019 Publie Cœlacanthe, un poisson énigmatique (Éd. Le Cavalier bleu)

2022 Coécrit avec Nadir Alvarez Faire revivre des espèces disparues? (Éd. Favre)

«Reconstituer un génome ne fonctionne que sur des espèces disparues il y a peu de temps»

En tant que paléontologue, quelles espèces aimeriez-vous faire revenir? Sans doute des poissons… On aimerait toujours faire revenir des animaux bizarres, comme les premiers vertébrés qui vivaient il y a 540 millions d’années. Ou les placodermes d’il y a 400 millions d’années, des poissons avec le crâne cuirassé et des fausses dents énormes. Ce serait passionnant de les voir. Mais ça ne me déplairait pas de rencontrer aussi un dinosaure.

Est-ce que la désextinction des espèces pourrait être une solution au déclin de la biodiversité? La priorité reste la protection des espèces existantes, bien sûr. Mais la conservation ne s’oppose pas à la recherche, et dans certains cas, pourquoi ne pas envisager des processus de désextinction d’espèces très proches, sachant que ces espèces joueraient le même rôle que les espèces parapluies. S’il y avait un programme de désextinction du mammouth, ce serait stupide de le mettre dans un zoo pour attirer les touristes. Il faudrait le faire en lien avec un plan de réensauvagement de la nature pour rétablir certains écosystèmes. Il y a d’ailleurs un projet européen qui envisage de réensauvager des espaces. Dans ce contexte, le bison d’Europe pourrait y jouer un rôle, de même que l’aurochs, le chameau, le léopard, la hyène.

Photo: Queensland museum/DR Les varans géants (Megalania) faisaient partie de la mégafaune australienne il y a 100000 ans.

Éléphant à défenses droites

Auroch

Rhinocéros de Sumatra

Des animaux disparus pourraient être ramenés dans notre monde moderne grâce à la recherche génétique sur leurs descendants.

Cela ne me paraît pas scandaleux éthiquement et c’est réalisable à plus ou moins court terme. Mais il faudrait bien choisir les espèces et tenir compte aussi du réchauffement climatique… Si on va vers un réchauffement plus important, il faudrait viser une faune interglaciaire, comme le tigre à dents de sabre, le lion, et envisager d’autres éléphants que le mammouth laineux. L’éléphant de forêt, que l’on trouve en Afrique, mais dont une espèce proche vivait en Europe entre les périodes glaciaires, pourrait être réinstallé dans les forêts d’Eurasie. Encore une fois, il faut l’imaginer dans un cadre général de réensauvagement et non pas s’amuser à faire revenir des animaux de foire.

Mais est-ce raisonnable dans le contexte de surpopulation actuelle, où l’on peine déjà à faire cohabiter le loup et les moutons? On voit en fait que l’augmentation de la démographie mondiale ralentit et que la distribution de la population est de plus en plus concentrée. Si l’on va vers des villes denses, écologiques, efficaces et favorables à la biodiversité, et qu’on laisse une partie de la nature alentour livrée à elle-même, c’est envisageable.

«Il n’y a pas d’un côté la désextinction et de l’autre la protection des espèces»

En Eurasie, d’immenses régions sont désertes. Et même en France, la campagne est beaucoup moins peuplée qu’il y a un siècle. Par ailleurs, cela nous paraît tellement évident d’avoir de la savane en Afrique. Mais ce continent explose démographiquement et économiquement, est-ce à lui de jouer seul ce rôle de zoo du monde? Les autres continents pourraient aussi prendre en charge une part de cette nature sauvage. Vous aimeriez voir gambader des éléphants de forêt et des rhinocéros de Sumatra dans les prairies d’Europe? Disons que la question mérite d’être posée! (Rires) Je n’ai pas de solution. Sur tous les continents, l’arrivée de l’homme a fait disparaître beaucoup de grands prédateurs. Sans doute qu’il y a 20000 ans, les premières populations du continent américain qui voyaient des smilodons avec des dents énormes n’ont pas été tristes de les voir s’éteindre… Je ne dis pas qu’il faut faire revenir des tigres à tous les coins de rue. Mais nous avons de la peine à accepter la nature sauvage, ce que l’on ne maîtrise pas. Typiquement, on ne parle que des attaques de requins, alors qu’il y en a une dizaine par année contre 1 300000 morts dans les accidents de la route. À croire qu’il est plus acceptable de se faire écraser par un pare-chocs que de se faire broyer par une mâchoire de requin. Ne vaudrait-il pas mieux protéger les espèces existantes plutôt que de faire revenir des espèces disparues? Il n’y a pas d’un côté la désextinction et de l’autre la protection des espèces. Il s’agit de réhabiliter certains environnements et dans ce cadre-là, pourquoi pas, aider certaines espèces à retrouver les caractéristiques de l’époque. D’autant que la mégafaune actuelle est presque déjà éteinte. Les gros mammifères de la planète ne représentent que 3% de la biomasse, tout le reste est composé par le bétail et l’homme. Sans parler de la crise des insectes qui disparaissent, toute une microfaune que l’on oublie complètement. En protégeant les grands mammifères, on protège en fait toutes les petites espèces qui vivent autour. Alors, à quoi pourrait ressembler la Suisse en 2050? Regardons plutôt à l’échelle européenne. Dans les projets de réensauvagement, on se rend compte qu’il y a déjà des réseaux de forêts qui vont du Caucase jusqu’aux Pyrénées et que le loup y chemine sans se faire voir. On pourrait avoir des programmes qui favorisent ces réseaux-là et y mettre quelques grosses bêtes. Lesquelles? L’aurochs, le bison, pourquoi pas un petit éléphant à défenses droites et le rhinocéros de Sumatra, qui est sur le point de disparaître. Si on pouvait le reproduire, le modifier un peu par sélection ou ingénierie génétique pour l’adapter à notre milieu tempéré, ce serait envisageable. C’est un animal très discret. Les naturalistes ont souvent l’image d’une nature immuable. Mais de quelle nature parle-t-on? Il y a 40000 ans, l’Europe était recouverte de grandes prairies, alors qu’au Néolithique, la forêt était dominante. La référence est glissante, on se rapporte toujours à ce que l’on connaît de mémoire d’homme. Mais avec la paléontologie, on sait que rien n’est figé, on s’intéresse au temps long. MM

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