LB n°25 : Restauration II

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EDITO

La fin d'année est comme une fin de siècle. Tandis que notre rythme de travail s'essouffle tel un académisme pompier, nous rêvons aux vacances, à la Bretagne, au Japon, ou à la Polynésie, véritables petits Gauguin en quête d'évasion. Au terme de ce chemin de croix d'avant les vacances nous attend la joie de Noël, un chaleureux Art Nouveau suivi d'un Nouvel An 1900 à l'absinthe. Nul doute qu'il sera aussi dantesque qu'une œuvre de Rodin, et causera un sage "retour à l'ordre" dès le 2 janvier. Pour accompagner cet émoustillement progressif, Louvr'Boîte vous offre ce mois-ci un numéro aussi léger que le repas de Noël bourguignon de mamie Bertrande, entièrement consacré à la nourriture. "Restauration II", c'est une référence à notre numéro de l'an dernier sur la restauration des œuvres d'art. Cette fois, il sera question d'aliments. Bien sûr, il y aura du joli, du cuisiné, du beau et du bon. Mais il y aura aussi du digéré, du ruminé, du remâché et du pourri, ce qui est toujours fascinant. Nous espérons que ce Louvr'Boîte sera à votre goût. Savourez-le bien et ne pensez pas trop à la première guerre mondiale des exams de mai. Kim Harthoorn

Louvr'Boîte, journal des élèves de l'École du Louvre. Septième année. décembre 2014. 0,5 €. École du Louvre, Bureau des Élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Tél. : +33 (0) 1 42 96 13. Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Tumblr : http://louvrboite.tumblr.com. Directrice de publication : Kimberley Harthoorn. Rédactrice en chef : Herminie Astay. Ont contribué à ce numéro, dans l'ordre alphabétique : Herminie Astay, Marine Botton, Gabriel Courgeon, Solène Devaux-Poulain, Alexis Dussaix, Matthieu Fantoni, Sarah Favre, Maximilien Grémaud, Anne-Elise Guilbert-Tétard, Justine Hamon, Kimberley Harthoorn, Julien Jourand, Sophie Leromain, Aurélien Locatelli, Yohan Mainguy, Cassandre Mbonyo-Kiefer, Vincent Paquot, Elise Poirey, Marine Roux, Margaux Ruaud, Laure Saffroy-Lepesqueur, Adèle Steunou. ISSN 1969-9611. Dépôt légal : décembre 2014. Imprimé sur les presses de l'École du Louvre (France). Saufmention contraire, © Louvr'Boîte et ses auteurs.

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Restauration II

du fast­food Texte : Maxmilien Grémaud

Si le camp de concentration a pu être un lieu de dénaturation des hommes, le fast-food en est un de la dénaturation de la nourriture. Là, on ne vient pas restaurer ses forces, on vient oublier une réalité trop lourde de matérialité. En ce lieu on ne trouve nulle forme organique. La viande n’est plus muscle, n’est plus chair, elle est hachée pour devenir une substance nutritive homogène et pouvoir adopter la forme simple et inoffensive du disque. Le pain adopte cette même géométrie malsaine. Le poisson, pané, a l’avantage de ne présenter ni écaille ni arête. Quant au fromage, il nous fait entrer dans le royaume terrible des fluides : pâte fromagère monochrome servie en bande, sauce homogène mise en petit pot, sodas et crèmes glacées prélevés de fontaines au jet ininterrompu. Là, tout perd consistance, rien n’a plus de poids. Le pain, de mie, nous fait saisir un sandwich d’une légèreté offensante. Et lorsque notre bouche en saisit un morceau, elle ne rencontre pas la moindre résistance, ni du pain, ni de la viande, ni de ces quelque légumes que l’on s’est empressé de découper afin de leur faire perdre leur réalité organique. Ils ne sont plus dès lors que motifs (graines de la tomate, ondulation de la salade) et couleurs. Et ces couleurs, vives si l’on peut dire, orange, vert, rouge, jaune, sont l’aboutissement de cette impitoyable logique. Monochromes, pures, ces mêmes couleurs qui composent les terribles effigies McDonald's, sont le degré de moindre matière que peut connaître la matière : énergétiques, par là hygiéniques. Là, dans ce monde de carton-pâte, les aliments ne viennent pas de la terre, ils ne furent jamais plante ou animal. Toute nourriture est ici réifiée, plus, devient une sinistre cosa mentale. Le fast-food, négation de la vie, est promesse d’insipide. M

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Les natures mortes hollandaises Texte : Sarah Favre - Illustration : Alexis Dussaix

La Nature Morte met aussi en scène une nourriture terrestre parfois pourrie pour mettre devant les yeux du croyant le monde de l’éphémère à opposer au monde de l’éternel, celui de Dieu. Dans ce genre de tableau, on observe souvent un crâne qui sonne comme un memento mori dans les oreilles du croyant de l’époque et qui doit lui retirer tout orgueil pour en faire un bon chrétien. Les couteaux, les jambons et les gibiers sont le symbole du mal et font référence à la mort du Christ par opposition aux homards ou aux crabes et autres crustacés qui changent de carapace et sont donc le symbole de la résurrection. Le poisson est également un symbole de la résurrection car il rappelle la fameuse phrase du Christ : « Comme Jonas, j’ai passé trois jours dans le ventre de la baleine », la baleine évoque en fait la mort. Cette baleine avait déjà été illustrée par un poisson par MichelAnge dans la chapelle Sixtine. Ce poisson évoque à la fois la mort et la résurrection.

Lorsque l’on consacre un numéro entier à l’art et la nourriture, on ne peut pas ne pas parler des natures mortes hollandaises ! Effectivement cette forme d’art typiquement néerlandaise a pour seul et unique sujet ce que l’on peut trouver de bon sur une table du XVIIe siècle ! Mais pourquoi une telle idée ? Pourquoi diable un peintre se spécialiserait dans la représentation unique d’aliments ? Il faut avouer que l’on a vu meilleure idée pour lancer une carrière. Mais ce serait sous-estimer la Nature Morte hollandaise que de la mettre sous l’étiquette : « divagation d’un glouton qui attend une audience chez la reine ». Non, la Nature Morte, c’est bien plus que cela ! « Bon très bien », me direz-vous, « Mais alors c’est quoi ? ». Un peu de patience lecteur et, en bon historien, analysons ensemble les faits et essayons d'établir une liste exhaustive des éléments qui constituent la Nature Morte. Déjà, regardons le terme de « Nature Morte », il ne donne pas vraiment grand appétit, c’est une appellation austère qui ne met pas vraiment l’estomac dans les talons… Et cela nous donne un indice pour comprendre le rôle de la Nature Morte, qui en fait souvent une vanité, un tableau pieux, une allégorie. On voit souvent la présence de vin et de pain qui représente le sang et le corps du Christ, comme un peu une représentation aniconique et universelle du Tout-Puissant, une façon détournée et abstraite de représenter le Fils.

Parfois les artistes (pris de pulsions… toutes relatives) peignent des fruits comme des pommes ou des goyaves croquées qui représentent le péché originel, le thème instauré est alors sensuel et charnel, on voit des assiettes rondes et des verres à pied aux formes féminines évocatrices, des huîtres ouvertes évoquent la passion consommée. Mais, à part si le peintre est dans son week-end blasphème, il rajoute dans le coin droit un petit crâne de mort ou bien des insectes, allégorie de l’Enfer… Cet art de la Nature Morte concorde avec une

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certaine interprétation rigide du protestantisme en vogue à l’époque. Cependant rassure-toi lecteur, le peintre hollandais n’est pas toujours mal luné et ne voue pas une passion sans limite au macabre. Enfin, tout ça pour dire que les Natures Mortes ne portent pas toujours bien leur nom. En effet, la Nature Morte est indissociable de la vie qui y est toujours omniprésente ; rendue plus palpable par son apparente absence, quand on la cherche, on la trouve toujours ! En effet, les repas présentés sont toujours entamés, l’ordre établi est certes rompu mais la vie n’est faite que d’inattendu, aussi peut-on interpréter négativement ou positivement ce désordre. En tous les cas, il est synonyme de vie. De même dans les verres ou les coupelles se reflète toujours un décor d’une maison, une silhouette estompée, une lumière familière de bougie qui là encore évoque subtilement la vie environnante. Ce n’est pas vainement qu’on appelle aussi ces Natures les « Vies silencieuses » k ...

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Françoi s Vatel, l e g ou t d u sen sa t i on n el Texte & Illustration : Marine Roux

Devant la fulgurante floraison des émissions culinaires à grand succès et malgré l’overdose qui en découle, les papilles françaises sont depuis quelques années rudement mises à l’épreuve aux heures du goûter, puis aux alentours de 20h50. Combien de fois mon ventre a-t-il crié famine, alors qu’il venait d’être rassasié, attiré par le fumet d’une bonne marmite, alléché par la couleur bien rouge d’un gros rôti ou encore séduit par la courbe délicate d’une tarte citron meringuée, magistralement mis en scène à la télévision. Mais cette effervescence que connaît la cuisine n’est pas nouvelle et a notamment vécu ses plus belles heures de gloire sous Louis XIV. Car, avant Maïté, il y a eu Vatel. D’origine suisse, François Vatel (1631-1671), de son vrai nom Fritz Karl Watel, fit son apprentissage de pâtissiertraiteur chez Johan Heverard avant de devenir l’écuyer de cuisine de Nicolas Fouquet au château de Vaux-le-Vicomte puis maître d’hôtel du Prince Louis II de Bourbon-Condé au château de Chantilly. Organisateur brillant, il était ainsi chargé des achats des victuailles, de la préparation des festivités, de la présentation des mets mais aussi du divertissement des hôtes. Il n’était donc pas cuisinier, comme l’a établi la légende. En effet, si le nom de Vatel est passé à la postérité, c’est davantage lié à son suicide insensé qu’à ses recettes de cuisine, qui demeurent inexistantes.

Comble de l’histoire, les livreurs normands arrivèrent à 8h du matin, les carrioles remplies de poissons en tout genre, que dégustèrent allégrement les convives sans se préoccuper du malheureux Vatel : « l’on mangea comme si un grand deuil n’était pas inopinément tombé sur la cuisine ». Beaucoup ont essayé de trouver des raisons à ce suicide invraisemblable, moi la première, mettant ça sur le dos de l’ignoble « trucidage » des innocents perroquets de Vatel, dont les cœurs servirent à soigner la goutte du Prince de Condé (pour ceux qui sont largués, c’est une référence à une scène du film Vatel de Roland Joffé… Sinon pour les autres, je suis sûre que vous avez été autant scandalisés que moi et BB). Mais c’est certainement la fatigue accumulée et la pression de devoir nourrir les bouches insolentes de 3000 invités, qui eurent raison du Maitre des plaisirs, devenu Esclave des plaisirs. Face à ça, les défis de Norbert et Jean n’ont pas fière allure, n’est-ce pas ? Mais avant que ce soit le cauchemar en cuisine, Vatel offrit à la cour de somptueuses fêtes, ponctuées de feux d’artifice au coût faramineux, de danses, de pièces de théâtre et ce, dans un décor de guirlandes multicolores et de bouquets de fleurs. Ainsi, en plus d’un dîner presque parfait, l’ambiance était bien au rendez-vous durant le séjour de Louis XIV.

C’est pour tout cela, que moi je lui aurais attribué En 1671, le Prince de Condé recevait en grande la note de 8/10 car Vatel était donc à deux doigts de devenir pompe le Roi durant trois jours, afin de se faire pardonner le Top Chef 1671… B quelques petites infidélités… Constatons que l’invitation à un bon gueuleton pour obtenir un pardon n’est pas une stratégie récente ! A cette occasion, Vatel, nommé « contrôleur de bouche », fut missionné d’offrir à sa majesté un spectacle grandiose de festins aux mille saveurs, à en faire pâlir Obélix. Il ne ferma par l’œil durant les douze jours précédant l’arrivée de la cour afin d’orchestrer l’événement jusqu’à la moindre petite cuillère. Mais le dernier jour, pour le banquet du vendredi, la livraison de poissons marins prit du retard et le maitre d’hôtel, ne pouvant « survivre à cet affront-ci » se transperça trois fois le cœur de son épée. En résumé, le poisson lui posa un lapin et ce fut hara-kiri, d’après les dires de Madame de Sévigné, dont les lettres à sa fille nous permirent de connaître les détails des réjouissances et du drame.

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L'ORIGINE DU VIN DANS L'ANTIQUITÉ Texte : Justine Hamon - Illustration : Alexis Dussaix

Nous connaissons tous la réputation de nos ancêtres grecs et romains, grands buveurs et cultivateurs de la vigne. Je ne reviendrai pas non plus sur les gaulois, friands d'hydromel et de bière, dont les classes aristocratiques se faisaient livrer du vin depuis le Sud de la France, ou de l'Italie, quitte à échanger un baril contre un esclave ! Dans un questionnement perpétuel de nos origines, et de la naissance de toute chose, un besoin philosophique, gastronomique, et archéologique s'impose : connaître l'origine première du vin... D'où vient-il ? Qui furent les premiers à le cultiver ? A en boire et à le diffuser ? Voici quelques réponses à ces questions, qui j'espère satisferont votre curiosité d'œnologue averti. Il y a trois ans, des archéologues ont mis au jour dans une grotte du Caucase arménien les restes d'un pot et d'une cuve d'une cinquantaine de litres ainsi qu'une bassine en argile surmontée d'une rigole. Partout autour, le sol était jonché de résidus de grappes et de pépins de raisin. Les chercheurs en ont déduit qu'il s'agissait d'une unité de production de vin. Le site appelé Areni, existait déjà il y a 6100 ans. Ce n'est pas tout, des traces d'acide tartrique dues à la fermentation du raisin avaient été repérées en Iran sur des tessons de vases vieux de 7500 ans. Par la suite, des sites comme Hajji Firuz Tepe et Godin Tepe en Iran ont livré les traces de vinification datées de 5400/5500 av. J.-C. Le principe est simple : on récolte à la main, on foule aux pieds, et on conserve dans de grandes dolia. La région du Caucase peut ainsi être considérée comme le berceau du vin, et les analyses montrent bien que les vignes cultivées en Europe aujourd’hui, conservent un patrimoine génétique qui provient de ce Sud-Ouest asiatique. Suivons un peu les grandes civilisations et tournons nous du côté de l'Égypte, où l'on en trouve des traces dès le IVème millénaire, dans une tombe royale de l'Égypte prédynastique ; des jarres de 4500 litres importées de Palestine accompagnaient le roi Scorpion 1er dans son voyage mortuaire. Cette culture apparaît réellement au Nouvel

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Empire dans le Sud du Delta, où les vignes sont cultivées sur des coteaux non-inondables. L'une des plus grandes connues est celle d'Akhénaton qui s'étendait sur 1,26 hectare à Tell el-Amarna. Sethi 1er offrait du vin à ses soldats à l'occasion de ses victoires, et Ramsès II amplifia la vocation vinicole de son royaume. Dans son Ramesseum, 679 étiquettes portent le nom de 34 crus d'autant de vignerons. Enfin, Toutânkhamon possédait sa propre vigne, son tombeau contenait 26 amphores à vin, portant des inscriptions telles que « Quatrième année. Vin de très bonne qualité du domaine d'Aton sur les bords de la Rivière occidentale. Maitre de chai : Khay ». Les archéologues s'interrogent sur la

disposition des ces amphores qui contenaient vin blanc à l'Est, vin rouge à l'Ouest et shedeh (préparation à base de raisin noir) au centre de la tombe, sous la fresque des douze babouins divinisés représentant les douze heures de la nuit. Le vin rouge ne serait-il pas l'état de mort, et le vin blanc celui de renaissance ? Les recherches sont à approfondir, avis à ceux qui cherchent un sujet de mémoire, ou de thèse... Et suite à cette introduction historique sur les origines du vin, je conclurai par cette citation de Socrate : « Buvons donc, amis, c'est aussi mon sentiment. Le vin, en arrosant nos esprits, endort les chagrins comme la mandragore assoupit les hommes. Quant à la joie, il l'éveille comme l'huile la flamme. ». M


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Les Meilleurs Ouvriers de France, les compagnons et leurs chefs-d'oeuvre Texte : Adèle Steunou - Illustration : Margaux Ruaud

En cette période de fêtes approchant à grands pas et en ce numéro spécial miamiture, comment ne pas aborder notre meilleur ami le chocolat ? En plus d’être une super idée de cadeau en cas d’absence totale d’imagination (hey, avouez, vous l’avez tous fait au moins une fois !), il peut également permettre de réaliser de véritables œuvres d’art. Et non, je ne parle pas du fondant home-made que vous avez instagrammé hier de votre iPhone… En effet cher lecteur, apprends (ou si tu le sais déjà, autorise-toi un petit sourire satisfait en lisant ces lignes) que la chocolaterie est un domaine à part entière de l’artisanat gastronomique. Elle est même, depuis 1990, une catégorie du concours des Meilleurs Ouvriers de France (ou MOF pour les intimes), ce concours qui se déroule tous les 3 ou 4 ans seulement et qui a déjà vu 19 candidats recevoir le précieux titre accompagné du prestigieux col bleu-blancrouge. Les postulants, âgés d’au moins 23 ans, doivent tout d’abord passer les épreuves qualificatives théoriques qui éjectent du circuit un bon nombre de concurrents, puis une demi-finale pratique ne retenant que quelques heureux élus qui doivent encore affronter une troisième et dernière épreuve qui les consacrera ou les condamnera à retenter leur chance à la prochaine édition. Les lauréats se voient remettre leur médaille lors d’une cérémonie à la Sorbonne avant d’être reçus à l’Élysée. De façon moins médiatisée mais également plus large, les compagnons du devoir forment des apprentis et des maîtres depuis des décennies dans cette discipline : les apprentis commencent leur formation généralement entre 14 et 16 ans avant d’entamer leur tour de France et

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finalement réaliser le fameux chef-d’œuvre, examiné par plusieurs maîtres exigeants qui décideront alors d’admettre ou non le candidat en tant que compagnon. Et alors là, croyez-moi quand je vous dis que leurs productions n’ont rien à voir avec ce qu’on trouve chez le chocolatier du coin. Quand bien même le vôtre s’appellerait De Neuville ou Jeff de Bruges ! Les chefs-d’œuvre des compagnons sont bien souvent exposés dans des musées… Et sans doute est-ce là la principale différence entre les compagnons et les MOF : les réalisations des MOF sont très techniques à bien des égard mais leur jugement passe par la dégustation par un jury de professionnels. La présentation est évaluée et demeure primordiale mais elle ne constitue pas le seul critère tandis que l’œuvre de l’aspirant compagnon, elle, demeure intacte et repose davantage sur la virtuosité visuelle (et l’absence de grosse chaleur le jour de l’évaluation) que sur une évaluation gustative. Ce qui n’empêche pas les compagnons d’être des experts dans leur domaine à l’instar des MOF, nombre d’entre eux sont d’ailleurs passés par le compagnonnage avant de tenter le concours… Bref, vous l’aurez compris : chocolatier, ça claque ! Oui "chocolatier" et pas "chocolatière », parce qu’avec 19 candidats qualifiés tous masculins en 24 ans au concours des MOF, on ne peut pas encore vraiment parler de parité. Mais notons néanmoins quelques progrès : si les femmes de la profession sont certes moins connues et médiatisées que leurs confrères, les compagnons de leur côté ont tout de même ouvert leurs portes à la gent féminine depuis 2004 mettant ainsi fin à près de 8 siècles de masculinité exclusive,


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une avancée plutôt encourageante, non ? (c’était la minute militante, merci beaucoup) Enfin pour celles et ceux que cet article a fait saliver mais qui ne pourraient à leur grand regret pas se permettre d’acquérir une création de l’un de ces grands maîtres (dépassant parfois les 100€ !) : n’ayez crainte ! Il vous reste toujours d’autres "chefs-d’oeuvres" certes plus ordinaires mais plus accessibles, commercialisés dans les enseignes pas trop luxueuses et écoulés en quantités monstrueusement inquiétantes pour nos artères chaque Noël. C’est d’ailleurs ce qui est bien avec le chocolat, c’est un mets de luxe, il a ses grands crus, ses grands noms qui vont parfois jusqu’à réaliser des "collections" comme les couturiers mais c’est un luxe accessible pour beaucoup car il existe malgré tout sous forme de produits à la portée du plus grand nombre. Alors pour conclure : vive la démocratisation du chocolat et que les plus courageux d’entre vous enfilent leur tablier ! Mais si, je vous dis que les truffes c’est réalisable… W

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À voir : le musée Gadagne à Lyon qui expose quelques chefs-d’œuvre de compagnons dont celui d’un maître chocolatier.


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La cuisine moléculaire : l'art contemporain dans la gastronomie ?

Texte : Yohan Mainguy - Illustration : Herminie Astay

On a tous déjà plus ou moins entendu parler de la cuisine moléculaire, que certains voient comme une “pseudo-gastronomie” pratiquée par des scientifiques en mal de distraction. C'est sûr, on les imagine bien avec leur tête de savant fou, prêts à nous faire manger des billes multicolores sortant tout droit d'une marmite d'azote encore fumante... Bon calmons-nous, il y a de ça mais pas que. La cuisine moléculaire, on la connaît surtout à travers l'image des billes colorées, emplies d'un liquide au goût (sûrement) étrange et, en tous cas, bien éloigné de tout ce que l'on a pu goûter jusqu'alors. Autant vous prévenir, nous ne traiterons ici pas du procédé de “fabrication” d'un repas moléculaire ; premièrement parce qu'on se rapprocherait plus d'un cours de physique-chimie que d'un article, deuxièmement parce que ça n'est pas très intéressant. (Et puis, si ça vous dit, vous pouvez toujours vous acheter des kits de cuisine moléculaire avec plein de sachets bizarres mais je ne garantis rien). Mais alors c'est quoi ce truc, d'où ça vient, qu'est-ce qu'il y a dedans ? Au départ, la “gastronomie moléculaire et physique” est un terme qui a été proposé en 1988 par deux scientifiques, Nicholas Kurti et Hervé This (la suppression de “et physique” a été décidée après la mort de Kurti, histoire de simplifier le nom et de faire moins peur surtout). Mais au fond, cette curieuse appellation ne recouvre qu'une simple réalité : l'étude des phénomènes intervenant lors des transformations culinaires.

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Maintenant que nous en avons fini avec la présentation à la Fred & Jamy, intéressons-nous au fond du problème : c'est bon ? Et surtout, c'est bien, c'est pas dangereux ? Justement, c'est là que se situe le débat depuis l'ouverture de cette discipline au grand public. Pour reprendre le titre de cet article et en revenir au rapport avec l'art, la cuisine moléculaire est en effet vue comme “l'art contemporain dans la gastronomie”. Autrement dit, une remise en question des limites de cette discipline, sous une inévitable nuée de critiques et de sifflets. Car bien sûr, la gastronomie moléculaire n'est pas restée longtemps bloquée dans le domaine de la science pure ; ce qui peut tout à fait se comprendre, étant donné sa manière de la pratiquer ainsi que les résultats obtenus. C'est ainsi que, dès les années 1980-90, le chef espagnol Ferran Adrià a pu développer et partager son goût pour ce type de gastronomie, aux commandes des cuisines du restaurant “elBulli”. Depuis, de nombreux chefs étoilés ont également proposé et proposent toujours de retrouver bulles de melon et autres émulsions de mâche dans son assiette. Cette cuisine, innovante pour certains, est décriée comme une “mascarade” par d'autres, un véritable scandale sanitaire. En effet, après une sorte d'état de grâce à ses débuts (malgré quelques critiques çà et là), cette dernière a subi un temps une perte de vitesse et a vu s'opposer à elle de nombreux sceptiques. Aujourd'hui toutefois, elle est encore à la mode et les restaurants qui la proposent très


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prisés (et très chers, mais là on entre dans un autre débat). Alors pourquoi cette levée de boucliers ? Premièrement, on retrouve une raison à laquelle tout le monde s'attend : la défense de la cuisine traditionnelle. Un des principaux opposants français à la gastronomie moléculaire, le chef Jean Bardet, explique par exemple qu'« aux fourneaux nous avons plus de cinq siècles de tradition. Le reste, le moléculaire, n'est que baliverne ». Catégorique certes, mais on le comprend mieux quand il affirme que « la cuisine ne se fait qu'à la narine », idée qui avouons-le est bien ancrée dans nos principes. (Comment ça, vous ne reniflez pas vos plats afin d'en vérifier la cuisson ? Alors apprenez à faire à manger et regardez vos parents le faire !). Bardet est également “effrayé” à l'idée que l'on mette « une seringue à la place de la fourchette », même si la seringue est dans tous les cas (plus ou moins) encore réservée à la préparation des plats côté cuisines. Mais cette position défavorable au renouveau de la manière de concevoir la gastronomie n'est justement pas un bon argument pour Hervé This, qui estime que « si la cuisine veut viser une certaine perfection, ce n'est pas avec des ustensiles du Moyen-Âge qu'elle va y arriver ». Catégorique ?

Une autre forme d'opposition à la cuisine moléculaire fonde sa position en mettant en avant les potentiels effets néfastes sur la santé de ce type de cuisine. En Juin 2008, Jörg Zipprick (journaliste et critique gastronomique allemand) livre au célèbre magazine Stern un article très sévère à l'encontre de la chimie alimentaire utilisée dans la cuisine moléculaire. L'année suivante, il publie Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire. Dans ce livre, outre sa critique de l'utilisation de nombreux additifs en E retrouvés dans les ingrédients principaux (si si, vous savez, les composants-mystère de tout ce que l'on achète aujourd'hui dans les supermarchés), il pointe surtout du doigt le fait que, malgré leur utilisation en toute légalité, ces derniers peuvent favoriser des démences de type Alzheimer ou maladie de Parkinson, ou encore des empoisonnements chimiques. Toutes ces critiques, adressées surtout à l'espagnol Adrià, rappellent le scandale du restaurant Fat Duck en mars 2009. L'établissement du londonien Heston Blumenthal, qui avait vu 500 de ses clients se plaindre de diarrhées et vomissements après avoir consommé des produits sortis de ses cuisines, n'avait finalement pas été poursuivi en justice et n'avait dû fermer ses portes que durant deux semaines. De

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quoi énerver les “anti cuisine moléculaire”, qui dénoncent le lobbying industriel des fabricants d'additifs auprès des diverses institutions censées “réguler” leur utilisation. Malgré tout, il ne faut pas perdre de vue le fait que la cuisine moléculaire est une forme de gastronomie à part ; personne ne se nourrit avec ce type de cuisine. Un "repas moléculaire" est avant tout une dégustation, que l'on effectue afin de découvrir de nouvelles sensations. Ses détracteurs le concèdent, un repas de ce type ne tuera personne. Le scandale du Fat Duck est d'ailleurs sûrement dû à un problème de cuisson à basse température, un des apports nouveaux de la cuisine moléculaire dans la manière de préparer les plats. Un sujet à propos duquel Hervé This recommande d'ailleurs la plus grande prudence: « Depuis le début, je ne cesse de dire attention, jamais en dessous de 60°C parce qu'il va y avoir des problèmes. On a chauffé les aliments pour détruire les microorganismes, si on va trop bas au lieu de les détruire on les fait fleurir et on a la diarrhée. Ce n'est pas la cuisine moléculaire qui fait cela. Donc quand on veut cuisiner à basse température, on doit apprendre ».

Enfin, il faut considérer le fait que les gens vont dans de tels restaurants comme ils vont dans un musée d'art contemporain (si ce n'est le fait que très peu de musées d'art contemporain proposent des billets d'entrée à 200 ou 300 €). Ils viennent d'abord voir quelque chose de nouveau, et selon leur ouverture d'esprit ils peuvent prendre plaisir à réfléchir à une nouvelle manière de voir les choses. C'est peut-être dans cette mesure, autre que celle de son esthétique colorée et épurée, que l'on peut considérer la cuisine moléculaire comme l'art contemporain dans le domaine de la gastronomie. 0


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Histoire du packaging :

la bouteille de Coca-Cola

Texte : Élise Poirey - Illustration : Élise Poirey & Alexis Dussaix

On peut considérer que toutes les marques se distinguent par des caractéristiques qui leurs sont propres, parmi elles, on peut noter le packaging. En effet, celui-ci permet à une marque de se démarquer des autres, mais peut aussi donner la sensation aux consommateurs d’appartenir à une certaine communauté. En somme, celui-ci reste une affaire de marketing. Coca-Cola, roi du marketing comme chacun de nous le sait, se distingue des autres par plusieurs aspects, dont le packaging.

avec le premier contrat accordant à deux habitants du Tennessee le droit d’embouteiller leur miraculeux Coca. La première bouteille crée en 1899, de forme tout à fait classique, un cylindre avec un goulot assez étroit, pose très vite des problèmes de fermeture. Le premier système était un joint en caoutchouc maintenu par une boucle en métal, mais celui-ci était encombrant. C’est alors que la capsule est inventée, un système simple, bon marché et propre, censé pouvoir se refermer, personnellement je n’y suis jamais parvenue mais bon, c’est une autre histoire ça. Cette capsule est couverte du symbole Coca-Cola de couleur rouge, elle offre ainsi à la marque un nouveau support publicitaire. La bouteille arrive ainsi dans les petits commerces, ce qui permet une plus grande diffusion de la marque, et pousse à une consommation plus forte des classes pauvres, qui n’avaient auparavant pas accès aux fontaines. Asa Candler, le fondateur de la Coca-Cola Company, comprit vite l’intérêt commercial de cette bouteille et réclama un récipient que « même un aveugle pourra reconnaître ». De plus, les imitations et contrefaçons pullulent et d’après la compagnie, le meilleur moyen de contrer cela est de lui trouver un emballage original. C’est alors qu’un concours est lancé, par le juriste Hirsh, qui déclara « Nous n’avons pas fait Coca-Cola seulement pour aujourd’hui. Nous avons construit CocaCola à jamais, et c’est notre espoir que celui-ci devienne la boisson nationale jusqu’à la fin des temps. Pour cela, il nous faut une bouteille que nous allons adopter transmettre à nos propres enfants ». Oui, je sais ce que vous vous dîtes à cet instant, « vu la taille de ses chevilles il ne devait plus pouvoir passer les portes », et je suis complètement d’accord avec vous.

Je ne vais pas vous raconter l’éternelle histoire du pharmacien John Stich Pemberton qui inventa le Coca comme médicament, puis décida de le commercialiser, déjà parce que c’est hors-sujet, et ensuite parce que bon, tout le monde le sait. Enfin je crois. Toujours est-il que dès ses débuts, le Coca est devenu très populaire, et il gagne l’ensemble de la société. D’abord distribué par des fontaines à soda, ce n’est qu’en 1891 que la boisson est mise en bouteille. En 1899 naquit la société Coca-Cola Bottling Company, qui développa un système d’embouteillage indépendant de la compagnie Coca, car oui, chez Coca ils voient les choses en grand. Cette organisation démarre

Le concours est lancé en 1913 auprès de verrerie américaines. C’est Alexander Samuelson, souffleur à la Root Glass Company une usine de l’Indiana, qui le remporta en 1916. Il s’inspira des stries des graines de coca,

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d’ailleurs c’est drôle sur le site de la marque ils disent qu’il s’est inspiré de gousses de cacao, apparemment ils assument pas que leur boisson soit, à la base, faite avec des feuilles coke. Appelé « Hobbleskirt », ou « Contour » en France, cette bouteille rappelle une silhouette féminine portant une jupe fourreau, alors très à la mode à cette époque. Elle est aussi surnommée « Bouteille Mae West », en référence à l’actrice hollywoodienne Mae West très populaire à l’époque. Les premières bouteilles portent le sigle CocaCola moulé dans le verre. Lors du renouvellement du brevet en 1923, la date du dépôt de brevet vient s’ajouter endessous de la signature. Le designer Raymond Loewy est chargé de la réactualiser en 1955. Et c’est en 1960 que la bouteille Contour sera par la suite enregistré en tant que marque déposée, ce qui reste très rare pour un packaging. Depuis son apparition sur le marché la bouteille n’a pratiquement plus changé, elle est devenue le symbole d’un design intemporel. Et elle a même fait son entrée au MoMA de New York. Aujourd’hui, c’est avec ses bouteilles en aluminium que Coca-Cola se distingue, après avoir prôné la standardisation de son contenant. Souvent, la marque fait appel à des artistes pour la personnaliser le temps d’une collection limitée, encore une histoire de marketing, comme en 2005 au collectif de designers M5, ou plus récemment pour la bouteille Club Coke, revisité en 2009 par Justice et le graphiste So-Me. Celles de Coca Light on été réinventées par Nathalie Rykiel, directrice artistique de la maison Sonia Rykiel, Karl Lagerfeld, ou encore Jean-Paul Gaultier. La marque est désormais associée au groupe Daft Punk qui succède à Mika. De plus, depuis quelques temps, Coca crée des bouteilles nominatives. Ce nouveau concept tend à penser que désormais l’égoïsme prime dans notre société. En effet, malgré l’uniformité dans laquelle on se trouve, toutes les bouteilles sont identiques, les gens ont besoin de sentir qu’il s’agit de leur bouteille et non celle du voisin. Au fond, c’est un peu un paradoxe. Mais bon, je crois que là je pars un peu trop vers la sociologie. A

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Quand l 'art aime le boeuf mode.

Texte : Anne-Élise Guilbert-Tetart - Illustration : Élise Poirey

Il est facile de constater que la nourriture peuple le monde et qu’elle a une place importante dans toutes les sociétés. Il en est de même pour le vêtement malgré le fait que cela ne soit pas forcément visible aux yeux de tous. Mais, dans notre société actuelle, ces deux éléments font partie des bases de la vie quotidienne ; à tel point que des performances artistiques les alliant en une même oeuvre existent. Ces oeuvres peuvent être sous différents supports dues aux contraintes naturelles mais certaines restent pérennes et habitent des salles de musées. Voici donc quelques exemples, plus ou moins appétissants pour combler votre ventre en dehors comme en dedans.

Commençons par un bel hommage, celui à Alexander McQueen (1969-2010). En 2012 Hissa Igarashi et Sayuri Marakumi, deux créatrices asiatiques, décident de créer une robe pour la première du magazine Twelv. Leur inspiration ? La « Parrot Dress » d’Alexander McQueen de la collection printemps/été 2008. Pour la fabrication, 50000 bonbons oursons ont été collés à la main sur du vinyle, pour un poids total d’environ 99kg. De ce travail, il ne reste que des traces photographiques. La ressemblance est axée sur les couleurs, et non exactement sur la forme ; cependant le rendu est impressionnant même si l’idée d’écailles de serpent est plus présente dans nos esprits que celle de plumes de perroquet. Continuons sur la lancée photographique avec Wearable Food (2013) de la Coréenne Yeonju Sung. Ici, l’artiste ne souhaite pas garder le vêtement formé de nourriture puis photographié, elle sait qu’ils ne seront pas non plus portés et qu’ils sont voués à disparaitre. Il y a juste là une volonté de faire quelque chose d’unique et de le laisser vivre l’oeuvre jusqu’à sa fin (ici la disparition des matières) et ne garder qu’une trace d’un instant volé. Le résultat est une exposition où photographies s’enchainent et mêlent des robes à base de poireaux, pain de mie ou aubergine en passant aussi par des corsets. Il y a ici une utilisation plus importante des légumes (pour le plaisir des végétariens et végétaliens), ils forment la base de son travail. Ils sont transformés en une autre vision, totalement décalée et novatrice par rapport à celle à laquelle sont habituées nos assiettes.

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Chez Hunger pains (2009) de Ted Sabarese, le légume est moins à l’honneur. Ce photographe newyorkais a rassemblé quinze jeunes designers sous la direction de Ami Goodheart et il y en est ressorti cinq tenues composées d’aliments. Cela a nécessité des heures de cuisine au préalable pour donner à la nourriture la forme voulue mais le résultat est là : des artichauts en robe, des gaufres en pantalon, des pâtes en short ou de la brioche pour des épaulettes… Un repas équilibré est ainsi proposé. Cependant, on peut voir qu’un élément se détache des autres par sa forme un peu plus commune, il s’agit de la jupe en viande. Elle est composée ici de fines tranches de viande crue, nous rappelant une célèbre oeuvre des années 1980 aujourd’hui exposée à Paris. Quant aux autres éléments de la série photographique de l’artiste, ils nous semblent plus expérimentaux. Il est possible de croiser au Centre Pompidou un des deux exemplaires de Vanitas : robe de chair pour albinos anorexique (1987) de Jena Sterbak, robe totalement constituée de bavettes de boeuf. L’artiste voulait marquer, que cela soit par le titre ou la photographie du mannequin qui accompagne l’oeuvre. Il y a une volonté de choquer audelà d’un certain esthétisme car l’utilisation de viande crue est rare et est malsain pour cette époque. Il y a derrière la pensée de la mort, la représentation d’un système qui se pourrie et d’autres messages plus ou moins explicites qu’a voulu faire passer l’artiste en créant une polémique. Cette idée de transformer la viande existe toujours et est reprise par des personnalités actuelles telle Lady Gaga qui avait fait scandale le 12 septembre 2010 lors des MTV Videos Music Awards en portant une robe de viande avec chaussures et chapeaux assortis de la même matière. Aujourd’hui encore, l’utilisation de viande fait rêver certaines personnalités comme par exemple Cara Delevingne qui a publié sur son compte Insatgram une photo de baskets en bacon avec comme commentaire : « I need these! bacon on feet x2 ». La viande n’a pas finie d’être modelée pour le plaisir de certaines fashionistas. Mais, il existe pour les gourmands ou végétariens des vêtements comestibles en peu plus doux. Tel est l’exemple de la robe gâteau de mariage de l’islandaise Lukka

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Sigurdardottir (2010) ou encore le défilé des robes en chocolat du Salon du Chocolat de Paris qui attire beaucoup de monde chaque année et qui comporte dans son organisation des créateurs et des chefs cuisiniers renommés en passant par des personnalités qui jouent le rôle de mannequin. Les grandes occasions sont les moments idéaux pour expérimenter et pousser au maximum la haute-couture et l’art culinaire. Dans de nombreuses foires ou salons, il est possible de voir des aliments transformés en vêtements par des professionnels ou amateurs pour attirer l’oeil car à chaque fois il y une technique qui se cache derrière et peut impressionner les spectateurs. Il existe énormément d’articles de mode à base de nourriture en tout genre. Ils font parfois l’objet d’expositions ou d’expérimentations, le but étant de repousser les limites un peu plus loin à chaque fois. La sélection qui a été présentée ici est constituée d’oeuvres majeures mais elles ne sont que peu représentatives du monde des vêtements comestibles qui n’est pas seulement réservé à une élite mais qui est accessible à tout le monde et se cache dans les rayons de supermarchés notamment sous forme de bijoux en bonbons et autres choses de tout genre. F


Restauration II DOSSIER LA GRANDE BOUFFE Texte : Cassandre Mbonyo-Kiefer - Illustration : Marine Botton & Alexis Dussaix

Noiret, Mastroianni, Piccoli. Trois monstres dans le même film, dans le même film monstrueux. L'union hiérogamique de la France et de l'Italie, qui donna naissance à une descendance gargantuesque, de 130 minutes, en l'an de grasse 1973. Si vous n'avez pas vu La Grande Bouffe, vous vivez dans l'erreur, et c'est bien triste. Mais je m'en vais vous mettre en appétit, sans pour autant vous la conter par le menu. Comme souvent les beaux films, ça commence par une histoire toute gentille, toute bête. Quatre amis, dans la force de l'âge, appartenant aux classes les plus confortables de la société, passent la fin de semaine ensemble, dans le manoir familial de Noiret. Comme l'un d'eux est cuisinier il fait

parvenir les mets les plus sophistiqués, les viandes les meilleures, les fruits les plus beaux. En cette fin d'automne, tout n'est que luxe, calme et volupté. Il ne manquerait plus que des chants de Noël. Cet équipée masculine coule des heures épaisses et sucrées comme de la liqueur, dans la chaleur conviviale des vieilles amitiés masculines. L'on se rend compte assez vite que le film porte bien son nom, car l'heure du repas, devrais-je dire les heures des

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repas, semblent être l'apogée de la journée des quatre camarades et sont l'objet de tous leurs soins. Chacun met la main à la pâte avec une concentration quasi religieuse, qui devient peu à peu inquiétante. La nourriture, l'alcool sont présents. Mais le personnage de Mastroianni, un pilote d'avion beau et libidineux, commence à se morfondre de l'absence de la chair féminine, qu'il aime dévorer d'ordinaire. Les quatre comparses invitent donc des prostituées, pour que leur bonheur soit tout à fait complet. C'est l'occasion de voir leur quatre approches différentes de la sensualité. Certains sont des ogres, d'autre de fins gourmets, ou encore des esthètes. C'est le cas du personnage de Noiret qui préfère à ces jeunes femmes aux courbes formatées le personnage d'Andrea Ferreol, une

institutrice tombée chez eux par hasard, une déesse ex machina. Son corps généreux, appétissant, est l'objet de la fascination des quatre amis, bien qu'il s'éloigne des canons de beauté de nos tristes décennies. À ce stade de l'œuvre, on se demande si l'on n'assiste pas à une adaptation libre du Satyricon, parce que tout de même cette synesthésie, cette orgie des sens, évoque beaucoup les Romains de la décadence.


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Winter is coming... L'on commence au fur et à mesure à se rendre compte du dessein final des camarades... finir en beauté. Mourir d'avoir trop vécu, d'avoir trop mangé. Comme un glouton explose en vol. Exister par l'absorption. Et c'est là qu'intervient la douleur, car on peut souffrir de manger, quand le besoin se transforme en caprice, quand on dépasse la mesure. Trop manger, c'est le propre de l'homme. Un comble de la nature, l'ultime absurdité de notre espèce. La seconde partie du film s'abîme dans une lente dégringolade. Peu à peu, la nourriture prend toute la place, elle remplit les personnages et les empêche de continuer à exercer leur passions. Le sucre et la graisse les consument, et leur abus de tout a raison de leur corps. Et le film s'achève, sans que l'on puisse dire s'il se termine bien ou mal. On garde en soit quelques belles images, le corps d'Andrea Ferreol, le dôme de Saint-Pierre en pâté, un concours de dégustation d'huîtres à la chandelle devant de vieilles diapositives pornographiques. La Grande Bouffe est un hymne à la vie qui tue, chefd'œuvre létal et sucré. I

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- l'art de manger l'autre -

Typologie culturelle du Cannibalisme Texte : Gabriel Courgeon - Illustration : Solène Devaux-Poulain

Y a-t-il sujet plus appétissant que le cannibalisme. Nous sommes depuis longtemps fascinés par cette pulsion et celle-ci est largement représentée dans notre culture, que ce soit dans la littérature, la peinture, le cinéma, la chanson, la sculpture et j’en passe. On peut distinguer trois sortes de cannibalisme dans l‘imaginaire collectif : le cannibalisme primal, le cannibalisme exotique et le cannibalisme fait divers. Ces catégories sont bien évidemment schématiques et croyez bien que je le regrette. Il y a bien entendu une porosité entre les trois cannibalismes que je vais énumérer, c’est ce qui rend ce sujet si riche et passionnant.

Le cannibalisme primal « Primal » ou le cannibalisme des origines. C’est

le cannibalisme animal, celui qui détruit le statut d’être humain. Il brise les familles et les structures sociales. La mythologie, les écrits saints ou les fables regorgent de cette anthropophagie bestiale et inhumaine. Parlons de papa Cronos qui dévore ses enfants pour détruire la menace potentielle qu’ils représentent, détruisant ainsi la chaîne des générations. C’est l’animalité de l’acte que représente Goya dans le Saturne dévorant ses enfants du Prado, bien plus que la version de Rubens, ou l’on voit juste une sorte de Dieu le père pris d’une fringale aussi soudaine que violente. Dans la Divine Comédie de Dante, le comte Ugolin mange ses enfants pour survivre dans les geôles de son terrible rival Ubaldini. On trouve bien sûr pour ce sujet l’œuvre de Carpeaux, montrant Ugolin tiraillé par ses pensées et la faim, s’apprêtant à laisser son humanité derrière lui. Dans les écrits bibliques le cannibalisme est le châtiment de Dieu. Avec les différents sièges de ville qu’offrent les écrits saints, le cannibale ne sait plus où donner de la tête, tel un enfant dans un magasin de

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bonbons. Dans le Livre de Jérémie, on annonce aux habitants de Jérusalem qu’ils vont subir un siège pour les punir de leurs pêchés. « Je leur ferai manger la chair de leurs fils et la chair de leurs filles » Jérémie 19. On ne peut pas être plus clair. Miroir mon beau miroir, qui a le meilleur goût du royaume. Dans le conte Blanche-Neige des frères Grimm, la méchante reine pense manger le foie et les poumons de l’enfant indésirable. Ce sont en fait ceux d’un marcassin que le chasseur fait passer pour ceux de Blanche-Neige, mais la volonté de la reine reste néanmoins assez condamnable. On trouve ici une volonté de destruction mais aussi peut être l’assimilation de l’autre, notamment de sa beauté. Cette idée d’assimilation de l’autre par l’anthropophagie est expliquée par Claude Lévi-Strauss pour certaines tribus. Ce cannibalisme primal est encore de nos jours représenté. Dans Game of Thrones, quand une tribu venue d’au-delà du Mur (ne me demandez pas son nom) commence à manger ses victimes, on est dans le même cas de figure. On commence même à tendre vers l’exotisme, avec des actes de tribus quasiment sauvages.

Le cannibalisme exotique Qui n’a pas en tête un personnage de cartoon mis

dans une grosse marmite, entouré de cannibales avec des os dans le nez en train d’assaisonner le futur plat. Pour moi c’est Tom & Jerry si vous voulez tout savoir, ce qui pose moins problème puisque la victime est un chat, mais l’imagerie reste la même. Le cannibale sauvage des îles lointaines est en effet le gagnant incontesté du hit-parade de l’anthropophagie dans l’imaginaire collectif. Depuis les grands voyages et les grandes découvertes, notamment océaniennes, tout un imaginaire a déferlé sur les sociétés occidentales. Aux visions du bon sauvage et de


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sociétés pacifiques va se succéder celle de l’indigène dangereux et en particulier anthropophage, c’est plus marrant. Des fins tragiques comme celle du capitaine Cook en 1779 lancent des rumeurs de cannibalisme qui vont vite imprégner les cultures occidentales, le tout relayé au XIXème par les expositions universelles et la formation des grands empires coloniaux. Des revues comme Le Petit Journal ou le

vont trouver dans le cannibalisme de nombreuses unes choquantes, et donc qui font vendre (l’Humanité change peu pourrait dire quelqu’un avec un sens très développé du lieu commun). La déferlante du style tiki sur les Etats-Unis des années 50-60 (voir l’exposition Tiki Pop ! du Quai Branly de cet été) va profondément marquer la culture populaire et enraciner cette image du cannibale exotique. Des chansons comme Hawaïan War Chant de Spike Jones témoignent de cette époque et de cette vision guerrière que l’on se faisait des sociétés océaniennes (cette chanson n’évoque pas le cannibalisme mais on ne peut s’empêcher d’y penser). Cet imaginaire est d’ailleurs toujours là et garde une grande influence. Sans celui-ci, je ne serais pas en train d’écrire cet article. Des expositions comme Kannibals et Vahinés – imagerie des mers du Sud (2001-2002, feu le Musée des Arts d’Afriques et d’Océanie) ou des films comme Pirates des Caraïbes 2 montrent bien que le fantasme autour de cette figure exotique reste toujours présent. Journal des Voyages et des Aventures de terre et de mer

Le cannibalisme fait-divers

XIXème qui font frémir dans les chaumières. On pense bien sûr à l’épisode du naufrage de la Méduse en 1816 qui va avoir un grand retentissement, notamment pour les actes de cannibalismes, et va donner à la postérité l’œuvre de Géricault que nous connaissons tous. L’anthropophagie navale est, il faut le dire, un classique à l’image du chant Il était un petit navire qui enseigne dès le plus jeune âge à survivre sur ces océans hostiles. Certaines grandes aventures humaines se finissent tragiquement et mènent à un cannibalisme « de circonstance ». Combien de films et de cartoons montrent des personnages imaginant leurs camarades comme des plats potentiels. C’est le cas dans la Ruée vers l’or de Charlie Chaplin, où Charlot se voit transformer en poulet géant dans l’imagination de son compagnon d’infortune. Le cannibalisme fait-divers possède ses célébrités. On a Sweeney Todd le terrible barbier londonien (personnage créé par James Malcolm Rymer dans le roman The String of Pearls : A Romance, en 1846) qui, bien que n’étant pas cannibale lui-même, ne rechigne à l’idée de donner de la viande humaine à manger aux clients de sa complice Mrs Lovett. Plus tard, l’Humanité trouvera sa star anthropophage en la personne d’Hannibal Lecter, créé par Thomas Harris en 1981 et rendu célèbre par Anthony Hopkins dans le Silence des Agneaux. C’est vraiment le cinéma qui va redonner un souffle au cannibalisme, en particulier celui des faits divers. Le film Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1980) tourné comme un documentaire fera et fait toujours grand bruit pour sa violence et sa vraisemblance, le tout flirtant avec l’exotisme des contrées lointaines. Il y aura d’ailleurs des rumeurs de cannibalismes « non simulées » concernant le tournage de certaines scènes du film. Il est intéressant de voir que chaque catégorie possède des racines très anciennes mais continue d’avoir un impact moderne à travers des créations récentes. Le cannibalisme serait donc une part importante de l’identité humaine. N’ayant pas le temps pour une réflexion philosophique plus poussée, je préfère conclure par une blague :

Une famille est en train de dîner à table. Un des Le cannibalisme du dernier recours et le enfants fait la moue en mangeant son assiette : cannibalisme criminel auront aussi une grande fortune « - Papa, je n’aime pas grand-mère. dans la société. On retrouve les gros titres des journaux du - Tais-toi et mange ! » K

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Est h Et iqu e de la pou r r it u r e Texte : Cassandre Mbonyo-Kiefer - Illustration : Marine Botton

nature biologique du phénomène. Quand un organisme pourrit, il est dévoré par des parasites, dont les champignons sont l'une des formes les plus fréquentes. Ce sont eux, et leurs diverses formes qui donnent à la moisissure son esthétique particulière. Elle peut être vaporeuse et blanche comme du coton, exhubérante, protubérante et colorée, visqueuse, cristallisée, autant de formes qui ont pour point commun d'être excessives et inquiétantes. La nature est en ceci bien faite qu'un cadavre de fruit n'a plus rien à voir avec C'est fascinant un fruit pourri, comme tout ce qui un fruit sain, ne serait-ce que de prime abord, ce qui nous provoque le dégoût. Il nous rappelle que tout ce qui vit, qui évite bien des déconvenues. grouille, est appelé un jour à se ronger de l'intérieur. Les La moisissure est une métamorphose du vivant, ce Hommes ne s'éteignent pas comme des arbres en hiver. Ils ne perdent pas leurs feuilles, ne se figent pas dans une dernière qui la rend aux yeux de certains artistes fascinante. Elle peut pose minérale et sèche. Non. Ils s'effondrent dans la devenir un mécanisme artistique exploitable. Le puanteur et les parasites, et cette idée est insupportable. Au photographe Klaus Pichler, pour ne citer que lui, fond quand on s'est vu toute sa vie comme une pensée à photographie des aliments avariés en utilisant les mêmes pattes, c'est assez violent de se rendre compte que l'on finira techniques que la photographie d'illustration culinaire : comme une pauvre pomme pourrie au fond d'un saladier. fond noir, lumière vive et frontale, mise en scène des aliments. Les procédés, qui, il est amusant de le remarquer, Indigne, hideux, dangereux. sont les mêmes mis en œuvre dans la photographie érotique, Vous comprenez mieux maintenant pourquoi le contribuent ici à rendre compte de l'inquiétante beauté de motif de la pourriture a eu sa place dans les arts visuels, ces existences fanées, distordues, en ruine, carcasses molles comme tout ce qui touche au cycle de l'existence. C'est dans servant de terrain de jeu à tout ce que la Nature compte de la nature morte, qui porte bien son nom, que le motif du malsain. fruit pourri semble prendre toute sa mesure. Les historiens Elles semblent, comme Ronsard, nous inviter à de l'art ont mis en évidence le fait que les Natures Mortes, telles qu'elles sont popularisées par les peintres hollandais, cueillir les fruits de l'existence tant qu'ils sont verts. Si la sont des visions symboliques, qui dénoncent la vanitas, en vieillesse est un naufrage, la pourriture grâce à l'art est le tout cas qui l'exposent, dans de délicieuses coupelles en point de départ d'un nouvel usage, un chant du cygne du argenterie. Ce sont les manifestes du memento mori. Or, qu'est- vivant. ce qu'elles nous crient d'autre ces pommes gâtées, si ce n'est « Souviens-toi que tu pourriras, toi aussi, que tu pourris déjà. » ? Il ne faut pas oublier qu'un fruit gâté est un fruit qui a trop mûri. Qui a trop vécu. Elle est là, dans le saladier, au milieu des autres fruits. Elle leur ressemble, mais elle a le charme morbide des objets qui ne nous sont plus utiles. Elle a viré, la couleur, la texture ne sont plus les mêmes. Elle était ferme, elle devient molle, elle était verte, elle vire au brun. La pomme pourrie. L'on frissonnera en l'apercevant si malsaine au milieu des autres, et on la jettera, en se félicitant de ne pas avoir mordu dedans par inadvertance.

Quant à l'aspect purement plastique de la moisissure, il n'est pas non plus à écarter, et il naît de la

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Restauration II DOSSIER Les cannibales européens Courte histoire du « brun de momie » Texte : Julien Jourand

L'histoire du pigment « brun de momie » est révélatrice des rapports troubles des Européens avec l'anthropophagie, que nous avons tant critiquée chez les peuples des Amériques. Or il existe de nombreuses ressources sur un sujet qui est à présent bien documenté : l'utilisation du corps humain comme médicament et matériel de peinture par les Européens de la fin du Moyen Age au début du vingtième siècle. En effet, durant presque toute l'ère moderne, une étrange confusion eut lieu. Au Moyen-Âge des médecins Arabes comme Abd al-Latif al-Baghdadi préconisent, si les stocks de bitume naturel (utilisé comme médicament) deviennent rares, de remplacer celui-ci par le bitume utilisé dans le processus de momification égyptien. De là une confusion chez les Européens, renforcée par les idées de l'époque sur l'homéopathie. Comme le note Louise Noble, auteure de Medicinal Cannibalism in Early Modern English Literature and Culture, « C'est « ça ressemble à ça, donc ça guérit cela ». Donc vous mangez des crânes réduits en poudre pour des maux de tête ». 1 A l'apogée de ces idées, au XVIème et XVIIème siècles, le commerce de momies était extrêmement lucratif, à tel point que les rois et la noblesse consommaient parfois quotidiennement de la momie pulvérisée. Certains prêcheurs, philosophes et médecins s'élevaient contre ces pratiques. Le philosophe Sir Thomas Browne commenta :

« La momie est devenue marchandise, Mizraim soigne les blessures et Pharaon est vendu sous forme de baumes ». 2

Alors que les Européens buvaient, mangeaient et s'appliquaient du cadavre en poudre à fin de guérison, il ne faut presque pas s'étonner qu'ils aient fait usage de fragments de momies comme pigments. Celui-ci était nommé « caput mortuum », « brun de momie » ou

« Egyptian brown ».

L'une des premières traces de cette utilisation est l'ouverture à Paris en 1712 d'un magasin de fournitures d'art dénommé « À la Momie », qui en vendait. En tant que pigment brun avec une bonne transparence, il était utilisé dans les peintures à l'huile et même peut-être en aquarelle. « En 1849, il est décrit comme étant « assez en vogue ». Il était, par exemple, l'un des pigments sur la palette de Delacroix en 1854, quand il peignait le Salon de la Paix à l'Hôtel de Ville (…) L'artiste français Martin Drölling aurait aussi utilisé le brun de momie avec les restes de rois français déterrés de l'abbaye royale de Saint-Denis à Paris. Il a été suggéré que son L'intérieur d'une cuisine est un exemple de l'usage extensifdu pigment ». (Philip McCouat). Cependant la composition variable de ce pigment, qui contenait des graisses d'origine humaine, fait qu'il avait ses critiques quant à sa stabilité sur le long terme ou les résultats techniques parfois médiocres qu'on obtenait de lui. Et le stock disponible n'était pas inépuisable, de telle sorte qu'en 1964 le directeur de la firme de fournitures d'art anglaise Roberson's dut s'excuser auprès de ses clients par manque de momies disponibles. Au final, que retenir de l'histoire du brun de momie ? Le cannibalisme n'est pas l'apanage du « Sauvage » extra-occidental. C'est, dans les expositions de musées, cette ouverture, ce regard décalé (et parfois cynique), qui doit ouvrir les yeux des publics sur leurs propres préjugés. Une bonne exposition de musée ne doit pas juste être une invitation au voyage dans le temps ou dans l'exotique, elle doit aussi savoir porter un regard sur notre propre société. T

-----------------------------------------------------------------------------------------------------1 Maria Dolan, « The Gruesome History ofEating Corpses as Medicine », Smithsonian.com, 6 mai 2012 http://www.smithsonianmag.com/history/the-gruesome-history-of-eating-corpses-as-medicine-82360284/?page=1 -2 Philip McCouat, « The life and death ofMummy Brown », Journal of Art in Society, www.artinsociety.com http://www.artinsociety.com/the-life-and-death-of-mummy-brown.html

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Métaphore, nourriture et métaphysique Texte : Silvio de Kartoffel - Illustration : Herminie Astay

Le scientifique, comme le poète, aime les métaphores. Et pour cause : le discours imagé permet à l’érudit de paraître accessible et parfois même sympa ou rigolo. En matière de « sciences dures » cette pratique et bien connue et constitue même un filon médiatique et commercial. C’est sur ce ressort que reposent nombre des dialogues de la série The Big Bang Theory. Des physiciens de haut niveau y multiplient les jokes imagées en donnant parfois une seconde vie à certains concepts, tel le chat de Schrödinger. Moins connue, la série NUMB3RS (sic) servait quant à elle de tribune à un mathématicien très imaginatif qui tentait de nous faire comprendre différents calculs statistiques à l’aide de détours-métaphoriquesinvraisemblables. On n’y comprenait rien, mais le réalisateur et le monteur prenaient leur pied en nous tartinant les rétines de fondus enchaînés psychédéliques où se juxtaposaient flashs et vues champêtres avec surimpression d’écritures mathématiques. Les historiens de l’art et anthropologues ont beau ne rien comprendre à la théorie des cordes, à l’existence hypothétique des trous de ver ou au casse-tête que constitue l’étude de la matière noire – qui est en fait plutôt « invisible » hein –, le langage métaphorique ne leur est pas non plus totalement étranger. On retrouve parfois dans notre bonne vieille littérature de « sciences humaines » (voilà encore au passage, une drôle de personnification) entre deux catégories qui fleurent bon le XIXe siècle, quelques métaphores rigolotes qui sont censées faire passer nos chers savants pour des bouts-en-trains incontrôlables. Ne vous attendez pas à une approche exhaustive ou statistique, disons plutôt que le hasard m’a poussé vers deux images assez intéressantes et qui ont en outre ce point commun d’exprimer un concept anthropologique ou phénoménologique par une image culinaire. Attention, on est loin du simple « life is like a box of chocolates, you never know what you’re gonna get » du gentil débile et optimiste Forrest Gump. Les métaphores alimentaires des chercheurs en sciences humaines ont ce je ne sais quoi de sérieux et de cosmique qui leur donne profondeur et mystère. Elles

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s’inscrivent peut-être dans l’esprit du pastafarisme, cette religion parodique et polémiste inventée (révélée ?) en 2005. Rappelons que les pastafaris considèrent à juste titre qu’il est impossible de démontrer que Dieu n’est pas un monstre volant constitué de spaghetti et de boulettes de viandes. Ça a l’air simplement marrant, mais ce dogme du scepticisme cherche surtout à attaquer les lobbies créationnistes américains, qui eux ne sont pas drôles du tout, et qui allèguent qu’il est impossible de démontrer la théorie de l’Évolution. Revenons-en à nos quenouilles. La première image culinaire que j’aurai l’occasion de vous présenter, en apéritif et autour d’un bon bock de bière, concerne le Brezel et il s’agit d’une phrase inventée par Georges DidiHuberman. Pour les edliens du genre Crocodile-Dundee, nés et élevés dans une grotte au fin fond du bayou, petit rappel. M. Didi-Huberman est un chercheur très célèbre de nos jours, il a notamment suscité l’admiration de nombreux de nos collègues l’année dernière à l’occasion d’un cycle-conférence sur le Musée imaginaire d’André Malraux. Il enseigne à l’EHESS et est décrit par certains comme un nouveau Aby Warburg, un doigt vigoureux enfoncé dans la prostate de l’Histoire de l’Art pour la rendre à nouveau fertile. Nous devons à ce brillant scientifique l’idée suivante : Le temps s’élance comme un brezel

Il serait bien entendu trop compliqué de résumer l’intégralité du livre Devant le temps dans lequel cette idée est exprimée. Disons simplement que pour notre phénoménologue, être devant une image revient à se tenir face au temps, de sorte que le déroulement linéaire du temps peut être perturbé grâce au prisme déformant de l’image. La rencontre visuelle ferait ainsi se heurter et se fondre plusieurs temporalités, qui sont à la fois celles du spectateur et celles de l’œuvre. Alors bien sûr, il existait plusieurs objets capables de correspondre à la définition du temps tordu et récurrent de M. Didi-Huberman : le


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signe de l’infini, la bande de Moebius ou la vieille image médiévale du nœud de Salomon. Fi, l’image du Temps, cette force invisible et omnipotente, si solennelle et effrayante, se devait d’être ramenée à la taille d’un bon Brezel moelleux et piqué de cristaux de gros sel. En plein cœur du livre de M. Didi-Huberman, cette métaphore accessible et rassurante ne pouvait nous rend l’auteur que sympathique. Tournons-nous vers l’anthropologie pour exhumer un vieux théorème qui nous servira de plat de résistance. Le bien nommé... Pizza effect

La personne à l’origine de ce concept a une histoire singulière qui mérite d’être rappelée. L’anthropologue Agehananda Bharati est né sous le nom de Leopold Fischer en Autriche au cours de l’année 1923. Particulièrement fana d’hindouisme, il s’engagea dès qu’il le put dans le régiment d’infanterie 950 « Indische Legion » des Waffen SS au service d’Adolf Hitler (oui il paraît moins rigolo du coup). A la fin de la guerre ses rapports avec l’Inde prirent un tournant plus pacifique et spirituel, Fischer se convertit et changea de nom avant de devenir professeur à la Syracuse University dans l’Etat de New York, où il enseigna pendant trente ans. Pour en venir au concept en contournant toute forme de point Godwin, disons simplement que le pizza effect est un phénomène anthropologique lié à la mondialisation et illustré notamment par l’histoire de la pizza. Il s’agissait en effet à l’origine d’un plat traditionnellement napolitain. Exporté en Amérique, il évolua, s’enrichit de nouveaux ingrédients et de nouveaux modes de préparation avant d’être réexporté vers l’Italie et l’Europe, ce qui a influencé les modes de consommation de la pizza en Italie même, région qui avait pourtant la primauté « historique » en la matière. Agehananda Bharati cite d’autres exemples comme le yoga, qui est aujourd’hui pratiqué par les indiens suivant les modifications apportées par les occidentaux et mon petit doigt wikipédien m’indique aussi qu’un certain Mark Sedgwick aurait invoqué le pizza effect pour expliquer la naissance de la pratique de l’attentat suicide dans l’extrémisme islamique : il s’agirait de la réimportation et la transformation d’un concept auparavant marginal dans l’Islam, le shadid.

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Voilà donc présentés en quelques mots deux concepts imagés que vous pourrez utiliser pour faire mouche en soirée ou en dissertation. Il me faut, pour conclure ce texte, citer un auteur que je n’ai pas lu. José Ortéga y Gasset (1883-1950) déclare dans La déshumanisation de l’art que « la poésie est aujourd’hui l’algèbre supérieure des métaphores ». Prenons cette idée à rebrousse-poil pour reconnaître que le langage métaphorique nous permettra toujours de toujours mieux revenir à la source première de ce qui est codé, crypté, l’étrange familiarité de la réalité qui nous entoure. Pourvu que dans le futur les historiens de l’art et anthropologues continueront à nous gratifier d’images toujours plus surprenantes et appétissantes ! Silvio de Kartoffel, La Haye, 13 septembre 2014


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Restauration II

Le caca. Texte : Vincent Paquot

Vous vous amusez bien ? Je veux dire, le journal vous plaît ? Peut-être que ces articles vous mettent déjà l’eau à la bouche en pensant à l’orgie gargantuesque de mets goûteux et coûteux que vous allez ingérer au cours de nos traditionnelles fêtes de fin d’année. C’est sûr que ça donne envie tout ça, hein ? Et bien rassurez-vous, grâce à ces quelques lignes, je vais vous empêcher d’accroître cette surcharge pondérale qui vous sert de corps et qui, à la fin des fêtes, vous empêchera sûrement de passer les portes par la largeur ! Et oui, dans cette mièvrerie d’articles enchanteurs, il y en a un qui va vous couper l’appétit, et bien comme il se faut. Car derrière ces montagnes de bouffe auxquelles vous rêvez, il y a une vérité, un terrible secret, une chose dont tout le monde connaît l’existence, mais ne cesse pour autant de la nier, comme si elle n’existait pas. Aujourd’hui cher lecteur, nous allons remonter aux tréfonds de vos êtres, et constater non sans force et violence que derrière l’acte de bouffer, il y en a un autre, qui en découle directement, que l’on fait toujours honteusement, le regard baissé, en essayant de ne pas y croire. Je vois sur tes lèvres se former le sujet que mon habile introduction t’a astucieusement fait deviner... à moins que tu n’aies simplement lu le titre de cet article, c’est une possibilité aussi ! Bref, aujourd’hui, hormis les licornes qui chient des arc-en-ciels on en passe tous par là : le caca. Après tout, « On fait tous caca » comme le chante Giedré dans sa chanson éponyme, alors au diable les conventions et basculons définitivement dans le mauvais goût ! Car notre charmante chanteuse d’origine lituanienne n’est pas la seule artiste à s’être intéressée au fruit malodorant de notre digestion. L’artiste le plus célèbre à avoir détourné ses propres colombins est sûrement Piero Manzoni avec sa Merde d’Artiste (je vous avais prévenu que cet article serait plein de poésie et de délicatesse), une série de 90 boîtes de conserve cylindriques fermées hermétiquement (on l’espère) contenant les propres excréments de l’artiste, la matière fécale étant vendue au prix de l’or. Piero Manzoni s’est alors pris pour une

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véritable poule aux œufs d’or, et au vu du prix de nos jours de ces 30 grammes d’or fécal, qui avoisine les 30500 €, on peut estimer qu’il a eu le nez creux. S’inspirant des ready-made de Marcel Duchamp, et d’une certaine manière de toute l’idéologie propre au courant des Nouveaux Réalistes, Manzoni a eu vocation en plus de rappeler que tout est art (vraiment tout pour le coup), d’émettre un parallèle intéressant entre art et argent, que je n’épiloguerai pas vu que le journal du mois d’octobre en traitait, et que tu n’avais qu’à l’acheter, radin que tu es ! L’intérêt de certains créateurs ne s’est pas limité à cette simple association d’idée. Par exemple, le Cloaca de Wim Delvoye, autrement appelé la machine à caca (oui Kévin, tu auras la même pour Noël), qui est donc tout un système de machineries produisant in fine, de la merde (un peu comme NRJ 12). Reproduisant donc mécaniquement l’appareil digestif humain, nous rendant capable de transformer un big mac en excrément, à moins que ce ne soit l’inverse, Delvoye industrialise un comportement strictement organique. L’humanité réduite à une machine, c’est aussi une manière de rendre impressionnant, par le biais de l’admiration que nous portons aux engins issus de la complexité de la technique, un phénomène à la fois naturel et vital, et dont la subtilité ne saute pas au yeux en fixant l’abdomen de nos congénères (et d’ailleurs évitez de faire ça, c’est peu recommandable en société). Bien entendu, ces œuvres gardent tout de même toutes un arrière-goût de merde provocation, la matière fécale étant considérée comme impure. Pour ne citer que lui, le Complex Shit de Paul McCarthy, qui n’est ni plus ni moins qu’un étron géant gonflable, prouve que ce dernier n’en était pas à son coup d’essai en matière d’œuvres provocatrices avec son sapin de Noël installé place Vendôme en Octobre dernier. Vous savez, la sculpture qui a défrisé le brushing de Christine Boutin et qui nous a prouvé que tous les catholiques intégristes de la Manif’ pour tous savaient ce qu’était un plug anal (bande de petits cochons, va) ! Mais revenons-en à nos étrons. Il est


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Restauration II

intéressant de noter que cette provocation vient essentiellement du fait de notre totale et hermétique aversion envers les selles, et que ce dégoût total est relativement récent, ayant commencé au milieu du XIXème siècle. S’il est en grande partie fondé, puisque ces matières peuvent véhiculer toutes sortes de maladies (c’est pas pour rien que notre corps cherche à s’en débarrasser tiens), on oublie aussi que c’est un engrais naturel très riche, et toujours meilleur pour la santé que des pesticides. Oui, la merde est inscrite dans le cycle de la vie, c’est moche mais c’est comme ça. Allez, terminons avec une note de douceur et de LOL dans ta face ! Oui, le caca, c’est drôle, c’est certes pas un humour qui vole très haut, mais ça reste une base, et on a tous esquissé des sourires un peu coupables à l’écoute d’une blague où déféquer était le mot d’ordre, ou plus simplement à la vue d’un passant introduire son pied chaussé (ou pas, et c’est encore plus drôle) dans un cadeau surprise laissé par nos soi-disant amis canins. C’est pour cela que je vous invite à visionner le travail de la Sprinkle Brigade, qui à l’aide de petits accessoires, habillent, décorent ou encore recontextualisent ces mines odorantes que l’on trouve sur nos trottoirs, donnant des résultats atypiques et joyeusement débiles ! Mention spéciale au Poodolph, on ne peut plus adapté à cette période de l’année ! Ainsi, il est temps pour moi de finir, histoire d’éviter que les trois seuls lecteurs à ne pas avoir encore rendu le contenu de leur estomac ne s’exécutent. Je vous laisse donc, non sans cette certaine satisfaction de faire quelque peu tache parmi les articles de mes joyeux camarades, et me permets de vous souhaiter à tous de merveilleuses fêtes de fin d’année, en espérant pour vous que vous puissiez jouir de la visite d’un certain Mr Hankey. Et surtout bon ap’ ! J

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a d n e g A Les itions exposur le thèmlea s de rriture nou Food - produire, manger, consommer - MuCEM 29 octobre 2014 - 23 février 2015

De l'amphore au conteneur - Musée de la Marine 15 octobre 2014 - 28 juin 2015

L'Art de manger, rites et traditions - Musée Dapper 15 octobre 2014 - 12 juillet 2015

Ces emballages qui changent nos vies ! - Musée de la Contrefaçon 10 décembre 2013 - 1er mars 2015

Paul McCarthy, Chocolate Factory - La Monnaie de Paris 25 octobre 2014 - 4 janvier 2015

À tables avec le Mobilier National - Manufacture des Gobelins 18 novembre 2014 - 18 janvier 2015

Banania - Musée du Chocolat Choco-Story 1er mars 2014 - 31 janvier 2015

Histoire(s) de cuillères - Bibliothèque Forney 9 septembre 2014 - 3 janvier 2015

Baccarat : La légende du cristal - Musée du Petit Palais 15 octobre 2014 - 4 janvier 2015

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f0jf0jf0jf0jf0j Histoire du calendrier de l'Avent Texte : Sophie Leromain - Illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

Depuis bientôt vingt ans, c'est la même chose tous les ans ; je me fais toujours avoir quand je vais faire mes courses fin novembre. Tape-à-l'oeil avec ses couleurs vives et ses dorures, forcément placé au milieu de mon parcours - et parfois à plusieurs reprises, le fourbe ! -, il me supplie de l'acheter. Chaque année, je suis forte, je résiste fièrement. Et puis ma volonté de fer finit par se briser. Je craque, et j'achète ce stupide calendrier de l'Avent, bien souvent autour du 9-10 décembre (et donc avec 9-10 chocolats de retard). Il me semble cependant que je ne suis, heureusement, pas la seule touchée par cette lutte intérieure de fin d'année. On est tous bien content d'avoir notre petit chocolat tous les matins pendant 25 jours, mais, comme toutes les traditions ancrées au plus profond des us et coutumes, personne ne sait d'où elle vient. Je me propose donc de vous présenter l'histoire du calendrier de l'Avent.

f0jf0j Tout commença en l'an 359 de notre ère, dans l'Empire romain. Constance II, fils de Constantin, et empereur romain depuis 350, était très concerné par la cause chrétienne. Jaloux de son père, qui, avec l'édit de Milan en 313, s'était accordé les faveurs des chrétiens, il décida lui aussi de faire une bonne action envers eux, afin qu'on garde un bon souvenir de lui (bon, c'est peut-être parce que lui aussi

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était chrétien). Toujours est-il, que voyant la fête de la naissance de Jésus arriver, Constance chercha un moyen d'assurer sa supériorité sur l'anniversaire de Sol Invictus, dieu païen, qui tombaient tous deux le 25 décembre depuis près de 100 ans. Ainsi décida-t-il d'organiser, du 1er au 25 e jour de décembre, des fêtes, processions et messes chrétiennes dans la ville de Rome en l'honneur de Jésus-Christ. Cette tradition perdura jusqu'à la chute de l'Empire romain d'Orient, en 1453, à la seule différence que les messes prirent plus d'importance car les églises se firent de plus en plus somptueuses. Toutefois, la célébration "en avance" de la Nativité n'avait pas survécu en Europe Occidentale et cela surprit les Croisés lors de leurs voyages en Orient. Comme toute chose qu'ils trouvèrent là-bas, les Croisés ramenèrent la tradition avec eux. Mais comme toute chose qu'ils ramenèrent, ils la changèrent et l'adaptèrent à leurs habitudes (à défaut de pouvoir y ajouter une monture orfévrée…). L'Église était plutôt riche à l'époque, et souhaita célébrer la Naissance du Christ comme l'avaient fait les Byzantins et les Romains avant eux. Mais sous la pression des ordres mendiants, on décida de réduire le faste de ces longues cérémonies, qui duraient presque un mois. Après de nombreuses tentatives, on se rendit vite compte que les plus intéressés par cette fête étaient les enfants, très impatients, qui bénéficiaient déjà de cadeaux à l'époque. Il fut alors décidé que les 25 premiers jours de Noël seraient consacrés à calmer le bouillonnement des enfants. C'est ainsi, qu'après un long processus de suppression des fêtes - on supprimait un jour de célébration par an -, fut inauguré les "Jours de l'Avant" (notez le "a", car on célébrait la période avant Noël). Les parents donnaient alors une clémentine par jour aux petits, ce qui était exceptionnel car on croyait que ce fruit, dont ils raffolaient, était mauvais pour leur santé ; ils n'avaient le droit d'en manger qu'à cette période-ci de l'année. Il faut d'ailleurs noter qu'aujourd'hui, oranges et clémentines sont très présentes dans les fêtes de fin d'année.


f0jf0jf0jf0jf0j Mais comment en sommes-nous venus au chocolat alors ? Dans le courant du XIXe siècle, un scientifique, Karl Kasabiehr lista les aliments par catégories - les ancêtres de nos protides, glucides… - et démontra que ce fruit orange que l'on pensait si néfaste pour les enfants était en fait très bon pour la santé. Les parents incitèrent alors leur progéniture à en manger le plus possible et ces pauvres enfants, gavés de clémentines, ne trouvaient plus aucun plaisir aux Jours de l'Avant. On chercha un autre aliment, pour remplacer les fruits, et, se fondant toujours sur l'étude de Kasabiehr, on choisit un aliment qu'il fallait éviter en temps normal mais que les enfants adoraient : le chocolat. Ainsi, depuis 1877, on donne un carré de chocolat aux enfants lors des 25 premiers jours de décembre. Au XXe siècle, certaines autorités religieuses, trouvant qu'on s'était trop éloignés du message chrétien de l'arrivée du Christ Sauveur, cherchèrent à supprimer cette tradition qu'ils trouvaient ridicule. Devant leurs tentatives infructueuses, ils firent pression pour changer les "Jours de l'Avant" en "Fête de l'Avent", puisant dans la langue latine et le terme adventus signifiant la venue et par extension l'arrivée du Messie. Ce changement de nom s'effectua au profit de l'invention d'un nouveau système, gardant les chocolats dans des petites cases, le Calendrier, inventé par les Italiens Ferrero en 1967. Naquit alors le "Calendrier de l'Avent". Depuis, même si les chocolats restent majoritairement présents dans ces calendriers, ces derniers se sont transformés, renfermant dans leurs cases des Playmobils, princesses Disney… Il existe même aujourd'hui des calendriers de l'Avent pour adultes, offrant, par exemple, des produits de beauté différents chaque matin !

f0jf0j Vous vous en serez doutés, cet historique n'est que pure invention de ma part. Je trouvais la version réelle vraiment pas fun et plutôt récente. Par conséquent, j'ai voulu ancrer l'origine de cette super tradition (la meilleure des excuses pour manger du chocolat tous les jours) dans la meilleure des civilisations qui soit (foi de romaniste !). Il faut avouer que c'est plus classe quand ça a traversé les siècles, plutôt qu'une tradition qui date d'il y a moins de deux siècles ! Je vous invite, si cela vous intéresse de briser l'imagination, à regarder sur internet la vraie histoire du calendrier de l'Avent !

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Retrouvez notre propre calendrier de l'Avent sur Tumblr, tous les jours de décembre : louvrboite.tumblr.com


f0jf0jf0jf0jf0j Schwowebretle Recette : Anne-Elise Guilbert-Tetart

Noël approche à grands pas et rien de tel qu’une facile et délicieuse recette à tester pour le plaisir des papilles gustatives. Voici donc, edliens et edliennes, des petits sablés issus d’une recette familiale et traditionnelle alsacienne ! Ingrédients Pour la pâte :

- 270g de beurre - 250g de sucre - 2 œufs entiers - 150g de poudre d'amande - 500g de farine - Cannelle

Pour le glaçage :

- sucre glace - Kirsch - fruits confits (cerises, agrumes…)

(plus ou moins 1 cuillère à soupe)

- 1 zeste de citron

(facultatif mais conseillé)

- 1 petit verre de kirsch (Enfin, je conseille d’en mettre plus d’un mais c’est au goût de chacun)

Préparation

- Mélanger le beurre ramolli et la farine. - Ajouter les œufs entiers, la poudre d'amande, le sucre, la cannelle, le kirsch. - Travailler jusqu'à ce que la pâte soit bien homogène. (Conseil : il ne faut pas avoir peur d’abandonner tout ustensile contre ses mains pour cette tâche)

- Laisser reposer une nuit entière au réfrigérateur.

- Le lendemain, étaler la pâte en une couche de 1,5 cm d'épaisseur. - La découper à l'aide d'emporte pièces de formes variées. (ou ne pas en utiliser et essayer de graver, ciseler la pâte pour reproduire ses clichés…)

- Cuire 12 minutes à four chaud. - Laisser refroidir et faire le glaçage après.

Conseil de dégustation : Après le

repas, avec un café, thé ou chocolat et accompagné d’autres douceurs sucrées. Conseil de conservation : Dans une

Pour le glaçage : Mélanger du sucre glace avec le kirsch pour obtenir un mélange pas liquide mais pas épais. Il faut qu’il soit facile à étaler et qu’il ne coule pas sur le biscuit. Placer selon les gouts un morceau de fruit confit.

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belle boîte en fer !


ACTUALITÉ

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LA FONDATION LOUIS VUITTON VOGUE SUR

LE COURANT DU FUTUR

Texte & Photographie : Justine Hamon

Ouverte depuis le 27 octobre, la Fondation Louis Vuitton se trouve accolée au jardin d'acclimatation juste en dehors de Paris. Descendez à la station Les Sablons sur la 1, direction un voyage futuriste au 8 Avenue de Mahatma Gandhi, 75116 Paris. Lorsqu'on approche cette immense structure de verre flottant sur une cascade d'eau, l'image d'un navire s'offre à nos pensées. Avez-vous rêvé de voir le Black Pearl amarré dans un port ? N’y pensez pas, cette vue est encore plus spectaculaire ! Cette prouesse architecturale a été réalisée par Frank Gehry, l'un des premiers dans l'emploi de logiciels appliqués à la construction, et avec la fondation il réalise un exemple d'architecture « Non-standard ». Une exposition lui est en ce moment même consacrée : un retour sur la création du bâtiment à travers de nombreuses maquettes, dont l'installation évoque des bancs de poissons, allant d'une taille modeste à plus d'un mètre de hauteur. Ces petits bijoux de l'architecte nous livrent les clefs de son génie. Au rez-de-chaussée, face à la boutique, se trouve un sympathique restaurant, au décor de poissons volants lumineux flottants dans l'espace ; et au coin de l'entrée, une sculpture en forme de rose, belle à faire rougir SaintExupéry. La collection de la fondation rassemble des œuvres de Christian Boltanski, Pierre Huyghe, Ellsworth Kelly, Bertrand Lavier, Gerhard Richter et Thomas Schütte, les

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commandes de Ellsworth Kelly, Olafur Eliasson, Janet Cardiff... et propose des événements culturels chorégraphiques, poétiques, performances musicales, sculptures sonores d'artistes tels Tarek Atoui, Oliver Beer, Dominique Gonzalez Foerster... Un beau cheminement visuel et sonore du bassin aux terrasses, dont la composition est en résonance avec le bâtiment. On se perd dans ce « dédale labyrinthique », et on profite de la vue splendide qu'offrent les terrasses. Certaines donnent sur le jardin d'acclimatation ; d'autres, sur Paris, le bois de Vincennes. Avec de la chance un magnifique coucher de soleil illumine le ciel à l'horizon. Les terrasses sont à ciel semi-ouvert, la structure de verre permettant d'apprécier le paysage. Tout en bas, venez profiter des jeux de miroirs et de lumière, créés par Olafour Eliasson, vous pénétrerez alors dans un espace renvoyant votre reflet démultiplié, où les colonnes de lumière plongent dans les bassins d'eau, et où vous contemplerez le bâtiment à partir d'une vue en contre-plongée. C'est comme dans un palais des glaces, en beaucoup plus artistique et plus naturel. On se balade, on découvre, on visite avec légèreté ce pavillon voguant sur une cascade aménagée, qui nous rappelle un peu le musée Guggenheim de Bilbao. Une création du même architecte, qui se positionne dans un courant avantgardiste déconstructionniste et post-moderne, abolissant les frontières de l'impossible et ouvrant les portes d'un monde futuriste. 4


INTERVIEW

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Pi erre Fourmeau / On lâche les chi ens Propos recueillis par Marine Botton

Louvr'Boîte

:

Peux-tu te présenter pour les lecteurs du Louvr'Boîte qui ne te connaissent pas encore ?

Pierre : Je suis un ancien élève de l'École du Louvre que j'ai

propre idée aux concerts. LB : Tu revendiques des influences en particulier ?

suivie du premier cycle jusqu'à la deuxième année de master, je fais de la musique et je suis aussi actuellement bibliothécaire à l'École du Louvre et animateur avec des enfants. Le groupe s'appelle On lâche les chiens (OLLC).

P : Oui, mais il y a tellement de choses que je ne préfère pas en parler. J'emprunte des éléments un peu partout mais il y en a beaucoup trop pour les lister.

LB : Comment qualifier le projet d'OLLC ? Son origine ? Son

difficultés vis-à-vis du cursus ou bien des avantages ?

évolution ?

P:

À l'origine, on a monté le groupe avec Maxime Boulet, un copain qui joue de la clarinette. Lui aussi est un ancien de l'École du Louvre. Le groupe est né sur un coup de tête. Nous avions la possibilité de jouer dans une salle sans pour autant avoir de groupe. C'était l'occasion de faire un concert pour rigoler. On s'est lancé et puis, finalement, on a continué à jouer ensemble, notamment au Gala. En parallèle, nous faisions partie d'un autre groupe – Makaramdam – que nous avions monté avec une bande d'amis. Le groupe a perduré sous cette forme pendant deux ans et puis, avec les aléas de la vie, mon partenaire est parti du groupe. Depuis un an environ, je suis donc tout seul à la tête du projet. Je fais tout moi-même avec des machines pour m'enregistrer, des boîtes à rythmes, une guitare électrique et je chante. LB : Comment définirais-tu le style d'OLLC ?

P : C'est un peu blues, c'est un peu punk, je ne sais pas vraiment ce que c'est. Je ne sais pas vraiment le définir car, comme souvent dans la musique actuelle, il y a des mélanges. Puisqu'il faut choisir un nom, à l'époque je disais que c'était du « post-blues-punk » parce que c'était un peu post-punk et un peu blues mais ça ne voulait rien dire. Je continue toujours de dire ça en attendant de trouver mieux. Des fois, il y a des côtés un peu plus trance parce qu'il y a un aspect assez répétitif. Le plus simple, c'est de se faire sa

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LB : Le fait d'avoir commencé le projet à l'école a représenté des P : En licence, ça a présenté des avantages parce que j'ai réussi à me ménager du temps pendant la première partie de l'année pour faire de la musique. Ça me laissait beaucoup de temps pour être créatif mais, à partir de janvier, il fallait travailler dur pour passer les examens. En première année de master, ça a commencé à être plus compliqué. En deuxième année de master, ce n'était plus possible et il a fallu faire un choix. J'ai décidé d'arrêter mes études pour me consacrer à la musique. Je pense qu'à l'école, il est tout à fait possible de mener un projet à côté des cours et de très bien s'en porter. Je pense que c'est bien d'avoir quelque chose à côté quand on est étudiant. Maintenant que je travaille beaucoup plus dessus et que je joue toutes les semaines, j'ai beaucoup de travail à fournir pour que ça fonctionne. La communication m'occupe énormément. Il faut garder le contact, appeler les salles, se créer un réseau, réserver des billets de trains (là, je reviens de tournée). C'est beaucoup d'organisation. Il faut gérer son emploi du temps si l'on veut en faire plus. En étant étudiant, ce n'est pas facile. Personnellement, j'avais besoin d'en faire plus. Peut-être que je reprendrai un jour mes études.

LB : Quels sont tes projets futurs pour OLLC ? P : Pour l'instant, je suis un groupe de live donc je n'ai pas beaucoup de morceaux enregistrés, disponibles en ligne. J'aimerais avoir un album physique, un petit EP, réalisé en


INTERVIEW

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auto-production parce que je n'ai pas de label. Ça me permettrait de démarcher un peu plus. Je commence à faire de plus grandes salles, à connaître plus de gens du milieu et à élargir à la province. Le but, c'est de quitter le monde des cafés-concerts que je fréquente encore énormément et se diriger vers des moyennes salles de concert. Comme c'est un milieu qui fonctionne par réseau, il faut souvent des années avant que ça ne fonctionne. Peut-être que ça ne marchera pas mais je continue, par pure passion et je le fais maintenant parce que je suis jeune et parce que, quand j'aurai 35 ans, j'en aurais peut-être assez d'être bibliothécaire.

LB : On va te revoir jouer à l'École du Louvre ? P : Je vais probablement continuer de jouer au Gala et aux afterworks s'ils veulent toujours de moi et qu'on me le propose ! LB : Un dernier conseil pour les élèves qui seraient tentés de se lancer dans un projet en dehors de l'école ?

P : Il ne faut pas être trop stressé par l'école car elle peut pousser au stress mais je ne pense pas que ce soit une étape obligée. Tout en travaillant sur le groupe, j'ai mené mes études sans redoubler. Il faut savoir que c'est possible, d'autres groupes existent à l'École du Louvre, Frank Sabbath par exemple. Ils sont encore en premier cycle et s'en sortent très bien. Il y a aussi Élise, qui est la bassiste de Moshi Moshi. Je pense qu'il est vraiment important d'avoir des projets à côté de l'école. Ah oui et je conseille vivement aux étudiants de venir aux prochains concerts ! S

Pour écouter On lâche les chiens en vrai :

13/12/14 La Cantine de Belleville

Boulevard de Belleville)

(108

16/12/14 Café des Sports (Métro

Ménilmontant)

Et chez vous : http://onlacheleschiens.blogspot.com/

F /onlacheleschiens

Retrouvez ces liens sur le Tumblr du journal ainsi qu'une vidéo live !

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MUSÉE INSOLITE

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L'insolite musée des moulages de

l 'h ô pi t a l Sa i n t -Lou i s Texte : Margaux Ruaud

Ah Noël. Son froid de décembre, son énorme repas, ses cadeaux, son sapin, ses boules… Noël est certes la naissance de petit Jésus, mais c’est surtout les premières vacances qui te sont octroyées, gentil étudiant de l’École du Louvre. Pour célébrer dignement cet événement, j’aurais pu décider de présenter l’historique de la bûche de Noël. Au lieu de cela, cher lecteur, je vais te parler d’un lieu fabuleux, à la qualité artistique indéniable, le musée des moulages dermatologiques de l’hôpital Saint-Louis à Paris. Ne tourne pas encore la page, laisse-moi t’expliquer sa spécificité, son petit cachet. Il s’agit d’un pavillon contenant la plus grande collection de moulages dermatologiques au monde, le tout avec sa muséographie d’origine datant de 1889. Ce ne sont pas moins de 4807 pièces présentées dans les vitrines incongrues de cet insolite musée, imageant les différentes pathologies de la peau fréquentes au XIXème siècle. Oublie l’épiderme légèrement irrité à cause d’un bénin eczéma, ici je te parle de visages disparaissant sous des furoncles purulents, de pieds quatre fois plus larges que l’ogre du Petit Poucet, de membres plus proches du tronc d’arbre que de la chair humaine, de cas d’éléphantiasis te laissant pantois, de fœtus cyclopes, et de parties génitales dont je te passerai le détail (le papier hygiénique c’est fantastique)… Ce n’est visiblement pas un musée pour les âmes sensibles, expliquant d’ailleurs le fait qu’il soit interdit pour les moins de douze ans. Il faut tout de même préciser qu’à part procurer une virulente envie de rendre son repas, le lieu a été conçu dans une optique didactique. La médecine avance à grands pas au XIXème siècle, mais pas la photographie, tandis que la peinture n’a cure d’immortaliser les croûtes d’avant-bras (compréhensible) et que la gravure ne rend pas les couleurs. Ainsi, Jules Baretta, premier mouleur de l’hôpital, offre l’opportunité de vrais supports pour l’apprentissage des médecins. D’une certaine manière, en représentant ces pathologies souvent mortelles, cet artiste pour le moins original contribua à ce qu’une mycose du gros orteil ne conduise plus à une amputation. Merci Juju. Qui sait ce qu’aurait été un cabinet de dermatologie si Lailler, chef de service de l’hôpital Saint-

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Louis en 1863, n’avait pas remarqué dans une rue ce vendeur de fruits en carton-pâte très réalistes. Mis à part voir s’exposer devant tes yeux un témoignage vibrant mais proprement dégoûtant de l’histoire de la médecine, pourquoi te rendre dans cet insolite musée ? Tout d’abord parce que le lieu est splendide. L’hôpital Saint-Louis est l’un des plus vieux de Paris, 1607 tout de même, et a conservé une grande partie de son architecture d’origine. Tu auras ainsi l’occasion de te balader dans le tout proche quadrilatère, véritable havre de paix au sein d’une ville animée, en plus de visiter un remarquable pavillon XIXème. Pour la technique ensuite. Si les collections présentées sont loin d’être élégantes ou même esthétiques, il faut reconnaitre le réel talent qui émane du rendu. Certes, le volume ne résulte que d’un moulage (le principe même du musée, je te le rappelle) mais la couleur est tellement bien appliquée que c’en devient… troublant. Si le Bernin avait demandé à un copain de peindre ses sculptures, problème chronologique écarté, il aurait certainement accepté un coup de paluche de Baretta. Enfin, parce que le musée le mérite. Le patrimoine lié à l’exercice des métiers dans l’histoire est peu présenté, surtout dans cette quantité, mais l’hôpital n’a pas les moyens d’ouvrir en accès libre, il faut donc prendre rendez-vous avec le conservateur. Malgré cela, le prix reste modique, six euros en plein tarif, trois pour un étudiant. Il est même ouvert pendant les Journées du Patrimoine. Ces collections uniques louées pour leur participation à la médecine moderne sont aujourd’hui menacées par la vétusté des installations (lumière, toiture, infiltrations d’eau). Le musée a besoin de fonds de rénovation que l’Assistance Publique ne peut pas fournir. Contribuer à sa renommée aiderait déjà à intéresser des mécènes (Junior Entreprise si tu m’entends), mais le don c’est bien aussi. Alors si entre deux crises de foie de Noël, tu ne sais pas quoi faire, je connais quelques maladies vénériennes qui n’attendent que toi. b


RECETTE

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B.F.M. Food Bon. Froid. Maison. Recette : Margaux Ruaud - Illustration : Margaux Ruaud & Aurélien Locatelli

L’absence de four à micro-ondes est certainement la pire malédiction pour une école remplie d’étudiants affamés, surtout si ladite école est située dans The Place to Be de l’arnaque alimentaire. Quand n’importe quelle salade coûte plus cher que la Joconde, quel choix reste-t-il au téméraire qui souhaite manger un minimum plus sain que notre ami Donald ? Le homemade. Je vous vois venir gros comme une maison : « C’est trop long, en plus je ne sais pas cuisiner, et je suis un(e) étudiant(e) fauché(e). ». Je m’en vais vous démontrer que ces excuses sont nulles et non avenues avec un peu de volonté. Ingrédients (pour un wrap) :

Le wrap, un petit plaisir en rouleaux

- galette de maïs dite tortilla Le plus de l’artiste : Faire sa tortilla soi-même pour savoir ce - jambon (blanc, de pays)/ blanc de poulet ou de dinde/tofu qu’il y a dedans exactement. - un demi-avocat - du chèvre (frais, en buche, peu importe) Pour 8 tortillas : - de la salade - 400 g de farine (celle que vous préférez) - de la moutarde au miel (moutarde à l’ancienne mélangée à du + quelques poignées pour le plan de travail miel. Délire.)

- 1 cuillère à café de sel - 10 cl d'huile d'olive Indice calorique : moins de 500 (c’est donc un vrai repas, pas - 150 ml d'eau tiède un complément) Niveau de difficulté : ultra facile.

Le plus compliqué consiste à rouler. Un jeu d’enfant quoi, surtout pour les fumeurs. Matériel : cuiller, couteau, assiette. C’est tout. Temps de préparation : on avoisine les 5 minutes.

placer la tortilla sur l’assiette. A l’aide de la cuiller, étaler la moutarde sur la totalité de la galette, en évitant de trop badigeonner les bords (pour éviter que ça coule une fois roulé), ajouter un peu de salade sur un bord de la galette puis le jambon coupé en lamelles, puis le chèvre, et enfin l’avocat. Si ça parait trop sec, on peut rajouter de la moutarde au miel. Une fois tous les ingrédients disposés, il faut rouler. Le plus simple est d’utiliser ses mains. Haha. Drôle. Toute blague à part il faut s’assurer que la garniture soit couverte dès le premier tour de galette, pour éviter que cela déborde. Là ça ne parait pas clair, en pratique ça l’est beaucoup plus. Processus créatif :

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RECETTE

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Dans un saladier, mélanger soigneusement la farine et le sel. Ajouter l'huile d'olive et mélanger rapidement. Ajouter l'eau petit à petit en pétrissant pour former une boule de pâte souple. Partager en huit boules égales. Les aplatir légèrement, les disposer sous un torchon propre et les laisser reposer pendant une demi-heure. Sur un plan de travail fariné, les aplatir au rouleau à pâtisserie puis cuire à la poêle, à feu vif et sans matière grasse, pendant 30 secondes de chaque côté. Processus

créatif

:

Le supermarché procurera tous les besoins nécessaires de l’étudiant affamé. Le moins de l’artiste :

Tomates, carottes, pesto, cœur d’artichaut, mayonnaise, Ketchup, crème, poulet… Finalement, la tortilla est comme le pain, elle s’accorde avec n’importe quoi. Cela permet de varier les plaisirs, les menus, et de s’accorder à toutes les bourses. Que vous la fassiez vous-mêmes ou que vous l’achetiez, la tortilla est économique, puisqu’elle est vendue en paquets de 6, 8 voire 12. Pour un repas, deux suffisent amplement, avec un fruit, ou un yaourt, donc ça fait la semaine EASY ! Pour les conserver, il faut les mettre dans un sac de congélation, ou au moins les entourer de papier aluminium. Comme ça, elles ne sècheront pas. Entre nous :

Dans le prochain épisode : Du Bon, du Froid, du Maison. l

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SUPER SÉRIE

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H A L T A N D Catch Fire Texte : Kim Harthoorn - Illustration : Herminie Astay

Nous sommes au début des années 80. L'informatique et l'électronique en sont à leurs débuts. Tout est possible, les progrès sont fulgurants, de toutes parts émergent de nouveaux projets, de nouvelles idées. C'est l'une d'entre elles que Halt and Catch Fire vous permet de suivre.

Mais bien sûr, le personnage le plus fascinant est celui de MacMillan lui-même, brillamment interprété par Lee Pace (que vous avez déjà vu sans l'avoir vu, en roi des elfes dans Le Hobbit). La caméra passe un temps maximum à étudier chaque mouvement, à capter chaque expression, à rendre chaque geste de cet homme génial et mystérieux, que le scénario s'ingénie avec bonheur à déshabiller toutes les De ses débuts à ses déboires, le projet est porté par deux minutes. l'insupportable, mais néanmoins génial Joe MacMillan. Il s'est auto-débauché d'IBM La réalisation de la série parce que ses anciens est remarquable (pas employeurs ne voyaient pas seulement parce qu'elle assez grand. Il a une vision ; déshabille Lee Pace, enfin mais il a besoin de pros pour !) : les cadrages sont qu'elle se réalise. Il recrute inhabituels, l'image est deux acolytes, le timoré composée de façon Gordon (qui n'a pourtant toujours structurée et pas tout à fait renoncé à ses harmonieuse. Le tout est rêves de gloire servi par une bande-son ingéniéresque) et Cameron, très agréable. Une mention une programmeuse de génie spéciale est attribué au et au comportement rebelle générique, par ailleurs cité cache un idéalisme dans l'article du numéro complexe, qui oscille précédent sur les toujours entre immaturité et génériques de séries tv : hauteur de vue. A eux trois, tant graphiquement que ils vont prendre le contrôle musicalement, on peut d'une modeste entreprise parler de perfection. d'informatique et la lancer dans le projet de MacMillan. Nous ne saurions que trop vous recommander cette La complexité de ces trois personnages et de leurs série exaltante, esthétique et fascinante, qui dépeint sans relations est aussi fascinante que l'intrigue générale est tomber dans le kitsch ce moment merveilleux et injustement haletante. Il est très agréable de voir des personnages honni des années 80. féminins réussis : Cameron, bien sûr, mais aussi Donna, la femme de Gordon, qui ne se contente pas de jouer les potiches mais est par ailleurs un brillant ingénieur (de sorte qu'on se demande parfois pourquoi MacMillan ne l'embauche pas directement).

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LE CHOIX DE LA RÉDAC

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M a i s d i s- moi J a my, p ou rq u oi i l n ’ y a pas de mi cro- on d e a l a ca fet ’ ? Parce que la mère de Tanguy Tromeur a été tuée par un micro-ondes.

KIM Solène

Parce que sinon voilà ce qui va se passer : les ondes du micro-ondes vont se mêler à celle de l’accélérateur de particules et créer un champ magnétique qui va réveiller de leur immobilité toutes les œuvres du Louvre qui vont traquer tous les touristes à la recherche d’une force vitale et les rats courant dans le parc vont grossir et parler et se rebeller contre des chercheurs et créer le virus Crotoan qu’ils vont répandre sous le nom de NEW LOUVRE PLAGUE !!! Tout le monde va devenir des zombies nécrophiles hipsters !! AAAAAaaaaaaaaaah !!!

M argaux

Parce que ÇA VA EXPLOOOOOOOOOOOOOOSER !!! Voilà. L’école se finance à 70% grâce aux auditeurs, ce serait dommage que les ondes interfèrent avec les sonotones de nos joyeux camarades !

Yohan

Herminie

À cause du complot francmaçonnico-illuminati.

Gabriel

Parce que c’est Jean-Luc Bovot qui pédale dans les sous-sols du Louvre pour fournir de l’électricité et qu’il n’y en a pas assez pour faire fonctionner un micro-ondes. Ce qui explique aussi pourquoi il y a si peu de prises de courant.

À cause des coupes budgétaires. Mettez aussi sur ce compte-là l'absence de chauffage à la bibliothèque, les bugs récurrents des TV et les sandwichs moisis du distributeur.

Sophie

Julien

La faille dans l’espace temps au dessus du Louvre risquerait d’imploser.

Marine

Pour en savoir plus sur ce sujet épineux, ne manquez pas le numéro de janvier !

Car le micro-ondes était utilisé par les étudiants dans des pratiques sexuelles non conventionnelles. Et oui certains étudiants se sentent seuls, très seuls.

Vincent ADELE

L’école est construite sur un ancien cimetière indien, c’est une terre sacrée imprégnée de magie et d’anciennes malédictions qui bloquent toutes les ondes électromagnétiques. C’est aussi la raison de l’absence de réseau à Rohan et dans les couloirs de l’EdL d’ailleurs…

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Parce qu'une récente étude démontre que les ondes pourraient entrer en résonnance avec les cordes vocales de Philippe Durey, déclenchant un fou rire incontrôlable.

Car ils veulent faire un élevage de lapins. Uniquement élevés aux légumes crus. (Ou au Domac’ du Carrousel.)

An n e - E l i se

Alexis

Le micro-ondes est la cause principale de l’incendie des Tuileries, ça explique que l’EdL évite de reproduire ce tragique épisode :) LOL WTF…


ACTU ASSOS

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Association sportive Boxe anglaise

mercredi de 18h à 20h, centre sportifJean Talbot, campus Jussieu,

université Pierre et Marie Curie (métro Jussieu) jeudi, de 16h à 18h, espace Sud, cité universitaire (RER B arrêt cité universitaire). Water-polo

vendredi, cité universitaire de 18h à 20h (étudiants confirmés) et de 20h à 22h (pour les autres).

Volley

vendredi, 18h à 20h, gymnase Paul Valéry, (métro porte dorée)

Course à pied/athlé lundi soir, 18h30-20h..... pour connaitre les lieux de RDV, écrire un mail à asso.sportive.edl@gmail.com

Possibilité de suivre des cours de rock, tous les mardi de 20h à 21h à Télécom Paristech, 53 rue Vergniaud dans le 13 è arr. (Métro Corvisart ou Glacière). Gratuit pour les filles.

Foot féminin lundi, 18h30-20h pour connaitre les lieux de RDV, écrire un mail à asso.sportive.edl@gmail.com

Foot masculin

vendredi entre 20h et 22h sur les pelouses, devant la porte Jaujard.

Entrainements de tennis

sur demande auprès de l'asso, au prix de 2euros par séance.

pour choisir un lieu de RDV et une date, écrire un mail à asso.sportive.edl@gmail.com

Basket et hand pour connaitre les lieux de RDV et horaires, écrire un mail à asso.sportive.edl@gmail.com

adhésion : 40 euros. m asso.sportive.edl@gmail.com G association sportive de l'École du Louvre

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ACTU ASSOS

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POLYCHROME / DECEMBRE (événements culturels : corps, désirs & genre)

C'est l'hiver et la ville est brune et grise, mais nous restons Polychrome, et toi aussi ! Nous avons préparé un programme riche et varié, histoire que tu puisses y trouver ton bonheur avec tout plein de belles choses dans cette fin de mois de décembre. On va d'abord réfléchir (juste un peu, et yaura des images) le temps d'une conférence sur le queer dans le clip musical, un support militant depuis ses débuts plus qu'on ne le croit. On y parlera de bikers et de fête de football-club... On terminera 2014 en grand au Palais de Tokyo pour visiter INSIDE le 19 décembre. Une trentaine de propositions sur le corps et l'esprit, le soi et le sur-soi, on ira chercher les complexités de l'être et celles de nos limites. Franchissons les lignes et la porte des musées ensemble ! Polychrome aime le théâtre et est partenaire de la Compagnie de l'Astre, qui nous propose dans des conditions avantageuses de voir ses Gouttes dans l'Océan de Fassbinder à la Folie Théâtre. Manipulation,

séduction et désillusion, la totale. On ira aussi au 104 interroger le voyeurisme, l'hyperexploitation et la résistance de tes nerfs devant Bad Little Bubble B de la compagnie Mesden. Décembre 2014 c'est pour nous aussi l'occasion de faire une fête, la notre, puisque nous avons cinq ans cette année (oui, déjà!). On t'invite le 13 décembre au Club 56 pour célébrer les Vilaines Moustachues, notre première soirée. Nul doute que tu en trouves une à ton goût ! Ça sera 5€ pour les adhérents, et 6 ou 8 € pour les autres. Polychrome ne s'arrête pas en 2014. Dès le début de l'année 2015, un apéro le 4 janvier pour faire le point, puis des zombies, Hedi Slimane, et des stéréotypes dans les médias. Mais Noël apporte beaucoup, et on ne va pas tout dévoiler si vite... Découvre la palette complète de nos couleurs sur notre page Facebook, Polychrome-Edl, et sur notre site internet, polychrome-edl.fr. Tu peux nous envoyer questions, mots d'amour et vœux de Noël à l'adresse polychrome.edl@gmail.om. On répondra !

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JEUX

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mots croisés

Horizontal

Vertical

3. Peut aussi bien se trouver dans la cheminée que sur la table. 5. Le n°10 version morveux. 7. Organe en crise du 23 décembre au 2 janvier. 8. Se dit d'une femme « très distinguée » ! On peut aussi la mettre au four (pas la dame, hein). 10. On le sabre mais on préfère le boire (enfin, je dis ça...). 12. Spécialité de Montélimar qui colle aux dents. 13. Cause de nombreuses dents cassées, surtout si ceux-ci datent de l’année d’avant. Ou d’encore avant. 15. Sec ou frais, ça ne fait pas de mal à la fin d'un repas chargé.

1. On en trouve un tous les matins dans le calendrier. 2. « Ceci est mon corps » comme dirait l'Autre. 4. Mollard de la mer. 5. Dans la famille des Rutaceae, je voudrais le fruit. 6. Blanc sur rouge, rien ne bouge ; rouge sur blanc, tout fout l'camp ! 7. Vous avez encore en tête les vieilles vannes de Tonton Georges ? Voilà. 9. Quand un symbole christique croise un Norvégien, vous obtenez ceci. 11. Peuvent être glacés ou chaud, souvent vendus dès l'arrivée du froid sous les arcades du Louvre par des marchands ambulants. 14. Il ne faut pas oublier d'en mettre un verre sur la cheminée pour le Père Noël.

HORIZONTAL : 2. Brown - 4. Zola - 6. Balzac - 7. Mérimée - 10. Hugo - 11. Proust - 14. Quignard - 16. Huysman - 17. Ponge VERTICAL : 1. Pline - 3. Wilde - 5. Gautier - 8. Goscinny - 9. Chevalier - 12. Edsel - 13. Joyce - 15. Triolet - 16. Hergé Solutions du numéro précédent :

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