Des corps chassés, les mécanismes de la domination masculine sur la voix et la voie publique

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DES CORPS CHASSÉS Les mécanismes de la domination masculine sur la voix et la voie publiques Mémoire de Master soutenu par Jade LI-YU-HO le 23 Janvier 2018 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier Sous la direction de Lambert DOUSSON, docteur en philosophie, ENSA-Montpellier Jury : Lambert DOUSSON, docteur en philosophie, ENSA-Montpellier Laurent VIALA, géographe et urbaniste, docteur en géographie, ENSA-Montpellier Alexandre NEAGU, architecte DPLG, ENSA-Montpellier Juan CAMELO, professeur d'histoire de l'art, Ecole supérieure des beaux-arts du Mans Source couverture : La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix, 1830, huile sur toile, 260 x 325cm, Musée du Louvre, © Wikimédia Commons/Domaine Public

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REMERCIEMENTS

Je souhaite avant tout remercier mon directeur de mémoire, Lambert Dousson,

pour le temps qu’il m’a consacré, les connaissances qu’il m’a apportées et sans lesquelles ce mémoire n’aurait pas pu voir le jour mais également pour son soutien sans faille dans mon éveil au féminisme et dans les combats qui lui sont inhérents. J’aimerais également exprimer ma gratitude envers mes amies et mon compagnon, qui m’ont supporté dans tous les sens du terme. Leur aide m’a été précieuse dans l’élaboration de ma réflexion, me permettant de débattre et ainsi d’affiner mon raisonnement au cours de nos nombreux échanges. Enfin, merci à toutes les personnes ayant contribué à mon enquête, à toutes celles qui ont pensé à moi et m’ont envoyé de très nombreux articles, des reportages, des films traitant de mon sujet et du féminisme en général. Cette attention m’a particulièrement touché et j’ai bon espoir que cela ait provoqué une vague de conscience féministe.

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« Idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune mais sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maitresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme. » « Je crois bien qu’elle n’existe pas. » Virginie Despentes, King Kong Théorie, 2006

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AVANT-PROPOS

Ce mémoire a été l’occasion pour moi d’analyser, de comprendre les mécanismes

à l’origine des comportements auxquels j’ai pu être confrontée tout au long de ma vie, de la sphère familiale au monde du travail en passant par l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier (ENSAM). Du fait de mon sujet, mon mémoire a reçu un accueil très particulier auprès de mes professeurs et des autres étudiant(e)s. En effet, tout au long de ces 3 semestres de recherches et de réflexion, j’ai dû faire face à des réactions inattendues voir à des confrontations violentes et agressives notamment lors de la concrétisation de ce mémoire sous la forme d’une semaine de sensibilisation au sein de l’ENSAM à l’occasion de la journée des droits des femmes. Le fait même d’aborder le sujet de la place des femmes dans l’espace public semble provoquer une violence particulière, mêlée d’incompréhension, chez les hommes comme chez les femmes, qui ne cessent de me répéter que je « marche sur des œufs ». Au cours de ma première année de recherches, j’ai mis en place un questionnaire en ligne destiné aux étudiantes de l’ENSAM afin d’établir des statistiques sur leurs usages de la ville diurnes et nocturnes mais aussi de l’école et de ses environs. Le but étant de questionner les étudiantes, sous le couvert de l’anonymat, d’un point de vue pratique mais également subjectif, presque de l’ordre de l’intime, pour tenter de saisir la manière dont les femmes, ici les étudiantes de l’école d’Architecture dans la ville de Montpellier, appréhendent la ville. J’ai également voulu profiter de ce questionnaire pour laisser la place aux témoignages et à ma plus grande surprise, les étudiantes se sont approprié cet espace, partageant avec moi leurs anecdotes les plus légères, leurs « astuces » pour arpenter la ville plus sereinement, mais aussi leurs traumatismes. Dans un second temps, lors de mon dernier semestre de recherches, de plus en plus de femmes de mon entourage, appartenant à l’école ou non, m’ont confié leurs histoires. Il me semble important de noter qu’à cette même période, un mouvement de libération de la parole prenait de l’ampleur notamment aux Etats-Unis, où de nombreuses actrices et réalisatrices ont pris la parole et choisi de dénoncer les comportements sexistes, le harcèlement et les agressions sexuelles dont elles sont victimes dans l’industrie du cinéma, incitant de nombreuses femmes à briser le silence à travers le monde dans un premier pas vers la prise de conscience collective. Cette vague de témoignages a eu un véritable impact aux Etats-Unis, se concrétisant sous la forme de procès, de plaintes et

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de démissions. Ce féminisme hollywoodien profite des projecteurs et de la popularité de ses membres pour mettre en lumière cette voix qui mérite d’être écouté. L’écriture de ce mémoire prend donc place dans ce contexte de conflits, entre idées reçues et saturation d’informations. Les articles de journaux, les émissions de télévision, les débats politiques se multiplient à mesure que j’écris, mêlant informations capitales, critiques construites ou non et récupération politique. Partout, une soi-disant « guerre des sexes » semble faire rage, les réseaux sociaux en guise de front. Je ne souhaite pas participer, par ce mémoire, à ce débat stérile mais plutôt à transmettre ce que j’ai pu découvrir tout au long de ce travail de recherche. En effet, ce mémoire m’a permis d’apporter des éléments de réponse aux interrogations que je me posais, parfois inconsciemment, depuis toujours et de me forger un avis par moi-même. J’espère, par la lecture de ce travail, parvenir à répondre à vos interrogations.

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SOMMAIRE REMERCIEMENTS………………………………………………………………………………………………..p.4 AVANT-PROPOS………………………………………………………………………………………………….p.6 INTRODUCTION………………………………………………………………………………………………..p.10

I // LA FEMME ET SA VOIX PUBLIQUE…………………………………………….p.14 LE LANGAGE, OUTIL ET INDICATEUR DES LUTTES DE POUVOIRS…………........p.14 LA PAROLE, CŒUR DE LA DEMOCRATIE………………………………………………………………..p .13 LE SEXISME LANGAGIER, LE POUVOIR DES MOTS…………………………………………………..p.16 LA LANGUE FRANÇAISE, UN HERITAGE MASCULIN ?.................................................................p.19 LES OUTILS DE LA DOMINATION MASCULINE SUR LE LANGAGE : MANTERRUPTING, MANSPLAINING – MECSPLIQUER ET VIOLENCES………........p.21 « LES HOMMES COUPENT LA PAROLE CAR LES FEMMES LA MONOPOLISENT »……...p.22 « ATTENDS, JE VAIS T’EXPLIQUER… »…………………………………………………………………….p.24 LES FEMMES DISQUALIFIEES DE LA VIE PUBLIQUE, LA VIOLENCE DES MOTS………...p.25 PRESENCE DANS LES MEDIAS : INVISIBILITE, INFERIORISATION ET STEREOTYPES……………………………………p.28 LE LANGAGE CORPOREL, LES EFFETS DE LA DOMINATION SUR LES CORPS..p.33 LA PERFORMANCE DU GENRE, L’INCORPORATION DES STEREOTYPES DE SEXE…….p.34 LE MANSPREADING, LE MANTERRUPTING EN GESTE……………………………………………...p.36 LE CORPS DES FEMMES, PROPRIETE PUBLIQUE ?.......................................................................p.38 LE CORPS DES FEMMES, ARME FEMINISTE ?..................................................................................p.40

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II // LA FEMME SUR LA VOIE PUBLIQUE…………………………………………p.44 LA COUR DE RECREATION : UN PREMIER RAPPORT A L’ESPACE PUBLIC DETERMINANT………………………p.44 L’ETHIQUE DU CARE : SPECIALITE FEMININE ?............................................................................p.45 ENTRE INVISIBILISATION ET SUREXPOSITION : HARCELEMENT DE RUE, PROSTITUTION, PORNOGRAPHIE…….…………………..p.49 LES TERRITOIRES DE GENRE, LA VILLE SEXUEE…………………………………………………….p.50 VIOLENCES SEXUELLES : DU HARCELEMENT AU VIOL……………………………………………p.52 LES SEXUALITES AU CŒUR DE LA VILLE………………………………………………………………..p.58 LA VILLE NUMERIQUE : SEXISME DECOMPLEXE…………………………………………………….p.61 LA PROSTITUTION, OUTIL DE LA DOMINATION……………………………………………………..p.63 SE REAPPROPRIER LA VILLE: MARCHES EXPLORATOIRES & AUTRES OUTILS……………………………………….....p.68 LES NOUVEAUX OUTILS DE LA VILLE AU SERVICE DE LA DEMOCRATIE…………………p.69 LES LIMITES DE CES OUTILS ET LA SUBVERSION DU GENRE………………………………….p.71 CONCLUSION…………………………………………………………………………………………………….p.76 BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………………………..p.78 ICONOGRAPHIE………………………………………………………………………………………………...p.84 ANNEXE…………………………………………………………………………………………………………….p.85

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DES CORPS CHASSÉS1 INTRODUCTION Chaque année, 223 000 françaises âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences conjugales dans leurs formes les plus graves, souvent commies par le conjoint ou l’exconjoint, dans 88% des cas la victime est une femme2. Chaque année, 84 000 françaises âgées de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol et, entre novembre 2014 et octobre 2015, 85% des victimes de violences sexuelles étaient des femmes.3 Les femmes ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité (1944), le droit à la contraception (1967), à l’avortement (1975) et tant d’autres pourtant l’égalité entre hommes et femmes n’est pas encore acquise avec un écart de salaire moyen de 24% en France en 2014 en faveur des employés masculins4. La même année, sur 231 pays et territoires, 11,7% étaient dirigés par des femmes dans le monde. On peut se demander d’où provient cette inégalité profonde entre les sexes et comment perdure-t-elle dans un système démocratique fondé sur les principes de « Liberté, Egalité, Fraternité ». La question de l’inégalité entre les hommes et les femmes est celle du genre : qu’est-ce que le genre ? Pour la sociologue et chercheuse féministe Christine Delphy, le concept de genre réunit « la reconnaissance de l’aspect social de la dichotomie sexuelle et la nécessité de le détacher de l’aspect anatomique et biologique du sexe ».5 Cela revient à dire que le genre est « le sexe social »6, il se différencie du sexe biologique qui,

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Citation originale : « des corps constamment « chassés » », Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008, p. 75 2 Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.2 3 Ibid. 4 Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, Chiffres-clés Edition 2017, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, Emploi et Précarité, 2017, p.18 5 Christine Delphy, « Penser le genre », L’ennemi principal, II, Paris, Syllepse, « Nouvelles questions féministes », Septembre 2013 6 Nicole-Claude Mathieu, L’anatomie politique : catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Persée, « Coté-femmes », 1991

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lui, découle de structures chromosomiques, génétiques, hormonales et anatomiques. Le genre c’est « être un homme » ou « être une femme », c’est se sentir « homme » ou « femme » et s’identifier en tant que tel tandis que le sexe est une caractéristique physiologique. Par exemple, les burnesha ou « les vierges jurées » en Albanie sont des individus nés de sexe féminin mais qui ont fait le choix de vivre en tant qu’homme pour échapper à un mariage arrangé ou en l’absence d’un héritier masculin. Elles sont socialement des hommes et, sans le savoir, il serait impossible de savoir qu’elles sont nées de sexe féminin7. Le genre est donc une construction sociale dépendante de son contexte culturel, historique, géographique, donc il ne s’agit pas d’un état définitif mais bien d’un processus. Le géographe Guy Di Méo explique que, pourtant, le genre n’est jamais perçu comme tel, il est réduit au couple binaire masculin/féminin à cause de la « naturalisation de l’architecture sociale fondée sur la différence des sexes »8 qui justifie ce couple d’opposition stable mais asymétrique. De ce couple binaire va également découler la sexualité par défaut : l’hétérosexualité, la seule sexualité possible car elle mène à la procréation. Le genre peut s’articuler à un système identitaire oppressif. Si les organes génitaux sont des différences biologiques parfaitement compensables par nature, le genre en fait une inégalité en favorisant le sexe masculin notamment dans la sphère publique. Cependant, l’inégalité ne s’arrête pas là, elle se mue en domination puisque le genre masculin trouve la source de son pouvoir dans la soumission des membres femmes associées au sexe féminin. Le genre n’a pas de réalité objective, il s’accroche donc à la réalité biologique et physique du sexe pour légitimer la domination. Alors que le genre est une norme construite, il se fait passer pour inné et donc imposé par nature. Ce concept est tellement ancré dans nos sociétés qu’il « précède le sexe… »9 : lorsqu’une femme est enceinte, elle passe une échographie lors de laquelle on lui annonce le sexe de son enfant, on identifie ses organes génitaux et, alors que l’individu n’est pas encore venu au monde, on annonce son genre, comme une évidence. Pourtant, un fœtus n’est ni femme, ni homme, ni transgenre, ni hétérosexuel, ni homosexuel, ni bisexuel. 7

Emilienne Malfatto, Jelena Prtoric, La femme est un homme comme les autres, Le Monde International, 15 Juin 2014 8 Guy Di Méo, Les Murs Invisibles, femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, « Recherche », Mai 2011, p.22 9 Christine Delphy, « Penser le genre », L’ennemi principal, II, Paris, Syllepse, « Nouvelles questions féministes », Septembre 2013, p.251

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Le genre est imposé à tous et personne ne le remet en question puisqu’il semble naturel. Le genre constitue la base du système de domination masculine qui régit notre société, lui-même rendu légitime par sa confusion avec le sexe. Il naturalise les inégalités et donc la domination qui nous semble évidente et incontestable : « les femmes sont naturellement plus faibles », la domination sociale est justifiée par une domination physique. Cette domination s’étend sur toutes les sphères de la vie, elle est politique, économique, spatiale. D’ailleurs le géographe Guy Di Méo fait remarquer que le couple d’opposition masculin/féminin est repris dans tous les domaines que ce soit en géographie

(humide/sec),

en

urbanisme

(privé/public),

en

architecture

(intérieur/extérieur)… Pour la sociologue, féministe et écrivaine britannique Ann Oakley, il faudrait « admettre la variabilité du genre » (1972)10. Cette variabilité se retrouve en architecture et en urbanisme où des cas intermédiaires, nuancés apparaissent dans les formes spatiales et où la dichotomie privé/public accepte des déformations. La domination masculine fait de l’Homme l’être humain, le sexe neutre. La Femme est réduite au « sexe qui n’en est pas un »11, elle se définit par le sexe masculin, en manque d’être, de langage et donc de droits. Ce qui va à l’encontre des principes d’égalité de droits. Le système d’oppression du genre se manifeste dans toutes les sphères de l’existence mais c’est dans l’espace public que la domination masculine prend toute son ampleur puisque c’est là que se jouent les rapports de pouvoir. Nous allons donc nous intéresser aux mécanismes de la domination sur la voix publique, l’espace de la parole, traversé par les enjeux de pouvoir au fondement de notre société. En effet, nous allons voir que c’est par le langage que se transmettent et se performent les rôles de sexe et les stéréotypes, outils du contrôle social imposé à tous. En effet, la domination masculine se manifeste sur la parole de différentes façons : par un sexisme langagier mais aussi par une invisibilisation de la parole féminine par le manterrupting et le mansplaining qui incitent à la violence. Cette parole passe aussi par les médias qui diffusent les stéréotypes que nous allons ensuite incorporer, performer.

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Ann Oakley in Guy Di Méo, Les Murs Invisibles, femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, « Recherche », Mai 2011 11 Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un in Les Cahiers du GRIF, Les femmes font la fête font la grève, n°5, 1974, pp.54-58

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Notre langage corporel est également empreint de la domination masculine, ce qui pose la question de la propriété du corps des femmes.

Or c’est par ce corps que la domination masculine entre dans la ville, les

corps vont se mouvoir dans l’espace public. Dans un second temps nous allons donc étudier les mécanismes de la domination masculine sur la voie publique où ce contrôle social influence les pratiques urbaines dès l’enfance, dès la cours de récréation. Il se manifeste ensuite dans l’espace urbain sous forme de territoires sexués, de harcèlement de rue qui placent les sexualités au cœur de la ville, s’exprimer sans masque dans la ville numérique. Le contrôle social est basé sur la crainte du viol et de la mauvaise réputation. Néanmoins, ce contrôle social a des limites et nous allons démontrer qu’une réappropriation de la ville est possible.

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I // LA FEMME ET SA VOIX PUBLIQUE

La voix publique, c’est l’ensemble des voix des citoyennes et citoyens qui, réunies,

forment le premier espace public : celui de la parole. La parole est politique, elle est décisionnaire ce qui signifie que cet espace à part entière constitue le cœur de notre société, c’est le lieu des relations de pouvoirs. La parole doit donc être libre et équitablement répartie entre les citoyens et citoyennes pour garantir la démocratie. Pour pouvoir analyser cette parole, nous allons nous intéresser au langage en tant qu’outil, indicateur des luttes de pouvoir puis nous allons nous pencher sur les outils de cette domination masculine sur le langage à savoir le sexisme langagier, le manterrupting et le mansplaining. Enfin, nous allons étudier les autres formes du langage : la communication visuelle via la présence des femmes dans les médias, caractérisée par une invisibilité, une infériorisation et l’usage de stéréotypes mais aussi les gestes, le langage corporel, fruits de l’incorporation de la domination.

LE LANGAGE, OUTIL ET INDICATEUR DES LUTTES DE POUVOIRS

Selon la définition du Larousse, le langage désigne « la capacité, observée chez

tous les hommes, d'exprimer leur pensée et de communiquer au moyen d'un système de signes vocaux et éventuellement graphiques » ainsi que « tout système structuré de signes non verbaux remplissant une fonction de communication ». Il désigne également « l’ensemble des procédés utilisés par un artiste dans l'expression de ses sentiments et de sa conception du monde »12. Le langage englobe donc la parole qu’elle soit orale ou écrite, mais aussi la gestuelle qu’elle soit consciente ou non ainsi que toutes les formes d’arts et d’expression.

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Langage – Définition du Dictionnaire Larousse en ligne 14


LA PAROLE, CŒUR DE LA DÉMOCRATIE

La conversation, du grand discours à la discussion aux apparences des plus

anodines, est toujours une activité structurée, codifiée, lors de laquelle les participantes et participants échangent des informations et établissent un lien social13. L’échange oral, la discussion est une forme privilégiée d’interaction sociale. Cicéron considérait que « c'est en s'instruisant les uns les autres, en se communiquant leurs pensées, en discutant, en portant des jugements, que les hommes se rapprochent et forment une certaine société naturelle »14. A ce titre, la parole est éminemment politique et se doit d’être libre et également répartie entre tous les membres de cette société pour que cette dernière soit démocratique. La parole est donc fondamentale dans le sens où elle fonde, elle construit un espace de discussion qui est un espace public à part entière, de par nature cet espace de discussion est politique. De ce fait, cet espace doit garantir la liberté et l’égalité de parole de chacun pour garantir la démocratie. De plus, cet espace est public car il appartient à la communauté, il repose sur la parole de chacun de ses membres, cette parole est donc l’outil du rassemblement. Cet espace est un lieu où chacun est libre d’exprimer ses idées dans le but de conduire à une réflexion collective. On peut faire un parallèle avec le terme grec de l’Agora qui signifiait « l’assemblée des citoyens » avant d’évoluer pour désigner « la place publique »15 réunissant les centres administratif, religieux, commercial et donc social de la cité. L’Agora est indissociable du concept de Polis, la cité-Etat désignant « une communauté de citoyens libres et autonomes »16. On remarque que la cité grecque n’existe pas de manière matérielle, elle représente une communauté, pas un lieu, mais avec le temps, la cité est devenue ville et l’Agora place publique en prenant corps dans l’espace et dans les esprits, de manière très matérielle en établissant des frontières physiques et mentales. 13

Corinne Monnet, La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation, in Nouvelles Questions Féministes, Vol.19, 1998 14 Cicéron, Traité des devoirs, trad. E. Sommer, Paris, Hachette, 1877, p. 46 15 Agora – Définition du Dictionnaire Larousse en ligne 16 Polis – Wikipédia

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Ce qui relevait de l’idée, du concept, a été matérialisé sous la forme d’un espace architectural et urbain. La parole, outil du rassemblement des citoyens, est le fondement de l’espace public et de la démocratie héritée de l’Antiquité grecque. De ce fait, la parole est un droit inaliénable, chacun le possède et doit pouvoir l’exercer sans distinction de classe social, de genre ou d’origine ethnique. Elle doit être libre et également répartie pour garantir le bon fonctionnement de la démocratie. En tant que media principal de la concertation et par conséquent de la prise de décision et inévitablement du pouvoir, la conversation est politique. La parole, ses formes, sa répartition sont autant d’indicateurs des rapports de pouvoir qui traversent notre société. LE SEXISME LANGAGIER, LE POUVOIR DES MOTS Notre façon de choisir nos mots, de ne pas en utiliser certains, l’ordre dans lesquels on les place résultent de microdécisions prises en apparence spontanément, de manière inconsciente. Pourtant ces décisions sont issues de l’éducation que l’individu a reçue, de sa place dans la société, elles sont le résultat de l’incorporation de ces différents facteurs. Mais plus encore, c’est la façon dont nos mots s’articulent avec ceux de notre interlocuteur, comment ils peuvent se chevaucher, prendre le pas sur les mots de l’autre et déséquilibrer la conversation en la faveur d’un des deux locuteurs qui sont révélateurs de relations de pouvoir à l’origine de nos structures sociales actuelles. Ainsi on observe une domination du masculin dans le langage, en particulier dans la langue française, ne dit-on pas « le masculin l’emporte toujours sur le féminin » comme moyen mnémotechnique pour accorder en genre une phrase ? Les mots eux-mêmes, les règles qui fondent notre langue française, portent les marques du genre que nous ne reconnaissons plus car nous les avons intégrés par habitude. Le langage réaffirme et assoit, par la répétition, la domination masculine dans la société.

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Fred L, Le Zizi des mots, 2015, 17x17cm, Š TalentsHauts

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Cette domination marque chaque mot en installant un « sexisme langagier » comme le souligne Elisabeth Brami et l’illustrateur Fred L. dans l’album le Zizi des mots17. Cet album a pour but d’amener les lecteurs à s’interroger sur le genre des mots, l’auteure et l’illustrateur nous font ainsi remarquer que « Le même mot désigne au masculin une personne mais au féminin un objet, voire un animal, ce qui donne : masculin = humain et féminin = machin ! ». Les double-pages de l’album (ci-contre) se succèdent et permettent de constater un véritable fait linguistique, une chosification, qui influencent le sens même des mots par la pratique quotidienne de la langue française. Ce « sexisme langagier » est donc quotidien mais si discret que nous ne le voyons plus, or l’outil influence la pensée donc les mots que nous utilisons ont un effet sur notre réflexion. Notre vision des choses est conditionnée par notre langue, elle est donc inévitablement biaisée. Dans la langue française, le masculin se fait passer pour neutre, en effet « pour une partie des linguistes, le genre dit “masculin” est en fait un genre commun »18 ce qui explique l’utilisation du mot « Homme » pour désigner l’humanité. Pourtant le mot « Femme » ne porte pas ce double-sens. Selon Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe, cette neutralisation de « l’Homme » se poursuit dans la société où le mâle est perçu comme un être neutre tandis que la femme est son négatif, si elle tente de se comporter comme un être humain, on dit d’elle qu’elle imite l’Homme.19 On pourrait faire un parallèle avec la tradition du mariage, où l’épouse perd son nom pour prendre celui de son mari, elle est dépossédée de son identité pour appartenir à son époux dont elle porte le nom comme une étiquette. Ici il s’agit de la totalité des citoyennes qui sont cachées derrière les citoyens, ces derniers sont soudainement neutralisés sous la forme d’une fraternité censée représenter l’intégralité de la société, occultant la sororité alors perçue comme excluante. De la même façon on occulte la polarité du langage en terme de genre, le genre féminin est réduit à l’état de chose, il est invisibilisé alors que le masculin domine et fait croire à son objectivité. Si le langage conditionne la pensée, il est aussi responsable de sa perpétuation. En effet, la répétition constante de ces termes semble les lisser, les rendre neutres en faisant oublier leur polarité intrinsèque. 17

Elisabeth Brami et Fred L, Le Zizi des mots, Vincennes, Talents Hauts, 2015 Antoine Gautier in Camille Bordenet, Egalité femmes-hommes : l’écriture dite « inclusive », sujet qui divise, Le Monde, 07 Octobre 2017 19 Simone de Beauvoir, Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949 in Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008 18

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LA LANGUE FRANÇAISE, UN HÉRITAGE MASCULIN ?

Cette sous-représentation du féminin dans la langue française nous est héritée du

Moyen-Age où la littérature était marquée par une idéologie massivement antiféministe et qui continue à perdurer jusqu’à nos jours. L’homme est partout, encore jusqu’au XIXe siècle, c’est bien lui qui exerce la plupart des métiers, c’est aussi lui qui part à la guerre. Or « la première guerre mondiale a été la plus grande et la plus efficace des écoles de la langue française – une école exclusivement masculine »20 comme le souligne Alain Rey, linguiste et lexicographe, ce qui donne un premier élément de réponse à cette masculinisation de la langue française. Néanmoins, si certains éléments historiques expliquent notre héritage linguistique, quelques questions restent sans réponses. En effet, pourquoi l’arrivée d’un seul homme dans une assemblée de femmes, peu importe leur supériorité numérique, entraine-t-elle l’utilisation du masculin « ils » ? Sachant que le grec ancien et le latin utilisaient l’accord de proximité qui consiste à accorder un adjectif en fonction du nom le plus proche dans la phrase, il serait donc logique, de par notre héritage linguistique latin, que nous fassions de même. Une divergence s’est pourtant produite au XVIIe siècle, l’accord de proximité jusqu’alors en usage a été remplacé par celui que l’on connait aujourd’hui, le masculin l’emporte sur le féminin, avec la justification suivante : « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte »21 et « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle 22». Il s’agit donc bien d’une décision purement arbitraire, basée sur une différence biologique de sexe. Cette règle linguistique fait de cette différence une inégalité au sein même de la langue française, ce qui achève de mettre en place une domination masculine du langage, au détriment de la parole des femmes. Loin d’être anodine, cette domination grammaticale perpétue une domination bien réelle comme l’explique l’écrivaine Marie Darrieussecq : « la grammaire n’est pas abstraite, elle décrit le monde. Les mots sont performatifs : ils ne font pas que

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Alain Rey in Anne Chemin, Alain Rey : « Faire changer une langue c’est un sacré travail ! », Le monde Idées, 23 Novembre 2017 21 Père Bouhours (1675) in Anne Chemin, Alain Rey : « Faire changer une langue c’est un sacré travail ! », Le monde Idées, 23 Novembre 2017 22 Nicolas Beauzée, Grammaire générale… (1767) in Anne Chemin, Alain Rey : « Faire changer une langue c’est un sacré travail ! », Le monde Idées, 23 Novembre 2017

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décrire, ils ordonnent. »23. La parole doit être libre et également répartie afin de garantir la démocratie ; le moindre déséquilibre, la domination d’une partie, même la plus infime, de cette société de parole met à mal la liberté de tous. Pour remédier à cette situation, plusieurs possibilités ont été évoquées. Si insérer un pronom neutre comme en latin ou en allemand de manière forcée serait voué à l’échec, de nombreuses possibilités restent à portée de main. Outre la remise en pratique de l’accord de proximité (ou encore l’accord de majorité24 ou l’accord de choix25), on peut citer parmi ces possibilités la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions ainsi que l’utilisation des mots épicènes (qui n’admettent aucun genre) et du point milieu « • » (qui permet la conservation du masculin et du féminin, sur un pied d’égalité, lorsque l’on s’adresse à un groupe de personnes). Ces 3 axes sont les piliers de ce que l’on appelle l’écriture inclusive, que Raphael Haddad définit comme « l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des deux sexes. Concrètement, cela signifie notamment : renoncer au masculin générique […], à la primauté du masculin sur le féminin dans les accords en genre […], ainsi qu’à un ensemble d’autres conventions largement intériorisées par chacun et chacune d’entre nous. »26. Il est donc possible, à l’écrit comme à l’oral, de « veiller à la qualité éthique de la langue, c’est-à-dire à sa faculté d’être discriminante, dévalorisante ou égalitaire et non sexiste ou raciste. »27.

Nous avons vu que cette éthique de la langue passe par des choix lexicaux et

grammaticaux que chacun est libre de prendre mais la parole étant une activité collective, il est nécessaire de porter une attention particulière aux rapports entretenus par les mots des uns et des autres au cours d’une discussion afin de conserver cette qualité éthique de la langue de manière quotidienne. L’équilibre entre sa propre parole 23

Marie Darrieussecq in Audrey Chabal, Ecriture inclusive, Accord de proximité : le masculin ne l’emporte plus, Forbes, Femmes@Forbes, 10 Novembre 2017 24 L’accord de majorité consiste à accorder une phrase en fonction de la quantité la plus importante, si plus de femmes sont présentes dans une pièce que d’hommes, on accordera au féminin. 25 L’accord de choix consiste quant à lui à accorder selon son choix, sans règle grammaticale 26 Raphael Haddad, Manuel d’écriture inclusive, Faites progresser l’égalité femmes • hommes par votre manière d’écrire, Paris, Mots Clés, 2017 27 Anne-Marie Houdebine, Postface in Raphael Haddad, Manuel d’écriture inclusive, Faites progresser l’égalité femmes • hommes par votre manière d’écrire, Paris, Mots Clés, 2017

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et celle de son interlocuteur est fragile, il repose sur une égalité de temps de parole mais également sur un respect mutuel, une écoute de l’autre. Sans cet équilibre, il y a automatiquement domination. Or on remarque que cette domination va toujours dans le même sens : c’est le masculin qui tend à dominer la parole féminine. Cette domination se manifeste de manière quotidienne, et chaque femme a pu en faire l’expérience au cours de sa vie, notamment sous la forme du manterrupting, l’acte de couper la parole aux femmes de manière systématique, leur refusant alors le rôle de partenaires égaux dans la conversation. “ Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer ” Michel Foucault, L’ordre du discours28

LES MECANISMES DE LA DOMINATION MASCULINE SUR LE LANGAGE : MANTERRUPTING29, MANSPLAINING – MECSPLIQUER ET VIOLENCES

Le terme « manterrupting » apparait en 2015, dans l’article How not to be

« manterrupted » in meetings de Jessica Benett30, journaliste au New York Times, pour le Time Magazine, pour parler de la censure exercée par les hommes sur les femmes lorsqu’elles s’expriment, peu importe le contexte. Ce mot est issu de la fusion de « man » (homme en français) et « interrupting » (interrompre), le fait même que ce mot ait été créé montre à quel point le phénomène est de grande ampleur. Le manterrupting se pratique à toutes les échelles sociales et dans toutes les sphères de la vie. Natalie Kosciusco-Morizet dira « Dans une assemblée mixte, les hommes ont tendance, parfois sans s’en rendre compte, à vouloir étouffer la parole des femmes et à la prendre »31. En

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Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, Collection Blanche, 1971, p.12 Références tirées de l’article d’Anne Chemin, « Manterrupting », le sexisme ordinaire sur la voix publique, Le Monde Idées, 02 Mars 2017 30 Jessica Benett, How not to be « manterrupted » in meetings, Time Magazine, Janvier 2015 31 Commentaire sur le troisième débat des primaires de la droite et du centre où la seule candidate femme a été interrompue 27 fois in Paul Aveline, Cecile Dehesdin, On a compté : 29

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effet cette censure est flagrante dans la fonction politique mais elle est également présente au quotidien dans la vie de chaque femme, or : « La conversation, loin d’être anodine et spontanée, est traversée par des questions de pouvoir » (Corinne Monnet, Nouvelles questions féministes, 1998)32.

De nombreuses études s’intéressent à ce sujet et leurs résultats sont plus que

parlants. En 1975, deux sociologues, Don Zimmerman et Candace West, ont analysé 31 conversations dans divers lieux publics et ont fait ressortir une différence flagrante : dans les conversations non mixtes les interruptions sont reparties équitablement tandis que dans les conversations mixtes ce sont les hommes qui dominent et interrompent à 96%33 leurs interlocutrices. De tels résultats montrent que les hommes contestent aux femmes le statut de partenaires égaux dans la conversation et par extension, dans la vie. Mais depuis 1975, la situation n’a pas beaucoup évolué comme le démontre l’étude récente d’Adrienne B. Hancock et Benjamin A. Rubin, publiée dans le Journal of language and social psychology en 2015, qui analyse 80 conversations de 3 minutes entre 20 hommes et 20 femmes. Les résultats sont là : les hommes coupent la parole en moyenne 2,6 fois, contre 1 pour les femmes34.

« LES HOMMES COUPENT LA PAROLE CAR LES FEMMES LA MONOPOLISENT »

Ces études démontent les préjugés de la femme bavarde et mettent en évidence

une domination masculine de la parole. En effet, le stéréotype de la « pipelette » est bien ancré dans nos sociétés sans avoir jamais été prouvé, bien au contraire toutes les études citées précédemment l’infirment, pourtant, malgré les preuves scientifiques étayant la thèse du préjugé infondé, le mythe perdure. Dale Spender analyse ce phénomène sous un éclairage différent, pour elle la femme n’est pas jugée plus bavarde que l’homme mais

NKM interrompue deux fois plus que les hommes au débat, BuzzFeed News, 18 Novembre 2016 32 Corinne Monnet, La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation, in Nouvelles Questions Féministes, Vol.19, 1998 33 Don Zimmerman et Candace West, Sex roles, interruptions and silences in conversation in Towards a Critical Sociolinguistics, ma traduction, Université de Santa Barbara (Californie, US), John Benjamins Publishing Company, Current Issues in Linguistic Theory, 1975 34 Adrienne Hancock et Benjamin Rubin, Influence of communication partner’s gender on language, ma traduction, Georges Washington University (Washington DC, US), Journal of Language and Social Psychology, Vol.34, Issue 1, Janvier 2015

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elle est jugée plus bavarde que la femme silencieuse : « La norme ici n’est pas le masculin mais le silence, puisque nous devrions toutes être des femmes silencieuses. Si la place des femmes dans une société patriarcale est d’abord dans le silence, il n’est pas étonnant qu’en conséquence, toute parole de femme soit toujours considérée de trop. On demande d’ailleurs avant tout aux femmes d’être vues plutôt qu’entendues, et elles sont en général plus observées que les hommes (Henley, 1975). »35. Ce phénomène de manterrupting associé au préjugé met les femmes dans une position très difficile : si un homme leur coupe la parole, elles ne peuvent insister ou couper la parole à leur tour sans étayer la thèse de la femme bavarde. Peu importe leur réaction, l’homme face à elles sera en position de domination dans la conversation. Cependant, les femmes peuvent chercher à exprimer cette situation oppressante, à en parler aux hommes autour d’elles afin de leur faire partager leur expérience et problématiser la situation, conscientiser l’autre. Mais au témoignage du quotidien s’opposent les représentations sociales, ainsi celle qui dénonce est systématiquement « hystérique », « trop émotive », ou bien elle est énervée « parce qu’elle a ses règles ». Ces arguments renvoient donc à une pathologie mentale, à une disproportion de la réaction par rapport aux actes, cette disproportion est associée à une fragilité perçue comme un attribut typiquement féminin. Enfin, le dernier argument réduit complétement la femme à son corps, à ses organes reproducteurs, refusant de lui accorder un véritable statut d’interlocuteur. Ces accusations sont violentes, elles décrédibilisent la parole des femmes, elles lui donnent tort peu importe leurs propos. Bien ancrées dans les esprits, ces représentations mythifiées de femmes guidées par leurs émotions, irrationnelles par nature, disqualifient d’avance les femmes de la conversation. Les femmes n’ont pas accès à la parole, elles se voient rejetées de la voix publique. Leurs paroles sont vaines, elles ne sont pas entendues alors les femmes renoncent même à parler parce qu’elles savent qu’elles devront affronter ces représentations. Elles se voient alors expliquer pourquoi elles sont énervéee, pourquoi elles ne devraient pas, on leur dit qu’elles « exagèrent »36, on justifie l’oppression. La domination de la parole par le masculin se voit ainsi justifiée, et si la justification repose sur des représentations construites totalement fausses comme on a pu le démontrer 35

Corinne Monnet, La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation, in Nouvelles Questions Féministes, Vol.19, 1998 36 Citations issues de témoignages ainsi que de mon expérience personnelle

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précédemment, la domination elle, est bien réelle. Cette justification est un des rouages essentiels de la mécanique de la domination masculine dans le langage, elle prend la forme du « mansplaining », littéralement « mecspliquer » en français.

« ATTENDS, JE VAIS T’EXPLIQUER… » Le terme « mansplaining » serait apparu pour la première fois en 2008 suite à la

publication d’un essai écrit par Rebecca Solnit et publié dans le Los Angeles Times37 où elle raconte comment un homme lui a expliqué longuement un livre sans qu’elle puisse parvenir à lui dire qu’elle en était l’auteure. Son histoire a suscité l’indignation des internautes qui ont donné naissance au terme, issu de la fusion des mots « man » (homme en anglais) et « explain » (expliquer en anglais). Si le terme est récent, le phénomène lui, perdure déjà depuis des siècles. Si le mansplaining est présent dans la vie quotidienne des femmes sous la forme d’injonctions souvent associées au manterrupting, « Non, mais attends je vais t’expliquer… », il a aussi connu des formes plus spectaculaires, notamment dans la sphère politique, comme avec l’article « Pourquoi les femmes ne veulent pas du droit de vote »38 paru en 1903 dans The Atlantic. Dans cet article, le théoricien Lyman Abbott prétend parler au nom des femmes silencieuses39. Sans aucun témoignage de femmes, il explique que ces dernières ne veulent pas du pouvoir au fond, elles ne veulent pas être en conflit et encore moins voter des lois que leurs fils exécuteront. Dans ce discours paternaliste, Lyman Abbott, se met à la place des femmes, il imagine ce qu’elles doivent ressentir ce qui le conduit à écrire « l’homme n’est pas une femme inférieure. La femme n’est pas un homme inférieur »40, l’expérience de se mettre à la place de l’autre peut donc être salutaire mais encore faut-il être conscient qu’imaginer n’est pas savoir. La limite entre l’empathie et le mansplaining est très fine, mais les implications et les retombées de ces deux mécanismes sont complétement différentes. En effet, comme l’explique Rebecca Solnit dans son essai, le

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Rebecca Solnit, Men explain things to me, ma traduction, Los Angeles Times, 13 Avril 2008 Lyman Abbott, Why women do not wish the suffrage, ma traduction, The Atlantic, Politics, Septembre 1903 39 “It is for these silent women—whose voices are not heard in conventions, who write no leaders, deliver no lectures, and visit no legislative assemblies—that I speak; it is their unspoken thought and feeling I wish to interpret.” Lyman Abbott in loc.cit 40 “Man is not an inferior woman. Woman is not an inferior man” Lyman Abbott in loc. cit 38

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mansplaining perpétuel et quotidien subi par les femmes engendre une baisse d’estime de soi les conduisant à douter constamment, à se brider peu importe leurs capacités tout en gonflant la confiance et l’ego de leurs homologues masculins. Les femmes l’ont intégré, quels que soient leurs mots, elles seront présumées ignorantes de par leur statut de femme, si bien qu’elles s’invitent elles-mêmes au silence dans une véritable croyance en l’inutilité de leur parole. Entre la confiance en soi totale et absolue et le doute constant, il y a un juste milieu où la juste dose de doute stimule le travail et la réflexion, avec un peu de confiance, permet d’accomplir de grandes choses, dans de telles conditions les individus peuvent échanger leur savoir et aller plus loin ensemble. Pourtant les genres semblent sans cesse se repousser vers ces pôles opposés caricaturaux, rompant le dialogue. LES FEMMES DISQUALIFIÉES DE LA VIE PUBLIQUE, LA VIOLENCE DES MOTS Ainsi, les femmes sont supposées ne pas savoir de quoi elles parlent, même s’il s’agit d’un événement vécu uniquement par elles ou d’une expérience à laquelle elles sont les seules à avoir été confrontées. Elles ne sont pas crédibles, même en tant que témoin de leur propre vie or, dans certaines situations, la crédibilité est une question de survie. La loi du silence imposée aux femmes, en leur ôtant leur crédibilité, est responsable de la banalisation des violences faites aux femmes. Si aujourd’hui ne pas croire une femme qui vous parle de biologie marine semble anodin, peut être que demain on ne la croira pas non plus quand elle ira témoigner de violences conjugales. Le mécanisme est exactement le même, il s’agit de manterrupting, de mansplaining. Les hommes, en position autoproclamée de sachants et d’experts, s’accordent le droit de leur expliquer ce qu’elles vivent quotidiennement, comment elles doivent réagir et quels mots elles doivent utiliser pour exprimer leur mal-être. Ils décident si un propos déplacé est « juste une blague », si les femmes ont le droit d’être énervées, si leur tenue est appropriée, si elles sont suffisamment féminines ou trop vulgaires. L’inégalité dans la parole devient domination. Cette domination de tous les aspects de la vie d’une femme jusque dans ses moindres détails et dans son intimité passent en partie par ces injonctions, ces petites remarques tout au long de la journée de la part des hommes présents dans l’entourage d’une femme, à son travail, dans la rue, chaque jour et tout au long de sa vie. Chaque fois

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qu’un homme enjoint sa collègue à porter plus souvent des jupes, « c’est plus féminin », il la renvoie à sa place de femme, c’est-à-dire de bel objet fait pour être regardé. Chaque fois qu’un membre du parlement complimente une députée sur la couleur de sa robe, il conteste sa présence devant toute l’assemblée. Cet amoncellement de petites critiques quotidiennes crée un sentiment d’illégitimité des femmes, à qui l’on doit tout expliquer car leurs compétences seront toujours inférieures à celles d’un homme aux yeux de la société. Cette illégitimité engendre une situation de pauvreté, de précarité bien plus importante chez les femmes qui gagnent 25% de moins que les hommes à compétences égales dans le monde.41 Pourtant, s’il y a encore besoin de le prouver, « les garçons réussissent toujours moins bien que les filles à l’école » (83% des filles obtiennent le baccalauréat contre 73% pour les garçons en 2015) en conséquence « les filles sont nettement plus souvent diplômées de l’enseignement supérieur » (43% des européennes sont diplômées de l’enseignement supérieur contre 34% des européens entre 30 et 34 ans en 2015) pourtant, « cette réussite scolaire des filles ne se traduit pas systématiquement par une meilleure insertion professionnelle »42. Il ne s’agit donc pas d’une question de compétences ou de capacités, mais bien d’une illégitimité infondée des femmes dans l’espace public et par conséquent une illégitimité à exercer le pouvoir. Le mansplaining justifie la raison d’être de la société patriarcale, il avance des arguments scientifiques, biologiques : « les femmes sont guidées par leurs hormones, c’est l’instinct maternel, elles préfèrent rester à la maison avec leurs enfants », historiques : « c’est dans l’Histoire, ça a toujours été comme ça, les femmes n’incarnent pas le pouvoir »43. Personne ne remet ces arguments en cause, ce qui a pour conséquence de justifier la situation actuelle et son supposé bien fondé. Ces outils de langage font système. C’est-à-dire qu’ils alimentent un ensemble, ces éléments interagissent entre eux, indépendamment de la volonté des individus qui subissent ce système tout en l’alimentant. En d’autres termes, les outils du langage que sont les mots, les règles grammaticales, le manterrupting et le mansplaining forment un ensemble, un système, dont la règle est celle de la domination masculine. Les individus 41

PNUD – Les chiffres de la Pauvreté 2014 in Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), Repères Statistiques, Pauvreté 42 Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Direction de l’Evaluation de la Prospective et de la Performance (DEPP), Filles et garçons sur le chemin de l'égalité, de l'école à l'enseignement supérieur, Édition 2017 43 Eric Zemmour, 19h Ruth Elkrief, Paris, BFM TV, 26 Mars 2013

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qui manient ces outils du langage participent à ce système, indépendamment de leur volonté ce qui explique que les femmes elles-mêmes, en utilisant ces mots, ces outils, participent à alimenter ce système de domination. Cette domination masculine de la parole, dépossède les femmes de leur voix publique. Le fait que cette domination soit quotidienne engendre une véritable angoisse à la prise de parole chez certaines femmes qui ressentent un sentiment d’illégitimité face au « droit naturel » à s’exprimer des hommes. En conséquence, les femmes se disqualifient elles-mêmes de la conversation. Laurence Bouquiaux dans Les Faiseuses d’histoire, dit que les femmes ont « investi des lieux qui ne leur étaient pas destinés » ce qui explique leur comportement « soumise et docile » pour cacher leur malaise car elles savent qu’elles sont « tolérées pour autant qu’elles restent inoffensives » et que leurs « collègues ne leur pardonneront d’être intelligentes que si elles renoncent à être brillantes »44. Cette docilité est devenue une condition nécessaire au leadership féminin, en effet c’est une étude de Victoria Brescoll publiée en 2012 à Yale qui le démontre : 156 personnes ont noté les compétences, l’efficacité et l’avenir professionnels et la capacité au leadership de 2 types de managers, un qui monopolise la parole et se met en avant, sûr de lui et l’autre plus discret, s’exprimant peu. Pour les hommes, la première catégorie obtient les meilleures notes mais pour les femmes, c’est tout l’inverse45. Les femmes sont donc jugées capables uniquement si elles répondent aux critères de la domination, « soit elle est à peine entendue, soit elle est jugée trop agressive »46. Or « le langage forme les limites de notre réalité. C'est notre façon d'ordonner, de classifier et de manipuler le monde »47, il reflète les rapports de pouvoirs qui traversent notre société et mettent en évidence l’oppression exercée sur les femmes et leur parole, invisibilisée et réduite au silence.

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Laurence Bouquiaux in Les faiseuses d’histoire, Que font les femmes à la pensée ?, Vinciane Despret et Isabelle Stengers, Paris, La Découverte, 2011 45 Victoria Brescoll, Who takes floor and why gender power and volubility organizations, trad. Anne Chemin, Yale University (Connecticut, US), Administrative Science Quarterly, 56 n°4, 2012, p.622-641 46 Sheryl Sandberg et Adam Grand, Speaking while female, Sheryl Sandberg and Adam Grant on Why Women stay quiet at work, trad. Anne Chemin, New York Times, 11 janvier 2015, p.3 47 Dale Spender, Man Made Language, trad. Wikipédia, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1980

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PRESENCE DANS LES MEDIAS : INVISIBILITE, INFERIORISATION ET STEREOTYPES

La parole, qu’elle soit écrite ou orale, assoit la domination masculine sur le

langage et contribue à entretenir ce système de dominant/dominé or, le langage ne se réduit pas à la discussion. Il englobe toutes les formes de communication, qu’elles soient graphiques ou verbales. De ce fait, la présence des femmes dans les médias de communication actuels tels que la télévision ou les campagnes de publicité est révélatrice. Plus encore que leur présence, la façon dont elles sont représentées, par les stéréotypes féminins, met en évidence cette illégitimité des femmes à exercer le pouvoir. Ce sont par ces médias que les représentations se perpétuent, ils sont les producteurs de l’imaginaire social. Or « Les représentations symboliques stéréotypées, qui s’inscrivent dans nos têtes par le biais des médias, constituent bien, après le droit, la morale et la politique, la dernière frontière de l’inégalité. »48. Ces représentations ne sont pas le reflet de la réalité mais bien des images qui génèrent un mode de connaissance qui vise « non seulement à expliciter un ordre social établi, mais aussi à le légitimer. »49. La production de ces représentations engendre une responsabilité majeure car elles participent à l’élaboration des identités individuelles et sociales et à la diffusion de valeurs et de normes car « tout système de représentation est aussi un système de valeurs »50. En 2016, près de 8 français sur 10 ont regardé un programme de télévision51, la diffusion de ces représentations couvre donc une grande majorité de la population et ne peut être négligée. Les images produites à des fins de communication et diffusées sur les plateformes que sont la télévision, la publicité et internet sont des outils de langage qui alimentent le système de la domination masculine, au même titre que le manterrupting et le mansplaining. Plus encore, le média audiovisuel que représente la télévision, sous forme d’émissions ou de publicités, cumule les outils de langage par l’association des codes graphiques de l’image et des codes lexicaux et grammaticaux de la parole, cristallisant les représentations pour donner corps aux stéréotypes. Stéréotypes qui seront par la suite incorporés par les consommateurs de ces médias. 48

Michèle Reiser, Brigitte Gresy, Rapport sur l’image des femmes dans les médias, présenté par la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les média, Septembre 2008, p.7 49 Sylvie Cromer, Comment la presse pour les plus jeunes contribue-t-elle à élaborer la différence des sexes ?, Dossier d’étude n° 103, CNAF, avril 2008 50 Ibid. 51 Médiamétrie (étude Mediamat, Global TV), Communiqué de presse, L’année TV 2016, L’audience augmentée, Levallois, 25 janvier 2017

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Plusieurs indicateurs nous permettent d’analyser les productions de cet outil médiatique, ces derniers traduisent une invisibilité et une infériorisation des femmes dans les médias. En effet, on observe qu’en 2011, en France, seul 18% des experts invités aux émissions de télévision, de radio ou d’hebdomadaires sont des femmes, de plus, lorsqu’elles sont invitées leur temps de parole moyen est de 1 minute 35 contre 25 minutes pour les experts hommes52. On donne donc à un homme le droit de s’exprimer 17 fois plus longtemps qu’une femme, et de le faire 82% du temps, et ce devant tous les auditeurs. Il s’agit d’une inégalité de présence associée à une inégalité de temps de parole comme on a pu le voir auparavant, entrainant une véritable domination de la parole féminine. Ces inégalités engendrent une vision biaisée de la réalité car le téléspectateur ou l’auditeur, à force de n’entendre que des experts hommes, va intégrer cette information comme étant représentative de la réalité et faire le raccourcis « les experts sont toujours des hommes », contestant donc aux femmes le rôle de sachant. La domination masculine présente dans les médias devient alors bien réelle puisqu’elle implique des décisions ayant de lourdes conséquences pour les femmes : un individu dont l’imaginaire ne connaît que des experts hommes aura moins tendance à écouter et donc à embaucher une experte qu’un expert, à compétences équivalentes, puisqu’il lui conteste, souvent inconsciemment, son statut. L’outil médiatique justifie le système de domination, il le réaffirme et lui fournit les preuves de son bien-fondé. Les inégalités se poursuivent au-delà de la fréquence et du temps de parole médiatique, on remarque par exemple que les femmes sont 5 fois plus citées que les hommes sans leur nom complet, à la télévision on aura toujours plus de représentants masculins dans l’exercice de leur profession (39 hommes pour 15 femmes) tandis que les femmes seront 3 fois plus représentées que les hommes dans des situations familiales, elles apparaissent également plus souvent en tant que victimes ou témoins53. Cette sous-représentation des femmes dans la sphère professionnelle associée à une sous-représentation des hommes dans la sphère familiale engendre la construction de stéréotypes « Homme » et « Femme » respectivement associés à l’espace public et au privé, à l’intérieur.

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Michèle Reiser, Brigitte Grésy, Les expertes : bilan d’une année d’autorégulation, Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias, Secrétariat d’Etat à la solidarité, 2011 53 Michèle Reiser, Brigitte Gresy, Rapport sur l’image des femmes dans les médias, présenté par la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les média, Septembre 2008

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Parmi les médias les plus présents dans la vie des français, on retrouve le cinéma, avec la vente de 205 millions d’entrées en 2015 pour une recette de 1 331 millions d’euros54. Majoritairement fréquenté par les jeunes, 86,5% des français et 90,6% des françaises entre 16 et 24 ans sont allés au cinéma au moins une fois dans l’année 201255, les films occupent donc une part majeure dans la construction de l’imaginaire et des représentations associées des français. Pourtant, la aussi on observe une invisibilité et une infériorité des femmes notamment grâce au test de Bechdel56, un test visant à déterminer le « taux de présence » des femmes dans les films. Pour réussir ce test, un film doit répondre aux trois critères suivants : avoir au moins deux personnages féminins identifiables, ces personnages doivent se parler et le sujet de cette conversation ne doit pas être un personnage masculin. De prime abord, on peut penser trouver facilement des films correspondants à ces affirmations, mais pourtant, parmi le top 250 des films IMDb, pas moins de 69% échouent au test57. Ce test a également été adapté pour mesurer la représentativité des personnes de couleurs dans les films. Loin de rendre compte de la qualité du film, ces tests permettent uniquement de mettre en évidence la faible présence des femmes et des personnes de couleur, en démontrant par l’absurde à quel point l’industrie cinématographique sacralise « l’Homme blanc », personnage principal, héro par défaut. Cette sous-représentation des femmes dans les films accentue l’absence des femmes dans la sphère culturelle, lui préférant le statut de mère, d’épouse, de fille sage plutôt que celui d’auteure à succès, d’héroïne de film ou d’artiste prolifique. Mais cette représentation est bien loin de la réalité. En effet, le cinéma, comme la télévision, la presse et la publicité, véhicule des caricatures qui se veulent réalistes, miroirs de la réalité, mais qui sont entièrement construites. De par cette nature « mensongère », elles biaisent le travail de symbolisation nécessaire au développement des plus jeunes. C’est à ce moment-là que les représentations s’inscrivent dans le mental de chacun. Ainsi on voit fréquemment revenir les mêmes personnages caricaturaux féminins inhérents à la sphère privée : la 54

Source CNC in Tableaux de l’Economie française. Edition 2017, « Commerce – Services », Paris, INSEE, 7 Novembre 2016, p.187 55 Source INSEE – SRCV Silk in Ibid. 56 Alison Bechdel, Dykes to watch out for, “The Rule”, ma traduction, Ithaca (New York, EtatsUnis, Firebrand Books, 1986 57 Site collaborative, Bechdel Test, “Movies in the IMDb top 250”, ma traduction, www.bechdeltest.com/top250, 2010

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mère dévouée, la parfaite ménagère, la blonde idiote, l’hystérique à la limite de la démence ou encore la fille de petite vertu. Pour atteindre la sphère publique, politique, les femmes ont le choix entre trois « modèles » : la courtisane qui utilise les hommes pour grimper l’échelle sociale, la « lesbienne » devenue un homme pour réussir et la régente, la mère qui règne provisoirement.58 Les films se jouent de ces stéréotypes, ils en abusent, les détournent comme dans La Revanche d’une Blonde (Legally Blonde de Robert Luketic, 2001) ou les poussent à leur paroxysme (Commando de Mark L. Lester…), ces stéréotypes sont devenus des personnages-clés du cinéma. Ce sont des personnages imaginaires qui, à la manière des mots, sont nés d’un désir de reproduire la réalité, de l’extrapoler pour la communiquer. Cependant cette reproduction passe nécessairement par le filtre de celui qui perçoit cette réalité. Ces images sont nées de cette subjectivité masculine car, si la consommation de médias est relativement équilibrée entre hommes et femmes, la propriété de ces derniers est presque exclusivement masculine, ce sont donc des hommes, en grande majorité, qui sont responsables de la production de ces représentations et les principaux bénéficiaires du rendement qu’elles engendrent. Toujours par le même mécanisme que l’outil lexical, les stéréotypes ne se contentent pas de décrire la réalité du point de vue de leur créateur mais ils créent cette réalité, ils la perpétuent, en réaffirmant, par la redondance, la domination masculine. Il nous paraît donc évident qu’un homme doit être fort, grand, intelligent, puissant voire violent, il doit avoir la maitrise de l’argent, du pouvoir, de sa sexualité. Son pendant féminin, au contraire, doit être beau mais fragile, soumis, doux, compréhensif, la femme doit s’occuper des enfants, du foyer. Nous incorporons ces identités symboliques que nous reproduisons, plus ou moins consciemment, afin de correspondre à ce qui est devenu la norme. Les stéréotypes se présentent comme la mise en pratique d’un système de valeurs normées et hiérarchisantes auxquelles on doit absolument correspondre : le genre, sous peine d’être mis au banc de la société. Pourtant, ces rôles de sexe restent toujours des images extrêmes, inatteignables et chaque homme, chaque femme s’épuise à atteindre cet « idéal » de la société. Les stéréotypes ont dépassé le statut de simples images de communication, le pouvoir qui leur est conféré est tel qu’elles sont capables d’influencer les corps. Par leur 58

Michèle Reiser, Brigitte Gresy, Rapport sur l’image des femmes dans les médias, présenté par la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les média, Septembre 2008, p.13

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omniprésence dans notre imaginaire collectif, nous avons incorporé ces rôles et les attraits des stéréotypes de sexe se manifestent en nous de manière inconsciente, comme s’ils étaient naturels. C’est bien la redondance, la répétition de ces attraits de sexe qui donne une impression d’universalité, de vérité. Partout les images sont les mêmes : les femmes mises en scène en mères de famille aimantes et dévouées ou en objets hypersexualisés offerts aux hommes, perçus comme des êtres violents à l’appétit sexuel indomptable ou des patriarches ambitieux. La ville est désir, partout le credo « le sexe fait vendre » incite à accentuer toujours plus les caricatures. En effet, plus les passants sont confrontés à ces images suscitant le désir, plus ils sont frustrés de ne pouvoir l’assouvir de par la nature même de ces images, subitement réduites à leur statut de projections de la réalité lissée, mise en scène. L’individu reproduit alors, par mimétisme, ce qu’il a tant désiré, les hommes s’efforcent à grimper les échelons du pouvoir tandis que les femmes s’échinent à maigrir toujours plus, cherchant à ressembler à une perfection inventée de toutes pièces par les médias. Les hommes comme les femmes tendent vers cet idéal complétement irréel, mais pourtant si proche. Les images de la perfection sont partout, et avec elles des guides pour l’atteindre, ainsi on voit fleurir des magazines à la couverture paradoxale prônant à la fois « le dernier régime miracle » et « bonheur : accepter son corps », sur fond de mannequins minces et souriants. La perfection semble à portée de main et pourtant ces paradoxes rappellent à la réalité. Dans cette course sans fin vers l’idéal, on voit apparaitre un langage bien précis que tous suivent. Une liste se détache, une liste de normes, de codes à respecter pour atteindre les images de l’Homme et de la Femme et par la même faire partie de la société : -

un code couleur : rose pour les filles, bleu pour les garçons ;

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un code vestimentaire : vêtements courts et moulants mais pas trop et cheveux longs pour les filles qui doivent être jolies et donc répondre aux canons de beauté du moment, pantalons, vêtements amples et cheveux courts pour les garçons qui ne doivent surtout pas être efféminés ;

-

un code comportemental : la fille doit être sage, souriante et aimante elle est donc orientée vers le dessin, la danse puis vers la maternité et des professions répondant à la logique du don de soi, le garçon violent et ambitieux doit faire du

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sport et plus tard, il sera apte à diriger, à accéder aux fonctions à hauts rendements ou aux tâches les plus physiques ; -

un code spatial : les filles à l’abri du danger dans le foyer, à l’intérieur pendant que les garçons doivent se dépenser à l’extérieur,

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une symbolique particulière : les papillons, les bijoux et les fleurs pour les filles, les voitures, les robots et les vaisseaux spatiaux pour les garçons. On voit bien que ces codes, qui nous semblent naturels à force d’y être confronté,

sont tout à fait arbitraires : pourquoi un papillon serait-il féminin et une voiture l’apanage du masculin ? Les enfants sont indifférents à ces normes par nature et jouent sans se restreindre aux jouets correspondant à leur genre, il s’agit bien d’un apprentissage notamment par les catalogues de jouets scindés en deux parties bien distinctes fille et garçon. Tout se passe comme si notre sexe était responsable de nos choix dans toutes les sphères de la vie, comme si une femme était douce par naissance et un homme prédisposé à exercer le pouvoir de par son sexe biologique. Pourtant le Guide du Haut Conseil de l’Egalité entre les femmes et les hommes précise bien que « les rôles de sexe sont les traits psychologiques, les comportements, les rôles sociaux ou les activités assignées plutôt aux femmes ou plutôt aux hommes, dans une culture donnée, à une époque donnée. »59, il en va donc de la responsabilité de l’Etat de ne pas reproduire ces codes de stéréotypes antidatés dans sa propre communication. Il s’agit donc bien de constructions sociales, « La Femme » et « L’Homme » sont des fantasmes totalement culturels créés et perpétués dans les médias par les formes de communication ellesmêmes qu’elles soient orales, écrites ou graphiques aux moyens de mécanismes intégrés par la majeure partie des individus, conditionnant leur pensée.

LE LANGAGE CORPOREL, LES EFFETS DE LA DOMINATION SUR LES CORPS

Le langage porte l’empreinte des relations de pouvoir traversant notre société,

celles-ci ont modelé notre langue française dans tous ses aspects, de son lexique à ses règles grammaticales en passant par des mécanismes de la conversation. Puis les différents médias de communication ont mis des images sur ces mots et ont contribué à 59

Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes avec le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Pour une communication publique sans stéréotype de sexe, Guide Pratique, Paris, La documentation française, 2016, p.13

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diffuser plus largement le modèle de la domination, inscrivant les stéréotypes dans les esprits. Nous incorporons ces rôles de sexe que nous reproduisons, notre corps devient alors révélateur de ces luttes de pouvoir intestines. Il s’agit de la matérialisation physique du pouvoir sur les corps en l’occurrence, comme on a pu le démontrer jusqu’à présent, la domination masculine. Comme l’explique Charles Dantzig, le geste peut être plus violent que les mots, les mots peuvent mentir mais les gestes eux, nous échappent60. Ils sont ainsi témoins d’une vérité, ils sont porteurs d’une mémoire, comme des souvenirs inconscients, preuves que nous sommes forgés par notre environnement. Les gestes, au cours de l’histoire, changent de signification. Ainsi, au XVII-XVIIIe siècles, les hommes de pouvoir commandaient des tableaux de cours en prenant une position bien particulière : debout, le poing cassé sur la hanche. Ce geste était alors symbole de pouvoir et de fierté, aujourd’hui il est interprété comme un geste efféminé et donc réservé aux femmes et aux homosexuels.61 Les gestes ne sont donc pas naturels, si certains gestes pourraient être innés (comme ceux des nouveaux nés), la grande majorité de ceux que nous effectuons chaque jour relève du rituel appris par mimétisme, de la performance d’un rôle. Les gestes évoluent aux grés de la société, ainsi certains gestes perdurent, parfois hérités d’un proche, d’autres disparaissent au profit d’une nouvelle gestuelle notamment avec l’usage de plus en plus fréquent des téléphones portables. LA PERFORMANCE DU GENRE, L’INCORPORATION DES STÉRÉOTYPES DE SEXE Ces gestes participent à l’incorporation des stéréotypes de sexe, ils sont identitaires : « on se construit par les gestes »62. Par l’exécution et la répétition des gestes stéréotypés, on pense pouvoir maitriser la personnalité. L’être humain est rassuré par les frontières, ce jeu d’acteur lui permet d’avoir l’impression de bien faire les choses, d’évoluer dans le bon cadre, celui choisi par la domination. L’individu performe son genre, chaque jour il répète les énoncés performatifs « je suis une fille », « je suis un garçon » qu’il appuie par les gestes, les codes correspondants au bon énoncé. Cette performance doit être quotidienne, pour être efficace, elle devient alors un automatisme 60

Charles Dantzig in Augustin Trapenard et Lola Constantini, Boomerang « Chanson de geste avec Charles Dantzig », France Inter, 10 Octobre 2017 61 Charles Dantzig in Olivia Gesbert, La Grande Table, Pour la beauté du geste avec Charles Dantzig, 29 Septembre 2017 62 Ibid.

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qui semble naturel. Judith Butler dira « le genre c’est la stylisation répétée des corps, une série d’actes répétés à l’intérieur d’un cadre régulateur plus rigide, des actes qui se figent avec le temps de telle sorte qu’ils finissent par produire l’apparence de la substance, un genre naturel de l’être. »63. La gestuelle est donc un outil de langage supplémentaire, par les gestes l’individu performe les mots, les images de la domination, il leur donne corps, il incorpore les images stéréotypées pour donner vie à des modèles tangibles, il amène la domination masculine sur la voie publique.

“ Le geste c’est « être là »“ Michel Guérin, Philosophie du geste, 1995 Nos corps font le lien entre la parole et la rue, ils donnent un espace physique aux mots et aux stéréotypes qu’ils portent. Ils doivent être l’incarnation des images de la domination, donc les corps se plient, se mutilent pour correspondre aux représentations issues de l’imaginaire collectif. Il s’agit d’une des manifestations les plus violentes de la domination masculine sur le langage. Ces modifications corporelles pour correspondre à un idéal inatteignable se traduisent de multiples façons selon les codes et discours de la norme du moment. Parmi les automutilations les plus courantes on peut citer l’injonction à la maigreur portée par les stéréotypes féminins qui se reflète chez les jeunes filles dans le rapport qu’elles entretiennent avec leur corps, en effet 42% des collégiennes françaises en classe de 3ème déclarent se trouver « trop grosses » et une élève de 3ème sur cinq suit un régime pour perdre du poids64. Cette glorification de la maigreur portée par les images des médias, accompagnée par l’effet de masse, peut conduire des jeunes filles fragiles vers l’anorexie mentale, un trouble du comportement alimentaire décrit comme essentiellement féminin, qui se déclare le plus souvent entre 14 et 17 ans et qui concerne 0,5% des françaises entre 12 et 17 ans en 200865. L’image de la « Femme » véhiculée par les publicités et autres représentations a donc une répercussion bien réelle sur le bien-être et la bonne santé des femmes notamment les 63

Judith Butler, Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006, p.109 64 Muriel Moisy, INSEE, France, portrait social – Edition 2013, Vue d’ensemble, Conditions de vie, 14 Novembre 2013 p.82-83 65 Dr Nathalie Godart, INSERM, Anorexie mentale, Un trouble essentiellement féminin, parfois mortel, www.inserm.fr, Dossier d’information, juin 2014

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plus jeunes, les représentations sociales prennent corps à travers elles et le plus souvent à leurs dépens. Si les jeunes filles sont aussi enclines à s’auto-violenter, c’est parce que les normes comportementales, sociales et autres codes de conduite perpétuent la soumission des femmes et tolèrent la violence à leur encontre.66 Les femmes ont intégré cette violence et alimentent elles-mêmes ce système de domination qu’elles subissent. Tout comme les mots, les gestes, les attitudes corporelles restent un mode de langage, relevant de l’échange social, et à ce titre la relation entre les gestes des uns et des autres est révélatrice des relations de pouvoir entretenues par les individus. En effet, l’espace pris par les uns peut empiéter sur celui des autres à la manière des outils de langage dans la conversation, privant certains de leur espace d’expression. LE MANSPREADING, LE MANTERRUPTING EN GESTE L’incorporation du manterrupting, le geste qui lui serait attribué serait le manspreading, littéralement « étalement masculin » en anglais. En effet selon Oxford Dictionaries, le terme serait apparu sur Twitter en 2008 mais a été vraiment généralisé en 2014 avec la campagne « Dude, stop the spread » (« Mec, arrête de t’étaler » en français) dans le métro new-yorkais67. Concrètement, ce mot désigne un phénomène aux apparences anecdotiques, le fait qu’un homme écarte les jambes de manière exagérée dans les transports en communs, obligeant sa voisine à prendre le moins de place possible. Ce phénomène n’est pas récent, déjà en 1970 la sociologue Colette Guillaumin analysait les positions prises par les hommes et les femmes dans l’espace public et qualifiait la position masculine comme « une des caractéristiques majeures de la virilité occidentale, à la manière du cow-boy qui descend de cheval et reste jambes écartées » alors que les femmes croisent les jambes comme pour se protéger d’une éventuelle agression68. Charles Dantzig y voit un geste insultant et irrespectueux, pour lui les

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Organisation Mondiale de la Santé, Les femmes et la santé, la réalité d’aujourd’hui le programme de demain, Genève (Suisse), 2009, p.10 67 Katherine Connor Martin, ma traduction, Manspreading: how New York City’s MTA popularized a word without actually saying it, Oxford Dictonaries Blog, « Word Trends and new words », 4 Septembre 2015 68 Violaine Maurin, Comment le « manspreading » est devenu un objet de lutte féministe, Le Monde, 6 juillet 2017

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hommes prennent cette position afin de montrer leur pénis comme objet de l’admiration universelle, dans un geste presque animalier69. Cette gestuelle agit comme un rappel, le symbole du phallus, de la figure du Père est toujours présent même dans les transports en communs et les femmes ne doivent pas oublier sa supériorité supposée naturelle. Ce discours permet la pérennisation du pouvoir sur les corps70. Ces corps occupant un espace, se pose la question du partage de l’espace public entre les hommes et les femmes comme un prolongement du partage de la parole, espace public à part entière. Il s’agit d’une manifestation physique de la domination masculine, les hommes prennent plus de place que les femmes car c’est ce que les représentations sociales masculines leur ont enseigné, et les femmes laissent faire car elles ont intégré cette domination, elles savent que leur propre corps ne leur appartient pas et encore moins l’espace que ces derniers occupent. Elles ne contestent pas cette domination car elles n’en sont pas toujours conscientes, « c’est normal », mais pire encore si elles tentent de contester ce système elles savent à quoi elles s’exposent car toute leur vie, on les a mis en garde contre la violence masculine. Et, en effet, les violences faites aux femmes sont nombreuses : on estime à 223 000 par an le nombre de femmes victimes de violences conjugales entre 18 et 75 ans et chaque année, 84 000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols. Cependant, si les violences sont bien réelles, la peur de l’espace public, elle, est injustifiée puisque dans 90% des cas, la victime connaissait son agresseur71. Cette peur entrave les femmes et les empêche de contester la domination des hommes dans le langage qu’il soit de l’ordre de la parole ou des gestes. Cette peur justifie une véritable phénoménologie de la domination72 invisible pour les non-femmes : c’est le mode de vie entier des femmes, leur comportement passif, leurs postures, leurs trajectoires, leurs actions qui sont modifiées au nom de leur propre sécurité. 69

Charles Dantzig in Augustin Trapenard et Lola Constantini, Boomerang « Chanson de geste avec Charles Dantzig », France Inter, 10 Octobre 2017 70 Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008 71 Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.2 72 Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008, p.75 voir phénoménologie de l’humiliation, Eleni Varikas, Les rebuts du monde, Figures du Paria, Paris, Stock, 2007, p.56

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LE CORPS DES FEMMES, PROPRIÉTÉ PUBLIQUE ? Les femmes se voient encore réduites à leur corps, cible du désir masculin dont elles doivent absolument se prémunir. Le corps des femmes devient un poids, une prison, qui les empêche d’aller où elles veulent, quand elles le souhaitent et comme elles en ont envie. Ce corps doit correspondre à l’idéal du stéréotype féminin prôné par la société dans laquelle il se trouve, à un moment donné. De ce fait, les femmes n’ont pas de prise sur leur propre corps, ce dernier est entravé par les normes et si une femme choisit de ne pas les respecter elle sera jugée et mise au ban de la société. Par exemple, si une femme choisit d’être naturelle, de ne pas s’épiler alors que la mode est à l’imberbe, elle sera jugée pour manque d’hygiène par ses homologues et menacée de ne plaire à aucun homme donc de ne pas pouvoir atteindre l’idéal hétérosexuel censé mener à la félicité. Le corps des femmes ne leur appartient pas, toujours caché ou surexposé, le monde entier semble avoir le droit de donner son avis sur le corps d’une femme et de la juger selon son bon respect des normes du moment. Pour Monique Wittig dans La pensée straight, cette oppression se fonde sur l’exploitation économique des femmes, ces dernières sont assignées à la reproduction, à la procréation mais ce sont les hommes qui bénéficient du fruit de ce travail avec l’appropriation de la famille et de la filiation ainsi que du temps dégagé leur permettant d’accumuler les ressources. Mais l’appropriation du travail des femmes ne s’arrête pas là, en effet, la particularité de cette division sexuelle du travail se trouve dans l’appropriation du corps des femmes-travailleuses73. C’est là que Monique Wittig fait appel à la notion de sexage de Colette Guillaumin, pour elle, les femmes s’apparentent aux esclaves ou aux serfs car non seulement leur travail domestique mais également leurs corps appartiennent au dominant qui peut en disposer comme bon lui semble. Via le mariage, forme de « contrat économico-sexuel »74, le corps d’une femme devient officiellement propriété d’un homme ce qui signifie qu’une femme non mariée est automatiquement disponible, Colette Guillaumin dira que « l’ensemble des hommes dispose de chacune des femmes »75. L’oppression qui pèse sur les femmes peut donc être individuelle ou collective,

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Ibid. p.73 Ibid. p.66 75 Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, Paris, Editions IXe, « Racine de IXe », 1992, p.42 in Ibid. 74

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elle est imposée par le cadre juridique du mariage ou par le cadre morale, les bonnes mœurs qui inculquent aux jeunes filles des valeurs de disponibilité, de passivité, de fidelité.76 Cette situation est acceptée car le corps féminin, de par sa capacité à porter la vie, est soumis aux impératifs populationnistes qui sont ceux de la reproduction, de la perpétuation de la race humaine et pour se faire le rôle de la Mère est glorifiée, si les femmes sont des êtres faibles et inférieurs, paradoxalement, la Mère elle, est toutepuissante, elle sait mieux que quiconque ce qui est bon pour son enfant, elle a tous les droits sur lui. Mais ce pouvoir est à double tranchant car, en grandissant, c’est l’Etat qui prolonge ce pouvoir en infantilisant l’individu, lui ôtant toute autonomie pour son propre bien, comme le ferait une mère.77 La Mère, néanmoins toujours soumise au Père, exerce un pouvoir de vie ou de mort sur ses enfants, elle est dévouée à son foyer sur un modèle de don de soi, prête à le défendre contre vents et marées. Pourtant la Mère allaitant son enfant dans un supermarché dérange et les témoignages de femmes priées de quitter les lieux pour cause de comportement jugé indécent sont nombreux78. La vue du sein d’une mère allaitant son enfant choque, dégoûte alors que partout les images de femmes hypersexualisées au corps dévêtu se multiplient. Pour Amy Bentley, c’est bien cette sexualisation de la poitrine au XIXème siècle avec la popularisation de la pin-up et du soft porn d’après-guerre qui a transformé le sein en objet de désir d’où l’« incongruité du sein comme source de nutrition infantile »79. C’est bien le fait qu’une mère ait des seins, attributs féminins fantasmés par excellence, donc le fait qu’une mère soit une femme qui pose problème. Pour Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnel entre les hommes et les femmes, « la femme est celle qui protège mais aussi celle qui séduit. Le couple mère et putain n’est jamais bien loin », c’est cette ambivalence permanent qui suscite le mépris à l’égard des femmes.80 On est soit femme objet sexuel, soit mère dévouée, les deux représentations sont incompatibles pourtant c’est en étant une femme que l’on devient mère, ce qui met en évidence l’illusion de ces images totalement construites de mères asexuées et de femmes volages 76

Ibid. p.74 Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset & Fasquelle, « Le livre de Poche », 2006 78 Eve Gratien, Couvrez ce sein que je ne saurai voir : quand l’allaitement en public dérange, L’Obs, Le Plus, 4 Avril 2012 79 Amy Bentley, Inventing Baby Food, trad. par Boris Manenti in Comment allaiter en public devient un parcours de combattante, L’Obs, « Société », 21 Aout 2016 80 Brigitte Grésy, Vaincre « le sexisme ordinaire », Le Monde, 19 Mai 2016 77

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de peu de vertu. Cette désillusion montre les limites du système de la domination. Le corps des femmes ne leur appartient pas, si elles choisissent de le montrer c’est automatiquement pour séduire les hommes ce qui explique l’incompréhension face à la mère allaitant son enfant alors jugée impudique, si elles choisissent de le cacher c’est par pudeur et chasteté comme leur père leur a enseigné. « Séduisante mais pas pute »81, ni trop ni pas assez, la limite entre ce qui est perçu comme de la séduction ou de la provocation, presque de la prostitution, est ténue voire inexistante. Les femmes marchent sur ce fil, au gré des envies masculines : il faut être féminine, mais pas vulgaire, il faut être élégante, mais pas coincée, il faut être soignée mais naturelle, il faut suivre les modes mais ne pas devenir fashion victim, il faut être mince mais avec des formes, il faut être ambitieuse et intelligente mais moins qu’un homme. Peu importe si une femme dévoile son corps ou non, ses choix ne seront pas les siens mais ceux de la société patriarcale dans laquelle elle vit. Cependant, la violence des réactions face à la vue du corps féminin est telle que l’on ne peut s’empêcher d’y voir une menace. "Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées." Molière, Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

LE CORPS DES FEMMES, ARME FÉMINISTE ? Dans ce contexte de domination des femmes, dépossédées de leurs corps, on

observe un phénomène de libération par l’expression corporelle et la pratique du nu. Le corps devient une menace, il devient une arme. C’est ce qu’ont compris Anna Hutsol, Sasha Chevtchenko et Oksana Chatchko, les fondatrices du groupe féministe ukrainien Femen, lorsqu’au cours d’une de leurs manifestations, l’une d’entre elle perd sa bretelle… Le groupe profite alors d’une médiatisation instantanée, elles sont qualifiées de « choquantes », de « provocatrices » mais par leurs corps ainsi dévoilés elles trouvent 81

Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset & Fasquelle, « Le livre de Poche », 2006

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un porte-voix pour faire entendre leurs combats. Si les agences de publicité n’hésitent pas à placer leurs produits sur la poitrine, le sexe ou la bouche de leurs mannequins pour attiser le regard du consommateur, les Femen retournent cette stratégie à leur avantage, inscrivant leurs slogans sur leur torse nu pour conscientiser les passants sur la situation des femmes dans le monde. Outre ce marketing très efficace, l’acte de se dénuder en pleine rue est porteur d’une toute autre signification, pour Inna Shevchenko : « Nous [les militantes Femen] donnons une nouvelle signification à la nudité du corps. La nudité des femmes n'est plus synonyme de prostitution ou d'exploitation sexuelle. La nudité signifie désormais que les femmes sont prêtes à se battre. »82. Pour elles, il s’agit de se réapproprier son corps, militer seins nus, c’est choisir de se battre pour sa liberté en utilisant son corps comme arme. Se dénuder devient un acte militant pour de nombreuses artistes dont Deborah de Robertis pour qui « ouvrir son sexe c’est ouvrir la bouche »83. Connue pour ses performances réinterprétant les œuvres des grands maîtres de la peinture, elle met en évidence l’absence du point de vue de l’objet regardé, le modèle féminin ne semble pas avoir de point de vue, de voix, il n’est qu’un corps destiné à être admiré. « Face à la surexposition du sexe dans notre monde contemporain, il n’y a plus rien à dévoiler, sauf l’annonce d’un monde nouveau où les grands maîtres se laissent regarder par les femmes. »84, le nu est donc le moyen presque accessoire, pour Deborah de Robertis, de faire exister ce regard, ce point de vue du sexe féminin, ce dialogue, il ne s’agit pas de donner à voir mais bien de donner une voix et une humanité bien réelle à ces muses représentées. L’objet nu devient sujet, l’artiste jambes écartées devant L’Origine du monde de Gustave Courbet semble sortir du tableau et donne vie à la muse ayant posé pour l’œuvre, par cette nudité elle reprend le contrôle de son corps. Le corps des femmes ne doit pas être caché honteusement, il doit être célébré, c’est le message transmis par les Nanas de Niki de Saint Phalle. L’artiste s’identifie à ses silhouettes géantes aux formes incroyables, par elles, elle s’échappe de la société dans laquelle elle vit et où « toute la féminité est écrasée, elle n’existe plus » aux dépends des 82

Inna Shevchenko in Clément Parrot, Les Femen répondent aux critiques : « notre poitrine ne frappe personne », France Télévisions, www.francetvinfo.fr, 14 février 2013 83 Deborah de Robertis in Alice Gautreau, « Ma chatte, mon copyright » : rencontre avec la performeuse féministe Deborah de Robertis, Konbini, Octobre 2017 84 Deborah de Robertis in Le miroir de l’origine, seconsexe.com, « Expositions » 2 Juin 2014

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femmes mais aussi des hommes85, les Nanas expriment cette féminité joyeuse et généreuse, mais elles restent des guerrières prêtes à se battre pour le matriarcat. Niki de Saint Phalle s’inspire de la condition féminine dans la société dans laquelle elle vit, elle est très consciente de la violence de la domination masculine et perçoit les épreuves de la vie d’une femme comme douloureuses ce qui donnent naissance à son travail sur les mariées, les femmes enceintes, les accouchements… Elle célèbre la création, pouvoir féminin, à grand renfort de couleurs, loin des stéréotypes de femmes de son époque. Ainsi ses œuvres immenses possèdent des attributs féminins disproportionnés, des seins et des fesses énormes, parfois un sexe si grand qu’il constitue une entrée dans la sculpture pour Hon, la plus grande des Nanas. Ces artistes et militantes féministes ont utilisé le corps, les formes féminines pour bousculer les stéréotypes, les représentations sociales des femmes et ainsi reprendre la parole et par la même leur liberté. Par la répétition du langage justifiant la naturalisation des stéréotypes de la domination, c’est au corps que le système s’attaque. Il s’agit de la manifestation physique du pouvoir dans l’espace, par et sur les corps. Notre liberté de parole est donc intimement liée à notre corps, c’est par la parole que les corps se brident mais c’est aussi par des pratiques corporelles que la parole s’éteint. En couvrant, en censurant le corps des femmes, les monothéismes en ont fait un pêché interdit, en le surexposant les industries pornographique et publicitaire en ont fait un objet de marchandise surexploité. Ces deux stratégies ont un point commun : elles refusent d’accorder à la femme son statut d’être humain, la réduisant à son corps, lui ôtant la parole et par la même sa citoyenneté. Les femmes sont rejetées de la voix publique, mais c’est bien sur la voie publique que les enjeux de la parole féminine prennent corps.

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Niki de Saint Phalle in Calling attention to art (vidéo), 1971 in Femmes, femmes, femmes…, grandpalais.fr, 8 Mars 2016

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Alain Jocard, Une Femen et Deborah de Robertis in Zineb Dryef, Le Nu, arme des féministes, M le magazine du Monde, « Roman Photo », 16 Octobre 2017 © AFP Simon Guillemin, Hans Lucas

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II // LA FEMME SUR LA VOIE PUBLIQUE

De cette voix publique naît la ville androcentrée, manifestation physique de cette

parole dominée par le masculin. Nous avons vu que, par le langage, les représentations sociales stéréotypées se banalisent, se naturalisent, mais plus encore se muent en performances. Les rôles de sexe sont incorporés par les individus, ils conditionnent leurs comportements au sein de l’espace public. Ainsi nous allons voir comment, dès la cour de récréation, ces relations de pouvoir s’expriment dans l’espace public et déterminent les rapports sociaux de genre. Ces rapports s’expriment sur deux modes : l’invisibilisation ou la surreprésentation, nous allons étudier ces extrêmes au travers de trois phénomènes : le harcèlement de rue, la prostitution et la pornographie. Ces exemples mettent en évidence les comportements asymétriques des usagers de la ville qu’elle soit physique ou numérique. Mais alors une question se pose : comment se réapproprier la ville ? Comment rétablir l’équilibre dans la pratique de l’espace ? Nous allons tâcher d’apporter des éléments de réponse par l’étude des marches exploratoires, en tenant compte de la dualité de la vie urbaine diurne et nocturne.

LA COUR DE RECREATION : UN PREMIER RAPPORT A L’ESPACE PUBLIC DETERMINANT

Dès le plus jeune âge, les femmes sont assignées à l’espace privé : elles sont

orientées vers des activités calmes, à l’intérieur, où elles doivent rester sages et silencieuses tandis que les garçons sont invités à pratiquer des activités d’extérieur, à courir, à occuper l’espace. Ainsi on remarque que près de 70% des espaces publiques de loisirs destinés aux jeunes s’adressent aux garçons. Ces espaces sont financés par les collectivités ce qui signifie qu’il y a une survalorisation financière des activités masculines. Or c’est bien par la pratique de l’espace public que l’on fait l’apprentissage de la vie en communauté et que l’on apprend à partager cet espace, ou non86. Cette dissociation dans la pratique de l’espace a un impact très fort sur celui-ci qui devient genré. Cet impact est particulièrement flagrant dans les cours de récréation. En effet, la 86

Association V.Idéaux, www.matilda.education – Plateforme vidéos éducative sur l’égalité des sexes soutenue par la Direction générale de l'enseignement scolaire du Ministère de l'Éducation nationale, le Ministère de la Culture, et le Ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes

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cour de récréation représente le premier espace public auquel est confronté l’enfant en autonomie, en dehors de la sphère familiale, devenant ainsi un des premiers espaces de socialisation. Or ce lieu qui va déterminer les premières relations de l’enfant à l’espace, mais aussi ses premiers rapports sociaux, ne connait aucune parité ni égalité. Dans la plupart des cours de récréation on trouve un exemple flagrant de cette inégalité dans la répartition de l’espace : le terrain de sport en plein centre. En effet, c’est une étude menée au collège Edouard Vaillant à Bordeaux par Sarah Rosner, professeure de français, et Edith Maruéjouls, géographe, qui met en évidence cette différence d’usage de la cour de récréation87. Souvent délimité par un marquage au sol, le terrain de sport fait figure de frontière dans la microsociété qui occupe la cour de récréation : à l’intérieur seule une poignée d’enfants sont acceptés, en très grande majorité des garçons et parmi eux les plus athlétiques, et les autres doivent de contenter de s’occuper autour, dans l’espace qu’il leur reste. On dédie le centre de la cour et donc de l’attention, et bien souvent une portion conséquente de l’espace à 20 ou 25 garçons, les plus forts, en laissant toutes les filles et les autres garçons moins forts dans un espace minime, autour de ce terrain, les privant de l’expérimentation de l’espace et les positionnant en spectateur d’un jeu exclusivement masculin. Le cœur de la cour de récréation est donc non-mixte et cette non-mixité empêche le mélange, la possibilité du partage et d’égale valeur dans la discussion, le jeu et les rapports sociaux88. Ces comportements naissent dans la cour de récréation et se poursuivent donc dans la rue, dans le monde du travail, en y légitimant la présence masculine. Il est donc primordial que ce micro-espace public qu’est la cour de récréation soit partagé équitablement afin de poser les bases d’une égalité dans la pratique de l’espace public en général. En effet, l’espace ainsi polarisé institue une hiérarchie entre les enfants qui se poursuit dans un premier temps en salle de classe puis s’installe durablement dans les modes de vie. Des études menées par l’Education Nationale ont prouvé que les professeurs, hommes ou femmes, accordent beaucoup plus de temps et d’attention aux garçons qu’aux filles: c’est la loi dite des 2/3-1/3, « Ils consacrent aux garçons les deux 87

Édith Maruéjouls-Benoit. Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe. Bordeaux, Université́ Michel de Montaigne - Bordeaux III, Géographie, 2014 88 Emilie Brouze, Egalité filles/garçons : et si on effaçait les terrains de foot dans les cours de récré ?, Nouvel Obs, Rue 89, 19 Février 2017

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tiers de leur temps tandis que les garçons émettent les deux tiers des propos tenus par les élèves dans la classe », résume la sociologue Marie Duru-Bellat89. Les inégalités de cour de récréation se prolongent donc en classe où les filles ne bénéficient pas du même soin porté à leur éducation que les garçons, elles sont encore une fois mises au second plan, derrière les garçons. Pour Frédérique Matonti, cette mise en retrait constante de la part des enseignants mais également des parents est responsable de la difficulté des femmes à prendre la parole, elles ont été éduquées en sachant leur parole illégitime90. Ces comportements sont ainsi ancrés dans notre éducation et sont à l’origine de nombreux maux de notre société. Car si la cour de récréation engendre des disparités dans l’apprentissage et les relations humaines, en grandissant, le principe même de disparité se fait culture. En effet, toutes les petites disparités du quotidien comme celles de masse deviennent invisibles et anodines, elles font dorénavant parties de notre société et font figure de normes.

L’ÉTHIQUE DU CARE, SPECIALITÉ FÉMININE ? Les femmes sont ainsi reléguées au second plan, à l’école comme dans la société

c’est-à-dire, destinées au travail domestique, bénévole et invisible aux yeux de la société puisqu’il est régi par la logique du don de soi. C’est la logique du care, qui peut être traduit par « sollicitude » et englobe les notions de soin, d’attention portée à l’autre. Cette logique de don de soi est traditionnellement féminine et explique, selon Carol Gilligan, pourquoi les femmes ont tendance à se situer dans les stades inférieurs de l’échelle de Kohlberg. Cette échelle est le fruit d’une étude menée par le psychologue Lawrence Kohlberg qui propose de mesurer le stade de développement moral d’un enfant par dilemmes moraux en se basant non pas sur la réponse de l’enfant, mais sur ses explications91. Dans son étude, les petites filles ne répondent pas de la même façon que les petits garçons, Kohlberg interprète ces réponses comme naïves, comme une inconscience de la justice universelle et donc comme le signe d’un développement moral 89

Marie Duru-Bellat, L’Ecole des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris, L’Harmattan, 2004 in Anne Chemin, « Manterrupting », le sexisme ordinaire sur la voix publique, Le Monde Idées, 02 Mars 2017 90 Frédérique Matonti in Anne Chemin, « Manterrupting », le sexisme ordinaire sur la voix publique, Le Monde Idées, 02 Mars 2017 91 Lawrence Kohlberg, The Development of Modes of Thinking and Choices in Years 10 to 16, trad. par Wikipédia, Chicago (US), Université de Chicago, 1958

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inférieur à celui des petits garçons car, pour lui, la moralité a un fondement naturel, biologique et cérébral. Que cette moralité diffère en fonction du sexe lui semble évident. La psychologue, philosophe et féministe américaine Carol Gilligan y voit quant à elle des rapports moraux genrés, issus de la société : le rapport masculin à la morale serait fondé sur la justice impartiale et le rapport féminin sur le dialogue et la responsabilité à autrui, soit l’éthique du care.92 Cette éthique essentiellement féminine se traduit par des comportements différents chez les hommes et les femmes adultes : « les femmes sont beaucoup plus investies que les hommes dans les relations de soin, d'attachement ou de sollicitude qui supposent un fort engagement affectif; les hommes portent plus d'intérêt à leur construction individuelle et établissent des relations qui laissent davantage de place à la compétition, aux règles et aux lois qui permettent l'établissement d'une distance affective dans le rapport aux autres. Les femmes sont à l'inverse impliquées dans un lien social voué à la connexion entre les sujets, très chargé émotionnellement et très porté à l'entraide. »93 Ces comportements ne sont pas sans conséquences, ils justifient la captation des postes à haute valeur ajoutée par les hommes (sphère productive) et la situation précaire des femmes, qui seraient naturellement prédisposées au soin du foyer, des enfants (sphère reproductive) et disqualifiées d’office des postes de pouvoir94. Mais ces tendances ne sont pas innées, un garçon ne naît pas violent et individualiste et une fille ne naît pas douce et pleine de sollicitude. L’éthique du care met en évidence une éducation morale différente en fonction du genre : le care s’apprend, de même que la violence. Pourtant l’argument biologique reste très répandu, ce à quoi répond la neurobiologiste Catherine Vidal : « L’idée que l’agressivité, doublée d’un appétit sexuel supérieur, viendrait de la testostérone est encore très présente dans le grand public […] Chez les enfants, les comportements violents existent avant la puberté, donc avant l’apparition du pic hormonal, et aucune étude réalisée à partir de vastes échantillons ne montre de relation entre la

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Carol Gilligan, In a different Voice, trad. par Wikipédia, Cambridge (US), Harvard University Press, 1982 93 Fabienne Brugère, La sollicitude, La nouvelle donne affective des perspectives féministes, Esprit, Janvier 2006, pp.123 sq., p.1 94 Daniele Kergoat, Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe, in H. Hirata Dictionnaire critique du féminisme, 2000, p.36

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concentration d’hormones et le niveau de violence. »95 Cette théorie de la testostérone toute puissante était appuyée par l’endocrinologue Alfred Jost qui, il y a 70 ans, était arrivé à la conclusion selon laquelle la testostérone était à l’origine du sexe masculin, le sexe féminin devenant le mode par défaut96. Or, une nouvelle étude menée en aout 2017 apporte des résultats bien différents : l’embryon posséderait deux tissus donc deux potentialités d’organes sexuels. C’est la protéine COUP-TFII qui permet d’éliminer le tissu mâle et entraîne le développement des organes génitaux féminins97. L’argument biologique selon lequel la violence serait typiquement masculine, et ce dès la fécondation, est donc réfuté. Pourtant, on a l’impression qu’il en a toujours été ainsi et aujourd’hui les femmes violentes font figure de minorité, représentant seulement 3,6% de la population carcérale française en novembre 201498. Mais l’historienne Arlette Farge nous explique qu’au XVIIIe siècle, les femmes des classes populaires avaient leur place dans les émeutes les plus violentes et n’hésitaient pas à se battre pour un geste déplacé, « la rue leur appartenait autant qu’aux hommes »99. C’est au XIXe siècle, sous Haussmann, que le modèle de la femme au foyer, la femme d’intérieur soumise à la pudeur est imposée à toutes pour un meilleur contrôle de la ville. Elles sont alors responsables du bon comportement de leurs enfants et de leur mari sous la surveillance des « polices de familles ». Selon la sociologue Coline Cardi « c’est à cette époque-là que l’instinct maternel est inventé et que les femmes sont davantage cantonnées à l’espace privé. A celles-ci, on apprend la peur là où on enseigne aux hommes, au contraire, la bagarre. »100 De moins en moins présentes dans l’espace public, elles s’éloignent de la violence et se 95

Catherine Vidal in Marion Rousset, La violence a-t-elle un sexe ?, Le monde Culture et Idées, 14 Janvier 2016 96 Tina Hesman Saey, Embryos kill off male tissue to become female: A study in mice identifies a protein crucial to developing as a girl, ma traduction, ScienceNews Vol 192 N°4p.10, 16 Septembre 2017 97 Fei Zhao, Heather L. Franco, Karina F. Rodriguez, Paula R. Brown, Ming-Jer Tsai, Sophia Y. Tsai, Humphrey H.-C. Yao, ma traduction, Elimination of the male reproductive tract in the female embryo is promoted by COUP-TFII in mice, Washington DC (US), Science, Vol. 357, Issue 6352, pp. 717-720, 18 Aout 2017 98 Administration pénitentiaire, Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, Ministère de la Justice, Novembre 2014, p. 37, Tableau 33 99 Arlette Farge in Marion Rousset, La violence a-t-elle un sexe ?, Le monde Culture et Idées, 14 Janvier 2016 100 Coline Cardi in Ibid.

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rapprochent du foyer, les constructions de la masculinité et de la féminité actuelles sont intégrées dans le socle psychologique de chacun et chacune. Il s’agit donc bien de constructions sociales dont les normes n’ont pas toujours été les mêmes qu’aujourd’hui et qui ont été naturalisées, incorporées par tous. Ces rôles sont enseignés aux enfants dès le plus jeune âge par une multitude d’injonctions, de gestes et de microdécisions qui semblent neutres, normales. Ainsi on aura tendance à laisser un petit garçon courir et jouer dehors mais pas une petite fille car c’est trop dangereux, on aura tendance à voir la violence comme un signe de bonne santé chez un garçon, qui l’évacuera dans un sport violent, et comme une pathologie à soigner chez une fille. Les filles joueront à la poupée dans l’univers intérieur de la maison et les garçons aux pistolets, rêvant d’aventure et d’espaces. La femme est ainsi reléguée à l’espace privé où elle devient invisible et fournit un travail lui aussi invisible aux yeux de la société car bénévole puisque c’est la logique du don qui régit l’intérieur contrairement à l’espace public qui se soumet au contrat marchand101.

ENTRE INVISIBILISATION ET SUREXPOSITION : HARCELEMENT DE RUE, PROSTITUTION, PORNOGRAPHIE

La plupart de nos rues portent des noms d’hommes, rares sont les femmes qui

ont pu trouver leur place dans nos musées, nos bibliothèques, nos cinémas. Grandes absentes de l’histoire, de la culture et de la ville, les femmes sont peu représentées dans ce patrimoine au masculin. Paradoxalement, la ville se pare d’images de femmes, partout, des corps féminins font vendre et se vendent. Entre invisibilisation et surexposition, les femmes ne semblent pas trouver leur place dans l’espace urbain. « La ville est une mémoire organisée, les femmes sont les oubliées de l’histoire. » 
Hannah Arendt

101

Guy Di Méo, Les Murs Invisibles, femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, « Recherche », Mai 2011, p.10-11

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LES TERRITOIRES DE GENRE, LA VILLE SEXUÉE

La ville est, à première vue, un espace mixte dans lequel se côtoient des individus

de tout âge, issus de classes sociales différentes pour y travailler, y vivre, y passer, s’y promener. Pourtant, la doctrine des sphères séparées, sphère publique pour les hommes et sphère domestique pour les femmes, continue à influencer notre société contemporaine et certains lieux de la ville restent inaccessibles aux femmes. Cette inaccessibilité ne se traduit pas légalement, les femmes bénéficient autant que les hommes du « droit à la ville » d’Henri Lefebvre (1968). Mais la réalité est autre, en effet, à la manière du glass ceiling ou « plafond de verre » qui empêche les femmes d’accéder aux plus hautes fonctions, des « murs de verre » semblent se dresser dans la ville et restreindre la pratique urbaine des femmes. Cependant, ces murs et les zones qu’ils censurent semblent invisibles aux yeux des citadines qui justifient ces no women’s land car « elles n’ont rien à y faire », ces barrières mentales se caractérisent par une réelle opacité, Guy Di Méo parlera alors de « murs invisibles »102. L’étude mené par le géographe sur la ville de Bordeaux, en Aquitaine, en interrogeant 57 femmes sur leurs pratiques urbaines a démontré que ces murs sont mobiles, avec l’évolution des formes urbaines, ils reculent, s’effondrent, s’amincissent au grès des aménagements. S’ils diffèrent parfois en fonction de l’âge, de la classe sociale et de l’activité des femmes, ils persistent toujours même avec l’habitus de la classe sociale dominante, ces murs sont donc bien une particularité de genre. Cependant, il est important de noter que cette étude a confirmé la théorie de Jacqueline Coutras selon laquelle « les femmes ont des pratiques plus étendues, intenses et actives de la ville » (1996). En effet, on observe que la sphère domestique, intérieure s’est étendu à l’échelle du quartier, les femmes captives de leur intérieur ne sont plus qu’une minorité. Néanmoins, ce quartier convivial où les femmes se sentent chez elles reproduit les rapports sociaux de domination, il enferme et pose des limites invisibles. Ces limites invisibles sont celles du temps, dont les femmes mêlant vie professionnelle et vie de famille disent manquer cruellement. En effet, en 2016, 67,6% des femmes âgées

102

Guy Di Méo, Les Murs Invisibles, femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, « Recherche », Mai 2011, Introduction

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entre 15 et 64 ans sont actives sur le marché de l’emploi103, et les chiffres sont en progression constante, pourtant, ce sont toujours elles qui s’occupent du foyer, toujours sur une logique de care exclusivement féminin. En 2015, ce care se traduit par 20h32 à 26h15 de travail par semaine pour les femmes françaises contre 8h38 à 16h20 pour les français104. En 2010, près d’un père sur neuf a réduit ou interrompu son activité professionnelle au moins un mois (hors congé paternité) contre plus d’une mère sur deux105. Tout cela sans compter les familles monoparentales, dont 85% sont des femmes seules avec enfants en France, en 2012.106 Ces chiffres mettent en évidence cette « double-journée » des femmes investies dans la sphère du travail qui cumulent avec le rôle domestique qu’elles assumaient déjà. Les femmes souhaitent leur autonomie financière, le travail leur permet de sortir de la sphère familiale et d’obtenir une reconnaissance de leurs compétences mais la survalorisation du care les presse à s’occuper de leurs enfants, de leur foyer, des personnes âgées ou malades de leur entourage, ce qui représente un véritable second travail. Pour réussir à gérer cette surcharge de travail, les femmes doivent optimiser leur temps au maximum, c’est ainsi que s’érigent des murs invisibles qui sont des murs temporels, correspondant souvent au quartier, au-delà desquels elles ont le droit mais pas le temps d’aller, contrairement aux hommes. La sociologue Annie Dussuet explique que « L’investissement de l’espace public par les femmes ne s’est pas accompagné d’un mouvement symétrique des hommes vers l’espace privé » ce qui a conduit à cette situation d’inégalité dans la répartition de la charge de travail mais également dans l’espace, créant des « territoires de genre ».107 Ces territoires de genre s’expriment de manière discrète, imperceptible et partout on croit voir de la mixité, mais pourtant ces murs invisibles existent bel et bien, 103

Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, Chiffres-clés Edition 2017, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, Emploi et Précarité, 2017, p.30 104 Isabelle Attané, Carole Brugeilles, Wilfried Rault, Atlas mondial des femmes, INED, Autrement, 2015 105 Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, Chiffres-clés Edition 2017, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, Emploi et Précarité, 2017, p.24 106 Ibid. p.34 107 Guy Di Méo, Les Murs Invisibles, femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, « Recherche », Mai 2011, Introduction, p.10

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on peut donc s’interroger sur la position de ces murs et ce qu’ils enferment. Ces lieux évités par les femmes, inexistants dans leurs pratiques urbaines, sont les lieux à forte connotation sexuelle : quartier aux ruelles sombres où un violeur éventuel peut se tapir dans l’ombre, lieux reconnus de la prostitution, banlieues où les jeunes hommes sont réputés provocateur, hypersexués, dangereux108. Pour Guy Di Méo, la sexuation masculine des lieux est un facteur d’angoisse et cette angoisse, parfois en partie fondée, est alimentée par la rumeur. Dans cette étude de géographie sociale, il est important de noter que les femmes n’expriment pas toujours leur angoisse de manière aussi claire. Le masque du genre vient occulter la crainte par un propos esthétisant ainsi le dangereux est remplacé par le laid, la souillure. Le manque de qualité esthétique du lieu est plus acceptable qu’une violence territorialisée. Les femmes ont donc appris à faire avec ces murs et sont devenues d’importantes consommatrices de la ville, intégrant des stratégies individuelles d’évitement du danger pour pouvoir étendre leurs pratiques urbaines selon leurs besoins. Cependant, ces barrières mentales érigées pour se protéger, sont doublées par celles de la préséance, de la peur de l’inconvenance et du souci de représentation de soi. Les femmes et leurs pratiques urbaines sont soumises à de multiples règles, pour leur propre sécurité elles doivent éviter certains lieux sexués mais aussi pour leur propre « décence » elles doivent se plier à des comportements normés. Ce prisme d’interdits constitue un contrôle social intériorisé par les femmes qui les limite.109 Pour le géographe Guy Di Méo, ces murs invisibles instaurent un espace de contrôle socio-familial qui profite de la sollicitude des femmes pour rentabiliser au maximum leur travail, rémunéré ou non. A la manière du panoptique de Bentham, à l’intérieur de ces murs, elles sont constamment surveillées, jugées et si besoin rappelées à l’ordre par un regard, une remarque. Ces murs invisibles sont donc un outil de la domination masculine sur l’espace public qui a pour conséquence de créer une inégalité dans la pratique de la ville. VIOLENCES SEXUELLES : DU HARCELEMENT AU VIOL Ce contrôle social des femmes se traduit par ce que l’on peut qualifier de harcèlement de rue. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes définit le harcèlement de rue « comme étant des manifestations du sexisme qui affectent le droit à 108 109

Ibid. Conclusion Ibid. Partie IV, Les sensibilités et les formes urbaines de l’espace vécu 52


la sécurité et limitent l’occupation de l’espace public par les femmes et leurs déplacements en son sein. »110. On pourrait rajouter que ces manifestations entravent également le droit des femmes à la tranquillité, à l’indifférence. Ce harcèlement peut prendre différentes formes : sifflements, commentaires sur le physique, injures… Pour la sociologue Marylène Lieber, ces actes s’assimilent à des « rappels à l'ordre sexués, des petits actes qui n'ont rien de grave mais qui leur rappellent sans cesse qu'elles sont des "proies" potentielles dans l'espace public. »111 ce qui achève d’instaurer un climat anxiogène pour les femmes qui se déplacent dans la ville dans la peur constante du viol. Cette peur est entretenue par toute la société avec la surmédiatisation des agressions dans l’espace public et l’intégration, dès la puberté, de réflexes sécuritaires : faire attention à sa tenue, toujours sortir accompagnée, ne pas rentrer tard… Pour FatimaEzzahra Ben-omar, militante féministe, le harcèlement de rue et le climat de peur qu’il instaure participe à une véritable infantilisation des femmes réduites à toujours demander à un homme, même inconnu, de les raccompagner chez elles, comme si elles étaient incapables de le faire par elles-mêmes. Participant elles-mêmes à renforcer le contrôle social dont elles sont victimes. Outre cette infantilisation, le harcèlement a des effets physiques sur les femmes, stressées par l’éventualité d’une agression avec les effets sur la santé que l’on connaît, mais également politique puisqu’elles ont tendance à se faire remarquer le moins possible dans la rue, à ne pas parler, dans une stratégie d’évitement du danger, ce qui conduit à une exclusion de la parole féminine dans l’espace public.112 Le harcèlement de rue se manifeste particulièrement dans les transports en communs où les usagers sont tous réunis dans un même lieu, patientant ensemble jusqu’à leur destination, sans possibilité de sortir sans modifier leur emploi du temps. Ainsi 100% des utilisatrices des transports en commun ont déjà été victimes, au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles, dans 50% des

110

Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, 16 Avril 2015, p.5 111 Marylène Lieber in Fanny Arlandis, La rue, fief des mâles, Le Monde Culture et Idées, 4 Octobre 2012 112 Fatima-Ezzahra Ben-omar, TEDx Champs Elysées Women, Equalicity, Le harcèlement de rue, vidéo, Youtube, 3 Novembre 2017

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cas, la première agression intervient avant 18 ans113. C’est cette situation d’attente, de stationnement qui semble être refusée aux femmes, elles sont alors associées aux images négatives de femmes « offertes », « disponibles », « qui cherchent »114, elles sont assimilées à des prostituées, et réprimandées, rappelées à l’ordre par les hommes115 présents au moyen de regards, remarques, injures quotidiennes réaffirmant la présence constante de ce contrôle social. Ainsi, les témoignages, du harcèlement aux agressions sexuelles, dans les transports sont nombreux et se poursuivent dans la rue voire jusqu’au domicile, en particulier de nuit. En effet, la ville a deux visages, si la journée on peut y voir une relative mixité, la nuit, la ville devient « un espace jugé masculin »116. Selon un sondage effectué en ligne auprès des 666 étudiantes de l’ENSAM entre mai et septembre 2017, sur les 195 réponses reçues, 7% affirment éviter de se déplacer seule en ville la journée et 1% ne le font jamais, mais la nuit les tendances s’inversent radicalement avec 39% qui évitent et 18% qui ne le font jamais117. Les femmes sont donc moins présentes dans l’espace public la nuit, et lorsqu’elles sont présentes, elles anticipent le moindre détail élaborant une véritable stratégie. Cette stratégie constante à continuer à intérioriser cette carte mentale des zones anxiogènes à éviter, à préparer leur retour au préalable et « si elles doivent marcher seules dans la rue, elles optent pour des précautions vestimentaires (ni jupe, ni talons hauts), cosmétiques (pas de rouge à lèvre) et logistiques (téléphone portable, trousseau de clés voire bombe lacrymogène à la main). »118 Ces stratagèmes sont autant d’entraves à la liberté. Ainsi une femme va s’interdire l’accès à certains lieux par des « murs invisibles », elle va s’interdire les postures d’attentes, de flânerie dans l’espace public en particulier la nuit, elle va s’interdire des tenues, se trouver un chaperon pour ne pas rester seule.

113

Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, 16 Avril 2015, p.5 114 A-urba et ADES-CNRS, L’usage de la ville par le genre, communauté urbaine de Bordeaux, Rapport d’étude, Juin 2011, p.77 115 Plus des trois-quarts des auteurs d’insultes sont des hommes in Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.14 116 Fanny Arlandis, La rue, fief des mâles, Le Monde Culture et Idées, 4 Octobre 2012 117 Voir Annexe – Questionnaire en ligne 118 A-urba et ADES-CNRS, L’usage de la ville par le genre, communauté urbaine de Bordeaux, Note de synthèse, Juin 2011, p.5

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Les femmes s’excluent de la ville au nom de la peur et ce dès la puberté. En effet, les travaux de la géographe Edith Maruéjouls montrent que les adolescentes disparaissent des structures sportives collectives mixtes dès la puberté. Les statistiques mettent également en évidence une diminution soudaine dans leur participation aux loisirs de groupes dans les quartiers ce qui engendre un réel déficit dans l’apprentissage de l’espace public (et par extension des affaires publiques) des jeunes filles et c’est ce déficit qui est à l’origine du sentiment d’exclusion ressentie par les femmes119. Cette peur naît donc avec la puberté, dès que le corps d’une fille devient celui d’une femme, elle devient un objet sexuel et perd sa liberté tandis que les hommes ne semblent pas subir de restrictions découlant de ce changement biologique. Au contraire, le géographe Yves Raibaud souligne le fait que des aménagements urbains comme les skate parks sont construits pour « canaliser l’énergie des jeunes urbains », ce qui revient à mettre en scène la performance physique masculine comme modèle dominant dans l’espace urbain120. Il s’agit donc bien d’une domination de l’espace publique en terme de genre. Ce modèle de domination repose sur un climat de peur constante du viol qui justifie toutes les mesures sécuritaires. Les femmes évoluent dans cette atmosphère de crainte, redoutant d’être prises pour cibles par la sexualité masculine, perçue comme une pulsion naturelle inévitable et incontrôlable qui doit être assouvie dans la violence de l’immédiateté à la façon des récits antiques des Métamorphoses d’Ovide, où les Dieux enlevaient des humaines pour leur imposer leur passion. Le viol semble attendre les femmes à chaque coin de rue, Clayton Williams, un homme politique américain, dira même que « Le viol c'est comme la météo, c'est inévitable. Alors détendez-vous et profitez-en. »121 Les remarques de ce type sont légions, montrant le peu de sérieux et de crédit accordés aux femmes à ce sujet. En conséquence, les femmes se taisent, gardent le silence. Et en effet, on estime que, en moyenne chaque année, 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de viols ou de tentatives de viol en France, parmi elles seules 10% déclarent avoir porté

119

Ibid. p.4 Ibid. 121 Clayton Williams in Texas candidate’s comment about rape causes a furor, ma traduction, The New York Times, Mars 1990 120

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plainte122. Les femmes sont responsables du désir qu’elles suscitent : « c’est une pulsion naturelle », « elle savait très bien ce qu’elle faisait » ou encore « elle a dit non mais je sentais qu’elle voulait dire oui » se justifient les agresseurs, sans jamais qualifier leur acte de viol. Le terme reste tabou chez les agresseurs qui ne se reconnaissent pas en tant que tels et chez les agressées qui ne veulent pas être vues comme des victimes dont on aurait volé la dignité. L’acte trouve toujours une excuse, une bonne raison mais pourtant, comme on peut le voir dans la campagne contre les agressions sexuelles du mouvement américain It’s on us (to stop sexual assault) lancé par Barack Obama en 2014123, si l’on inverse les rôles, l’excuse devient totalement absurde. Dans une de leurs vidéos on voit ainsi une femme se jeter sur un gâteau de mariage et rétorquer au pâtissier scandalisé qu’il l’avait bien cherché puisqu’il avait rendu son gâteau si désirable ou une autre femme utiliser des toilettes en exposition dans un magasin en expliquant qu’elle ne pouvait retenir un besoin si naturel s’il la tentait ainsi. Cependant, aussi absurdes soient elles, ces justifications sont entendues et les femmes blâmées. Blâmées pour avoir provoqué le désir mais aussi pour ne pas s’être suffisamment défendues, alors qu’elles ont été éduquées à toujours avoir un comportement passif. Les agressions sexuelles se présentent comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque femme, cible potentielle et victime en puissance, pourtant on sait que dans 90% des cas, la victime connaissait son agresseur124. De plus, en France en 2010, seules 7% des agressions sexuelles ont eu lieu dans l’espace public, dont 3,7% dans la rue125. Cette peur constante est donc injustifiée, elle est entretenue par une surmédiatisation des agressions publiques, plus spectaculaires, qui viennent renforcer cette croyance infondée, presque moyenâgeuse, de la ville de tous les péchés, transmise de génération en génération par un carcan de comportements à avoir pour respecter la préséance.

122

Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.2 123 Campagne de lutte contre les agressions sexuelles du mouvement américain It’s on us (to stop sexual assault), vidéos, 2017 124 Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.2 125 A-urba et ADES-CNRS, L’usage de la ville par le genre, communauté urbaine de Bordeaux, Note de synthèse, Juin 2011, p.4

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Le viol est dans tous les esprits, c’est la raison pour laquelle les femmes brident leurs pratiques urbaines de manière quotidienne mais pourtant il semblerait qu’après il n’y ait rien, pas de guérison possible. Virginie Despentes, dans King Kong Théorie126 parle de sa propre expérience, de son propre viol et met le doigt sur un pan oublié de la littérature : elle raconte qu’après son agression elle a cherché du soutien dans les livres, elle a cherché des témoignages, des « modes d’emploi » pour s’en remettre mais elle n’a rien trouvé, comme si l’on ne pouvait pas se remettre d’un viol car la sexualité masculine est trop violente et destructrice. C’est dans les paroles de Camille Paglia127, une féministe américaine controversée, que Virginie Despentes finit par trouver une nouvelle vision de l’après-viol. Camille Paglia défend « la liberté de risquer le viol »128, elle propose de penser le viol comme un risque à prendre si une femme décide d’arpenter l’espace public seule. De ce fait, elle met en évidence l’entrave à la liberté que représente la peur constante du viol. Pour Paglia, le monde ne sera jamais sans risques et sans peines à moins d’être totalitaire, sa génération ne veut plus être surprotégée, elles veulent vivre librement, à la manière des hommes, même si cela signifie prendre le risque d’être violée. Comme précisé précédemment, l’espace public n’est pourtant pas le lieu de la majorité des agressions. Cependant cette théorie induit une nouvelle image de la femme : elle n’a pas à se sentir coupable, elle n’a pas à avoir honte bien au contraire elle est une guerrière qui vit dans un monde de brute, le sait et prend le risque. Alors que le viol se définit partout comme une atteinte à la dignité, la féministe américaine, compare plutôt cela à des coups. Pour elle, le viol n’est une violation de la vie privée que si l’on a une vision naïve de la vie, le sexe doit être perçu comme une force turbulente dont personne n’a le contrôle, il ne faut donc pas s’étonner d’être blessée. Le viol devient blessure, une blessure peut guérir. Cette théorie, vivement critiquée dès sa publication, a le mérite de proposer le viol comme une mauvaise expérience, qui ne disqualifie pas les femmes de la société et ne les pose pas en victimes ou en proies potentielles mais en guerrières urbaines. Cependant, le discours de Camille Paglia sert la naturalisation de la sexualité masculine comme fondamentalement violente, dominatrice par nature donc il ne permet pas de penser les sexualités sur une base égalitaire d’où la controverse virulente dès la publication de son article. De plus, en minimisant la violence de l’acte, 126

Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset & Fasquelle, « Le livre de Poche », 2006 127 Camille Paglia in Celia Farber, Antihero Opinion, SPIN, Octobre 1991, p.84 128 « I’m defending the freedom to risk rape » Camille Paglia in Ibid.

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les femmes victimes de viol subissent une double peine : en plus de la culpabilité provoquée par le viol lui-même s’ajoute la culpabilité de ne pas pouvoir s’en relever. En tentant de vivre la ville comme les hommes, les femmes ne se débarrassent pas de la menace du viol mais subissent, en plus, l’injonction masculine à être fortes, à subir les coups dans rien dire, sans pleurer, « même pas mal ». LES SEXUALITÉS AU CŒUR DE LA VILLE C’est donc bien la crainte de la sexualité masculine qui est à l’origine de ces murs invisibles et de ces stratagèmes d’évitement du danger bridant la liberté des femmes à pratiquer la ville. Cette crainte devient fascination et la fascination devient fantasme. Ainsi le fantasme du viol est courant notamment chez les femmes, leur infligeant une double peine : si on a été violée et qu’on l’a fantasmé auparavant, on est doublement responsable. Le phénomène s’explique par un dispositif culturel prédestinant les femmes à jouir de leur impuissance, Virginie Despentes va même jusqu’à parler de masochisme : pour elle, les femmes sont éduquées pour être attirées par ce qui les détruit dans le but de les tenir éloignées du pouvoir129. Les enjeux de la sexualité des usagers de la ville sont donc majeurs puisqu’ils sont également ceux du pouvoir. Florian Vörös, chercheur en porn studies, va même jusqu’à dire que « la sexualité est un des lieux clés de la naturalisation de la supériorité du masculin sur le féminin »130. Si les femmes fantasment parfois du viol, les sites pornographiques renforcent cette sexualité masculine qui rend excitante la femme humiliée, violée, torturée. Florian Vörös explique que « le fantasme sexuel est en effet un théâtre où se jouent et se rejouent les rapports sociaux »131, il n’est donc pas étonnant que les femmes fantasment de leur propre soumission étant donné qu’on leur a toujours appris à être heureuses dans la passivité et l’obéissance. Pour la juriste et militante féministe américaine Catharine McKinnon132, la pornographie ne se réduit pas à des images, elle reproduit bien la réalité de 129

Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset & Fasquelle, « Le livre de Poche », 2006 130 Florian Vörös, in Claire Richard, « le porno est une pratique de production de soi », L’Obs, Rue 89, 29 Janvier 2017 131 Ibid. 132 Catharine McKinnon in Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008

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l’hétérosexualité comme une violence faite aux femmes. Cette réalité est double car les femmes filmées subissent réellement cette violence, et les images font réellement partie intégrante de l’acte sexuel du spectateur qui jouit de cette violence. La pornographie montre le désir, l’acte sexuel et le provoque, y participe, elle ne sert pas uniquement de référence, elle a aussi un rôle actif dans la sexualité. Ces images de la pornographie ne sont pas de simples images, elles forment une véritable base de données qui va devenir le moyen d’apprentissage de la sexualité pour les plus jeunes. En effet, malgré la limite d’âge légal imposée, une étude de l’IFOP estime que 51% des adolescents entre 15 et 17 ans ont déjà vu une vidéo pornographique sur internet133. On pourrait penser que cette généralisation de la pornographie va de pair avec une libération des sexualités et par là même des corps. En effet, partout les publicités, les émissions télévisées amènent le sexe sur la voie publique, les sex toys sont en vente dans les supermarchés, le sexe est dans toutes les bouches, tous les magazines mais pour Ovidie, ancienne actrice porno et féministe devenue réalisatrice, la manière d’en parler n’est pas plus libérée qu’avant. Dans son documentaire A quoi rêvent les jeunes filles ? (2015) elle interroge l’évolution des pratiques et des identités sexuelles depuis la révolution sexuelle il y a quarante ans et met en évidence une impression de sexualité libérée alors que les stéréotypes se portent toujours aussi bien, avec les conséquences sur les corps que l’on a déjà évoquées. Selon Marie-Pierre Martinet, alors secrétaire générale du planning familial, cette impression de liberté cache en réalité un contrôle de la sexualité des filles alors qu’il y a une survalorisation de celle des hommes : on explique aux adolescents que les garçons ont des besoins naturels qui doivent être satisfaits alors que pour les femmes, la situation est différente, « elles n’ont accès à la sexualité que si elles sont amoureuses »134. Elles échangent de la sexualité contre de l’amour, une situation de couple, présenté comme le seul modèle d’épanouissement possible pour elles. La liberté sexuelle s’est muée en une injonction des femmes à être absolument épanouies sexuellement mais uniquement dans un cadre hétérosexuel fixe car « le

133

IFOP

134

Michel Bozon in Ovidie, A quoi rêvent les jeunes filles ?, documentaire, 2015

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spectre de la salope n’est jamais loin »135. Cette pression constante pèse sur les femmes et guident leurs actes, elles doivent absolument avoir bonne réputation, sous peine d’être classées dans la case « fille facile » ou à l’inverse et symétriquement « frigide » et ainsi rejetées de la société. La sexualité des femmes est contrôlée par ces « attentes de genre »136, les femmes doivent être des actrices porno dans l’intimité et des mères de famille à la morale puritaine dans la sphère publique. Cette hypocrisie est d’autant plus flagrante que les corps nus sont partout, pour la chercheuse et féministe américaine Linda Williams, c’est « la frénésie du visible »137, mais pourtant ils n’en sont pas plus libres. En effet, le désir ne reste accessible qu’aux hommes, les femmes doivent être désirables, se mettre en scène comme un produit de consommation, mais à aucun moment on ne parle de leur propre plaisir. Le but étant de réussir à obtenir une relation de couple stable et de la conserver, les femmes font tout pour se rendre sexuellement intéressantes auprès des hommes. Pour se faire, elles doivent se conformer à des normes esthétiques et comportementales véhiculées par la pornographie, engendrant invariablement un sentiment de culpabilité faute de pouvoir correspondre à la myriade de standards réclamés par la société. Ces codes pornographiques sont ceux du monde d’Internet, dans lequel a grandi cette « génération Y » ou « génération YouPorn » que représentent les 18-30 ans d’aujourd’hui nés avec Internet. Véritable extension numérique de la ville, cette plateforme mondiale est une culture avec un langage, des normes et des modes de pensée associés. Ortie, jeune réalisatrice, dit même qu’elle a la « double nationalité française et internet »138. Dans ce monde-là, chacun doit capitaliser sur sa personne, son propre corps, et diffuser l’image, non pas de la réalité, mais de ce que l’on veut que les autres voient. Entre camouflage et externalisation de l’intime tout le monde se connait sans vraiment se connaitre dans une sorte d’anonymat qui n’en est plus un. Néanmoins cet anonymat est suffisant pour justifier un sentiment d’impunité car on a l’impression que l’autre, également derrière son écran, n’existe pas vraiment puisqu’on ne le voit pas de chair et d’os. Oscar Wilde disait « c’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le 135

Clarence Edgard-Rosa in Ibid. Gabrielle Richard, « Elle va être traitée de pute » : la fille, la photo et la mauvaise réputation, Nouvel Obs, Rue 89, « The Conversation », 24 Octobre 2016 137 Linda Williams in Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008 138 Ortie in Ovidie, A quoi rêvent les jeunes filles ?, documentaire, 2015 136

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moins lui-même, donnez-lui un masque et il vous dira la vérité », sur Internet un pseudo suffit. Les utilisateurs de cet espace public immatériel adoptent un comportement, une identité différente du monde réel. Ces identités secondaires donnent droit à une virilité décomplexée et à un sexisme culturel notamment dans le milieu du jeu vidéo. LA VILLE NUMÉRIQUE : LE SEXISME DECOMPLEXÉ Malgré 49,4%139 de gameuses (femmes jouant aux jeux-vidéos), le sexisme semble enraciné dans les jeux-vidéos et ce jusqu’à l’industrie elle-même. C’est ce que dénonce Mar_Lard, gameuse, dans son article « Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier »140. Elle y évoque de nombreux problèmes au cœur même des jeux : le mode facile, débutant est nommé girlfriend mode (le mode petite-amie), les personnages féminins sont directement issus du monde de la pornographie avec des corps hypersexualisés, des tenues ultras sexy, des rôles d’objet sexuel, de femme en détresse, de petite fille faible… Le sexisme de l’industrie du gaming prend toute son ampleur lors des conventions où sont présentées les derniers jeux, les dernières consoles. Lors de ces évènements, les grandes marques font appel à des hôtesses déguisées (les babes), parfois même à des strip-teaseuses, dans le but d’attirer les joueurs. Ce sexisme se poursuit dans la communauté de gameurs où les membres au pseudo féminin sont régulièrement rappelés à l’ordre sur les différents forums et espaces de discussion via des insultes, du harcèlement sexuel, des menaces de viol. L’espace public numérique fonctionne donc sur les mêmes mécanismes que l’espace urbain, exacerbés par l’illusion de l’anonymat. Les participants justifient ces comportements en remettant en cause la légitimité de l’appartenance des femmes à leur communauté, elles ne savent pas de quoi elles parlent car elles ne savent pas jouer, elles n’ont pas lu la version originale de Tolkien, elles ne comprennent pas vraiment les références de cette série… Ces justifications sont celles du mansplaining, qui s’exprime sur internet sans filtre et se fait culture. Si les outils de domination de la parole restent les mêmes, le cyberharcèlement quant à lui se différencie du harcèlement de rue car ces comportements sont connus de toute la communauté Internet. En effet, 79,3% pensent 139

Chiffre du CNC 2013 in Marion Huysman, Sexisme : les gameuses, harcelées ou moquées, Nouvel Obs, Rue 89, 5 Mars 2017 140 Mar_Lard, Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédie, cafaitgenre.org, 16 Mars 2013

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que le sexisme est proéminant dans la communauté du jeux-vidéo, hommes et femmes confondus141. Dans la même étude, on remarque que 67,5% des femmes ont déjà caché ou menti sur leur genre dans un jeu pour éviter d’attirer l’attention et d’être harcelée contre 5,8% des hommes. Ces derniers expliquent leur réponse par le fait qu’ils aiment jouer avec des personnages féminins, s’ils s’identifient en tant qu’hommes, ils sont harcelés de la même façon que les femmes car ils ne respectent pas la norme de la masculinité. Les femmes, mais également les membres des communautés LGBTG sont donc exclus de ce monde car ils ne correspondent pas à la classe dominante du « jeune homme blanc cis-hétéro142 vaguement cynique »143. Cependant, si ce cyberharcèlement est connu de tous, c’est parce qu’il est autrement plus public, l’exemple d’Anita Sarkeesion en est éloquent. Cette féministe américaine spécialisée dans la pop culture a voulu s’attaquer aux représentations genrées dans les jeux-vidéos et a été prise pour cible par la communauté entière dans un cyberharcèlement coordonnées, à la manière d’un jeu de rôles en ligne sur tous les réseaux sociaux disponibles aux conséquences bien réelles. Des milliers de commentaires haineux, de menaces dans « un véritable éventail de haine misogyne, homophobe, antisémite, raciste, anti-féministe etc. »144 ont été postés sous ses vidéos, en parallèle, sa page Wikipédia a été vandalisée, son site internet rendu inaccessible, ses photos éditées et mises en lignes accompagnées de messages obscènes, des illustrations mettant en scène son viol par des personnages de jeux vidéo ont été diffusées, ses données personnelles (adresse et numéro de téléphone) ont été hackées, et même un jeu en ligne a été créé permettant de la frapper virtuellement au visage. Ces attaques ont perduré durant des mois, tentant de la décrédibiliser afin qu’elle quitte le monde digital. Cet exemple est particulièrement impressionnant, mais des milliers d’autres internautes sont également victimes de cyberharcèlement, selon l’observatoire des droits de l’internet, un jeune européen sur trois avoue en avoir été victime et un jeune sur cinq

141

Emily Matthew, Sexism in Video Games [Study]: There Is Sexism in Gaming, blog.pricecharting.com 6 Septembre 2012 142 « cis-» de cisgenre : dont le genre correspond au sexe biologique 143 Mar_Lard, Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédie, cafaitgenre.org, 16 Mars 2013 144 Ibid.

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déclare en avoir été l’auteur.145 Cette pratique née avec Internet montre comment les comportements sexistes, loin d’avoir disparus, se sont déplacés vers la ville numérique, avec la particularité de revendiquer une domination masculine assumée. De la même manière, les sexualités ont évolué, avec la pornographie de la ville numérique, elles ont pris une forme décomplexée, « le sexisme est devenu sexy »146. Les rôles de sexe n’ont pas changé, les normes se sont simplement déplacées : ce qui était tabou hier est devenu obligatoire aujourd’hui, la fée du logis plébiscitée par la génération précédente a été remplacée par la prostituée de son homme. Les stéréotypes prennent une forme aux apparences plus libérée mais la domination masculine est toujours la même. La pornographie n’est pas la cause mais bien un effet de cette société régie par l’hétérosexisme qui cautionne les violences faites aux femmes et aux communautés lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles et queers (LGBTG). Cette domination de l’espace public urbain étendu à l’espace public numérique fonctionne sur la crainte comme nous avons pu le voir, notamment sur la crainte du viol, soit la crainte de la sexualité masculine toute puissante. Mais qu’en est-il de la sexualité féminine ? Sachant que les femmes ne possèdent pas leur propre corps, il est évident que leur sexualité leur échappe également. Le documentaire d’Ovidie confirme cette théorie, la sexualité des femmes est contrôlée, elle doit s’effectuer dans le cadre du couple hétérosexuel et répondre aux pratiques normées du moment. A la fois mère et « pute », si elle sort du cadre du couple, il ne reste que la « pute »147. Or cette dernière est à bannir de la société, en témoignent les statistiques, entre 2010 et 2012 « les termes « salope » et « pute » [ont représenté] à eux seuls 37% des insultes proférées contre des femmes dans l’espace public »148. La prostituée est haïe de tous, c’est le cauchemar de tous les parents. LA PROSTITUTION, OUTIL DE LA DOMINATION Selon la définition du Larousse, la prostitution se définie comme étant « l’acte par lequel une personne consent habituellement à pratiquer des rapports sexuels avec un 145

Observatoire des droits de l’Internet in Morgane Blacher, Emilie Combaropoulos, Dossier sur le cyber harcèlement 2012-2013, Cultures Numériques reMasterisées, ICOM Lyon 2, 2013 146 Ovidie, A quoi rêvent les jeunes filles ?, documentaire, 2015 147 Clarence Edgard-Rosa in Ovidie, A quoi rêvent les jeunes filles ?, documentaire, 2015 148 Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes n°8, Novembre 2015, p.8

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nombre indéterminé d'autres personnes moyennant rémunération », une seconde définition est possible : « action de prostituer, d’avilir, de dégrader quelque chose de respectable »149. Ce double-sens est révélateur, la prostitution est une activité jugée dégradante par définition. Or, il s’agit de la forme de sexualité la plus publique qui soit puisque c’est dans l’espace public qu’elle prend place, la prostitution serait donc dégradante car elle est publique ? Pourtant, la ville est désirs, elle est recouverte d’images provocatrices, le sexe est partout, ce n’est donc pas le seul fait que la prostitution soit publique qui la rend si insupportable, c’est parce que la prostitution rend publique la sexualité des femmes. En effet, d’après une étude de l’association du Mouvement du Nid, en 2015 85% des personnes prostituées en France sont des femmes, 10% des hommes, 5 % des transgenres150, il s’agit donc d’une activité essentiellement féminine. La prostituée, c’est la femme publique, c’est la femme qui travaille en pleine rue, qui « fait le trottoir ». Elle est « pute », elle est insulte et synonyme de déshonneur, de honte. Symétriquement, la prostituée est toujours une victime, comme toutes les femmes, et sur toutes les chaînes on voit des reportages montrant des femmes étrangères, réduites à l’état d’esclaves, obligées de vendre leur corps dans des conditions inhumaines. Et en effet, parmi les femmes mises en cause pour racolage, 93% sont de nationalités étrangères151. Une femme ne peut pas faire le choix de se prostituer, c’est impossible, elle y est obligatoirement forcée car, comme son corps, sa sexualité ne lui appartient pas, à ce titre elle ne peut pas la vendre. C’est un homme, un mac, qui s’approprie son corps et en retire des bénéfices. Mais si la prostituée est toujours une victime, il est intéressant de noter que ses clients, eux, sont des hommes normaux et peuvent être n’importe qui. Si certains réseaux de prostitution relèvent réellement du commerce d’êtres humains, ils ne représentent pas la totalité du monde de la prostitution. En effet, Virginie Despentes, dans son livre King Kong Theory152, évoque une prostitution occasionnelle, très répandue et dont les travailleuses ne sont pas forcément des filles désespérées. Cette prostitution est invisible car, si elles révélaient tout, les prostituées risqueraient de 149

Prostitution - Définition du Dictionnaire Larousse en ligne Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, Chiffres-clés Edition 2017, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, 2017 151 Ibid. 152 Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset & Fasquelle, « Le livre de Poche », 2006 150

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tout perdre, pourtant elle existe bel et bien, aux yeux de tous, dans une grande hypocrisie. En évoquant sa propre expérience, Virginie Despentes explique comment les femmes peuvent trouver une certaine liberté dans la prostitution. Le sexe hors couple ne leur appartenant pas, l’argent devient une bonne raison, il justifie leur pratique du sexe sans sentiment. Alors que la sexualité des jeunes filles doit absolument dépendre de l’amour qu’elles portent à leur partenaire, la prostitution propose une alternative en remplaçant l’amour par l’argent ce qui permet aux prostituées de se libérer du contrôle social. Pour la société, le sexe sans amour est dégradant, mais uniquement pour les femmes, les hommes étant exempts de ce contrôle social et soumis à un contrôle inverse : celui de l’hypervirilité. Les prostituées possèdent leur propre sexualité, comme les hommes. Pour l’écrivaine, cette expérience de contrôle de sa propre sexualité lui a permis d’exorciser, en quelque sorte, son viol : si elle pouvait vendre son corps à des tarifs toujours plus élevés à chaque fois, c’est qu’elle avait de la valeur et que cette valeur ne diminuait pas à chaque relation sexuelle, bien au contraire153. Par l’échange prostitutionnel, elle a pu retrouver la propriété de son corps et de sa sexualité. Un bilan plutôt positif comparé au cauchemar présenté dans les médias et aux mises en garde des bonnes mœurs. La société entière véhicule l’idée que la sexualité masculine est dangereuse, violente pour les femmes, il est donc impossible d’imaginer que des femmes correctes puissent en tirer des bénéfices puisqu’elles sont des victimes en puissance, le seul comportement autorisé est la culpabilité. La prostituée reste une figure peu enviable. Elle est repoussée vers les périphéries, les bois, aux confins de l’espace public. Les villes font tout pour s’en débarrasser, pour les éloigner, les cacher dans leurs campagnes. En les éloignant, c’est la sexualité que l’on essaie de pousser hors de cette ville paradoxalement faite de désirs, mais surtout de désirs inassouvis. La prostituée propose un service qui semble plébiscité par toute la société, mais en réponse elle reçoit du mépris. Pour Virginie Despentes, les hommes méprisent ce qu’ils désirent ce qui rend leur soulagement impossible. La prostituée est donc le pur produit de la société de consommation, fonctionnant sur un modèle de réponse à un besoin. La ville suscite l’excitation mais ne propose aucune solution, aucun moyen de réaliser ces désirs qu’elle a pourtant créé. La prostituée, elle, propose l’assouvissement immédiat dans le centre même de la production du désir. Ce 153

Ibid. 65


contrat concurrence le contrat marital dans lequel « comme le travail domestique, l’éducation des enfants, le travail sexuel féminin doit être bénévole »154 et le fait apparaitre pour ce qu’il est : un « échange économico-sexuel »155 légalisant l’appropriation du corps d’une femme. La prostituée n’est donc pas différente d’une femme et ses droits sont ceux de toutes les femmes. Pour Gail Pheterson, les concepts mêmes de « prostitution » et de « prostituée » sont des instruments sexistes du contrôle social puisque toutes les femmes peuvent être suspectées d’être des putains et ainsi être disqualifiées de la société156. Les femmes entretiennent donc un rapport de crainte avec la ville, la crainte du viol mais aussi la crainte de la mauvaise réputation qui sont les deux modes d’exclusion des femmes de la société. Cette crainte est présente partout et tout le temps, la crainte du viol se manifeste à son apogée dans l’espace public la nuit lorsque les femmes sont seules tandis que la crainte de la mauvaise réputation se joue en communauté mais, avec les réseaux sociaux, cette dernière a envahi l’intimité des femmes, les poussant à soigner leur image à toute heure. Cette angoisse touche toutes les femmes, elle diffère selon leur éducation, leur âge et leur classe social, « mais le processus de construction de la peur est le même »157 nous explique la sociologue Marylène Lieber. Clément Rivière, doctorant à l’Observatoire sociologique du changement, insiste, la question du genre « est transversale à l’espace urbain »158. La domination masculine assoit donc son pouvoir par un régime de la peur qui s’étend à la totalité des femmes, non sans conséquences sur les pratiques urbaines. Les pratiques de la ville sont donc empreintes de la sexualité masculine, les espaces ne sont pas neutres mais bien sexués. Et même si les femmes ont des pratiques de la ville plus complexes que les hommes, de par leur double rôle de femme active et de responsable de la bonne tenue du foyer, elles ne s’approprient pas l’espace urbain. Ce constat fait écho aux paroles de Chris Blache, sociologue et ethnologue co-auteure de

154

Ibid. p.76 Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008, p.65 156 Gail Pheterson, trad. par Nicole-Claude Mathieu, Le prisme de la prostitution, Paris, Harmattan, « Bibliothèque du féminisme », 2001 157 Marylène Lieber in Fanny Arlandis, La rue, fief des mâles, Le Monde Culture et Idées, 4 Octobre 2012 158 Clément Rivière in Ibid. 155

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Giulia, SCIENTWEHST, New-York (US), 22 Mars 2017, © Instagram

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l’ouvrage Des femmes réinventent la ville. Dix ans de parcours filles-femmes159, qui déclarait sur France Inter « l’espace public, les hommes l’occupent, les femmes s’y occupent ». On pourrait ajouter encore « les hommes le construisent », car si nos villes ne sont pas adaptées aux femmes, c’est qu’aucune d’entre elles n’a participé à sa conception. Et même si, aujourd’hui, la profession tend à se féminiser, la question de l’égalité en matière de genre reste totalement absente du cursus des urbanistes et architectes destinés à concevoir les villes de demain. Cette absence se fait ressentir dans le vocabulaire des architectes et dans leur travail où le cocon intérieur est obligatoirement féminin, s’opposant aux gratte-ciels phalliques (voir ci-contre). Pourtant les Ecoles d’Architecture et les Facultés d’Urbanisme enseignent qu’il ne peut y avoir de bons projets sans prise en compte des désirs et habitudes des citadins, on ne peut donc pas ignorer la manière dont les femmes vivent la ville et ce qu’elles y subissent si l’on souhaite accorder à tous le « droit à la ville » prôné par Henri Lefebvre en 1968.

SE REAPPROPRIER LA VILLE: MARCHES EXPLORATOIRES & AUTRES OUTILS

Se réapproprier la ville est une nécessité. C’est en reprenant leur place au sein de

l’espace public que les femmes pourront retrouver leur place politique et instaurer de nouveaux rapports sociaux, basés sur l’égalité afin d’exercer leur citoyenneté et retrouver leur liberté. Les enjeux de la place des femmes dans la ville sont donc ceux de la démocratie. Cette réappropriation de l’urbain passe par plusieurs mécanismes : en premier lieu participer à rendre les femmes plus visibles dans l’espace public afin de rendre leur présence légitime aux yeux de tous, ensuite lutter contre le sentiment d’insécurité ressenti par les femmes en particulier la nuit puis, enfin, prendre en compte la parole féminine dans l’élaboration de la ville, l’intégrer dans le processus de l’aménagement public. Pour se faire, de nombreuses villes et associations ont opté pour des campagnes de sensibilisation et les marches exploratoires.

159

Chris Blache in Des femmes réinventent la ville. Dix ans de parcours filles-femmes, Comité Metallos (s.l.d.), Paris, Les Petits Matins, 17 Mars 2014

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LES NOUVEAUX OUTILS DE LA VILLE AU SERVICE DE LA DEMOCRATIE « Tenir une place, battre le pavé. Là, dans la rue, on se réapproprie la politique, on réinvente la démocratie. Là, on s’affronte, on fait peuple, on s’éprouve citoyen. »160

Issues d’initiatives de citoyennes féministes au Canada dans les années 1980, les

marches exploratoires consistent à arpenter l’espace urbain, le plus souvent en nonmixité, afin d’affronter la violence urbaine en groupe. Ces marches ont également été l’occasion, pour ces groupes de femmes, de produire une réflexion sur les inégalités dans l’espace public en pointant du doigt ce qui représentait, pour elles, des disfonctionnements. Ces constats ont été entendus et intégrés aux politiques de la ville, menant à des résultats concrets notamment au Québec avec, par exemple, la mise en place de l’arrêt à la demande dans les bus de nuit pour permettre aux passagères de s’arrêter et descendre à tout moment, et au plus près de leur destination. Leur démarche participative, en plus d’améliorer la qualité de leur ville, a permis de réintégrer la voix des femmes dans les décisions politiques concernant l’urbanisme. Les marches exploratoires ont donc fait leurs preuves outre Atlantique et se multiplient aujourd’hui à travers le paysage français. Depuis les années 2000, des expériences de marches exploratoires ont lieu, surtout dans les grandes villes comme Paris ou Lille, et ont conduit à l’élaboration du Guide méthodologique des marches exploratoires161, qui donne des directives destinées aux politiques de la ville quant à l’élaboration d’un diagnostic partagé issu d’une enquête de terrain. Ce guide met l’accent sur le fait que ces marches, outre la réappropriation de l’espace physique et symbolique, permettent de rendre les femmes actrices dans la fabrique de la ville mais également actrice de leur propre sécurité dans une démarche d’empowerment162 individuel et collectif qui participe à la lutte contre la marginalisation, l’auto-exclusion des femmes pour des raisons sécuritaires. Il montre comment le processus de suivi, du terrain jusqu’à la concrétisation des solutions, va permettre aux femmes de devenir des citoyennes actives, des « actrices sociales efficaces »163 capables d’autonomie.

160

Noémie Rousseau, Analyse : La ville encore trop mâle famée, Libération, 6 Mai 2016 Secrétariat général du Comité interministériel des villes, Guide méthodologique des marches exploratoires, des femmes s’engagent pour la sécurité de leur quartier, CIV, 2012 162 Ibid. p.8 163 Ibid. p.9 161

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En septembre 2014, le 4ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes confirme le succès de ces expériences en annonçant une expérimentation nationale, confiée à l’association France Médiation qui a pris fin en janvier 2016. Douze villes étaient concernées et l’expérimentation a été suivie conjointement par le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes et le Ministère de la Ville, dans un exemple d’intégration de la question du genre dans la réflexion urbaine. Cette expérimentation a permis de donner de la valeur aux femmes, non seulement en tant qu’actrices mais en tant qu’expertes de la ville : « Le regard des habitant-e-s est précieux, car leur pratique quotidienne de ces espaces leur confère un savoir particulièrement utile à la construction et à l’adaptation de la ville. En cela, leur expertise est tout aussi légitime que celle des professionnels. »164 Cette valorisation a engendré chez ces femmes un élan de citoyenneté avec une volonté nouvelle de s’investir dans leur quartier, de sortir de chez soi, de s’ouvrir aux autres avec une motivation renouvelée ce qui leur a permis de changer la perception qu’elles-mêmes et leur entourage avaient de leur rôle dans la société. Néanmoins ces marches exploratoires restent extrêmement dépendantes de la volonté des élu•e•s et de leur sensibilisation à la démarche participative notamment sur le long terme, le but de cette expérimentation étant d’instaurer « une dynamique durable de concertation entre les habitant•e•s et les acteurs locaux. »165

Les marches exploratoires s’intègrent à un principe plus large de gender

mainstreaming ou « approche intégrée de l’égalité »166 qui consiste à prendre en compte de manière systématique la problématique du genre à tous les niveaux et dans tous les domaines de décisions. C’est la ville de Vienne qui donne l’exemple en intégrant la question de l’égalité en genre dans tous les projets d’aménagement urbains. Pour l’urbaniste néerlandaise, Lidewij Tummers, le constat est positif puisque « les résultats montrent [que les projets pilotes de gender mainstreaming] offrent de meilleurs cadres de vie non seulement pour les femmes, mais pour tous les habitants de la ville. Mais ce

164

France Médiation, Quand les femmes changent la ville, Rapport de l’expérimentation nationalede marches exploratoires, 20 Septembre 2016 165 Ibid. p.12 166 Catherine Vincent, Sexisme and the city, Le Monde Culture et Idées, 22 Octobre 2015

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constat a très peu pénétré le domaine de l’urbanisme »167. En effet, les acteurs de la ville restent en grande majorité des hommes qui perpétuent, de manière inconsciente, la tradition de la ville androcentrée en réduisant les besoins des femmes à ceux des mères. En effet, si 5 000 communes françaises ont décidé d’éteindre l’éclairage public entre minuit et 5 heures du matin sans penser au sentiment d’insécurité ainsi provoqué chez les femmes, les décideurs de la ville n’ont pas oublié de placer les crèches à proximité des lieux de travail majoritairement féminins et des couloirs à poussettes168. L’éthique du care reste donc le mode de représentation privilégié des femmes, automatiquement perçues comme des mères en puissance tandis que des décisions favorisant les hommes apparaissent comme neutres. On peut prendre l’exemple soulevé par le géographe Yves Raibaud qui évoque le problème des nombreuses femmes « qui regrettent qu’on éteigne de bonne heure les éclairages de rue pour faire des économies, quand on éclaire abondamment des stades, considérés comme nécessaires à l’attractivité des métropoles et fréquentés uniquement par des hommes »169. L’argument économique et écologique est donc discutable puisqu’il justifie des mesures prises à l’encontre du bien être des femmes et devient caduque lorsqu’on l’applique aux pratiques masculines de la ville. LES LIMITES DE CES OUTILS ET LA SUBVERSION DU GENRE

Plus concrètement, les marches exploratoires ont permis de mettre en évidence

des dysfonctionnements dans la ville contemporaine qui participent au sentiment d’insécurité ressentie par les femmes mais aussi des solutions afin de rendre l’espace urbain plus agréable pour tous mais également plus fonctionnel, plus pratique et adapté aux schémas de déplacement complexes des femmes. Ces solutions ont pris la forme d’ambiances de couleur, d’éclairage modulable proposant des alternatives à la réponse automatique « ultrasécuritaire »170 mais concernent aussi la propreté des rues, associée à l’angoisse dans le discours esthétisant des bordelaises dans l’étude de Guy Di Méo, la signalisation et les transports que les utilisatrices souhaitent plus modulables et accessibles. Cependant, et ce même si la plupart de ces mesures ne sont pas 167

Lidewij Tummers in Catherine Vincent, Sexisme and the city, Le Monde Culture et Idées, 22 Octobre 2015 168 Fanny Arlandis, La rue, fief des mâles, Le Monde Culture et Idées, 4 Octobre 2012 169 Yves Raibaud in Catherine Vincent, Sexisme and the city, Le Monde Culture et Idées, 22 Octobre 2015 170 Marylène Lieber in Ibid.

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particulièrement coûteuses, elles ne sont pas systématiquement adoptées pour des raisons économiques, ces démarches n’étant pas prioritaires aux yeux des communes. Ces marches se sont accompagnées de différentes mesures prises par les collectivités afin de rendre les femmes plus visibles dans l’espace urbain, par exemple, la mairie de Paris a pris l’initiative de féminiser les équipements publics comme les arrêts de tramway en leur choisissant des noms de femmes. En effet, Fatima Lalem, l’adjointe au maire chargée de l’égalité hommes-femmes se réjouit car "quand nous sommes arrivées à la mairie, seuls 3 % ou 4 % des équipements parisiens et des rues étaient dédiés aux femmes célèbres ; on est à plus de 13 % maintenant "171. Dans le même esprit, la ville du Caire en Egypte a dédié des rames de métro aux femmes, cependant, même si la tentative est louable, le fait d’accorder des mesures spécifiques aux femmes participent à leur exclusion. En leur accordant un « traitement de faveur » en fonction de leur genre, les décisionnaires en charge de la politique de la ville admettent traiter hommes et femmes différemment ce qui va à l’encontre du principe d’égalité. On remarque donc que, si la question du genre dans la ville est soulevée, les réponses n’en sont pas moins incertaines, témoignant d’un manque de connaissances et de sensibilisation à ce sujet.

En effet, l’outil architectural et urbain, même s’il est optimisé par la concertation

et pratiqué au plus près des besoins des habitants de la ville a ses limites. On le voit particulièrement au niveau des violences domestiques, pour lesquelles les urbanistes ne peuvent rien. Repenser l’espace public en incluant tous les usagers est nécessaire, mais ne suffit pas. La domination masculine des espaces publics de la ville mais aussi de la parole, est profondément enracinée dans notre culture, nos modes de vie, notre éducation. C’est donc là qu’il faut agir, à l’origine de l’inégalité : dans notre perception du genre. Comme expliqué précédemment, le genre est une construction sociale, il est le fruit de rapports sociaux complexes dans un contexte historique et géographique donné. Le genre profite de la différence sexuelle biologique pour en faire une inégalité dont le masculin tire bénéfice. De cette inégalité naît la domination : le masculin tire son pouvoir de la soumission du féminin, légitimant l’inégalité. La domination masculine instaure un système naturalisant le genre, le confondant avec le sexe afin d’éviter toute remise en question, justifiant l’oppression, Monique Wittig dira même que « c’est

171

Fatima Lalem in Fanny Arlandis, La rue, fief des mâles, Le Monde Culture et Idées, 4 Octobre 2012

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l’oppression qui crée le sexe »172. Le bon genre est donc associé au bon sexe, et à la bonne sexualité, celle qui mène à la reproduction, c’est à dire l’hétérosexualité. Un enfant né de sexe masculin est identifié comme garçon, puis comme un homme et devra, pour faire partie de la société, avoir des relations sexuelles avec des femmes. Ces comportements normés sont les bases du contrôle social instauré par la domination masculine. C’est donc le genre, cette illusion intégrée par tous, qui doit être déconstruit, subverti afin d’arriver à mettre en place un ordre réellement démocratique basé sur l’égalité et permettant la liberté de ses membres.

Nous avons vu que le genre se performe, il se joue, comme un rôle théâtral. Dans

son livre Trouble dans le genre, Judith Butler explique que cette performance n’a pas d’authentique, elle n’est que copie et répétition et la performance d’une Drag Queen, dans toute son extravagance, n’est pas moins vraie que le spectacle « être un homme » ou « être une femme » que nous performons chaque jour. Les performances de la masculinité et de la féminité sont complexes, elles comprennent des performances dominantes et des sous-performances. Par exemple, la performance de la masculinité dominante est lisse et neutre tandis que les masculinités subalternes quant à elles sont caricaturales (image du rappeur noir…). Cette hiérarchie instaure un jeu de copie, de parodie, de répétition des performances des dominés qui s’évertuent à ressembler au dominant présenté comme le modèle authentique. Mais le genre est une parodie sans original et il n’existe pas d’authentique, ce jeu de rôle existe uniquement dans le but de tenir les dominés loin du pouvoir, trop occupés à jouer le jeu de la performance du genre. Tout comme le genre, les termes « l’Homme », « la Femme », « l’hétérosexualité », « l’homosexualité » n’ont pas de réalité objective, ils existent uniquement dans ce rapport de pouvoir. Le discours de la subversion s’appuie sur ce constat pour remettre en cause ces rapports de pouvoir, les termes peuvent être remplacés il est donc inutile de les changer ou de les abandonner. Pour parvenir à bouleverser l’ordre établi il faut « aboutir, soit à une mutation des sexes, tels qu’ils deviennent interchangeables, méconnaissables et donc inédits, soit à leur diffraction, à leur multiplication »173, tranchant ainsi avec la dichotomie naturalisée du couple binaire masculin/féminin. Par ces modes de subversion, il devient évident pour tous que les sexes ne sont pas naturels 172

Monique Wittig, trad. par M.-H. Bourcier, La pensée straight, Paris, Balland, 2001, p.76 Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008, p.131 173

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mais bien des constructions sociales. Ainsi privés de sa légitimité, le concept de genre devient caduc et les identités apparaissent pour ce qu’elles sont : des performances.

Le sexe, le genre et la sexualité forment la base pyramidale sur laquelle repose

notre société actuelle. Ces trois paramètres sont à l’origine de la discrimination sexuelle, donc si le genre est remis en cause, l’équilibre est perdu et cette base s’écroule. Cependant, ce n’est pas aussi simple que cela. En effet, la subversion du genre ne peut mettre fin au système d’oppression car ce dernier est le fruit de l’intersectionnalité174 de plusieurs modes oppressifs (de sexualité, de race, de nationalité, de religion, de classe…) qui structurent la domination même et affaiblissent la résistance. Le sexisme n’est donc pas « le seul rapport de pouvoir transversal à toutes les femmes, quelles que soient leur classe, leur sexualité, leur couleur, leur religion, etc »175, il est à mettre en lien avec la discrimination raciale et à la pathologisation des immigrés car ces oppressions fonctionnent de concert, elles ne peuvent être remises en cause une par une . Par exemple, lorsque les femmes ont lutté pour le droit de vote aux Etats-Unis, les femmes noires n’ont pas été inclues, bien au contraire, c’est même leurs privilèges de blanches qu’elles ont fait valoir. Avant d’être femmes, elles étaient noires mais même parmi la population noire elles restaient femmes, elles subissaient donc une double stigmatisation et donc une double invisibilisation. Les femmes noires subissent un sexisme qui n’est pas comparable au sexisme subi par les femmes blanches ou au racisme subi par les hommes noirs : elles ne subissent pas juste l’oppression raciale additionnée à l’oppression sexiste, elles subissent un sexisme racialisé à l’intersection de ces deux modes oppressifs. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaitre des mouvements comme le Black Feminism qui ne prônent pas les mêmes valeurs et combats que ce que l’on pourrait appeler le White Feminism, le féminisme connait autant de courants et d’idéologies différentes qu’il y a de femmes dans le monde. Le propre de l’intersectionnalité des oppressions c’est que la lutte d’une oppression sert une autre. La chercheuse Lucile Biarrotte met en garde : « Il faut prendre garde à l’instrumentalisation du projet. Les femmes peuvent être utilisées pour légitimer un discours sécuritaire, faire le ménage sur l’espace public, chasser les SDF, les bandes de 174

Kimberlé Williams Crenshaw, Cartographie des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur, 1994, Les cahiers du genre, n°39, 2005 175 Elsa Dorlin, Sexe, Genre et Sexualités, op. cit., p.84

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jeunes d’origine étrangère qui bloquent l’entrée des immeubles »176. La lutte pour le droit des femmes à la ville se mue alors en une véritable chasse aux sorcières, la situation des femmes dans l’espace public devient un prétexte pour justifier les modes d’oppression de classe et de race : le débat contre le sexisme sert la pathologisation des immigrés comme on a pu le voir récemment dans le reportage Dossier tabou : le harcèlement sexuel, les femmes n’en peuvent plus177 diffusé sur M6 le dimanche 01 octobre 2017. En effet, si le documentaire commence en dénonçant les comportements sexistes et le harcèlement sexuel du lycée au travail en passant par la rue, on s’aperçoit rapidement que les témoignages sont en grande majorité issus de lycées et collèges de ZEP (Zone d’Education Prioritaire). On y voit de jeunes filles qui n’osent pas porter de jupes à cause du regard et du comportement déplacé et insultant des hommes, le constat s’oriente vers les jeunes comme si le phénomène était nouveau. En deuxième partie de documentaire, on ne voit plus que de jeunes hommes d’origine maghrébine prôner le port du voile et le parallèle avec l’islam est vite fait, la lutte pour les droits des femmes est invisibilisé et sert l’islamophobie. En dernière partie de l’émission, on voit des images de camps de réfugiés mêlées aux témoignages de femmes agressées et violées, le quotidien subi par les femmes est occulté par la sexualité de l’homme étranger bestialisé. Pourtant on sait bien que les problématiques des femmes sont transversales et concernent toutes les femmes, peu importe leur origine, leur éducation et leur classe sociale. Lucile Biarrotte explique ce report d’attention : « C’est plus facile de dénoncer le sexisme chez les oppressés, les classes populaires de l’autre côté du périph, que dans les lieux de pouvoir. »178, inconsciemment, sur le même mécanisme que la domination masculine, la mise en lumière des problématiques liées à l’oppression des femmes renforce la domination de classe et l’oppression raciale.

176

Lucile Biarrotte in Noémie Rousseau, Analyse : La ville encore trop mâle famée, Libération, 6 Mai 2016 177 Valérie Rouvière et Bernard de la Villardière, Dossier tabou : le harcèlement sexuel, les femmes n’en peuvent plus, Paris, M6, « Dossier Tabou », 01 Octobre 2017 178 Lucile Biarrotte in Noémie Rousseau, Analyse : La ville encore trop mâle famée, Libération, 6 Mai 2016

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CONCLUSION

Suite au constat d’une domination masculine de la société, nous avons tenté

d’identifier comment cette domination assoit son pouvoir sur les femmes. Pour cela nous avons étudié les manifestations de ce système d’oppression, des plus violentes aux plus anodine. Pour traiter ces différents cas, nous avons pris le parti d’étudier dans un premier temps les manifestations de la domination masculine sur la voix publique, l’espace de la parole afin d’en comprendre les mécanismes puis dans un second temps nous avons analysé comment cette domination influence les pratiques urbaines et se manifeste dans l’espace publique de la ville. La domination masculine repose sur une myriade de petites choses, de microdécisions, de petits instants auxquelles nous sommes tous si habitués que nous les avons intégrées. Ces mécanismes sont très nombreux, dans ce travail nous avons tenté d’en traiter le maximum, en dégageant les outils principaux de ce système d’oppression. Ainsi la domination masculine utilise le genre, le naturalise pour créer un système binaire à l’hétérosexualité obligatoire où les hommes représentent la classe dominante, les femmes les dominés et ceux qui ne rentrent pas dans ce cadre sont exclus de la société. Le premier outil de cette domination est le langage qui instaure un système de domination masculine de la parole que tous les individus alimentent. Ce système glorifie des stéréotypes, des images de la masculinité et de la féminité qui se propagent par les médias pour ensuite être incorporés par tous. Une fois incorporés, ces représentations apparaissent comme naturelles et rendent la domination masculine légitime. Cette incorporation est une performance des rôles de sexe imposés, elle est le moyen par lequel les rapports de pouvoir parviennent à contrôler les corps. Ainsi, le corps féminin devient propriété publique, soumis aux impératifs populationnistes mais certains courants artistiques et féministes travaillent à cette réappropriation du corps. Les corps ainsi genrés, contrôlés, amènent la domination masculine dans la ville. L’espace lui-même est alors sexué, le genre se spatialise. Les stéréotypes influencent la ville et prônent un intérieur féminin et une sphère publique masculine. Les pratiques urbaines sont infiniment plus complexes que cette binarité illusoire mais s’en trouvent modifiées en particulier les pratiques féminines, restreintes par des « murs invisibles ». Ces murs sont ceux de la peur, de la crainte de la sexualité masculine qui détruit et de la

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mauvaise réputation qui exclue de la société. Les sexualités sont donc au cœur de l’espace public et des enjeux de pouvoir, ils contrôlent les corps les uns par rapport aux autres afin d’annihiler toutes possibilités de rébellion. L’espace public évolue avec la société et s’étend aujourd’hui de manière immatérielle, c’est la ville numérique. Ce nouvel espace a la particularité d’exacerber tous les codes du contrôle social. Mais pourtant, certains outils se mettent en place pour permettre aux femmes de se réapproprier l’espace publique et par la même remettre en cause le patriarcat. Si les outils politiques, architecturaux et urbains sont efficaces, ils ont leurs limites : c’est bien le genre qu’il faut déconstruire, subvertir pour se libérer complétement du système d’oppression en cours. Cependant, le genre n’est pas le seul mode d’oppression, il fonctionne de concerts avec l’oppression raciale, de classe, religieuse etc. Ces modes d’oppression semblent fonctionner sur le même modèle de naturalisation d’une image modèle et d’exclusion des individus ne correspondant pas. De multiples travaux et études sont en cours à ce jour traitant de ce sujet de l’intersectionnalité des oppressions et des outils de sa subversion.

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ANNEXE - QUESTIONNAIRE EN LIGNE ÊTRE UNE FEMME DANS L’ESPACE URBAIN : VOTRE EXPÉRIENCE Sondage réalisé auprès des étudiantes inscrites à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier entre Mai et Septembre 2017 via un questionnaire en ligne. Sur 666 étudiantes, 195 ont répondu. Les témoignages suivants ont été corrigés et rendus anonymes. Être une femme dans l’espace urbain : votre expérience

« Ma première expérience de ce genre de comportement a commencé à 12 ans, un homme m'a donné une accolade et m'a posé tout un tas de question (comme où j'habite). J'ai aussi été interpelée (ou devrais-je dire invitée à avoir des rapports sexuels) alors que je téléphonais à mon balcon dehors... »

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« C'était souvent les mêmes qui traînaient pas loin de mon immeuble, mais rien de bien méchant ! » « Un homme insistant s'est arrêté alors que je marchais le long d'une route, il était en voiture et s'est arrêté devant moi, il est descendu, j'ai mis 20minutes pour m'en débarrasser, j'vais 16 ans il devait en avoir 35, il voulait aller boire en verre, j'ai eu peur la route n'était pas tellement fréquentée. » « Main au fesse en prétendant ne pas avoir fait exprès, il rigole. Moi non » « Les remarques sont sur mes cheveux ou ma taille, ce ne sont pas des remarques vraiment déplacées sur le fait que je sois une femme » « Peu importe comment je suis habillée et souvent c'est même plus quand je suis en tenue de sport je me fais interpeller le plus souvent dans la rue menant à chez moi j'ai dû auparavant déménager car un caissier de mon quartier m'importunait fortement et cela en devenait inquiétant je ne pouvais plus faire les courses ou passer devant le magasin sans me faire interpeller. De même sur ma rue actuelle je me fais très souvent interpeller pour au début demander un renseignement pour que au final on me fasse des "compliments" et qu'on me demande mon facebook et quand je réponds que non la réponse c'est " ça va je suis gentil je vous ai respectée". » « Des remarques supplémentaires quand on ne répond pas » « Quand j'ai passé des garçons à vélo avec une robe » « Attouchement dans le tram, il y avait du monde, la personne s'est frottée contre moi » « J'ai été agressée il y a 6 ans dans un tram à l'heure de pointe, pas de séquelles physiques à part de jolis bleus sur les poignets, mais un moment très dur émotionnellement parlant. L'histoire s'est déroulée à Grenoble, je ne sais pas si ça compte pour ton étude. » « "Hey tu es jolie"; "Hey mademoiselle", en passant dans certains quartiers reculés, loin de la vue du monde. » « Un seul seulement ? Je vais partager la fois où j'ai vraiment flippé. J'étais à Montpellier. Je revenais du Carrefour de St-Clément à pied, de jour, parce que j'avais envie de faire un

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peu d'exercice physique. La route est pas très "piétonne-friendly", il n’y a pas foule, mais c'était pas la première fois que je la faisais à pieds. » « J'écoutais de la musique en rêvassant quand soudain un abruti en voiture a klaxonné très fort me faisant sursauter. Je me suis retournée, je le vois ralentir puis me faire des signes de la main. J'ai détourné mon regard et j'ai attendu qu'il continue son chemin. C'est là que plus loin je le vois faire demi-tour et repasser devant moi en faisant des remarques très fort par sa fenêtre ouverte. Je ne me souviens plus exactement de ce qu'il a dit. Probablement une version de : "hé la jolie, tu fais quoi toute seule ! Tu veux faire un tour ? Je te dépose ?". Il m'a dépassée une seconde fois, puis à nouveau je le vois faire demi-tour. J'ai attendu qu'il se rapproche pour traverser en courant (comme ça il est du mauvais côté.) J'ai continué à courir vers une résidence puis je me suis cachée derrière des poubelles. J'ai aperçu sa voiture faire demi-tour une dernière fois, s'arrêter avant d'enfin laisser tomber et continuer. Je suis tout de même restée un moment derrière les poubelles. » « Quand j'étais en 1ère je rentrais du lycée par le trajet habituel. Je précise que j'étais en survêtement de sport donc pas du tout attirante. Et là, un homme dans une voiture m'interpelle par un "oh mademoiselle" et en sifflant. Je ne le regarde pas et continue ma route. Il a démarré sa voiture et à commencer à me suivre. J'étais jeune à cette époque et proche de chez moi. J'ai donc accéléré le pas. Et j'ai vu la voiture passée très proche de moi. En ayant peur j'ai repéré une dame au loin et me suis dirigé vers elle pensant pouvoir trouver une aide. Et après lui avoir dit qu'un homme en voiture me suivait elle m'a répondu "changez de trottoir et ça ira". J'ai été choquée qu'une femme ne souhaite même pas m'aider. J'ai donc continuer mon chemin, seule étant à 5min de chez moi et là, j'ai repérée la voiture qui faisait demi-tour dans ma résidence et se dirigeait vers moi. Je me suis réfugiée derrière un arbre et j'ai téléphoné à ma mère pour qu'elle vienne me chercher. Ce jour-là j'ai vraiment ressenti une peur profonde qui m'a paralysée pendant 1 an pour ce trajet pour rentrer du lycée. Et le fait qu'à ce moment la personne n'ait pu m'aider m'a également atteinte. » « Deux lesbiennes dans le tram qui se sont faites insulter après avoir demandé à un groupe d'individus de parler moins fort dans le tram. Ça a tourné en blague mais personne d'autres du tram n'a réagit ! »

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« Un homme à qui j'ai refusé de donner mon numéro, m'a dit "au revoir" en m'embrassant et me léchant la joue » « Marcher dans la rue sans demander rien à personne et se faire alpaguer par un groupe de 4 hommes. Des regards, des remarques sur le physique puis des insultes quand je les dépasse et les ignore. » « C'est gratuit et extrêmement énervant. » « J'ai une manière de penser très ouverte qui se remarque à ma manière de m'habiller. C'est à dire sexy mais pas vulgaire, bobo, originale du coup face à ça, on a des remarques du styles "mais regardes comment elle est habillée " parce que ce jour-là, à leurs yeux je ne suis pas à la mode comme je devrais l'être. Enfin voilà ce genre de remarques » « Très pénible quand on veut se balader librement. » « Un jour je me rendais au tram à côté de chez moi, lorsqu'un homme me demande l'heure, je lui réponds et continue ma route, l'homme me rattrape et me demande "et dit ça te dirait pas de tirer un petit coup ?", j'ai répondu "non" et l'homme insiste en me disant "allez, tu sais pas ce que tu rates", j'ai re-répondu non et l'homme m'a laissé partir sans insister d'avantage. » « Ce gars de 16ans à peine, passager d'une vieille twingo, qui te hurle "T'es bonne sale conne" ponctué d'un doigt d'honneur, sous les rires du conducteur qui ralentit exprès. » « C'est devenu une habitude. Tu le sais, tu vas passer et tu vas te prendre une remarque, peu importe ton style ou ta coiffure, même en pyjama avec une chapka ça marche. Après les remarques sont banalisées et ne donnent pas *quelques rares fois seulement* suite à une agression verbale. Le pire sont les transports en commun & les relous insistants. » « Autre les sifflements, les "compliments", la dernière en date : un mec qui vient vers moi me prend dans ses bras et me lâche un "eh! salut! comment tu vas? c'est moi Maxime", sauf qu’au bout de 2 seconde de discussions, je me suis aperçu que c’était une technique de "drague"... une de plus ! » « C'était l'été à Montpellier je portais une tenue légère (short débardeur) je marchais dans ma rue dans le centre-ville. Un mec qui marchait derrière moi m'a fait tomber en marchant sur ma chaussure qui s'est cassée et quand je lui ai demandé « qu'est-ce qu'il

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se passe ? » il m'a dit "vas te rhabiller sale pute" » « J'habite Faubourg Boutonnet donc une route à sens unique. En rentrant du sport vers 21h (j'avais un jean, des baskets et un chignon) avec mes écouteurs, une voiture s'est arrêtée à côté de moi et a baissé la vitre. En pensant qu'il s'agissait d'une personne qui cherchait son chemin je m'approche de la voiture et là un jeune d'origine arabe me demande si je ne voudrais pas qu'il me ramène ou si je peux juste lui donner mon numéro. Bien évidemment j'ai dit non et j'ai tout de suite reculé pour me remettre sur le trottoir en espérant qu'il n'insiste pas. Il n'a pas insisté et il a continué sa route. » « Ça fait longtemps, mais je marchais et d'un coup il y a un homme qui lâchement alors que je luis passer devant dit "Elle je la déboite" ou quelque chose de style. Mais je dois avouer que je ne fais pas vraiment attention, je préfère soit leur répondre direct et du coup ils sont étonnés et arrête tout de suite, mais cette fois-là c'était vraiment choquant et juste tellement lâche que je m'y suis même pas attardée. » « Une agression face aux vigiles du Monoprix, impassibles. » « Pas méchant, restent polis » « Hé t'a des beaux yeux » « "Salope" (en plein hiver, en pull/jean/écharpe) » « Lorsque j'avais 17 ans pendant un voyage en colonie de vacances à Rome, un soir (vers 20h30/21h) dans un bus bien rempli, un homme a mis sa main volontairement sur mes fesses. La première fois je me suis dit qu'il n'avait pas fait exprès, puis une seconde fois et la troisième fois je me suis retournée mais en le voyant je n'ai pas su quoi répondre... déjà que je suis de nature timide, le regard et le sourire qu'il a posé sur moi me dégoutait tellement ! Ce soir-là j'étais avec les 15 autres jeunes et nous allions manger au restaurant donc je portais une robe. Le bus était tellement rempli qu'on touchait les personnes à côté de soi et cet homme était derrière moi. » « Oui, mais avant je tiens à préciser que je ne peux pas vraiment dire qu'on "m'importune" parce que ce n'est jamais insistant et très très rarement déplacé. Ça ne va pas plus loin qu'un "bonjour mademoiselle comment ça va ?" » « Une fois je traversais le parc du Peyrou, un garçon d'environs 25 ans est venu me

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parler, il m'a tendu la main et par réflexe je lui ai tendu la mienne, ça a ensuite était très difficile de la récupérer de lui faire comprendre que je ne voulais pas lui parler. » « Lorsque j'attendais le bus pour aller à la plage ; apparemment mettre un short en été mérite plusieurs klaxons de voitures » « Ce mois-ci je me suis faite aborder par un homme dans sa camionnette en marchant sur la rue qui mène à mon appartement. Il tenait une liasse de billets à la main et m'a demandé "hey mademoiselle, ça te dirait de m'aider à compter mes billets ?". A son sourire, j'ai compris que ses intentions n'étaient pas très honnêtes et j'ai continué mon chemin sans dire un mot. Il m'a ré-interpellée pour me demander son chemin, je lui ai répondu rapidement (il en a au passage profiter pour glisser "ha les femmes et l'orientation c'est pas trop ça ") et je suis partie. En rentrant j'ai vu qu'il continuait à faire des aller-retours dans ma rue. » « Plusieurs, il n'y a qu'à demander ! » « Un homme s'est mis à marcher à ma hauteur dans un quartier désert, et m'a demandé où se trouvait la banque. Qui était en face de nous ! Je lui ai indiqué calmement mais je me suis senti mal à l'aise. Cela s'est accru quand il a continué à marcher à mes côtés. Il m'a posé des questions sur moi auxquelles je n'ai pas répondu. Il a tenté de s’approcher de moi mais nous sommes arrivés près d'un arrêt de tram où il y avait du monde par miracle. Il est parti aussitôt. Je n'avais pas mon téléphone sur moi, j'ai pris le tramway, j'ai songé que si nous avions été seuls, cela aurait pu être différent. » « Dans l'espace public, une femme était en train de se faire trainer par les cheveux par un homme, il lui hurlait et crachait dessus, personne n'est intervenu, il a fallu que ce soit moi... » « Frappée car j'ai des yeux bleus »

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« Quelques fois certains m'importunaient et venaient jusqu'à me suivre jusque devant chez moi, c'était souvent embarrassant presque intimidant. Mais je prenais toujours cela avec maturité et sang-froid en me disant que si je réagissais "bien" il ne pouvait rien m'arriver de mal, et je pense qu'au fond ils ne me voulaient pas me faire du mal. Ils agissaient juste pas de la meilleure façon et je ne pouvais pas leur en vouloir. Surtout que je vivais dans un des "quartiers chaud" de l'île... Cela n'explique pas pour autant leur comportement mais peut-être en partie » « Disons que dès qu'on est par 2 au moins les individus se dégonflent vite.... Enfin une fois j'étais avec une amie et c'était à moi que la remarque était dite et c'est mon amie qui leur a répondu ce qui a dû les perturber puisqu'ils sont partis en faisant quand même remarquer que c'était à moi qu'il s'adressait. Ces gens n'ont pas vraiment de repartie il suffit de placer une bonne réponse pour leur clouer le bec. » « Je marche vite jusqu'à chez moi en espérant croiser personne afin de rentrer au plus vite dans mon appartement, j'ignore quand on me parle comme si j'étais sourde ou que je ne comprenais pas ce qu'on me disait. » « Je fais semblant de ne pas parler français aussi ! » « J'ai été très abrupte avec un homme alcoolisé qui importunait mes amies dans le tram en rentrant de soirée, je lui ai dit d'aller s'assoir et il a obéit. » « Je viens d'Algérie, et ma grand-mère nous a toujours appris (aux femmes de la famille), que quand on marche dans la rue, il faut marcher la tête haute, avec un air méchant et un regard dur pour intimider ceux qui seraient tentés de nous embêter. »

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« Le plus souvent, je fais semblant de n'avoir rien entendu et j'ignore totalement la personne. Quand le mec est "respectueux" et fait un compliment sur mon physique, je réponds poliment : merci je suis flattée mais je ne suis pas intéressée. » « Réaction de ma part qui a suscité le rire chez l'individu doté d'un pénis » « En général je réponds de manière plutôt ferme pour ne pas qu'il y ait de discussion possible. « Le facebook des empêcheuses regorge de punchlines cool ! » « Des ouvriers faisant des travaux sur le bord de la route qui s'arrêtent pendant 5 minutes pour te mater, te siffler et te lancer de "belles paroles" » « Suite au fait d'ignorer une personne, j'ai déjà été insultée. » « Je n'appelle pas ça être importunée, ce sont des gars qui me disent bonjour, qui souhaitent me parler. Certaines filles ignorent, moi je préfère répondre et créer un lien avec eux, pour que lorsque je les croise ensuite, ils me disent bonjour plutôt qu'ils ne m'embêtent. » « Ignorer tout simplement ou quand c'est un mauvais jour, une réplique bien sèche. » « Je l'ai sifflé aussi pour voir quel effet ça lui ferait ça ne lui a pas plu. » « En général je rentre presque dans le jeu et souvent ça déconcerte ! Les remarques que l'on reçoit ne sont pas forcément méchantes mais prouvent bien que certains se croient supérieurs aux femmes. » « J'essaie d'expliquer tout simplement, cordialement et gentiment que ça ne se fait pas. » « C'est drôle de les voir, ils ne savent pas réagir quand je réponds, j'ai l'impression qu'ils comprennent qu'ils étaient déplacés d'avoir fait ce qu'ils ont fait et que oui je ne vais pas juste les écouter faire. » « Rester courtoise (essayer) » « Non rien de particulier » « Je réponds sèchement. Même si je me sens vulnérable j'essaie de ne pas le faire

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sentir. » « Ce ne sont jamais des remarques très désobligeantes, je ne les prends pas comme une insulte. Souvent faites avec le sourire, je prends le temps de répondre sympathiquement : "merci monsieur, bonne journée". » « Pas facile de lutter contre une situation, ce que je fais par contre c'est aider une personne que je trouve confrontée à ce type de phénomène que je trouve "malaisant" lorsque je le vois : par une interposition subtile et physique entre les deux ou par une demande faite à la personne. » « Une fois, je m'en suis vraiment voulue car un homme alcoolisé et corpulent à chercher à m'attraper alors que j'étais devant ma porte. Je me suis simplement accroché à la porte, tétanisé, incapable d’émettre un son. Je n'avais pas les clefs dans ma poche. Heureusement pour moi, les amis de l'homme sont arrivés, l'ont saisi et l'ont trainé derrière eux. Ils se sont excusés je crois mais ils parlaient allemand ou bien néerlandais, si bien que je n'ai pas compris. Depuis j'ai changé d'attitude car je pense que ne pas pouvoir émettre un son si une agression se produisait serait la pire des choses et j'ai fait plus attention à prendre mes clefs. » « Mettre mal alaise est souvent un avantage. »

« la Mosson » « Les rues où il y a peu de personnes » « Rester grouper ! »

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« Mosson » « La paillade » « Les quartiers étroits, ou squattés par des groupes d'hommes. » « Mosson. Marcher vite et être (réellement si possible) au téléphone au cas où il arriverait quelque chose. Du fait d'être vraiment occupée, on parait visuellement moins louche, moins vulnérable étant donné qu'on est en contact avec quelqu'un. De ce fait, les individus ne se "vexent" pas ou moins lorsqu'on ne répond pas. Alors que si on se contente de marcher et de les ignorer, ils vont faire des réflexions en plus, s'acharner, et finir par nous insulter. » « Aucune » « Les petites rues dans le centre de Montpellier » « La journée, aucune. » « Aucune ! » « Pas de quartier en particulier » « Mosson (mais je n'y vais pas souvent non plus) » « Aucun la journée » « Avoir l’air pressée et assurée » « Rue Verdun, esplanade » « Je n'évite rien mais je sais parfaitement qu'à Montpellier vers la gare ce genre de problème est récurrent. » « J'évite les quartiers comme la Paillade, mais c'est assez compliqué pour moi, car j'habite à proximité de ce dernier. Une astuce : rester dans les lieux PUBLICS, c'est-àdire, les lieux dans lesquels il y a des gens. Simplement, resté exposé... Cela dissuade beaucoup. » « Aucun quartier. Oui, et on le fait toutes naturellement : être pressée. Mais ne jamais accélérer : cela produit l'effet inverse. »

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« Dans la journée je n'évite pas spécialement de quartier » « Mosson - Arceaux » « Aujourd'hui j'habite à Paris dans le 18e arrondissement qui est relativement populaire. En règle générale, j'emprunte les grandes voies. De jour, je vais partout sans problème parce que c'est assez animé. En revanche, le soir ou à la tombée de la nuit, je reste strictement sur les voies où il y a du flux et je marche très vite. » « Aucun, même s'il y a des lieux où on marche moins sereinement que d'autres. » « Les ruelles avec des regroupements de type impasse ou im-presque-passe » « Plutôt sur Marseille je fais attention à ma tenue si je dois prendre les transports en commun. » « C'est plus pour la nuit quand je suis seule que je fais attention aux rues que je prends. » « Aucun » « Quartier de la gare » « Malbosc » « Mosson, Celleneuve, Alco » « Arceaux, Mosson, Cevennes... » « Moi je ne peux pas forcément éviter car l'école à la réunion est dans une zone un peu dangereuse car c'est une des villes ou il y a le plus d'agressions vol ... et à chaque fois que j'y vais, je suis pas forcément sereine... » « Surtout quand on finit tard le soir, la ville n’est pas très rassurante. » « A Montpellier dans mon quotidien diurne je n'évite pas de rues ou de quartier. » « Je n'évite pas spécialement de quartier, en général, répondre un petit truc en souriant suffit à désamorcer la situation. » « Aucun en particulier » « En journée j'évite le quartier de la mosson/paillade »

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« Vivre sa vie, s'en foutre de ses gens ! et apprendre à réagir & aussi à les éduquer » « Je fais du sport au gymnase de la Mosson. Si je pouvais j'éviterais ce quartier. En finissant à 21h, je me fais toujours ramener par un parent au moins à un arrêt de tram comme Château d'O ou Occitanie. » « Répondre, et leur montrer qu'ils n'ont pas à parler comme ça, car c'est stupide. Je ne pense pas que beaucoup de femmes vont continuer à voir une personne qui les a sifflées dans la rue, même si peut-être il est "intéressant en vrai". Sinon, ne même pas se sentir concernée, car ce qu'ils disent ne doit pas influer sur la manière dont on circule dans la ville, qui est un droit pour tous. » « Ne pas passer au milieu du parc de la gare » « Un petit sourire et ils te laissent tranquille » « Montpellier, ou ce que j'en fréquente, est plutôt calme de ce côté-là, il m'arrive plus souvent de me faire importuner à Toulouse ou Paris, où j'ai plus tendance à sortir du centre » « Je ne pense pas qu’on doive éviter des quartiers pour ne pas être importunée. C'est notre espace et je ne veux pas avoir à adapter mon comportement pour des gens stupides. » « Aucun, je ne m'empêche pas de faire ce que je veux sous prétexte qu'on pourrait me parler dans la rue. » « Je pense qu'une rue devient mal fréquentée, et donc à éviter, en partie parce que les gens n'y vont plus. Si tout le monde allait dans toutes les rues, certaines d'entre elles, serait naturellement moins glauques. » « Paillade, petit bard, gare... à Montpellier » « Gambetta et les rues ombrées » « Etre sûre de soi, ce sont eux qui devraient se sentir gêné, pas nous. » « Cf. Réponse au-dessus » « Les quartiers dit difficiles où les bars ne sont occupés que par des hommes qui

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regardent les femmes comme des objets ou des gens désœuvrés. » « Mais la journée, je me suis rarement senti menacée dans le quartier où je vis. » « Aucun ! » « J'évite la Mosson et la plupart des endroits peu fréquentés. »

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« Des personnes en voiture généralement qui sifflent où s'arrêtent. » « L'attente du tram a la comédie est souvent un moment d'angoisse » « J'attendais mes amies sur le trottoir de ma résidence et une voiture avec deux hommes se sont arrêtés me demandant mon âge avec insistance car ils me trouvaient bien jeune pour être sur un trottoir j'ai alors compris qu'ils croyaient que j'étais une prostituée... le plus drôle c'est que j'étais en pantalon converse veste longue et écharpe enroulée autour du coup... une femme attendant sur un trottoir est-elle forcément à la demande de quelque chose ? Et c'est un parmi tant d'autres » « Je me suis retrouvée le matin très tôt dans le tram pour aller à un partiel, il y avait très peu de monde, un homme s'est mis à me montrer son sexe. » « C'était un soir en hiver, je sortais juste boire un verre avec une amie après les cours, et je voyais une ombre nous suivre depuis quelques mètres et se rapprocher sans nous dépasser, jusqu'au moment où il nous a dépassé et qu'il s'est mis à faire des gestes et des remarques sur ma jupe. Il y avait un peu de monde sur la place de la Comédie à ce moment-là, donc je me suis permise de l'envoyer balader en parlant bien fort, au cas où il réagirait mal. » « Une fois j'ai pris le tram, seule, à minuit un groupe de jeune m'ont demandé mon téléphone j'ai refusé et ils m'ont suivie du tram jusqu'à ma résidence en m'insultant et me menaçant arrivée vers ma résidence j'ai appelé des amis juste pour avoir une présence au téléphone. » « Comme je marche vite et que j'évite les recoins sombres, je ne me fais pas beaucoup importuner la nuit. Cela dit, je peux partager une anecdote d'une amie qui vivait à Toulouse au moment des faits. Elle s'est fait aborder par un gars en rentrant de soirée. Elle l'a ignoré mais il l'a suivie. Il l'a attrapé par le bras et l'a plaquée contre un mur et a commencé à la tripoter. Elle l'a repoussé et s'est mise à crier. Il l'a insultée, traitée de "sale pute" avant de repartir. Elle a couru jusqu'à chez elle et une fois la porte fermée a fait une grosse crise de panique... » « Une personne qui se greffe dans notre groupe (de filles) sans y avoir été invité et refuse de s'en aller. »

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« Seule fois où je m'étais habillée joliment pour aller en soirée, je rentrais à pieds. » « Sifflée ou hélée par des hommes en voiture parce que je portais une jupe. » « En sortant de boîte à Montpellier avec une copine on s'est faite interpeller par un individu qui nous a demandé où nous allions. Après lui avoir répondu que ça ne le regardait pas il a commencé à s'énerver en disant qu'on avait pas à lui parler comme ça. On est alors partie. » « Idem, les empêcheuses sur Facebook ! » « Après s'être fait siffler et embêter par un groupe d'hommes, 50m plus loin, deux autres hommes m'ont sorti que j'étais habillée comme "une pute" » « Vol à l'arrachée en ville de nuit après confrontation et bousculade. » « Ce groupe de 6 ou 7 individus bourrés à la sortie d'une boîte, qui empêche de passer pour forcer le dialogue. » « Lorsque je suis seule : remarques, voitures qui roulent à l'allure du pas, insistance verbale, parfois physique... Une fois je rentrais seule chez moi a 21h après un cours et j'ai été suivie par une voiture très collante (4 mecs, la vingtaine) qui roulait à mon allure. Ils m'invitaient à y monter. Quand ils ont compris mon refus ils ont ouvert la portière et un d'eux m'a tiré le bras pour que j'y rentre. Je l'ai frappé et j'ai couru comme une folle jusqu'à chez moi en passant par des rues piétonnes. C'était ma pire expérience nocturne... » « La nuit, ils se lâchent plus! et lorsque l'on sort on a tendance à être bien habillée donc à se faire plus emmerder. L'autre jour j'ai demandé une cigarette à un gars devant un bar et il m'a dit qu'il me la donnait pour mon décolleté... Je trouve cela puant. » « Un soir, au Bricà-brac pendant un concert, je me suis fait toucher les fesses de façon insistante par un homme d'une 40aines d'années. Après l'avoir repéré dans la foule, j'ai voulu aller le confronter, mais son regard m'a dissuadée (regard sale, lubrique, infiniment malaisant.) » « Un fait qui m'a vraiment marqué l'année dernière dans Montpellier. C'était dans une rue très sombre très peu éclairée près du Peyrou, j'étais accompagnée d'une amie. Un

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homme d'une trentaine d'années marchait dans le sens opposé avec sa capuche sur la tête et s'est rapproché progressivement jusqu'à me frôler. J'ai d'abord cru qu'il voulait me voler quelque chose, puis j'ai senti sa main baladeuse sur mes fesses ! J'ai tellement été choquée, que n'ai pas pu m'empêcher de lui courir après pour voir sa réaction et réclamer des excuses de la part de cet obsédé. Je me sentais salie. Il n'en revenait pas. Il a fait mine de ne pas comprendre, me traitant de folle et continuait à fuir. Il ne s'attendait sans doute pas à ce qu'une femme ait le courage (ou la folie) d'aller à la confrontation. Après réflexion, j'ai pensé qu'il aurait pu se défouler sur moi, ou que j'aurais pu le dénoncer pour attouchements ... car c'est en ne disant rien que les hommes (si on peut les appeler ainsi), continuent avec leurs sales habitudes. » « Suite de l'histoire, je lui ai répondu non, et lui ai dit "Passez une bonne soirée." Puis j'ai continué ma route habituelle. » « Non, je n'ai pas le souvenir que ça me soit déjà arrivé pourtant je traverse souvent le centre de Montpellier de nuit, et seule, je croise des gens mais on ne m'interpelle jamais. » « J'attendais le tram à St Eloi en semaine, il devait être 22h30, l'attente était d'une dizaine de minutes. La un homme (à peu près 40 ans) a commencé à me parler je ne comprenais pas, il était ivre. J'ai décidé de réagir en lui répondant sèchement pour lui montrer qu'il ne m'impressionnait pas. Il a commencé à s'asseoir à mes côtés (là j’ai commencé à avoir peur) Je n'osais plus trop lui tenir tête de peur qu'il devienne violent. En étant toujours plus tactile il est allé jusqu'à me faire un bisou dans le cou. Heureusement le tram est arrivé, et je me suis faites oubliée dans l'une des rames. Ce qui m'a le plus choqué dans cette histoire c'est la passivité des autres protagonistes à l'arrêt de tram, qui voyait la scène se dérouler sous leurs yeux. » « Plusieurs, il n'y a qu'à demander ! » « Parfois il s'agit simplement d'hommes trop bourrés, mais avec un ami nous avons dû nous intervenir car une femme seule et étrangère, probablement une touriste, qui attendait simplement le tram était importuné par un homme alcoolisé qu'elle ne connaissait évidemment pas. Nous avons dû nous montrer très ferme pour lui demander de partir à plusieurs reprises. Finalement il a pris le tramway d'en face et nous avons attendu avec la jeune femme le prochain tram de son côté. »

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« Un homme m'a interpelé plusieurs fois sans que je ne dise rien, il a fallu une fois de trop pour que je rétorque ... ça ne lui a pas plus ... j'ai couru pour rentrer chez moi. » « Il m'est déjà arrivée plusieurs fois de jour comme de nuit qu'un homme en voiture ralentisse et roule au pas à côté de moi pour me proposer de m'emmener, sortir ou pour m'accoster. »

« Je me rapproche au plus près des sources lumineuses et je marche très très vite jusqu'à chez moi, portable à la main, déverrouillé afin de pouvoir contacter quelqu'un au cas où... » « Je pense qu'il faut se persuader qu'on n’a pas peur car le potentiel agresseur peut sentir cette peur. (C'est comme avec les chiens, il ne faut pas montrer qu'on a peur). C'est aussi un moyen de ne pas réagir démesurément, et de pouvoir rester forte et intimider un potentiel agresseur. » « La nuit comme le jour nous devons être solidaires (hommes et femmes) et épauler les agressions et le harcèlement de rue. Je suis rarement seule la nuit puisque mon entourage tient toujours à m'accompagner mais lorsque je fais face à ce genre de situation je n’hésite pas à interpeller la victime pour l'intégrer à notre groupe pour éloigner harceleur. » « La réaction dépend de la remarque, si c'est plutôt méchant j'essaie de m'éloigner, si c'est "gentil", je réponds. » « Euh lancer un simple "je suis pas ta pute" ça marche pas mal, si ça va plus loin coup de

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tête coup de genou » « Non » « On se sent plus fragile la nuit, par l'obscurité, le manque d'éclairage, l'alcool (de soimême ou des autres) mais j'ose espérer que cette fragilité nocturne n'est pas genrée. Pour en avoir parler à des hommes comme à des femmes, cette fragilité nocturne semble partagée par tous indépendamment du sexe. La nuance serait à faire dans le taux d'insécurité ressenti, peut-être plus fort sur un panel de femmes. » « Une fois un groupe s'est rapproché de moi de lui-même pour m'intégrer car ils avaient vu des types louches qui apostrophaient les gens plus loin dans la rue. Je ne les connaissais pas mais ils n'ont pas hésiter à m'accompagner jusqu'à chez moi. » « Surprendre par le langage, rendre la situation amicale. »

« Quartier de la gare, quartiers vides. » « En général ce qui est excentré du tram ou du centre. » « J'évite les rues peu éclairées. » « Rues où il n'y a pas de passants » « Quartier de la Gare Saint Roch » « Les rues désertes et le Corum » « Rues autour de la Gare »

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« Idem, ainsi que les quartiers réputés plus chaud la nuit (gare, centre-ville, rue isolée etc..) » « J'évite de rester seule la nuit, je préfère dormir chez une amie plutôt que de marcher seule. » « Les rues désertes aux allures louches » « Les rues sombres ou étroites ou une fois éloignées du centre-ville je reste le long de la voie de tramway là où il y a plus de passants. » « Les rues sombres, désertiques en l'apparence. Rentrer à minimum deux si non peut importante l'endroit au final tant que le chemin est le plus court. » « Gambetta, Mosson, rues derrière la gare, Port Marianne » « Saint Eloi, derrière la gare » « Plan cabane, Figuerolles les arceaux » « J'évite les rues peu éclairées ou peu fréquentées. » « La gare SNCF » « La gare, faire mine d'avoir très confiance en soi. Ou encore une astuce que l'on m'a donnée (une amie plutôt jolie et "bien faite" qui est souvent emmerdée) de se retourner et faire mine d'être handicapé physiquement (loucher langue qui pend, jambe croisée...) ->ça marche apparemment... » « Les abords de la gare » « Rue Verdun, place de la comédie, la gare. » « La gare, les ruelles où il n'y a personne, les parcs. » « Les mêmes quartiers que de jours. La Paillade, les Cévènes. » « Aucun : en tout cas à Montpellier, je ne trouve pas que cela dépende des quartiers. » « La nuit j'évite le quartier de la gare, les arceaux... » « J'évite particulièrement l'esplanade la nuit. L'astuce ? Ressembler le moins possible a

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une femme. » « Pratiquement toute, j'évite la plupart du temps de rentrer seule. » « Je me sens mal à l'aise dans les quartiers où les femmes sont absentes la nuit et où il y a des hommes, comme Plan cabane ou Mosson, parce que je me sens observée. Mais ça ne m'empêche pas d'y aller. » « Les lieux peu fréquentés » « J'évite de sortir la nuit seule, ça ne m'est d'ailleurs arrivé que deux ou trois fois seulement, sinon je suis toujours accompagnée, je garde toujours mon téléphone prête à appeler ma mère ou mon copain si jamais quelque chose devait arriver (bon je suis une méga flippée faut le dire !), mais surtout j'évite, même accompagnée, toutes les rues sombres, étroites, mal entretenues ou squattées. » « Les petites rues de l'écusson qui ne sont pas trop éclairées. Je préfère prendre les rues où il y a du monde qui y passe. » « Le parc de l'esplanade, les rues non éclairées. » « Gare » « Les rues trop petites ou trop peu passantes. » « PLACE DE LA COMEDIE/POLYGONE » « Figuerolles, les rues étroites, je prends les grands axes où il y a plus de monde (rue de la Loge, rue Foch...) » « J'évite les rues peu passantes » « Globalement la Nuit je vais passer par des axes fréquentés (épiceries de nuit, bars...) et bien éclairés. Je vais éviter les petites rues et les zones mortes. » « J'évite les petites rues principalement » « Les quartiers entourant la gare principalement. » « Les rues mal éclairées »

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« Le quartier de la gare à Montpellier. » « J'ai toujours une bombe lacrymogène sur moi. Je la sors et la garde dans ma main dans les endroits où je me sens vraiment vulnérable le soir. » « L'esplanade, la gare, autour de la place de la Canourgue » « Si je suis seule j'essaie d'éviter les plus petites rues du centre-ville » « Je n'évite pas de quartier que je sache, après peut être que je le fais inconsciemment. » « Rues non éclairées, non passantes » « La Gare » « Gare, arrêt de tram universités des sciences et lettres. » « Je modifie mon trajet » « Les rues qui manquent de lumière, celle qui ont des petits recoins sombres. » « Aucun » « Les rue isolées » « Les rues mal éclairés ou un peu trop seules. » « Astuce : arrêter de se braquer et parler de manière sympathique » « Je prends toujours le chemin le plus court, c'est tout. » « Les rues mal voire pas éclairées » « Possiblement les quartiers de la Paillade, Figuerolles et Plan Cabane malgré le fait que je traverse en vélo de temps en temps les deux derniers. » « Une astuce les déplacements à vélo » « Je sors mes clefs en avance. Je me sens plus sereine car je sais que une fois devant chez moi je rentrerai en moins de quelques secondes, et d'une certaine manière j'imagine que je pourrai m'en servir comme arme. » « Aucune !! »

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« Le quartier les aubes, le chemin qui mène au parking Joffre. Globalement toutes les rues hors de l’Ecusson. »

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Être étudiante à l’ENSAM: votre expérience

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« Toutes les fois où M. ouvre la bouche... Autant de misogynie dans un seul corps, c'est déconcertant ! » « Je suis agréablement surprise de voir que je peux rester dans un endroit où je ne serai pas juger par mon apparence, contrairement à tous les autres établissements scolaires dans lesquels je suis allée, où il y avait régulièrement des remarques déplacées, des critique vestimentaires, misogynes (étudiants/étudiantes, professeurs ou membre de l'administration). Je me sens finalement plus libre d'être ce que je suis (à l'ENSAM en tout cas). » « Attendre debout que votre professeur vous corrige il vous regarde voit que vous êtes là mais reste pendant plus 1h à corriger ou plutôt discuter longuement avec un étudiant tout en sachant que je souhaitais qu'il me voit m'en aller et ne pas être corrigé car de toute manière je sentais bien que je ne valais pas moi en tant que femme être corrigé car nous n'avons pas notre place dans le métier voilà comment je l'ai compris et reçu. Je précise que juste avant ce jeune homme les autres étudiants et non étudiantes avaient été corrigés en 15min » « Pendant que mon binôme (un jeune homme) et moi expliquions notre projet à un professeur, j'étais systématiquement interrompue ou ignorée afin que le professeur puisse parler "d'homme à homme" à mon binôme. Il va de soi que lors des explications "sérieuses", le regard du professeur ne m'était jamais adressé. » « Aucune » « Je ne sais pas : on peut citer des noms ? En tout cas, oui : un cours de séminaire S10 peu banal... » « Un jour que j'embrassais mon copain en studio, après le rendu à la fin du semestre, pour me réconforter, mon professeur Monsieur T. a clairement dit tout haut "on n'est pas aux putes ici" » « Les clichés sexistes ont la vie dure, notamment sur l'avenir professionnel, dans un sens comme dans l'autre (envers les femmes, et les hommes). » « Il y a parfois des réactions désobligeantes de la part d'élèves hommes, et on a du mal à imaginer ces mêmes réactions avec d'autres élèves masculins. »

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« Quand j'ai coupé mes cheveux de manière peu commune (et enseignant me disait que je ressemblais à Kill bill et n'écoutait pas ce que je disais lors de mon rendu final car trop préoccupé par ma coiffure...). » « A propos de la frustration, ce n'était pas à Montpellier mais à la réunion en première année lorsqu’un enseignant a dit : l'architecture est un métier en crise, c'est pour cela que les hommes le quittent et que les femmes arrivent en masse, c'est beaucoup plus facile ! » « Quand un enseignant ne choisit que des garçons pour effectuer les tâches les plus vertueuses, alors que la majorité d'une équipe est composée de filles, qui sont reléguées aux tâches les plus "simples". » « Quand un étudiant masculin pose une question et que le prof répond au décolleté de l'étudiante féminine. » « En première année, j'ai eu une mauvaise expérience avec un professeur de l'école qui me disait que "je faisais plus attention à mon physique soigné qu'à mon travail" et qu'il "me prendrait au sérieux le jour où j'aurai les mains marquées par le travail plutôt que manucurée" .... Mon physique un peu trop féminin et apprêté a altéré son jugement au point de me faire rater mon année. » « Les remarques genre femme = sensibilité, délicatesse, sensualité *mes couilles* le mot "touche féminine" (faudra m'expliquer, je n’ai pas dessiné avec mes seins) ou Elles sont "girly tes planches !" *Pourquoi les autres sont boyly !?* » « Ou à l'inverse les hommes sont catégorisés glandeurs gratuitement en comparaison aux femmes (?!!!) (genre les femmes glandent pas, ou genre les hommes travaillent pas ?!) » « Ou cette putain de phrase "Non mais vous les femmes *truc nul à chier*" TA GUEULE. » « "Non mais tfaçon on peut plus rien dire, on se fait bouffer par la femme moderne" ponctué de ce fameux "halala, c'était mieux avant quand vous faisiez le ménage et que vous fermiez vos gueules" "Je rigooooooooole holala t'as pas d'humour" » « "On ne vient pas habillée en Prada sur les chantiers" "Bande de bouffonnes" "La prochaine fois tu passeras moins de temps à choisir ta tenue de rendu pour travailler

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plus tes pers" » « Un professeur que je citerai : Monsieur M. Arrivée en retard en cours, qui m'a reprise "Vous perturbez mon cours en arrivant en retard. Et dans cette tenue en plus. Arrivez sur un chantier comme ça, vous ferez pas long feu." Je précise, je portais une robe noire qui arrive au-dessus des genoux, des collants noirs opaques & des boots à talons. Je lui ai alors répliqué que j'accepte la remarque sur mon retard, mais pas sur ma tenue, il est mon enseignant, pas un parent. Je suis retourné le voir à la fin du cours pour avoir des excuses et essayer de lui expliquer que ce genre de remarques est déplacé au sein d'une école NATIONALE SUPERIEURE où tous les étudiants sont majeurs. Mais non, j'ai juste eu d'autres remarques sexistes. » « Remarque plus que désobligeante de la part d'un étudiant que je ne connaissais absolument pas sous prétexte que sa position dans l'école lui donne droit à tout, et que je suis personne. » « S1, premier jour de studio : "Ah il y a beaucoup de fille, vous avez de la chance d'être la lol" » « M. : s'adresse aux femmes pour parler de ses voyages à l'étranger, aux hommes pour parler de ses expériences sur chantier. Présume automatiquement qu'un plan bien dessiné à la main est l'œuvre d'une femme. » « Un professeur de construction qui t'explique : " tu vois une vis c'est comme quand tu fais de la couture il faut que tu la mettes plus profond pour qu'elle traverse le mur" ou un professeur de structure qui félicite mon binôme masculin pour le projet et moi pour la beauté de la planche. » « Professeur se permettant de toucher ma cuisse en seconde année » « Un professeur a dit que les étudiantes "bizarrement" se mettaient en jupe et haut transparent pour les rendus »

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« Menaces d'un sdf à un feu quand j'étais seule dans ma voiture » « Aucun »

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« En sortant des coursives tard dans la nuit avec ma binôme, on croise un jeune homme à l'extérieur de la K'Fet. Au début on pensait qu'il était à l'école mais on a vite compris que ce n’était pas le cas, il était pas très clair dans ses propos mais on a compris qu'il voulait rentrer à l'école mais que personne ne l'avait laissé. Il nous a suivi jusqu'à l'extérieur de l'école (on a vraiment eu peur) jusqu'à ce qu'on rentre dans la voiture. » « J'ai croisé un mec bourré à l'arrêt Occitanie, je l'ai menacé avec ma règle en fer mais rien de sérieux. » « Personnellement, ça s'est toujours bien passé. Par contre, en allant au tramway, je me souviens que j'évitais toujours de passer devant la résidence du CROUS et lui préférais le trottoir d'en face (côté hôpital). J'avais entendu dire à plusieurs reprises que des personnes se sont fait agresser là. » « Je croise un homme bizarre systématiquement lorsque je commence les cours à 8h (je viens à l’école à pied et il fait le chemin en sens inverse). » « Il m’aborde à chaque fois, cela fait 3 ans que ça dure (un simple bonjour maintenant, mais il a déjà été plus insistant). » « J’essayais de partir en avance le matin pour ne pas le croiser, surtout au moment où je sors, de peur qu’il retienne où j’habite. » « Il est hors de question que je fasse un détour ou que je prenne la voiture quand je commence à 8h (j’habite à 10min à pied de l’école) donc je fais avec… » « L'année dernière à l'arrêt de bus, le vieux bizarre du quartier (avec son cadi et ses 12 chiens, qui chantonne tout le temps) m'a fait peur en disant "hé t'es belle toi !". Mais ça s'est arrêté là, et c'est le seul désagrément au cours d'un trajet pour me rendre à l'école en 4 ans. » « Je me suis fait suivre de l'école à chez moi à plusieurs reprises (2 fois mais quand même) par un habitant du quartier. » « Les messieurs plutôt offrent des compliments que des insultes. » « Euh à part des expériences banales dans les transports en commun de relous dragueurs, non. Je me sens très à l'aise à l'école et le sexisme n'est pas plus présent que

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partout en France *combattons la vulgarisation des propos et des comportements sexistes* » « Klaxon très souvent » « Je n'en ai jamais été victime, mais il y a déjà eu des agressions/ rackettes sur des étudiants se rendant à l'école à pied. » « Ayant vécu près de l'école pendant 4ans, il m'est arrivé de me faire suivre par des gens bizarre pas loin de l'école, j'ai eu un mec qui me suivait, s'est rapproché de moi & m'a chuchoté à l'oreille "-tu veux que je te caresse ton petit cul ?" "-euh... non" haha » « Mais je ne me suis jamais faites plus agressée que ça autour de l'école. Je trouve que le quartier de la gare est beaucoup plus craignos ! En tout cas, ton sujet à l'air top ! Bon courage pour le mener ! Si tu as besoin d'autres trucs, de témoignages plus précis, n'hésite pas à me contacter. » « J'ai été abordée de manière insistante par un habitant du quartier ayant un peu moins de la trentaine. D'autres étudiantes ont eu le droit à des remarques de sa part des invitations... » « "Mademoiselle, vous savez où se trouve l'école d’architecture ? [réponse] D'accord, merci [je commence à partir] Hé mademoiselle, vous êtes très mignonne" » « Je me suis fait suivre jusqu'à l'entrée de l'école » « L'homme qui m'a accostée avec une liasse de billets été à moins de 200 m de l'école. » « Des agressions sur le parking de l'école avant l'installation d'un service de sécurité. » « Seulement quand il y a des éclats de voix ou des voitures roulant anormalement, cela n'est arrivé qu'une fois, j'ai cru que la voiture allait percuter le mur d'une maison. Ce n'est pas tant le fait que ce soit un homme qui était au volant le problème, c'est plutôt l'alcool qu'il avait consommé. Je me méfie plus de cela. L'important c'est l'attitude des gens, plus que le fait qu'ils soient homme ou femme : malheureusement les gens se comportant mal que je croise sont souvent des hommes. » « Une amie s'était faite agressée à proximité de l'école. Une personne saoule qui avait sorti un couteau. Elle est partie en courant. »

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« J'évite de me déplacer à pieds aux alentours de l'école suite à une mauvaise expérience »

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