L'Officiel Paris Winter 2020

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NO 1046 HIVER 2020-2021 WWW.LOFFICIEL.COM

L 15003 - 1046 H - F: 5,90 € - RD

ISSN 0030.0403

WINTER 2020

LILY COLLINS raconte à Alber Elbaz son Paris et ses projets à venir









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NO 1046 – HIVER 2020-2021

Anatomie d’un sac : le Clip de Bottega Veneta page 20 Expo : Hernan Bas à la galerie Perrotin page 21 Style : la 5e édition du Lady Dior Art page 22 Expo : “Gabrielle Chanel. Manifeste de mode” au palais Galliera page 23 Style : la collab entre Clara Luciani et Sandro page 24 Style : la collection d’hiver d’Intimissimi page 25 Égérie : Marion Cotillard incarne No5 de Chanel page 26 Style : la collab entre Sarah Coleman et Fendi page 28 Égérie : Lucy Boynton incarne Rose Tangerine de Chloé page 30 Icône : l’héritage de Stevie Nicks page 32 Musique : Bonnie Banane sort son album Sexy Planet page 33 Billet : une créatrice nommée Delphine Delafon page 34

Design : Poliform raconté par Paolo Roversi page 36 Horlogerie : le nouveau Musée Atelier d’Audemars Piguet page 38 Anatomie du pendentif Goutte de ciel de Boucheron page 42 PAGE 66

Joaillerie : l’art du Beau selon Cartier page 43 Joaillerie : la collection Ultimate Kaleidoscope de Harry Winston page 44 Joaillerie : la collection de bijoux d’artistes de Diane Venet page 46 Joaillerie : Party Favors page 50

MODE Jeanne Damas page 60

PAGE 72

Gracie Abrams page 66

PAGE 66

Elisa Visari page 72 Fendipedia page 76 A.G. Cook page 84

PAGE 84

Photos Lauren Leekley, Sergio Corvacho, Lindsay Ellary, Denis Boulze

Édito page 18





NO 1046 – HIVER 2020-2021

MAGAZINE Lifestyle : la vie rêvée d’India Hicks page 92 Lifestyle : Riccardo Giraudi, un homme de goût page 98

The Folly and the Reason page 126 Ariana Papademetropoulos page 144 Earthly Delights page 150

BE WELL

Bianca Bondi page 158

Édito page 102

Off Site page 162

Nouveaux lipsticks Hermès page 103

Rasmus Murphy page 172

La Holiday Collection d’YSL page 104

Home away from Studio page 178

L’huile à lèvres Clarins page 105

Greener Pastures page 184

Rencontre avec le professeur Augustinus Bader page 106

Looking back : Dead Roses d’Alex Da Corte pour L’Officiel Art, en 2016 page 192

Mango lance sa ligne Active page 107

PAGE 114

PAGE 150

PAGE 158

La cuisine healty selon Olivier Courtin-Clarins page 108

Toni Garrn incarne Angel Nova de Mugler page 110

CAHIER GLOBAL Ouverture page 113 Lily on the Beach page 114 Erratum : Dans le numéro 1045, en couverture et dans la série Lyna par Marili, pages 183 et 188, nous avons crédité la robe Emporio Armani alors qu’il s’agit d’une robe Max Mara. Toutes nos excuses aux intéressés.

Photos Sam Taylor-Johnson, Thibault-Théodore, Chris Sutton

La tendance CBD page 109



Directrice de la publication et de la rédaction Marie-José Susskind-Jalou

L’OFFICIEL GLOBAL

L’OFFICIEL FRANCE

Contributing Global Chief Creative Officer Stefano Tonchi

Rédactrice en chef mode Vanessa Bellugeon

Rédactrice en chef magazine Adrienne Ribes

Executive editor Giampietro Baudo

MODE Senior fashion editor Laure Ambroise

MAGAZINE Rédactrice en chef adjointe Léa Trichter-Pariente

CASTING & PHOTOGRAPHIE Jennifer Eymère Joshua Glasgow

JOAILLERIE/HORLOGERIE Emily Minchella Hervé Dewintre

DÉPARTEMENT ARTISTIQUE Graphistes Giulia Gilebbi Luca Ballirò

LOFFICIEL.COM Rédactrice en chef Karen Rouach Community manager Caroline Mas

Global Executive Director Giampietro Baudo Global Artistic and Casting Director Jennifer Eymère Global Contributing Creative Director Trey Laird Global Editorial Team Laure Ambroise | Mode Global Casting, Production & Booking Joshua Glasgow Global Digital Editorial Director Joshua Glass Global Head of Content Projects and Fashion Initiatives Caroline Grosso Consulting Executive Managing Editor Regan Solmo Global Graphic Team Giulia Gilebbi, Luca Ballirò Global Contributing Design Director Micheal Riso Global Managing Team Sabrina Abbas, Sara Ali, Jeanne Propeck

BEAUTÉ Mélanie Mendelewitsch Rédactrice parfum Antigone Schilling PRODUCTION Joshua Glasgow

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Secrétaire générale de la rédaction Jeanne Propeck

CONTRIBUTEURS Photographes Denis Boulze Flore Chenaux Sergio Corvacho Lindsay Ellary Petra Kleis Lauren Leekley Jennifer Livingston Eva O’Leary Menelik Puryear Chris Sutton Matteo Strocchia Sam Taylor-Johnson Thibault-Théodore Traductrices Hélène Guillon Elisabeta Tudor

Rédacteurs et collaborateurs Claire Beghin Pauline Borgogno Giorgia Cantarini Adam Charlap Hyman Lucio Colapietro Haidee Finlay-Levin Maud Gabrielson Kat Herriman Noémie Lecoq Ted Loos Cristina Manfredi Jay Massacret Pierre-Alexandre Mateos Vinnies Meghan Victoire de Pourtales Sophie Rosemont Peri Rosenzweig

Violaine Schütz Charles Teyssou David Thielebeule Augustin Trapenard Sarah Venturini Illustrateur Adam Charlap Hyman

LES PUBLICATIONS DES ÉDITIONS JALOU L’Officiel de la Mode, L’Officiel Hommes, Jalouse, La Revue des Montres, L’Officiel Voyage, L’Officiel Fashion Week, L’Officiel Art, L’Officiel Chirurgie Esthétique, L’Officiel Allemagne, L’Officiel Hommes Allemagne, L’Officiel Argentine, L’Officiel Autriche, L’Officiel Belgique, L’Officiel Art Belgique, L’Officiel Brésil, L’Officiel Hommes Brésil, L’Officiel Chine, L’Officiel Hommes Chine, Jalouse Chine, L’Officiel Corée, L’Officiel Hommes Corée, La Revue des Montres Corée, L’Officiel Inde, L’Officiel Indonésie, L’Officiel Italie, L’Officiel Hommes Italie, L’Officiel Kazakhstan, L’Officiel Hommes Kazakhstan, L’Officiel Lettonie, L’Officiel Liban, L’Officiel Hommes Liban, L’Officiel Lituanie, L’Officiel Malaisie, L’Officiel Maroc, L’Officiel Hommes Maroc, L’Officiel Mexique, L’Officiel Moyen-Orient, L’Officiel Hommes Moyen-Orient, L’Officiel Art Moyen-Orient, L’Officiel Pays-Bas, L’Officiel Hommes Pays-Bas, L’Officiel Pologne, L’Officiel Hommes Pologne, L’Officiel Russie, L’Officiel Singapour, L’Officiel Hommes Singapour, L’Officiel St Barth, L’Officiel Suisse, L’Officiel Hommes Suisse, L’Officiel Thaïlande, L’Officiel Hommes Thaïlande, L’Officiel Turquie, L’Officiel Hommes Turquie, L’Officiel Ukraine, L’Officiel Hommes Ukraine, L’Officiel USA, L’Officiel Hommes USA, L’Officiel Vietnam Lofficiel.com

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XAVIER LAVICTOIRE - REIMS

L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . A C O N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N .


DIRECTION Global Co-Chairmen and Members of Executive and Administrative Boards Marie-José Susskind-Jalou Maxime Jalou Global Chief Executive Officer, Director of Executive and Administrative Boards Benjamin Eymère Global Deputy Chief Executive Officer, Member of Executive and Administrative Boards Maria Cecilia Andretta Global Chief Creative Officer Stefano Tonchi Global Artistic and Casting Director Jennifer Eymère Global Editorial Committee Giampietro Baudo, Jennifer Eymère, Stefano Tonchi Executive Assistants Céline Donker Van Heel c.donkervanheel@ jaloumediagroup.com Giulia Bettinelli g.bettinelli@lofficielitalia.com INTERNATIONAL ET MARKETING Director International Licensees and Brand Marketing Flavia Benda f.benda@jaloumediagroup.com Global Head of Digital Product Giuseppe De Martino Global Digital Project Manager Babila Cremascoli Global Media and Marketing Strategist Louis du Sartel Global Editorial Content and Archives Giulia Bettinelli

Responsable comptable & fabrication Éric Bessenian e.bessenian@jaloumediagroup.com Diffusion Lahcene Mezouar l.mezouar@jaloumediagroup.com Trésorerie Nadia Haouas n.haouas@jaloumediagroup.com

ADVERTISING Global Chief Revenue Officer Anthony Cenname Chief Revenue Officer France and Switzerland Jean-Philippe Amos Media Director Italian Market Carlotta Tomasoni Global Digital Ad Ops and Media Planning Ilaria Previtali

PRODUCTION Directeur de la production Joshua Glasgow j.glasgow@jaloumediagroup.com

PUBLICITÉ Directeur commercial France Jean-Philippe Amos jp.amos@jaloumediagroup.com Directrice commerciale L’Officiel Anne-Marie Disegni a.mdisegni@jaloumediagroup.com Directeurs de publicité Christelle Mention (joaillerie, beauté) c.mention@jaloumediagroup.com Marina de Diesbach (horlogerie) m.diesbach@jaloumediagroup.com Stéphane Moussin (opérations spéciales) s.moussin@jaloumediagroup.com Directrice commerciale - marché italien Carlotta Tomasoni c.tomasoni@jaloumediagroup.com Régie externe Mediaobs Sandrine Kirchthaler skirchthaler@mediaobs.com Traffic manager Adama Tounkara a.tounkara@jaloumediagroup.com

RÉDACTION Éditeur Délégué Membre du Board Exécutif Emmanuel Rubin e.rubin@jaloumediagroup.com DIFFUSION Jean-François Charlier jf.charlier@jaloumediagroup.com International Editorial et Archives Manager Giulia Bettinelli g.bettinelli@lofficiel.com Nathalie Ifrah n.ifrah@jaloumediagroup.com Project Manager Sarah Hissine s.hissine@jaloumediagroup.com ABONNEMENTS CRM ART CRM ART - Editions Jalou CS 15245 - 31152 Fenouillet Cedex Tél. +33 5 61 74 77 73 abonnement.editionsjalou@crmart.fr

ADMINISTRATION ET FINANCES Tél. 01 53 01 10 30 Fax 01 53 01 10 40 Directeur administratif et financier Membre du board administratif Thierry Leroy t.leroy@jaloumediagroup.com Secrétaire général Membre du board administratif Frédéric Lesiourd f.lesiourd@jaloumediagroup.com Directrice des ressources humaines Émilia Étienne e.etienne@jaloumediagroup.com

VENTE AU NUMÉRO France V.I.P. Laurent Bouderlique Tél. 01 42 36 87 78 International Export Press Carine Nevejans Tél. +331 49 28 73 28

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FABRICATION Impression, suivi de fabrication et papier par Roto3 Industria Grafica S.r.l. Via Turbigo 11/B 20022 Castano Primo (MI) Imprimé sur des papiers produits en Italie et Finlande à partir de 0 % de fibres recyclées, certifiés 100 % PEFC Eutrophisation : papiers intérieurs Ptot 0,006 kg/tonne et Ptot 0,003 kg/tonne ; papier couverture Ptot 0,006 kg/tonne DISTRIBUTION MLP ÉDITÉ PAR LES ÉDITIONS JALOU SARL au capital de 606 000 € représentée par Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou, co-gérants, filiale à 100 % de la société L’Officiel Inc. S.A.S. Siret 331 532 176 00095 Siège social : 128, quai de Jemmapes, 75010 Paris Tél. 01 53 01 10 30 – Fax 01 53 01 10 40 Dépôt légal décembre 2020 N° de commission paritaire 0323 K 80434 ISSN 0030.0403 Printed in EU/Imprimé en UE FONDATEURS Georges, Laurent et Ully Jalou (†) DIRECTRICE DE LA PUBLICATION Marie-José Susskind-Jalou


Wings of Freedom Traveling throughout the Caribbean from the United States or Latin America has never been such a breeze: >>> MIA - SBH: 4,5 hrs - DIrect >>> SJU - SBH: 55 min

Fleet: PC-12 NG Executive - YOM 2018 & 2019 BOOK Booking@StBarthExecutive.com CALL +(590) 590 873 044 VISIT stbarthexecutive.com Certification AOC n° AOC.FRA.0129 - Continuing Airworthiness Organization: EASA Part M n° FR.MG.0773 / FAA Part 129 Certification n° 578F576F Maintenance Organization Approvals: EASA Part 145 n° FR.145.0707.

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ÉDITO PAR GIAMPIETRO BAUDO

Lily Collins en Dior

Lily Collins en Prada

Gracie Abrams en Chanel

Jeanne Damas en Etam

A.G. Cook en Louis Vuitton

Ariana Papademetropoulos en Gucci

“Our mission? Not a Revolution, not an Evolution. Reset.” Cette phrase d’Alber Elbaz pour annoncer son nouveau projet AZ Factory a inspiré ce numéro de “L’Officiel”. Nous avons rencontré le designer icône et l’actrice Lily Collins, photographiée par l’artiste Sam Taylor-Johnson, et tous deux nous ont parlé de style et d’art, les deux thèmes de ce numéro. Avec une line-up de talents comme Jeanne Damas, Gracie Abrams, Elisa Visari, A.G. Cook, India Hicks, Bianca Bondi, Rasmus Myrup ou Ariana Papademetropoulos. Ensemble dans une conversation globale, ils dessinent un nouveau futur.



ANATOMIE D’UN SAC

The Clip de Bottega Veneta Pour sa dernière collection croisière, la maison italienne a imaginé un sac intemporel. Focus sur la nouvelle obsession de la saison.

À collectionner The Pouch, The Whirl, The Fold, The Jodie, The Chain Pouch, The Handle, The Crisscross, The Cassette Padded, The Fringe… Pas un sac Bottega Veneta qui ne résonne en nous comme une obsession. On aime autant leur chaîne oversized que leur fameux cuir torsadé. Et c’est dans cette même énergie que s’inscrit le dernier-né de la maison : The Clip. Simple et efficace Issu de la dernière collection croisière que Daniel Lee a baptisée Wardrobe 01, le sac Clip se caractérise par un style sobre réhaussé d’un fermoir métallique très graphique. Porté en bandoulière, on aime son aspect compact qui dissimule un volume non négligeable. Question d’équilibre Pour cette collection, Daniel Lee a aussi imaginé des vestes en V sculpturales, des pantalons oversized, des jupes droites frangées mais également des minirobes et des hauts en jersey. Le tout accessoirisé de bottes compensées à lacets et du fameux sac The Clip. Depuis son arrivée, le designer joue l’équilibre, sexy mais cool, coloré mais subtil. Existe en six coloris.

Photo Bottega Veneta

Par Laure Ambroise

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EXPO

Pop, gothique et chimérique Exposées à la galerie Perrotin, les nouvelles peintures d’Hernan Bas s’amusent toujours à brouiller les frontières, les genres et les influences picturales pour un ensemble haut en couleur baptisé “Creature Comforts”. À quoi ressemblerait Dorian Gray en 2021 ? Sans doute à l’un des jeunes hommes éthérés peints par Hernan Bas et exposés, pour la cinquième fois, à la galerie parisienne d’Emmanuel Perrotin. Assis au comptoir d’un bar ou dans le cygne en plastique d’un parc d’attractions, lovés dans un arbre à chats, dandys, vampires ou loupsgarous 2.1, ils évoluent tous dans ce que Bas définit comme les “limbes homo”. Quelque part entre Edgar

Allan Poe, Huysmans, Mallarmé et Edmund White… Le tout revu à l’aune d’une pandémie mondiale. En effet, ces treize nouveaux tableaux ont été imaginés en 2020. Soit 42 ans après la naissance d’Hernan Bas, au sein d’une famille d’immigrés cubains. Avant de voir sa carrière artistique prendre son envol à Detroit, il a grandi dans l’humide verdure de la Floride, lisant des contes fantasmagoriques et imaginant l’avenir en se nourrissant des récits ancestraux. Ce qui se retrouve dans ses peintures, via des influences préraphaélites, symbolistes, postindustrielles, gothiques, nabis ou expressionnistes. Too much ? Contradictoires ? Non, car tout se rejoint dans une figuration pop qui se laisse volontiers contaminer par l’abstrait. En accentuant couleurs et attitudes, Bas réinvente un classicisme teinté de romantisme dans ce qu’il a de

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plus étrange, voire d’inquiétant. On ne peut deviner à quoi pensent ces garçons représentés entre deux eaux, entre le Bien, le Mal, la sensualité, la cérébralité, l’imaginaire et la réalité – qu’on devine trop éprouvante pour eux. Chez Bas, on est ancré dans notre quotidien, urbain, vulnérable et désœuvré, comme dans une nature luxuriante dans laquelle il est facile de se perdre, ne fût-ce qu’en pensées. Ce qui rend son œuvre si proche de nous, jamais très loin du kitsch, mais dont les émotions (homo) érotiques sont assez troublantes pour nous interroger sur ce qui apporte de l’apaisement en ces temps perturbés. Exposition “Creature Comforts”, d’Hernan Bas, galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne, Paris 3e. Jusqu’au 19 décembre. Par Sophie Rosemont

Photo Silvia Ros 2020, courtesy of the artist and Perrotin Gallery

“An Aversion to Arrows (Tunnel of Love)”, 2020, de Hernan Bas.


STYLE

Carte blanche La maison a Dior demandé à dix artistes de revisiter son emblématique Lady Dior. Une jolie façon de réinventer un sac à l’image de la femme d’aujourd’hui, en perpétuel mouvement.

Sac Lady Dior en cuir d’agneau noir, cannage brodé d’éléments en résine effet bois et paillettes. Édition limitée Dior Lady Art en collaboration avec Chris Soal.

Photo Zander Opperman

À l’occasion de la 5e édition du Dior Lady Art, la célèbre maison de l’avenue Montaigne a donné carte blanche à dix artistes et collectifs venus du monde entier. De Joël Andrianomearisoa à Judy Chicago en passant par Gisela Colon, Song Dong, Bharti Kher, Mai-Thu Perret, Recycle Group, Chris Soal, Claire Tabouret et Olga Titus, tous ont revisité et métamorphosé le sac Lady Dior à la façon d’une pièce unique. Que ce soit dans son architecture, son fermoir, ses charms ou ses matières, rien n’a échappé à leur imagination et à leur talent visionnaire. Coup de projecteur sur la création de l’artiste sud-africain Chris Soal, qui s’est interrogé sur les relations entre la vie urbaine, l’intimité et l’écologie. Son approche créative intègre des matériaux de récupération et reflète sa sensibilité aux textures, aux formes et à la lumière. Pour Dior, il a imaginé un Lady Dior brodé de cure-dents peints et travaillés, l’expression d’un savoir-faire unique de petites-mains. Une création où se mêlent imagination et réalité, et qui offre une nouvelle perception de la mode. Par Laure Ambroise

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EXPO

Le palais des trésors Fermé depuis plus de deux ans, le Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, a réouvert ses portes avec la plus belle des expositions, “Gabrielle Chanel. Manifeste de mode”, qui porte un regard inédit sur le travail de la célèbre créatrice.

Exposition “Gabrielle Chanel. Manifeste de mode” au Palais Galliera, 10, avenue Pierre-1er-de-Serbie, Paris 16e. Jusqu’au 14 mars 2021. Par Laure Ambroise

Photo Olivier Saillant

Après de longs travaux qui ont permis sa rénovation et la création de nouvelles salles baptisées Galeries Gabrielle Chanel, le Palais Galliera présente la première rétrospective consacrée au travail de la plus visionnaire des créatrices. C’est ainsi que l’on (re)découvre le style Chanel avec ses codes, ses couleurs et son style inimitable à travers la mode, les parfums, la beauté, les accessoires et la haute joaillerie. Plus de 350 pièces des années 1910 à 1971 y sont présentées, venant principalement des archives de la maison et des collections du Palais Galliera, mais également de l’étranger. Beaucoup d’entre elles sont méconnues et extrêmement rares comme cette marinière en jersey de soie de 1916. Cette exposition propose un nouveau regard sur l’influence de la créatrice, d’hier à aujourd’hui, elle qui a si bien su transformer l’allure des femmes avec son tailleur en tweed, ses robes fluides, ses bijoux fantaisie et son fameux sac matelassé 2.55. Autant de pièces et d’accessoires qui, selon Marie-Laure Gutton, curatrice de l’exposition, “rejoignent cette idée de répondre à un besoin des femmes”, et incarnent l’éternelle modernité du style créé par Gabrielle Chanel. Plus qu’une simple exposition de marque, ce manifeste est le plus beau des hommages à Gabrielle Chanel dont la vision de la mode était fondée sur le confort, la liberté et le naturel.


STYLE

Le vestiaire rêvé de Clara Luciani

Un timbre de voix grave, une allure délicieusement rétro, une plume affûtée : Clara Luciani est connue pour ses tubes et ses looks ciselés, et il n’en fallait pas plus pour qu’elle s’affirme dans l’industrie de la mode. Dans une lettre adressée à Évelyne Chetrite, elle confie sa reconnaissance et sa joie d’avoir pu donner vie à cette collection capsule. “Sans que je ne puisse trop dire pourquoi, j’ai toujours voulu dessiner desvêtements mais sans oser prendre la chose trop au sérieux de peur qu’elle puisse me distraire de ma musique [...] J’ai eu l’impression d’être comme Peau d’Âne et ses robes couleur du temps, l’impression que vous étiez toujours prête à relever les défis, que rien ne vous semblait jamais irréalisable.” Réunis sous la même lumière, les univers des deux femmes ont trouvé leur évidence.

Le résultat : un vestiaire d’une trentaine de créations en édition limitée et numérotée, à l’esprit vintage, dans un style seventies cool et graphique. “Nous avions envie de faire une collection dans laquelle les femmes peuvent danser, aimer, ou tout simplement vivre. Derrière chaque dentelle, chaque bouton, il y a un peu de nous, et beaucoup de Clara”, révèle Évelyne Chetrite. Chaque pièce est authentique, à l’image de Clara. On y retrouve un peu de sa silhouette dandy masculine avec de larges pantalons en velours taille haute, un T-shirt Sainte-Victoire en référence à ses racines sudistes, ou encore une touche rock avec des boots en cuir bleu marine. Le tout sans jamais perdre son soupçon d’élégance. Par Pauline Borgogno

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Photos Sandro

D’un amour commun pour la poésie, les belles lettres et le Sud de la France est née une collection capsule imaginée par Clara Luciani et Évelyne Chetrite, fondatrice de la maison Sandro.


STYLE

En douceur lntimissimi lance une collection de vêtements pour affronter la froide saison. Pulls en cachemire ultra-léger ou duos laine et soie : la garde-robe se réchauffe. une impression d’étreinte chaleureuse. Mais cet hiver, Intimissimi a aussi misé sur des essentiels dans un style casual chic. Une collection 100 % naturelle, composée de 85 % de laine et de 15 % de soie, qui se décline en deux versions : lisse et côtelée. Cette sélection pointue insuffle aux tenues décontractées un esprit plus couture. Alors que le polo à manches longues au gris emblématique apporte une touche sportive même aux looks

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d’affaires les plus élégants, sa nouvelle teinte vert bouteille lui donne un twist plus contemporain. Et pour les adeptes de pièces plus classiques, Intimissimi a inclus à sa gamme l’usuel T-shirt à manches longues et décolleté, le débardeur à encolure V et le haut sans coutures à col cheminée dans un coloris moka. Tout pour un vestiaire de qualité et douillet. Par Pauline Borgogno

Photo DR

Si confortables avec leur porter quasi imperceptible, les pièces en cachemire imaginées par Intimissimi ont un aspect seconde peau incomparable. Parmi les créations phares : la chemise inspirée du vestiaire masculin en fil de qualité supérieure, la chemise à manches longues et col bateau, le body ballerine au décolleté profond ou l’incontournable pull à col roulé. Quatre irrésistibles à porter seuls sous un blazer ajusté, ou sous un pull pour


ÉGÉRIE

Parfum d’étoiles C’est toujours un événement lorsque le mythique No5, créé en 1921 par Gabrielle Chanel, trouve une nouvelle muse pour l’incarner. Cette fois, c’est l’actrice française Marion Cotillard qui va incarner ce parfum légendaire, magique à l’écran. Rencontre avec une étoile pas comme les autres.

Le parfum No5 de Chanel, iconique, fête ses 100 ans l’année prochaine. Que représente-t-il pour vous ? Pour moi, c’est une partie de la culture française, il a révolutionné le monde du parfum. Il a une singularité qui lui a fait traverser les âges et qui fait qu’aujourd’hui il est d’une modernité absolue. Il est mystérieux de par sa complexité mais possède aussi une certaine pureté. La première fois que je l’ai senti j’étais adolescente, et ce côté mystérieux m’a fait rêver. Qu’est-ce que vous ressentez en succédant à Marilyn Monroe, Catherine Deneuve, Carole Bouquet qui ont incarné le No5 ? Continuer à écrire l’histoire de ce parfum, cela fait vibrer des choses en moi. Effectivement il a été porté par des femmes que j’admire, des femmes libres qui ont cassé les codes et ont inspiré d’autres femmes à être elles-mêmes, à ne pas rentrer dans des carcans. Je suis heureuse de faire partie de ce groupe. Dans le nouveau film Chanel No5 vous dansez et chantez, vous avez abordé cela comme une comédie musicale ? Avec l’équipe créative de Chanel, on a exploré plusieurs chemins pour raconter cette femme, avec une envie de simplicité, d’un mouvement assez pur, avec cette énergie du corps qui raconte beaucoup. La danse est une forme d’art qui raconte beaucoup sans les mots. Et quand le chorégraphe Ryan Heffington

est entré dans l’aventure, j’étais très heureuse car j’admire son travail, un travail élégant et viscéral en même temps, qui passe par le corps et les expressions du visage. Il m’a dirigée comme un directeur d’acteur pour raconter cette histoire d’amour et tout ce par quoi on passe quand on est amoureux. Pour la musique, je ne chante pas à l’écran mais la cohérence de la voix et du corps nous paraissait un beau chemin à explorer. Par contre, vous chantez à l’écran dans votre prochain film, Annette de Leos Carax, un opéra-comédie musicale extrêmement attendu où vous jouez le rôle d’Anne… Je n’en ai pas encore parlé… Anne est une chanteuse d’opéra. C’est une histoire assez complexe sur les relations humaines – il y a une histoire d’amour à l’intérieur – et sur comment des êtres désespérés peuvent dévier et devenir sous certains aspects monstrueux. C’est une comédie musicale effectivement, un opéra, assez profond et sombre et en même temps avec des éclats de lumière. Comme dans tous les films de Leos Carax, il y a une magie qui apporte de la lumière à cette dimension très sombre de l’histoire. On a l’impression que l’idée de challenge guide vos choix de carrière et vos engagements personnels (Greenpeace, etc.) depuis toujours… Dans le cinéma, j’aime les choses qui me déstabilisent, je suis attirée par des rôles

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qui ne vont pas être confortables pour moi, qui vont me questionner sur ma capacité à les incarner ou pas. Maintenant, dans la dimension environnementale ou sociale, le défi, il est à relever tous ensemble, ce n’est pas un défi personnel. J’ai du mal à m’empêcher de parler et j’aime mettre en lumière des gens qui font des choses formidables, tant dans le domaine de l’écologie que dans le domaine social. Je ne me considère pas comme une activiste, et pour défendre des causes je suis portée par les merveilleuses personnes que je rencontre. Le but, c’est de voir la fin de ces problèmes. Qui sont vos héros aujourd’hui ? Tout d’abord Satish Kumar, un penseur indien qui prône l’écologie spirituelle en partant du fait qu’il sera très complexe, voire impossible, de changer le monde extérieur si l’on ne fait pas un travail, chacun, à l’intérieur de soi, de reconnexion fondamentale à nousmêmes et ce qui nous entoure. C’est quelqu’un qui est très important pour moi, mais il y a aussi, et c’est sûrement banal, ma mère. C’est une femme qui a traversé une vie faite de joies et de tumultes, et qui a gardé tout ça en elle pour avancer et être de plus en plus connectée aux autres, inspirante et bienfaitrice pour les gens qui l’entourent. Cette femme est une héroïne pour moi.

Propos recueillis par Vinnies Meghan


Photo Chanel


STYLE

Pièces uniques

L’art, est-ce une passion depuis l’enfance ? J’ai toujours eu l’impression d’être née pour créer et travailler avec mes mains. Les moments de ma vie où j’ai abandonné la création artistique, je ne me suis pas sentie bien, je ne me reconnaissais plus. Dès votre sortie de l’université, vous avez travaillé pour le décorateur Peter Marino, à qui l’on doit les plus belles boutiques de luxe à travers le monde, de Dior à Chanel. Qu’avez-vous appris à ses côtés ? En travaillant chez Peter Marino, j’ai beaucoup appris sur l’ADN des marques et sur la façon dont leurs icônes peuvent être affichées dans un espace physique pour mettre en valeur cet ADN. Il est important d’étudier le patrimoine d’une marque et d’utiliser ce que l’on sait de son histoire pour ensuite faire les bons choix. Cette expérience a bien sûr été très utile pour la conception de la boutique Fendi. Est-ce lui qui vous a mis le pied à l’étrier dans le monde de la mode ? Peter Marino a été très inspirant car, tout comme Karl Lagerfeld, il sait comment appliquer sa vision de manière égale mais unique à chaque marque avec laquelle il collabore, respectant la singularité de chacune. Il est donc important de connaître la marque, son histoire, son pays d’origine et son influence, avant de pouvoir créer un design. Pour moi, cette compréhension profonde est primordiale. Concernant Fendi, j’aime et j’ai appris à connaître la marque depuis l’âge de 11 ans. Après plusieurs collaborations, vous êtes devenue une artiste à part

entière. Votre première œuvre, une chaise récupérée et retapissé de toile Monogram Louis Vuitton vintage, a été acquise par Larry Gagosian. Cette œuvre a-t-elle changé votre vie ? Ce travail a été le début d’une série qui a beaucoup compté pour moi et qui a fini par avoir énormément de succès. Larry a même acheté un ensemble de chaises pour sa maison, ce qui a été un grand honneur, et la boutique de sa galerie a présenté mon travail, là encore j’ai été très touchée. Après cela, je me suis sentie définitivement différente en tant qu’artiste.Une grande partie de mon travail est basée sur des processus, notamment celui de la réutilisation inattendue de matériaux de designers sur des objets du quotidien. Je suppose que c’est l’humour que l’on retrouve dans mon travail qui interpelle les gens dans un premier temps. J’ai le sentiment que de nombreux objets ont un esprit, comme un être humain, qui peut être ressenti et amplifié. Pour la maison Fendi, de quelle façon avez-vous réinterprété la boutique du Miami Design District ? L’équipe m’a fourni une liste de matériaux qui pouvaient être réutilisés à partir de la collection de sacs à main et je suis partie de là. J’ai commencé à étudier les archives, à me familiariser avec les pièces et les matériaux du passé, et je m’en suis inspirée pour trouver de nouvelles idées. Les archives de Fendi sont très riches car, tout au long de son histoire, la maison ne s’est jamais laissée enfermer, et ce besoin de dépasser constamment les limites de la créativité m’a aidée à me sentir

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libre de les réinventer. Ainsi, suivant la tradition et célébrant la relation de longue date de Fendi avec Design Miami, j’ai habillé la boutique d’une façade spéciale, avec une réinterprétation du logo Pequin Fendi dans le jaune iconique de la maison. En collaboration avec Silvia Venturini Fendi, vous avez imaginé une édition limitée de 3 modèles de sacs Peekaboo ISeeU. Travailler en direct avec la directrice artistique d’une grande maison, était-ce une première pour vous ? Travailler non pas avec un directeur artistique, mais avec Silvia, qui a été une énorme source d’inspiration pour moi pendant de nombreuses années, fut comme un rêve devenu réalité. Sa capacité à animer quelque chose qui ne l’est pas compte beaucoup à mes yeux puisque c’est un des principes fondamentaux de mon travail d’artiste. Travailler à ses côtés a été un privilège. Elle est si talentueuse et novatrice, l’incarnation d’une visionnaire. Elle est un pur talent créatif, incroyablement authentique et humble, et la source même du langage esthétique de Fendi. Concernant cette édition limitée de Peekaboo, elle sera disponible dans un jaune iconique de la marque avec un motif FF en relief, un cuir nappa blanc avec des perles FF phosphorescentes et une broderie, et en toile avec une broderie multicolore au fil FF. Le modèle multicolore sera, quant à lui, en plâtre et en peinture acrylique, avec des FF découpés dans du daim, glacés à la résine. Par Laure Ambroise

Photo Fendi

À l’occasion de Design Miami, la maison Fendi a demandé à l’artiste américaine Sarah Coleman d’imaginer une série de pièces uniques à partir de sacs iconiques, et de revisiter la boutique de Miami Design District. Un nouvel esprit à la fois rétro et classique, inspiré par les années 1970.



ÉGÉRIE

Joli rôle Incarnation de la nouvelle fragrance Rose Tangerine de Chloé, l’actrice Lucy Boynton se confie sur son rapport au parfum.

démarche artistique et leur personnalité respective. Ce sont deux femmes fortes et puissantes, et toutes deux se nourrissent des richesses du passé pour enrichir l’avenir. Notre lien particulier entre femmes a créé une connexion d’autant plus intense avec la maison Chloé. Quelle est votre senteur “madeleine de Proust” ? La première odeur que j’ai imprimée dans ma mémoire est celle du parfum de ma mère. J’aime la fragrance en elle-même, mais j’apprécie surtout les sensations de confort et de sérénité auxquelles je l’associe. Enfant, j’avais l’habitude d’en vaporiser sur mon ours en peluche lorsqu’elle partait travailler. L’odeur qui vous repousse ? Ces produits chimiques qu’on applique sur les cheveux lors des permanentes. Sur le plateau de Bohemian Rhapsody, Joe Mazzello devait en enduire ses cheveux et l’odeur envahissait la caravane dédiée au à la coiffure et au maquillage. Les senteurs synonymes d’évasion ? Celle de l’air chaud, conjuguée à l’absence de bruits de la ville. Et évidemment, celle de la crème solaire épaisse – je me badigeonne d’indice 100 depuis l’enfance – et le parfum que laisse l’eau salée mêlée

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au sable sur les pages de mes lectures de vacances. Diriez-vous qu’une fragrance complète votre look au même titre que le maquillage ? Totalement. C’est pour moi la touche finale qui me fait sentir apprêtée, complète. Y compris cette année où j’ai passé tant de journées à la maison du fait du confinement, un seul spray de parfum suffisait à me remonter le moral et à me faire sentir plus élégante en pyjama. Qui sont les femmes qui nourrissent votre imaginaire et votre créativité ? Probablement les personnages que j’ai joués. J’aime spécialement travailler sur des films d’époque, cela me permet de m’aventurer hors de ma zone de confort. Pour prendre un exemple concret, mon personnage du Crime de l’Orient-Express a eu une forte influence sur moi. J’ai reproduit la même manucure pour la cérémonie des Oscars en 2019 que celle que j’avais durant le tournage du film. Mon personnage de Sing Street, Raphina, est aussi une référence importante à laquelle je reviens souvent. Propos recueillis par Mélanie Mendelewitsch

Photo Chloé

Quelle a été la genèse de votre collaboration avec Chloé ? D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fan de la maison Chloé, de son esthétique extrêmement chic mais toujours portable et adaptée aux journées chargées que cumulent souvent les femmes actives. J’étais très excitée d’être sollicitée pour cette campagne. Dès que l’équipe de la marque m’a expliqué le concept de la vidéo et l’idée d’exploration du sentiment de liberté, j’ai été conquise. En tant qu’actrice, est-ce que le parfum constitue un élément important dans votre processus créatif ? Oui, c’est un symbole important qui m’a toujours aidée à dresser des frontières entre moi et mes personnages. Le parfum est un support sensoriel puissant qui nous donne des clés pour nous lancer dans une introspection profonde et explorer différentes identités. Vous allez incarner le rôle de Marianne Faithfull, qui se trouve être l’une des muses de la directrice artistique de la maison Chloé, Natacha Ramsay-Levi. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette connexion entre vous trois ? Je suis fortement inspirée à la fois par Marianne et par Natacha, par leur



ICÔNE

Fin septembre dernier, un tube du groupe culte des 70s Fleetwood Mac, Dreams, revenait en haut des charts quarante-trois ans après sa sortie grâce à la magie de Tik Tok. En effet, la vidéo d’un skateur écoutant le morceau en ridant sur une autoroute venait de cumuler vingt millions de vues. À 72 ans, Stevie Nicks n’a pas hésité à chausser des rollers pour imiter le fan. La preuve que la diva adulée par Lana Del Rey, Courtney Love et Taylor Swift n’a rien perdu de son aura cool. Sans Stevie, les femmes artistes n’auraient peut-être pas été aussi libres. Il y a d’abord sa voix, à la fois vulnérable et puissante, qui a contribué à rendre des tubes comme The Chain inusables. Mais aussi sa personnalité libre qui matchait si bien

La charismatique Stevie Nicks, du groupe de rock Fleetwood Mac, sort un disque live intitulé The 24 Karat Gold Tour. L’occasion de revisiter l’héritage immense laissé par cet esprit libre à la pop culture et à la mode. avec les idéaux hippies. Elle a déclaré un jour avoir “fait le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants parce qu’elle voulait être et rester une grande star du rock”. Sans filtre, la chanteuse avoue aussi en interviews qu’avoir essayé le Botox l’a fait ressembler à “la fille en colère de Satan”, et avoir aussi consommé beaucoup de drogues dans sa vie. Mais, devenue sobre, l’artiste a survécu à ses excès. Un miracle qui contribue à alimenter le mythe. Depuis ses débuts, une rumeur circule : Stevie Nicks serait une sorcière pratiquant la Wicca (religion néopaïenne). La chanson de Fleetwood Mac Rhiannon conte d’ailleurs l’histoire d’une sorcière galloise. Jouant sur cette légende, les scénaristes de la série American Horror

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Story ont confié à la rock star un rôle mystique. Ce soupçon de sorcellerie tient aussi au look de l’icône. Châles brodés, boots à semelles ultracompensées, robes bohème, gros bijoux, l’allure folk sexy de celle qui adorait les crop tops a non seulement inspiré de nombreux créateurs, comme Clare Waight Keller ou Hedi Slimane, mais aussi les festivalières de Coachella. De quoi lui assurer pour toujours le statut de “marraine gypsy magique” que lui a conféré son ami Harry Styles. Album Live in Concert The 24 Karat Gold Tour, de Stevie Nicks (BMG)

Par Violaine Schütz

Photo Edge Of Seventeen, DR

Pythie hippie


MUSIQUE

Fruit exquis

Après plusieurs minitubes, dont Le Code avec Myth Syzer, la Française Bonnie Banane sort son premier album, Sexy Planet. Elle y invente un univers R’n’B aussi onirique qu’engagé.

Une ballade sous forme de déclaration d’amour à Leonardo DiCaprio, un premier EP autoproduit “avec l’argent de la drogue et du R.S.A.”, une musique décrite comme “un pont entre Aaliyah et André Rieu”… Depuis ses débuts, il y a huit ans, Bonnie Banane n’a cessé de nous étonner. En lorgnant du côté de la pop culture américaine et de ses excès, elle s’est imposée comme la meilleure nouvelle du R’n’B français. La Bretonne devenue Parisienne emprunte autant à la sensualité de D’Angelo qu’à la fantaisie de Jean Yanne ou de Brigitte Fontaine. Après plusieurs EP sémillants, elle confirme sur son premier album Sexy Planet son amour

du décalage tout en distillant, en filigrane, des messages puissants. Sur son single poétique La Lune et le Soleil, elle susurre avec naïveté que les contraires peuvent s’attirer et ne sont rien l’un sans l’autre. Lors de sa prestation remarquée pour la chaîne Youtube en vue Colors Studios, elle chante un morceau qui s’inscrit pleinement dans l’ère #metoo, Limites, qui rappelle aux hommes quand il faut s’arrêter. Exigeante, la chanteuse se démarque aussi par son univers visuel. Ses photos surréalistes, espiègles et souvent kitsch ressemblent autant à des collages enfantins qu’à du design des années 2000 ou des performances d’art

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Sexy Planet, de Bonnie Banane (Péché Mignon/Grand Management Musique). Par Violaine Schütz

Photo Pierre-Ange Carlotti

contemporain. Sa photogénie sensuelle l’a conduite à apparaître plusieurs fois à l’écran devant la caméra de Bertrand Bonello. Et l’un de ses derniers clips, Flash, a été réalisé par Mati Diop, qui a gagné le grand prix du jury du Festival de Cannes en 2019 pour son film Atlantique. On y retrouve l’artiste grimpant au sommet de la tour Eiffel, tout de cuir vêtue, un petit chien craquant entre les mains. L’ascension ne fait que commencer.


Photo DR


BILLET

DD Le journaliste Augustin Trapenard rend hommage à son amie la créatrice Delphine Delafon qui lance sa marque de sacs, Deisme.

On ne fait plus d’éloge. De ces éloges de l’Antiquité où l’on vantait qualités, mérites et vertus. De ces éloges publics qui relevaient de l’édification autant que de l’accomplissement poétique. On ne fait plus d’éloge bien qu’il n’y ait rien de plus difficile que d’admirer. Surtout en ce moment – à l’heure du mordant, du piquant, du corrosif et du méchant. Je fais ici l’éloge d’une amie que je connais depuis vingt ans. L’éloge de son courage, de sa constance et de son talent. Je me souviens, comme si c’était hier, de ce salon où nous parlions jusqu’au petit matin, dans son petit appartement qui se trouvait au-dessus d’un restaurant. Elle y confectionnait des sacs, entre la cuisine et la chambre, entre deux biberons et trois invités à la vie de patachon. Des sacs dont elle me faisait respirer les matières, encore vivantes, parce qu’elle s’apprêtait, en vérité, à leur donner une seconde vie. Il faut l’imaginer raconter comme un roman l’élégance du galuchat, la texture du velours, la vibration des peaux. C’était le tout début d’une vocation qui est devenue son métier et qu’elle porte avec autant de passion depuis toutes ces années. Je me souviens des épreuves qu’elle a vécues avec tant de force. Celles du déclassement, du divorce, des déboires professionnels et personnels dont elle s’est toujours relevée avec une volonté qui force l’admiration. Jamais je ne l’ai vue abandonner ce qu’elle aime. C’est une chose rare que la constance, et c’est peut-être, en amour et en amitié,

la plus belle des qualités. Elle est celle qui passe des heures au téléphone ou devant une tasse de café pour vous consoler d’une romance avortée, celle qui prend une semaine de son temps pour préparer vos 40 ans, celle qui retourne votre vestiaire et rapièce en vitesse une vieille veste pour éviter qu’à une cérémonie vous soyez mal fagoté. Elle est celle, surtout, qui ne vous ment jamais – même quand on s’offrirait volontiers quelques petits arrangements avec la réalité. Ce sens de la vérité, mélange d’insolence, d’affirmation et d’absence totale de concession, on le retrouve dans chacune de ses créations. Du sac militaire au pochon SM, du baise-en-ville de guerrière à la bourse bohème. Chez elle, jamais la coquetterie ne relève du caprice. Elle assume les marges, la transgression, la possibilité du vice. Elle sait que chaque vêtement ou accessoire se porte la tête haute, avec fierté, et pendant des années. Elle dirait même que c’est là, précisément, où se niche la beauté. Je me souviens qu’elle avait déjà, dans nos jeunes années, cette beauté désinvolte qui effrayait la terre entière et qui tenait au fait qu’elle ne s’excusait pas. Tout ce qu’elle faisait ou fabriquait, elle le portait avec panache. Même les erreurs. Même les errances. Même les heurs et malheurs de nos adolescences. Encore aujourd’hui, les regrets, elle les balaie d’un revers de main et passe à la suite, à demain ou après-demain. Peut-être parce qu’elle a beaucoup souffert, elle regarde le monde

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avec une distance amusée, un pas de côté. Mais son goût penche toujours vers celles et ceux qui se sont élevés à force de volonté. Celles et ceux qui se sont révoltés, qui se sont arrachés à leur milieu, à tout ce qu’on attendait d’eux. Celles et ceux qui ont brisé les codes et les conventions pour inventer leur destinée. Dans l’un de ses défilés, elle m’a un jour maquillé en hidalgo tout juste enterré. Des femmes endeuillées tournaient autour de mon corps sous le regard médusé de spectateurs qui se demandaient à quoi ils assistaient. Il y avait du monde à cet enterrement. Elle avait trouvé ça charmant. Combien de fois avons-nous attisé les regards sévères ou suspicieux ! Combien de fois avonsnous convenu que nous étions à l’ouest ou à côté ! Combien de fois avons-nous ri d’être délicieusement déplacés ! J’ai toujours la sensation, avec elle, d’être ivre de liberté. Et dans chaque regard de ceux qui nous jugent, je décèle toujours à son endroit une pointe d’envie, de ravissement, d’admiration. On ne fait plus d’éloge, sans doute parce que ce n’est plus à la mode, parce que c’est difficile, parce que c’est dangereux – mais je sais pour ma part qu’il n’est rien de plus aisé et rien de plus heureux que de vanter les qualités, mérites et vertus de mon amie Delphine Delafon. Par Augustin Trapenard


Made in Italy “Time, Light, Space”, tels sont les éléments avec lesquels le photographe de mode Paolo Roversi raconte dans un beau livre l’histoire du créateur de mobilier contemporain Poliform. Une histoire de l’art d’habiter, à la recherche de la simplicité radicale. Pas de célébration, mais un hommage à l’histoire du design made in Italy. Pour célébrer ses 50 premières années, Poliform s’est offert un livre de photos

d’auteur, intitulé Time, Light, Space, réalisé par Paolo Roversi et publié par Rizzoli. Le livre raconte, à travers les clichés du photographe de mode, l’esthétique de la société italienne, en traçant un chemin qui capture l’évolution de l’art du meuble design, des traditions artisanales italiennes aux conceptions contemporaines. Une histoire à l’ADN fièrement familial, qui débute en 1942 et qui devient la marque Poliform en 1970, grâce à Aldo et Alberto Spinelli et à Giovanni Anzani, toujours à la tête de l’entreprise, même si les

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générations suivantes les ont rejoints progressivement. Avec une vision qui reste fidèle à elle-même : partir de la fonctionnalité des meubles pour arriver à un design reconnaissable, artistique. Un travail qui s’est également enrichi au fil des ans, avec la participation fructueuse de designers et d’architectes de renommée mondiale, comme Rodolfo Dordoni, Jean-Marie Massaud, Marcel Wanders, Carlo Colombo, Vincent Van Duysen. Et encore, Paolo Piva, Paola Navone, Studio Kairos, Roberto Barbieri,

Photos Paolo Roversi

DESIGN


DESIGN

Roberto Lazzeroni. Cet engagement a amené l’entreprise à relever des défis importants en participant à des commandes prestigieuses, comme celles pour l’intérieur du complexe West End Quay à Londres, pour le Time Warner Center d’AOL à New York, ainsi que le Palmolive Building à Chicago et les suites présidentielles de la Clinton Library à Little Rock. Poliform a acquis au fil du temps plusieurs marques d’excellence, comme Varenna, consacrée à la production de cuisines. Une histoire qui est une

recherche de synthèse absolue et de simplicité radicale, des concepts que l’on retrouve dans l’esthétique de Roversi. Le récit qu’en fait le photographe est hautement poétique, montrant les lieux et les environnements comme suspendus dans le temps, transportés vers un ailleurs où les structures puissantes et rigoureuses du design de Poliform sont exaltées par sa façon unique de travailler avec la lumière. Par Giorgia Cantarini Traduction Hélène Guillon

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Paolo Roversi et son Studio Luce au MAR de Ravenne Ses photos ont été publiées dans les plus grands magazines de mode, et il a réalisé des campagnes pour Dior, Comme des Garçons, Yves Saint Laurent, Valentino. Paolo Roversi, auteur également du Calendrier Pirelli 2020, expose son Studio Luce au Museo d’Arte de Ravenne, sa ville natale. Une importante rétrospective en partenariat avec Christian Dior Couture, Dauphin et Pirelli, sponsor principal, qui peut être visitée jusqu’au 10 janvier 2021. GC mar.ra.it/ita


Le tourbillon de la vie

Comme le ruisseau, le vent ou la neige, l’esprit façonne le paysage. C’est ce qui explique que le génie ancestral des paysans de la vallée de Joux, jadis confinés dans leurs galetas pour y créer des mouvements horlogers durant les longs mois d’hiver, porte plus que jamais ses fruits aujourd’hui dans ce terroir calme et laborieux. En témoigne le tout nouveau Musée Atelier Audemars Piguet inauguré en juin dernier (durant une éclaircie sanitaire) dans le village du Brassus, berceau de la haute horlogerie suisse. Affleurant la prairie, ce bâtiment fraîchement sorti de terre – imaginé par le cabinet danois Bjarke Ingels Group – déroule dans une double spirale futuriste toute l’histoire et la mémoire de la manufacture, de 1875 à nos jours. Un geste architectural symbolique, englobant, simple comme un boîtier de montre, complexe comme une grande complication. “L’idée était de faire un outil muséographique illustrant à la fois une complication horlogère et les valeurs de la marque”, explique Sébastian Vivas, directeur du musée et du patrimoine d’Audemars Piguet. Parmi ces valeurs : la famille, la transmission et l’oxymore. La famille ? Plutôt “les” familles, Audemars et Piguet bien sûr, fondatrices de la marque et toujours à la tête de la manufacture, conservant farouchement leur indépendance. La transmission ? Une façon de faire vivre l’excellence et la passion, clés de voûte de l’illustre maison. L’oxymore ? Parce qu’il est jubilatoire de faire s’unir des contraires et de voir jaillir leur force. Le résultat est donc ce bâtiment observatoire végétalisé à la fois ancré dans son terroir et ses traditions, et ouvert au monde, au partage et à l’avenir. Composé de verre, d’acier, de bois et de laiton, il est relié à l’historique maison des

Photo Ambroise Tezenas

C’est dans son terroir jurassien que la manufacture suisse Audemars Piguet vient d’ouvrir son Musée Atelier. Un lieu immersif hors du commun qui fait rythmer le passé, le présent et le futur d’une maison visionnaire.


HORLOGERIE

Dans le village du Brassus, le cabinet d’architecture danois BIG a imaginé ce Musée Atelier en forme de spirale pour raconter 145 ans de création horlogère Audemars Piguet.

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Route de France 18, 1348 Le Brassus, Suisse. Museeatelier-audemarspiguet.com Par Jeanne Propeck

L’atelier des Métiers d’Art, établi au cœur du Musée.

Photos Ambroise Tezenas

fondateurs – où se trouve toujours l’atelier de réparation – et en parfaite symbiose avec la nature alentour, épousant la pente du terrain, s’ouvrant sur les champs, la forêt du Risoud, le ciel… Mille contraintes se sont présentées au moment de la réalisation de cet édifice, parmi lesquelles la résistance des parois en verre incurvé, qui doivent supporter le poids du toit en acier et s’adapter aux grandes variations de température saisonnières (une première à cette altitude, dit-on). Sans parler du laiton, matériau utilisé dans l’horlogerie, certes, mais dont les qualités s’adaptent difficilement à l’architecture. Son traitement en poli miroir est également une première ici. À l’intérieur, chauffage au bois et climatisation naturelle font aussi de ce lieu un exemple d’architecture respectueuse de l’environnement, dans la droite ligne de l’engagement d’Audemars Piguet en matière de développement durable. En entrant, toute l’attention est portée par la somptueuse scénographie signée Atelier Brückner. Passé l’hypnotique automate imaginé par François Junod, les trois cents montres exposées composent une partition aussi technique qu’esthétique, telle une mélodie céleste, reflétant 145 ans de création horlogère. Parmi elles, des modèles historiques et contemporains, remarquables par leur rareté ou leur histoire, mais aussi toute l’épopée de l’emblématique Royal Oak, jusqu’au point d’orgue dans le parcours, l’Universelle, modèle datant de 1899, la montre la plus compliquée à ce jour (qui emporte une vingtaine de fonctions) produite par Audemars Piguet. Dans ce microcosmos de la haute horlogerie, les vitrines sont des astres et le visiteur, un satellite émerveillé par ce condensé de prouesses infinies. Et parce que l’endroit est plus qu’un simple musée, il accueille aussi deux ateliers : celui des Grandes Complications et celui des Métiers d’Art, qui permettent au public d’observer au plus près et en temps réel le travail séculaire des artisans horlogers hautement spécialisés, ainsi que celui des joailliers, des sertisseurs et des graveurs. Là, sous nos yeux, dans la lumière des saisons, l’excellence est à l’œuvre, le temps se matérialise et continue d’écrire l’histoire d’une manufacture en constante expansion.


LOREM IPSUM

La façade en verre incurvé et son brise-soleil en laiton filtrant la lumière et régulant la température du bâtiment.

Le mobile généalogique des familles Audemars et Piguet, fondatrices de la manufacture.

Les vitrines “cosmiques” présentant les montres les plus emblématiques de la marque.

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ANATOMIE D’UN BIJOU

Le pendentif Goutte de ciel de Boucheron Claire Choisne, directrice des Créations de la maison Boucheron, confirme cette année son statut de virtuose de la haute joaillerie avec une collection qui utilise des matériaux inattendus au service de l’émotion. Le mythe La première maison de la place Vendôme n’a plus rien à prouver, sauf à elle-même. Cette assurance lui permet, pour ses pièces uniques, de repousser les limites de l’innovation grâce à l’emploi de techniques nouvelles et de matériaux inédits dans le domaine de la haute joaillerie.

Collier Goutte de Ciel, collection de joaillerie Contemplation, en cristal de roche et pavé de diamants, serti d’une goutte de cristal de roche en aérogel, sur or blanc. Le collier, dans la tradition du multiporter de la Maison, off re une version sautoir avec un cordon en passementerie, Boucheron.

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Le savoir-faire Parmi les pièces maîtresses de cette collection de 67 pièces figure l’extraordinaire pendentif Goutte de Ciel qui encapsule dans une coque de cristal de roche endiamanté une émanation du firmament. Pour capturer les tons évanescents des cieux, Claire Choisne a utilisé une matière principalement composée d’air saupoudré d’un infime pourcentage de silice. Il est suspendu à un tour de cou façonné dans du cristal de roche pavé de diamants. Une haute joaillerie exigeante, aux confins de l’art contemporain. Par Hervé Dewintre

Photo DR

L’inspiration Claire Choisne a posé son regard sur une ligne d’horizon. De ce trait immatériel où l’azur et l’écume se confondent, elle a extrait l’immensité d’une pensée où se mêlent fragments d’étoiles, gouttes de silence et caresses de plume. Ces reflets de l’âme ont ensuite été matérialisés en créations sur lesquelles ruissellent des pluies endiamantées, se démultiplient des cascades de perles où se déploie, parfois, une stupéfiante voûte de nacre.


JOAILLERIE

L’art du Beau Des pièces uniques de l’atelier Glyptique aux collections d’objets et d’accessoires imaginés par le département S, les créations Cartier invitent plus que jamais au partage d’un état d’esprit. La prééminence de Cartier repose pour une large part sur l’étendue des savoirfaire, souvent ancestraux, encouragés par la maison de luxe. Ces savoir-faire – qui concernent le bois, la porcelaine, l’émail – sont parfois inattendus alors qu’ils s’épanouissent bien souvent au sein des ateliers du joaillier depuis la fin du xixe siècle. Des ateliers spécialisés aux noms singuliers. C’est le cas notamment du département S (S comme Silver) qui s’intéresse depuis 1925 aux objets du quotidien. “Il avait

été confié à Jeanne Toussaint, indique Pierre Rainero, directeur Image, Style et Patrimoine de Cartier International. Ce département développait des accessoires et des objets pratiques, ludiques, joyeux et élégants, en phase avec l’esprit festif et le nomadisme chic de la Café Society des années trente.” Ces collections sont toujours présentes dans la maison : les carnets, les crayons, les hochets, les boîtes à musique, les jeux de solitaires et les porte-clés d’aujourd’hui sont en quelque sorte les héritiers des poudriers, des encriers, des cartes de visite, des “peignes mignons” que Cartier proposait dès 1880. Cette volonté de galvaniser les savoirfaire et de révéler la singularité des matières ne concerne pas que les objets du quotidien mais s’exprime également sur des pièces uniques. Il est intéressant de noter à ce propos que Cartier est le seul grand joaillier à posséder en interne

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un atelier de glyptique dirigé par un maître d’art, Philippe Nicolas, qui forme lui-même ses apprenties (elles sont quatre, toutes diplomées de l’École Boulle). Ici, la gravure ou la sculpture d’une pièce peut durer de cinq mois à deux ans et demi. Inutile donc de préciser que les œuvres qui sortent de cet atelier se comptent sur les doigts d’une main. Parmi les dernières créations en date figure une série de panthères sculptées à partir de matières fossilisées. Au final, ce déploiement d’artisanats précieux – que ce soit dans la présentation d’objets accessibles ou dans l’exposition de pièces d’exception – poursuit un seul et même but : le partage d’un état d’esprit qu’Arnaud Carrez, directeur international Marketing et Communication de Cartier International, résume ainsi : “Ce quelque chose en plus qui invite le beau près de soi.” Par Hervé Dewintre

Photo Cartier

Bague en jaspe noir, émeraudes et or jaune, Cartier.


JOAILLERIE

Couleurs infinies Harry Winston explore la nature prismatique de la lumière dans une nouvelle collection de haute joaillerie qui s’inspire d’un objet précieux créé par la maison dans les années 90 : l’Ultimate Kaléidoscope.

Cette passion pour le diamant ne doit cependant pas faire oublier une autre facette du joaillier : son aptitude à mettre en lumière les pierres par le design. Cette aptitude repose sur l’étendue d’un imaginaire constamment aux aguets, la force d’une expertise inégalée en matière de gemmologie et la richesse d’un artisanat savamment préservé. Cette étendue, cette force et cette richesse constituent une signature qui s’épanouit précisément dans la nouvelle collection de haute joaillerie. Rendant hommage à un objet précieux créé par la Maison dans les années 90 – l’Ultimate Kaléidoscope – la collection explore la nature prismatique de la lumière. Trente-deux pendentifs de haute joaillerie, cinq montres de haute joaillerie et six modèles de montres Premier traduisent en myriade de pierres fines et précieuses les motifs géométriques mouvants et les combinaisons chromatiques inattendues tels qu’ils pourraient s’ordonner sous l’objectif du célèbre l’instrument d’optique. Pour permettre aux rubellites rouges de dialoguer avec les tsavorites vertes, pour autoriser les saphirs violets à se faire l’écho des aigues-marines, de la turquoise et de la tanzanite sous le regard bienveillant du diamant, le métal s’efface jusqu’à disparaître grâce à la finesse d’un sertissage virtuose. En résulte des figures hypnotiques qui semblent vouloir concilier les notions de permanence et de changement, comme une métaphore de la Nature, une incitation à l’optimisme et une exaltation de l’élan vital. Propos recueillis par Hervé Dewintre

Photo DR

La gloire de Harry Winston s’est exprimée par le diamant. Par le diamant de légende plus précisément. Pour donner la juste mesure du niveau d’excellence auquel s’astreignait le joaillier américain, citons simplement cette anecdote publiée par le Times : “Harry Winston possède la deuxième plus grande collection de bijoux historiques au monde, la première étant celle de la famille royale d’Angleterre”. Cette affirmation date de 1952 : Harry Winston avait fondé sa maison éponyme à New York vingt ans auparavant. On estime aujourd’hui que, durant l’ensemble de sa vaste carrière, le joaillier, né en Ukraine en 1896, fut le détenteur de plus d’un tiers des diamants les plus convoités au monde : le Jonker, le Lesotho, le Vargas, et bien entendu le Hope. Ce diamant bleu provenant des mines de Golconde (le plus gros jamais découvert à ce jour) était célèbre pour ses origines illustres puisqu’il avait appartenu à Louis XIV avant d’être dérobé au garde-meuble national lors du vol des joyaux de la Couronne de France pendant la Révolution. Harry Winston l’avait acquis en 1949 avant d’en faire don dix ans plus tard au Smithsonian Institution de Washington où il bénéficie depuis, et à juste titre, d’une pièce qui lui est réservée. Le nombre de visiteurs qui se pressent pour admirer cette gemme d’origine royale (6 millions de visiteurs par an : seule La Joconde fait mieux) prouve la valeur de ce don. Encore aujourd’hui, la maison, dirigée depuis 2013 par Nayla Hayek, perpétue avec passion cette prédilection pour la pierre précieuse : pas un semestre ne s’écoule sans que la maison ne fasse l’admiration des connaisseurs en annonçant l’acquisition d’une gemme hors du commun.

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LOREM IPSUM

Pendentif Winston Kaleidoscope en platine et or jaune 18 carats sertis de diamants, turquoise, aigues-marines, rubellites, saphirs jaunes et grenats spessartites, Harry Winston.

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JOAILLERIE

Un musée à cœur ouvert Sa collection de bijoux d’artistes est une référence mondiale : Diane Venet nous reçoit chez elle pour dévoiler son musée intime et itinérant.

La quintessence des plus grands artistes du xxe siècle. Ils sont tous là : Pablo Picasso, Jeff Koons, Louise Bourgeois, Alexander Calder, Fernand Léger, Man Ray, Damien Hirst, Pol Bury, Keith Haring, Yayoi Kusama, Anish Kapoor, les grands maîtres de l’abstraction américaine, les membres les plus connus des Young Bristish Artists, les légendes du cubisme, les chefs de file du surréalisme, les références du dadaïsme, les pionniers de l’art virtuel, les fondateurs du spatialisme ou du futurisme. Tous ont inventé leur propre vocabulaire pictural. Leur gloire a été propagée par leurs peintures, leurs sculptures, leurs photographies, ils ont entrepris des réflexions sur la forme et la matière à grands coups de gestes radicaux. Leurs œuvres trônent aujourd’hui dans un salon parisien, pour une journée seulement. Ils sont en transit : une caisse en bois les attend pour s’envoler vers le Luxembourg, puis Monaco où des accrochages et des scénographies vont les mettre en lumière. Une seule caisse, de taille relativement modeste, pour tant d’œuvres – 200 productions émanant d’un nombre considérable (plus d’une centaine) d’artistes de premier plan ? Oui, car ces œuvres ont deux singulières particularités : leur volume ne dépasse que rarement les 10 cm2, et leur destination : elles peuvent s’enrouler autour du doigt, briller sur la poitrine ou envelopper le poignet, car ce sont des bijoux. Des bijoux d’artistes, une catégorie d’objets mystérieuse et spécifique dont Diane Venet est devenue au fil des ans le porte-flambeau. Nous avons de la chance : la grande collectionneuse a rassemblé pour nous la majeure partie de ses bijoux d’artistes avant qu’ils ne soient accaparés, à juste titre, par un musée, comme ils l’ont été depuis tant d’années, un jour à la Piscine de Roubaix, un autre au Museum of Arts and Design à New York, au Benaki Museum à Athènes, au Palazzo Nani Mocenigo à Venise ou encore au Seoul Art Center et enfin, pendant plusieurs mois il y a deux ans, au musée des Arts décoratifs à Paris. Aujourd’hui, couchés sur des papiers de soie ou en appuis sur des boîtes qui ne sont pas des écrins, ils développent leurs lignes étonnantes dans un savoureux désordre : une broche en or de Georges Braque façonnée par le lapidaire Heger de Löwenfeld côtoie une montre conçue par Andy Warhol avec la fabrique Movado, des boucles d’oreilles signées Man Ray (celles-là mêmes que Catherine Deneuve a portées et immortalisées sous l’objectif de Buñuel) déroulent leurs courbes intrigantes aux côtés des spirales en cuivre d’une broche

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façonné par les mains d’Alexander Calder. Posés sur le sol ou le canapé, les teintes vives des émaux de Giacomo Balla font écho aux dominantes chromatiques d’une broche de Fernand Léger ou à la palette de couleurs primaires qui se détachent sur un pendentif de Roy Lichtenstein. À quelques centimètres de là, le profil accidenté d’une compression plate en or de César renvoie aux torsions d’une broche en aluminium de John Chamberlain tandis que les lignes hypnotiques d’un bracelet en argent, émaux et nacre signé Victor Vasarely semblent entamer un dialogue inattendu mais fructueux avec les fentes horizontales et évocatrices d’un collier en or et grenaille aimantée, moulé à même le corps de sa petite amie, d’un collier de Vissalakis Takis. Dans quelques jours, Diane l’itinérante, Diane la chasseresse se dirigera sûrement vers sa maisonatelier du Muy : une merveilleuse propriété varoise qu’elle a transformée avec son époux – le célèbre sculpteur Bernar Venet – en fondation dédiée à l’art minimal et conceptuel. Cette collection de bijoux d’artistes raconte une vie à travers ses coups de cœur et ses amitiés. Une vie pleine d’exigence et d’obstination également. L’exigence de la provenance tout d’abord, qui opère un très net distinguo entre l’artiste et l’orfèvre, c’est-à-dire l’artisan, aussi virtuose soit-il : “Je ne dis pas que je n’aime pas la joaillerie mais c’est un autre sujet : lors d’une exposition, une dame m’a reproché vivement, par exemple, de ne pas avoir intégré Line Vautrin. J’adore les merveilleuses créations de Line Vautrin, tout comme j’apprécie René Lalique ou Peter-Karl Fabergé, mais l’activité principale des personnes que je viens de citer consistait dans la création et la fabrication de bijoux. Je collectionne pour ma part des bijoux imaginés par des artistes qu’on appelle plasticiens. La technique utilisée ou la valeur des matériaux mis en œuvre importent peu, ce qui compte c’est par exemple la réflexion sur le changement d’échelle. En résumé, ce sont des objets rares – la plupart uniques ou édités à une dizaine d’exemplaires, des objets sensibles, des objets de défis aussi”, explique Diane Venet. Pour quelles raisons sont-ils relativement peu connus ? “Je pense que c’est avant tout parce que ces objets étaient destinés la plupart du temps à des êtres aimés : André Derain avait imaginé les modèles des Faunes, des Crétoises et des Masques pour les offrir à sa femme, Sol LeWitt avait créé des bagues pour ses filles, Alexander Calder concevait ses bijoux pour son épouse Louisa, Harry Bertoia façonnait des parures pour ses amis. Ce qui fait que ces objets sont souvent restés dans l’intimité des familles.”


LOREM IPSUM

Diane Venet nous accueille dans son appartement parisien pour prÊsenter sa collection de bijoux d’artistes.


Il a donc fallu beaucoup de passion et d’obstination pour rassembler ces pièces uniques conçues par des hommes et des femmes de génie définitivement entrés dans la légende du siècle dernier, mais aussi par des artistes contemporains que souvent Diane connaît intimement, et auprès desquels elle a volontiers joué le rôle de muse et d’agent provocateur. “Ça a commencé avec Bernar. Nous nous sommes rencontrés au mois de juillet 1985. Quelques mois plus tard, à Noël, il m’offrait cette bague alors qu’il était en plein développement de ses lignes indéterminées : une ba rrette d’argent qu’il avait enroulé autour de deux de mes doigts, à mi-chemin entre la sculpture et l’alliance. Plus tard, il m’a offert un bijou d’Arman avec qui il était très lié – une accumulation de vis et de clous sous plexiglas –, puis de César qui était également son ami – une compression avec des chaînes et des gourmettes que je ne portais plus –, et enfin un très beau bracelet de Lucio Fontana. La graine était semée.” Les conseils avisés de l’orfèvre Giancarlo Montebello, qui s’était lancé dans l’édition des bijoux d’artistes dès la fin des années 60 (en collaborant notamment avec les frères Pomodoro mais aussi avec Niki de Saint-Phalle ou Man Ray), poseront les fondations d’une vision qui s’épanouira tout d’abord dans l’acquisition de bijoux signés Picasso ou Max Ernst avant de s’exalter dans la mise en œuvre de créations contemporaines. Car Diane incite les artistes à exprimer leur part de vérité dans le bijou. Comme lorsque Jacques Villeglé, Pierrette Bloch, Claude Viallat ou Orlan créent pour elle des bijoux très proches de leurs travaux. “Je pense à Andres Serrano qui est un artiste

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photographe formidable : il m’a contactée spontanément pour me demander si je voulais bien faire un bijou avec lui, ce qui m’enchante. Ou encore à Pablo Reinoso qui a fait un bracelet que j’ai produit.” Avec davantage de difficultés parfois : “Franck Stella avait raccroché au nez de Bernar lorsqu’il lui avait demandé de créer un bijou. ‘Ça ne m’intéresse pas !’ affirmait-il. Mais j’y tenais beaucoup. Deux mois avant Noël, Bernar le rappelle et lui dit : ‘écoute Franck, tu ramasses quelque chose par terre dans l’atelier et ça peut faire un bijou formidable’. Nouvel échec. Peu de temps après, nous allons chez lui, dans son appartement à New York, et Bernar reprend, mine de rien, le sujet sur un ton badin : ‘tu sais, c’est dommage de ne pas avoir fait un bijou, mais ce n’est pas grave car John Chamberlain, lui, a accepté. Il a fait un bijou qu’il a offert à Diane’. Franck se redresse alors et proclame : ‘Ah bon, c’est intéressant ce que tu dis’ avant de se pencher avec la rapidité de l’éclair vers un tiroir pour en extraire un collier qu’il me tend en disant : ‘tiens, ça aussi c’est un cadeau.’” Le voici donc le fil directeur de cette vaste collection qui concilie l’intime et le grandiose, le génie et la tendresse : “J’achète mais je ne vends rien. Ma collection n’est pas un investissement. Quand je porte un bijou d’artiste, je me fais le porte-drapeau de quelqu’un que j’aime. C’est de l’histoire de l’art qui est faite pour être partagée.” Par Hervé Dewintre Photos Flore Chenaux

Page de gauche : En haut : 1er rang, de gauche à droite : Madame, 1960, pendentif par Jean Cocteau. Medusa, 2011, collier-ceinture par Rebecca Horn. Sega, 1992, collier par Faust Cardinali. 2e rang : Sans titre, non daté, boucle de ceinture-bracelet par Alexander Calder. Optic Topic, 1974, loup par Man Ray. Gli Archéologi, vers 1972, pendentif par Giorgio De Chirico. 3e rang : Hommage à Odoacre, 1959, plaque pendentif par Georges Mathieu. Clown with Diamond Eyes, 1980, broche pendentif par Karel Appel. Seita 1, 2000, broche par Raymond Hains. Coupée par l’image : Asteria, 1963, broche par Georges Braque. Au centre : dans les mains de Diane, Sans titre, 2008, collier prototype par Frank Stella. En bas à gauche : son premier bijou d’artiste, bague en argent, 1985, par Bernar Venet. En bas à droite : Collona, 1968, collier par Arnaldo Pomodoro.

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Ci-dessus : Rabbit Necklace, 2005-2009, pendentif par Jeff Koons. Au milieu : Diane porte la bague que Bernar Venet a conçue pour elle l’année de leur rencontre en 1985. Elle tient dans sa main Optic Topic, 1974, un loup en or par Man Ray. Ci-dessous : 1er rang (tout en haut à droite, le bijou coupé) Œil de Lucie, 1959, collier par Gio Pomodoro. 2e rang, de gauche à droite : Inclusion, 1967, bague par Arman et Bernar Venet. Montre petite cuillère, 1957, broche à cheveux en or et émail, par Salvador Dali. Seita 1, 2000, broche par Raymond Hains. 3e rang : Carpe Diem, 2013, bague par Barthélémy Togo. (bijou coupé tout en bas) Sans titre, 1968, bracelet par Pol Bury.


ACCESSOIRES

Party Favors Qu’est-ce qui fait qu’une fête est réussie ? Alors que par le passé cela était suggéré par de délicieux cocktails ou un lieu joliment décoré, l’année 2020 a exigé que nous trouvions de nouveaux moyens pour s’amuser en étant socialement distant. C’est pourquoi nous avons interrogé des milliers d’entre vous sur Instagram afin de comprendre quels sublimes bijoux vous espériez déballer en cette période de fêtes. Les votes ayant été recueillis, nous avons constaté un intérêt certain pour les nouveaux classiques, comme l’imposant collier chaîne Charlotte Chesnais ou celui, plus délicat, de The Last Line, tandis que d’autres bijoux, comme les boucles d’oreilles en émeraudes de Chopard, le collier De Beers ou encore la montre Maillon de Cartier ont été très appréciés ; ils ne manqueront pas de faire forte impression lors de votre fête de fin d’année sur Zoom. Bien que chaque pièce élue soit précieuse à sa manière, une chose est sûre : toutes vous feront entrer de la plus belle manière dans la nouvelle année. PHOTOGRAPHIE JENNIFER LIVINGSTON STYLISME HAIDEE FINDLAY-LEVIN




Ci-contre : Collier, DIOR HAUTE JOAILLERIE. Page de gauche : Collier-chaîne, CHARLOTTE CHESNAIS. Page précédente : Boucles d’oreilles, CHOPARD.



Ci-contre : Collier-chaîne, THE LAST LINE. Page de gauche : Montre Maillon, CARTIER.



Ci-contre : Bracelet, LOUIS VUITTON. Page de gauche : Collier, DE BEERS.



Ci-contre : Collier, VAN CLEEF & ARPELS. Page de gauche : Montre, CHANEL.

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Jeanne Damas Créatrice de mode à succès, entrepreneuse, muse et bientôt maman, la plus belle des Parisiennes ne cesse de nous inspirer.

PHOTOGRAPHIE DENIS BOULZE STYLISME VANESSA BELLUGEON PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE AMBROISE



“Je trouve qu’on n’est pas assez au courant de cette force qui est en nous. On va donner la vie, et souvent on ne nous aide pas à l’envisager ainsi. On met en avant les douleurs et les peurs, alors que c’est aussi un moment unique et magique.” Jeanne Damas L’Officiel : Plus qu’une créatrice de mode, vous êtes une femme qui sait donner envie. Est-ce un don ou un travail à plein temps ? Jeanne Damas : J’ai très vite su instinctivement ce que j’aimais et ce qui m’allait. Plus jeune, j’ai beaucoup observé les clientes dans le restaurant de mes parents, je pouvais passer des heures à les regarder et imaginer ce qu’étaient leurs vies. J’étais assez solitaire et observatrice. C’est ce qui m’a aidée à me créer un œil et à faire ce qui allait être une grande partie de mon métier actuel : inventer des histoires avec des vêtements et des images. J’ai aussi commencé la photo assez jeune, en photographiant ma vie quotidienne, mes amies… c’était un peu un journal et je ne me rendais pas compte que j’étais en train de créer toute l’identité visuelle de ce qui allait être ma marque des années plus tard. Vous avez lancé Rouje en 2016, d’abord une marque de mode puis également de beauté et enfin un restaurant. Avez-vous d’autres projets ?

Je trouve ça très intéressant de jongler avec ses envies, de ne pas se limiter, de toujours se réinventer. Mon parcours s’est construit grâce à des rencontres. Il faut être ouvert aux autres, et faire confiance à son instinct, pour pouvoir créer. La mode est venue par passion, quant au restaurant, je ne pensais pas du tout en ouvrir un jour sachant que ce n’est pas un métier qui s’improvise. Mais en trouvant ce lieu rue Bachaumont, pour en faire une boutique, j’ai eu le fantasme de créer aussi un lieu vivant, fait de rencontres et de bonne bouffe, ma deuxième passion. Je me suis donc entourée d’amis dont c’était le métier. Cela donne de la chaleur et de la convivialité à la maison Rouje. Le succès de votre marque repose sur quelle équation ? Rouje est née d’une envie de réunir mes amies et de créer ensemble notre vestiaire rêvé, intemporel, où l’on voit la femme avant le vêtement, et qui s’adresse à toutes celles qui aiment jouer avec leur masculin-féminin. Instagram est-il le meilleur allié de votre communication ? Il représente un super allié de communication pour une marque

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Ci-contre :

Blouse en dentelle, ROUJE. Body en microfibre, ETAM. Page de gauche :

Cardigan en alpaga, ROUJE. Soutien-gorge et culotte en satin vert rayé, ETAM. Page précédente :

Blouse en dentelle, ROUJE. Soutien-gorge triangle et culotte taille haute en satin, ETAM.


MODE

qui se lance. Je l’ai compris le jour où on a lancé la première collection. On n’était pas sûrs du succès, on avait produit de petites quantités et en deux heures tout était sold out. C’est là que j’ai réalisé la force de ma communauté ! Aujourd’hui, cela nous permet de rester proches de nos clientes. On lit souvent que vous êtes l’incarnation de la Parisienne. Mais c’est quoi une Parisienne en termes de mode, d’habitudes et de petits défauts ? Je n’aime pas parler d’incarnation de la Parisienne, c’est assez réducteur et cliché. J’ai écrit un livre en 2016, À Paris, vingt portraits de femmes qui habitent Paris, pour casser ce stéréotype. Personnellement, en termes de mode, j’aime l’idée d’un uniforme signature, comme une bouche rouge ou un jean seconde peau, et jouer avec le masculin-féminin. Je me déplace à vélo et j’aime que cette ville soit à taille humaine. Pour les petits défauts, j’aime bien parler de la parfaite imperfection. C’est notre vision de la beauté chez Rouje, jouer avec ses différences, ses particularités plutôt que de vouloir les gommer. Le jour où on arrive à les accepter et qu’on prend confiance, cela nous rend encore plus belle car assumée ! Êtes-vous une femme engagée ? Et, si oui, quelle cause vous tient à cœur ? Je suis sensible à la cause féminine. L’année dernière j’ai rencontré Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, un lieu dédié aux femmes victimes de violences. J’ai eu envie de la soutenir avec une collaboration. J’ai fait appel à l’artiste Nina

Koltchiskaia, qui a réalisé une capsule dont tous les bénéfices ont été reversés à cette association, et ce n’est qu’un début. Je cherche aussi à faire preuve de plus de transparence envers nos clientes. 95 % de notre production est réalisée en Europe ou pays limitrophes. Et je souhaite aussi améliorer notre démarche durable. Vous allez bientôt devenir maman, cela a-t-il déjà changé votre vie et de quelle façon ? Non cela n’a pas encore changé ma vie au quotidien. Pour l’instant, c’est un changement de l’intérieur : hormonal et physique évidemment, mais aussi très spirituel, je me sens ouverte à une dimension nouvelle assez incroyable. J’apprends plein de choses sur la puissance du corps et ce que nous, en tant que femmes, pouvons accomplir. Je trouve qu’on n’est pas assez au courant de cette force qui est en nous. On va donner la vie, et souvent on ne nous aide pas à l’envisager ainsi. On met en avant les douleurs et les peurs, alors que c’est aussi un moment unique et magique. Ensuite, je verrai comment concilier ma vie très active et ma vie de mère. J’ai l’impression qu’on fait beaucoup de plans quand on est enceinte et qu’on fait tout le contraire une fois qu’on est confrontée à la réalité… Je laisse donc mon instinct me guider comme je l’ai toujours fait ! Et je m’entoure de femmes bienveillantes pour partager et s’entraider dans ce moment décisif. Pour quand est prévu l’heureux événement ? Pour noël ! Le plus précieux cadeau !

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Ci-contre :

Nuisette en satin vert, ETAM. Page de gauche :

Haut de pyjama en satin rose et soutien-gorge transparent en dentelle verte, ETAM. Jean taille haute, ROUJE. Coiffure et maquillage : Giulia Cohen. Assistante stylisme : Lily Gray.


MODE

Gracie Abrams Révélée par ses pop-songs intimistes postées sur Instagram, la chanteuse californienne pointe le nez hors de sa chambre pour faire ses premiers pas dans la cour des grandes telles Lorde, Billie Eilish… Rencontre. PHOTOGRAPHIE LAUREN LEEKLEY STYLISME PERI ROSENZWEIG TEXTE NOÉMIE LECOQ



“Je ne peux pas séparer ma musique de mes opinions. C’est un tout qui reflète ma façon de penser.” Gracie Abrams Si la Covid-19 n’avait pas chamboulé le monde, Gracie Abrams aurait donné ses tout premiers concerts début 2020 – ce n’est que partie remise. En attendant de pouvoir monter sur scène, la jeune femme de 20 ans peaufine ses chansons et en invente de nouvelles, tout en continuant de se confier à son journal intime. Écrire l’aide à combattre ses inquiétudes, explique-t-elle. Quand on la retrouve sur Zoom, elle prouve d’emblée qu’elle n’a rien d’une diva nombriliste. Empathique et concernée par ce qui l’entoure, Gracie prend de nos nouvelles et s’intéresse à l’état de la France pendant cette crise. Dans sa musique et dans ses interviews, elle n’a jamais caché ses convictions. Ce trait qui lui vient peut-être de son éducation – son père est le célèbre réalisateur J.J. Abrams et sa mère, la productrice Katie McGrath, a été l’une des activistes à l’origine du mouvement Time’s Up. “Je ne peux pas séparer

ma musique de mes opinions, remarque Gracie. C’est un tout qui reflète ma façon de penser. Il ne faut pas avoir peur de parler de ce en quoi on croit. Je trouve ça très important.” Après avoir étudié pendant un an à New York, à la très sélecte université féminine Barnard College, Gracie a décidé de faire une pause dans ses études et de rentrer à L.A. Entre-temps, elle a signé chez une major pour sortir officiellement ses morceaux délicats. On a ainsi pu découvrir Stay, Mean It, 21 (produit par Joel Little, qui a collaboré aux deux albums de Lorde), ou encore la tendre ballade I Miss You, I’m Sorry. Auparavant, l’apprentiechanteuse postait ses compositions sur sa page Instagram en les filmant depuis sa tanière. Passionnée de musique depuis l’enfance, elle a écrit ses premiers morceaux quand elle était encore au lycée. Sa pop de chambre a ainsi conquis plus de 379k followers, dont

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Ci-contre :

Top bleu marine et noir en coton et soie orné de camélias, pantalon en denim et tweed, bob en éponge, minisac ceinture en cuir noir et blanc et minisac en cuir blanc, CHANEL. Page de gauche :

Pull-over en cachemire, pantalon en denim et tweed et mules en corde et métal, CHANEL. Page précédente :

Cardigan en coton, haut de maillot de bain en jersey, pantalon en denim et tweed, ceintures en métal et strass et minisac en cuir, CHANEL.


“Ce qui m’importe dans la mode, c’est ce qu’elle me fait ressentir, plus que l’effet visuel !” Gracie Abrams Billie Eilish et Lorde. Adoubement suprême : cette dernière lui a un jour envoyé un message privé lui demandant le mp3 de l’un de ces tubes en puissance. Gracie les admire toutes les deux, mais son modèle absolu n’est pas tout à fait de la même génération : “Joni Mitchell, que ma mère écoutait en permanence, a bercé mon enfance. En grandissant, j’ai commencé à écouter ses paroles attentivement et à sentir qu’elle était plus émotive que les autres artistes. J’ai alors compris que la musique pouvait être un exutoire incroyable et ça m’a donné envie de créer moi-même. J’aime sa simplicité, elle n’a besoin que de sa voix et d’un instrument. À mon tour, j’ai eu envie de composer à partir d’un piano ou d’une guitare, en construisant tout autour sans jamais perdre de vue ce noyau central. Pour moi, une chanson doit pouvoir fonctionner avec le strict minimum.”

Lorsqu’on lui parle de mode, elle cite aussi le style de cette légendaire chanteuse canadienne et pousse son analyse un peu plus loin. “Je vois passer des choses sur les réseaux sociaux qui peuvent m’inspirer ou m’interpeller. Il y a un an, je me sentais davantage intimidée, mais aujourd’hui j’ai pris confiance et j’ai surtout appris à m’accepter telle que je suis. Depuis mon année à New York, je vais vers des vêtements qui m’aident à être à l’aise et heureuse. Ce qui m’importe dans la mode, c’est ce qu’elle me fait ressentir, plus que l’effet visuel !” Cette victoire du fond sur la forme, que plusieurs figures de la pop moderne partagent, montre le dynamisme de cette nouvelle génération qui redonne confiance en l’avenir. Gracie se veut optimiste : “Beaucoup de gens de mon âge mesurent le pouvoir qu’ils ont de faire bouger les choses.” Demain leur appartient.

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Ci-contre :

Cardigan en coton, haut de maillot de bain en jersey, pantalon en coton, ceintures et boucles d’oreilles en métal et strass et bracelet en métal, CHANEL. Page de gauche:

Robe en coton et soie ornée de camélias et boucles d’oreilles en métal, perles et strass, CHANEL. Mise en beauté CHANEL Soin : Hydra Beauty Camellia Water Cream. Teint : Les Beiges Teint Belle Mine Naturelle Hydratation et Longue Tenue Beige 30. Sur les pommettes: Baume Essentiel Rosée. Sur les yeux: Les 4 Ombres Candeur et Provocation, Stylo Yeux Waterproof Romance, Mascara Le Volume Stretch de Chanel Noir. Sur les lèvres : Rouge Coco Flash Lust. Sur les mains: Le Vernis Égérie.

Coiffure: Sheridan Ward. Maquillage: Robert Ramsey. Assistant photo: Mike Margott.


MODE

Elisa Visari

À seulement 19 ans, la belle Italienne au petit air d’Ornella Muti est l’étoile montante du cinéma italien, le nouveau visage des créateurs et une influenceuse respectée avec pas moins de 110 000 followers.

PHOTOGRAPHIE SERGIO CORVACHO STYLISME VANESSA BELLUGEON

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Ci-contre,

Blouse et jupe en crêpe de soie et sandales lacées en velours, VALENTINO. Sac à dos en suède, MICHELE CHIOCCIOLINI. Page de gauche,

Robe en soie à col en coton et chaussures en cuir, MIU MIU. Chaussettes à plumetis, FALKE.

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MODE

Robe en coton, DESIGUAL. Sandales en cuir, MIU MIU. Sac en cuir et suède, MICHELE CHIOCCIOLINI. Bague en or et diamant, ELEONORA MANTINI.

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MODE

Robe en soie et chaussures en cuir, MIU MIU. Chaussettes à plumetis, FALKE. Bague en or et diamant, ELEONORA MANTINI. Assistante stylisme : Lily Gray

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Fendipedia

Au premier plan, Combinaison sans m coton à col torsadé,

“Il va être de plus en plus important de choisir ce que l’on va porter et de privilégier les vêtements conçus pour durer. Et polyvalents.” Silvia Venturini Fendi interprète le moment historique que nous vivons en lançant le projet Fendi Roma.

PHOTOGRAPHIE MATTEO STROCCHIA STYLISME SARAH VENTURINI TEXTE CRISTINA MANFREDI TRADUCTION HÉLÈNE GUILLON

Au second plan, Doudoune en tissu t de duvet d’oie, veste flanelle de laine et p laine, FENDI. Sneak technique et veau v


manches en jersey de FENDI.

technique rembourré e et pantalon en pull ras du cou en kers en tissu elours, FENDIFLOW.

Au premier plan :

Combinaison en jersey de coton à col torsadé. Au second plan :

Doudoune en tissu technique rembourré de duvet d’oie, veste et pantalon en flanelle de laine et pull ras du cou en laine. Sneakers Fendi Flow en tissu technique et veau velours. Le tout, FENDI.


C’est la question que toutes les maisons de mode devraient se poser chaque matin et qui, en temps de pandémie, exige des réponses encore plus cohérentes : quel sens cela a-t-il de faire de la mode en 2020 ? Les collections sont faites pour être vendues, portées, vécues dans le monde entier, mais qu’est-ce qui pousse aujourd’hui à acheter une pièce spéciale, un sac très chic, une bottine précieuse ? Fendi fait partie de ces marques qui se posent cette question depuis longtemps et qui démontrent, dans les faits, comment on peut

continuer à produire du luxe tout en étant en lien avec les peurs, les espoirs, les rêves et les besoins d’ici et maintenant. Cela vaut la peine de s’arrêter un instant et de regarder en arrière pour comprendre le pourquoi d’une collection comme Fendi Roma, qui vient de débarquer en boutiques avec Golden, une capsule composée de silhouettes marquées, de bustiers sculpturaux, de décolletés généreux et de doses abondantes de lurex. Le tout accompagné d’une série de bijoux portant le logo FF, inspirés des

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nuits effrontées et glamour des années 70 à New York, quand le beau monde se retrouvait au Studio 54. Et réchauffé par une collaboration avec la marque K-Way, où le coupe-vent iconique arbore le double F et, sur quelques modèles, une doublure en vison. Avec la moitié du monde enfermé à la maison entre quarantaine et confinement, qui donc va acheter les looks scintillants photographiés dans ces pages ? C’est Silvia Venturini Fendi, directrice de création, qui fournit


Page de gauche, au premier plan :

Pull et écharpe en laine Fendi Roma et pantalon en velours côtelé. Au second plan :

Veste et pantalon en satin de soie et bottes en cuir nappa. Ci-contre, au premier plan :

Sac en bois recouvert de cuir sérigraphié Fendi Roma. Pull col rond en mohair, robe bustier en dentelle chantilly brodée de perles e bottines en cuir à détails velcro. Au second plan :

Tailleur pantalon en flanelle de laine et sweat-shirt col rond en coton. Le tout, FENDI.


la réponse à partir d’un raisonnement qu’elle a développé avec une grande cohérence, de la grâce et de la sensibilité au cours de ces derniers mois si difficiles. “Nous sommes forcés, ou plutôt heureusement forcés, de revoir notre façon d’acheter, et je crois que ce sera la nouvelle attitude de notre monde. À partir de maintenant, il sera de plus en plus important de choisir judicieusement ce que l’on va porter, en privilégiant les vêtements conçus pour durer dans le temps, mais aussi polyvalents, afin d’offrir au client

la possibilité de transformer, par exemple, une veste en boléro en enlevant simplement la partie inférieure.” En janvier dernier, alors que seuls quelques échos signalant l’existence du virus de la Covid-19 nous parvenaient de Chine, dans les coulisses du défilé homme automne-hiver (dont on peut aujourd’hui retrouver les modèles en boutiques), Silvia Venturini Fendi racontait déjà à L’Officiel sa vision d’un vêtement masculin très élégant, sophistiqué, bien sûr, mais

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aussi parfaitement en phase avec l’engagement du monde de la mode sur le front de la durabilité. Puis ça a été le tour de la collection femme, dernier show bondé juste avant que la propagation de la contagion n’arrête l’Italie, puis le reste du monde. À ce moment-là, elle avait défendu l’approche d’un autre point central du débat actuel : l’autonomisation des femmes et le dépassement de certains canons de beauté stéréotypés. “Je me suis interrogée sur le type de femme que je voulais habiller : puissante, forte et


Page de gauche :

Serre-tête en velours. Page de droite :

Pull et écharpe en laine Fendi Roma. Pull col rond en mohair, minirobe bustier en dentelle chantilly frangée de perles et bordée. Pull col rond en mohair. Veste de tailleur en flanelle de laine et sweat-shirt col rond en coton Fendi Roma. Le tout, FENDI.

libre. J’ai exploré les vieux clichés, les vieux codes qui dictent le contenu des armoires féminines depuis des décennies, en opposition aux nouvelles règles, aux nouveaux codes contemporains”, a-t-elle expliqué, fière d’un casting de plus en plus inclusif pour mieux représenter les nombreux visages, tous légitimes, de la féminité. Après quoi sont arrivées la peur, la douleur, l’angoisse du premier confinement dont la maison Fendi était sortie, en septembre, avec un défilé poétique, intime, délicat.

“Quand je me suis mise au travail sur le défilé, parler de mode me semblait difficile, alors j’ai choisi de parler de la valeur de la mode, de ce qu’elle représente pour moi. Inévitablement, je me suis alors tournée vers le concept de la famille, car pour moi la famille est profondément liée à la mode”, a-t-elle déclaré. La mode est quelque chose de sérieux, une façon de se raconter soi-même, de raconter notre histoire.” En ce mois de décembre si anormal, quelle histoire pouvons-nous raconter, nous tous qui devons

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rester chez nous, limiter nos déplacements au maximum, éviter toute forme de rencontre avec nos amis et nos connaissances ? Pourquoi se glisser dans une petite robe brillante et sensuelle si c’est pour rester confinée dans notre salon ? Pour célébrer cette famille, pour se rappeler que la lumière revient toujours, même si le tunnel dans lequel nous sommes semble sans fin. Pour nous dire que l’on doit s’aimer, et comment mieux traduire cela qu’à travers un look qui nous fait un peu tourner la tête…


Une nouvelle lumière sur la ville de Bergame Les fibres optiques de Daniel Buren ont été présentées, pour la première fois dans un musée italien, à l’occasion de l’exposition “Illuminare lo spazio (lavori in situ e situati)” organisée par la Galleria d’Arte Moderna e Contemporanea de Bergame (GAMeC) dont le commissaire est Lorenzo Giusti. Et ce sont elles qui ont redéfini l’espace du Palazzo della Ragione

à Bergame, autrefois destiné à l’administration et à l’exercice de la justice de la ville, en portant une “lumière nouvelle” sur le palais, sur les précieuses fresques qui y sont conservées et, enfin et surtout, sur la collection de la capsule Golden de Fendi (à l’occasion du shooting présenté dans ces pages). Le projet pour la ville de Bergame est né de la rencontre entre un ensemble d’œuvres in situ, conçues spécifiquement pour l’espace de la Sala delle Capriate, et une série d’œuvres “situées”, c’est-à-dire

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adaptées aux espaces de la grande salle mais transférables à d’autres environnements. L’exposition, qui a connu un succès mérité, a été visitée par plus de 50 000 personnes. Elle a également une valeur symbolique car elle apparaît comme un signe de renaissance pour Bergame, l’une des villes les plus touchées par la pandémie. Le prochain artiste appelé à réaliser une intervention spécifique pour la Sala delle Capriate sera Ernesto Neto, à l’été 2021. gamec.it


Ci-contre :

Combinaison en jersey de coton à col torsadé, bottines en cuir à détails velcro et malle de voyage en bois, cuir et métal Fendi Roma. Page de gauche, au premier plan :

Sweat-shirt à col rond en coton Fendi Roma et pantalon en flanelle de laine. Au second plan :

T-shirt à col rond en jersey de coton Fendi Roma, jupe plissée en flanelle de laine, serre-tête en velours et bottines en cuir à détails velcro. Le tout, FENDI. Coiffure : Giovanni Iovino Maquillage : Anna Maria Negri Assistant photo : Marco Servina Assistantes stylisme : Nadia Lametta et Claudia Chiarolanza Remerciements à GAMeC Bergame, Lara Facco Press & Claudia Santrolli


A.G. Cook Fondateur de PC Music, bras droit de Charli XCX et producteur très demandé, le musicien fait souffler un vent de fraîcheur sur l’électro-pop. Portrait d’un surdoué qui vient de sortir deux albums. PHOTOGRAPHIE LINDSAY ELLARY CASTING JENNIFER EYMÈRE STYLISME PERI ROSENZWEIG INTERVIEW NOÉMIE LECOQ


MODE


“Je n’ai pas participé à beaucoup de shootings dans ma vie, mais je trouve ça très fun. Quel paradoxe génial de porter du Louis Vuitton en plein milieu d’une ferme !” A.G. Cook

Quelques jours après sa séance photo pour L’Officiel, A.G. Cook nous retrouve sur Zoom, confinement oblige, pour nous livrer ses impressions. “On s’est bien amusés ! Ici, dans le Montana, on vit entouré de paysages à couper le souffle, donc on avait l’embarras du choix pour les lieux des photos. L’équipe est arrivée un jour où la neige commençait à tomber et c’était plutôt marrant de poser dans des vêtements printaniers alors que les températures extérieures étaient glaciales. Entre deux sessions, on avait évidemment des manteaux épais pour se réchauffer. J’ai bien aimé les coloris et l’inspiration camouflage. Je n’ai pas participé à beaucoup de shootings dans ma vie, mais je trouve ça très fun. Quel paradoxe génial de porter du Louis Vuitton en plein milieu d’une ferme !”

Le musicien et producteur n’est pas originaire de cette région rurale du nord-ouest américain, comme l’indique son accent anglais distingué. Né et élevé à Londres, A.G. (initiales d’Alexander Guy) Cook a vécu ces derniers temps à Los Angeles avec sa petite amie, la chanteuse Alaska Reid. Début 2020, juste avant la déferlante du coronavirus, ils décident de rejoindre la famille de celle-ci dans le Montana pour s’y installer – l’État, à très faible densité de population, s’avère idéal pour un confinement au grand air. Contrairement à d’autres artistes qui rechignent à développer leurs pensées, ce trentenaire jovial nous explique volontiers son rapport à sa propre image : “J’ai toujours aimé jouer avec. Mon look a été décrit par le terme ‘normcore’. Ça m’amuse de

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Ci-contre et page de gauche :

Pull à col rond imprimé Monogram et harnais en soie, LOUIS VUITTON. Double-page d’ouverture :

Chemise et pantalon en denim imprimé et derbies imprimé Monogram LV Black Ice Graphite, LOUIS VUITTON.


Ci-dessus :

Veste en cuir, chemise en soie, pantalon élastique et sac Mini Soft Trunk, LOUIS VUITTON. Gants, perso. Page de droite :

Veste en cuir imprimé Monogram, chemise en soie imprimée, pantalon élastique, ceinture et boots Chelsea, LOUIS VUITTON.

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“Ce shooting était l’occasion pour moi de faire un acte complètement banal, celui de se faire prendre en photo, et en même temps un brin subversif, car je ne suis pas mannequin. Quand je me suis mis à écouter de la musique, j’étais fasciné par des artistes comme Daft Punk, Gorillaz et Kraftwerk, qui ont une esthétique très forte et jouent avec les faux-semblants.” A.G. Cook

détourner les codes, de porter toujours les mêmes lunettes, d’avoir un look de nerd chic British. Ça crée des associations d’idées en décalage avec ma musique. Ce shooting était l’occasion pour moi de faire un acte complètement banal, celui de se faire prendre en photo, et en même temps un brin subversif, car je ne suis pas mannequin. Quand je me suis mis à écouter de la musique, j’étais fasciné par des artistes comme Daft Punk, Gorillaz et Kraftwerk, qui ont une esthétique très forte et jouent avec les faux-semblants.” Autre lien intime avec la mode : sa musique a déjà été utilisée lors de différents défilés, notamment en 2015 pour une collection croisière de Chanel. “La mode m’intéresse, en particulier le côté visuel et les passerelles possibles avec la musique, confie-t-il. C’est un monde intriguant, un peu intimidant aussi, avec tout l’aspect métaphorique des tissus, l’impact sur le public, les tendances qui se succèdent… J’aime bien les débats sans fin sur ce qui est rétro ou pas, novateur ou pas, toutes ces étiquettes que je trouve assez drôles. J’ai du mal à suivre tout ça, mais j’admire les gens qui parviennent à décrypter les codes de la mode.” Chambouler les règles : ce credo ambitieux résume bien l’effet de PC Music sur les musiques électroniques depuis sa création en 2013. Avant de fonder ce label, A.G. Cook a suivi des études de musique à la prestigieuse université londonienne de Goldsmiths, réputée pour son enseignement artistique – Mary Quant, Malcolm McLaren, Lucian Freud, Damien Hirst, John Cale, ou encore James Blake figurent sur la liste scintillante des anciens élèves. Fils d’un célèbre couple d’architectes (sir Peter Cook et Yael Reisner), l’Anglais se passionne d’abord pour l’informatique et les logiciels, avant d’accueillir la musique parmi ses obsessions. À ses débuts, il imagine une musique créée sans aucun instrument, uniquement à l’aide d’un ordinateur. “C’était juste une phase, un défi personnel”, sourit-il aujourd’hui. Sons futuristes, voix distordues à l’extrême, regard ironique sur le star-system : le style A.G. Cook ne passe pas inaperçu. Pour

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ces sonorités audacieuses, PC Music a parfois divisé l’opinion. De nombreux artistes y adhèrent et rejoignent l’écurie, de Danny L Harle à Hannah Diamond, en passant par Tommy Cash, EasyFun et GFOTY. Cette griffe très particulière en impressionne plus d’un : A.G. Cook a ainsi fait équipe avec Sophie, Oneohtrix Point Never, Caroline Polachek, ou tout récemment avec Jónsi et Oklou. L’une de ses collègues les plus fidèles reste Charli XCX ; depuis 2017, leur association a fait des étincelles sur deux mixtapes (Number 1 Angel et Pop 2) et deux albums (Charli et How I’m Feeling Now), pour lesquels A.G. a été producteur et co-compositeur. Il tient également le rôle officiel de directeur créatif de la pop-star anglaise. “J’adore les collaborations où la personnalité de l’artiste ressort clairement, analyse A.G., quand on sent le charisme ou la touche personnelle derrière.” Après avoir longtemps œuvré dans l’ombre des studios, A.G. Cook a été sous les projecteurs en 2020, une année importante pour plusieurs raisons : il a fêté ses 30 ans cet été et il a également sorti deux albums sous son propre nom, 7G et Apple, lançant ainsi sa carrière d’artiste solo. Pourtant, ne pas croire que ces deux œuvres ont été conçues en totale autarcie : on note au générique plusieurs membres de la tribu PC Music. De plus, A.G. s’est autorisé une nouvelle liberté, impensable à ses débuts : chacun des sept disques de 7G a été conçu autour d’un instrument de musique (batterie, guitare, piano, ou encore spoken word et “voix extrêmes”). “J’avais prévu de préparer un album solo, mais le confinement m’a donné envie d’aller encore plus loin et de composer davantage. De toute façon, je n’ai jamais eu pour projet de partir en tournée – rester en studio me convient parfaitement. J’ai vécu une période étrange, à la fois oppressante, à cause de tout ce qui se passait dans le monde, et créative, à inventer une musique tournée vers l’évasion.” On remercie ce visionnaire d’avoir réussi, pendant cette année sombre, à nous ouvrir des fenêtres vers un ailleurs fabuleux grâce à sa pop panoramique. Albums 7G et Apple d’A.G. Cook (PC Music), disponibles.


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Pantalon imprimĂŠ tapisserie, LOUIS VUITTON. T-shirt et gants, perso.


LIFESTYLE

La vie rêvée d’India Hicks L’auteure et décoratrice d’intérieur, membre de la royauté britannique, vivant entre Londres et les Bahamas, infuse une sacrée dose de bohème cool à la vie. PAR MAUD GABRIELSON

Sur son compte Instagram, qui culmine à plus de 235 000 abonnés, India Hicks donne à voir quelques instants de sa vie, que l’on dirait tout droit sortis d’un conte de fées moderne : un époustouflant voyage en Islande, de spectaculaires vues de la campagne anglaise, ses balades au clair de lune sur l’une des plages de Harbour Island, aux Bahamas, où elle vit une partie de l’année depuis près de vingt-cinq ans, ses séances de yoga sur la pelouse de sa maison face à l’océan avec ses deux chiens Banger et Bond, un portrait de sa grandmère signé Salvador Dali, ou encore les grandes tablées richement décorées qu’elle imagine pour recevoir ses nombreux amis et sa famille. C’est de cela que parle son nouvel ouvrage India Hicks: An Entertaining Story (éditions Rizzoli). Elle y explique comment se transformer en hôtesse de maison hors pair. Et, en parfaite femme du monde, l’ouvrage débute par une ode à l’apéritif, recettes de cocktails à l’appui, avant d’enchaîner sur le dîner, le déjeuner, les pique-niques festifs, l’incontournable

tea time, les gâteaux d’anniversaires ou de célébrations, avant de terminer par le petit déjeuner. Anglais, évidemment. “L’idée était de donner des idées, j’espère pertinentes, sur la façon d’organiser de parfaits moments pour ses invités. Les repas ont toujours été pour moi des instants joyeux, une façon de se rapprocher de ses amis et de sa famille”, nous expliquet-elle. Si elle confesse être une très mauvaise cuisinière, India Hicks rattrape cette lacune en partageant ses talents de décoratrice bohème et chic. Ses deux précédents livres, A Slice of England et Island Style, soulignaient déjà ces derniers, à travers ses maisons dans l’Oxfordshire, à l’ouest de Londres, et celle de Harbour Island. Il faut dire que les soirées fastueuses et les grandes maisons magnifiquement mises en lumière n’ont aucun secret pour elle. Un arbre généalogique royal À 53 ans, cette grande blonde élégante est en effet positionnée à la 678e place dans l’ordre de succession 92


Photo India Hicks Collection

Lady Pamela Hicks, fille du dernier vice-roi des Indes Louis Mounbatten, avec sa petite-fille Domino Carmen Flint Wood et sa fille India Hicks.


LIFESTYLE

“L’idée était de donner des idées, j’espère pertinentes, sur la façon d’organiser de parfaits moments pour ses invités. Les repas ont toujours été pour moi des instants joyeux, une façon de se rapprocher de ses amis et de sa famille.” India Hicks

au trône britannique. Petite-fille de lord Louis Mountbatten, dernier vice-roi des Indes britanniques et oncle du prince Philip, elle est la filleule du prince Charles. Son père, David Hicks, décédé en 1998, fut quant à lui un décorateur d’intérieur réputé, qui marqua profondément les années 70 par son style flamboyant et haut en couleur. “Mon enfance a été en tout point très britannique, s’amuse-t-elle. Nous prenions le thé tous les après-midi, sans exception.” Dès son plus jeune âge, elle est envoyée, comme ses frères et sœurs, dans un pensionnat huppé, modèle classique d’éducation de la haute société anglaise : “Dans le nord de l’Écosse, il faisait tellement froid ! Mais j’en garde des souvenirs merveilleux.” Très proche de son grand-père maternel, elle passe tous ses étés à ses côtés, dans sa maison de Mullaghmore, petit village de la côte nord-ouest d’Irlande. C’est là, à bord de son bateau de pêche Shadow V qu’il sera assassiné, en août 1979, lors d’un attentat à l’explosif perpétré par l’Armée républicaine irlandaise. C’est la première fois que la famille royale britannique est ainsi visée par l’IRA. Un événement que la nouvelle saison de la série The Crown (voir encadré) relate. “J’aime beaucoup la série, c’est une plongée dans l’histoire de mon pays et de ma famille qui est très intéressante, même s’il y a une grande part de dramatisation. En revanche, je n’ai pas regardé l’épisode dans lequel il est question de la mort de mon grand-père. J’étais là, ce jour-là, j’avais 11 ans. Je n’ai pas besoin de revivre ce moment traumatisant.” Sa mère, âgée aujourd’hui de 91 ans, n’a quant à elle pas vu la série : “Elle n’en ressent pas le besoin, elle a déjà vécu

tout ce qui se passe à l’écran !”, détaille India Hicks. Lady Pamela Mountbatten Hicks, qui fut l’une des dames de compagnie de la reine Elisabeth II dans les années 50, fut également l’une de ses demoiselles d’honneur lors de son mariage avec le prince Philip en 1947. Une tradition familiale puisqu’India Hicks fut celle de lady Diana lors de son mariage avec le prince Charles, en 1981 – elle avait alors 13 ans. “Je garde de cette journée un fantastique souvenir. J’étais très nerveuse, je me souviens de la foule immense et surtout de la joie partagée par tout le monde.” Une vie de famille accomplie Après avoir étudié l’histoire de l’art, à Londres, India Hicks s’installe aux États-Unis et y décroche un diplôme à la prestigieuse New England School of Photography de Boston. Repérée par Ralph Lauren, elle entame alors une brève carrière de mannequin – elle fut notamment mannequin cabine pour Yves Saint Laurent – avant de rencontrer son compagnon, David Flint Wood, publicitaire devenu décorateur d’intérieur, et de s’installer avec lui aux Bahamas. “Vivre sur une île est une véritable aventure, je rencontre plein de personnalités différentes, des gens que je n’aurais jamais croisés ailleurs”, s’enthousiasme-t-elle. C’est dans cette enclave privilégiée du bout du monde que le couple élève ses cinq enfants, aujourd’hui âgés de 23 à 12 ans. Quatre garçons et une fille dont l’aîné, Wesley, est adopté – sa mère, amie de la famille, étant décédée d’un cancer il y a plusieurs années. Et quand elle n’est pas occupée à prendre soin 94


Photos India Hicks, Brittan Goetz, Paola Wells


LIFESTYLE

Lady Pamela Hicks et son mari David Nightingale Hicks en compagnie de leurs trois enfants, Edwina, Ashley et India.

David Flint Wood, mari d’India Hicks, entouré de leurs enfants, Domino Carmen, Felix, Amory, Conrad et Wesley.

“J’aime beaucoup la série, c’est une plongée dans l’histoire de mon pays et de ma famille qui est très intéressante, même s’il y a une grande part de dramatisation.”

des siens et à gérer ses différentes activités – décoration de maisons sur l’île, création d’une ligne de produits de beauté ou de linge de maison… –, India s’intéresse de près à l’histoire de sa famille. L’an dernier, elle a en effet lancé un podcast de conversations avec sa mère, cette dernière évoquant au micro ses souvenirs : son adolescence en Inde, le mariage de la reine Elisabeth, ses rencontres avec Gandhi et Grace Kelly… “Je postais de temps en temps des petites vidéos de ma mère sur Instagram. Les gens en redemandaient, j’ai donc voulu prolonger la conversation à travers un podcast. Le plus difficile a été de la convaincre, mais quand elle a compris qu’il s’agissait seulement d’une conversation entre nous, elle a accepté. Elle a 91 ans,

c’est important pour moi de pouvoir documenter sa vie.” Impliquée auprès de différentes œuvres de charité, India Hicks a mis en place, il y a quelques mois, une distribution de nourriture sur son île. “Nous vivons dans une partie du monde magique, mais qui est régulièrement la cible d’ouragans. De plus, avec la crise du coronavirus, la situation s’est aggravée pour certains des habitants. C’est important pour moi de pouvoir apporter mon aide.” Elle s’apprête également à rejoindre The Prince’s Trust, la fondation caritative du prince Charles. Une vie rêvée, mais également au service de celle des autres. An Entertaining Story, par India Hicks, préfacé par Brooke Shields (éditions Rizzoli). 96

Photos India Hicks Collection, Netflix 2020, DR

India Hicks


Emma Corrin alias lady Diana dans la nouvelle saison de The Crown, sur Netflix.

The Crown, une saison sous haute tension “Change is coming”, c’est ainsi que Netflix annonce la saison 4 de sa série historique sur la famille royale d’Angleterre. Dévoilée mondialement le 15 novembre, cette dernière réunit tous les ingrédients qui ont fait son succès : intrigues de palais, retour sur des moments historiques, histoires d’amour tourmentées, jeux de pouvoir… Prenant place à la fin des années 70 et se prolongeant jusqu’au début des années 90, cette saison voit apparaître de nouveaux personnages très attendus comme lady Diana Spencer, interprétée par la jeune Emma Corrin, ou encore Margaret Thatcher, jouée par une Gillian Anderson bluffante de vérité. Au programme, la réalité du mariage du prince Charles, les évènements historiques ayant chahuté l’Angleterre des années 80 ou encore la placidité de la reine Elisabeth II que rien ne semble ébranler, le tout servi par des décors, une bande-son et des costumes d’époques toujours très à propos. MG



LIFESTYLE

Un homme de goût Rencontre à Monaco avec Riccardo Giraudi, fondateur de Beefbar, entre autres concepts culinaires qu’il essaime à travers le monde. RÉALISATION VANESSA BELLUGEON PHOTOS SERGIO CORVACHO PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE AMBROISE

L’Officiel : Quelle était votre vie avant de monter tous ces restaurants ? R.G. : Ma vie était très simple. J’ai fini mes études de finance et marketing à Londres il y a vingt ans. Lorsque je me suis mis à chercher un job, chose pas si simple pour quelqu’un qui préférait le marketing à la finance et dont le rêve n’était pas de rentrer chez Goldman Sachs comme tout le monde à l’époque, j’ai intégré la première société de presse et de relations publiques spécialisée dans les restaurants. On était deux, ma boss et moi. Je travaillais pour des restaurants très lifestyle comme Hakkasan ou Momo’s, et c’est de cette façon que j’ai commencé dans la restauration. Après plus d’un an, je suis rentré pour gérer les affaires familiales. Et là, mon travail était essentiellement financier. Alors j’ai décidé d’importer ces viandes de luxe très rares et de leur trouver un écrin pour les faire goûter. Ainsi est né Beefbar. Avec mon expérience à Londres, j’ai su rendre la viande plus tendance qu’elle ne l’était. Cette proposition n’existait pas à Monaco où se côtoyait uniquement des étoilés Michelin ou des trattorias. La clientèle étant là, je me suis donc lancé. Quel est le concept de Beefbar ? Il a beaucoup évolué depuis ses débuts. Beefbar est un endroit chic qui propose de la country food.

Je pense qu’aujourd’hui on préfère payer cent euros pour manger un incroyable kebab de Kobe que pour un chapon rôti à la truffe. Si on devait comparer Beefbar à un style, je dirais qu’on est plutôt le sac à dos Prada ou la sneaker Chanel que le smoking Valentino. J’ai voulu m’éloigner de la gastronomie avec ce restaurant, je ne suis ni chef ni cuisiner, je suis un chef d’orchestre qui propose des lieux avec un art de vivre et où tout est une question de détails. Vous maîtrisez l’art de recevoir à la perfection, tous vos restaurants, comme le célèbre Anahi, sont superbement décorés et vos cartes font plus que saliver. C’est votre signature ? On joue sur les contrastes. Le goût du détail, des produits décalés et d’extrême qualité, mais à connotation populaire. On propose évidemment un steak-purée, mais pas que… Quel serait votre plan de table rêvé ? Je voulais être pianiste, mais n’étant pas assez doué et n’ayant pas assez de temps à consacrer au piano, j’ai arrêté. Quoi que vous fassiez, il faut faire partie des dix meilleurs au monde, sinon c’est comme si vous n’existiez pas. Étant donc mélomane, mon plan de table rêvé compterait Mozart, Chopin, Rachmaninov et Beethoven. 99


LIFESTYLE

Quels sont les éléments clés d’un dîner réussi ? Il n’y a pas de règles. C’est une question d’ambiance, d’énergie du moment, d’alchimie qui doit fonctionner entre le lieu, les convives et le service. Vous avez reçu L’Officiel à Monaco, ce Rocher mythique où vous avez grandi. Quel rôle a joué celui-ci dans votre réussite ? Sans Monaco, je n’en serais pas du tout là parce que ce Rocher est un monde de contacts où les plus grandes personnalités se retrouvent. Pour pouvoir faire grandir une marque, il faut non seulement des clients, mais également des investisseurs, et Monaco fait rêver. C’est aussi une sorte de laboratoire dans la mesure où si on réussit ici, on a beaucoup plus de chance de réussir ailleurs. À Monaco, il y a une clientèle hyper-exigeante, gâtée et riche, mais ce n’est qu’une partie de la population. Pour qu’un restaurant marche, il doit fonctionner 365 jours par an, midi et soir. Il faut savoir s’adapter autant à un touriste qu’à un homme d’affaires, placer chacun avec tact, ne pas mettre la femme et la maîtresse du mari côte à côte. Grâce à Monaco, j’ai compris mieux que d’autres comment m’occuper de ces gens-là puisque je les côtoie. L’identité de vos restaurants est très travaillée, avec qui collaborez-vous ? J’ai commencé avec Emil et Christophe, les fondateurs du cabinet d’architectes Humbert & Poyet. On a grandi ensemble et on s’est aidé mutuellement dès nos débuts.

Après, tout ce qui concerne le choix des assiettes, les tenues des serveurs et les recettes, c’est moi qui gère. Vous avez des ouvertures prévues dans le monde entier, pouvez-vous nous en toucher quelques mots ? Beaucoup de mes projets sont orientés sur Beefbar avec des ouvertures à Porto Cervo, au Qatar, à New York, Milan et Rome. Je développe également d’autres marques, avec des concepts accessibles. J’aime ne pas travailler que dans le luxe. Et vous n’avez rien de prévu à Paris ? Si, j’ai signé un deal avec le Relais de Paris, on va faire également des Relais Beefbar avec une carte plus réduite et des prix plus abordables. Ils seront beaucoup moins “soir”. Homme de goût, la mode vous intéresse-t-elle ? À 44 ans, je suis beaucoup moins addict. Tous mes copains, comme Alexandre Mattiussi d’AMI, sont des créateurs de mode ou travaillent dans la mode, je leur laisse cet univers. Quel conseil donneriez-vous à un jeune entrepreneur qui voudrait se lancer comme vous ? Si c’est pour gagner de l’argent, mieux vaut renoncer. Un restaurant qui marche très bien rapporte relativement peu. Et un restaurant qui ne marche pas bien perd beaucoup. Pour faire mon métier, il faut aimer servir et surtout aimer les autres.

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BE WELL À la recherche du temps perdu Après une année émotionnelle chaotique, 2021 cristallise l’espoir et l’envie de découvertes, en beauté comme ailleurs. On renoue avec délice avec les protocoles de soin et les routines délaissés durant nos longs mois abonnés au homewear et au no make-up : l’occasion de découvrir les écrins des rouges à lèvres Hermès, la rencontre au sommet du soin et de la couleur glossy par Clarins, la fragrance placée sous le signe de l’empowerment par Mugler ainsi que la collection de maquillage Holiday 2020 d’Yves Saint Laurent Beauté aux parures exotiques. Et puisque l’hiver est aussi propice au self care, le moment est également venu de se créer un cocon douillet avec la nouvelle huile de soin d’Augustinus Bader ou de concocter les recettes gourmandes et healthy du docteur Courtin-Clarins, tout en intégrant le CBD à sa routine bien-être. Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

La vie en rose Photo DR

Hermès enrichit sa ligne de maquillage de trois nouvelles teintes de rouge à lèvres aux étuis rechargeables multicolores.

Inutile d’investir dans du make-up à l’heure des masques obligatoires, martèlent les beautistas pessimistes. La maison Hermès prend le contre-pied de ce constat défaitiste, et insuffle une dose nécessaire de couleur dans nos journées d’hiver chamboulées. La marque dévoile trois nouvelles teintes de rouges à lèvres en édition limitée, qui viennent enrichir

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sa gamme maquillage commercialisée en début d’année. Trois tons de rose lumineux – Pommette, Ombré et Nuit – qui réveillent nos teints assoupis par les premiers frimas et le confinement, lovés dans des écrins colorés rechargeables et interchangeables à l’envi. Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

Beauté féline La maison Yves Saint Laurent célèbre l’imprimé fauve, inspiration éternelle de son fondateur. Quoi de mieux qu’un hommage enflammé à l’imprimé iconique d’Yves Saint Laurent pour égayer cette fin d’année chamboulée ? La Holiday Collection d’Yves Saint Laurent Beauté réinterprète le léopard, symbole sensuel mis à l’honneur par le couturier dans sa collection automne-hiver 1982/83, et célébré à de nombreuses occasions par la marque depuis. Associé au cassandre emblématique de la maison YSL, le motif sauvage est au cœur de la campagne Holiday 2020 incarnée par Kaia Gerber et mise en images par David Sims. Coup de cœur assuré pour la palette d’ombres à paupières Holiday 2020 Couture Colour Clutch, accessoire à part entière qu’on a plaisir à transporter partout, mais aussi pour le fond de teint Cushion Encre de Peau à l’habillage pailleté ainsi que pour les rouges à lèvres Rouge Volupté Shine aux parures exotiques, qui nous redonnent envie de colorer nos lèvres masquées depuis trop longtemps.

Photo David Sims

Par Mélanie Mendelewitsch

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BE WELL

Éclat d’hiver

Photo DR

Accord parfait du soin et de la couleur, cette huile à lèvres est l’alliée idéale de nos routines make-up de la saison. Colorer sans dessécher ? Clarins relève le défi, et résout le sempiternel dilemme auquel les accros à la couleur vive font souvent face.

Ce produit hybride à la croisée du soin et du maquillage, composé d’un puissant trio d’huiles bio nourrissantes (noisette, jojoba et canneberge), régénère les lèvres les plus fragilisées et vient à bout des gerçures causées par les changements de températures. Disponible en huit teintes, du nude au rouge intense, cet

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élixir à la brillance miroir repulpe les lèvres et garantit une adhérence longue durée, à l’inverse des gloss dont il faut se badigeonner la bouche toutes les demi-heures.

Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

Must-have

Photo DR

À l’occasion de la sortie de son nouveau soin, le professeur Augustinus Bader, leader mondial de la biomédecine et de la recherche sur les cellules-souches, se confie sur le succès de sa marque. En quelques années seulement, vos crèmes sont entrées au panthéon des hits beauté. Comment expliquez-vous cette cela ? De nombreux soins hydratent la peau, mais ce qui fait la différence, c’est que nos crèmes sont capables de déclencher le processus de réparation des cellules-souches. C’est le résultat de trente années de recherche médicale, et c’est ce qui fait notre succès. Votre marque prônait jusqu’ici une routine beauté assez minimaliste. Qu’est-ce qui vous a décidé à lancer votre huile ? Nous voulions offrir à nos consommateurs une troisième option en matière de soin, après le lancement de notre crème et de notre crème riche. Un moyen de permettre à chacun de choisir la texture qui convient le mieux à son type de peau. Ces trois produits contiennent tous notre actif phare, le TFC8®, qui garantit des résultats visibles. Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui craignent d’utiliser des huiles, en particulier la journée ? Notre Face Oil est à la fois nourrissante et ultralégère. Elle est absorbée rapidement par la peau mais y adhère longtemps. Elle hydrate la peau dès l’application mais permet également de retenir l’hydratation tout au long de la journée, le tout sans résidus gras. Étant donné qu’elle ne contient aucun ingrédient agressif ni aucun allergène, elle ne présente aucun risque d’irritation et a été pensée pour convenir à tous les types de peaux. Je conseille de la combiner avec nos autres soins, en la mélangeant à nos crèmes ou en appliquant quelques gouttes sur les volumes du visage après le maquillage pour un coup d’éclat instantané. La cosmétique biomédicale connaît un véritable engouement, et on assiste à une demande de plus en plus exigeante quant au contenu des produits appliqués au quotidien. Pensez-vous que la science

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constitue l’avenir de la beauté ? L’attention des consommateurs se porte désormais plus sur les arguments scientifiques et sur l’efficacité des marques que sur le marketing qui les entoure, et les promesses irréalistes que certaines ont pu faire dans le passé. Plus les consommateurs s’éduquent sur le skincare, plus ils deviennent conscients des effets réels des produits qu’ils utilisent. La connaissance scientifique ne peut qu’enrichir le champ du skincare, en donnant naissance à des produits plus performants et plus sûrs. Pourquoi n’avez-vous pas encore élaboré de sérum ? Nous ne souhaitons commercialiser que des produits qui amènent des solutions à des problématiques concrètes. Le rôle de notre Face Cream était de trouver une solution pour traiter les ridules, l’inflammation, le manque d’élasticité ainsi que la rosacée et l’acné. Nos clients nous ont ensuite fait part de leur désir d’étendre ces propriétés à la peau du corps, et nous avons ainsi créé notre Body Cream qui atténue la cellulite et les vergetures. L’efficacité prouvée est pour nous une condition sine qua none dès lors qu’il s’agit de lancer un nouveau produit. Nos soins doivent apporter quelque chose de plus que ceux disponibles sur le marché. Dans quelle mesure vos années de recherche médicales vous ont-elles permis de créer votre actif exclusif, le TFC8 ? Bien que ma ligne cosmétique constitue un processus totalement différent de mes études médicales, on y retrouve un même pilier qu’est l’autoguérison des cellules cutanées grâce à un cocktail de vitamines puissantes, d’acides aminés et d’ingrédients qui réagissent une fois en contact avec la peau, quel que soit l’âge. Quelles sont les erreurs les plus fréquentes en matière d’anti-âge ? Celle de ne pas prendre en compte que le skincare ne doit pas se cantonner seulement à la peau. La peau est un tissu, un organe qui requiert beaucoup de soins. Elle est soumise à la fois à un processus de vieillissement interne, mais aussi à des facteurs de stress externes. La clef est de comprendre qu’une belle peau est avant tout une peau en bonne santé. Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

Move on !

Photo DR

Mango lance Active, sa collection de vêtements sportifs. Une gamme adaptée à la pratique de diverses disciplines, idéale pour garder la forme cet hiver. Sous le nom de The Wellbeing Community se cache la dernière campagne initiée par Mango qui promeut les valeurs liées à l’idée de communauté, à l’unité par le partage, en générant des conversations entre ses membres. Le but ? Cultiver le bien-être

physique et mental de chacun. Cette initiative prend la forme d’une série de cours et de conférences en direct sur la page Instagram de Mango, couvrant différentes disciplines et sujets avec un thème commun : le bien-être. Depuis les quatre coins du monde, les plus grands studios de yoga et de méditation partageront leurs connaissances avec l’ensemble de la communauté Mango. Danse et yoga depuis Madrid, sound bath depuis Paris, méditation depuis Londres ou coaching émotionnel depuis Los Angeles : Mango offre à ses membres la possibilité d’opérer un tour du monde du bien-être.

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Afin de pratiquer au mieux toutes ces disciplines, la marque de prêt-à-porter a créé une ligne de vêtements et accessoires inspirée du fitness. Cette collection, Active, comprend leggings, shorts, tops, crop tops à manches longues, bodies, sweat-shirts ou encore combinaisons de différentes couleurs et divers motifs. Du côté des accessoires indispensables à la bonne pratique de chaque activité, on trouve des tapis et des sacs de yoga, des ceintures porte-monnaie, des chaussettes et des baskets. Par Pauline Borgogno


BE WELL

Top chef

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Ludique et accessible, le livre Belle dans mes recettes nous réconcilie avec le plaisir de manger et fournit toutes les clés pour une alimentation équilibrée. (Re)confinement oblige, même les plus réfractaires aux fourneaux se découvrent une vocation de cordon-bleu. Cet isolement forcé constitue le moment idéal pour se plonger dans le livre d’Olivier Courtin-Clarins paru cette année.

Un recueil ludique de 48 recettes healthy et adaptées à tous les niveaux, y compris les débutants et les abonnés aux Deliveroo cinq soirs par semaine. Tarte aux champignons de saison, omelette aux truffes ou lentilles béluga aux Saint-Jacques : il y en a pour tous, des amoureux des produits de la mer aux végétariens. Son point fort ? Un programme zéro frustration, notamment grâce aux directives permettant de reproduire les meilleurs desserts “raisonnés” dans sa cuisine – mention spéciale à la célèbre tarte soufflée au chocolat-framboise de

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Pierre Hermé, délice sans lactose ni ingrédients d’origine animale. Un ouvrage malin qui joint l’utile au délicieux en favorisant les circuits courts et en évitant le gaspillage. Et puisque la santé de la peau passe avant tout par le contenu de nos assiettes, on y trouve également des tips utiles pour gagner en éclat à chaque changement de saison. Belle dans mes recettes, par le docteur Olivier Courtin-Clarins (éditions du Cherche-Midi), 20 euros. Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

CBD mania

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Véritable phénomène de société, cet or vert issu du cannabis s’étend aux mondes de la beauté et au bien-être. On a tout entendu, ou presque, sur le CBD – ou cannabidiol –, molécule présente dans le cannabis. Utilisée depuis plus de deux millénaires pour ses vertus thérapeutiques, l’huile extraite de la plante de cannabis permet, entre autres, d’apaiser le système nerveux, les nausées, les inflammations… l’effet psychotrope d’un joint en moins. Argument marketing ou

véritable révolution ? La réponse se situe quelque part entre les deux. Célébré à l’unisson par l’industrie de la beauté et du bien-être, le chanvre s’est hissé en quelques mois au panthéon des actifs incontournables de toute beautista qui se respecte, au point même de devenir la clé de voûte de certaines jeunes marques émergentes. Parmi elles, Ho Karan, maison experte du cannabis breton fondée par Laure Bouguen, prêtresse ès CBD : “Ses bienfaits pour la peau sont très nombreux. C’est un antioxydant puissant qui ralentit le vieillissement cellulaire, et convient aussi aux peaux à imperfections du fait de

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ses propriétés anti-inflammatoires avérées. En favorisant l’endormissement et le sommeil, il contribue aussi à la régénération de la peau. La magie de cette molécule, c’est qu’on peut aussi bien l’utiliser à l’intérieur qu’à l’extérieur pour maximiser ses effets !” Envie de s’initier en douceur ? On remplace son eau gazeuse par Chilled, eau de source autrichienne infusée d’hibiscus blanc du Sénégal, sans sucres ni édulcorants, et corsé de 15 mg de CBD par cannette (photogénique et recyclable).

Par Mélanie Mendelewitsch


BE WELL

Super Nova Visage du dernier parfum Angel Nova de Mugler et top engagé dans l’accès à l’éducation scolaire des jeunes filles en Afrique, Toni Garrn se confie à L’Officiel.

L’Officiel : Qu’est-ce qui vous a convaincue d’accepter ce nouveau projet lancé par Mugler ? Toni Garrn : Le message de la campagne qui incite les femmes à croire en leurs rêves a trouvé une résonance particulière en moi. J’ai toujours su croire en les miens, et cela m’a poussée à faire en sorte que d’autres femmes poursuivent les leurs grâce à ma fondation, qui aide les jeunes filles africaines à accéder à une meilleure éducation. Mugler est pour moi une maison qui donne des superpouvoirs aux femmes à travers ses créations mode et ses parfums, qui les transforme en héroïnes. Cette campagne n’a fait que renforcer cette vision que j’ai depuis toujours de la marque. Angel est une fragrance iconique. Comment êtes-vous parvenue à apporter votre propre identité à la campagne, en marchant dans les pas d’égéries aussi légendaires que Jerry Hall, Naomi Watts ou Eva Mendes ? Ça a été un immense honneur pour moi que d’être choisie pour représenter ce parfum culte. Ces trois égéries sont pour moi des modèles, elles incarnent bien l’image que Mugler a su façonner, celle d’une femme à la fois ultra-féminine, puissante et indépendante. Vous êtes également comédienne, on vous a vue notamment dans Spider-Man. Pensez-vous que le parfum puisse aider à construire l’identité d’un personnage ? Absolument. Le parfum est étroitement lié aux souvenirs. Il fait à la fois voyager dans le temps et l’espace et sait ressusciter des personnes ou des lieux rattachés à

certaines époques de nos existences, c’est donc un élément clé. Quelle est votre routine beauté au quotidien? La pandémie m’a permis de renouer avec certains rituels, je peux prendre le temps d’appliquer de nombreux produits, et de constater leurs bienfaits à long terme ! Je nettoie scrupuleusement ma peau, je l’exfolie deux fois par semaine et j’use et abuse des crèmes réconfortantes en hiver. Niveau make-up, je ne porte que du mascara et un soupçon d’anticernes. Quelles sont vos marques fétiches pour le maquillage et le soin ? J’adore Charlotte Tilbury, Nars, Barbara Sturm, Sisley ou encore Clé de Peau. Avez-vous des rituels sportifs ? Cela dépend vraiment où je me trouve dans le monde, de mon tonus et de la saison. Mais quoi qu’il en soit, je pense que se dépenser et transpirer au moins une fois par semaine est indispensable à notre bien-être. En ce moment, je pratique un mix de running, de Pilates et de yoga. Qui vous inspire en matière de beauté et de style ? Carrie Bradshaw est pour moi une icône, mais ces derniers temps mes amies proches sont une source infinie d’inspiration, le mannequin Blanca Padilla en particulier, qui choisit ses vêtements avec tellement de goût. Vos adresses wellness préférées au monde ? La SHA Wellness en Espagne est vraiment un lieu incroyable. La vue sur la nature et la mer y est sublime, et les soins sont parmi

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les meilleurs que j’ai pu expérimenter. Je m’y rends une fois par an pour une détox complète. À Paris, j’adore aussi le spa du Meurice et ses soins Valmont. Vous êtes très impliquée dans la défense des droits des femmes et leur accès à l’éducation. Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’action de votre fondation ? Je pourrais en parler des journées entières ! J’ai créé une fondation entièrement consacrée aux jeunes filles africaines. Nous travaillons dans quatre pays, au Ghana, au Burundi, en Ouganda et au Zimbabwe, et nous nous concentrons sur l’empowerment de ces enfants en déployant tous les moyens possibles pour qu’elles se sentent plus heureuses et en meilleure santé à l’école. Nous finançons des bourses étudiantes et fournissons également des moyens de transport pour permettre aux plus isolées d’entre elles de bénéficier d’une scolarité. Nous construisons également des bâtiments abritant des écoles, en partenariat avec des acteurs locaux, travaillant de façon écologique et durable. La fermeture des écoles a eu un impact fort sur ces enfants car, comme vous pouvez l’imaginer, l’école est le seul lieu où elles peuvent établir des liens sociaux entre elles et faire des repas complets. Cela remet les choses en perspective quand on pense au confinement tel que nous le vivons pour notre part, et nous rappelle à quel point nous sommes chanceux !

Par Mélanie Mendelewitsch


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ADRESSES

MODE, JOAILLERIE & HORLOGERIE Acne Studios acnestudios.com Alexander McQueen alexandermcqueen.com Aquazzura aquazzura.com Audemars Piguet audemarspiguet.com Balmain balmain.com Bottega Veneta bottegaveneta.com Boucheron boucheron.com Bulgari bulgari.com Carolina Herrera carolinaherrera.com Cartier cartier.fr Chanel chanel.com Charlotte Chesnais charlottechesnais.fr Chloé chloe.com Chopard chopard.fr Church’s church-footwear.com CO co-collections.com Cornelia James corneliajames.com Darius Jewels De Beers debeers.fr Deisme deisme-paris.com Desigual desigual.com Dior dior.com Eleonora Mantini eleonoramantini.shop Emporio Armani armani.com Falke falke.com Fendi fendi.com Gabriela Hearst gabrielahearst.com Genny genny.com Gianvito Rossi gianvitorossi.com Gigi Burris gigiburris.com Gucci gucci.com Harry Winston harrywinston.com Intimissimi intimissimi.com

Isabel Marant isabelmarant.com Jennifer Fisher jenniferfisherjewelry.com Jil Sander jilsander.com Jimmy Choo jimmychoo.com Joanne Burke joanneburkejewels.com Loewe loewe.com Louis Vuitton louisvuitton.com Manolo Blahnik manoloblahnik.com Marine Serre marineserre.com Michael Kors michaelkors.fr Michele Chiocciolini michelechiocciolini.com Miu Miu miumiu.com Mugler mugler.fr Paco Rabanne pacorabanne.com Prada prada.com Proenza Schouler proenzaschouler.com Richard Quinn richardquinn.com Saint Laurent ysl.com Salvatore Ferragamo ferragamo.com Sandro sandro-paris.com Simone Rocha simonerocha.com The Last Line thisisthelast.com Tod’s tods.com Tory Burch toryburch.fr Valentino valentino.com Van Cleef & Arpels vancleefarpels.com BE WELL & LIFESTYLE Augustinus Bader augustinusbader.com Clarins clarins.fr Hermès hermes.com Mango mango.com Mugler mugler.fr Yves Saint Laurent ysl.com


Dans les années 1920, lorsque ce magazine est apparu pour la première fois, les mondes de la mode, de l’art et du divertissement s’imbriquaient comme jamais auparavant dans notre histoire : ils étaient les principales expressions culturelles de la nouvelle classe bourgeoise qui a fait tomber l’ancien ordre hiérarchique. Pour la première fois, la mode s’est appelée art, et les amuseurs ont été célébrés en tant qu’artistes. Un siècle plus tard, ceci est encore plus vrai. Maintenant que la société postmoderne de Jean Baudrillard est notre réalité, les disciplines se confondent : les musiciens et les artistes conçoivent des vêtements ; les designers et les stylistes créer de la musique, des films… Nous évoluons tous dans le même univers culturel ; nous sommes touchés par les mêmes événements planétaires et réagissons aux mêmes changements dans un monde entièrement connecté. En 2012, L’Officiel a lancé une publication trimestrielle axée sur l’art contemporain, sous la direction du visionnaire Jérôme Sans, dont la curiosité interdisciplinaire a défini l’identité de L’Officiel Art pour les années à venir, en lui donnant une voix respectée dans le monde de l’art. Conformément à notre engagement à faire tomber les frontières, nous pensons qu’il est temps de réunir à nouveau la mode, l’art et le divertissement en un seul lieu. Pour ce numéro, nous nous sommes penchés sur l’envie de s’échapper des villes pour la campagne  ; un sujet omniprésent dans toutes les conversations du moment, qu’elles tournent autour de la politique, de la santé ou de la durabilité. Historiquement, la campagne a toujours joué le rôle de contrepoids salutaire à la séduisante vie en ville, mais comme le montre la récente exposition “Countryside, The Future” de Rem Koolhaas au musée Solomon R. Guggenheim, cette relation évolue rapidement. Pressés par la pandémie de la Covid-19, les innovateurs artistiques et culturels tournent de plus en plus leur attention

vers la nature et le monde extérieur. Nous nous sommes donc posé la question : que se passe-t-il lorsque la dialectique de la ville et de la campagne, ou de l’urbain et du monde rural, s’inverse ? D’où vont partir les idées ? Qu’est-ce que cela signifie pour l’art et son accessibilité, et comment les centres urbains – autrefois lieux de créativité – vont-ils s’adapter à cette évolution ? Les follies, dans leur tension entre nature et artifice, entre délire et raison, semblent un bon endroit pour commencer. Nous avons exploré l’histoire de ces objets architecturaux et avons ensuite demandé à 14 artistes contemporains, de Sterling Ruby à Katarina Grosse, de partager leur vision. Évasion des artistes dans des contrées reculées ou création de communautés perdues dans la nature, ce phénomène d’exode urbain est un thème récurrent que l’on retrouve dans le concept de résidences d’artistes qui essaiment un peu partout dans le monde. Dans la mode aussi, l’opposition entre ville et campagne est omniprésente : entre nouvelles robes bucoliques et installations naturelles subversives des artistes Rasmus Myrup et Bianca Bondi, le dialogue se poursuit entre les disciplines. Pour notre couverture, la réalisatrice et artiste Sam Taylor-Johnson montre l’actrice Lily Collins sur une plage au bord de l’océan Pacifique, dans des images obsédantes suspendues entre le passé et le futur. L’actrice semble elle aussi maîtriser l’art de l’équilibre dans sa carrière, interprétant à la fois une jeune fille romantique dans Emily in Paris, et Rita, l’assistante de Herman Mankiewicz dans le dernier film de David Fincher, Mank. En fin de compte, nous apprenons que les concepts autrefois opposés de ville et de campagne deviennent fluides, se lient entre eux. Comme le montrent les nombreux artistes et créateurs, la campagne peut être bien plus qu’un décor : c’est un lieu d’optimisme, d’invention et de possibilités.


Peu avant la sortie de Mank, le nouveau film de David Fincher dans lequel elle est en tête d’affiche, Lily Collins a donné rendez-vous au légendaire créateur de mode Alber Elbaz pour discuter de l’incroyable succès d’Emily in Paris et de leurs projets d’avenir respectifs. Photographie SAM TAYLOR-JOHNSON Stylisme JAY MASSACRET Propos recueillis par JOSHUA GLASS Traduction ELISABETA TUDOR 114




ON A EU tellement DE TEMPS LIBRE POUR SE POSER les BONNES QUESTIONS que JE PENSE QU’ON CONNAÎTRA une VÉRITABLE RENAISSANCE APRÈS tout CELA, CAR les GENS MEURENT D’ENVIE D’ÊTRE CRÉATIFS. Lorsque Lily Collins a posé ses valises à Paris il y a plus d’un an et demi pour tourner Emily in Paris – la série à succès de Darren Star –, la capitale française n’était pas telle qu’elle l’avait imaginée. Née dans le Surrey, la fille de Phil Collins a grandi à Los Angeles, et lorsqu’elle s’est installée à Paris pour interpréter le rôle d’Emily – une jeune et ambitieuse consultante américaine qui tente de faire ses preuves dans le monde du luxe à Paris –, la ville lui semblait plus paisible que d’habitude. La chaleur du mois d’août avait fait fuir les Parisiens vers le sud de la France ; Lily et l’équipe de tournage ont donc quasiment eu la capitale rien que pour eux. Alber Elbaz se souvient avoir vécu une expérience similaire lorsqu’il a quitté New York pour Paris la première fois. “Je me disais : mais voyons, où sont les gens ?” À cette époque, au milieu des années 90, le créateur avait traversé l’Atlantique pour venir travailler chez Guy Laroche. Il allait par la suite rejoindre Yves Saint Laurent avant de réaliser un coup de maître en revisitant la maison Lanvin – et la mode féminine telle que nous la connaissons. Présentés par le biais d’un ami commun, Alber Elbaz et Lily Collins se sont vus régulièrement pendant le tournage de la série. “À un moment donné, je me suis même demandé si je faisais partie du casting à mon insu”, dit-il en riant. Après le succès fulgurant de la série qui a donné lieu à de nombreux memes sur les réseaux sociaux, Lily Collins a temporairement retiré son béret pour se consacrer au dernier film de David Fincher, Mank, qui pourrait marquer un tournant décisif dans sa carrière. Cette œuvre biographique raconte la relation tumultueuse entre Herman J. Mankiewicz, le scénariste de Citizen Kane, et le réalisateur Orson Welles. Lily interprète Rita Alexander, la charmante secrétaire de Mankiewicz, et donne la réplique à Gary Oldman qui incarne Mankiewicz. Le film tourné en noir et blanc

a été écrit par Jack Fincher, le défunt père du réalisateur, et glorifie le style magistral des anciens films de Hollywood. À Paris, Alber Elbaz est également sur le point d’entamer un nouveau chapitre de sa vie. Depuis son départ de Lanvin en 2015, l’influent créateur s’est volontairement tenu à l’écart du prêt-àporter, et s’est uniquement dédié à quelques collaborations dans les domaines de la beauté, des chaussures et du cinéma. Aujourd’hui, il revient sur le devant de la scène en lançant AZ Factory, sa propre marque très attendue, en partenariat avec le groupe de luxe suisse Richemont. L’OFFICIEL : Emily in Paris parvient à rire de nombreux clichés, mais la série parle avant tout de ce que cela signifie de se sentir comme un outsider au sein d’une industrie, avec un point de vue et une attitude en marge des autres. Que vous inspire ce sentiment ? LILY COLLINS : Chaque fois que je commence un nouveau tournage sur un plateau de cinéma ou de télévision, je me sens toujours un peu comme ça, comme un poisson hors de l’eau. C’est le fait d’être dans un nouvel environnement, de ne connaître personne et de devoir montrer aux autres ce qu’on a dans le ventre. C’était intéressant de jouer une jeune femme confrontée à une autre culture que la sienne, une femme qui doit s’adapter tout en restant elle-même. Je pense que beaucoup de gens peuvent s’identifier au fait de ne pas vouloir compromettre leur intégrité juste pour rentrer dans des cases. ALBER ELBAZ : Pour moi, Emily est une Cendrillon des temps modernes, et elle m’a rappelé un peu Pretty Woman – un film que j’ai par ailleurs vu 55 fois. En fin de compte, cette série prouve que cela vaut la peine d’être gentil. Parce que tu aurais pu être une salope, Lily, et ce serait bien aussi, mais tu ne l’as pas été. En tant qu’Emily, tu étais une bonne fille avec de bonnes valeurs. Une fille qui ne comprenait pas pourquoi les gens ne souhaitaient pas communiquer avec elle ou bien feignaient de ne pas la comprendre. Mais cette série, c’est aussi le récit d’un choc culturel. Cela me fait penser aux immigrés. J’ai été un immigré plusieurs fois dans ma vie : je suis né au Maroc, j’ai grandi en Israël, puis je me suis installé aux États-Unis. À New York, j’avais un appartement minuscule et deux colocataires, dont l’un s’appelait Muffin. Oui, Muffin. Il fallait voir New York de ses propres yeux à l’époque pour comprendre tout cela, et quand je suis arrivé, je n’étais pas juste un étranger à New York – je n’étais personne. L’O : Personne n’a vu venir le succès de la série, et Lily, c’est de loin votre

rôle le plus populaire à ce jour. Je me demande, Alber, si vous avez vécu un moment à la Emily in Paris au cours de votre longue carrière ? AE : Une fois, lorsque j’étais à New York, je suis tombé sur un magnifique bouquet de roses, et j’ai dit : “Waow, elles sont superbes.” Le fleuriste a simplement rétorqué “18 dollars”, alors que je ne lui avais même pas demandé le prix. Des mois plus tard, alors que j’étais à Paris, je tombe sur un autre fleuriste, “Waow, ces roses sont magnifiques.” “Elles s’appellent Piaget, a-t-il répondu. Et elles ne poussent qu’une fois par an. Sentez-les. Elles poussent au soleil !” J’ai fini par demander “Combien coûtent-elles ?” et il m’a répondu “Nous ne sommes pas sûrs du prix.” Ce sont ces petites nuances qui dévoilent les différences entre les gens, les villes et les cultures. À Paris, on a inventé le parfum, donc on a toujours ce sentiment particulier de rêver quand on s’y rend. Je me souviens toujours de ce que ma mère me disait à propos du parfum : “Sens-le, mais ne le bois jamais.”

PAGE DE GAUCHE : Veste, PROENZA SCHOULER. Chemise, DIOR. PAGE PRÉCÉDENTE : Veste, pantalon, chemise et cravatte, DIOR. Mocassins, TOD’S.

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LC : Peut-on vraiment abuser des bonnes choses ?

Oui, et cela s’applique aussi au succès. Je pense que l’un des plus grands dangers du succès, c’est quand on commence à croire qu’on est bien trop fabuleux, qu’on est plus grand que nature. Je ramène le succès toujours à cette anecdote du parfum. Je me dis : “Ne bois pas le parfum. Sens-le, tout simplement.”

AE :

L’O : De façon presque simultanée, vous tournez tous les deux les pages de deux grands chapitres de votre vie. Lily, votre nouveau film, Mank, réalisé par David Fincher, sort en avant-première sur Netflix ce moisci, tandis qu’Alber, vous travaillez actuellement sur le lancement d’AZ Fashion, votre nouveau projet de mode en partenariat avec Richemont. Où en êtes-vous actuellement, tous les deux, sur le plan émotionnel ? LC : Jamais je n’aurais osé espérer qu’un jour je serais amenée à travailler avec David. L’idée qu’il ait cru en moi pour incarner ce personnage et faire partie d’un film de ce calibre a été une véritable chance. David est un génie : en tant que réalisateur, il sait exactement ce qu’il veut et comment l’obtenir, mais il est également ouvert à la collaboration. Il vous respecte, alors que vous-même – et toute l’équipe du tournage – le vénérez comme un dieu. Quand vous participez à ce genre d’expérience, cela met la barre plus haut que ce que vous n’aviez osé imaginer avant. Nous avons tourné ce film en même temps que les épisodes d’Emily, donc le contraste était flagrant. Passer des couleurs vives au noir et blanc, de l’humour pop au drame stoïque, c’était un vrai défi. À force de faire des allers-retours entre Paris et Los Angeles, j’étais épuisée, mais si épanouie sur le plan créatif ! AE : Je pense que la page blanche est la chose la plus effrayante à affronter pour un artiste. Je ne sais pas comment c’est avec le métier d’acteur, Lily, mais j’ai l’impression que parfois ce que je fais ressemble presque à un accouchement. Ça commence et tu n’es plus en mode “Oh, waow, la vie est magnifique”, mais plutôt du genre “Aïe, aïe, aïe.” Mais ensuite, on accouche et on oublie la douleur. [Après Lanvin], j’ai décidé de ne plus faire de la mode pendant quelques années parce que je n’étais plus passionné par cette industrie. En même temps, c’est la seule chose que je sais faire. Je ne sais même pas conduire une voiture, donc je ne pourrais même pas être chauffeur de taxi ! Des grandes maisons de couture me proposaient une myriade d’opportunités, et pourtant, sans vouloir être une diva, je sentais que quelque chose me retenait. J’ai alors commencé à donner des cours. Je suis allé dans toutes les grandes écoles du monde entier pour comprendre vers où le monde allait – c’était avant la Covid-19, bien sûr. Puis j’ai signé avec Richemont, et j’ai lancé cette nouvelle start-up. LC : Tout d’abord, félicitations, c’est tellement excitant ! Il y a très peu de choses que l’on sait à ce sujet, alors je suis curieuse… Que pouvez-vous déjà dévoiler ? AE : Il y a une grande différence entre créer et recréer, et autrefois mon travail consistait souvent non seulement à recréer mais aussi à remplacer. Cette fois-ci, j’ai voulu repartir de zéro. J’observe les femmes depuis cinq ans, je prends note de tout ce qu’elles vivent au quotidien, des changements dans leur vie. J’ai toujours dit que si j’étais un jour producteur à Hollywood, le prochain James Bond serait Jane Bomb, et elle ne serait pas une ex-mannequin. Elle serait une femme intelligente qui n’a pas d’âge, parce que cela n’a aucune importance, vraiment. En regardant la vie des femmes d’aujourd’hui, on peut voir leurs multiples facettes, celle de la bonne Veste, ACNE STUDIOS. Chemise, EMPORIO ARMANI. Pantalon, CO. Mocassins, TOD’S.

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PAGE DE GAUCHE : Veste

CI-DESSUS : Chemise, LOEWE. et pantalon, EMPORIO ARMANI . Chemise, DIOR. Mocassins, TOD’S.

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c’est FANTASTIQUE de CONSTATER À QUEL POINT EMILY A APPORTÉ des MOMENTS DE BONHEUR et DES FOUS RIRES À tant DE SPECTATEURS, c’est ARRIVÉ PILE au MOMENT OÙ NOUS EN AVIONS LE PLUS BESOIN. mère, la bonne épouse, la bonne collègue de travail, etc. J’ai réalisé que je devais commencer à travailler sur une collection utile au quotidien des femmes, c’est donc dans cette optique que je travaille maintenant. Je prends en compte les nouvelles technologies, mais j’essaie aussi d’aller au-delà des apparences et du simple fait de créer une belle collection. J’essaie d’écouter les femmes pour voir ce que je peux faire pour les aider à réaliser leurs rêves, parce qu’en fin de compte, nous ne vivons pas dans un monde d’opposés, qui serait uniquement fait soit de données et d’algorithmes, soit d’instincts et d’émotions. Nous pouvons unir ses deux opposés, comme le yin et le yang. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais les deux ensemble. L’O : Qu’est-ce que cela fait de travailler sur des projets aussi remarquables alors que nous n’avons jamais été aussi éloignés de la réalité telle que nous l’avons connue ? LC : En tant qu’actrice c’est très intéressant de sortir une nouvelle série en plein confinement. En fait, j’ai adoré, mais c’était vraiment très différent de tout ce que j’ai connu jusqu’à présent. Ma vie sociale d’actrice me manque : faire des photos et rencontrer des gens passionnants, mais c’est fantastique de constater à quel point Emily a apporté des moments de bonheur et des fous rires à tant de spectateurs, c’est arrivé pile au moment où nous en avions le plus besoin. En ce qui me concerne, le confinement a été un excellent moyen de séparer le travail et la vie privée et de retrouver un bon équilibre. Je me suis fiancée pendant le confinement, et même si Mank va sortir sur Netflix, je ne suis pas partie en promo, comme je l’aurais sans doute fait en période normale. J’ai parlé à la presse de ce film qui me passionne tant, mais depuis chez moi sur mon ordinateur, puis aller promener mon chien juste après mes interviews. Je compte sur mes amis et ma famille et, dans une certaine mesure, sur moi-même pour faire en sorte que je garde les pieds sur terre si jamais je me retrouve à vouloir “boire du parfum”.

Manteau et chaussettes, PRADA. Mocassins, TOD’S.

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NOUS SOMMES tous EN TRAIN DE REVENIR À L’ESSENTIEL de CE QUE NOUS SOMMES, en DEHORS DES DIKTATS DE la SOCIÉTÉ. AE : Le quotidien à l’heure de la Covid-19 est vraiment difficile à vivre. Qui aurait cru que nous devrions porter des masques pour sortir un jour et que nous nous laverions les mains avec de l’alcool ? Ce qui me manque le plus en ce moment, c’est recevoir un hug et en donner un en retour. Me poser dans un café ne me manque pas vraiment, mais le contact physique et humain, oui. Je suis un grand hypocondriaque, donc cette période n’a pas été facile à vivre pour moi. Pourtant, je pense que ce moment exceptionnel va aussi nous apprendre beaucoup de choses. C’est une sorte de detox qui nous oblige non seulement à changer, mais à changer plus rapidement. LC : C’est une véritable une crise existentielle que nous sommes en train de vivre. Cela peut sembler angoissant, surtout quand on doit se limiter au même espace de vie tous les jours, car cela nous force à nous confronter à nos craintes comme jamais auparavant, et à nous poser les bonnes questions sur le présent et le futur. Qui suisje ? Qu’est-ce que je veux accomplir dans la vie ? Qu’est-ce qui me rend heureux ? C’est aussi un moment propice pour décortiquer le présent et parler de choses essentielles, je pense notamment à Black Lives Matter, ou à la récente élection présidentielle. On a eu tellement de temps libre pour se poser les bonnes questions que je pense qu’on connaîtra une véritable Renaissance après tout cela, car les gens meurent d’envie d’être créatifs. AE : J’ai récemment lu un article dans lequel l’acteur Roberto Benigni affirmait que la pauvreté était en fait un atout. Je pense que nous ressentons tous une sorte de précarité émotionnelle aujourd’hui parce que nous sommes privés de notre entourage proche, nos amis, notre famille, nos collègues de travail, etc. Lily, le fait que vous ayez rencontré l’amour de votre vie pendant le confinement est tellement symbolique parce que vous vous êtes rencontrés quand vous étiez vraiment vous-mêmes ! Sans artifices. LC : Ce qui est intéressant, c’est que Charlie [McDowell] et moi nous sommes rencontrés juste avant Emily in Paris, et nous nous sommes fiancés en septembre. J’ai l’impression que le confinement a soit renforcé soit brisé des liens. En ce qui nous concerne, le temps passé confinés ensemble n’a fait que renforcer ce que nous

COIFFURE :

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ressentions déjà l’un pour l’autre. Comme vous venez de si bien le dire, l’heure est à l’introspection. Nous sommes tous en train de revenir à l’essentiel, en dehors des diktats de la société. Être témoin du meilleur et du pire d’une personne qu’on aime et toujours rester à ses côtés : je pense que c’est une chose magnifique. AE : Lily, vous savez, j’ai créé 32 robes de mariée. LC : Mais non ! AE : Pour 32 femmes à ce jour, et 31 sont toujours mariés. LC : Oh, mon Dieu. AE : Vous devriez m’appeler quand vous aurez besoin d’une robe ! Pour finir, est-ce qu’il y a une question que l’un de vous voudrait poser ? LC : Alber, je sais que commencer une nouvelle aventure comme la vôtre peut être stressant, mais vous devez aussi être sacrément enthousiaste. L’êtes-vous ? AE : Je suis sûr qu’ il y a des moments où vous êtes en plein tournage et où vous êtes entourée de tous ces gens qui vous disent : “Oh, waow, c’est incroyable.” Mais est-ce vraiment incroyable ? Est-ce que les gens vont comprendre ? Est-ce qu’ils vont adorer ? Parce que la question n’est pas s’ils vont aimer le projet en soi, mais s’ils vont nous aimer. Nous sommes devenus la raison d’être de tout ce que nous faisons. Alors oui, je suis très, très enthousiaste. Vous savez, je ne suis pas du genre à partir en vacances. Je déteste les vacances. La plage, les bateaux. Alors le premier jour où je suis arrivé dans mon nouveau bureau, j’ai dit : “Mon Dieu, mon premier jour de vacances vient de commencer.” LC : Quelle belle façon de voir les choses ! Vous savez que vous êtes l’un des créateurs les plus aimés, et tout le monde vous encourage. Vous avez parlé d’Emily comme ce personnage si gentil et chaleureux, qui reste elle-même, mais vous êtes comme cela, Alber. Avec tous les obstacles qui se sont présentés à vous, vous avez su rester fidèle à vous-même. J’ai tellement hâte de découvrir votre nouveau projet, parce que vous faites toujours en sorte que les femmes se sentent fortes et bien dans leur peau. L’O :

PAGE DE DROITE : Chemise, TOD’S. Jupe, CO. Kylee Heath. MAQUILLAGE : Fiona Styles avec les produits LANCÔME.



Les fabriques de jardin, dites Follies en anglais, s’inscrivent dans une longue tradition de l’absurde. Alors que l’année 2020 et son lot d’absurdités arrivent à leur terme, l’évasion fantasmée est plus que jamais dans l’air du temps. Dans ce portfolio, Adam Charlap Hyman revient sur l’histoire de ces créations architecturales et 14 artistes partagent leurs “folles” visions. Texte et Illustrations ADAM CHARLAP HYMAN Traduction ELISABETA TUDOR Portfolio réalisé par KAT HERRIMAN 126


Après avoir fait ses armes durant la Seconde Guerre mondiale, Carlos de Beistegui, héritier de la famille Beistegui qui a fait fortune en exploitant des mines d’argent au Mexique, s’est intéressé à la composition paysagère du château de Groussay, à Montfortl’Amaury dans les Yvelines. Pendant l’occupation allemande, ses amis, l’architecte franco-cubain Emilio Terry et l’artiste peintre russe Alexandre Serebriakoff, ont imaginé les intérieurs excentriques du château dans un style que Terry a lui-même inventé et nommé Louis XVII, en hommage au roi de France qui n’a jamais pu régner. En 1949, ce même trio acheva de construire le Temple de l’Amour, la première construction paysagiste à vocation ornementale d’une série de sept fabriques de jardin construites sur le domaine du château. Au centre de ce temple, une colonnade en pierre dotée d’un petit dôme en cuivre abrite une statue de Vénus qui se dresse oisivement sur son socle, ignorant qu’au-delà des obélisques qui décorent les écuries de Beistegui, l’empreinte brute et douloureuse de la guerre s’impose à travers le pays. En anglais, le terme choisi pour désigner une fabrique de jardin, ou folie (maison de plaisance), est folly. Pourquoi les plus belles choses sont-elles si souvent créées dans les conditions les plus sombres ? Je me suis intéressé aux fabriques du château de Groussay quand j’étais encore au collège, après avoir découvert la décoration irrévérencieuse qu’Emilio Terry avait réalisée pour l’intérieur d’un appartement moderniste conçu par Le Corbusier pour Carlos de Beistegui. J’ai adoré la façon dont Terry s’est approprié les références historiques afin de les détourner, et de réaliser des fantasmes dédiés au présent. Aujourd’hui, on s’émerveille devant le fait que l’architecte a su créer un monde aussi classicisé, voire postmoderne, à son époque. Lorsque j’ai finalement visité Groussay, les dessins de Terry ont fait naître en moi un amour profond pour ce genre de microcosme architectural dédié à l’intime.

Les FOLLIES RÉSIDENT DANS la TENSION ENTRE la RAISON et LE DÉRAISONNABLE. Je me suis donc rendu à la résidence royale de Brighton Pavilion pour prendre des photos des colonnes-palmiers de la cuisine ; à la Palazzina Cinese en Sicile pour observer le mécanisme qui permet de déplacer une table de la salle à manger à la cuisine qui se trouve à l’étage inférieur ; au Jardin de Bomarzo, dit Parc des Monstres, pour saisir l’ampleur de la bouche béante du géant de pierre sculpté au sein du parc ; et à la grotte artificielle du château de Neuschwanstein pour y voir la porte dérobée menant à la chambre de Louis II de Bavière. Ce que j’ai fini par comprendre, c’est que la raison d’être des follies réside dans la tension entre la raison et le déraisonnable. Elles sont l’antidote au siècle des lumières déterminé par des principes architecturaux d’ordre, de symétrie et de clarté, et pourtant ces fabriques de jardin excentriques ont leur propre sens de la rigueur et de la logique. La définition basique de ce phénomène architectural qui veut que la fabrique de jardin ait une vocation purement ornementale, sans utilité concrète, est démodée. Ces compositions et sculptures paysagères miniaturisées sont les réceptacles de toutes les notions auxquelles leurs pendants grandeur nature ne peuvent pas s’identifier :

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Antoinette, Thomas Jefferson, Colette, Salvador Dalí ou encore Jean Cocteau. Autrefois, ce jardin privé appartenant à l’aristocrate François-Nicolas-Henri Racine de Monville s’étendait sur 99 hectares ponctués par 21 fabriques de jardin, dont 10 subsistent encore aujourd’hui. Au centre de ce jardin désormais anglochinois se trouve la Colonne détruite qui, à l’époque, était la résidence principale de Monville et se distinguait par l’aspect volontairement ruiné de son extérieur en contraste avec le faste de son aménagement intérieur. À l’époque, on pouvait accéder aux différents étages intérieurs par un escalier en colimaçon tournant autour d’un arbre. En me promenant dans le domaine en 2013, j’ai compris la radicalité des fabriques et folies de Monville : il s’agit là d’un symbole du déclin de l’ancien ordre établi à la veille de la Révolution, qui revendique une nouvelle vision du monde célébrant la raison tout en embrassant la beauté de l’éphémère.

l’irrationnel, l’éphémère, le faux, le théâtral, le pervers, l’absurde, le subconscient et l’obscurité. Et c’est dans ce contexte précis que ces follies sont bel et bien follement essentielles. Je pense également à la maison close en forme de phallus de Claude Nicolas Ledoux à la Maison du plaisir à Paris, ou bien aux représentations des rendez-vous galants qui ont lieu à l’intérieur des petits temples peints dans les tableaux de François Boucher, ou encore à la scène où Clive tire sur le pull de Maurice en face du pavillon palladien au parc Wilbury dans le film Merchant Ivory. Ce sont des lieux où le plaisir frise la folie, où le cérébral se rapproche du charnel, où l’on trouve au fond de soi-même quelque chose de brut et de puissant. Alors qu’ils travaillaient sur Groussay, Terry, Serebriakoff et Beistegui se sont épris d’un domaine nommé le Désert de Retz situé à la lisière de la forêt de Marly. Depuis sa construction dans les années qui ont précédé la Révolution française, le Désert de Retz a connu de nombreux adeptes de renom tels que Marie-

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Cette logique étrange qui prêche quelque chose d’authentiquement faux est intrinsèque à l’idée même de la fabrique de jardin. Cela me rappelle Carl Hagenbeck, l’inventeur controversé du parc zoologique moderne, célèbre pour ses formations rocheuses hyperréalistes taillées dans… la roche. Entourés de douves, ces îlots sont devenus le décor théâtral de la vie animale observée par les visiteurs, comme si ces îlots étaient réellement à l’état sauvage. Hagenbeck a su réinterpréter l’imagination coloniale de ses mécènes, en la transportant dans des lieux exotiques fictifs qui suggèrent des habitats naturels. Visiter le Giardino Zoologico de Hagenbeck à Rome au cœur de la Villa Borghèse est une expérience très différente de celle vécue dans la réalité par le microcosme aristocratique susmentionné, mais ce marchand d’animaux sauvages me semble être l’héritier de Monville au xixe siècle, revendiquant à son tour la fabrique de jardin comme un outil marketing, un artefact colonial et un lieu de divertissement pour la bourgeoisie. Il y a des girafes qui paissent devant un petit palais moghol, des zèbres qui se reposent à l’ombre de leur maison en argile au toit de chaume yoruba, et des tigres qui errent dans un temple khmer. Ces architectures oniriques et ces paysages


LA FABRIQUE de JARDIN EST L’ABOUTISSEMENT d’un PACTE ‘HUBRISTIQUE’ ENTRE L’HOMME et la NATURE, PACTE SELON LEQUEL L’HOMME DOIT DOMPTER la NATURE AFIN de CRÉER de BELLES COMPOSITIONS. miniaturisés ont captivé l’attention du public victorien, qui s’est déplacé en masse pour assouvir son goût prononcé pour l’exotisme, tout en jouissant de sa propre domination – celle de l’humain sur l’animal, et celle de l’Occident sur le reste du monde. Ce que j’ai appris des jardins où j’ai passé du temps et des jardiniers avec lesquels j’ai pu échanger, c’est que le sens du contrôle est indispensable pour maîtriser la composition paysagère des fabriques. Les odeurs, les couleurs, les compositions et les juxtapositions, les tensions et la tendresse, la vie et même la mort, sont l’aboutissement de nombreuses conversations entre le jardinier et la nature. En ce sens, la fabrique de jardin est l’aboutissement d’un pacte “hubristique” entre l’homme et la nature, pacte selon lequel l’homme doit dompter la nature afin de créer de belles compositions. Pensez à l’aristocrate Diana Mitford, vivant dans un pseudo-exil après le jugement “à tort” de son mari Oswald Mosly, qui se trouve à la tête de l’Union britannique des fascistes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Diana en train de tailler ses rosiers dans sa folie palladienne à Orsay, sur le terrain du fameux Temple de la Gloire. Il y a quelque chose de tout à fait approprié dans le fait que l’épouse d’un homme politique autoritaire finisse par résider dans une structure aussi strictement classicisante. La duchesse de Windsor, lors d’une visite, aurait fait la remarque suivante : “Oh, c’est ravissant, mais où habitez-vous ?” Si le terrain de la Glass House de Philip Johnson peut être considéré comme l’équivalent américain du Désert de Retz, et que sa maison d’invités Rockefeller sur la 52e avenue est le pendant new-yorkais du Temple de la Gloire, la recherche de folies et de fabriques de jardin dans ma propre ville m’a conduit à un autre type de paysage. Ce genre de fabrique a une hauteur d’environ 16 étages et se termine sous dix mille gallons d’eau. Pour l’observer

dans son ensemble, il faut qu’elle soit reliée comme Neddy Merrill relie les piscines de son quartier de Westchester pour former la Lucinda River dans la nouvelle The Swimmer de John Cheever. Les châteaux d’eau, les contreforts et les terrasses des immeubles de la Cinquième Avenue et ceux de Central Park West constituent, à mon avis, la plus belle fabrique de jardin de New York, à laquelle les architectes Emery Roth et Rosario Candela ont ajouté leur je-ne-sais-quoi. Exploitant le potentiel du contrefort, comme l’exigeaient les règles d’urbanisme des années 1920, ces architectes ont orné leurs bâtiments inexpressifs et austères de renforts de maçonnerie saillants, d’urnes, de coupoles, de dômes, ainsi que de fabriques de jardin afin de masquer les châteaux d’eau disgracieux et autres éléments utilitaires dédiés aux services publics qui se trouvent toujours sur les toits de ces gratte-ciel résidentiels. Explorer les terrasses de ces bâtiments, c’est se promener dans un monde différent de celui de la rue : un réseau de jardins cachés dans le ciel, sublimement petits face à l’immensité de la ville. Est-il possible que le travail des constructeurs des quartiers résidentiels – reprenant l’idée de l’appropriation de la fabrique de jardin en la mettant au cœur des ambitions architecturales dédiées à la classe moyenne d’avant-guerre, miniaturisant ainsi le manoir Tudor, la villa coloniale espagnole et le château médiéval – soit basé sur les mêmes principes que ceux que Marie-Antoinette appliqua pour construire son Hameau ? Peut-on en dire autant d’Edward James qui coulait le béton dans la forêt tropicale mexicaine pour construire Las Pozas ? Ou de Niki de Saint Phalle qui coupait à la main les fragments de tuiles utilisées pour son Jardin des Tarots à Capalbio, en Italie ? Peut-on en dire autant de Not Vital qui a construit une maison par continent dans le seul but de regarder le coucher du soleil à chaque fois d’une autre manière ? En fin de compte, la seule chose que je sais avec certitude, c’est qu’une fabrique de jardin est l’expression d’un désir exponentiel qui dépasse de loin la taille de sa propre structure.

CI-DESSUS : “The Roof of 780 Park Avenue by Rosario Candela,” 2020. PAGE DE GAUCHE, EN HAUT : “La Colonne détruite at Désert de Retz,” 2020. PAGE DE GAUCHE, EN BAS : “Diana Mitford’s Temple de la Gloire,” 2020. PAGE PRÉCÉDENTE : “The Tartar Tent at Château de Groussay,” 2020.

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Photo courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Seoul, and London.

“Blind Date at the Monster Park (Garden of Bomarzo),” 2020.

HERNAN BAS

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KERN SAMUEL

“A Hard Head Makes a Soft Ass,” 2020. “Je voyais la folly comme quelque chose d’à la fois réel et imaginaire – quelque chose en soi et une référence à quelque chose d’autre.”

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JORGE PARDO

“Cactus Garden,” Unrealized Public Project, 2015/2020.

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KANDIS WILLIAMS

“A Field: Banana Republics Poetic in Plutocracy and Monopoly,” 2020.

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Photo courtesy of artist and Massimo De Carlo Gallery.

“Arc de Triomphe,” 2003/2020.

GELITIN

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Photo courtesy the artist and Sprüth Magers

ANDREA ZITTEL

“Panels and Portals #2,” 2020.

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CYNTHIA TALMADGE “Wishing Well,” 2020.

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Photo courtesy of the artist. Assisted by Matthew Brennan.

JAMES CASEBERE “Nine Pavilions,” 2020.

“Ces neuf pavillons identiques, asymétriques et géométriques sont chacun placé sur un côté différent et conçus pour être montrés ensemble dans un espace commun, une cour de campus, un jardin public ou un square, etc., et dans une variété de configurations possibles. Ils seraient en bois lamellé-croisé, permettant l’utilisation et l’occupation pour l’isolement, la contemplation ou le dialogue.”

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Photo Katharina Grosse and VG Bild-Kunst, Bonn, 2020.

KATHARINA GROSSE

“Penelope’s Hut,” 2020.

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TATIANA TROUVÉ

“Untitled,” 2020.

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Photo Florian Kleinefenn. Courtesy the artist and Gagosian.


Photo courtesy the artist and Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Seoul, and London.

“Henry David Thoreau’s Cabin,” 2020.

ERWIN WURM

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Photo Sterling Ruby. Courtesy Gagosian.

STERLING RUBY “Studio Folly,” 2020.

“Il s’agit d’une proposition conceptuelle visant à utiliser l’une des structures extérieures ouvertes de mon studio comme un isoloir temporaire. L’auvent, composé de drapeaux américains en tissu, cesse alors d’être un simple écran de protection pour se transformer en barrière de l’intime, et une caméra de sécurité devient l’œil qui voit tout.”

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MATTHEW DAY JACKSON “Untitled,” 2020.

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Photo courtesy of the artist.

CAMILLE HENROT “Untitled,” 2013.

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ARIANA Papademetropoulos

L’artiste américaine et égérie Gucci explore notre rapport au réel à travers des toiles mêlant réalisme et trompe-l’œil, qu’elle met en scène dans des installations déconcertantes. Rencontre à Rome avec l’une des héroïnes de la série en 7 épisodes “Ouverture of Something that Never Ended”, co-réalisée par Gus Van Sant et Alessandro Michele pour Gucci, qui présente la dernière collection printemps-été 2021. Quelque part entre une figure ingénue de la Renaissance et une héroïne de Robert Rodriguez, Ariana Papademetropoulos intrigue autant par son apparence de nymphette au teint de porcelaine que par ses toiles teintées de nostalgie et d’occulte. À 29 ans, cette native de Pasadena, banlieue aisée de Los Angeles, a déjà participé à beaucoup d’expositions et en a commissionné plusieurs. Cette ancienne du California Institute of the Arts dissèque les obsessions de l’être humain. “Je suis une collectionneuse, affirme-t-elle. Avant de commencer à peindre, je peux passer des jours à réunir des objets banals que les gens ont jetés par manque d’intérêt. Des livres, des cartes postales, des photos… Une fois multipliés, ils prennent une tout autre dimension, comme une obsession qui mène à la folie.”

En 2014, la chance a souri à cette collectionneuse acharnée. “Les bonnes personnes ont vu mes peintures, raconte-t-elle. Les choses se sont faites de façon très organique : on m’a donné la chance de monter ma première exposition à la galerie Sade de Los Angeles, et tout a commencé.” Depuis, elle peint des journées entières dans son studio de Pasadena, niché dans le garage d’un vieux manoir aux airs de maison hantée. “J’ai quitté mon ancien studio de Downtown pour cet endroit mystérieux, bien plus en adéquation avec mon travail, s’amuse-t-elle. C’est un garage comme un autre, mais chargé de vibrations très particulières.” Si elle reconnaît Downtown comme la nouvelle Mecque californienne de l’art, Ariana déplore son atmosphère de white cube, qui tranche avec sa propre conception de l’art.

Photographie SERGIO CORVACHO Stylisme JENNIFER EYMÈRE 144



Il suffit de se perdre quelques minutes sur son compte Instagram pour comprendre qu’elle agit à l’opposé du conventionnel : derrière un univers artistique léché, on devine une jeune fille qui a élevé l’innocence au rang de mode de vie. Au milieu des photos de ses œuvres se dessine un quotidien plein de légèreté et d’humour, partagé avec une bande d’amis excentriques, de Los Angeles à Paris, pour beaucoup issus d’une génération d’artistes qui explorent le mythe de l’érotisme féminin. “Tout EN HAUT : Robe, GUCCI. Collier et boucles d’oreilles, JOANNE BURKE. CI-DESSUS : ”The Shadow of Clouds,” 2020, par Ariana Papademetropoulos. PAGE PRÉCÉDENTE : Robe, GUCCI. Collier et boucles d’oreilles, JOANNE BURKE.

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le monde a aujourd’hui sa chance et la possibilité de montrer son travail, c’est une très bonne chose. Je me méfie toutefois du narcissisme engendré par les réseaux sociaux. J’ai même demandé à mon hypnothérapeute de guérir mon addiction à Instagram !” Art, narcissisme et médecine alternative : pas de doute, nous sommes en Californie, région paradoxale et hautement représentative des vices et vertus de l’âme humaine. “L’atmosphère si particulière de la Californie influence beaucoup mon travail, continue Ariana. Chaque chose ici a son contrepied sombre. La région a toujours attiré beaucoup de curieux : les gens viennent pour Hollywood, pour la célébrité, mais aussi pour se plonger dans la religion, rejoindre des cultes et explorer leur spiritualité. On considère toujours Los Angeles comme la terre de toutes les possibilités, tout le monde y cherche une réponse.” Cette terre dite de tous les possibles, ancrée dans l’imaginaire collectif comme le pays du rêve, du glamour et de l’avocado toast, où beauté et effroi marchent main dans la main vers un destin édulcoré (et gluten free), Ariana baigne dedans depuis son enfance. Née d’un père grec et d’une mère argentine, elle a grandi entre les country clubs guindés de Pasadena et l’hystérie


de Venice Beach, biberonnée à Barbarella, aux films d’horreur de série B et aux romans occultes. Tous se rejoignent dans ses peintures, où l’inquiétant se distille dans une réalité idéale. “Mes toiles représentent une certaine utopie : de parfaites maisons avec des intérieurs très travaillés, où l’on trouve toujours un détail étrange ou quelque chose de mystique. Je suis attirée par ce qui dérange, et le design intérieur me fascine dans ce qu’il a d’à la fois banal et significatif.” Bercée par le rêve américain et ses pendants les plus tordus, Ariana immisce dans son travail comme une injonction à questionner la beauté en surface. Comme elle l’a fait dans son exposition “Wonderland Avenue”, inspirée des meurtres de trafiquants de drogues perpétrés dans la rue du même nom, en 1981. “Je préparais une exposition lorsque j’ai entendu parler de cette histoire, qui fait parfaitement écho à mon travail. Le nom de la rue sonne comme Disneyland, elle a pourtant été le décor d’événements très sombres.” Une notion de dualité qui semble la poursuivre : pour sa prochaine installation, Ariana compte explorer les tentatives d’assassinats de Fidel Castro. “J’ai appris qu’il était un grand adepte de plongée sous-marine. Dans les années 60, la CIA aurait imaginé piéger les plus beaux fonds marins qu’il explorait pour avoir sa peau. Je trouve le contraste extraordinaire : partout où l’on trouve de la beauté, le funeste n’est jamais loin. C’est ça, la Californie.” Rendez-vous à Pasadena. Par Claire Beghin

CI-DESSUS : “Spying on Zeus was Never a Good Idea,” 2020, par Ariana Papademetropoulos. EN HAUT, À DROITE : “Keira,” 2020, par Ariana Papademetropoulos. EN DESSOUS : “Death of a Mermaid,” 2020, par Ariana Papademetropoulos. Détail de l’œil de l’artiste photographiée par Sergio Corvacho.

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CI-DESSUS : “The Scarlet Woman,” 2020, par Ariana Papademetropoulos. EN HAUT, À GAUCHE : “When I Met my First Spiral,” 2019, par Ariana Papademetropoulos. PAGE DE DROITE : Robe, GUCCI. Boucles d’oreilles, DARIUS JEWELS. COIFFURE ET MAQUILLAGE : Sergio

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Corvacho. ASSISTANTE STYLISME : Ully Rose. MERCI À Babuino 79 (Roma). www.babuino79.com


L’Officiel : Vous avez été l’une des égéries du parfum Mémoires d’une odeur de Gucci aux côtés de Leslie Winner, Harry Styles ou Stanislas Klossowski de Rola, pour ne citer qu’eux. Racontez-nous votre rencontre avec le directeur de création de la célèbre maison italienne, Alessandro Michele… A.P. : Notre première rencontre a eu lieu au château du peintre Balthus, dans la campagne romaine. Nous étions installés à une longue table médiévale et c’était le coucher du soleil… Et puis nous nous sommes revus dans un village toscan à Pâques. Pour l’occasion, on avait allumé un feu de joie au cœur du village et les gens lâchaient des lanternes qui montaient dans le ciel. À minuit, les habitants d’un village voisin devaient amener un christ mécanique grandeur nature. Mais le vent s’est levé sur le pont qu’ils devaient traverser, et le christ est arrivé en retard. Toutes les vieilles dames se sont alors mises à prier car la légende dit que si Jésus arrive en retard, la ville sera maudite et s’effondrera… À ce moment-là, comme par hasard, il ne restait qu’Alessandro, moi et une douzaine de vieilles dames. Mes rencontres avec Alessandro sont toujours comme ça, belles et singulières.

Vous avez installé votre atelier à Rome le temps d’une collaboration, toujours avec Gucci, pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Gus Van Sant réalise un film pour la nouvelle collection Gucci et j’y joue mon propre rôle, celui d’une peintre. Pour l’occasion, ils ont recréé une version exagérée de mon atelier avec des répliques de mes grands tableaux, une balançoire et une statue de Vénus. Gus était très ouvert. Quand il m’a demandé ce que je voulais cuisiner, je lui ai répondu des œufs d’autruche, et 20 œufs d’autruche sont apparus ! C’est surréaliste car j’avais dit à Alessandro, il y a un mois, que je voulais venir à Rome pour peindre, et me voilà ici dans un atelier installé comme par magie ! J’ai aussi installé un studio éphémère dans l’hôtel, et j’ai peint tout en étant en quarantaine pour le film. Quel rôle joue la mode dans votre travail ? Je ne pense pas que la mode joue un rôle spécifique dans ma peinture ou mes installations, mais j’ai un immense respect pour la mode car elle est en accord avec mes croyances spirituelles. Je crois que les vêtements et les costumes peuvent nous transcender, nous transformer en la personne que nous voulons être. Vous exposez actuellement à la galerie de Vito Schnabel, pouvez-vous nous en parler ? Oui, c’est une exposition personnelle à sa galerie de New York, intitulée “Unweave a Rainbow”. Ce titre est tiré d’un poème de John Keats qui accuse Newton de détruire la beauté de l’arc-en-ciel en expliquant sa formation. Moi, je pense le contraire d’une certaine manière. En ce moment, je crois que cette collision entre la science et la spiritualité est intéressante, et plus nous connaissons la science, plus je suis déconcertée par le monde. L’exposition explore l’évasion et la perception. La scénographie lie la peinture au décor comme une salle de jeux pour adultes, avec des coussins arc-en-ciel modulables. Elle se veut un petit nid douillet pour les visiteurs. Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Sur ma prochaine exposition à la Soft Opening de Londres qui commence en janvier, une autre avec Vito à St. Moritz en juin, et un projet en Italie que je ne peux pas dévoiler mais qui est mon rêve devenu réalité. Cette crise sanitaire a-t-elle influencé votre création ? Oui et non. Tout mon travail est axé sur l’évasion, la recherche de la magie là où nous croyons qu’elle n’existe pas. C’est pourquoi, pendant cette période, je me suis éloignée de l’actualité toxique et j’ai voyagé dans le monde entier sans écouter les médias me dire ce que je pouvais faire ou pas. Pensez-vous que Los Angeles, la Mecque créative des ÉtatsUnis, a changé sous le mandat de Donald Trump et, si oui, de quelle manière ? Los Angeles sera toujours Los Angeles. C’est la Mecque de l’illusion, de la vanité, de la poudre aux yeux. Quant à Trump, j’ai l’impression que est une entité que nous avons créé collectivement, et ce reflet terrifiant nous a fait prendre conscience de l’existence de cette société narcissique et matérialiste. Le voile est levé. Ce miroir doit faire se réveiller les gens car je pense que l’on peut maintenant voir l’absurdité dans tout cela. Nous voulons de la profondeur, nous voulons des arbres, nous voulons du changement. Propos recueillis par Laure Ambroise 149


Trouvez la force avec des parures spectaculaires et des armures de style. Photographie CHRIS SUTTON Stylisme LUCIO COLAPIETRO 150



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CI-DESSUS : Robe, leggings, voile et chaussures, MARINE SERRE. Bijoux, BULGARI. PAGE DE GAUCHE : Robe, LOEWE. Bracelets et pendentif, VAN CLEEF & ARPELS. PAGE PRÉCÉDENTE : Cape, jupe, chapeau et écharpe, PACO RABANNE. Collier, BULGARI. Sandales, AQUAZZURA.

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CI-DESSUS : Robe, harnais et cuissardes, ALEXANDER PAGE DE DROITE : Robe, RICHARD QUINN.

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MCQUEEN.




CI-DESSUS : Robe, GENNY. Masque, VOIDOFCOURSE. PAGE DE GAUCHE : Robe, GUCCI. Bague, BULGARI. COIFFURE : Lorenzo Barcella. MAQUILLAGE : Gimmy Arevalo. SET DESIGNER : Lorenzo ASSISTANT COIFFURE : Alessandro Ragione. ASSISTANTS STYLISME : Emanuele Recupero

Dispensa. et I-Ting Yeh.

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Au-delà

DU RÉEL L’artiste sud-africaine Bianca Bondi galvanise des objets afin de démanteler la réalité telle que nous la connaissons. Dans le bâtiment moderniste, austère et abandonné de la Cité internationale des arts à Paris, qui se trouve à côté du jardin parfaitement symétrique de l’Hôtel de Sens, Bianca Bondi installe des vases et des amphores dans un petit évier situé dans le coin d’une pièce humide. Ce moment s’esquisse quelques heures avant l’ouverture de son influente exposition de 2016, “Le Jardin”, où l’artiste faisait déjà vivre à ses objets une expérience douloureuse : l’oxydation. Au contact du sel et de l’eau, le cuivre des objets s’est enrichi d’un lustre gris – ce gris évanescent que l’on peut parfois voir sur les rochers le long d’une plage ou sur certaines fresques de Pompéi qui ont résisté au temps. En regardant les mutations actuelles, on ne peut s’empêcher d’évoquer l’esthétique sublime des jardins surréalistes comme celle du jardin Las Pozas d’Edward James au Mexique ou celle du jardin anglo-chinois Le Désert

de Retz à Chambourcy, qui ravissent les amoureux des ruines bucoliques et des mondes enfouis. Les créations de Bondi semblent cependant plus naïves ; elles rappellent la grotte sous-marine de La Petite Sirène, où la princesse Disney empilait ses trésors : bougeoirs, vases anciens, et une simple fourchette à la fonction non identifiée. Des années après cette exposition, il semble que les objets aient toujours une signification indéniable pour l’artiste, et qu’ils soient chargés de l’énergie d’une dimension parallèle qui se situe bien audelà de la perception humaine. Bianca Bondi, 34 ans, passionnée de brocantes, tient une liste d’objets à trouver pour de futures installations et pour la reconstruction d’un musée imaginaire. Elle suit l’adage du collectionneur avéré selon lequel les vieilleries d’un homme sont

Photographie THIBAULT-THÉODORE Par PIERRE-ALEXANDRE MATEOS et CHARLES TEYSSOU Traduction ELISABETA TUDOR 158



CI-DESSUS : “Still Waters,” 2020, par Bianca Bondi. Vue de l’installation, Le Parvis, Tarbes. À DROITE : “The Antechamber (Tundra Swan),” 2020, par Bianca Bondi. Vue de l’installation, The Busan Biennale, Corée du Sud.

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Les dimensions du temps et de l’espace qui nous échappent sont celles que Bondi observe lorsqu’elle se rend au musée de Minéralogie de Paris au Jardin des Plantes, là où la langue des pierres de l’écrivain Roger Caillois prend tout son sens. Les pierres précieuses lui rappellent peut-être la surface Kepler-22 b, une exoplanète potentiellement habitable à 587 années-lumière de la Terre, que l’artiste a étudiée dans une autre vie, lorsqu’elle rêvait encore d’une carrière scientifique. Mais plutôt que de se soumettre à la rigueur de la science dure, Bondi a préféré la maniabilité du plastique et l’expérience sensuelle des couleurs et de la matière, puisant sa sensibilité créative dans les mouvements artistiques du Bio-art ou du Earth-art avec une touche de Seapunk.

Photos courtesy of the artist and Galerie Mor Charpentier, courtesy of the Busan Biennale

souvent les trouvailles d’un autre. Ses objets sont chargés d’une teneur métaphysique qui puise sa force aussi bien dans l’enfance de l’artiste que dans ses expériences récentes. En grandissant à Johannesburg, elle fut profondément touchée par les traditions animistes de l’Afrique du Sud. Elle se rappelle avoir lu dans le Daily Sun des “vrais” témoignages de sorcellerie ainsi que des scènes de crime. Le mysticisme qui enrobe la spiritualité a toujours fasciné Bondi lorsqu’elle était jeune fille – une fascination qui est toujours omniprésente dans sa vie. Elle se souvient d’avoir fréquenté régulièrement une pharmacie où l’on vendait des racines de plantes, des griffes d’animaux, des pattes de poulet et d’éléphant derrière le comptoir, et d’avoir passé ses soirées à regarder des séries des années 90 comme Buffy contre les vampires ou The Craft : Dangereuses Alliances. Comme les héroïnes de ces séries, Bondi a pratiqué des cérémonies occultes et divinatoires pendant sa jeunesse, mais ce qui aurait pu rester un jeu d’enfant ancré dans la curiosité du mystique a pris une tournure plus sérieuse et personnelle à la mort de son père. Dès lors, et à travers divers rituels, Bondi a essayé de communiquer avec l’au-delà. Très vite, une intuition s’est forgée, celle de la vie au-delà du palpable. Ainsi, la pratique de l’artiste est aujourd’hui entièrement guidée par l’art de la vanité, les traditions picturales dédiées à l’évanescent, et la remise en question de la finitude de l’humanité.


Parmi elles, l’amarante, une plante symbole d’immortalité, et le ruscus, un arbuste utilisé pour ses qualités protectrices. Des phénomènes alchimiques et symboliques soulignent ici le pouvoir des histoires racontées. Le spectateur assiste, en quelque sorte, à une mini-épopée fantastique, aussi subtile dans ses dimensions qu’étourdissante dans ses ambitions : celles de parler avec l’au-delà.

Photos Cassander Eeftinck Schattenkerk, Martin Freiherr von Hagen

Le désir de Bondi d’observer de près les environnements qui l’inspire est ce qui a motivé son voyage en Corée du Sud pour la Biennale de Busan au début du mois d’août, alors que le monde était en proie à la pandémie de la Covid-19. L’artiste a dû passer 14 jours en quarantaine dans un hôtel d’aéroport avant de pouvoir mettre en scène son œuvre, The Antechamber. Inspirée par Tundra Swan, une œuvre de la poétesse coréenne Kim Hyesoon, sa proposition immersive dépeint un paysage de sel avec quelques objets épars émergeant d’une blancheur immaculée. Cette installation semble ainsi osciller entre une chambre de vie et une chambre de mort, de recueillement et de dissipation, comme dans le décor de 2001: A Space Odyssey, où l’astronaute Dave Bowman se voit vieillir à un rythme accéléré avant de renaître. Pour l’artiste, l’installation a une perspective allégorique : “Je voulais créer les limbes du rêve ainsi qu’un espace déstabilisant, dit-elle. En mettant beaucoup trop de lumière dans l’espace, puis 6 tonnes de sel sur le sol blanc, cet espace parvient à jouer des tours à nos yeux. Les seules sources de couleur sont le lit avec son bassin d’émeraudes cristallisées et la commode avec son cygne symbolique en verre.” Souvent, les œuvres de Bondi peuvent être considérées comme des synapses cosmiques ou des lieux de divinisation. Prenez son exposition actuelle, “Still Waters”, qu’elle présente actuellement au Centre d’art contemporain Le Parvis, un espace situé à l’intérieur d’un supermarché de Tarbes, en France. L’exposition est inspirée par le phénomène du scrying, un art ancien de la prophétie qui nous relie au monde spirituel. Pour atteindre son objectif de réflexion, l’artiste utilise de simples flaques d’eau entourées de couloirs de sel plutôt que des miroirs ou des boules de cristal. Cette pratique rappelle les cérémonies païennes ou wiccanes et prend l’allure d’un biotope magique entre métamorphose et déréliction. Dans ses corps liquides sont immergés des fleurs, des coquillages et des pièces de monnaie en cuivre, qui se teintent d’un bleu turquoise au contact de l’eau. Les précipités de Bondi sont ainsi chargés de vertus polymorphes ; ce sont des corps en digestion, des vies accélérées ou ralenties selon les éléments. Des compositions florales complètent ses vanités en perpétuel mouvement, générant un sentiment qui se situe au carrefour entre les images chimériques du jeu vidéo Final Fantasy et un EP de vaporwave.

Compte tenu de l’histoire de la ville d’accueil de l’artiste, la signification de son spectacle prend un sens inédit mais fatal. La ville de Tarbes a été le berceau d’un autre personnage mythique : c’est là que le comte de Lautréamont a écrit Les Chants de Maldoror. Le roman poétique suit un héros du même nom, qui n’est ni tout à fait vivant ni tout à fait mort, et chante des liturgies hallucinatoires au milieu des tarentules, des animaux affamés, des fantômes et d’une multitude de plantes exotiques. De la même manière, l’art de Bondi apparaît comme étrange et piégé, où la nature s’imite et se mêle à l’artifice et au trompe-l’œil. Les effets chatoyants de ses installations cachent de petits théâtres d’horreur dans lesquels ses traumatismes personnels entraînent une régénération et une pétrification. Le lien devient encore plus surréaliste si l’on considère que l’eau utilisée par l’artiste est dite miraculeuse, provenant de la ville thermale de Lourdes. Bondi est-elle l’artiste d’un miracle ? Elle n’a pas encore décidé.

EN HAUT, À GAUCHE : “The Private Lives of Non-Human Entities,” 2020, par Bianca Bondi. Vue de l’installation, Het HEM, Zaandam, Pays-Bas. CI-DESSUS ET PAGE PRÉCÉDENTE : Robe, harnais, chapeau et chaussures, GUCCI. Gants, CORNELIA JAMES. Bijoux, perso. STYLISME : Lisa Jarvis. SET DESIGN : Nicola Scarlino.

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Off Site Habillée et nulle part où aller ? Avec cette collection croisière, une robe bucolique pour une excursion en ville ou une tenue de soirée paillettée pour un après-midi à la campagne fonctionnent tout aussi bien.

Photographie MENELIK PURYEAR Stylisme DAVID THIELEBEULE 162



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CI-CONTRE, AMELIA : Veste et pantalon, BALMAIN. PAGE DE GAUCHE, ALISSA : Robe et boucle d’oreille, SIMONE ROCHA. Chaussettes, FALKE. Chaussures, CHURCH’S. AMELIA : (Dessus) Robe, SALVATORE FERRAGAMO. (Dessous) Robe, ISABEL MARANT.

Boucles d’oreilles, SIMONE ROCHA. Chapeau, GIGI BURRIS. Chaussettes, FALKE. Boots, CHURCH’S. PAGE PRÉCÉDENTE, ALISSA : Robe, CAROLINA HERRERA. Escarpins, JIMMY CHOO. AMELIA : Robe, MUGLER. Collier, JENNIFER FISHER. Sandales, GIANVITO ROSSI.

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CI-CONTRE, ALISSA : Robe, CHANEL. Boucle d’oreille, SIMONE ROCHA. PAGE DE DROITE, ALISSA : Robe, DIOR. Collier torque, JIL SANDER.


CI-CONTRE, ALISSA : Robe, GABRIELA HEARST. Sautoir, JIL SANDER. Boucle d’oreille, SIMONE ROCHA. Chaussures, JIMMY CHOO. PAGE DE DROITE, ALISSA : Robe, SAINT LAURENT. Chapeau, GIGI BURRIS. AMELIA : Robe, MUGLER. Chapeau à voilette, GIGI BURRIS.


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CI-CONTRE, AMELIA : Robe, TORY BURCH. Collier, JENNIFER FISHER. Chaussettes, FALKE. Boots, CHURCH’S. PAGE DE DROITE, AMELIA : Robe, MICHAEL KORS. Boucle d’oreille, SIMONE ROCHA. Escarpins, MANOLO BLAHNIK. COIFFURE :

Erick Williams. MAQUILLAGE : Kuma. MANUCURE : Daria Hardeman. ASSISTANT PHOTO : Dylan Johnston. ASSISTANTS STYLISME : Erika Golcher et Taylor Champlin.



Le monde

TEL QU’IL EST À travers des feuillages érotiques et une historicisation subversive, l’artiste danois Rasmus Myrup remet l’ordre naturel sens dessus dessous. Grand, aux yeux bleus et aux cheveux blonds courts et ensoleillés : au premier coup d’œil Rasmus Myrup semble être une véritable mascotte de son pays natal, le Danemark. D’une certaine façon, il aurait pu l’être – si seulement sa pratique artistique n’avait pas consisté à remettre en question l’une des idées fausses les plus répandues au sein de notre société. En effet, il ne faut pas s’arrêter à son grand sourire : au-delà de ses apparences candides, l’artiste remet sérieusement en question le principe selon lequel l’ordre naturel est basé sur la reproduction biologique hétérosexuée. Né à Copenhague, et basé désormais entre la capitale danoise et Paris, il a élaboré une pratique artistique qui s’apparente à un manifeste écosexuel. Un manifeste qui considère la nature non pas comme la mère porteuse du monde, mais plutôt comme une meneuse d’orgie homosexuelle. Un intérêt, avoue l’artiste, qui lui vient en partie de son enfance. “Quand vous êtes enfant, on vous inculque que la nature fonctionne uniquement dans le sens de la fécondation et de la procréation, telle la graine qui devient une fleur, explique Myrup. En tant qu’homosexuel, je ne parvenais pas à m’identifier à

ce propos que je trouve toujours réducteur. La genèse de mes pratiques artistiques a été une façon de comprendre que la nature se masturbe et qu’elle a aussi des relations sexuelles anales et orgiastiques.” Dans sa quête pour établir l’homosexualité comme consubstantielle à l’évolution de l’humanité, Myrup a remonté le temps au sein de sa première exposition personnelle intitulée “Homo Homo” qui a ouvert ses portes au Centre d’art contemporain de Tranen au Danemark en 2018. Oubliez le musée de votre enfance dans lequel un diorama de la famille préhistorique hétérosexuelle était très probablement au centre de toutes les attentions. Ici, c’est l’apparent réalisme d’une colonie d’homo néandertaliens qui fait fureur. On pouvait y voir un jock-strap en fourrure suspendu à une branche d’arbre, deux godes sculptés en bois posés à côté d’un prototype de sex-swing, deux hominidés qui se battent, s’embrassent et se câlinent, et, tout au centre de l’exposition : un prototype de lit à baldaquin pour deux amoureux. Avec cette installation artistique, Myrup joue avec le vocabulaire formel de l’exposition scientifique afin d’exprimer une critique résolument queer contre la prémisse

Photographie PETRA KLEIS Par PIERRE-ALEXANDRE MATEOS et CHARLES TEYSSOU 172



Naturellement, cette vision artistique s’est encore plus concrétisée avec le temps. Pour son exposition new-yorkaise “Re-member Me” à la galerie d’art Jack Barrett en 2019, Myrup a recréé une forêt à travers un collage de feuilles d’arbres provenant de Paris et du New Jersey. L’attention du visiteur est immédiatement attirée vers le fond de la salle, vers des dessins au crayon encadrés et cachés derrière des feuillages ou encore couronnés par ceux-ci. Certaines des œuvres suspendues CI-DESSUS : “Homo Homo Sapiens (Forest Encounter at Sunset),” 2018, par Rasmus Myrup. À DROITE : “Orgy (Skovshoved, Midday),” 2019, par Rasmus Myrup. PAGE DE DROITE : “Homo Homo,” 2018, vue de l’installation au Tranen Space for Contemporary Art, Hellerup, Denmark, par Rasmus Myrup.

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Photos courtesy the artist and Jack Barrett, NY, David Stjernholm

hétérosexuelle qui reste toujours ancrée dans le discours dominant de la préhistoire. Cette exposition est donc un véritable pastiche des musées d’histoire naturelle : un détournement gay et didactique de la tradition anthropologique. Le philosophe Georges Bataille a un jour évoqué, et ce avec une pointe de sarcasme, que la raison d’être du musée est celle d’être le miroir de l’homme : un outil narcissique qui lui donne l’opportunité de contempler ses multiples facettes tout en s’émerveillant de son reflet. Dans ce cas précis, le miroir que Myrup nous tend laisse entrevoir le visage d’un hominidé mâle, couvert de sperme.

LE PROBLÈME AVEC le MOT NATUREL SE POSE LORSQU’IL EST UTILISÉ pour DÉFINIR QUELQUE CHOSE DE JUSTE ou DE PUR.


terre non pas comme une figure parentale prude mais comme un partenaire sexuel actif et lascif. Pourtant, l’approche de Myrup est imprégnée d’une tradition picturale plus ancienne : la pornographie gay. Dans le sillage de Fred Halsted – qui a su créer un portrait érotique de Los Angeles tel un continuum libidinal de désirs dissidents – l’artiste met fin au potentiel iconographique de la pornographie dans L.A. Plays Itself. La mise en scène de la nature tel un “bukkake de pollen” lui permet de remettre en question la place de la nature sauvage au sein de l’histoire de la peinture, une place trop souvent réduite à celle d’un arrière-plan, comme celle d’un lieu de batailles ou d’un refuge romantique. Dans l’ensemble, la pratique artistique de Myrup revendique passionnément la lutte contre la prétendue contre-naturalité de l’homosexualité. Pour l’artiste, ce sentiment de contrenaturalité est sans fondement ontologique. “Le problème avec le mot naturel se pose lorsqu’il est utilisé pour définir quelque chose de juste ou de pur”, explique-t-il. En effet, l’idée d’un ordre naturel est une construction socioculturelle utilisée pour exclure les comportements et les corps qui ne correspondent pas aux normes hétéropatriarcales. Au-delà de ce raisonnement, Myrup dirige sa pratique artistique vers une réflexion sur l’histoire de la représentation gay et, plus particulièrement, sur une tradition qui fait l’éloge de l’homosexualité comme forme d’amour ancestrale. Si, historiquement, l’homosexualité est liée à la condition urbaine moderne, une généalogie d’artistes et d’écrivains a, au contraire, voulu l’incarner dans les canons artistiques classiques. Sans aucune forme de mièvrerie ou de kitsch, ces représentations situent donc l’homosexualité dans un paysage naturel et solaire, mettant l’accent sur une symbiose entre les corps sculptés et la nature sauvage.

C’est dans ce contexte-là que la Grèce antique est devenue un point de référence pour Myrup. En particulier, l’Arcadie, une région nichée au centre du Péloponnèse, qui est considérée comme le berceau mythologique de l’utopie homosexuelle et, pour beaucoup, comme l’ancienne terre promise. Des peintres tels que Paul Cadmus et Jared French aux États-Unis, Kristian Zahrtmann au Danemark et Magnus Enckell en Finlande ont défendu ces représentations et font partie des artistes qui forment le Panthéon personnel de Myrup. À cet égard, il déclare que l’île Fire Island – un haut lieu culturel de l’homosexualité depuis les années 50 situé au large de la côte sud de Long Island, dans l’État de New York – illustre la teneur de la représentation homosexuelle aujourd’hui. Après y avoir séjourné durant trois semaines de résidence artistique à Boffo, Myrup a réalisé que cette destination estivale ne servait pas seulement de refuge contre l’homophobie métropolitaine, mais qu’elle était aussi à l’origine d’une nouvelle forme de ruralité qui n’obéissait pas aux normes hétérosexuelles. Au-delà des rituels festifs bien connus de l’île, la communauté a expérimenté une nouvelle définition de l’intimité, de l’amour et de l’hospitalité qui a produit ses propres concepts d’urbanisme, d’architecture et de sociabilité. Il se trouve que Myrup a vécu à New York avant de rentrer chez lui à Copenhague. Deux villes aux visions opposées de la nature. La première conçoit la nature comme un refuge par rapport à son architecture omniprésente – c’est notamment le cas de Central Park, conçu par l’architecte-paysagiste Frederick Law Olmsted – tandis que la seconde est un parfait modèle de la ville-jardin. Mais Myrup refuse de céder à toute forme d’idéalisation, expliquant “qu’ici [à Copenhague], l’architectepaysagiste voulait simplement quelque chose de plus brut”. Ainsi, les natures mortes de l’artiste nous mènent précisément à la

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conclusion suivante : l’existence d’une nature vierge et primitive est une simple illusion. “En ce qui me concerne, la nature et la ville ne constituent pas de dichotomie, dit-il. J’écoute Beyoncé sur mon iPhone en portant un jean blanc quand je me promène dans la forêt, alors que je me comporte comme un véritable ermite dans la ville. J’essaie de compléter ma dextérité urbaine par ma dextérité rurale. Je préfère cultiver ma curiosité pour ces deux domaines-là plutôt que de privilégier l’un des deux.”

représentent des scènes bucoliques – Orgie, leur titre commun, contraste avec leur apparente nature contemplative – tandis qu’un autre dessin, plus dramatique, dépeint un mâle éjaculant dont le sperme est remplacé par des samares et autres fruits secs. Peinture rurale et pornographie : ce parallèle peut sembler étrange, mais il invite néanmoins le spectateur à imaginer un backroom derrière chaque champ de pavot, ou bien même à imaginer une rencontre fictive entre Nicolas Poussin, le maître du paysage pastoral du xviie siècle, et Bruce La Bruce, le pape du post-porno. Cette vision de la nature comme entité libidinale fait écho au mouvement éco-sexuel des pionnières du sexe Annie Sprinkle et Elizabeth Stephens, et considère la EN HAUT : “Homo EN BAS : “Homo

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Homo Ergaster (Surprise Kiss),” 2018, par Rasmus Myrup.

Homo Neanderthalensis (Spooning),” 2018, par Rasmus Myrup.

Le théoricien queer Guy Hocquenghem pensait qu’être gay, c’était habiter une identité en perpétuel mouvement, un état de contradiction entre la norme et la marge, le public et l’anonyme. Comme il l’a dit un jour, “il n’y a pas de terre promise pour les homosexuels. Nous devons l’inventer. Un territoire qui n’est pas fixé dans un État mais un contre-monde sans carte ni boussole”. C’est précisément ce territoire-là que Myrup est en train de tracer sur la carte. Ni pays des merveilles ni refuge, Myrup façonne ce que nous appelons une “Carte du Pays de Tendre” pour contrer l’ère des extrêmes.

Photos courtesy the artist and Jack Barrett, NY, David Stjernholm

JE NE PENSE pas À la NATURE ET À LA VILLE EN TERMES de DICHOTOMIE. J’ÉCOUTE BEYONCÉ sur MON IPHONE EN PORTANT un JEAN BLANC QUAND JE ME PROMÈNE dans LA FORÊT, ALORS QUE JE ME COMPORTE COMME un VÉRITABLE ERMITE DANS la VILLE.

La collaboration de l’artiste avec la marque de prêt-à-porter homme Phipps illustre sans doute au mieux son parti pris. Pour cette collection automne/hiver 2020 intitulée “Treehugger: Contes de la forêt”, Myrup s’est inspiré de la culture forestière pour concevoir des sacs en forme de panier à partir de roseaux chinés en Lituanie, ainsi que des bijoux en os sculpté et des cannes créées à partir de branches. Oscillant entre l’iconique Whole Earth Catalog (le magazine radicalement écolo de la fin des années 60, ndlr), une fête libertine de la Spiral Tribe des années 90 et un ranger vu à travers les yeux du dessinateur et peintre finlandais Tom of Finland, cette collection cristallise tous les fantasmes que les forêts déclenchent en nous depuis que nous avons enfin su comprendre leur rôle essentiel dans la préservation de notre planète. Sans pour autant tomber dans un fatalisme total, Myrup impose sa vision sans jamais se livrer à une idéalisation émersonienne du monde naturel pensé comme un espace d’éveil spirituel.



Alors qu’une série de nouvelles résidences d’artistes a récemment vu le jour, l’histoire – et l’importance – de l’artiste-résident en quête d’évasion remonte loin dans le temps. Une scène improbable s’est produite durant l’été 1955 dans les forêts du sud du New Hampshire aux États-Unis. Elle a eu lieu à la MacDowell Colony, une maison d’artistes fondée au début du xxe siècle entièrement dédiée à l’épanouissement créatif de ses artistes-résidents, et ce au beau milieu d’un paysage pittoresque entre prairies, chalets rustiques et cottages en pierre. Cet été-là, le célèbre artiste dadaïste Marcel Duchamp l’a passé à MacDowell. Le peintre américain Milton Avery, un contemporain de Duchamp connu pour ses tableaux abstraits

épurés, était également présent. Une décennie plus tard, l’épouse d’Avery, Sally, a rappelé dans une interview avec les Archives d’art américain du Smithsonian que son mari avait enseigné à Duchamp un ensemble de pratiques non négligeables pendant sa résidence à MacDowell. Quelles étaient donc ces pratiques ? Était-ce une façon de peindre ? Une façon de voir le monde à travers l’art ? Ou bien plutôt des conseils bienveillants sur la manière d’aborder les galeries d’art et les musées ? Rien de tout cela. “Milton jouait au billard tous les soirs, expliquait Sally. Il était très fort. Duchamp n’avait jamais joué au billard, alors Milton

Par TED LOOS Traduction ELISABETA TUDOR 178


MACDOWELL

lui donnait des leçons.” Elle a ajouté que Duchamp avait dit à son mari : “Milton, je vais faire imprimer des cartes : Marcel Duchamp, élève de Milton Avery. Il pensait que c’était une excellente blague.” Les résidences d’artistes, et le dépaysement qu’elles procurent, encouragent ceux-ci à créer des liens fortuits, aussi imprévisibles que leur art en lui-même. Parfois ces résidences sont tout bonnement une parenthèse jouissive pour les artistes car, loin de la pression du marché, elles sont le fief d’avancées artistiques majeures ou de progrès essentiels sur une œuvre d’art en court de réalisation. Fondé en 1907, MacDowell, qui a récemment abandonné son suffi xe Colony, est l’une des plus anciennes résidences de ce type. C’est également là-bas que la peintre afro-américaine Faith Ringgold a réalisé sa série de peintures désormais iconique nommée Baby Face and Willi en 1982. Plus de deux mille artistes ont ainsi bénéficié de cette résidence, pas seulement des peintres, aussi des écrivains et des artistes multimédia. Il existe des centaines de résidences similaires à MacDowell, et ce dans le monde entier. Elles ont toutes un dénominateur commun qui affirme que le temps qu’un artiste passe loin des aléas et des responsabilités de la vie quotidienne est non seulement une expérience revitalisante mais essentielle pour la teneur de son œuvre. Pendant ces résidences, les artistes créent des liens, travaillent, apprennent, enseignent, discutent ou simplement regardent dans le vide, si cela peut favoriser leur processus de création. “Les artistes ont besoin d’un laboratoire d’idées pour mener à bien leur œuvre”, explique Alexander S.C. Rower, petit-fi ls du sculpteur Alexander Calder et président de la Fondation Calder qui parraine la résidence de

l’Atelier Calder à Saché, dans les Pays de la Loire. Il va sans dire que beaucoup d’artistes trouvent là une nouvelle famille créative, une communauté de têtes pensantes qui partagent et se nourrissent des mêmes idées, loin de la solitude de leur atelier – s’ils ont le privilège d’en avoir un. Le concept même de résidence d’artistes a pris de l’ampleur au début du xxe siècle, au moment où le monde s’est industrialisé, urbanisé et densifié. Soudain, pour avoir les idées claires, il fallait s’éloigner du brouhaha incessant de la ville. Depuis, le concept de la résidence artistique a évolué, tout comme sa capacité à favoriser le développement émotionnel et créatif des artistes-résidents. Trouver le juste milieu entre la vie sociale et la solitude est le point clé d’une résidence à succès ; trop de l’un ou l’autre, et l’équilibre de l’artiste en pâtit. Sarah Workneh, co-directrice de l’École de peinture et de sculpture Skowhegan, fondée en 1946 dans le centre du Maine aux États-Unis, affirme que les artistes en résidence lui confient qu’il est rassurant pour eux de pouvoir s’identifier à “un groupe

TRIANGLE

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de personnes qui ont une véritable vocation commune”, ce qui est tout autre chose que de pratiquer son art de manière isolée. Habituellement, Skowhegan accueille soixante-cinq artistesrésidents sur une période de neuf semaines, mais l’école a dû provisoirement fermer ses portes l’été dernier à cause du coronavirus. Une problématique qui affecte de nombreuses résidences d’artistes actuellement. Parfois, le cadre imposé par la résidence oblige les artistes à faire preuve d’ingéniosité. En 1966, le compositeur John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham, en couple, ont dédié leur temps en résidence à la cueillette de champignons. Mais un jour, Cage tombe sur des affiches en ville annonçant qu’il doit donner une performance, ce que le personnel de Skowhegan ne lui avait pas formellement annoncé. Il a donc dû agir sans tarder et composer son œuvre désormais célèbre, TRIANGLE

Être DANS UNE RÉSIDENCE, c’est une VÉRITABLE PÉRIODE DE TRANSFORMATION, ON SORT DU cocon CONFORTABLE DES ÉCOLES. Variations VII, en une seule soirée. “Il faut improviser, déclare Workneh. C’est comme cela que les artistes parviennent à créer des œuvres particulières ; quand on les incite à aller au-delà de leur zone de confort.” À l’époque, Cage et Cunningham étaient déjà des artistes bien établis, alors que l’objectif primordial des résidences est davantage destiné à soutenir et orienter les artistes en début de carrière. “C’est une trajectoire à suivre, explique Workneh. Yale-Norfolk est une résidence importante pour les jeunes artistes en herbe, poursuit-elle, faisant référence à la résidence d’été des étudiants de premier cycle. Brice Marden et Vija Celmins s’y sont rencontrés lorsqu’ils étaient à l’université. Et l’étape suivante est Skowhegan, lorsque vous avez déjà fait vos preuves et que vous n’êtes plus un artiste débutant. Yaddo et MacDowell sont, quant à elles, des résidences faites pour les artistes qui ont déjà trouvé leur voix.” La moyenne d’âge des participants à Skowhegan est de 28 ans, explique l’artiste Kiki Smith, également membre du conseil d’administration, dont le père, le défunt artiste-sculpteur Tony Smith, avait enseigné à Skowhegan. “Ce sont des artistes qui viennent de finir leurs études, qui se retrouvent seuls, et qui ont besoin d’être entourés par d’autres jeunes artistes qui partagent la même vocation, explique-t-elle. Être dans une résidence, c’est une véritable période de transformation, on sort du cocon confortable des écoles.” Des bouleversements personnels peuvent également 180

survenir pendant ces quelques mois d’été, quand les sentiments s’en mêlent. “Certains artistes finissent par quitter leur mari ou leur femme, explique Smith. Mais certains trouvent aussi leur futur époux à la résidence.” Smith note que les artistes ont tous un parcours bien différent, et que leurs opinions sur la nécessité d’une résidence divergent donc considérablement. “Pour certains artistes, les résidences sont indispensables, mais pas pour tous, ajoute-t-elle. Cela dépend vraiment de la qualité des ressources auxquelles l’artiste a accès – ou pas – en temps normal.” (Lorsque David Hockney a été interrogé à ce sujet, il a rétorqué : “Je ne pense pas avoir déjà été invité à participer à une résidence d’artiste, mais, quoi qu’il en soit, je n’aurais jamais accepté d’y aller.”) La peintre new-yorkaise Julie Mehretu a participé à plus d’une demi-douzaine de résidences, notamment à l’Académie

SKOWHEGAN


Castel Caramel: Courtesy of subject; Palazzo Monti: Photograph by Leonardo Anker Vandal

américaine de Berlin et celle de Rome. “Les premières résidences ont été très formatrices, affirme-t-elle. C’est là où je me suis pour la première fois sentie acceptée et comprise par une communauté.” Mehretu, dont la rétrospective de mi-carrière sera présentée au Whitney Museum of American Art au printemps prochain, se souvient d’une liaison furtive avec l’artiste Sanford Biggers lors de son séjour au Headlands Center for the Arts, une résidence à Marin County, en Californie. Le temps qu’elle a passé dans des résidences l’a inspirée à cofonder une maison d’artistes avec ses amis Lawrence Chua et Paul Pfeiffer : la Denniston Hill, située sur 200 hectares verdoyants dans le sud des montagnes Catskill dans l’État de New York. Elle décrit ce projet comme “un collectif, dont la résidence est l’œuvre commune”. Et parce que ses fondateurs sont, comme le dit Mehretu, “ des artistes de couleur queer”, cette résidence a un véritable parti pris. “Ce n’est pas seulement un lieu qui offre un espace de travail aux artistes, c’est un projet qui vise à décoloniser les pensées et pratiques artistiques. À quoi ressemble le post-colonialisme ? C’est un véritable lieu d’expérimentation.” Avec la prolifération de ces résidences d’artistes, de nombreux nouveaux modèles ont vu le jour. Géographiquement, on en trouve partout : de la côte d’Oaxaca, au Mexique, où l’artiste Bosco Sodi a fondé la Casa Wabi en 2014, au cœur de la ville de Londres, où une résidence artistique de trois mois est proposée par l’association Gasworks. Comme le démontre cette dernière, les résidences d’artistes ne se font pas uniquement dans la campagne profonde. La résidence The Triangle Arts a beau avoir fait ses débuts dans une ancienne laiterie de l’État de New York lorsque le célèbre sculpteur Anthony Caro l’a cofondée en 1982, elle a été depuis transposée en ville, et dispose aujourd’hui de quatre ateliers séparés accueillant trois à six artistes pour quelques mois dans le quartier de Dumbo à Brooklyn. “Le milieu urbain est très apprécié, surtout par les artistes internationaux”, explique Nova Benway, directrice générale de The Triangle Arts. La critique d’art et conservatrice indépendante Karen Wilkin, qui était présente lors de la première résidence initiée par Anthony Caro, note que le sculpteur s’est inspiré d’une maison d’artistes dans la province canadienne du Saskatchewan. La résidence Emma Lake, le nom d’un lac, a débuté dans les années 1920 et le sculpteur s’y est rendu dans les années 1970. (Lorsque le peintre Barnett Newman a été invité à y participer, Wilkin dit que Newman aurait rétorqué : “Mais où est la province Saskatchewan, et qui est Emma Lake ?”) Pour les artistes à la recherche d’une résidence à mi-chemin entre la nature sauvage et la civilisation, la Fondation Chinati située à

RÉSIDENCES D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN

CASTEL CARAMEL

Castillon, France, fondée en 2018 “La Côte d’Azur a toujours accueilli une communauté artistique captivante, quoique presque strictement institutionnelle, affirme Maria-Theresia Pongracz, collectionneuse et consultante. J’ai lancé Castel Caramel parce que je voulais ajouter une nouvelle dimension à ce panorama artistique en créant des opportunités de rencontres entre des artistes contemporains et la communauté locale.” Depuis sa création, cette résidence a su tenir ses promesses en accueillant des artistes comme Chloé Wise et Jill Mulleady. Ces séjours prolongés dans des conditions d’hébergement luxueuses donnent aux artistes l’occasion d’organiser des dîners mondains ainsi que des rencontres avec des commissaires d’exposition et avec la communauté locale. En hommage à l’artiste viennois Ernst Fuchs, mentor de Pongracz mais aussi ancien propriétaire du domaine où se situe la résidence, le lieu vise à valoriser un dialogue transversal au sein de la communauté. Pongracz espère ainsi contribuer à la formation d’une nouvelle génération de mécènes dans la région qui pourra soutenir les résidents de Castel Caramel afin de promouvoir le développement d’une communauté locale autour de l’art contemporain.

PALAZZO MONTI

Brescia,Italie, fondée en 2017 Située au sein d’un vaste domaine en Lombardie, cette résidence d’artistes est le fruit d’un travail de longue haleine commencé à New York. En effet, au cours de son premier voyage dans la Grosse Pomme, le collectionneur Edoardo Monti a réalisé que sa demeure familiale inoccupée pourrait servir de résidence aux artistes qui souhaitent échapper au chaos de la vie urbaine. Après une année de rénovations, Monti accueille des artistes prometteurs dans le cadre de résidences artistiques (sur dossier et sur invitation) de quatre à douze semaines. “L’Italie a une longue tradition de promotion d’artistes en herbe, explique-t-il. Convertir une résidence privée en un véritable projet culturel a été un exercice quelque peu difficile, mais très gratifiant.”

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VALLAURIS

Marfa, au Texas, est sans doute l’endroit rêvé. L’artiste Donald Judd est tombé amoureux de cette terre désertique dans les années 1970, et elle est devenue une source d’inspiration majeure pour son œuvre. À partir des années 1980, il a commencé à inviter divers artistes à y passer du temps de façon informelle, et cette pratique a finalement donné naissance à la création d’une résidence officielle qui accueille six artistes par an, présent chacun pour une durée de deux à trois mois. Judd a également exposé sa collection d’œuvres d’art au sein de cet espace, et, en conséquence, Chinati est devenu un véritable musée d’art conceptuel, qui inspire et nourrit les artistesrésidents. “C’est comme si on vous enfermait dans le Met toute une nuit, s’esclaffe Rob Weiner, consultant senior chez Chinati. Vous vivez au sein de cette grande collection d’art contemporain qui se situe dans la nature, au milieu de nulle part.” De ce fait, la résidence Chinati a servi de tremplin à la carrière d’un bon nombre d’artistes, qui sont aujourd’hui des véritables références internationales, comme la peintre allemande Katharina Grosse. Il existe aujourd’hui une résidence pour chaque type de spécialité artistique. A.I.R. Vallauris, une maison d’artistes située dans la charmante ville de Vallauris, dans le sud de la France, se concentre sur les arts céramiques qui sont, et ce depuis peu, particulièrement favorisés par les artistes contemporains. “Un peintre peut peindre n’importe où, affirme Dale Dorosh, le directeur et fondateur qui a créé la résidence il y a dix-neuf ans. Ici, nous nous concentrons sur la céramique, c’est notre valeur ajoutée. Les céramistes ont besoin d’un matériel spécifique et il leur est plus difficile de voyager avec leurs outils.” Dans ce cadre, Vallauris accueille six artistes par mois, et ce six fois par an. Selon Dorosh, les artistes en résidence quittent Vallauris “surpris de tout ce qu’ils ont pu accomplir”. Le charme de cette résidence est par ailleurs rehaussé par la figure de Pablo Picasso qui a vécu dans la région pendant une décennie. “Cela a laissé une marque indélébile, affirme Dorosh. Mais même avant cela, la région a toujours fait preuve de richesse artistique.” 182

Les résidences à Vallauris sont payantes, mais d’autres résidences en Europe sont parrainées par des mécènes, comme celle de la Villa Lena, une demeure pittoresque située en Toscane. La fondatrice, Lena Evstafieva, qui a fait ses griffes au musée d’Art contemporain Garage à Moscou avant de devenir la directrice de la Pace Gallery, a transformé sa résidence secondaire en maison d’artistes en 2014, en partie parce qu’elle souhaitait attirer l’attention des artistes en herbe sur ce cadre exquis qu’elle a façonné avec son mari, le musicien Jerome Hadey. “Nous avons la chance d’avoir l’espace nécessaire pour le faire et de pouvoir partager ce lieu unique avec des artistes, déclaret-elle. La villa principale du domaine de 500 hectares compte vingt chambres, dont huit sont utilisées par les artistes pendant un mois ou deux – leurs ateliers séparés sont situés dans des dépendances en bas du domaine. La Villa Lena reçoit environ 300 candidatures par an, parmi lesquelles une cinquantaine d’artistes sont sélectionnés par Lena Evstafieva et un comité de consultants indépendants. Cette résidence se distingue notamment par le fait qu’il s’agit là d’une “résidence familiale”, explique la fondatrice, qui privilégie les femmes artistes dans sa collection personnelle, en achetant notamment les œuvres de Kathleen Ryan ou bien celles de la défunte céramiste Betty Woodman. Une place par session de résidence est d’ailleurs réservée à une famille avec des enfants. “Il est inconcevable aujourd’hui de demander à une mère ou un père de famille de se séparer de ses enfants pendant des mois, déclare-t-elle. J’ai moimême deux enfants. Je comprends la nécessité de rester en famille.” Ceux qui préparent, parrainent et conseillent les résidences d’artistes observent de près ce qui se fait sous leur égide – et également ce qui n’aboutit pas. “Quelques-uns de nos artistes en résidence n’ont pas été productifs et nos partenaires ont été déçus, explique Rower à propos de la résidence de l’Atelier Calder, qui est gérée et partiellement financée par le gouvernement français. De toute évidence, nous devons être prudents et nous assurer que les artistes n’utilisent pas notre résidence comme une simple maison de vacances”, ajoute-t-il. Mais il a également compris que le phénomène de la page blanche est parfois long : “Il faut parfois attendre un an ou deux pour voir comment la résidence à l’Atelier Calder a impacté leur travail.” Dans ce contexte, Rower a pu observer les artistes par rapport à une multitude d’éléments différents liés au temps et à l’espace de travail qui leur étaient accordés. L’artiste brésilien Ernesto Neto, par exemple, influencé par les mobiles de Calder, a perfectionné les poids et les volumes de ses formes sculpturales bulbeuses et réticulées. Martin Puryear, l’un des plus grands sculpteurs contemporains, “n’a pas achevé une seule œuvre d’art lors de sa résidence, mais a expédié toutes ses œuvres en cours de création dans son atelier et

CALDER


BLACK ROCK

Black Rock: © 2020 Kehinde Wiley and Black Rock Senegal. Used by Permission. Photograph by Kylie Corwin; NXTHVN: Photo by John Dennis; Green-Wood Cemetery: Courtesy of Green-Wood Cemetery

Dakar, Sénégal, fondée en 2019

les a toutes terminées sur plusieurs années”, déclare Rower. Jeppe Hein a eu trentecinq assistants pour créer un spectacle ressemblant à un cirque, ce qui a créé une atmosphère sauvage et libre. Il est certain que les plaisirs culinaires français y sont également pour quelque chose. Tomás Saraceno, quant à lui, a fait rôtir des lapins sur un feu. “La France a ses bons fromages et ses bons vins et tous nos artistes se délectent, dit Rower. Une artiste très célèbre – je ne peux pas vous dire qui – s’est laissée aller et elle a fini par gentiment me reprocher d’être en partie responsable de sa silhouette désormais plus voluptueuse.” Bien entendu, la campagne n’est pas du goût de tous. “Beaucoup d’artistes ne sont pas prêts à séjourner à la campagne pendant six mois”, dit Rower. C’était le cas d’au moins un participant à la résidence de la Chinati Foundation, qui n’était pas à l’aise au Texas. “Cet artiste était si anxieux et perturbé par les araignées et les serpents qu’il a dû partir immédiatement”, explique Weiner. Cependant, ceux qui acceptent Mère Nature dans toute sa splendeur se voient récompensés. L’artiste multimédia Kambui Olujimi, basé à Brooklyn, se trouve à un moment crucial de sa carrière – il est en pleine ascension, sans pour autant être déjà célèbre –, une résidence ne peut donc que lui être bénéfique. Il en a d’ailleurs fait un bon nombre, dont MacDowell, Skowhegan et celle de la Fondation Robert Rauschenberg, sur l’île de Captiva, en Floride – sans oublier, la résidence Black Rock fondée en 2019 par l’artiste américain Kehinde Wiley à Dakar, au Sénégal. “Ces résidences ont chacune leur particularité”, affirme Olujimi. Sur l’île de Captiva, sa pratique artistique se fondait dans de vastes installations situées dans l’enceinte même de la plage où Rauschenberg a travaillé. Olujimi dit y avoir travaillé 16 heures par jour, et a qualifié cet endroit de “pays des merveilles”. Quels que soient leurs attraits, leur localisation ou leur durée, les résidences artistiques répondent toutes aux mêmes besoins. “À New York, dénicher un espace abordable pour en faire un atelier est un véritable défi, conclut Olujimi. C’est donc une opportunité unique en son genre de pouvoir s’immerger trois mois d’affilé dans sa propre pratique artistique, et ce sans devoir payer de loyer. On travaille du matin au soir, sans se soucier des responsabilités du quotidien. C’est une expérience cruciale, et tout simplement indispensable pour un artiste.”

Le coup d’envoi de Black Rock de Kehinde Wiley a résonné sur la toile l’année dernière, alors qu’un groupe d’artistes, d’écrivains et de personnalités influentes s’y était installé pour en célébrer l’ouverture. La joie et la solidarité ont été les maîtres mots de ce lancement, et c’est précisément l’atmosphère que le célèbre peintre cherchait pour sa première maison d’artistes. Située dans une luxueuse résidence en bord de mer, Black Rock offre à ses résidents l’opportunité de remettre en question les prémisses occidentales de l’art contemporain en découvrant par euxmêmes la scène culturelle florissante de Dakar. Ouverte à toutes les disciplines créatives, Black Rock est sur le point de devenir un fleuron artistique incontournable pour tous ceux qui cherchent à établir un vocabulaire créatif plus international et inclusif.

NXTHVN

New Haven, Connecticut, fondée en 2019 L’héritage de Titus Kaphar va bien au-delà de ses peintures. L’influence de l’artiste est devenue cruciale lorsque celui-ci s’est associé avec ses amis et pairs Jason Price et Jonathan Brand pour créer NXTHVN, un incubateur visant à favoriser la carrière de jeunes artistes et commissaires d’exposition racisés. Ce projet est donc le fruit d’un mélange inédit de concepts de résidences artistiques contemporains. Les membres bénéficient d’un atelier et d’un éventail de ressources comme les autres résidents mais, à la différence des autres résidences, on leur demande aussi de transmettre leur savoir-faire à un étudiant en apprentissage. La première promotion a déjà fait la une en 2019, grâce à des artistes comme Vaughn Spann et Zalika Azim.

GREEN-WOOD CEMETERY

Brooklyn, New York, ouverture officielle en 2021 Après des années passées à accueillir des événements éphémères sur ses collines, le cimetière de Green-Wood a décidé de s’investir plus activement en faveur de la communauté artistique de la ville. Dès janvier, Heidi Lau sera la première artiste en résidence et aura accès à un atelier situé dans le jardin de granit du campus pendant 11 mois. Cette résidence sans précédent a attiré l’artiste par son originalité et la possibilité de recherches visuelles sur les tombes historiques. “Lorsque je suis allée visiter le cimetière, j’ai aussi découvert l’envers du décor : une menuiserie et un atelier de métallurgie. En tant que sculpteure qui travaille surtout la céramique, ces ateliers sont pour moi une base de travail idéale, car ils me donnent accès à des outils que l’on ne trouve pas dans d’autres résidences.” —Kat Herriman


GREENER

Pastures

La scène new-yorkaise a toujours eu une attirance pour la vie à la campagne. L’Officiel est parti dans le nord de l’État de New York à la rencontre d’une poignée d’artistes pour qui la nature est devenue leur chez-soi.

Airbnb, les influenceurs et la presse spécialisée parlent de la campagne new-yorkaise comme d’une terre promise dédiée aux millennials en mal de soleil, cherchant à se déconnecter et à retrouver un bien-être qu’ils ont sans doute perdu dans la métropole. Mais ces pèlerinages de la ville à la campagne ne datent pas d’hier. Le nord de l’État de New York – une vaste région rurale qui s’étend des Finger Lakes à la très branchée Hudson Valley – a longtemps attiré et accueilli une multitude d’écrivains, de designers, d’artistes en quête de nature et de tranquillité. Certains créateurs finissent par s’y installer de façon permanente, tandis que d’autres en font leur échappatoire du week-end, permettant un épanouissement dans la nature tout en conservant une activité en ville. Pour beaucoup d’artistes, la campagne, en tant que refuge tranquille et grandiose, leur offre l’espace nécessaire pour réaliser leurs œuvres dans de bien meilleures conditions qu’en ville.

Par KAT HERRIMAN Traduction ELISABETA TUDOR Photographie EVA O’LEARY 184


DAN COLEN Pine Plains

En partant de la route principale, les pâturages de la Sky High Farm de Dan Colen se fondent dans l’environnement rural de Pine Plains. “Tout a commencé ici, raconte l’artiste, en passant devant un champ où paissent des vaches, des moutons et un âne nommé Joy, la première locataire à quatre pattes du fermier. Dans sa ferme – qui vient d’obtenir le statut d’association à but non lucratif –, Dan cultive des fruits et légumes bio pour en faire don à des

familles dans le besoin. “Je suis ravi et enthousiaste pour l’avenir, dit-il. L’insécurité alimentaire est un véritable problème national, surtout au sein des communautés défavorisées de New York.” La notion de partage qui est au cœur de ce projet reflète également la façon dont l’artiste aborde sa pratique artistique. Il se trouve que la ferme lui sert également d’atelier : c’est là que ses peintures géantes sont soigneusement exposées.


MIKA ROTTENBERG Tivoli Sa chienne Gigi ayant besoin de compagnie, Mika Rottenberg a adopté des animaux de basse-cour. Des poussins piaillent désormais dans la grange de l’artiste où se trouve un camping-car abandonné. Il s’agit de l’ancien décor de son court-métrage,“Cosmic Generator”, sorti en 2017. Mika s’arme parfois d’un bâton, car il arrive que les coqs l’intimident. Habituée depuis belle lurette aux grands espaces de Tivoli, elle s’est lentement détournée des

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habitudes urbaines pour s’orienter vers un style de vie plus respectueux de l’environnement. Elle travaille désormais sur la réalisation d’un nouveau film dans lequel tous les éléments présents sont recyclés. “En tant qu’artistes, mais surtout en tant qu’êtres humains, nous devons nous engager en faveur du développement durable, déclaret-elle. Vivre à la campagne, c’est assumer régulièrement cette responsabilité.”


TSCHABALALA SELF Hudson Une grande partie de la carrière de Tschabalala Self,artiste connue pour ses représentations de figures féminines noires, s’est déroulée à New Haven, dans le Connecticut. “On y est plus dans sa bulle qu’à Hudson”, remarque-t-elle, en descendant la colline du domaine d’Olana, ancienne propriété de l’artiste paysagiste Frederic Edwin Church. “À Hudson, vous n’êtes pas isolée des autres artistes, vous avez l’impression d’être constamment entourée.” La

propriété historique est désormais un parc public et le lieu de recueillement privilégié de l’artiste, qui a acheté une maison à Hudson. Née à Harlem, Tschabalala a développé un amour de la campagne au fil du temps, favorisé par ses études au Bard College puis à la Yale School of Art. Aujourd’hui, elle a trouvé un rythme de vie idéal à Hudson, sans perdre le contact avec la métropole où les acheteurs d’art sont avides de son travail.

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DAWN KASPER Kingston Dawn Kasper se promène dans les bois. Rocky, son chien, la suit. Pour elle, vivre dans le nord de l’État de New York est un moyen d’intégrer une communauté très soudée. À Kingston, elle est entourée d’amis, dont la peintre Lucy Dodd avec qui elle partage une galerie d’art. À la croisée de plusieurs disciplines, Dawn pratique l’art de façon itinérante. Ainsi, s’asseoir autour d’un feu de camp avec elle s’apparente à visiter son atelier. Pour la Biennale

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de Venise de 2017, elle a reconstitué son œuvre la plus connue : “Nomadic Studio Practice”. Cette performance lui a permis de peindre, danser et faire de la musique pendant des mois entiers, devant des visiteurs qui se pressaient dans le pavillon principal de la Biennale. Pas étonnant qu’il lui ait fallu plusieurs années – et les bienfaits de la campagne – pour digérer cette performance très prenante sur le plan physique et mental.


TAMARA GONZALES ET CHRIS MARTIN Catskills En été, Chris Martin étend ses toiles géantes dehors et peint sur l’herbe. Sa partenaire, la peintre Tamara Gonzales, fait de même, mais dans son atelier au sein de la maison, tout en profitant d’une vue panoramique sur les montagnes. Les peintures de Tamara possèdent tous les charmes d’un paysage grandeur nature – on croirait presque tomber dedans si l’on regarde ses toiles de trop près. Le couple fait régulièrement des allers et retours entre New York et les

Catskills, mais a passé la majeure partie des six derniers mois dans ces montagnes. La ville leur manque de temps en temps, mais ils ont pris plaisir à contempler la beauté des paysages infinis. Martin est aussi admiratif de son voisinage. “Plus vous passez de temps ici, plus vous vous rendez compte que les agriculteurs sont de véritables ingénieurs et artistes. Ils s’adaptent, et improvisent des solutions à mesure que les problèmes se présentent.”

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JASON FOX ET HUMA BHABHA Poughkeepsie Trois chiens se précipitent hors de la maison de Jason et Huma à Poughkeepsie. C’est là que le peintre et la sculptrice ont trouvé leur juste milieu, entre les étendues rurales de la vallée de l’Hudson et le désordre métropolitain. “Ici, je peux marcher jusqu’à la gare et aller directement en ville, explique Huma.” Le couple a acquis et transformé une vieille caserne de pompiers il y a quelques années. Chacun a dédié un étage entier à son atelier, et, ensemble, ils vivent dans le penthouse

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du dernier étage. Cette configuration est à l’image des fantasmes d’évasion qu’on trouve dans leurs œuvres d’art respectives. Chez Jason, cela se manifeste dans ses figures colorées, tandis que Huma l’exprime dans ses peintures et totems d’inspiration extraterrestre, dont certains ont orné le toit du Met en 2019.“Quand les gens voient notre travail, ils remarquent rarement ce que nous avons en commun, dit Jason Fox, en souriant. Pourtant nous partageons le même univers.”


MARILYN MINTER Cold Spring Marilyn Minter a commencé à passer du temps dans le nord de l’État de New York à la fin des années 1990 lorsque son compagnon Bill Miller lui a demandé de s’éloigner de la grande ville et de leurs emplois du temps trop chargés. Attiré par Cold Spring, le couple y a acheté un terrain verdoyant traversé par un ruisseau et y a bâti une maison. Avec l’aide de l’architecte Stan Allen, ils ont érigé un “loft” à la campagne. Ce loft a été réaménagé à plusieurs reprises pour faire place à un véritable atelier et

à des chambres d’hôtes. Aujourd’hui, c’est une sublime résidence dans laquelle Marilyn s’est réfugiée pendant le confinement. À l’intérieur, les œuvres d’art réalisées par des amis artistes tels que Sue Williams, Cindy Sherman, Chris Martin et Austin Lee, pour n’en citer que quelquesuns, ornent les murs et les pièces de la maison. Pour Marilyn, dont le travail est imprégné de justice sociale, la vocation de ce lieu est de cultiver le partage et la générosité.

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Photo “Dead Roses”, 2016, by Alex Da Corte

L’art puissant sera toujours radical En 2016, L’Officiel Art a invité Alex Da Corte à travailler sur un projet spécial pour son 18e numéro. Pour ce projet, l’artiste conceptuel américain a présenté un ensemble de collages d’images intitulé Dead Roses et a été interviewé par l’auteur William Massey. “Nous avons créé ces collages dans l’esprit de mes sculptures, qui sont souvent réalisées à partir d’une collection d’objets trouvés”, se souvient Alex Da Corte. Séduisant et terrifiant, l’artiste a tiré des images de films d’horreur comme du classique du genre Scream (1996). Chacune de ces séquences a agi comme un miroir entre deux compositions de même nature, évoquant des sentiments contradictoires et dérangeants chez le spectateur. Dans ces diptyques, la peur est décomposée. L’artiste emprunte à d’autres sources de la culture pop américaine des années 90,

comme la pochette de l’album du groupe Weezer. La pochette bleue originale est peinte en rouge et griffonnée de cornes de diable, sur un fond vichy, et complétées par des émojis de crème glacée. Il est évident qu’une sorte de déconstruction est en cours, et la poésie visuelle de l’artiste résonne particulièrement aujourd’hui dans le sillage de la récente élection présidentielle américaine et de la pandémie mondiale. Depuis sa création, L’Officiel Art offre une plateforme aux artistes contemporains comme Alex Da Corte pour développer et exposer des projets créatifs, ceux qui interpellent et défient. C’est dans cet esprit que le magazine continue aujourd’hui à regarder vers l’avenir tout en reflétant nos plus grands espoirs et nos plus grandes craintes. —Victoire de Pourtales


COSMODREAMS INVITES YOU ON AN IMMERSIVE ART EXPERIENCE IN SPACE * COSMODREAMS VOUS CONVIE A UNE IMMERSION ARTISTIQUE DANS L’ESPACE

Russian artist Marina Fedorova is known for her instantly recognisable paintings inspired by the Fashion and Architecture, Hollywood films and Instagram trends, is taking the viewer on a fastpaced conceptual journey through space. The project reflects the artist’s views, thoughts and perceptions relating to the beauty of cosmic space and landscapes, technological progress and its implications for the life on Earth, social adjustment and the legacy left to future generations. This highly original and inventive experiment establishes multiple links between painting, contemporary aesthetics, and digital technology. Paintings and sculptures have been brought to life with the use of VR & AR functions, while the music score allows the viewers to further dive into imaginary worlds. COSMODREAMS is engaging, inspiring, playful and reflective. It is a first-in-kind and stand-alone experience. Marina Fedorova, artiste Russe bien connue pour ses peintures inspirées de la mode et de l’architecture, des films hollywoodiens et des tendances Instagram, emmène le spectateur dans un voyage conceptuel vertigineux à travers l’espace. Le projet reflète les points de vue de l’artiste, ses pensées et perceptions relatives à la beauté de l’espace cosmique et ses paysages, au progrès technologique et ses implications pour la vie sur Terre, l’adaptation sociale et l’héritage laissé aux générations futures. Cette expérience hautement originale et inventive établit des liens multiples entre la peinture, l’esthétique contemporaine et la technologie numérique. Peintures et sculptures prennent vie grâce à l’utilisation des interfaces VR et AR, sur une musique qui plonge le spectateur dans des mondes imaginaires.

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