HMONP Mémoire Ludovic Legrand

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HABILITATION à LA MAITRISE D’ŒUVRE EN SON NOM PROPRE L’ARCHITECTE ET LA

MAÎTRISE D’OEUVRE URBAINE

Octobre 2014 ENSA Paris la Villette Encadré par Louis Guedj Architecte tuteur Catherine Guillot Candidat Ludovic Legrand




Octobre 2014 École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris la Villette Encadré par Louis Guedj / Directeur d’études Structure d’accueil Diagram architectes urbanistes Architecte tuteur Catherine Guillot Adresse : 73, rue Vergniaud - 75013 Paris Téléphone : 01 53 62 07 30 / courriel : diagram@diagramarchitectes.fr Mise en situation professionnelle du 01.11.2013 au 30.05.2014 Soutenance le 06.11.2014 Candidat Ludovic Legrand


« Ce

qui

donne

sens

et

signification, qui sauve, si l’on peut dire, l’architecture, c’est l’articulation et le dessin de l’espace urbain, des espaces ouverts et publics ; et d’un point de vue plus pragmatique, que c’est le dessin des espaces publics et ouverts qui doit poser des interrogations, des problèmes et des contraintes aux objets d’architecture, et non le contraire. » Extrait du texte Villes sans objet : La forme de la ville contemporaine, Bernardo Secchi, Sept 2008


Liste des abréviations ANRU : A.V.P : B.E : B.P.U : C.C.T.P : D.E.C.V : d.m.o : G.P.V : M.O.A : M.O.E : O.P.C.U : P.M.R : P.P.R.I : P.P.R.T : S.A.R.L : S.C.M : S.P.L.A : V.R.D :

Agence Nationale pour le Rénovation Urbaine Avant Projet Bureau d’Études Bordereau de Prix Unitaires Cahier des Clauses Techniques Particulières Direction de l’Environnement et du Cadre de Vie Direction de Maîtrise d’Ouvrage Grand Projet de Ville Maîtrise d’Ouvrage Maîtrise d’Oeuvre Ordonancement Pilotage Coordination Urbaine Personne à Mobilité Réduite Plan de Protection des Risques Innondation Plan de Protection des Risques Technologiques Société A Responsabilité Limité Société Civile de Moyens Société Publique Locale d’Aménagement Voirie Réseaux Divers

Accord-Cadre : Un accord-cadre est type de contrat régissant les marchés à passer au cours d’une période sur la base d’un accord de rémunération par type de prestation ou de fourniture. Ils sont particulièrement adaptés quand les contours d’un projets sont flous et que peuvent apparaitre des missions dites «subséquentes».


Partie I Pourquoi la maîtrise d’œuvre urbaine ? Extension des missions de l’architecte Qu’est-ce que la maîtrise d’œuvre urbaine ? Qu’est-ce que l’intérêt public ? Le Paris du XIXème siècle : l’émergence d’une maîtrise d’œuvre urbaine La maîtrise d’œuvre urbaine dans les 30 glorieuses La D.D.E et l’espace public Le code des marchés publics et la loi MOP Qui est responsable de l’intérêt public ?

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Partie II : Étude de Cas du projet d’aménagement des espaces de la « grande transversale Ouest/Est » du quartier du Chemin Vert. Plusieurs contrats pour un projet 24 Responsabilité publique 25 Intérêt public, vision utilitariste 27 Structure de l’équipe de maîtrise d’œuvre 27 Passation des marchés de maîtrise d’œuvre et de travaux et influence sur le projet 28 Rôle de l’architecte comme « manager » du projet urbain. 29 Partie III : Projet professionnel Après demain Demain Aujourd’hui Remerciements Bibliographie

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Pourquoi la maîtrise d’œuvre urbaine ? Après un Baccalauréat spécialisé en arts appliqués, motivé par la richesse et la liberté qu’offrait la conception d’espaces, je me suis dirigé vers des études d’architecture intérieure aux arts décoratifs de Paris. Si l’approche sensible et conceptuelle de l’espace, ainsi que l’ouverture à de multiples disciplines et savoir-faire furent formateurs. J’étais convaincu que la légitimité du concepteur d’espace se situait davantage dans sa capacité à construire une dialectique entre espace intérieur et extérieur ou public et privé que dans le déploiement d’une créativité formelle sans autre fin que la satisfaction du demandeur. Les études d’architecture m’ont attiré pour cette raison, car elles abordent la discipline sans en réduire la complexité intrinsèque. Produit de la tension entre des intérêts particuliers et l’intérêt général. Au fil des studios, mon envie de comprendre les deux extrémités de cette tension m’a conduit à élargir mes préoccupations à l’urbanisme. Ce questionnement a d’ailleurs abouti à un projet de fin d’études dans lequel je m’interrogeais sur la capacité d’une infrastructure publique lourde comme le tramway 7 à métamorphoser une situation périurbaine mono-fonctionelle (un hypermarché et son parking) en situation urbaine plus équilibrée. Le projet reposant sur une complémentarité entre les intérêts commerciaux et l’intérêt public matérialisé par des équipements et un espace public. C’est cette recherche d’équilibre entre acceptation et approche volontariste qui intéressa Catherine Guillot et Refki Chelly, co-gérants de l’agence Diagram. Ces derniers, actifs dans les domaines de l’architecture et l’urbanisme me proposèrent un poste de chargé de projet, sur les études urbaines et territoriales et par la suite, sur les projets de maîtrise d’œuvre urbaine de l’agence. C’est dans cette dernière et au cours de deux ans que j’ai découvert l’inertie des processus de conception de la ville, composés d’études pré-opérationnelles, de faisabilité, de programmation, d’impact, etc. destinées à informer la décision politique dans l’espoir que l’intention initiale ne se perde pas dans la succession d’échéances politiques. Sans faire référence à la multiplicité des parties prenantes au projet, prestataires intellectuels de l’espace, économie, environnement, société civile, responsables des services techniques, financeurs, etc. Ainsi, j’ai d’abord été impliqué dans des études urbaines et schémas directeurs. Habitué par l’école à des études multi-scalaires laissant toujours supposé que le fruit de notre réflexion pourrait suffire à déclencher la mise en œuvre du projet. Il était à ce moment-là difficile 6


pour moi d’appréhender la limite opérationnelle ou prescriptive du projet. J’apprenais alors le devoir de conseil de l’architecte mais aussi la limite de celui-ci à partir du moment où il se trouve dans une posture de prestataire intellectuel et non de maître d’œuvre. A l’inverse, je travaillais quelques mois plus tard sur un projet de ZAC à Caen et sur des projets de maîtrise d’œuvre d’espaces publics. J’apprenais à ce moment-là à traduire une intention générale en détail de nivellement du sol. L’importance du nivellement dans la définition de l’assise des espaces publics mais aussi la responsabilité d’un travail ayant pour finalité une concrétisation physique. Cette évolution dans les types de missions et les échelles d’intervention a aiguisé ma conscience de la transversalité du regard de l’architecte, et, la variation de leurs portées opérationnelles m’ont permis de saisir la différence de responsabilité qu’impliquaient chaque catégorie de mission. Plan au 1:10000 du schéma directeur du Corridor Est pour l’agglomération Maubeuge Val de Sambre

Bien que ces activités soient de nature différentes en terme d’opérationnalité, elles me paraissent maintenant complémentaires et renforçant la spécificité du regard de l’architecte. La maîtrise d’œuvre urbaine est donc, pour moi un sujet qui permet de parler de l’extension des missions de l’architecte, de la manière dont il valorise ses compétences et sa culture face à d’autres professions non moins légitime que lui en matière de maîtrise d’œuvre urbaine.

Plan au 1:200 du plan des aménagements du secteur centre commercial à Notre-Dame de Gravenchon

Extension des missions de l’architecte L’architecture en tant que profession réglementée fait l’objet d’une protection particulière permettant de réserver l’exercice de cette activité à des professionnels habilités, compétents et répondant d’un code de déontologie : les architectes. Dès lors, même si d’autres professionnels sont capables de concevoir un bâtiment, seuls les architectes peuvent en être les maîtres d’oeuvres déclarés. Cette situation est le fruit de l’intervention de la loi (loi sur l’architecture et sur la maîtrise d’ouvrage publique) et nous voyons aujourd’hui se fissurer l’ouvrage de l’État qui ne parvient plus à maîtriser les mesures dérogatoires à la loi MOP et les montages des industriels du bâtiment qui parviennent à réduire l’autorité de l’architecte. D’autre part, la maîtrise d’œuvre urbaine semble aux antipodes de cette configuration. Cette activité ne fait l’objet d’aucune régulation (excepté le code des marchés publics et dans certains cas, la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique) en faveur d’une profession réglementée. En conséquence, il s’agit d’un marché « ouvert » aux architectes et aux autres professions revendiquant des compétences en aménagement. 7


Il y a donc une concurrence de fait entre plusieurs corps professionnels ; ingénieurs, des paysagistes, des urbanistes, des économiques, des environnementalistes, etc. Il s’agit donc d’un environnement concurrentiel dans lequel il ne convient pas uniquement de s’interroger sur ces qualités en tant qu’architecte mais sur l’intérêt même d’être architecte pour répondre à une demande. Cette situation, attise mon intérêt car, si elle représente une fragilité pour la profession des architectes héritière d’une tradition de désintéressement et de service de l’intérêt général n’ayant pas favorisé le développement d’une culture entrepreneuriale forte. La maîtrise d’œuvre urbaine représente néanmoins un territoire neutre où les architectes ont la possibilité de définir leur double identité d’architectes et d’entrepreneurs en réfléchissant à leur culture fondée sur l’intérêt général, la responsabilité et une déontologie particulière. Enfin, cette activité non réglementée et ouverte à des cultures professionnelles variées (architectes, urbanistes, ingénieurs, paysagistes) interroge également et très profondément les savoir-faire et les méthodologies de conception de la ville. Mais si les pratiques restent mouvantes et à définir, le cadre, plus rigide nécessite lui aussi d’être précisé notamment sous la pression de forces comme la nécessité d’accomplir la transition énergétique, le désir d’intégrer la société civile aux processus de fabrication de la ville, la modification du rôle des collectivités, etc. Ce mémoire sera donc conduit par ces trois thématiques ; D’une part, l’usage de la culture professionnelle de l’architecte et de ses savoir-faire spécifiques dans le cadre de la maîtrise d’œuvre urbaine. D’autre part, le positionnement en concurrence, partenariat ou intégration des autres professions dans ce domaine. Et enfin, la contribution permanente à la réinvention du cadre de la maîtrise d’œuvre urbaine en fonction des grandes préoccupations émergentes et à partir de la critique de l’organisation actuelle de ce cadre. Qu’est-ce que la maîtrise d’œuvre urbaine ? Avec une définition termes à termes de l’expression « maîtrise d’œuvre urbaine » on obtient une signification composée de «maîtrise» qui suppose l’exercice d’un contrôle sur une «œuvre» elle-même définie comme une série d’actions orientées vers une fin (petit robert 2012). 8


Ces deux termes associés expriment donc l’idée du contrôle d’une série d’actions, en d’autres termes d’un processus orienté vers la concrétisation d’un projet. L’expression « maîtrise d’œuvre urbaine » désigne donc un processus traversant différentes phases de la conception à la mise en œuvre d’un projet urbain. Il participe d’une tradition intellectuelle française qui considère la ville comme un objet de conception au même titre qu’un édifice ou qu’un meuble. La différence se situe dans les instruments de production de la ville qui, du fait de leur complexité varient selon les lieux, les époques et la culture urbaine. Ainsi, aujourd’hui cohabitent des conceptions de la ville polarisées par l’immobilier, le paysage, l’espace public, ou encore sur l’intelligence technologique développée. Cette activité, selon la manière de l’approcher sollicitera donc différents outils projectuels, réglementaires, financiers et politiques. Le maître d’œuvre urbain devra donc être capable de faire le lien entre des intentions politiques, économiques et sociales et amorcer un projet tangible qui mettra en lien cet ensemble de contrainte et intégrera les changements internes ou externes au projet survenant dans le temps de sa mise en œuvre. Le maître d’œuvre urbain est donc le lien entre le projet en gestation et un résultat spatial, il est donc responsable de la définition d’un cadre de faisabilité et les conditions de la construction des bâtiments et espaces publics qui composeront le projet urbain (alignement, nivellement, hauteur, volumétries, densités, matériaux, programmation, etc.) sans avoir la responsabilité de construire. C’est cet aspect qui distingue la maîtrise d’œuvre urbaine et la maîtrise d’œuvre de construction des espaces publics qui est une mission régulièrement imbriquée dans la précédente. Enfin, la maîtrise d’œuvre urbaine semble être une activité encore insuffisamment définie, entre autres, elle ne bénéficie pas de définition légale. C’est probablement la raison qui lui vaut d’être assimilé en décomposition des éléments de missions à la maîtrise d’œuvre architecturale. Cette indéfinition, ne doit pas être prise pour argent comptant, bien au contraire, elle doit stimuler tous les acteurs concernés par cette question à proposer des définitions, modes opératoires, composition des missions à l’image de la MIQCP qui, dans sa publication sur la maîtrise d’œuvre urbaine en fait la définition suivante «démarche intellectuelle aboutissant à un projet partagé et des modes opératoires crédibles de mise en œuvre». Une définition ouverte qui tend à exprimer la singularité de la maîtrise d’œuvre urbaine vis-à-vis de la maîtrise d’œuvre architecturale. 9


Qu’est-ce que l’intérêt public ? L’expression « intérêt public » désigne un ensemble de valeurs et d’objectifs qui sont partagés par l’ensemble de membres d’une société. Cette notion décrit donc une finalité de l’État sans en fixer le contenu exact. 1

Si cette notion est explicitement convoquée dès les premières lignes de la loi sur l’architecture de 1977 , elle n’est pas directement utilisée 2

pour définir les missions de la maîtrise d’œuvre urbaine. Ainsi nous supposerons sans user d’une métonymie abusive que ce qui vaut pour l’architecture, vaut aussi pour la maîtrise d’œuvre urbaine. A la différence que la loi sur l’architecture précise en quoi l’architecture est d’intérêt public et qu’il nous revient donc d’adapter les critères à la maîtrise d’œuvre urbaine. Cela invite à une réflexion critique sur la notion d’intérêt public qui peut faire l’objet d’ambiguïtés. Il existe par exemple, deux grandes approches de l’intérêt public ; celle dite « volontariste » à laquelle s’oppose une conception dite « utilitariste » . La conception volontariste suppose un intérêt commun 1

surplombant tous les intérêts individuels alors que la conception utilitariste considère l’intérêt de chacun pris individuellement. Le problème principal qui résulte de cette opposition est la difficulté à reconnaître la légitimité d’une interprétation sur l’autre. Ainsi, l’architecte – maître d’œuvre urbain se retrouve souvent dans des situations ou les approches « utilitaristes » se superposent aux injonctions « volontaristes » comme ce fut le cas à plusieurs reprises au cours de mon expérience chez Diagram. La situation la plus caricaturale à cet égard s’est présentée durant la préparation des études de projet en phase de maîtrise d’œuvre des espaces publics à NotreDame de Gravenchon. Il s’agissait alors, dans le but de revaloriser les espaces urbains du centre-ville de redessiner une avenue aux altimétries fortement irrégulières. Le projet est approuvé par la mairie et l’aménageur, à condition que le projet prévoie l’accessibilité P.M.R de l’ensemble des locaux commerciaux dont les bâtiments sont pourtant voués à démolition. Afin de ne pas se mettre à dos le moindre commerçant, l’aménageur reporte ainsi ses problèmes de phasage d’opérations « tiroirs » sur l’équipe de maîtrise d’œuvre qui doit maintenant concevoir, des ouvrages provisoires coûteux (rampes 1 Réflexions sur l’intérêt général, rapport public du conseil d’état : http://www.conseil-etat.fr/ Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Reflexions-sur-l-interet-general-Rapportpublic-1999 2 L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public.

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et murets de soutènements) pour permettre l’accès des personnes handicapées aux commerces qui n’étaient déjà pas aux normes. Ainsi, la protection de l’intérêt d’une somme de personnes (les commerçants) est protégé au dépends d’aménagements plus chers, de travaux en deux fois et des reprises d’études. Sans dévaluer l’importance du respect des intérêts de chacun, on assiste parfois à des situations où les intérêts de quelquesuns vont infléchir un aménagement urbain pourtant destiné à une « communauté » bien plus large. Néanmoins, on peut à l’heure où l’intérêt public soutenu par les politiques semble parfois se résumer à l’intérêt de chacun. Myopie qui revient à rapporter tous les critères de l’intérêt public sur une échelle économique et immédiate. A l’image de l’exemple où la protection de l’activité des commerçants du centre-ville de Notre-Dame de Gravenchon devient une cause supérieure au soutien d’un projet urbain. On peut donc constater une crise de confiance dans l’action Plan du secteur du centre commercial à NotreDame de Gravenchon, en haut la rue et son interface avec les bâtiments existants. En bas, le projet en phase 2 (après construction des immeubles de logement)

publique et même dans la notion même d’intérêt public au sens volontariste. De mon point de vue, une telle crise est absolument nécessaire et devrait même être l’occasion de deux changements majeurs. Le premier concerne la mise au centre de l’intérêt public de la cause environnementale. En adaptant les outils pour qu’elle soit mise en œuvre dans ses dimensions techniques autant que culturelles et sociales. La seconde concerne l’intégration de manière profonde de la société civile. Cela implique une révision très profonde de la position des politiques dans le projet urbain et surtout des tendances à déléguer à des sociétés privées. Si le premier de ces deux enjeux à quelques chances d’aboutir y compris au niveau légal, je crains que l’élaboration de la ville avec les citoyens ne soit quelque chose de très lointain encore et qu’il ne faille aborder cet objectif sous d’autres angles.

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Le Paris du XIXème siècle : l’émergence d’une maîtrise d’œuvre urbaine La période des grands travaux de Paris sous la direction du préfet Haussmann constitue la première période où la fabrication de l’espace public et de la ville présente un souci de qualité dans son détail et sa généralité. C’est aussi l’époque où la municipalité s’attache à lier une recherche esthétique de magnificence et un projet de modernisation et d’assainissement de l’espace urbain. Imbrication des échelles, du flux au pas. L’intervention des services d’Haussmann se fait à deux échelles. D’une part, il s’occupe de dessiner la rue selon les critères hygiénistes et de confort élaborés par les ingénieurs des ponts et chaussées dans les années 1830 ; d’autre part, il envisage la ville comme un ensemble qui doit « fonctionner » c’est-à-dire permettre de relier des points éloignés avec des déplacements efficaces. Cette approche de la ville sous deux échelles emboitées renvoie au rôle du maître d’œuvre urbain dont les prescriptions sont à définir relativement à une analyse d’un ensemble plus large. La ville est « mise en ordre » et doit devenir un outil productif : Haussmann utilise l’argument de « l’investissement productif ». Pour lui, connecter les quartiers et hiérarchiser les voies permet aux entrepreneurs, inventeurs et financiers de la ville de ne plus être entravés par l’inertie des rues inconfortables, dangereuses, insalubres et congestionnées. La ville est pensée comme un support de l’économie productive. Cette conception de l’emboitement des échelles et des enjeux à la fois stratégiques et opérationnels est tout à fait nouvelle à l’époque et donne les clefs d’une manière de concevoir la ville encore valable aujourd’hui. La structuration des services de la ville pour une conception unifiée de l’espace urbain. Une des premières actions menées par Haussmann concerne la réorganisation des services sous un seul nom le « service des grands travaux » lui-même distribué dans un service des promenades et plantations dirigé par Adolphe Alphand et un service des Eaux et égouts dirigé par Eugène Belgrand qui auront sous leurs ordre une centaine d’ingénieurs . Ces services se répartissent la conception des 3

réseaux, des jardins, des matériaux de voirie ou du nivellement de la voirie. Cette coordination permettra à ces services de produire une voie et un espace d’une conception unifiée en plan et en coupe. La 3

Dans La fabrication des rues de Paris au XIXè siècle, Cahier de la recherche urbaine

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Plan du projet de Paris incluant les percements et le réseau de parcs et jardins. Extrait de Promenades de Paris, Adolphe Alphand

Coupe type d’une rue, montrant le profil de voie, les réseaux et le mobilier urbain. Extrait de Promenades de Paris, Adolphe Alphand


réunion de ces services permettra de tenir une cohérence dans l’action de modernisation et surtout de capitaliser un savoir-faire important et une capacité d’innovation. En effet, les techniques de nivellements, les profils de voies (et leur coupe complétée par les réseaux d’adduction d’eau potable, de gaz et d’assainissement), les principes de nettoyage de la rue, la généralisation d’un vocabulaire de mobilier urbain et des trottoirs seront les moyens essentiels de la modernisation de l’espace public et de l’intégration de la notion de confort de l’espace public. La rue est alors envisagée comme un objet technique et la ville comme une machine. Si cette conception accorde une place décisive aux ingénieurs, elle promeut une pensée systémique des organes de la ville. L’organisation des services de conception de l’espace urbain révèle donc la prise en compte d’un problème considéré comme rationnel et sa résolution par l’accomplissement d’une synthèse des contraintes. Il suffit de lire la liste de compétences sollicitées pour un marché de maîtrise d’œuvre architecturale ou urbaine pour constater que la maîtrise d’ouvrage d’aujourd’hui est héritière de cette vision rationaliste de l’espace urbain. L’intérêt public du point de vue hygiéniste

Plan, Coupe et éléments de mobilier du boulevard Richard Lenoir. Extrait de Promenades de Paris, Adolphe Alphand

Nous avons vu plus haut le caractère fluctuant de la notion d’intérêt public. A cette époque, il était urgent de réduire les causes de mortalités liées à l’insalubrité des quartiers. L’action publique urbaine a donc été dirigée vers l’assainissement et l’aération des vieux quartiers. Ces exigences nécessitaient la percée de nouvelles rues, de changement des gabarits des rues et la démolition d’un grand nombre d’immeubles. Par ailleurs, ces importants travaux s’accompagnaient des réseaux d’adduction d’eau potable et d’évacuation des eaux usées. Innovation urbanistique et technique fonctionnait alors ensemble au service de l’intérêt public. Bien que cette expression n’appartienne pas au programme énoncé par Napoléon III au préfet Haussmann, il s’agit bien de l’accomplissement de l’intérêt public par le biais de l’urbanisme. Cohérence, embellissement et sécurité L’autre motivation de la mise en chantier des rues de Paris résidait dans la volonté d’embellir la ville et de lui donner davantage de cohérence et d’unité. Parallèlement, cela servait un objectif de maintien du pouvoir 13


par le contrôle de l’espace public. Ainsi, on retrouve la nécessité, à défaut de respecter un paysage, de le constituer permettant de s’y orienter et de lui donner un caractère. On peut également entendre ces éléments comme relevant de l’intérêt public. L’approche financière des grands travaux Le financement des travaux était réalisé par un montage dans lequel la ville empruntait de l’argent aux banques qu’elle remboursait en cédant les terrains avec les droits à construire. Ces terrains faisaient l’objet d’expropriation avec indemnisation et subissaient une plusvalue après l’engagement des travaux d’élargissement. La banque récupérait alors une grosse partie de l’argent prêté et pouvait construire un immeuble soumis au respect de règles fixées par les services de la ville et respectant les prescriptions de gabarit. Le règlement tient en dix articles qui fixent les conditions d’expropriation, alignement, 4

nivellement, raccordement à l’égout, permis de bâtir, ravalement décennal, gabarit et les frais de premier pavage. Véritable outil d’urbanisme opérationnel ce document faisait office de contrat entre propriétaires, services de la ville et entrepreneurs. Ces deux aspects montrent le caractère décisif des procédures opérationnelles dans la fabrication de la ville. Elle installe la vocation d’ordonnateur de la puissance publique qui doit encadrer les activités des personnes de droit privé. On constate que de nos jours, ces préoccupations ont toujours la même acuité, la subordination du privé au public est toujours une chose difficile à imposer. Malgré les reproches qu’on peut leur faire, notamment sur la monotonie d’une ville largement érigée grâce aux principes d’une spéculation immobilière importante, les grands travaux d’Haussmann parviennent à développer une logique efficace de modernisation profonde de la ville. Le bon usage de l’argent public Depuis 1839, la ville a dissociée la fourniture de pierre des entreprises de travaux. Cette opération permet à la ville de maîtriser l’évolution des prix. Ainsi, elle fournit aux entrepreneurs les matériaux nécessaires à leurs travaux. Cette disposition relève d’une attitude de protection et de dépense raisonnée de l’argent public. Nous retrouverons cette préoccupation plus tard.

4 Texte du décret d’application de la loi du 26 Mars 1852 relatif aux rues de Paris consultable : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6481897r/f5.image

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Le rôle de l’architecte dans la planification urbaine des services d’Haussmann

Superposition du tracé de percement de l’avenue de l’Opéra et du parcellaire existant

L’administration Haussmannienne dominée par les ingénieurs accorde tout de même une place aux architectes, ils sont employés au service des plans de Paris, en effet, leur tâche est de tracer les nouvelles voies et leur nivellement. Leurs plans définissaient également le lotissement des terrains en bordure des nouvelles voies. Ainsi, l’architecte Deschamps avait en charge le dessin et la forme des parcelles constructibles ainsi que le tracé des rues. La fonction de ces architectes était de mettre en œuvre la géométrie du plan de Paris. Les architectes s’employaient également à définir les rapports de hauteur des bâtiments avec la largeur des rues. L’architecte dans les services de Haussmann n’est maître d’œuvre urbain qu’au titre d’une conception géométrique de l’espace, sa principale compétence est encore sa maîtrise du dessin de la conception géométrique et sa connaissance des nécessités en surface et en géométrie de parcelle pour édifier. Le départ d’Haussmann laissera un grand chantier à poursuivre, des services municipaux restructurés et un savoir-faire de l’espace public et de la voirie détenu par un corps professionnel légitime dans la plupart des travaux d’aménagement de la ville; celui des ingénieurs des ponts et chaussés. Ce modèle initié à Paris se diffusera en France et dans certaines villes étrangères. La maîtrise d’œuvre urbaine dans les 30 glorieuses Les années d’après-guerre nécessitent une vaste reconstruction des pays, en France, la formule du grand ensemble se développe rapidement ; Elle permet de reloger massivement les citoyens sous une forme rationnelle et rapide à mettre en œuvre. Les théories se succèdent pour tenter de former une pensée capable de produire une ville humaine et efficace.

Le quartier des Olympiades, Paris 13

La région parisienne aura également besoin de se renouveler et d’augmenter sa capacité d’accueil en modernisant d’anciens secteurs. Les quantités qui sont appelées à être construites engendrent de nouveaux quartiers. Se pose alors la question de leur organisation. Un personnage fait son apparition dans les années 60 et deviendra le représentant d’un « urbanisme vertical » substituant à la ségrégation horizontale des fonctions recommandé par la charte d’Athènes une ségrégation verticale. Inventant ses propres outils méthodologiques de programmation et de composition. 15


De nouveaux outils méthodologiques et opérationnels Michel Holley est architecte, il travaille au début de sa carrière aux cotés de Raymond Lopez et développe très rapidement une expérience des projets de quartiers comme la ZUP (Zone d’urbanisation prioritaire) du Val Fourré à Mantes-la-Jolie ou encore le quartier du Front de Seine. Dans ces années de forte confiance et de grands besoins, Holley observe que l’importance des opérations qui lui sont confiées est en décalage avec la légèreté avec laquelle les programmes sont composés. En effet, l’époque ne connaît pas l’existence de programmistes urbains ou de compétences équivalentes chez les maîtres d’ouvrage. C’est donc à l’architecte d’évaluer les compléments programmatiques à apporter aux commandes souvent lapidaires.

Urbanigramme développé par Michel Holley

Pour ce faire, Michel Holley développera un outil nommé « l’Urbanigramme », un outil synthétique qui permet de visualiser les relations entre l’emprise au sol, le nombre de niveaux, la quantification des programmes complémentaires (écoles, parkings, commerces…) et les densités générées. Cette recherche témoigne d’une aptitude à comprendre une situation d’un type nouveau et à s’adapter à un certain manque méthodologique de la part des commanditaires sans pour autant abandonner une recherche de qualité. L’autre outil de Michel Holley est le plan d’ordonnancement, ce dernier permet d’exprimer des intentions de compositions entre les pleins et les vides suffisamment abstraites pour rester ouvertes. Cet outil est indispensable pour assumer sa fonction d’architecte en chef notamment du secteur Italie (entre la place et la porte) à Paris. En effet, le plan d’ordonnancement permet de laisser des intentions claires aux financeurs et des lignes directrices sans pour autant figer un projet avec un plan masse, qui à ce niveau d’études peut être considéré comme très hypothétique. Outils adéquat au type de procédure qu’est la ZAC ; faisant intervenir des acteurs publics et privés. Il est un document assez robuste pour encaisser les annulations et des changements d’orientations. Par ces différents outils, Michel Holley s’efforcera de développer des outils transmissibles permettant de comprendre et d’exploiter les interactions entre les données quantitatives et des critères qualitatifs. Il contribue ainsi à la définition des outils et méthodologies attachées au développement d’une discipline encore peu définie.

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Plan d’ordonancement et sa légende


L’invention de la ZAC comme procédure de financement de la ville

Plan masse du quartier des Olympiades, Paris 13

La ZAC (Zone d’aménagement concerté) est mise au point en 1967. Sa première mise en œuvre sera l’opération d’aménagement des Olympiades succédant aux études du secteur Italie. La ZAC permet contrairement à la ZUP qui la précède, de lancer des opérations d’aménagement de quartiers en faisant entrer des acteurs privés dans le montage financier. Pour la ZAC des Olympiades, il s’agit d’un accord sur plan masse dans lequel le promoteur s’engage à réaliser le projet décrit contre un apport en équipement ou en terrain de la part de la puissance publique. Dans ce cas, la participation de la ville consiste à autoriser le propriétaire du terrain –la Sncf- à construire la parcelle. Ce dernier, satisfait d’avoir l’opportunité de rentabiliser sa parcelle par un projet lucratif, accepte des conditions d’équipements et de construction de logements sociaux. Cette opération, très coûteuse (puisque la S.N.C.F posait comme conditions à la construction du terrain la préservation de la gare et la création d’espaces de stockage en vue de redévelopper cette gare pour l’acheminement de marchandises dans Paris) n’aurait sans doute pas pu voir le jour sans le partenariat entre la ville (qui a des besoins en logements) et l’acteur privé (qui souhaite rentabiliser un site) sans cette procédure assez souple. Néanmoins, on peut contester la procédure dans la mesure où la force des intérêts privés ne permet pas toujours de mener le projet à terme, le financeur se réservant la possibilité de « remettre à plus tard » les besoins en équipements. On peut notamment citer la piscine qui ne vit jamais le jour. La mise en œuvre d’un urbanisme architectural et la dissociation avec l’espace public

Coupe sur le principe de la dalle des Olympiades

Bien loin des méthodes et « traditions » développées par Haussmann, l’urbanisme vertical de Michel Holley n’est plus un urbanisme d’espace public et de structure de la ville. Il est un urbanisme de programmation en couches et de modulation de l’échelle d’un programme trop lourd pour ne pas faire l’objet de stratagèmes de diminution de l’effet de masse. Là où les architectes s’inséraient dans une trame sous Haussmann se soumettant à des règles de banalisation de l’architecture au profit de l’espace public, l’architecte qu’est Michel Holley compose les masses tout en exhibant leur modernité. Il crée l’urbanisme parisien qui satisfait les besoins d’une époque mais le fait au dépend du caractère public de l’espace. En effet, même si cet urbanisme génère des surfaces de dalles importantes ouvertes aux usages des piétons qui y sont protégés du flux automobile, il reste malgré tout un espace privé d’usage public. Sa situation en toiture 17


d’un complexe logistique, son caractère bâti, sa nature privé et la rupture avec l’espace public de la ville et le sol naturel opèrent une ségrégation des usagers de cet espace, limitant ainsi le caractère public de l’espace. La D.D.E et l’espace public Parallèlement à cette période où les architectes prennent la responsabilité de construire à la fois quartiers et espace public liés des ZAC, les services de la D.D.E (Direction départementale de l’équipement) successeurs du service des Ponts et chaussées occupent parmi d’autres des fonctions de maîtres d’oeuvres d’un grand nombre d’aménagements publics. Les trente glorieuses sont les années d’investissements très importants dans la politique d’infrastructures de l’État français. Le pays a besoin de construire et moderniser son réseau routier, ainsi le ministère de l’équipement a besoin de structures localisées au niveau des département relayant les décisions d’intérêt publiques prises au niveau « central ». Les D.D.E seront les instruments de cette politique, ainsi ils exécuteront en tant que maîtres d’oeuvres l’ensemble des aménagements routiers nationaux et départementaux. En bordure de ces missions, ils auront également la mission de répondre aux commandes directes des communes nécessitant des aménagements d’espaces publics ou de voirie. Issue du service des ponts et chaussées c’est donc une vision technicienne de l’aménagement qui est à l’œuvre. Cette dernière, dépositaire de l’intérêt public par nature (émanation ministérielle) prouve son efficacité et sa compétence technique. De plus, il est une garantie de qualité d’exécution et bénéficie de la meilleure des assurances ; celle de l’État. Pourtant, un constat s’impose sur la banalisation des paysages urbains de nombreuses communes. La culture technique n’est pas forcément sensible à la recherche d’identité dont de nombreuses communes éprouvent le besoin après les trente glorieuses et l’euphorie de la modernité. Alors que la désindustrialisation du pays s’engage, les communes vont tenter de retenir les populations, valoriser leur paysage urbain et réorienter leur économie vers le tourisme. Ces changements économiques et culturels se dérouleront sur un fond d’intégration européenne qui dans les années 2000 exigera l’ouverture à la concurrence des marchés d’aménagements urbain.

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Le code des marchés publics et la loi MOP Après avoir évoqué deux étapes importantes de la distribution des rôles et organisations de la maîtrise d’œuvre urbaine française, étudions à présent le mode d’organisation effectif aujourd’hui. La maîtrise d’œuvre urbaine est aujourd’hui soumise au code des marchés publics mais seule les missions de construction d’espaces publics (aussi appelés les travaux d’infrastructure) sont soumis à la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique. En rupture avec les exemples de l’urbanisme parisien du XIXème siècle et le fonctionnement des D.D.E, une de ses caractéristiques est qu’elle prévoit la dissociation de la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage. Elle institue également des règles de mise en concurrence et des seuils à partir desquels les concours anonymes sont imposés. L’esprit de la loi est de garantir une efficacité de la commande publique et une impartialité censée laisser des chances égales à chaque maître d’œuvre et assurer les meilleures prestations au prix le plus avantageux. La loi sur la maîtrise d’ouvrage publique est donc en un certain sens une protection de l’intérêt général en se prémunissant contre des attributions « de complaisance » puisqu’anonymes et en garantissant une qualité de prestation simultanément à une utilisation raisonnée de l’argent public. Enfin, la loi MOP assure une certaine normalisation du processus de maîtrise d’œuvre avec des éléments de missions clairement identifiés et définis. A ce titre, la maîtrise d’œuvre urbaine est dans une situation hybride, puisqu’au sens de la loi MOP elle n’est pas vouée à réaliser un ouvrage. La maîtrise d’œuvre urbaine de type conduite d’opération d’aménagement comme une ZAC n’est donc pas encadrée de la même manière, et même si elle bénéficie d’une maîtrise d’ouvrage et de maîtres d’oeuvres, elle correspond, au regard de la MOP à une prestation intellectuelle. Cela a plusieurs conséquences ; sur les modes de passation des marchés, sur l’univers concurrentiel, le mode de rémunération, la définition des éléments de missions et enfin sur la responsabilité. En effet, la maîtrise d’œuvre d’un projet urbain même relevant du seuil le plus élevé (≥207 000 € pour les collectivités territoriales) ne sera pas soumis à une obligation de concours contrairement à un marché de maîtrise d’œuvre d’architecture ou d’infrastructure. L’exclusion de la maîtrise d’œuvre urbaine de la loi MOP permet également à n’importe quel groupe professionnel lié aux questions d’aménagement de prétendre exécuter un marché de maîtrise d’œuvre 19


urbaine (paysagistes, ingénieurs, urbanistes, maîtres d’œuvre nonarchitectes, etc.). En termes de rémunération, celle-ci ne peut pas être calculée sur le montant des travaux puisqu’ils ne seront pas sous la responsabilité de l’équipe de maîtrise d’œuvre du projet urbain. Le mode de rémunération tient donc compte du temps à passer sur l’étude. Enfin, l’ambiguïté réside dans le fait que les missions de maîtrise d’œuvre urbaine ne bénéficient pas d’une définition des éléments de mission aussi précis que ceux donnés par la MOP car la définition du projet urbain et sa coordination ne font pas appel aux mêmes configurations que la maîtrise d’œuvre architecturale. Cependant, les missions de maîtrise d’œuvre urbaine sont souvent définies sur la base des missions de la loi MOP. Ainsi il n’est pas rare de retrouver les éléments A.V.P, PRO, A..C.T, D.E.T dans une mission d’urbaniste coordonnateur de ZAC. La maîtrise d’œuvre urbaine est donc un marché particulièrement concurrentiel qui n’est pas figé dans un processus normalisé, cette particularité par rapport à l’architecture peut être vue comme une force mais aussi comme une faiblesse. En effet, les architectes n’y sont pas avantagés par la loi mais bénéficient indéniablement d’avantages en termes de maîtrise des méthodologies et outils de projet, nécessaires à l’exécution de missions de maîtrise d’œuvre urbaine. La maîtrise d’œuvre urbaine reflète donc un aspect projectuel très stimulant, celui de pouvoir développer une autre méthodologie, ou plutôt de pouvoir l’enrichir en fonction de situations urbaines ou de programme invariablement spécifique et singulier. A l’image de l’urbanigramme développé par Michel Holley dans son effort de définir des méthodes d’urbanisme opérationnel. Par ailleurs on peut envisager que l’émergence de l’intégration de la société civile et du développement durable dans le projet urbain aboutissent un jour à des processus radicalement différents de définition du projets que ceux qui servent aujourd’hui régulièrement de base aux marchés de maîtrise d’œuvre urbaine. En effet, la définition du projet par « augmentation scalaire » de la représentation n’est probablement plus très pertinente au regard des deux grands facteurs de changements évoqués plus haut. On rappellera la définition de la MIQCP qui reste à ce titre assez ouverte quant au rôle qui incombe à la maîtrise d’œuvre urbaine. «Démarche intellectuelle aboutissant à un projet partagé et des modes opératoires crédibles de mise en œuvre»

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Qui est responsable de l’intérêt public ? Nous avons vu précédemment les contributions respectives des grands travaux d’Haussmann, de l’urbanisme vertical, des services de la D.D.E et les clarifications qu’y à introduit le code des marchés publics et la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique. Ces éléments nous ont montrés des approches contrastées des modes de production de la ville et de son espace, mettant en avant plan tour à tour ingénieurs, politiques, financiers et architectes. L’encadrement de la maîtrise d’œuvre urbaine est toujours allée vers une exposition de plus en plus importante au marché et de moins en moins d’intégration des compétences au sein de la puissance publique. Ces choix imposés par un système économique et juridique ont un effet bénéfique en termes de diversité des approches et de liberté de conception mais ces avancées sur les plans méthodologiques et culturels peut cacher des limites à la mise en œuvre de projets confrontés à l’inertie et aux segmentations des responsabilités politiques. En effet, toutes les périodes où la puissance publique intervenait directement, la responsabilité politique était confondue avec la responsabilité culturelle et juridique. Aujourd’hui, alors que les responsabilités juridique et décennale pèsent sur une équipe de maîtrise d’œuvre, la responsabilité politique semble se diluer. Or, sans la responsabilité collective (chacun la sienne) les chances d’un projet urbain de s’illustrer dans par sa qualité sont minimes. Ma mise en situation professionnelle ne m’a pas permis de concevoir un projet urbain sans avoir en perspective la maîtrise d’œuvre de ses espaces publics. C’est peut-être pour cette raison que je perçois aujourd’hui la conception de l’espace public non pas comme un « plus » ou comme une mission de paysagiste ou d’ingénieur mais bien comme une mission d’architecte par laquelle on accède au sentiment de responsabilité. Cette épreuve me aussi bénéfique à la pratique de la maîtrise d’œuvre urbaine que l’est le suivi de chantier par rapport à la conception architecturale. Acte par lequel on prend conscience des difficultés, des obstacles et du réel de la mise en œuvre. Acte qui nous imprime la mesure de la conception mais surtout de ce qu’elle implique.

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Réaménagement de la transversale Est-Ouest du Quartier du Chemin Vert à Caen Maîtrise d’ouvrage : Ville de Caen Maîtrise d’œuvre : Ingé-Infra B.E V.R.D - Mandataire Diagram architectes urbanistes - co-traitant Surface : 5 Hectares Budget : 535 000 € 1ére tranche Année : 2013 - 2014 Livraison : Septembre 2014 Lieu : Quartier du Chemin vert, Caen (Calvados)

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Étude de Cas du projet d’aménagement des espaces de la « grande transversale Ouest/Est » du quartier du Chemin Vert à Caen. Le quartier du Chemin Vert est situé au Nord-ouest de Caen. Le quartier regroupe avec 9000 habitants, 10% de la population caennaise

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Situation du quartier du Chemin Vert au Nord-Ouest de la ville de Caen

Le quartier se compose de 4 couples de tours réunies autour d’un parking souterrain, l’ensemble est coupé en son centre par la rue du Chemin Vert.

et souffre d’une mauvaise image, en partie due aux ensembles de logements sociaux collectifs dans la partie Nord. Le quartier fait l’objet d’un projet de développement territorial avec un volet de créations rénovations d’équipements et un volet de rénovation d’espaces publics. Une équipe d’architectes-urbanistes avait travaillé sur un schéma directeur d’espaces publics ainsi qu’un cahier de prescription urbaines portant sur l’ensemble du périmètre. Cette étude n’ayant pas été jugée satisfaisante, la ville de Caen a ainsi effectué une nouvelle consultation destiné à fixer un parti d’aménagement des espaces publics et à les réaliser. L’agence Diagram en co-traitance avec une B.E V.R.D a obtenu cette mission en Novembre 2012 sur la proposition de étudier le rôle des espaces publics en fonction de plusieurs grandes hypothèses concernant des espaces situés entre la rue de Champagne et la rocade mais aussi en fonction des hypothèses de restructuration du groupe scolaire Authie Nord et du devenir de l’espace laissé par la fermeture du collège Jacquard respectivement à l’extrémité Ouest et au Sud du site. Le secteur d’étude est composé de huit tours de 12 et 14 étages. Orientées Nord-Est / Sud-Ouest, assemblées par couple sur les côtés adjacents de parkings enterrés. La rue du Chemin Vert est perpendiculaire à cette disposition linéaire et rejoins la rocade de Caen située à l’arrière en séparant quatre tour en partie Est et quatre en partie Ouest. Cette phase d’étude s’applique à l’ensemble de la séquence des huit tours. Le travail consiste à envisager les possibilités de densification du foncier libéré et des partis d’aménagements Rapidement, la mission prend la forme d’un projet définit par des « invariants » faisant l’objet d’un consensus avec la maîtrise d’ouvrage et d’un ensemble de secteurs sur lesquels nous projetons plusieurs scénarios d’évolutions, lorsqu’ils ne sont pas programmés ou plusieurs partis d’implantation lorsque le programme à venir est connu. Le parti d’aménagement se fonde sur une altérité première entre un espace calme de promenade caractérisé par l’épaisseur et la qualité végétale existante et des espaces récréatifs, différenciés et minéraux aux pieds des tours. Ces deux univers seront reliés par des connexions diagonales représentant les raccourcis entre ces différents espaces. 1 Article dans l’hebdomadaire tendance ouest http://www.tendanceouest.com/actualite-28772chemin-vert-un-second-souffle.html

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Enfin, le long de la promenade seront installés quelques « salons d’extérieurs » permettant d’accueillir des « usages de convivialité ». Cette première étude de diagnostic et de programmation a permis de mettre en exergue la complémentarité d’usages entre les espaces publics de la ville et les espaces non plantés induits au-dessus des parkings souterrains. Le regard de l’architecte a permis de définir un parti d’aménagement reposant sur les contraintes physiques de la présence de parking souterrains. Cette approche intéressa le bailleur social Caen Habitat qui nous fit part de la problématique d’accessibilité P.M.R de ses bâtiments et de la mise aux normes de sécurité incendie des parkings. Il envisage alors un appel d’offres de faisabilité sur ces questions susceptibles de modifier le caractère des espaces vacants en surface. Plusieurs contrats pour un projet L’étude urbaine terminée, l’équipe débute la mission de maîtrise d’oeuvre de la rénovation des espaces publics de la transversale Est – Ouest du quartier du Chemin Vert en vue d’un lancement des travaux début 2014 pour une réouverture du site au public au début de l’été 2014. Parallèlement, l’agence Diagram répond avec le même B.E V.R.D également à l’appel d’offres du bailleur social Caen Habitat. La mission se limite à une étude de faisabilité sur la mise en accessibilité pour les personnes à mobilité réduite des halls d’immeubles, la mise aux normes de sécurité incendie des parkings souterrain ainsi que la valorisation des espaces se stationnements souterrains qui ne se louent pas assez bien. Les deux missions de projet d’espace public pour la ville de Caen et étude de faisabilité pour Caen Habitat se superposent dans les échéances et dans l’espace. Catherine Guillot (co-gérante de Diagram architectes) envisage de faire deux rendus à partir du même travail afin d’aller plus loin dans la définition du projet d’ensemble et de rentabiliser le temps d’études. Ce genre de situation « d’emboitement » des commandes permet de mettre en valeurs d’une part les capacités de l’architecte à aborder un même projet et de mêmes enjeux sous plusieurs angles ou plusieurs échelles. Prouvant ainsi sa capacité de synthèse, son sens de l’intérêt public et surtout une grande flexibilité intellectuelle. Celle-ci lui permet de faire le lien entre des orientations générales d’aménagement (étude urbaine qui conclut à la nécessité d’optimiser le foncier à l’arrière afin 24


de donner une valeur de centralité à la transversale E-O) un projet d’espace public (proposant de révéler le potentiel des pieds de tours en en faisant une aire dynamique et récréative offerte aux enfants) et enfin un projet de mise aux normes et valorisation des parkings et halls par la création de rampe d’accès aux halls et de nouvelles sorties venant stimuler les usages en surface et apporter de la lumière en sous-sol. L’architecte peut aussi profiter de ce genre de missions qui à priori ne concernent que marginalement des questions d’espaces pour développer une expertise dans des domaines non architecturaux ou urbains mais ayant un impact spatial. La mise aux normes diverses des espaces et le travail sur les équipements techniques semblent à ce titre particulièrement porteurs. De plus, c’est aussi un moyen parfaitement légitime puisque l’architecte y exerce simplement son devoir de conseil et sa contribution à la qualité des espaces urbains et paysagers.

Proposition Diagram, le projet cherche à valoriser les qualités de l’existant et notamment la perméabilité d’espaces soumis à des statuts fonciers différents. De plus, le projet imagine des espaces publics graphiques qui évoquent les expérimentations des années 70 à la directrice de l’urbanisme.

Bien que séduisante, elle comporte certains risques, en effet, de nombreux « points de contact » avec un même maître d’ouvrage implique une dépendance qui peut compliquer la tâche en cas de désaccord avec celui-ci. Dans le cas de la mission avec Caen Habitat, ces derniers se sont permis d’ajouter des éléments à évaluer en faisabilité en plus de ce qui était convenu au marché. La situation du maître d’œuvre devient alors délicate, s’il se braque, les autres missions ou les deux parties sont liés peuvent subir des tensions, s’il accepte, le maître d’ouvrage ne se privera pas d’en profiter à nouveau. C’est dans ce genre de cas que l’architecte doit faire preuve de tact et d’autorité afin de pointer qu’il peut faire certaines choses à titre exceptionnel. Responsabilité publique

Le croquis de la directrice de l’urbanisme de Caen sollicite un plan définition clairement des limites foncières par des haies, abandon d’un espace ouvert caractérisant les quartiers sociaux à un espace «résidentiel» simplifiant les questions d’entretien et se référant à un autre imaginaire urbain.

Les différentes présentations de l’étude urbaine se sont faites à l’aide de documents et schémas, les idées du projet étaient énoncées par Catherine Guillot que j’accompagnais à l’hôtel de ville de Caen. Le public est alors composé d’élus (Adjoint à l’urbanisme à minima), directeurs des services concernés, techniciens des mêmes services et personnalités invités comme des représentants de Caen Habitat. De multiples questions sont alors abordées, concernant les dimensions sociales, les usages, les projets de transports, etc. que l’architecte – urbaniste conciliant accepte de questionner et de représenter afin de nourrir un débat et un avancement itératif dans les projets de ville. C’est son rôle. Par ailleurs, cette souplesse vis à vis du cœur de mission 25


semble toujours appréciée. Néanmoins, ces grandes réunions ne permettent pas toujours de faire avancer le projet de manière sûre. En effet, la notion de maîtrise d’ouvrage suppose une autorité de gestion et de direction qui ne peut pas être assumée par plusieurs personnes au risque que les désaccords internes ne se répercutent sur une maîtrise d’œuvre qui devient alors l’instrument d’un jeu politique très pénalisant pour la qualité d’un projet. Ce fut le cas sur le projet du quartier Chemin Vert, le service de l’urbanisme avait des réserves sur certains aspects du projet porté par l’agence Diagram, les principes développés avaient fait l’objet de plusieurs présentations et faisaient l’objet d’un consensus avec les élus et techniciens. A l’origine de ce désaccord se trouve la proposition de l’agence d’inciter au développement des usages sur les surfaces situées au-dessus des parkings. Cette proposition ne convient pas à la direction du service de l’urbanisme qui souhaite éliminer toutes formes évocatrices d’une quelconque expérimentation qui se détacheraient d’une ambiance urbaine banalisée. Celles-ci auraient une connotation « quartier social ». Il convient donc selon elle de définir une spatialité de « ville classique » en marquant le statut du foncier de limites claires. Malgré l’expression de cette requête hors du comité, Catherine Guillot proposera plusieurs alternatives au traitement de ses dalles pour neutraliser la critique et remettre au débat les choix concernant cet espace. Les alternatives seront présentées sur le traitement graphique des pieds de tours mais Catherine Guillot ne céda pas à la « résidentialisation » qui représentait une négation de l’analyse des qualités du quartier ayant fait l’objet de plusieurs présentations. Face à l’inertie et la difficulté à prendre des décisions en comités, les maîtrises d’ouvrages sont parfois tentées de revenir sur des décisions que l’on pensait prises où des principes admis depuis le début de l’étude. Le projet passe parfois très proche d’un déshabillage d’ambitions. A défaut d’un leader parmi les politiques ou les techniciens, il appartient au maître d’œuvre de rappeler les enjeux de la commande et de ne pas plier sur son devoir de conseil. En revanche il lui appartient d’être critique sur le projet et de ne pas se braquer sur des aspects non fondamentaux, en l’occurrence ; les propositions d’aménagement des dalles pouvaient variées et servir d’autres usages, prendre d’autres formes mais le parti général du projet était d’exploiter le potentiel spatial de l’interpénétration des espaces publics et privés en clarifiant leurs limites mais en éliminant pas ce qui fonde cette structure spatiale au profit d’une approche dogmatique. 26


Intérêt public, vision utilitariste Fin Novembre, arrivé au terme des études d’avant-projet (A.V.P) la ville de Caen souhaitait organiser une « présentation – concertation ». Deux jours répartis sur deux semaines, un stand était installé dans un centre commercial de quartier afin de présenter le projet aux habitants du quartier et de les inviter à proposer leurs améliorations, ou au contraire affirmer leur opposition au projet. Alors que les études d’avant-projet sont terminées et que le projet est tenu par un calendrier (électoral ?) de mise en chantier en Décembre 2013 (livrable au printemps 2014…) une telle réunion ne peut être vue comme autre chose qu’une séance de communication du projet dans laquelle on soumet quelques détails à l’appréciation des habitants. En l’occurrence, le contenu mobilier des espaces dits « salons d’extérieur » n’avait pas encore été affermi. La réunion portait en conséquence sur quelques aspects tels que le nombre de tables, d’assises et la possibilité ou non d’y organiser un barbecue. Alors que la première séance fut plutôt encourageante, les habitants se montrant favorables à ces aménagements, la seconde réunion le fut moins. En effet, les quelques personnes qui émirent des doutes sur le bon entretien des installations de barbecue remportèrent la partie. Bien sûr, on peut se demander si ces installations étaient vraiment au service de l’intérêt public et bien nécessaire, mais on peut aussi pousser plus loin et se demander si les conditions étaient bien réunies pour réaliser une réunion publique porteuse d’envies communes. Je crois que, réalisée de cette manière, la mobilisation des habitants ne peut que conduire à des envies contradictoires et finalement à déshabiller un projet de tout caractère « volontariste » appliquant ainsi une formule inversée de celui-ci du type : « l’intérêt d’un seul élimine la proposition pour le collectif. » Je regrette le caractère caricatural de cet exercice pourtant fondé et précieux mais qui ne peut pas être fait à moitié. J’espère avoir ultérieurement la possibilité de participer à de vrais processus de concertation avec ce que cela suppose de temps pour pratiquer l’itération. Structure de l’équipe de maîtrise d’œuvre Le projet d’aménagement des espaces publics de la transversale EstOuest sous l’encadrement du B.E V.R.D mandataire a également été l’occasion d’observer les divergences entre l’approche du projet de l’agence Diagram et celle du bureau d’études. En effet, si le fait de travailler avec un urbaniste en co-traitance engage mandataire et co-traitant aux mêmes responsabilités juridiques, les 27


deux co-traitants n’abordent pas les éléments de missions de la même manière. Sur le contrat, par exemple, figurent un certain nombre d’éléments que n’a pas produit le bureau d’études dont le C.C.T.P cahier des clauses techniques particulières. Le travail du bureau d’études V.R.D, travaillant chaque élément de mission à minima s’ajoutant à des revirements au sein de la maîtrise d’ouvrage entraina une importante perte de temps sur le chantier et des problèmes qui auraient pu être évité avec un bon suivi des éléments de mission. Passation des marchés de maîtrise d’œuvre et de travaux et influence sur le projet La difficulté à mener cette mission à bien est aussi liée à une série de changements des conditions du projet et de son exécution émanant de la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci, au dépôt du dossier d’avant-projet informe qu’elle souhaiterait voir la livraison des espaces publics avant les élections municipales. Face à notre réalisme, celle-ci nous assure que l’échéance sera atteignable si elle mobilise des entreprises de travaux liés par accord-cadre à la ville. L’équipe de maîtrise d’œuvre n’a pas su être assez perspicace pour anticiper les déboires qui l’attendaient. En effet, nous avons compris que plus tard que l’entreprise de travaux principale était détentrice d’un accord-cadre pour l’entretien de la voirie, et non-familière de la mise en œuvre d’espaces publics. De plus, en l’absence de C.C.T.P, l’entreprise de travaux était tout à fait légitime de ne prendre aucune disposition particulière quant aux engins utilisés. En effet, le parti d’aménagement du projet proposait pour raisons économiques de ne refaire que les quelques dalles de bétons qui étaient fendues. Et, pour les nouvelles séquences, de mettre en œuvre une fabrication par dalles (environ 3 X 1,5 m) avec deux types de finitions désactivé, avec gros granulat. Cette exigence (coûteuse) sur l’aspect et le format des dalles était liée à la recherche d’insertion dans l’environnement existant et à la mise en valeur des aménagements déjà réalisés. Ainsi, le C.C.T.P. aurait permis d’exiger de l’entreprise un mode opératoire adapté à l’objectif de préservation d’un maximum de dalles permettant la conservation du niveau de qualité souhaité. Or, il n’en fut rien et l’entreprise utilisa tous ses engins roulants sur la promenade en béton et en fissurant environ 500 m², alourdissant d’autant le budget du projet en cours de chantier. Un autre « incident » vint perturber considérablement l’économie du projet ainsi que son périmètre. L’accord-cadre liant l’entreprise et 28


la ville arrivant à terme en Mars, il fallut évidemment, pour ne pas pénaliser le déroulement du chantier renouveler l’entreprise. Hors le renouvellement d’un accord-cadre est l’occasion d’actualiser des prix unitaires. C’est comme ça que le budget du chantier augmenta de 90.000€ à mi-parcours. Le poste ayant subi la plus forte inflation était des barrières empêchant l’accès au site qui étaient en location au mètre linéaire/jour.

La réduction successive du périmètre d’études : En haut : en phase d’étude urbaine En dessous : En phase d’A.V.P (cumul A.V.P + étude de faisabilité accessibilité tours et parkings) Avant-dernière ligne : Au début de la phase chantier Dernière ligne : En fin de phase chantier (déduction des abords de la tour molière pour des raisons de phasage et de la voie nouvelle pour raisons d’économies)

A ce moment du projet, seuls les terrassements et les bordures avaient été posés. L’essentiel de la qualité matérielle du projet résidait dans le travail sur les finitions de béton. Cette prestation, sous-traitée à une entreprise spécialisée dans les bétons failli être réduite au minimum si l’agence Diagram ne s’était pas mobilisée pour trouver des solutions autres que la réduction extrême de tous les facteurs de qualité dans le projet. Dans cette situation, le rôle du bureau d’études fut à double tranchant, prétextant prendre ses responsabilités de mandataire, il proposait le déshabillage du projet. Le rôle de l’agence Diagram a été de convaincre le maître d’ouvrage et le bureau d’études V.R.D. qu’il était plus souhaitable de tronquer un quart de la surface de béton et de la remplacer par du stabilisé que réduire la qualité pour réaliser sur l’ensemble du site un projet amoindri. Les deux jours succédant à cette visite de chantier furent entièrement dédiées à l’équilibrage du budget. Les principales économies ont été réalisées en oubliant quelques pièces de mobilier urbain prévu, en réduisant l’épaisseur du béton de 18 cm à 12 cm et enfin en sortant de l’enveloppe de travaux la réalisation de l’amorce d’une voirie qui ne pourra de toute manière aboutir qu’après la réalisation de la requalification du site du collège Jacquard. Rôle de l’architecte comme « manager » du projet urbain. Cette étude de cas me parait révélatrice de la valeur ajoutée d’un architecte en matière de maîtrise d’œuvre urbaine. En premier lieu, sa formation et sa sensibilité sont orientées vers la manipulation de l’espace et l’articulation de celui-ci avec les usages. Ce que démontre le parti d’aménagement de Diagram qui envisageait une caractérisation des espaces en fonction de leurs emplacements et de leurs potentiels de flux, tranquillité et d’activité. Ensuite, sa compétence technique de la construction d’édifices lui permet une grande perspicacité dans ses interventions. Il peut donc anticiper les contraintes des édifices à proximité ou des ouvrages 29


en souterrains. Tel qu’illustré par le projet de Chemin vert avec les parkings susceptibles de ne pas supporter de surcharge importante. Enfin, je pense que l’approche synthétique et unitaire de l’espace est à créditer à l’architecte qui, contrairement à l’ingénieur V.R.D et au paysagiste n’aborde pas le projet en spécialiste d’un type particulier d’objets. En l’occurrence, il ne se limite pas à se charger des interfaces avec les bâtiments. Sa culture professionnelle se mue entièrement sur un objet différent à concevoir : la ville et son espace. Cette approche unitaire de l’espace répond au caractère profondément interdépendant de la conception spatiale. En effet, celle-ci ne permet pas d’isoler les parties et le «tout». On peut notamment penser aux multiples occasions de conflits entre un arbre (et ses racines), des réseaux, le nivellement, les usages permis et les bâtiments à proximité, tous ces éléments qui doivent être pensé ensemble pour produire une ville «qui marche». A cette culture de la synthèse répond une culture de la responsabilité inscrite dans la loi et dans la pratique, celle-ci est renforcée par le rapport que l’architecte entretien entre la théorie et la pratique et entre le détail et la généralité. Chaque aspect renseignant l’autre et donnant à l’architecte une vision suffisamment pénétrante pour assumer la responsabilité. C’est l’idée que je défends dans ce mémoire en exprimant l’intérêt de construire des espaces publics en parallèle de travaux sans maîtrise d’œuvre comme les études urbaines, schémas directeurs ou encore les plans-guide. Mais ce portrait des capacités de l’architecte à endosser les responsabilités de la maîtrise d’œuvre urbaine ne serait pas tout à fait juste si je n’essayais pas d’y voir quelques failles. À ce titre, l’étude de cas en présente deux qui sont directement imputable à l’architecte et qui présentent les limites de l’adéquation entre la culture professionnelle de l’architecte et les exigences de la maîtrise d’œuvre urbaine. La première concerne ses compétences dans les processus de concertation, comme nous l’avons vu, la concertation est une des tendances de fond des marchés de maîtrise d’œuvre, et celle-ci est particulièrement judicieuse dans le cas de projets urbains et d’espaces publics. Mais la concertation est une approche qui bouleverse radicalement les processus de projets et l’organisation des études de maîtrise d’œuvre, elle ne peut pas être une option que l’on ajoute ou enlève à un projet, elle doit être pleinement intégré à un processus qui ne se contente pas de considérer le citoyen comme un client, mais 30


comme un acteur. Cela impliquerait une démarche plus claire de la part des maîtres d’ouvrage mais aussi aux architectes urbanistes de développer de nouvelles compétences et une nouvelle délimitation des responsabilités. La seconde trouve sa source dans la question foncière qui s’est posée à un moment du projet. Alors que le télescopage des missions d’études urbaine, de maîtrise d’œuvre des espaces publics et d’étude de faisabilité de mise aux normes des halls et parkings permettait de concevoir un projet unique répartit sur plusieurs emprises, la réalité des questions triviales de gestion, d’entretien et de phasage ont pénalisé le projet tel qu’il était conçu. En effet, alors que le projet prévoyait de vastes aires de jeux aux pieds des tours et une promenade calme et arborée, l’incertitude de la réalisation du projet suspendu aux financements du bailleur social a permis à la ville de Caen d’exiger une aire de jeux sur la transversale. Dès lors, l’équilibre du projet est compromis et il sera condamné a présenter au mieux des redondances, au pire une mise à nue de ses intentions. Je pense donc que la connaissance du droit du sol et des modes opératoires qui y sont associés font parti des compétences de l’architecte à renforcer dans le cas de la maîtrise d’œuvre urbaine.

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Projet professionnel Ce mémoire a mis en évidence les qualités de l’architecte dans les missions de conception urbaine. Ces dernières reposent sur l’esprit de synthèse qui lui confère un rôle de lien entre le domaine politique et du technique mais aussi entre les différents intervenants. De plus, nous avons fait apparaître le caractère « ouvert » des marchés de maîtrise d’œuvre urbaine dont les processus de travail sont en évolution. En témoigne les listes d’expertises sollicitées par les maîtres d’ouvrage et les nombreux formats de missions qui sont développées pour obtenir des réponses à des questions complexes par nature. Ces équipes «à rallonge» supposent des configurations du partage des responsabilités qui indiquent une certaine liberté dans l’organisation des équipes et les méthodes de travail proposées. Malheureusement, les membres des groupements ne sont pas toujours structurellement en capacité de travailler en synergie. Car ce travail suppose un investissement considérable. Par ailleurs, les groupements de maîtrise d’œuvre ont souvent tendance à se répartir un travail bien cloisonné mais aussi de partager les rôles entre « créatifs dessinateurs » et ceux qui évaluent la faisabilité technique et économique d’un projet. Or, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises la qualité de la ville et de ses espaces relèvent de la faculté des concepteurs à travailler en synergie. L’aboutissement de ce travail est un espace manifestant une certaine unité. A ce premier constat méthodologique s’ajoute un constat conjoncturel. En effet, une des grandes évolutions en cours dans la nature des commandes est celle liée à l’approche environnementale et à la transition énergétique, thématiques

complémentaires

présentant

des

facettes

techniques,

technologiques, biologiques, environnementales, sociales, économiques, etc. On peut anticiper que celles-ci impliquent un grand nombre de répercutions spatiales sur l’espace architectural et urbain qui ne sont pas encore bien appréhendées et qui nécessiterons une collaboration accrue entre les différents acteurs de la maîtrise d’œuvre. On peut supposer que cela entraînera de nouvelles configurations d’équipes et des responsabilités a l’intérieur de nouvelles géométries contractuelles. Après demain - Une approche transdisciplinaire de la maîtrise d’œuvre urbaine. Mon objectif à moyen/long terme est donc fondé sur ces observations. Ce que j’ai constaté dans les annonces de marchés de maîtrise d’œuvre urbaine et autres marchés «collatéraux» au cours de mes veilles chez Diagram c’est que ces marchés ont tendance à se «transdisciplinairiser». 32


J’en déduis que ces marchés ne pourront pas être abordés avec pertinence s’il ne s’opère pas de synthèse entre les disciplines. Cela définit une condition sine qua none pour exercer : savoir travailler avec les autres, surtout ceux qui ne font pas les mêmes choses que moi. Par conséquent, il n’est pas nécessaire attendre que l’architecte soit nécessaire dans une équipe de maîtrise d’œuvre urbaine pour y participer; selon moi, il ne faut pas se contenter des études qui attendent un «projet architectural ou urbain» mais pratiquer l’exercice transdisciplinaire sur un plus grand nombre de sujets de l’espace sans écarter ceux qui ne semblent pas appeler un « projet ». Pour moi, former des équipes de maîtrise d’œuvre transdisciplinaires, répond non seulement à l’enjeu d’améliorer la qualité des projets mais procède de la conviction que l’approche transdisciplinaire est le pilier d’une conception durable et pertinente de l’espace. Demain - Apprendre des autres disciplines Pour atteindre cet objectif de moyen-long terme, j’envisage deux grands axes de travail. Le premier concerne le développement de compétences servant cette idée. Car celle-ci demande en effet de développer des savoir-faire spécifiquement liés au travail transdisciplinaire. Il s’agit peut-être de s’engager dans une formation complémentaire par exemple en génie urbain, gestion urbaine, droit du sol, montage d’opération... Permettant d’avoir des doubles compétences à mettre à profit dans le dialogue disciplinaire et méthodologique. L’autre axe consiste à poursuivre une pratique en agence et d’orienter mon parcours en fonction de ce projet de long terme. Tout en nourrissant des relations avec des personnes aux motivations similaires. Expérimenter des partenariats sur de petits projets, répondre à des appels à idées en constituant une méthodologie. J’envisage également d’expérimenter une approche transdisciplinaire par la réponse à des appels d’offres. Quelles que soient les trajectoires, je souhaite persévérer dans l’approche multi-scalaires sur des sujets de très grande échelle qui ne supposent pas de maîtrise d’œuvre, des projets de maîtrise d’œuvre urbaine d’échelle moyenne et de la conception d’espaces publics dont je considère les complémentarités comme une richesse. Enfin, si mon expérience ne m’en a pas donné l’occasion, j’aimerai beaucoup aborder la maîtrise d’œuvre architecturale, sur de petits projets de manière a appréhender progressivement les spécificités et enjeux de cette activité. Elle 33


est, de surcroît un domaine très nourrissant avec lequel la conception de la ville est en constante interaction. Aujourd’hui - Observer et apprendre Alors que mon expérience au sein de l’agence Diagram a pris fin en Juillet 2014, j’ai rapidement trouvé un poste dans une agence d’une douzaine de personnes spécialisées en maîtrise d’œuvre urbaine, et d’infrastructure de transports. Je suis actuellement chargé d’un projet de bus à haut niveau de service à Lens. Cet emploi s’inscrit dans un projet qui consiste à continuer à apprendre les savoir-faire de la maîtrise d’œuvre urbaine et de travailler progressivement sur des projets plus importants. J’envisage aussi de poursuivre l’observation des modes d’exercices et la gestion de la structure professionnelle mais aussi des relations entretenues avec les partenaires, tout cela dans le but de me développer une culture « managériale » de l’agence d’architecture.

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Remerciements Écrire un mémoire est un travail qui demande beaucoup de temps de préparation et de formulation des idées, il demande aussi une immersion importante dans son sujet, conditions difficiles à réunir lorsqu’on commence un activité professionnelle comme c’est le cas de tous les candidats à l’H.M.O.N.P. Ce travail doit donc beaucoup à l’environnement dans lequel il est pensé. Je tiens donc à remercier Catherine Guillot et Refki Chelly pour leur accueil, leur patience et leurs explications, et au delà pour ce qu’ils m’ont appris au quotidien pendant deux années. Louis Guedj pour ses conseils judicieux, la régularité de son suivi et la perspicacité de son regard. Jean-Luc Malgat, D.D.T Maine et Loire pour son aimable réponse à mes questions. Les enseignants et professionnels qui sont venus dispenser leurs cours avec passion au sein de l’ENSA Paris La Villette, nous préparant à des réalités difficiles tout en transmettant énergie et courage dans leurs exposés. Sylvie Ly, pour sa relecture patiente et ses multiples suggestions.

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Éléments bibliographiques et webographiques

A propos de la maîtrise d’œuvre urbaine

CABANIEU, Jacques. Les contrats de maîtrise d’oeuvre urbaine [en ligne]. Guide méthodologique. La Défense : MIQCP, 2007, 105 p. Disponible sur : http://www.archi.fr/MIQCP/article.php3?id_article=321 (Consulté le 16 avril 2014) CABANIEU, Jacques. Les espaces publics urbains [en ligne]. Guide méthodologique. La Défense : MIQCP, 2001, 176 p. Disponible sur : http://www.archi.fr/MIQCP/article.php3?id_article=79 (Consulté le 10 mai 2014)

A propos de l’intérêt public

Conseil d’État et la juridiction administrative. Réflexions sur l’intérêt général. [en ligne] (Publication le 30 novembre 1998) Disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/ Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Reflexions-surl-interet-general-Rapport-public-1999 (Consulté le 16 avril 2014)

A propos de la loi MOP

CABANIEU, Jacques. Procédures de passation des marchés de maîtrise d’oeuvre. Paris : ENSAPLV. HMONP Cours, 2014, 106 p.

A propos du Paris XIX siècle

ALPHAND, Charles Adolphe. Les promenades de Paris. Histoire, description des embellissements, dépenses de création et d’entretien des bois de Boulogne et de Vincennes, Champs-Elysées, parcs, squares, boulevards, places plantées : étude sur l’art des jardins et arboretums, 2 vol. (texte recueil des planches), Paris : J. Rothschild, 270 p. DEJAMME JEAN. Application aux villes du décret du 26 mars 1852 sur les rues de Paris ; [en ligne]. Journal officiel, 1887. Disponible sur : http://gallica.bnf.fr/ ark:/12148/bpt6k6481897r/f5.image (consulté le 21/07/2014) LANDEAU, Bernard, La fabrication des rues de Paris au XIXe siècle, un territoire d’innovation technique et politique, Les annales de la recherche urbaine,1992 : n°57, p. 23-44

A propos de la D.D.E

Entretien téléphonique avec Monsieur Jean-Luc MALGAT, Chef de service construction, habitat, ville de la D.D.T Maine-et-Loire, réalisé le 28 août 2014

A propos de l’urbanisme vertical

HOLLEY, Michel. Urbanisme vertical & autres souvenirs, Paris : Somogy éditions d’art, 2012, 143 p.

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