Euthymène ou un nouveau plan-guide pour Marseille

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CHANTAL DECKMYN

Lire la ville l’abécédaire (1974-2010) EXTRAIT

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« EUTHYMÈNE OU UN NOUVEAU PLAN-GUIDE POUR MARSEILLE »

LiRe La ViLlE

10, rue Colbert 13001 Marseille


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“Plan-guide”

EUTHYMÈNE OU UN NOUVEAU PLAN - GUIDE POUR

M ARSEILLE

P OUR M ARSEILLE ET POUR LES M ARSEILLAIS , RECONNAITRE LEURS QUARTIERS POPULAIRES C ’ EST D É J À DE LES VOIR FIGURER SUR LES PLANS - GUIDE DE LA VILLE .

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Il faut que l’on puisse se rendre dans les quarliers populaires, à La Bricarde ou à la Renaude, comme dans n’importe quel autre quartier, en suivant l’itnéraire avec son doigt sur la carte, puis en voiture, en bus et à pied, en se guidant avec un plan. Il faut pouvoir se rendre chez un ami quelle que soit son adresse, qu’il habite la tour H à Frais Vallon ou au 128, rue Paradis. Et il ne faut pas qu’un policier soit dans l’incapacité de renseigner un passant, qu’un médecin ne puisse trouver son chemin à 10 heures du soir, ou qu’un chauffeur de taxi refuse d’emmener quelqu’un au pied d’un immeuble parce que son outil habituel, le plan, ne lui est plus d’aucune utilité pour s’orienter au-delà de l’entrée de la cité.

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Marseille en 1652 ; plan dressé par Jean Auger

La pensée du monde se traduit dans les cartes que l’on en dresse : par le point de vue adopté, par ce qui tient lieu de centre, par ce qui est placé en point aveugle ou dans des angles morts. Le plan Auger, dressé au moment de l’agrandissement de Marseille décidé par Louis XIV, change le statut de la ville, la 4


déqualifie en la représentant par un blanc, une lacune et en remplaçant la notion de "ville" par celle de "vieille ville". Les plans-guides édités par l’Office du tourisme aujourd’hui proposent de la ville une représentation dans laquelle le "blanc" n’est plus au centre, ni sur la ville ancienne (maintenant celle du e e XlX siècle et de la première moitié du XX ) mais sur le pourtour, à savoir les extensions de l’histoire récente et plus précisément, les cités d’habitat social.

Plan-guide de l’Office du tourisme de Marseille 5


* * * Des territoires sans carte Il n’existe actuellement aucun plan-guide qui rende compte des quartiers populaires de la périphérie de la ville avec le même 1 soin et ]e même détail que pour les autres quartiers . Rejoindre telle cité dans Marseille, s’y déplacer ou se rendre à telle adresse est rendu difficite par l’absence ou la faible qualité des indications disponibles. On peut donner de multiples interprétations de cet état des choses. Mais le résultat est de fait, une méconnaissance de ces lieux qui ressemblent aux "terra incognitæ" des cartes anciennes, méconnaissance dont on connaît le voisinage avec l’inquiétude ou la peur. C’est la raison pour laquelle nous nous intéressons ici à l’accès pratique à ces quartiers à travers cet outil de papier très banal qui sert à s’orienter dans les villes : le plan-guide utilisé par les particuliers mais aussi par un grand nombre de professionnels, des chauffeurs de taxi aux policiers en passant par les travailleurs sociaux, les médecins, les artisans ou les commerciaux. Il importe que les cités figurent sur le plan de la ville, il importe également que leur dessin soit documenté. Ainsi aurons-nous deux visées : celle de voir toutes les cités représentées d’une façon homogène avec l’ensemble de la ville, et celle d’enrichir la connaissance du territoire des cités dans leur histoire et leurs caractéristiques. Les obstacles rencontrés par les cartographes Si nous ne souhaitons pas ici rechercher les raisons de cet état de fait, il nous paraît intéressant de repérer quelques uns des obstacles rencontrés par les éditeurs et les cartographes. Nous en apercevons au moins deux. Dans le système européen (il en va différemment en Chine ou aux État-unis), les coordonnées d’une personne, son adresse, sont définies par le numéro de sa maison : une série complète de numéros correspond à une rue et à un nom de rue.

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- « Lesquels ne bénéficient pas non plus de la précision et de la richesse de rendu et d’information dont sont dotées les éditions de plans-guides parisiens. » 6


La première difficulté rencontrée par les cartographes pour représenter les quartiers périphériques réside dans le fait que les lieux le plus souvent n’ont pas reçu de nom. Que ce soit à Frais Vallon ou à La Viste, des centaines d’habitants ont tout simplement Ia même adresse (48, avenue de Frais Vallon pour les premiers, 38, route de La Viste pour les seconds), seuls leur immeuble et leur appartement sont nommés ou le plus souvent, numérotés. La seconde difficulté tient à un phénomène plus vaste : celui des mutations urbaines à l’œuvre à partir du milieu du siècle. Il s’opère alors une inversion du modèle urbain, inversion dans laquelle le tissu continu de la ville s’interrompt pour laiser place à des zones de logement, d’activité et de bureau qui forment ce que l’on appelle la "ville discontinue". « L’espace public qui jusque là faisait la ville - ses pleins et ses vides, les rues, les places, les boulevards - est remplacé par une distribution de "bâtiments-objets", autonomes les uns des autres autant que du sol ou du site sur lesquels on les a installés. Jusque là, pour les cartographes l’espace de la ville à dessiner était celui de l’espace public, un espace en creux qui se déduisait du bâti et de la disposition des parcelles privées. Tout se complique donc pour eux mais aussi pour les touristes, les visiteurs et les facteurs lorsque l’espace public, qui présentait cette forme très connue, douée de sens et parfaitement repérée (la rue, la place, etc.), se voit substituer un espace isomorphe, peu hiérarchisé et dont l’échelle n’a plus de commune mesure avec celle des parcelles urbaines traditionnelles : l’espace de la zone. Les plans-guides ne dessinent plus que les pleins des immeubles, desservis par une voirie anonyme qui trace son chemin dans des espaces "verts" ou "extérieurs". Les codes traditionnels de représentation ne parviennent pas à rendre totalement lisible cette nouvelle topologie : d’où la difficulté à se repérer dans ces territoires qu’on appelle la banlieue. On trouve peu de représentations cartographiques de Marseille dans le commerce et aucune n’est plus précise que celles que nous donnons ici. Ci-après trois de ces représentations - la carte IGN (1) et deux plans édités par des sociétés privées (2 et 3) - auxquelles nous 7


ajoutons le plan distribué par l’Office du tourisme (4). Les échelles sont les échelles d’origine.

Ci-dessus et ci-après, plans et cartes de deux quartiers de Marseille : les "trois cités" (Plan d’Aou, la Bricarde et la Castellane) et Frais Vallon.

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Sur les plans-guides 2 et 3, on peut observer l’indétermination des cartographes qui indiquent dans certains cas les voies, dans d’autres les bâtiments, dans d’autres encore simplement le nom d’un lieu-dit sans les voies ni les bâtiments. De plus on y trouve nombre d’erreurs : certains passages qui figurent sur le plan n’existent pas dans la réalité, certains titres sont posés non pas à l’emplacement des lieux qu’ils nomment mais à côté, là où il y a de la place (par exemple "Bois Lemaître" est écrit sur l’emplacement de la cité de "Frais Vallon" sur le plan 3), etc. 9


Le plan de l’Office du tourisme (4) ne dit rien de Frais Vallon et a tout simplement mis "hors champ" les "trois cités". Quant à la carte IGN (1) qui est la seule à donner le nord en haut de la carte (sur les autres il se trouve à gauche) et à ne pas proposer d’indications erronées, elle devient peu lisible lorsqu’elle passe du dessin des rues traditionnelles, celui des cités. Par ailleurs ce n’est pas un plan de ville : on n’y trouve donc aucun nom de rue et l’absence d’une grille de repérage ainsi que d’une nomenclature des rues empêche de localiser une adresse ou de suivre un itinéraire. Objectifs et échéances Ce projet vise la réalisation de deux objectifs : - Le premier objectif, à un an : mettre au point des fascicules permettant une connaissance des différents quartiers d’habitat social de la périphérie marseillaise, rendant ceux-ci aisément accessibles et y facilitant repérage et déplacements. outre. un plan-guide parfaitement lisible, ces fascicules proposeront une intelligence de l’histoire récente de ces quartiers, une connaissance de leurs traits remarquables et éventuellement, une série d’informations pratiques. - Le second objectif, à un an et demi : à partir de ces fascicules, dresser un plan-guide de la ville contemporaine n’omettant aucun de ses quartiers, en réunissant les premiers travaux et en les intégrant à une réflexion et à une mise en forme à l’échelle de l’ensemble de la ville. Ce second objectif implique d’apporter une solution à un problème cartographique propre à la ville de Marseille et qui tient à l’ampleur de son territoire (le second par la taille après la commune d’Arles qui englobe la Camargue) : comment disposer d’un plan de la ville qui reste maniable, qu’on puisse tenir entre ses mains, et dont l’échelle permette à la fois de lire la ville comme un tout, d’un seul coup d’œil, et d’avoir des détails suffisamment précis pour se repérer localement (on peut avancer une solution qui consisierait à fabriquer un plan-guide constitué pour partie d’un plan page par page dans un petit livret, comme ceux qui ont cours à Paris et, pour partie, d’un plan d’ensemble moins détaillé ; mais peut-être y a-t-il autre chose à inventer).

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Le protocole de mise en œuvre Le projet sera élaboré à partir de deux échelles d’action : d’une part des productions locales, propres à chaque quartier, d’autre part un comité scientifique regroupant les données produites localement et travaillant à partir d’elles. « Il entrera dans notre rôle d’assurer les échanges et la coordination de l’ensemble du dispositif. À l’échelle territoriale des quartiers Chacun des quartiers, chacune des cités de Marseille compte sa "société savante", au moins potentielle : il y a toujours un, trois ou cinq habitants, passionnés de l’histoire et des détails de leur quartier et qui savent tout à son sujet et sur ses transformations (construction d’un kiosque, modification d’un bâtiment ou d’une aire, ouverture ou clôture d’un passage, etc.) Les chefs de projets DSU, qui connaissent bien leur monde, peuvent en général indiquer qui sont ces personnes-ressources. Le premier cercle du dispositif sera constitué par l’ensemble de ces personnes sur chaque territoire : qu’il s’agisse d’individus auprès desquels recueillir les informations ou d’un groupe de travail constitué. Par ailleurs, au fil des ans, un travail considérable a déjà été fait, par exemple dans les écoles et les centres sociaux en termes de recueil et de production de mémoire sur les quartiers: écrits, photos, vidéos, documents de toutes sortes. Le projet d’un nouveau plan-guide pour Marseille sera l’occasion de rassembler ce travail, de le vaioriser en lui donnant une traduction et une reconnaissance collective et publique. Le recueil des informations ou l’animation du groupe de travail sera assuré par nous. La mise en forme des travaux fera appel aux compétences d’un dessinateur ou d’un métreur habitant les lieux (mission à un demandeur d’emploi). Entre les deux objectifs évoqués plus haut, on peut penser à rendre public ce travail et les matériaux qu’il aura permis de mettre à jour, par l’organisation d’une exposition. À l’échelle de l’ensemble : un comité scientifique Un comité scientifique permettra de traiter au bon niveau les questions de représentation qui se posent aux quartiers en matière de repérage et d’orientation dans la ville. Il permettra 11


également de ne pas s’en tenir au traitement social de la mémoire des lieux et des gens, mais d’une part de resituer cette mémoire dans le courant de l’histoire collective, d’autre part, en retour, d’éclairer de façon précise la compréhension des quartiers populaires par des éléments historiques. - Principe de constitution : présence de personnalités scientifiques garantissant la fiabilité de la production ; présence de professionnels appartenant à divers domaines de réflexion et d’intervention pour maintenir une pluralité de déontologies et de points de vue, et par là éviter une approche purement technique et garantir l’éthique de l’opération. - Composition prévue : historien, géographe, cartographe, artiste, membres d’institutions ou d’associations compétentes (telles que l’AMIEU, les CIe, le Comité du vieux Marseille) ut quelqu’un de reconnu pour l’éthique de son approche des territoires habités (par exemple Pierre Sansot) Les partenaires Tous les partenaires institutionnels intéressés par le projet seront bien venus pour le parrainer et/ou le co-financer : différents élus et services de la ville dont l’ex-ICOREM et l’AGAM, le Conseil régional, la DRAC, le FAS, la CDC, le CAUE, les organismes HLM, l’Association régionale HLM, le GPU, la Fondation des villes et territoires méditerranéens, le Centre de ressources Politique de la ville, la RTM, l’université, l’INAMA, l’AMIEU (Association marseillaise d’intervention en écologie urbaine), le "Comité du vieux Marseille", la revue "Marseille", les CIQ… - Nous aurons à trouver un partenaire professionnel essentiel au projet : un imprimeur prêt à s’investir dans la conception et la fabrication du plan-guide (au moins dans sa version finale "tout Marseille") ; - L’université constituera également un partenaire privilégié, on recherchera en particulier un accord avèc un dépirtemànt de géographie et avec le laboratoire INAMA (Institut de recherche sur l’histoire urbaine) de l’école d’architecture de Luminy : - Participation d’enseignants-chercheurs (un en géographie et un à l’INAMA) aux travaux du comité scientifique ; - Proposition du présent projet comme sujet de DESS à un ou plusieurs étudiants qui pourraient ainsi d’une part trouver un sujet riche, vivant et proche des gens, d’autre part accompagner 12


la démarche et faire fonction de liant (lien entre la coordination du projet, le "terrain" et l’université). Coordination du projet Nous proposons de mener à bien la coordination du projet à raison de 7 journées par mois en moyenne durant un an (+ éventuellement au-delà, 4 mois pour le montage du plan d’ensemble) : relations avec les institutions commanditaires (comité de pilotage) et les partenaires, constitution du comité scientifique, création des méthodes de travail, montage et suivi des groupe locaux, recueil des données, suivi, coordination des travaux des groupes locaux et du comité scientifique, participation aux recherches et aux mises en forme, participation aux choix de fabrication et au montage de l’exposition; éventuellement et ultérieurement, participation aux choix et suivi de fabrication du plan d’ensemble (tout Marseille).

PLUTOT QUE D’EXPLIQUER PLUS AVANT LES INTENTIONS ET LE CONTENU PROJET, NOUS PRÉFÉRONS CI-APRES LA DESCRIPTION DE SON DÉROULEMENT : voir ci-après DU

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« Ci-dessus copie d’un plan en couleur édité par la revue Marseille dans son numéro 75 ("Marseille et ses quartiers", 3e trimestre 1995) ; la légende précise que c’est en 1946 que Marseille fut « découpée en 16 arrondissements et 111 quartiers. »

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« "Les cartographes ont trop longtemps refusé de prendre conscience que la représentation géographique est une abstraction partielle et partiale […] ; et pourtant notre cartographie ne puise-t-elle pas ses sources dans les récits de voyage, comme l’Odyssée, ou dans ces dessins qui intègrent mythes et réel vécu ?" « A. Bailly, C. Baumont, J.-M. Huriot, A. Sallez, Représenter la ville, Paris, Economica, 1995 » * * * 17


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