La situation des populations déplacées aujourd’hui en France

La situation des populations déplacées aujourd’hui en France : la controverse entre les principes de l’hospitalité et ceux de l’autorité

Études de cas

Louise-Marie Antoni Richard Sabatier PFE Ensav 2016-2017

Sommaire

Avant-propos 6 Camps de la linière à Grande-Synthe

8

Le dispositif de premier accueil de Paris

26

Le centre d’hébergement de Paris

40

Ressources 54

Avant-propos Cette étude s’est déroulée entre septembre et novembre 2016. À cette date, les trois cas d’études se trouvaient dans différents états et l’accès aux informations les concernant fut plus ou moins aisé.

Le camp de réfugiés de Grande-Synthe était en fonction depuis plusieurs mois. Beaucoup d’informations, d’études et de publication circulaient donc à son sujet.

Celui de Paris, à porte de la chapelle, était en cours de construction. Les publications le concernant étaient moindres, mais j’ai pu visiter le chantier et échanger avec l’architecte à plusieurs reprises.

Enfin, le projet du camp devant se tenir à Ivry-surSeine venait juste d’être acté par la Mairie. Les publications le concernant étaient encore presque inexistantes et très peu d’informations ont été diffusées. J’ai simplement pu consulter le permis de construire et échanger avec l’architecte.

6

Camp de la Linière à Grande-Synthe Lieu : terrain appartenant à la SAFER (Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural) Adresse : route de Spycker 59760 Grande-Synthe Concepteur : MSF (Médecins Sans Frontière) Institution : normes définies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) Gestionnaire : Utopia 56 Date d’ouverture : 07.03.2016 État actuel : en cours de résorption Capacité : 1 500 personnes - 300 abris Public accueilli : toutes personnes réfugiés jusqu’au 30.O5.2016 - Puis seulement familles et personnes avec problèmes de santé significatifs Coût : 2,7 millions d’euros (MSF) - 900 mille euros (ville de Grande-Synthe) - 9,90 euros/résident/ jour (État)

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document par MSF (MÊdecins Sans Frontière), 2016

Genèse du projet : Jusqu’en 2016, entre 2 500 et 3 000 personnes en attente d’un passage pour l’Angleterre ont campé dans un terrain abandonné de GrandeSynthe, petite municipalité dans la banlieue de Dunkerque. Le camp de fortune, appelé « Basroch » est coincé entre la mer du Nord et la zone commerciale de la commune. Bâti en 2007 sur une zone inondable, il est devenu, en l’espace de quelques semaines pluvieuses, un immense marécage dans lequel baignent des milliers de tentes et de réfugiés.1 Les journalistes de France 242 venus sur place décrivent l’envahissement du terrain par les ordures et les rats, ainsi que le grand nombre d’objets abandonnés dans la boue.

Le campement n’a pas toujours connu un tel état de délabrement. Médecin du Monde – ONG qui s’occupe du campement – déclarait recenser entre 50 et 100 personnes entre 2007 et le mois d’août 2010, puis en quatre mois, le nombre de migrants a explosé jusqu’à près de 3 000. Près de 200 enfants s’y entassaient. Le campement a grandi si vite que MDM a eu du mal à s’adapter en si peu de temps et a sérieusement manqué de moyens. La fermeture d’un camp voisin, à Téteghem, à une dizaine de kilomètres de là, pourrait en partie expliquer cette soudaine explosion démographique. De plus, presque 90 % de la population est originaire du Kurdistan irakien et la population kurde du campement de Calais a petit à petit rejoint Grande-Synthe, afin de trouver du réconfort dans le regroupement.3 Des dizaines de citoyens apportent quotidiennement nourriture, vêtements, médicaments, etc. Mais selon Mathieu Baltazar4, chef de projet adjoint chez MSF, les distributions se font sans coordination, de manière anarchique. Cela entrainerait d’importants gâchis de nourriture, des risques de surmédication, des problèmes de tri des ordures, voir des conflits entre résidents. La première urgence de ce campement apparaissait donc être l’organisation.

1 Chiffres selon : «Migrants : la France va ouvrir un camp humanitaire à Grande-Synthe», Maryline Baumard, 31.12.2015, Le Monde 2 Charlotte Boitiaux et Mehedi Chebil (photographe) 3 «La boue au ventre – immersion dans le camp de Grande-Synthe (½)», Charlotte Boitiaux, 2016, France 24 4 À l’occasion d’une interview téléphonique, le 18.11.2016

Mehdi Chebil, France 24, 2016

Situation du site dans Dunkerque et sa banlieue (Grande-Synthe)

Grande-Synthe

1km

N

Dunkerque

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Stratégies d’implantation : Les associations et le maire de la commune ont pris les choses en main. Après des semaines de lutte avec la préfecture du Nord, ils ont enfin obtenu, le 11 janvier 2016, un nouveau terrain, pour y construire un nouveau camp, plus digne, plus propre et plus organisé. L’État, s’est opposé à ce projet par crainte du fameux « appel d’air ».5 Le terrain sur lequel le camp est implanté a été proposé par la Mairie de Grande-Synthe. MSF en est locataire jusqu’au mois de décembre, puis c’est la ville qui doit reprendre le loyer. Il avait l’énorme avantage d’être disponible rapidement au moment où le projet de déménagement est né, mais il présente toutefois certaines caractéristiques désavantageuses.

Il est coincé entre l’autoroute A16 et les voies ferrées, qui sont très proches, dans un terrain vague de 6 hectares.

On l’appelle « La Linière », car il est situé sur le site d’une ancienne coopérative de transformation du lin. Or, contrairement au « Basroch », il est à 5 kilomètres de l’épicentre de la ville, loin des commerces et commodités, mais aussi loin des habitations.6 La priorité était d’éviter que la boue ne s’amasse comme dans l’ancien bidonville. La pose de composite, de sable, de graviers et de câblage au sol a permis d’éviter que les eaux de pluie ne remontent à la surface.7 Le tout a coûté près de 2,7 millions d’euros à MSF. Ensuite, 300 abris de bois, parfaitement alignés, s’étendant à perte de vue dans ce terrain étriqué. De loin, certains diront qu’ils ressemblent à des centaines de petites cabines de plage.8 Conformément aux préconisations des services de police, un brise-vue de 450m de long a été installé au niveau de l’A16.

En plus de créer une barrière physique empêchant l’accès à l’autoroute aux piétons, cette barrière permettra également de limiter la visibilité du camp depuis l’A16 et de ne pas attirer l’attention des conducteurs. La mairie, qui avait déjà investi 400 000 euros, a déboursé 500 000 euros supplémentaires, pour sécuriser le site, notamment pour la construction de barrières de 2m de hauteur autour du site. Un chemin piéton a été aménagé allant jusqu’au centre commercial à proximité.

Ce chemin oblige à traverser le rond-point de la bretelle de l’A16 et une voie rapide. Ceci nécessite donc la présence d’associations 24h/24h le long du chemin afin de sécuriser les allers et venues des résidents.9 5 «Mémoire technique et administratif de la construction du camp de la Linière pour les réfugiés de Grande-Synthe», 31.03.2016, Médecins sans frontières 6 «La boue au ventre – immersion dans le camp de Grande-Synthe (2/2)», Charlotte Boitiaux, France 24, 2016 7 «Mémoire technique et administratif de la construction du camp de la Linière pour les réfugiés de Grande-Synthe», 31.03.2016, Médecins sans frontières 8 «La boue au ventre – immersion dans le camp de Grande-Synthe (2/2)», Charlotte Boitiaux, France 24, 2016 9 «Mémoire technique et administratif de la construction du camp de la Linière pour les réfugiés de Grande-Synthe», 31.03.2016, Médecins sans frontières

Mehdi Chebil, France 24, 2016

Plan masse du camp de la Linière

300m

N

document par MSF (Médecins Sans Frontière), simplifié par Louise-Marie Antoni 2016

Aménagement du lieu : Le projet fut acté fin 2015 et les travaux commencèrent dans la foulée début 2016. Trois semaines plus tard, le lundi 7 mars 2016, le camp ouvrait ses portes et pendant trois jours accueillait peu à peu les 1 330 réfugiés du bidonville voisin.

Le lieu a été pensé, construit et financé par Médecins sans frontières (MSF) dont l’État ne voulait pas. C’est la première fois en France qu’un camp humanitaire est construit selon les normes internationales définies par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU.10 Le campement est structuré en six zones. Les premières (1, 2, 3) sont réservées aux familles avec enfants et aux malades, pour être plus proches des points médicaux, des centres d’intervention, et des stands de nourriture. Les zones suivantes, 4, 5 et 6, sont, elles, attribuées aux hommes seuls, généralement dans le fond du camp. Il y a environ 85 % d’hommes entre 20 et 45 ans dans le camp et seulement 20 % de femmes. Certains sont restés un certain temps sous des tentes installées au fond du camp. Ces dernières ont été plantées pour héberger temporairement les derniers listés, ceux qui sont arrivés au troisième jour de déménagement et qui devaient patienter avant d’obtenir un abri. Les cabanons sont petits, entre 6 et 10 m², sommaires, sans lits, sans matelas, mais ils sont solides et permettent aux résidents de dormir au sec. Chacun est équipé d’un branchement électrique, d’un verrou et d’un petit poêle à fuel. Les douches et les toilettes sont installées tous les deux cents mètres et sont reliés à l’eau courante et le tout-à-l’égout. Les associations et ONG qui agissent quotidiennement sont installées à l’entrée du site dans des bungalows : MSF (Médecins sans Frontières), Auberge des Migrants, Emmaüs, Médecins du monde et Utpoia 56.11 À peine 72 heures après son ouverture, le camp s’est architecturalement métamorphosé. À l’allure monotone des cabanons s’additionnent des bâches et des tentes, qui sont semées dans toutes les zones. Ces extensions servent de garde-manger, de cuisine d’appoint ou d’hébergement pour un ami. Selon les journalistes12, certains redoutent que ce camp en dur ne se transforme en nouvelle « jungle ».

10 «La boue au ventre – immersion dans le camp de Grande-Synthe (2/2)», Charlotte Boitiaux, France 24, 2016 11 Idem 12 Charlotte Boitiaux et Mehedi Chebil (photographe)

Mehdi Chebil, France 24, 2016

Mehdi Chebil, France 24, 2016

Fonctionnement du centre : Un point cantine à l’entrée du camp distribue 800 repas par jour, le matin, le midi et le soir. Le médical est assuré par MSF, le fonctionnement, la logistique et la sécurité des lieux par Utopia 56, association mandatée par la mairie. Mathieu Baltazar affirme13 que c’est très organisé. Aucun bénévole libre ou visiteur n’est autorisé dans le camp. “On ne peut rien faire entrer dans le camp. Ils contrôlent tous”, Hataw, une Kurde d’Irak, interrogée par les journalistes France 2414. Chaque jour, l’ensemble du camp, va faire la queue au “fuel drive” pour réalimenter les poêles, puis trois autres fois par jour pour aller chercher de la nourriture. Il y a un gardien qui surveille le centre toutes les nuits. Le contact entre les habitants de Grande-Synthe et ceux du bidonville est donc impossible. Le fonctionnement du camp, coupé du monde extérieur, est totalement dépendant des ONG et associations.15 Cinq semaines après l’ouverture, le ministre de l’Intérieur, qui a combattu la création du lieu d’accueil par MSF, signe finalement une convention le lundi 30 mai 2016. En octroyant 9,90 euros par migrant et par jour, l’État reprend la main sur ce lieu qui lui échappait, et en promet la fermeture.

En effet, la ville souhaite à terme construire et dynamiser cette parcelle.

La convention prévoit que chaque cabane vide doit être vite démontée et qu’aucun migrant nouveau ne s’installera sans accord conjoint de l’État, de la mairie et de l’ONG. C’est donc une méthode de résorption qui veut se faire au fur et à mesure. Mais depuis cette date, des dizaines d’arrivants ont été refusés, malgré des places disponibles, condamnés à errer ou aller remplir davantage des bidonvilles voisins. Le 25 juin, une note du sous-préfet à précisé que le camp sera strictement réservé aux réfugiés désirant rester en France. Selon Médecins sans Frontières, suite à cela, au moins 34 personnes ont été refusées en dix jours, alors que le camp a plusieurs places libres.16 Puis, dans un courrier adressé aux responsables associatifs daté du 8 juillet, le maire précise « accueillir les femmes seules avec enfants, les familles et les personnes présentant des problèmes de santé significatifs. », laissant de côté les femmes et hommes seuls.17 Ces refus sont effectués par l’Afeji, nouvelle association gestionnaire du camp, mandatée par l’État. En août ils n’y avaient déjà plus que 820 résidents, alors que le bidonville de Calais, à quelques kilomètres, grandissait. Puis, toute présence prolongée dans le campement s’est vue interdite, voir pouvant se solder par une expulsion. Les règles drastiques imposées par l’État ont en quelques mois dépourvus le camp de la Linière de sa vocation première : empêcher que les réfugiés ne vivent dehors, dans la misère.18 Depuis septembre 2016, Utopia 56 quitte progressivement le centre pour en laisser la gestion complète a Afeji. L’association est en désaccord avec le nouveau mode de fonctionnement mis en place. Selon eux, il est prématuré de réduire la taille du camp sans proposer des solutions pour les personnes non admises. L’association se dirige donc vers les bidonvilles aux alentours, dont celui de Calais.19 13 À l’occasion d’une interview téléphonique, le 18.11.2016 14 Charlotte Boitiaux et Mehedi Chebil (photographe) 15 «La boue au ventre – immersion dans le camp de Grande-Synthe (2/2)», Charlotte Boitiaux, France 24, 2016 16 Chiffres selon : « Grande-Synthe : des migrants refoulés au camp de la Linière, selon Médecins sans frontières », AÏCHA NOUI, 14.07.2016, La voix du Nord 17 http://www.utopia56.com/fr/actualite/utopia-56-va-progressivement-quitter-liniere 18 « L’État reprend le camp de migrants de Grande-Synthe pour mieux le fermer », Maryline Baumard, 30.05.2016, Le Monde 19 http://www.utopia56.com/fr/actualite/utopia-56-va-progressivement-quitter-liniere

Le dispositif de premier accueil de Paris Lieu : ancien entrepôt SNCF Adresse : 70 boulevard Ney 78018 Paris Concepteur : Julien Beller (architecte) Institution : normes définies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) Gestionnaire : Emmaüs Solidarité Date d’ouverture : 09.11.2016 Durée prévue : 18 mois Capacité : 400 à 600 personnes Public accueilli : hommes seuls Coût : 5,2 millions d’euros (Ville de Paris) - 1,33 millions d’euros (État)

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document de Julien Beller, simplifiĂŠ par Louise-Marie Antoni, 2016

Genèse du projet : Depuis le début de l’année 2016, 132 000 réfugiés sont arrivés en Europe.1 En septembre, on compte entre 20 et 60 nouveaux arrivants par jour à Paris2, se regroupant dans des camps de fortune dans les interstices de la ville. Dans les journaux3, on compte jusqu’à 2 000 personnes sous le métro de Stalingrad, 1 400 entre les stations Jaurès et Colonel Fabien, plus d’un millier à la halle Pajol, 1 300 dans les jardins d’Éole et davantage éparpillés dans le reste de la ville.

La préfecture d’Ile-de-France a arrêté le 2 juin 2016, un état des lieux qui permet d’observer comment agissent les services de l’État par rapport à ce phénomène.4 Plus de 23 démantèlements de campements ont eu lieu, évacuant les mêmes lieux et les mêmes personnes à plusieurs reprises. En un an, 9 127 propositions d’hébergements ont été faites. Ce qui ne signifie pas que 9 127 migrants ont été hébergés, puisque certains ont été évacués jusqu’à cinq fois. Cela veut dire, en revanche, que l’hébergement vers lequel ils ont été conduits ne leur convenait pas. Si l’on s’intéresse au groupe des 4 769 personnes restées en Ile-de-France, 2 300 ont engagé une démarche de demande d’asile, 438 ne veulent pas s’y lancer et ont été exclus au bout de trois mois. Les 2 031 autres avaient une demande d’asile déjà en cours, alors même qu’ils étaient sur les campements. À ce titre, le respect de la loi aurait voulu qu’ils soient hébergés, mais leur présence dans la rue montre que ce n’était pas le cas. À ces différents groupes s’ajoutent 1 223 migrants qui ont quitté leur lieu d’hébergement juste après leur arrivée. Mais aussi les 897 qui ne souhaitant pas demander l’asile en France qui retournent à la rue ou continuent leur périple vers une autre ville ou un autre pays.

Le 6 septembre, Anne Hidalgo, mairesse de Paris, annonce l’ouverture de deux centres pour les réfugiés avec pour objectif de ne plus voir des centaines de migrants camper dans les rues de sa ville.

1 « Nouvelle évacuation d’un camp de réfugiés à Paris, et tensions autour de l’ouverture des centres d’accueil légaux », Joel Saget, L’indépendant, 06.09.2016 2 « L’errance des migrants évacués du campement de Stalingrad », Solène Cordier, 23.09.2016, Le Monde 3 « L’errance des migrants évacués du campement de Stalingrad », Solène Cordier, 23.09.2016, Le Monde ; « Paris : Évacuation du camp de migrants entre les stations Jaurès et Colonel Fabien », Matthieu Alexandre, 22.07.2016, 20 Minutes ; « Évacuation à la halle Pajol: Que vont faire ces réfugiés en attendant le centre humanitaire? », R. Lescurieux, 29.06.2016, 20 Minutes ; « Évacuation des migrants qui occupaient les Jardins d’Éole, à Paris », 06.06.2016, Le Monde 4 Ces chiffres retracent une période entre le 2 juin 2015 et le 2 juin 2016, ils ont été publiés dans : « Que deviennent les migrants évacués des campements parisiens ? », Maryline Baumard, 10.06.2016, Le Monde

Matthieu Alexandre, L’Express, 17.08.2016

Situation du site dans Paris

1km

N

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Stratégies d’implantation : Pour le premier centre, la ville a réquisitionné un ancien entrepôt de la SNCF, sur le boulevard Ney, dans le 18e arrondissement. Le lieu est coincé entre l’embranchement de l’autoroute A1, les voies ferrées et le boulevard périphérique. À l’écart de la ville, le site ne présente aucune caractéristique d’un lieu habitable : un hangar de tôle, complètement désaffecté, tagué et abîmé, dont certaines parties se sont effondrées.5 Le centre est établi sous un permis de construire précaire et devra libérer les lieux après 18 mois, afin de laisser place au futur projet de l’université de Concordet. À ce moment-là, il est prévu que le centre déménage dans un autre lieu temporairement disponible de la ville. Julien Beller, l’architecte, explique6 que le caractère non marchand d’une activité telle qu’un centre d’hébergement le contraint à prendre place sur des terrains inoccupés de la ville pour ensuite laisser place à des activités marchandes. Des études sont actuellement en cours pour trouver un futur site candidat.7 Si l’architecte a prévu une architecture modulaire facilement démontable et déplaçable, les dispositifs de sécurité, d’évacuation des eaux et de branchement à l’électricité vont devoir être détruits et reconstruits à chaque déménagement.

5 6 7

Constat fait lors de la visite du chantier avec l’architecte le 28.10.2016 À l’occasion d’une interview téléphonique, le 10.11.2016 À la date du 21.11.2016

JOËL SAGET, AFP PÔLE HABITATION

Joël Saget 2016

PÔLE SANTÉ

PÔLE ACCUEIL

document par Julien Beller, annoté par Louise-Marie Antoni 2016

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Aménagement du lieu : Julien Beller, architecte et président du 6B, a été contacté en juillet 2016, avec la consigne de livrer dans les trois prochains mois, ce qui témoigne du caractère d’urgence dans lequel a été élaboré ce projet. Le délai très serré l’a incité à mettre au point certains types d’architectures permettant une mise en place facile et rapide, telles que des containers, des structures gonflables et d’autres préfabriquées.8 Le lieu est organisé autour d’une immense bulle gonflable, porte d’entrée du centre, de 1 000 m2, en PVC tissé, mise au point par l’architecte allemand Walter Müller. C’est aussi un « totem symbolique et visible annonçant un lieu atypique », selon l’architecte. Mais les caractéristiques de cette bulle laissent à croire que le symbolique l’emporte sur l’hospitalité. La toile PVC n’apporte aucun isolant thermique. La géométrie particulière et l’importante hauteur provoquent à certains endroits de puissantes résonances sonores, qui seront certainement difficiles à supporter lorsque des centaines de personnes seront rassemblées dans ce même espace.9 Un pôle santé est installé à l’extérieur, dans des containers aménagés en 12 petites salles de soins, ce qui semble être peu pour les 400 résidents.

Les habitations sont réparties dans les 5 000 m2 du hangar sur deux niveaux. Julien Beller souligne l’économie de temps et d’argent faite en réutilisant le bâtiment existant plutôt que de le détruire. Des petits modules sont alignés à l’intérieur du grand bâtiment de tôles. Le deuxième étage, sous la toiture qui a été partiellement ajourée, bénéficie d’un éclairement raisonnable, mais le rez-de-chaussée, coincé entre les voiles de béton existantes n’a quasiment pas de lumière naturelle.10 Pour tenter de camoufler le caractère hostile des lieux, des artistes et paysagistes ont décoré les vieilles friches avec des fresques, des installations et des plantations. Malgré leurs efforts, le lieu a toujours l’allure d’un hangar abandonné.11 Les cellules d’habitation en toile tendue sur une structure métallique, sont chauffées. Elles ont une capacité de quatre personnes, dans un espace assez réduit où chacun a un petit lit, un casier et une étagère.

8 Selon Julien Beller, lors de la visite du chantier le 28.10.2016 9 Constat fait lors de la visite du chantier avec l’architecte le 28.10.2016 10 Idem 11 Idem

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Plan RDC du pôle habitation du dispositif de premier accueil de Paris

AGRANDISSEMENT POSSIBLE

REFECTOIRE

BUREAU

AGRANDISSEMENT POSSIBLE

SANITAIRES

15m

N

REFECTOIRE

BUREAU

BUREAU

REFECTOIRE

BUREAU

REFECTOIRE

document par Julien Beller, simplifié et annoté par Louise-Marie Antoni 2016

Fonctionnement du centre : À son ouverture, le centre est prévu pour accueillir 400 personnes, mais nous pouvons constater sur les plans qu’il y a l’espace nécessaire pour l’agrandir à un seuil de 600. Seuls des hommes célibataires y seront hébergés. Un autre lieu destiné aux familles est prévu pour la fin de l’année. Mais une semaine après l’ouverture, les journaux12 démontrent que le centre refuse des arrivants, alors qu’il n’est encore qu’à moitié plein, car ils ne correspondent pas aux critères exigés.

La ville de Paris précise13 que c’est une solution temporaire.

Chaque personne peut rester un maximum de 10 jours et doit ensuite être reconduite vers une autre solution de logement.

Même si la ville promet de déployer un maximum de moyens dans les plus brefs délais, quelques semaines avant l’ouverture, on pouvait lire dans les journaux qu’avoir un rendez-vous avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) nécessitait jusqu’à deux mois d’attente.

Les résidents sont regroupés par groupe de 50 personnes, permettant de réduire l’échelle de vie.

Chaque « quartier »14 s’organise autour d’une rue principale avec un réfectoire, un salon, une cuisine, un bloc sanitaire et un bureau administratif. Un surveillant est en permanence présent pour chaque « quartier ». Il y a un centre de don de vêtements et d’objets du quotidien ainsi qu’un pôle laverie.

Tout est géré par les ONG et les associations. Les bénévoles s’occupent de tous : servir les repas, laver le linge, laver la vaisselle et entretenir les locaux. Ce mode de fonctionnement est imposé par Emmaüs Solidarité pour faciliter la gestion du centre, éviter les conflits et minimiser les coûts de matériels mis à disposition. La ville a imposé des moyens de sécurité tels que la haute clôture tout autour du site. Enfin l’État a exigé un mode de contrôle des entrées et sorties en attribuant un numéro à chaque résident (vérification par badge et vigile). Les résidents sont libres d’aller et venir dans le camp et au-delà, mais aucune personne extérieure n’est autorisée. Seuls les bénévoles, officiellement travaillant pour les associations peuvent entrer.15 12 « Malgré l’ouverture d’un centre à Paris, les migrants se cachent », Louise Couvelaire, Le Monde, 18.11.2016 13 Dans l’annonce de Anne Hidalgo du 06.09.2016 14 Selon Julien Beller, lors de la visite du chantier le 28.10.2016 15 Selon Julien Beller, lors d’une interview téléphonique, le 10.11.2016

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Le centre d’hébergement de Paris Lieu : ancienne usine de traitement des eaux de Paris Adresse : 33 avenue Jean Jaurès 94200 Ivry-surSeine Concepteur : Valentine Guichardaz (architecte chez RITA) Institution : normes définies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) Gestionnaire : Emmaüs Solidarité Date d’ouverture : 19.01.2016 Durée prévue : 24 mois Capacité : 400 personnes dont 50 Ivryiens Public accueilli : femmes, enfants et familles Coût : 11 millions d’euros (ville de Paris et État)

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document par Louise-Marie Antoni, selon les plans de Valentine Guichardaz, 2016

Situation du site dans la banlieue proche de Paris

1km

N

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Site vu du ciel, Ivry-sur-Seine

Stratégies d’implantation : Le deuxième centre se situe sur le site de l’ancienne usine de traitement des eaux de Paris, qui se situe dans sa proche banlieue, à Ivry-surSeine. Le site, au milieu d’une zone industrielle partiellement désaffectée, est non seulement exclu du centre de Paris, mais aussi en marge d’Ivrysur-Seine. Le permis de construire a été délivré le 10 novembre alors qu’il a été déposé en mairie le 28 octobre. Ce délai très cours pour valider le permis témoigne de l’urgence dans laquelle a été engagé se projet.1 Depuis la fermeture de l’usine en 2010, se tient une plateforme de recherche et d’innovation dédiée aux nouvelles technologies sur la thématique de l’eau. Les recherches se déroulent dans le bâtiment principal appelé la « nef », les bassins de filtrage eux sont restés vides, inutilisés. La parcelle de 9 hectares appartient à la ville de Paris, qui en a alloué une partie à Emmaüs Solidarité. Le projet a été établi sous un permis de construire précaire de 24 mois. Le terrain fait partie des 41 sites du concours public appelé « réinventer la Seine », dont les offres ont été remises le 17 octobre dernier.

Dans deux ans, le centre d’hébergement devra laisser place à ce nouveau projet. Aujourd’hui, aucune étude pour un prochain site n’est en cours. Malgré le fait que l’architecte Valentine Guichardaz ait prévu de mettre en place des structures en bois démontables et déplaçables, il est difficile selon elle de pouvoir prévoir l’état du flux migratoire dans deux ans et donc d’anticiper le maintien du centre ou non.

Le centre d’hébergement sera construit à l’extérieur, sur une partie de deux des trois bassins. À la lecture du plan, on remarque que le projet s’implante sur le site de façon technique et orthogonale, dévalorisant l’aspect pratique ou agréable. Les bâtiments, élevés par des pilotis, s’alignent sur les bassins, ce qui facilite leur stabilisation et les cheminements reprennent ceux existants. Le tout rend un ensemble confiné ou chaque élément est strictement aligné à l’autre. Malgré tout, l’espace alloué à Emmaüs est plus que suffisant. La partie construite représente moins de la moitié du terrain disponible. Selon l’architecte2, cette emprise est suffisante pour héberger les 400 personnes du centre, mais cela laisse supposer des possibilités d’agrandissement futures.3 1 Observations faites à la suite de la consultation du permis de construire, service urbanisme de la mairie d’Ivry-sur-Seine, 16.11.2016 2 Interview téléphonique avec l’architecte 23.11.2016 3 Observations faites à la suite de la consultation du permis de construire, service urbanisme de la mairie d’Ivry-sur-Seine, 16.11.2016

Google Earth 2016

Plan masse de l’implantation du centre sur le site

EMPRISE DU CENTRE

N

document par Valentine Guichardaz, PC 2016

Perspective

Aménagement du lieu : Le centre d’hébergement se répartit en deux zones, séparées par une clôture centrale. La première regroupe l’espace d’accueil, administratif, santé et magasin pour une ampleur de 550m2.

La deuxième zone regroupe un ensemble de 400 places d’hébergement. Elles sont destinées aux couples, familles, et femmes enceintes ou avec enfant. La commune d’Ivry-sur-Seine a accepté d’accueillir ce centre à condition que 50 de ces places soient réservées à des personnes de la ville en situation précaire – Roms et SDF.4 On dénombre six ensembles d’hébergement installés en peigne de part et d’autre d’une voie centrale existante. Trois de ces ensembles, à l’ouest de la voie centrale, sont consacrés à l’hébergement des familles – 189 personnes – regroupées de 3 à 7. Les trois autres, à l’est de la voie centrale, hébergent 70 couples et 76 femmes isolées. Les couples sont dans des chambres de 12,5m2 et les femmes isolées sont regroupées par groupe de 3 ou 4 dans les chambres de 15m2. Les différents types de familles sont volontairement séparés les uns des autres par l’architecte afin d’assurer une organisation du plan la plus claire possible. La répartition des personnes semble alors être très organisée, privilégiant la technique et l’efficacité.5 4 Informations présentes dans « notice descriptive et présentation du projet » du permis de construire, acté le 10.11.2016 5 Interview téléphonique avec l’architecte du 23.11.2016 Coupes

ANCIEN

ANCIEN BASSIN

document par Valentine Guichardaz, PC 2016

BASSIN

ANCIEN BASSIN

ANCIEN BASSIN

document par Valentine Guichardaz, PC 2016, annotĂŠ par Louise-Marie Antoni

Plan RDC du centre

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document par Valentine Guichardaz, PC 2016

Fonctionnement du site : Il est prévu que les résidents puissent rester 3 mois sur place, ce qui est davantage que dans les autres camps, puisque les personnes en question sont dites « vulnérables ». Lors de l’annonce publique officielle de l’installation de ce centre, le 6 septembre dernier, le Maire d’Ivry assurait que tous les besoins quotidiens seront gérés en interne, les résidents n’auront donc en théorie pas besoin de sortir, même s’ils y sont autorisés.

En revanche, l’accès au centre est contrôlé par un vigile qui clôt l’accès la nuit. L’entretien, la distribution d’objets et de nourriture est assuré par les bénévoles, gérés par Emmaüs Solidarité.

Les résidents n’ont pas accès aux cuisines dans les yourtes.6 Une clôture de 2 mètres de hauteur, imposée par la ville entoure le centre d’hébergement afin de séparer les résidents et le personnel travaillant dans la plateforme de recherche voisine. Une deuxième clôture, toujours demandée par la ville, sépare le pôle accueil de celui d’hébergement dans le but de filtrer les entrées. En effet, seuls les résidents et personnes travaillant sur le site sont autorisées à entrer. Les visiteurs ne sont donc pas acceptés et le centre d’hébergement d’Ivry semble être refermé sur lui même.7 6 Interview téléphonique avec l’architecte du 23.11.2016 7 Idem

Louise-Marie AntoniŠ 2016

Ressources

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La question de l’hospitalité est d’avantage forte en ces temps où des milliers de personnes réfugiées entrent dans le territoire européen, devenant dépendants de la volonté des pays et de leurs habitants, de les accueillir.

«Je me suis réfugié là ! Bords de route en exil», écrit par l’ethnologue et anthropologue Michel Agier et la photographe Sara Prestianni en 2011 traite de leur expériences et ressentis dans certains bidonvilles et camps de réfugiés en Europe. Les auteurs dénoncent le délaissement par les villes, de ces lieux où logent des personnes fuillant leur pays. Ils interrogent également le rôle des autorités qui semblent agir en faveur de l’expulsion. Ils décrivent l’enfermement et l’hostilité qui s’installent progressivement dans ces communautés rejetées. Selon eux, l’hostilité en place dans les dispositifs d’accueil alimente «le couloir de l’exil», décrit comme une errance perpétuelle d’un lieu d’accueil à un autre, d’un pays à un autre, au fil des expulsions.

L’article «Migrants : la France va ouvrir un camp humanitaire à Grande-Synthe» de Maryline Baumard, rédigé pour Le Monde le 31 décembre 2015, m’a permis d’avoir les informations sur la genèse du camps. Celui du 30 mai 2016, intitulé «L’Etat reprend le camp de migrants de GrandeSynthe pour mieux le fermer», décrit l’état de révocation dans lequel il se trouve.

Un reportage de pour France 24 m’a permis de comparé les données obtenues avec l’expérience de la journaliste Charlotte Boitiaux, décrivant un climat hostile installé depuis que l’État en a repris la gestion.

Ensuite, Julien Beller, m’a apporté beaucoup d’informations concernant le centre d’hébergement humanitaire de Paris, dont il est l’architecte, à travers une visite de chantier et une interview qu’il m’a accordé le 28 octobre 2016. Il a insisté sur l’aspect temporaire du centre et l’architecture modulaire mise en place, puisque le site doit être libéré dans deux ans pour faire place à un projet pour la ville. Le centre ayant ouvert très récemment, des articles dans Le Monde, le 20 minutes et Libération m’ont apporté des données précises et les clefs permettant de préparer la rencontre avec celui-ci : «Comment sera organisé le camp de migrants qui ouvrira dans le nord de Paris», de Maryline Baumard, le 06.09.2016, Le Monde ; «Paris : à la porte de la chapelle, près du futur centre pour réfugiés, les riverains sont partagés», de Romain Lescurieux, le 01.09.2016, 20 minutes ; «La ville de Paris engagée pour l’accueil des réfugiés», le 19.09.2016, Libération.

Enfin, ces articles stipulent également qu’un

second centre pour les réfugiés, consacré aux familles, va ouvrir ses portes au début de l’année 2017 à Ivry-sur-Seine. Sur le site internet de la ville, un article rédigé par Frederic Iriarte, s’intitulant «Accueil des réfugiés : prendre notre part», présente les grandes lignes du projet de centre d’hébergement sur l’ancienne usine des eaux et précise une nouvelle fois le caractère temporaire de celui-ci. Le permis de construire ayant été validé le 16 novembre 2016, j’ai pu consulter les plans au services urbanisme de la mairie d’Ivry-sur-Seine, révélant un ensemble de bâtiment en structure bois, prenant une ampleur minime sur le site et entouré de plusieurs clôtures de sécurité. Dix jours plus tard, l’architecte Valentine Guichardaz m’a apporté des informations complémentaires, expliquant par exemple que les dortoires et les yourtes sont une volonté d’Emmaüs. Beaucoup d’aspect du projet sont le fruit de la décision de l’ONG et non de l’architecte.

Suite à ces recherches, les questions suivantes nécessites d’être posées : ces lieux d’accueil respectent-ils vraiment les caractéristiques propres à l’hospitalité? Dans quelle mesure l’hostilité s’y installe? La question de la temporalité de ces centres imposée par les autorités semble impliquer dans beaucoup de cas, un climat hostile, tendant vers l’expulsion.