DOSSIER PÉDAGOGIQUE - PASSIONS SECRÈTES

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DOSSIER pédagogique

Robert DEVRIENDT, Sweet Obsession (détail), 2011 - Photo : Jean-Pierre Duplan


Sommaire 03   Artistes 04   édito   05   Présentation  06   Introduction au dossier pédagogique

Le corps : 07 Le corps, sujet de représentation (2nd degré) 13 Le corps figuré (1er degré) 21 Regards croisés(1er & 2nd degrés) The Devil's Dress, Michaël Borremans

Le MYTHE : 25 De l’actualité des mythes (2nd degré) 31 Mythes revisités (1er degré) 38 Regards croisés(1er & 2nd degrés) Phryne, Anselm Kiefer 42 Rêves américains (2nd degré) 46 Miroirs et reflets (1er degré) 50 lille3000... et aussi 52 Infos pratiques 53 Équipe / Contacts 55 Partenaires lille3000

RÉDACTION DU DOSSIER PÉDAGOGIQUE Godeleine Vanhersel, Professeur d’histoire-géographie et d’histoire des arts au Lycée Pasteur de Lille Marie-José Parisseaux-Grabowski, Conseillère pédagogique en arts visuels de Lille

COORDINATION ÉDITORIALE lille3000 Magali Avisse avec Claire Baud-Berthier et Marie-Laure Scaramuzzino graphisme & mise en page Agathe Vuachet REMERCIEMENTS à

[Ne pas reproduire (ni textes, ni visuels), droits réservés.] 2


Les artistes

Francis Alÿs Carl André Kathryn Andrews Art & Language Robert Barry Ruben Bellinkx Joseph Beuys Thomas Bogaert Michaël Borremans Louise Bourgeois Dirk Braeckman Sergey Bratkov Daniel Buren Matthew Day Jackson John De Andrea Berlinde De Bruyckere Thierry De Cordier Ronny Delrue Wim Delvoye Robert Devriendt Rineke Dijkstra Lili Dujourie Sam Durant Olafur Eliasson Elmgreen & Dragset Jan Fabre Sylvie Fleury

Mark Flood Claire Fontaine Michel François Douglas Gordon Dan Graham Wade Guyton & Kelley Walker Jim Hodges Ann Veronica Janssens Rashid Johnson Jacob Kassay Mike Kelley Anselm Kiefer Joachim Koester Eugène Leroy Brendan Lynch Kris Martin Paul Mc Carthy Annette Messager Tracey Moffatt Yasumasa Morimura Juan Muñoz Hans Op De Beeck Julian Opie Tony Oursler Panamarenko Elizabeth Peyton

Michelangelo Pistoletto Bettina Rheims Gerhard Richter Mimmo Rotella Sterling Ruby Thomas Ruff Matthieu Ronsse Wilhelm Sasnal Thomas Schütte Andres Serrano Santiago Sierra Dash Snow Thomas Struth Larry Sultan Ed Templeton Ryan Trecartin Luc Tuymans Koen Van Den Broek Rinus Van de Velde Iris Van Dongen & Kimberly Clark Jan Van Oost Jacques Verduyn Jan Vercruysse Danh Vo Francesca Woodman

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édito

C’est au Tripostal que lille3000 donne, une nouvelle fois, un grand rendez-vous autour de l’art contemporain. Il prolonge la série d’invitations entamée en 2007, avec la François Pinault Foundation, poursuivie deux ans plus tard avec la Saatchi Gallery, puis autour des collections publiques du Centre National des Arts Plastiques en 2011 et, récemment en 2013, avec Emmanuel Perrotin venu fêter les 25 ans de sa galerie parisienne. Il s’agit, cette fois d’aller à la rencontre de dix-huit collectionneurs, installés de l’autre côté de la frontière, dans la région de Courtrai, au sud de la Flandre occidentale. Dans ce versant de ce que l’on nomme l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, la concentration des amateurs d’art est remarquable, et leurs collections aussi brillantes que méconnues. Elles ont été composées, au fil des dernières décennies, par des hommes et des femmes avisés et passionnés. Ils répondent, par là, à leur amour de l’art dans ce qu’il a de plus divers, pour ce qu’il peut susciter d’émotion et de réflexion sur le monde. Loin d’une démarche spéculative ou d’effets de mode, collectionner est à leurs yeux un art de vivre. Ils avancent aux coups de cœur, avec intuition et finesse. Ils croient en les artistes, ceux qui seront les talents de demain, ceux qui marquent leur époque, ceux qu’ils font le choix d’accompagner dans la durée parce qu’ils les touchent profondément.

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à travers cette exposition, dix-huit collectionneurs révèlent et partagent avec le plus grand nombre, quelques-uns de leurs trésors, reflets de leurs Passions Secrètes : plus de 140 œuvres de 80 artistes internationaux sont réunies. Elles racontent les coups de cœur de leurs propriétaires et offrent un formidable aperçu de la création des années 70 à nos jours. Comme lors des grandes invitations qui ont précédé, les trois étages du Tripostal accueillent les plus grands noms de la scène internationale – tels Louise Bourgeois, Daniel Buren, Anselm Kiefer ou Mimmo Rotella – aux côtés de la création émergente – tels Ruben Bellinkx ou Ryan Trecartin… Les œuvres réparties en plusieurs sections thématiques créent un dialogue inédit entre des collections indépendantes qui se dévoilent pour nous. Si mes remerciements vont surtout à ces collectionneurs extraordinaires pour leur confiance et leur engouement à construire avec nous ce projet, je veux adresser ma gratitude et mon amitié à Stefaan De Clerck pour son soutien sans faille dans sa concrétisation. Il est l’occasion de partager, à nouveau, notre goût commun pour la culture autant que de montrer la vitalité de notre territoire transfrontalier.

Martine Aubry Maire de Lille


Présentation

Réaliser une exposition à partir de 4000 œuvres, réparties chez 18 collectionneurs, est le nouveau pari de lille3000. Exercice complexe mais rendu possible grâce au soutien, à la réelle envie et à la disponibilité sans faille de ces collectionneurs. Après les choix de François Pinault, de Charles Saatchi, du Cnap et d’Emmanuel Perrotin, comment refléter les passions des collectionneurs et procurer de réelles découvertes à un public de plus en plus connaisseur et exigeant ? Le Tripostal, lieu d’exposition de 6000 m2 est devenu une machine à rêver, reliant espace réel et espace imaginaire, et garde finalement sa fonction de centre de liens invisibles, tissés ici comme la toile d’une araignée de Louise Bourgeois, discret épicentre de l’exposition. Quelles pistes suivre afin de créer un parcours cohérent et excitant ? Après avoir visité de fabuleuses collections, étudié les inventaires, repéré des ensembles, découvert des croisements possibles et des dialogues intéressants entre les œuvres, l’exposition s’est esquissée. Ensuite, il s’est agi de les relier par un jeu de correspondances tant au niveau visuel que conceptuel. Plusieurs parcours se sont dessinés : Celui autour d’une représentation féminine. Tantôt mère, amante, séductrice, la femme est depuis toujours un des sujets d’inspiration des artistes, tant à travers l’exaltation du corps, l’évocation de la maternité ou le fantasme. De l’esthétique au “féminin“ à une conscience féministe affirmée, jusqu’à une sublimation masculine, les œuvres de Louise Bourgeois, Sergey Bratkov, Lili Dujourie, Anselm Kiefer, Annette Messager, Mimmo Rotella, Thomas Ruff, Andres Serrano ou encore Francesca Woodman, montrent la diversité de cette représentation chargée de sensibilité, d’émotions et d’émancipation. L’expression de l’intime et du vécu y est très forte. Autre thème fort dans l’histoire de l’Art : le miroir, qui est l’objet d’un autre cheminement. Imposant et jouant avec le processus de transformation de l’image, il réunit identité et différence et renvoie le visiteur à lui-même mais aussi à l’autre avec les œuvres de Robert Barry, Daniel Buren, Olafur Eliasson, Dan Graham, Jim Hodges, Ann Veronica Janssens, Kris Martin, Michelangelo Pistoletto…

Une troisième promenade guidera le visiteur au cœur d’une certaine Amérique. Il faut entendre par ce titre les visions, souvent politiques, du rêve américain, ou encore celles d’une Amérique critiquée, synonyme d’impérialisme et d’hégémonie qui trouve ses sources dans les mouvements new-yorkais des années 60 et 70, entre luttes raciales et guerre du Vietnam. Elles sont traduites ici par des artistes aussi divers que Joseph Beuys, Matthew Day Jackson, Sam Durant, Danh Vo… Ce parcours associe les artistes américains, toutes générations confondues, des scènes new-yorkaise et californienne : Wade Guyton & Kelley Walker, Rashid Johnson, Mike Kelley, Paul Mc Carthy, Elizabeth Peyton, Dash Snow… Sujets de recherches et de désirs d’une majorité des collectionneurs. Enfin, une partie de l’exposition rendra hommage aux artistes belges, comme Michaël Borremans, Dirk Braeckman, Ruben Bellinkx, Thierry De Cordier, Jan Fabre, Luc Tuymans, Jan Van Oost, Jacques Verduyn… Ils viennent pour certains réveiller ici les fantômes de l’ironie, de l’autodérision, ou encore du symbolisme et du surréalisme si présents chez les artistes qui les ont précédés. Quelques salles du Tripostal réuniront les œuvres d’un même artiste présent dans plusieurs collections. C’est le cas pour Elmgreen & Dragset, Kris Martin, Juan Muñoz, Panamarenko ou encore Thomas Schütte. Parfois des œuvres percutantes qui accrochent l’œil immédiatement, et d’autres plus silencieuses, qui sont aussi le reflet d’une époque. Afin d’entrebâiller les portes des lieux discrets où se trouvent ces collections, de révéler les ambiances au visiteur, lille3000 a confié la commande d’une série de photographies à l’artiste Gautier Deblonde, qui nous livre un instant d’intimité de ces collectionneurs passionnés, passionnants et secrets... Commissariat : Caroline David, lille3000

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Introduction au dossier pédagogique

Avec Passions Secrètes, Collections Privées Flamandes, lille3000 poursuit cet automne son exploration du monde des collectionneurs publics ou privés. Le Centre national des arts plastiques (CNAP) a présenté ce qu’est une collection publique lors de l’exposition Collector en 2011. Deux collectionneurs privés, François Pinault et Charles Saatchi avaient respectivement montré leurs œuvres dans Passage du temps en 2007 pour le premier et dans La Route de la Soie en 2010 pour le second. Leurs moyens financiers leur permettent non seulement d’acheter de somptueuses œuvres d’art mais aussi de les exposer dans des lieux prestigieux dont ils sont propriétaires et qui, aux yeux du public, ne diffèrent guère d’un musée. C’est dire si ces collections sont devenues publiques. Passions Secrètes réunit 140 œuvres de 18 collectionneurs qui vivent de l’autre côté de la frontière en Belgique dans la région de Courtrai. Cette région de Flandre Occidentale sud, parfois surnommée le “Texas“ de la Belgique, possède un dense tissu d’entreprises familiales. Les collectionneurs de Passions Secrètes sont issus de ce milieu où, à l’échelle de la région mais aussi du pays, la tradition de la collection d’art est ancrée depuis le début du XXème siècle. Ils collectionnent au coup de cœur, par intuition, en s’appuyant sur un savoir et aussi parfois avec l’espoir de spéculer. Ils ont pour la plupart débuté cette quête d’art dans les années 80. Les œuvres d’art qu’ils rassemblent sont pour l’essentiel européennes et américaines. Les effets de la mondialisation ne se font encore que très peu sentir et rares sont les œuvres asiatiques ou africaines dans ces collections. Certains se concentrent sur quelques artistes afin de constituer un ensemble homogène alors que d’autres se consacrent aux jeunes talents encore abordables avec l’espoir de découvrir les grands de demain. Cette prise de risque traduit leur audace et leur ouverture d’esprit. Ils vivent au quotidien avec leurs œuvres, ils les voient changer en fonction de la lumière ou de leur état d’esprit. L’intimité domestique autorise cette expérience singulière. Les échanges et des liens personnels noués avec les artistes intensifient plus encore ces Passions Secrètes sur lesquelles le Tripostal lève le rideau cet automne.

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La première partie de ce dossier traite de la figure humaine, plus précisément des diverses manières de la représenter et des moyens plastiques utilisés par les artistes. Le second thème est dédié aux mythes, dans tous les sens du terme, aussi bien ceux qui sont des représentations idéalisées d’un fait ou d’une idée que les récits transmis par la tradition orale et qui constituent la mythologie. La troisième partie s’intéresse à différents aspects de l’identité américaine. Enfin, la dernière aborde les thèmes du miroir et du reflet et leurs nombreuses connotations artistiques.

Godeleine Vanhersel


Le corps 1 • Le corps, sujet de représentation

2nd degré

2 • Le corps figuré

1er degré

3 • Regards croisés The Devil's Dress, Michaël Borremans

2nd 1er & degré degré

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Le corps, sujet de représentation

2nd degré

ANNETTE MESSAGER, Mes vœux sous le filet (le cœur), 1999-2000

SERGEY BRATKOV, The Red Bride, 2000

André Félibien, dans sa préface aux Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture de 1667, écrivait : “Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l’homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la Terre, il est certain aussi que celui qui se rend l’imitateur de Dieu en peignant des figures humaines, est beaucoup plus excellent que tous les autres [...] un Peintre qui ne fait que des portraits, n’a pas encore cette haute perfection de l’Art, et ne peut prétendre à l’honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d’une seule figure à la représentation de plusieurs ensembles“1. La hiérarchie des genres telle que la définissait André Félibien ne correspond plus aux préoccupations des artistes contemporains. Cependant la représentation de la figure humaine conserve toute son actualité, qu’elle soit reproduite en détail, des pieds à la tête ou qu’il y en ait plusieurs.

deux sexes et d’âges différents. Chaque photo est encadrée de noir et suspendue à une ficelle attachée à un clou. Le dispositif rappelle les ex-voto qui recouvrent les murs des églises et des chapelles dédiées à un saint guérisseur, ex-voto qui font surgir l’intime dans un lieu public comme le fait Mes vœux sous le filet (le cœur) dans une salle d’exposition. L’œuvre d’Annette Messager se caractérise par une grande économie de moyens. L’artiste se fait collectionneuse de petites images banales qu’elle découpe et encadre soigneusement dans une démarche similaire à celle effectuée lorsque l’on s‘adonne aux “travaux de dames“. Ces détails de corps privés de leur contexte recréent pour chaque spectateur une histoire qu’il construit en fonction de ses propres souvenirs d’autant plus qu’il n’est guère possible de bien voir chacune des images qui composent l’installation car un filet aux larges mailles recouvre l’ensemble et les photos se chevauchent. Dans cette œuvre, l’artiste dévoile et dissimule le corps à la fois. Elle amène à s’interroger sur ce qu’est la réprésentation et sur ce qui est représenté.

Revue de détail Il suffit de deux mains dont les index s’effleurent pour reconnaître la scène de la création d’Adam peinte par Michel-Ange sur le plafond de la Chapelle Sixtine. Représenter des parties du corps peut donc être suffisant pour suggérer le corps entier. Annette Messager n’utilise que des morceaux de corps. Avec la série Mes Vœux - qu’elle commence dans les années 80 elle s’interroge plus largement sur le corps, la sexualité, l’identité. Mes vœux sous le filet (le cœur) (1999-2000) est un assemblage, en forme de cœur, de petites photos en noir et blanc reproduisant des détails de corps humains. Ces gros plans sur des bouches, des yeux ou des oreilles évoquent les cinq sens. Ils appartiennent manifestement à des individus des 1. Cité par Nathalie Heinich, Du peintre à l’artiste, Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, 1993, p. 259.

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Douglas Gordon raconte que l’élément qui a déclenché son envie de faire de la vidéo est une peinture. Il achevait alors ses études secondaires en Écosse et s’est rendu à ce qui s’appelait encore la Tate Gallery à Londres. Il est tombé en arrêt devant les peintures de Barnett Newman dont la couleur était si intense que, même les yeux fermés, la couleur persistait sur sa rétine. Autrement dit, l‘image n’était pas fixe mais mouvante et cela l’a incité à travailler sur la durée. La première œuvre qui l’a fait connaître en 1993 s’intitulait 24 Hours Psycho, une projection où le film du même nom d’Alfred Hitchcock durait 24 heures. La vidéo Scratch Hither (2001) dure un peu plus d’une demi-heure mais elle montre un geste qui ne prend habituellement que quelques secondes. On y voit en gros plan une main masculine dont l’index fait signe de s’approcher. L’action est filmée de telle manière qu’elle ne peut que s’adresser au spectateur. Le mouvement est tantôt lent, tantôt rapide et selon le rythme, il se fait geste d’invitation ou devient ordre. Par sa répétition, il devient déstabilisant et perturbant.


Robert Devriendt, Sweet Obsession, 2011

Douglas Gordon indiquait dans une interview en 2008 : “Je suis de la génération du sample et du remix“2, Scratch Hither en est l'illustration. Si Douglas Gordon dit beaucoup avec une main, Robert Devriendt fait quant à lui naître tout un scénario avec une paire d’yeux, ceux d’une blonde que l’on voit sur le triptyque Sweet Obsession (2011). Elle aussi s’adresse au spectateur qu’elle regarde droit dans les yeux. Outre sa blondeur, rien d’autre n’est montré de son visage, de son corps ou de l’endroit où elle se trouve – le fond du tableau est d’un bleu violacé uniforme - et pourtant, ce regard et ces cheveux décolorés et décoiffés (il s'agit en fait d'une perruque), suffisent pour intriguer. Le spectateur commence à se raconter une histoire dont le modèle du tableau devient l’héroïne. Les tableaux du peintre belge, dont les dimensions sont de l’ordre de la dizaine de centimètres, sont cadrés à l’instar des plans cinématographiques. Ils fonctionnent par série que leur auteur appelle “séquence“ et qu’il faut lire comme des phrases 3. Leur petite taille fait du spectateur un voyeur invité à concevoir les récits dont les tableaux ne donnent que des bribes. Sweet Obsession, outre la jeune femme déjà évoquée, comporte deux autres peintures, l’une d’un jeune homme torse nu à côté d’une voiture dans un bois, l’autre d’une botte rouge au talon argenté abandonnée sur le sol. Ces détails, dépeints avec précision, ainsi que le titre font surgir une fiction à mi-chemin entre la réalité et le rêve, entre la présence et l’absence.

De pied en cap Représenter le corps humain en entier remonte à la Préhistoire. La question de la ressemblance avec le modèle s’est posée jusqu’à l’apparition de la photographie. Les artistes contemporains abordent des problématiques toutes autres. Kharkov, une ville industrielle aujourd’hui en Ukraine mais alors en URSS, est la cité qui a vu naître Sergey Bratkov en 1960. Il reçoit une éducation typiquement soviétique qu’il parachève en obtenant un diplôme en électronique. La réalité terne de sa ville natale était une évidente réfutation des images 2. Douglas Gordon interviewé par Sean James Rose, Libération, 6 août 2008. 3. Cité par Lorenzo Benedetti et Angelika Maierhofer dans Sequential propositions, Éditions Loevenbruck, Paris. 2009.

idylliques de la propagande officielle. L‘éclatement de l’Union soviétique et sa transformation en un pays capitaliste vont aussi le marquer profondément. Le sujet de The Red Bride - la mariée rouge - (2000) semble a priori anodin. Une jeune mariée, tout de rouge vêtue, irradie de bonheur sur l’image supérieure. La photo du bas montre les dessous de la même personne. Les jupons sont relevés jusqu’à laisser entrevoir son sexe et à transformer le spectateur en voyeur. La partie haute de The Red Bride suggère l’innocence de la demoiselle alors que l’autre photo dévoile l’aspect érotique de sa personnalité. Au temps de l’URSS, les femmes se devaient d’être les mères de futurs soldats et des travailleuses indispensables à l’économie du pays. La sexualité était refreinée. L’ouverture à l’Occident va modifier les comportements en introduisant une attitude plus libre sur le plan sexuel. Sergey Bratkov dénonce avec ironie à la fois les attitudes rigides de l’époque soviétique mais aussi les stéréotypes du monde capitaliste. Sergey Bratkov montre que la femme peut être objet sexuel, Rineke Dijkstra qu’elle peut aussi être mère, soit les deux clichés que l’on associe le plus à la féminité. La photographe néerlandaise réalise des séries de portraits comme dans celle intitulée Maternités. La prise de vue est frontale, un couloir tient lieu de décor, le sujet est cadré en pied d’une manière très formelle. Les trois femmes photographiées sont nues ou presque, elles tiennent leur bébé dans leurs bras, tout contre elles. Les cicatrices de la césarienne de Saskia, le filet de sang le long de la jambe de Tecla et le slip médical de Julie suggèrent que toutes les trois viennent d’accoucher. Les prises de vue ont été effectuées chez chacune d’elle car il est courant pour les femmes en Hollande d’opter pour l’accouchement à la maison. L’attitude des trois mères indique leur état de fatigue. Grâce à cela, elles se contrôlent moins et Rineke Dijkstra obtient d’elles un naturel et une sincérité plus difficiles à capter autrement. La nudité accentue leur vulnérabilité et, a contrario, renforce leur désir de protéger leur enfant. Chaque portrait a pour titre le nom de la personne, la date et le lieu, c’est-à-dire que c’est un événement qui a été enregistré sur la pellicule. L’artiste montre un moment particulier de l’existence de ces femmes qui viennent de devenir mère et dont le visage montre en même temps l’inquiétude et l’espoir en l’avenir.

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TRACEY MOFFATT, Something More #3, 1989

Hans Op de Beeck, The Stewarts have a party (Grandma & Grandpa), 2006

Photos de groupes

The Stewarts have a party (Grandma & Grandpa) (2006) est une photographie extraite de la vidéo éponyme. Sur l‘image, un couple âgé est assis sur un canapé. Chacun porte un chapeau et tient un ballon à la main. Les vêtements, les chapeaux, les ballons, le canapé et l’arrière-plan sont blancs. Seuls les visages, les mains, les jambes de la dame ainsi que les pieds du canapé sont d’une autre couleur. Dans la vidéo, la famille Stewarts compte huit membres : un enfant, une adolescente, un jeune couple, trois hommes et les grandsparents déjà évoqués. Tous apparaissent et disparaissent dans un environnement laiteux. Des assistants, habillés de noir, viennent leur mettre des chapeaux pointus sur la tête et leur donnent des ballons comme si une fête d’anniversaire allait avoir lieu, mais rien ne se passe. Les participants ont l’air de marionnettes dans un film dépourvu de narration ou d’un décor évocateur d’un lieu. Si l’artiste bruxellois agit ainsi et s’il choisit de donner une dominante blanche à ses œuvres, c’est afin de réduire l’importance physique des objets. De surcroît, grâce à ce procédé, les individus deviennent un peu fantomatiques et l’image plus silencieuse, mais cela fait naître un certain malaise chez le spectateur. Aucune émotion ne transparaît sur le visage des Stewarts et aucune relation ne se noue entre eux. Hans Op de Beeck, derrière ces apparences glacées et parfaites, déconstruit le modèle de la famille traditionnelle.

Réunir plusieurs personnages sur une image pose la question des relations ou de l’absence de relations qui existent entre eux. En 1986 a eu lieu pour la première fois en Australie une exposition où des artistes aborigènes montraient de la photographie contemporaine. Parmi eux, Tracey Moffatt. Elle est née en 1960 et appartient à la première génération dont l‘enfance a été accompagnée par la télévision. La série Something More (1989) est structurée à la manière d’un film. Tracey Moffat y joue le rôle principal, celui d’une jeune femme vêtue d’une robe asiatique. L’histoire commence en couleurs dans une région rurale et se termine en noir et blanc sur le macadam de la route de Brisbane. Le cadavre de l’héroïne y est allongé. L‘exposition Passions Secrètes propose la troisième des neuf photographies de la série, l’une des six qui sont en couleurs. Un adolescent asiatique y pose tendrement sa tête sur le giron de la jeune femme dont on ne voit pas le visage. Le bord de la robe est déchiré. Le siège sur lequel elle est assise n’est qu’une caisse d’expédition en bois comme pour suggérer le voyage qu’elle s’apprête à faire. On dirait des arrêts sur image issus d’un mélodrame hollywoodien qui raconterait comment une jolie et pauvre jeune fille tente de trouver “quelque chose de plus“ en quittant la campagne où elle est née mais cela finit mal. Cependant bien des questions sont laissées sans réponses : quels liens unissent les personnages ? Qui a tué l'héroïne et pourquoi ? Les œuvres de Tracey Moffat sont pleines d’émotions et de drames mais dépourvues de pathos. Dénoncer le racisme ou tenir un discours politiquement correct ne font pas partie de ses buts. Narrer un récit est ce qui l’intéresse avant tout, c’est pourquoi elle ne travaille que par série. Cela lui permet de développer une histoire qui pourrait arriver partout dans le monde et pas seulement dans le bush australien. Ce n’est pas de concevoir une fiction qui préoccupe Hans Op de Beeck. C’est parce qu’il recherche le moyen le plus pertinent pour développer son propos que l'artiste écrit, dessine, peint, sculpte, photographie, réalise des vidéos et compose même de la musique.

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Ce sont des touristes en tenues décontractées et multicolores qui se pressent sur les photos de musées de Thomas Struth. Après avoir étudié la peinture avec Gerhard Richter à l’académie de Düsseldorf, Thomas Struth se tourne vers la photographie et rejoint le cours de Bernd Becher. Ce dernier et son épouse recherchent l’objectivité et certains des moyens qu’ils emploient à cette fin ont été conservés par Thomas Struth dans la série des Audiences. Ainsi, la caméra est placée à mi-hauteur pour établir un rapport d’égal à égal avec le sujet photographié. Le grand format du négatif et du tirage autorisent un rendu riche de détails. Les prises de vues effectuées en série tant dans le même musée que dans des lieux similaires permettent d’établir une typologie et d’effectuer des comparaisons. Audience 5 / Galleria dell’Accademia, Florence (2004) respecte ces règles. Le 500ème anniversaire du David de Michel-Ange donne au photographe allemand l’opportunité de réaliser pour la première fois un cliché du point de vue de l‘œuvre d’art et non du public.


THOMAS STRUTH, Audience 5 / Galleria dell’Accademia, Florence, 2004

Celui-ci devient le sujet de l’image. Thomas Struth utilise un appareil photo fixe sur un pied et se dissimule sous une cape argentée pour appuyer sur le déclencheur. En dépit de cette installation voyante, les visiteurs de la Galerie de l’Académie ne prêtent pas attention à l’artiste. Leurs regards sont tournés vers la statue. Chacun est perdu dans sa contemplation et se désintéresse de ses compagnons de visite, ce qui rappelle qu’admirer une œuvre d’art procède d’une démarche solitaire et, au-delà, cela démontre le pouvoir de fascination de l’art. L’artiste est parvenu à révéler l’invisible.

Conclusion Les œuvres d’Annette Messager, Douglas Gordon et Robert Devriendt ne donnent à voir que l’image éclatée, au spectateur d’en recréer les multiples sens et symboles. L’identité de l’individu s’efface derrière ces visions fragmentées de la réalité. En revanche, la mariée de Sergey Bratkov et les mères de Rineke Dijkstra affirment clairement leur personnalité. Ces prises de vue sont le résultat d’un nécessaire échange entre photographe et photographié, plus précisément d’une complicité avec le modèle pour le photographe russe et d’une grande confiance de la part des jeunes accouchées à tel point que c’est une amie et des amies d’amies qui ont répondu à la demande de la photographe néerlandaise. L’interaction avec les autres et avec l’environnement prime lorsque l’artiste décide d’impliquer tout un groupe de personnes dans sa démarche.

Godeleine Vanhersel

Le corps, sujet de représentation

pistes en histoire des arts

2nd degré

Collège

Lycée

La thématique “Arts, espace, temps“ permet d’aborder les œuvres d’art à partir des relations qu’elles établissent, implicitement ou explicitement, avec les notions de temps et d’espace. Elle se focalise sur la place du corps et de l’homme dans le monde et la nature (petitesse/grandeur ; harmonie/ chaos ; ordres/désordres, etc.) et sur son imaginaire (rêves, fictions, utopies).

Dans le champ anthropologique, la thématique “Arts, corps, expressions“ invite à interroger les œuvres d’art comme lieux et supports d’expressions en lien avec le corps (singulier/collectif ; spiritualisé/charnel ; platonique/ érotique ; complet/en détail ; blasonné/en pied). Le corps permet l’expression créatrice en tant qu’instrument (voix, danse, etc.), comme symbole et par ses actes (geste, postures, théâtralité). Les œuvres d’art révèlent la vie à travers l’expression des émotions, des caractères et des états (humeurs, tempéraments, passions, sentiments, postures, etc.).

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Le corps, sujet de représentation

dans d’autres domaines artistiques

2nd degré

Arts du visuel

Arts du quotidien

Passions Secrètes propose d’autres œuvres sur le même thème : On ne voit que des parties du corps humain sur Ghost II (2009) de Michaël Borremans, sur TV Eye (1996) de Tony Oursler, sur Providence (1976) de Francesca Woodman.

Le fauteuil Up5, dessiné en 1969 par Gaetano Pesce, reprend la forme du corps féminin. Le même designer a imaginé une chaise longue en forme de pied, Up7,- Il Piede (1970), montré dans l’exposition Collector au Tripostal en 2011.

Divers portraits en pied sont disséminés dans l’exposition : Les Souliers bleus (1974) de Jacques Verduyn, Madonna laughing and holding her breasts (2004) de Bettina Rheims, Black woman with folding chair (1978) de John De Andrea.

Clapping Music est une composition musicale écrite par Steve Reich en 1972 et qui a pour particularité de n’utiliser que des mains en guise d’instruments de musique. Deux personnes claquent dans leurs mains. Les deux interprètes suivent le même motif rythmique mais l’un des deux se décale d’une croche de temps à autre et se déphase du premier.

Matthieu Ronsse avec Nude Couple (2007) et Couple (2010) et Larry Sultan avec Mulholland Drive #2 (2000) ont choisi des scènes de groupe.

Arts du son

Arts de l’espace

Charlotte Moorman fait du corps de Nam June Paik un violoncelle dans la performance Human Cello (1965) pour jouer 26’ 1.1499 for a string Player de John Cage.

L’extension du LaM (Lille métropole musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) par Manuelle Gautrand vient “se lover“, selon le verbe de l’architecte parisienne, comme un bras et sa main autour de l’édifice de Roland Simounet.

Georgio Aperghis compose Récitations en 1978 où une interprète chante et dit un texte composé de phonèmes sans aucun sens sur un tempo de plus en plus rapide.

Le Corbusier conçoit le Modulor, un outil de mesure appliqué à l’architecture pour lequel il se base sur les parties du corps humain. Le planétarium de la Cité des sciences de Valence en Espagne, construit par Santiago Calatrava, s’inspire de l’œil humain.

Arts du langage Le Nez (1843), une longue nouvelle de Nicolas Gogol narre les mésaventures loufoques d’un assesseur de collège qui se réveille un beau matin sans nez.

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Arts du spectacle vivant Des mains en ombres chinoises jouent avec le corps des danseurs dans Sombrero (2007) du chorégraphe Philippe Decouflé. Il cite des éléments de cette pièce dans une œuvre plus récente intitulée Panorama (2012).


Le corps 1 • Le corps, sujet de représentation

2nd degré

2 • Le corps figuré

1er degré

3 • Regards croisés The Devil's Dress, Michaël Borremans

2nd 1er & degré degré

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Le corps figuré

1er degré

RINUS VAN DE VELDE, I needed some time to access the situation, 2009

Robert Devriendt, Sweet Obsession, détail, 2011 - Photo : © Jean-Pierre Duplan

Pour Paul Ardenne, historien de l’art et auteur de L’Image corps, Figures de l’humain dans l’art du XXème siècle, la représentation du corps aujourd’hui pose les questions de la mimésis, de la ressemblance au modèle, des limites de l’art, des frontières et des territoires, autant que la question de la persistance de la figure, du visage. Il distingue cependant trois parti pris esthétiques différents. Tout d’abord la survivance de pratiques classiques, qui passent par la représentation et le souci de la figure. L’artiste donne du corps des images qui en déclinent la forme, en recourant à des techniques comme la peinture ou la photographie. Le second parti pris esthétique opte pour le doute, la question de la notion d’humanité. L’artiste va alors humilier, dégrader l’image du corps, en déstructurant plastiquement l’image par déformations, biffures, accentuations de la laideur. Enfin, le dernier parti pris est celui développé avec l’apparition des technologies numériques. Cette fois, l’artiste invente un corps, il oublie le corps réel pour créer un être mutant, saisi par la métamorphose. Dans l’exposition Passions Secrètes de nombreux artistes abordent la question de la représentation du corps via des médiums variés et soulèvent cette question du corps figuré dans l’art d’aujourd’hui.

Rinus VAN DE VELDE 1963, Louvain (Belgique) I needed some time to access the situation, 2009

Le corps peint ou dessiné Dans les années 80 et 90, à l’heure où la pratique de la peinture est remise en cause par certains, qui la trouvent inappropriée pour rendre compte de l’effervescence de notre société contemporaine, des peintres vont résolument reprendre la figuration du corps en utilisant des médiums classiques mais en jouant de manière plus contemporaine sur la mise en scène de leurs sujets. Luc Tuymans et Michaël Borremans en sont des figures emblématiques. La peinture du corps va être prétexte à la narration fictive comme chez Rinus Van de Velde, Robert Devriendt ou encore Matthieu Ronsse, d’autres vont se tourner vers un enregistrement quasi anthropologique comme Julian Opie ou encore Elizabeth Peyton, tandis que Ronny Delrue renoue avec la problématique du souvenir.

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Mots clés : Récit, fiction, grands formats, fusain, noir et blanc, roman-photo

Que représente ce dessin annoté ? L’œuvre, en noir et blanc, nous montre deux personnages très réalistes : un jeune homme assis, représenté de trois quart dos, les mains croisées sur les jambes, nous tourne la tête, tandis que derrière lui une femme dont on ne voit que le corps, réajuste érotiquement son bas. Le jeune garçon semble ignorer complètement la présence sensuelle de la femme. Un sentiment de solitude, de mélancolie se dégage de ce dessin qui n’est pas sans rappeler les ambiances d’Edward Hopper, où les personnages se côtoient sans échanges véritables. Le titre : “J’avais besoin d’un peu de temps pour évaluer la situation mais à partir de là je ne me suis plus intéressée...“ nous laisse supposer une relation en devenir ou déjà tuée dans l’œuf. Le décor est absent et accentue l’effet d’isolement des deux personnages. à la manière d’un roman photo, l’artiste ajoute du texte, non pas pour donner des clés de compréhension mais au contraire laisser toute interprétation de son œuvre possible. Il nous donne à voir une peinture narrative, une histoire à différents niveaux jouant à la fois avec l’image et l’écrit. Pourquoi le choix du médium fusain ? Sculpteur au début de sa carrière, Rinus Van de Velde s’est éloigné peu à peu de ce médium dont il juge le processus trop lent. Fasciné par le noir et blanc, il renoue avec un médium très académique, le fusain, destiné autrefois aux seules esquisses. Il lui donne des lettres de noblesse un peu comme Georges Seurat au XIXème ou Ernest Pignon-Ernest aujourd’hui. Il l’utilise avec une ample gestuelle graphique très libérée, sur des papiers de très grands formats. Il invite le spectateur à entrer physiquement dans l'œuvre, à marcher dans le dessin. Comment travaille Rinus Van de Velde ? Ses œuvres s’inspirent des images qu’il croise au quotidien, dans les magazines, sur internet ou dans les films.


MATtHIEU ROnSSE, Couple, 2010 - Photo : © Gauthier Deblonde

RONNY DELRUE, Lost Memory (Mother & Child), 2006

Il crée des univers artificiels, un peu de songe et de rêve en réalisant des mises en scène avec décors et personnages. Rinus Van de Velde place également des personnalités marginales dans ses œuvres qui deviennent pour lui des sortes d’alter ego.

les toiles sont énigmatiques et ce n’est que par associations d’idées que l’on construit du sens face à cette suite qui rappelle une séquence filmique ou l’ébauche d’un story-board. C’est ce qui n’est pas montré, les interstices entre les images qui font naître le récit dont la signification change selon le spectateur. On trouve souvent dans les tableaux de l’artiste une charge sexuelle et violente, une étrange inquiétude, une atmosphère de lieux de crime. C’est aussi la taille minuscule des tableaux qui surprend, de petits formats tels des miniatures médiévales et pourtant si minutieusement peints ! Leur échelle oblige le spectateur à avoir tantôt une relation intime avec chaque tableau tantôt une distance pour englober la série. Comment travaille Robert Devriendt ? Robert Devriendt peint depuis une vingtaine d’années de minuscules saynètes en puisant dans des images de la vie quotidienne, des détails d’œuvres d’art connues ou encore des portraits de célébrités faisant figure de personnages dans des décors changeants. Il renoue avec les racines de la peinture flamande en utilisant comme les primitifs la technique de la peinture à l’huile. Il joue aussi à perturber la lecture de certaines séquences en introduisant un élément haut en couleur au milieu de la série ce qui complexifie encore l’intrigue et l’intensifie plutôt qu’elle ne la résout. L’imaginaire de chaque spectateur, unique, va amplifier cette complexité, brouiller les pistes ou les éclaircir.

Matthieu RONSSE 1981, Courtrai (Belgique) Nude Couple, 2007 Couple, 2010 Mots clés : Récit, fiction, peinture, histoires

Que représentent ces deux peintures ? Deux couples... L’un traité en noir et blanc est représenté dans une grande intimité. Les larges coups de pinceaux rappellent le traitement des expressionnistes allemands du XXème siècle. Le cadrage en plan américain cache les sexes des protagonistes. L’autre couple se promène dans un lieu ensoleillé, exotique comme l’atteste leurs tenues et la présence d’un palmier à l’arrière plan. Il semble directement sorti d’un magazine people. En fait ce sont Antoine Oultremont et Delphine Boel qui sont représentés, elle est la fille cachée du roi Albert II, révélée par la presse belge en 1999. Dans ces tableaux, Matthieu Ronsse nous raconte des bribes d’histoires privées un peu à l’instar des scènes de genres du XVIIIème siècle hollandais. Il appartient à la nouvelle génération de peintres belges et se réclame du beau travail dans un contexte artistique ou la peinture figurative reste encore tabou. Il maîtrise magistralement toutes sortes de pigments, de laques industrielles, de poussières, de cendres, de gomme à mâche, renouant avec cette sorte de cuisine alchimique qu’avaient initiée Jan Van Eyck ou Léonard De Vinci.

Robert DEVRIENdT 1955, Bruxelles (Belgique) Sweet Obsession, 2011 Mots clés : Récit, fiction, cinéma, miniature

Que nous livre l’œuvre de Robert Devriendt ? Sweet Obsession 1 est une série de trois minuscules toiles : sur la première, le regard vert hypnotisant d’une blonde platine interpelle le spectateur (il s'agit en fait d'une brune portant une perruque), sur la seconde, une botte vernie rouge au talon argent gît parmi des feuilles mortes, et enfin sur la troisième, une berline américaine dont on ne voit que l’avant, est garée sur un chemin forestier. À première vue, les rapports entre

Ronny DELRUE 1957, Heestert (Belgique) Lost Memory (Mother & Child), 2006 Mots clés : portrait, photographie, héliogravure, souvenirs, récits de vie

Que nous montre l’œuvre ? Une photographie remaniée, intrigante et mélancolique. Une mère et son enfant posent devant nous, seule leur proximité et le geste tendre nous montrent leur filiation. Ici les silhouettes sont effacées, noircies. Le visage des personnages, siège habituel des émotions, est occulté. Le décor flou et quelques autres indices comme les chaussettes blanches de l’enfant, sa culotte courte, nous transportent dans les années 50. à l’époque, les photographies de famille se faisaient en studio et les prises de vue étaient très codifiées : se tenir droit dans une pose figée, se parer d’“habits du dimanche“, fixer l’objectif du photographe avec des expressions très contenues.

1. Triptyque en Page 9 du dossier pédagogique.

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ELIZABETH PEYTON, Fred Hughes, 1995 © Elizabeth Peyton

FRancesca woodman, Untitled, Rome, 1977-1978

Ici les visages, les corps, volés au passé se dérobent, s’effacent sous les traits noirs qui accentuent le côté nostalgique d’un temps passé. On ne peut que se questionner sur la destinée de ces inconnus, sur leur histoire. Comment travaille Ronny Delrue? Il collectionne d’anciennes photographies trouvées dans les brocantes ou chez des bouquinistes, qui racontent des histoires perdues. Il les remanie au crayon ou à l’encre de Chine pour en tirer ensuite des héliogravures, technique d’impression sur plaque de cuivre assez complexe.

ELIZABETH PEYTON 1965, Danbury (États-Unis) Fred Hughes, 1995 Mots clés : portraits, icônes

Pourquoi les portraits de Fred Hughes et de la famille royale d’Angleterre? Fred Hughes (manager de Andy Warhol) est une célébrité parmi d’autres dont l’artiste choisit de faire des portraits. Dès les années 90, elle travaille à partir d’images de presse, mais aussi à partir de photographies d’amis, d’amants. D’une grande simplicité, ses portraits sont souvent limités aux petits formats, le tracé apparent du pinceau donne une impression d’immédiateté. L’artiste parvient ainsi à donner un caractère privé et intime à ses personnages souvent officiels. On rapproche souvent son travail de celui du peintre David Hockney.

Le corps photographié Les premiers détracteurs de la photographie la réduisent à un simple enregistrement mécanique de la réalité, donc incapable de qualité artistique, contrairement à la tradition picturale. Depuis, on est passé du corps photographié comme modèle pour peintres et sculpteurs au XIXème siècle, au corps comme pur objet esthétique. Dorénavant la photographie a largement gagné sa place dans les institutions culturelles et sur le marché de l’art comme le montre la présence de nombreux photographes dans l’exposition Passions Secrètes, Collections Privées Flamandes. Dans l’exposition, le corps photographié est abordé par de nombreux artistes. Il réinterroge la posture du photographe face au réel, la mise en scène, l’image, aux partis pris narratifs, à la construction imaginaire ou à sa recherche de neutralité de l’image...

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ANNETTE MESSAGER, Mes vœux sous le filet (cœur), 1999-2000

Francesca WOODMAN 1958, Denvers (États-Unis) - 1981, New York (États-Unis) Providence, 1976 Untitled, Rome, 1977-1978 From Angels Series, Rome, 1977 Mots clés : autoportrait, fond/forme, apparition, disparition, dissimulation, format, cadrage

Que nous montrent les photographies de Francesca Woodman? Ce sont des autoportraits où l’artiste se met en scène en apparaissant nue. Mais cette nudité reste froide, intellectuelle. L’artiste interroge surtout l’inscription de son corps dans l’espace. Souvent cachés, flous, coupés par le cadrage ou rendus invisibles par des jeux de surexposition ou de bougé2, ces autoportraits où le visage est absent, sont aussi prétexte à révéler les matières. Murs anciens, papiers peints décollés, peintures écaillées sont permanents dans les clichés tous de format carré. Qui est Francesca Woodman ? C’est une météorite, à la fois naïve et d’une maturité inquiétante, elle a, en neuf ans de créations compulsives, marqué éternellement l’histoire de la photographie. Les photographies de Woodman prises entre 1972 et 1981, dépeignent un monde figé, retiré, hors du temps, que le monde moderne extérieur n’atteint pas.

TRACEY MOFFATT 1960, Brisbane (Australie) Something more #3, 1989 Mots clés : fiction, photographie, cadrage, cinéma, identité

Que représente l’œuvre Something more #3 ? C’est une photographie qui appartient à une série de neuf clichés couleur et noir et blanc. L’image nous montre un homme asiatique, les yeux fermés, la tête posée sur la jambe d’une femme assise sur une caisse. Le cadrage est serré sur le jeune homme aux yeux fermés. De la femme très sensuelle (il s’agit en fait de l’artiste) on ne voit que la jambe et le corps vêtu d’une robe orientale. Un chapeau rappelant ceux des paysans chinois est posé à sa droite. Ici, le cadrage en plan rapproché, la mise en scène, le jeu du hors champ rappellent le langage cinématographique dont l’artiste affirme s’inspirer. Quelle est l'histoire de Tracey Moffatt? Photographe et cinéaste contemporaine, Tracey Moffat vit et 2. Le “bougé“ est un terme de la photographie désignant le mouvement de l’appareil photo au moment du déclenchement de celui-ci.


TRACEY MOFFATT Something More #3, 1989

Yasumasa MorimurA, Self Portrait (Actress)/After Vivien Leigh, 1986

travaille à Los Angeles. De mère aborigène et de père européen, elle sera enlevée à ses parents et élevée dans une famille blanche, comme la politique d’assimilation en vigueur l’exigeait alors. Elle grandit selon cette double appartenance : éducation blanche et origine aborigène. Adolescente dans les années 70, Tracey Moffatt s’imprègne de culture pop et télévisuelle. Elle dédie son œuvre aux questions d’identité et de différence, mélangeant constamment mythologie personnelle et universelle. Cependant, son regard porté sur le passé n’est pas dominé par des considérations politico-sociales, il conjugue un mélange de mémoire personnelle et collective, d’histoires héritées et d’inventions.

Yasumasa Morimura 1951, Osaka (Japon) Self Portrait (Actress)/ after Vivien Leigh, 1986

Annette Messager 1943, Berck-Plage (France) Mes voeux sous le filet (coeur), 1999-2000 Mots clés : fragmentation, accumulation, détail, mythologie personnelle, ex-voto

Que nous montre l’œuvre? C’est une installation réalisée à partir de photographies en noir et blanc, recouvertes de filets de pêche noirs. Les clichés représentent des fragments d’anatomie humaine, photographiés en gros plan, ils sont accrochés au mur dans une forme de cœur. Annette Messager aurait eu l’idée de cette présentation, via l’influence d’un tableau de René Magritte, L’Évidence éternelle (1930), où un nu féminin se divise en cinq parties peintes sur cinq toiles différentes. Cette série rappelle les ex-voto présents dans certaines églises, chapelles encombrées de photographies, de plaques émaillées ou de moulages en cire d’organes “miraculés“ dédiées à un saint guérisseur. D’autres compositions de la série prennent la forme d’un cercle. Ces corps fragmentés rappellent diverses imageries ; médicale, religieuse ou érotique, et font également référence aux cinq sens. Comment Annette Messager travaille-t-elle ? Le travail d’Annette Messager rejoint celui de Christian Boltanski ou de Jean Le Gac qui relève de démarches singulières qualifiées de “mythologies individuelles“. Il met en avant l’affectif, l’imaginaire sans aucune considération politique. Annette Messager construit depuis les années 70 une autobiographie fictive dont elle s’approprie les éléments qui deviennent ses jouets. Elle en arrive même à nommer ses créations : “Mes trophées“, “Mes petites effigies“, “Mes pensionnaires“, “Mes jalousies“, etc.

Mots clés : travestissement, autoportrait, icône

Que nous montre cette photographie ? Cette photographie est tirée de la série de portraits d’actrices dans laquelle l’artiste utilise son procédé récurrent de travestissement pour ressembler à de grandes stars telles que Marilyn Monroe ou Audrey Hepburn. Ici, il pose en Vivian Leigh dans le rôle de Scarlett O’Hara dans Autant en Emporte le Vent (1939), à ce paradoxe près qu’au lieu de trouver dans un état sudiste américain, il pose dans un jardin japonnais. Si la photographie est plastiquement superbe, elle a cependant quelque chose de dérangeant, de pathétique : le maquillage forcé et visible de l’artiste, le costume, la pose exagérée. Que révèle le travail de Yasumasa Morimura ? Pour l’artiste il s’agit de devenir une véritable icône à l’instar des vedettes hollywoodiennes et de fantasmer la réalité. “Ce qui m’intéresse actuellement, ce n’est pas de regarder des paysages, des peintures, des actrices de cinéma, mais de “devenir“ des paysages, des peintures, des actrices. Ou plutôt de les porter“3. Son art est une exploration de l’imaginaire cinématographique comme machine à rêver. Il s’attache au pouvoir fascinant produit sur le grand public par les affiches, les magazines ou les photographies de studio. L’œuvre de Yasumasa Morimura parle également d’un Japon fasciné par l’Occident et reporte dans ses transformations physiques la mutation et la crise d’identité permanente de la société nippone. De ce point de vue, ses photoperformances rencontrent le théâtre nô et ses traditionnelles transformations d’acteurs. Peut-être y a-t-il d’ailleurs chez Yasumasa Morimura un message moralisateur à la société japonaise : il renvoie un miroir terrifiant aux jeunes nippones qui se font teindre en blondes, débrider les yeux et blanchir la peau.

3. Catalogue de l’exposition “Sous le manteau“, galerie Thaddeus Ropac, 1997.

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Iris Van Dongen & Kimberly Clark, Carpe Nox X (Ellemieke), 2006

danh vo, We the people, élément E2, 2011 - Courtesy Chantal Coursel, Paris

Le corps en volume

Danh VO 1975, Bà Ria (Vietnam) We the people, élément E2, 2011 We the people, élément B7.3, 2011 We the people, élément M12, 2011 We the people, élément A6.5, 2011

Si en 1870, Auguste Rodin se voit refuser les portes du Salon de sculpture1 car son œuvre L’âge d’Airain est soupçonnée d’être un moulage sur nature, au XXème siècle la situation est nettement à l’opposé. John De Andrea et Jan Van Oost, présentés dans l'exposition, sont des artistes de l’hyperréalisme et font du procédé du moulage, l’essence même de leurs œuvres. Il s’agit pour eux de placer le spectateur dans une situation de doute où il ne sait pas s’il se trouve face à une personne réelle ou à une œuvre d’art. Le travail de Kimberly Clark est un peu différent car le collectif se sert de mannequins préfabriqués en chaîne. Quant à l’artiste Danh Vo, qui fragmente le corps de la Statue de la Liberté pour en éparpiller les morceaux, il inverse la démarche d'Auguste Rodin. Ce dernier gardait dans son atelier des abattis, fragments de corps, de sculptures qu’il assemblait ou ré-assemblait selon ses inspirations, il recyclait en quelque sorte ses études.

Iris VAN DONGEN & Kimberly CLARK Iris Van Dongen : 1975, Tilburg (Pays-Bas) Carpe Nox X (Ellemieke), 2006 Mots clés : femme, gestuelle, hyperréalisme

Que représente l’œuvre ? Elle fait partie d’une installation de trois mannequins de vitrine représentant les artistes du collectif Kimberly Clark. Empruntant leurs vêtements, les sculptures apparaissent comme les doubles idéalisés des artistes version urbaine et sexy. Elles prennent des positions similaires à celles de tagueurs pris en photo, se camouflant le visage ou les yeux afin de préserver leur anonymat. Le titre Carpe Nox X est le pendant du fameux “Carpe diem“ dans le vocabulaire urbain. Qui est ce collectif d’artistes ? Ce sont trois artistes hollandaises, Iris Van Dongen, Josepha de Jong et Ellemieke Schoenmaker, qui s’interrogent sur leur identité et leur image à un âge charnière de leur vie. Leurs œuvres balancent entre féminité exacerbée et humeurs sombres, défoulement et frustration. Avec une certaine ironie, le collectif a choisi pour nom Kimberly Clark, nom d’une grande marque de produits d’hygiène. 1. Manifestation artistique se déroulant à Paris depuis le XVIIIème siècle. Les œuvres exposées devaient être agrées par l'Académie des Beaux-Arts.

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Mots clés : fragment, symbole

Que signifie cette œuvre ? Le titre de l’œuvre reprend les premiers mots du préambule de la Constitution des États-Unis d’Amérique de 1787 (“We, the People of the United States“ : “Nous, Peuple des États-Unis“). La valeur symbolique de la Statue de la Liberté réside dans deux facteurs essentiels : elle a été présentée par la France pour affirmer l’alliance historique entre les deux pays ; elle a été financée par une souscription internationale pour reconnaître l’établissement des principes de liberté et de démocratie de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, que la Statue tient dans la main gauche. Elle reste un symbole extrêmement fort de l’arrivée des immigrants de nombreux pays à la fin du XIXème et au début du XXème siècle et inspire la méditation et le débat sur la liberté, la paix, les droits de l’Homme, l’abolition de l’esclavage, la démocratie et la chance. Ici sont présentées quatre pièces de la Statue de la Liberté que l’artiste a entrepris de reproduire en réalisant des fragments de cuivre à l’échelle exacte de la statue : quarante-six mètres de hauteur, quatrevingt tonnes. Les pièces détachées ne sont pas destinées à être rassemblées mais au contraire dispersées aux quatre coins du monde. Par ce procédé, l’artiste insiste sur l’idée de démantèlement du symbole, des concepts véhiculés car les valeurs du monde libre promis sont très souvent bafouées. Quelle histoire personnelle traverse l'œuvre de Danh Vo ? Danh Vo est né à Bà Ria, l’année où s’est terminée la guerre du Vietnam. En 1980, il s’évade avec ses parents d’un camp de réfugiés. Leur bateau de fortune est repéré par un pétrolier danois et c’est ainsi que Danh Vo et sa famille se retrouvent au Danemark. L’histoire personnelle de Danh Vo résonne dans toute son œuvre : il médite sur son origine, le droit de naissance, la citoyenneté, puisant dans une matière intime pour montrer que l’identité est une construction de projections, d’idées reçues et de valeurs imposées. Le travail de l’artiste se construit autour de la circulation des valeurs, qu’elles soient matérielles, économiques, symboliques ou spirituelles.


john de andrea, Black woman with folding chair, 1978

John de ANDREa 1941, Denver (États-Unis) Black woman with folding chair, 1978 Mots clés : moulage, hyperréalisme, nudité

Que voit-on ? Une jeune femme noire entièrement nue est debout, un pied posé sur une chaise. Elle semble méditative, mélancolique, absente. Cette sculpture d’un illusionnisme absolu, a été réalisée par moulage à partir d’un modèle vivant. Le rendu parfait de l’épiderme, des détails comme les cheveux, les yeux mais aussi l’immobilité de la pose, provoquent le malaise que l’on éprouve lorsque la frontière entre réalité et fiction se trouble soudain.

Le corps figuré

Qui est John De Andrea ? Dès le milieu des années 60, il se met à créer des moulages en polyester et s’attire très vite les éloges de la critique car si la problématique du corps est très présente dans l’art américain de cette période, elle s’inscrit surtout dans la performance, le happening. John De Andrea est considéré comme le père de l’hyperréalisme américain. L’artiste se concentre sur l’effet produit par la présence humaine des personnages. Même s’il ne vise pas l’érotisme, John De Andrea choisit pour sujet des modèles sans le moindre défaut physique : tous sont jeunes, certains même sont des enfants, généralement minces et aux proportions idéales. à la recherche de la beauté idéale, l’artiste porte son répertoire d’images sur la reproduction fidèle du corps du nu féminin, en recourant à de véritables modèles et en accordant une attention particulière à la finition des œuvres dans laquelle il insère des cheveux naturels. Mais sa sculpture démontre qu’entre l’idéal et le réel, il y a toujours une différence : la flamme de la vie.

Marie-José Parisseaux-Grabowski

pistes en histoire des arts aRTS DU visuel Moyen-âge - Renaissance Le poids du religieux, du sacré dans la symbolique de la représentation des corps. La place du corps profane, vie, mort. Les corps en souffrance, les corps déformés. Une vision esthétique et philosophique. Classicisme - Néoclassicisme Des corps avec une vision intimiste. Des corps héroïsés. Des corps comme propagande. Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV, 1701 Romantisme Des corps à travers des sujets mythologiques, historiques mais aussi des faits divers. Des corps “allégories“. Théodore Géricault, Le Radeau de La Méduse, 1819. Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830. Naturalisme Peu de présence des corps masculins et féminins. Importance de la nature et des paysages. Réalisme - académisme Des corps vus sans idéalisation ou idéalisés et décoratifs. Les corps dans une dimension et une vision quotidienne. Jean-François MILLET, Les Glaneuses, 1857.

1er degré

Impressionnisme Une liberté progressive. Une diversification des sujets, des couleurs, des thèmes et des postures (portraits). Des scènes de vie variées. Nabi - Fauvisme - cubisme Le corps dynamique, le corps géométrique. Tous les âges de la vie et leur expression corporelle sont abordés. Surréalisme - Abstraction - hyperréalisme Des corps déstructurés. Décomposition et recomposition des corps (“le corps devient signifié et signifiant“). Une liberté accentuée, la multiplication des expériences. Accentuation de la réflexion individuelle sur les dimensions corporelles. Rôle du Body Art et du Pop Art. Performances et vidéo. ARTS DU SPECTACLE VIVANT - danse Comment la danse a-t-elle modifié la notion de corps dans l’espace? De la codification du mouvement qui pose les bases de la danse classique au XVIIIème siècle à la Modern danse ou à la notion de “Non-danse“ aujourd’hui... sitographie http://www.histoiredesarts.culture.fr/reperes/danse www.ac-nancy-metz.fr/ia88/GDFormateursMusique/HDA_danse.pdf http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/danse/39587

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Le corps figuré

pistes en arts visuels Pratique photographique Mitrailler Cadrer une partie du corps ou du visage, la photographier en variant les cadrages, les points de vue. Privilégier les gros plans, retenir les détails. Réaliser un assemblage de toutes ces photographies en les associant, les rapprochant, les juxtaposant, les superposant, les imbriquant. Le portrait fragmenté Avec les appareils photos numériques, jouer à cadrer différentes parties du corps. Photographier les fragments sélectionnés. Les mettre en scène.

1er degré Roman-photo Écrire une trame de scénario. Réaliser un storyboard pour raconter une histoire. Photographier chaque plan. écrire les textes. Monter. Sitographie http://expositions.bnf.fr/portraits/ http://espaceeducatif.acrennes.fr /jahia / webdav /site / espaceeducatif3 /groups /CLEMI_Webmestres /public / actionsbre/histoirevie/DossPedaPortraitshistvie.pdf http://www.histoiredesarts.culture.fr/reperes/photo

Se photographier en gros plan Expérimenter devant un miroir des expressions de visage. Exprimer des sentiments devant l’objectif. Se faire photographier. Présenter les portraits en série.

Le volume Fragments de corps Exécuter des croquis, d’après modèle vivant : mains, bras, jambes, pieds, têtes... Modeler dans l’argile puis modeler des fragments de corps.

Se mettre en scène Se déguiser, se mettre en scène, traduire un épisode tragique. Se faire photographier. Variante : réaliser des tableaux vivants. Choisir des œuvres peintes ou sculptées.

Moulage Utiliser des bandes plâtrées pour mouler des mains, des pieds, des fragments de corps : coude, genoux... Constater les effets produits.

Portrait insolite de groupes Réaliser une photo de classe classique. Imaginer ensemble d’autres mises en scène ludiques et insolites : de dos, masqués, cachés, avec des postures de statuaires, chorégraphiques, en jouant sur le bougé, le flou.

Empreinte Travailler par deux. L’un est le modèle, l’autre le sculpteur. Relever l’empreinte du corps ou d’une partie avec du papier d’aluminium. Prendre l’empreinte du visage, d’une partie du corps ou du corps en entier en épousant fidèlement les formes. Retirer délicatement pour éviter les déformations.

Portrait neutre Tenter de n’exprimer aucun sentiment, de n’afficher aucune expression, de regarder fixement le camarade qui photographie.

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Mise en scène Se servir de jouets, de poupées pour mettre en scène une histoire, une action. Photographier sous différents angles.


Le corps 1 • Le corps, sujet de représentation

2nd degré

2 • Le corps figuré

1er degré

3 • Regards croisés The Devil's Dress, Michaël Borremans

2nd 1er & degré degré

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Regards croisés The Devil's Dress MICHAËL BORREMANS

2nd 1er & degré degré

1963, Geraardsbergen (Belgique) The Devil's Dress, huile sur toile, 40x60 cm, 2011.

Qui sont les personnages des tableaux de Michaël Borremans ? Ce sont parfois des amis de l'artiste ou des modèles que Michaël Borremans met en scène puis photographie avant de les peindre, mais les personnes elles-mêmes n'ont pas d'importance car le peintre ne fait pas de portrait, il cherche à représenter des archétypes de personnes, des sortes d'objets humains. Qui est Michaël Borremans ? Michaël Borremans a fait ses études à la Sint-Lucas Hogeschool voor Wetenschap & Kunst de Gand. L’école proposait une formation très classique et l’artiste a beaucoup appris en copiant les gravures de Rembrandt et Francisco De Goya dont il dit qu’ils furent ses véritables maîtres. Il devient ensuite enseignant. Il commence par dessiner car il est persuadé qu’il faut d’abord être bon dessinateur avant de commencer à peindre, ce qu’il ose finalement faire à 33 ans. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il commence à se considérer comme étant capable de peindre. Plus récemment, il s’est mis à pratiquer la vidéo. Le contexte The Devil’s Dress est inspirée de The Wooden Skirt (2011), une peinture où Michaël Borremans a souhaité qu’un enfant porte une jupe faite d’un matériau qui ne convient pas pour l’habillement : le bois. Il a ensuite désiré réaliser une autre peinture avec un vêtement plus grand fait lui aussi d’un matériau rigide, d’où le choix du carton. Il n’y a généralement qu’un seul personnage dans les peintures de Michaël Borremans. De loin, la présence de cet unique être laisse imaginer que l’artiste a réalisé un portrait. Cependant l’absence d’émotions sur le visage ou le corps ne révèle rien de la personnalité du modèle. Le peintre précise : “J’essaie de montrer des figures je ne veux pas utiliser le mot “individu“1 ; ce ne sont pas des individus.“. De surcroît, les yeux baissés, mi-clos ou fermés du modèle empêche tout contact. Cela crée un sentiment de gêne chez le spectateur qui a, face à lui, des êtres qui sont, selon toute apparence, prisonniers d’un destin que l’artiste se refuse à dévoiler. Il affirme d’ailleurs être convaincu que “l’être humain est victime de sa situation et qu’il n’est pas libre“2. Que voit-on ? Un corps parfaitement immobile est allongé sur le sol dans un espace dont il est difficile de déterminer l’usage, il s'agit peutêtre d'un entrepôt comme le laisse supposer le sol brun clair. L’homme est allongé dans une attitude de complet abandon comme mort ou endormi. Il est cadré en plongée ce qui accentue le côté pathétique de son corps abandonné. Ses pieds sont sales, sa main droite est rouge : est-ce du sang ? Le jeune homme est vêtu, à moins qu’il ne faille dire masqué ou emballé, d’une espèce de robe rouge sombre. 1. Michaël Borremans interviewé par David Coggins, Art in America, “Michaël Borremans“, mars 2009, p. 90. 2. Idem, p. 91.

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Cette tenue est faite de carton rigide et ses plis sont marqués par de longs coups de pinceaux d’un rouge un peu violacé. Les reflets clairs sur le dessus des jambes, le haut du dos et les parties saillantes du visage ainsi que l’ombre portée par la robe sur les genoux et les cuisses indiquent un éclairage vif qui pourrait être celui du soleil. La lumière vient du haut à gauche comme c’est souvent le cas dans la peinture classique. Que nous indique le cartel ? Le titre de l’œuvre : The Devil’s Dress que l’on peut traduire par “le costume du diable“, sans doute à cause de la couleur rouge du vêtement. Les dimensions : le tableau mesure 60 cm de longueur et 40 cm de hauteur. La technique utilisée : la peinture à l’huile. La date de création : 2011, un travail récent. Quelle technique utilise l'artiste? Michaël Borremans utilise la peinture à l'huile sur toile car, nous dit l’artiste : “La peinture est un médium ancien […] Elle rend chaque sujet sacré“3. Il a une maîtrise exceptionnelle de cette technique comme les grands artistes classiques dont il revendique l'héritage. Parmi eux les peintres espagnols Diego Vélasquez, Francisco de Zurbaran et chez les français, Gustave Courbet et Édouard Manet ont fortement influencé sa manière de peindre. Les figures qui s'imposent à nous sont campées dans des fonds neutres, dans un décor minimaliste voire inexistant qui rappelle souvent un intérieur d'atelier ou une scène de théâtre. Il peint à la lumière du jour parce qu’elle vit et respire. Dans la plupart de ses œuvres, il n’emploie qu’une palette restreinte de couleurs et il est très rare qu’il fasse usage du noir. Lorsqu’il a une idée d’œuvre, l’artiste commence par faire une séance photos ou des vidéos. Ce sont ensuite les photos ou les arrêts sur image qui sont en quelque sorte ses croquis, ses études et qui vont ensuite inspirer son travail pictural. Quels éclairages possibles ? Le travail de l’artiste se réfère à des images familières. Un corps allongé sur le sol évoque le sommeil, le repos mais aussi la mort. Le tableau peut faire penser au Torero mort d’édouard Manet (1864) quoique les couleurs en soient différentes. En dépit de la palette de teintes chaudes employées par le peintre, l’atmosphère est froide. Aucune expression ne transparaît sur le visage de cet homme qui prend des allures de gisant4 si ce n’est qu’il n’est pas de pierre mais manifestement de chair et d’os. Par contre, l’espèce de robe rouge est un volume géométrique qui ressemble à une sculpture minimaliste, voire à un élément d’architecture. Quel est le sens à donner à The Devil’s Dress ?

3. Michaël Borremans interviewé par Katya Tylevich, Elephant - the Art & Visual Culture Magazine, numéro II, “Michaël Borremans – The painter’s song“, été 2012, p. 116. 4. Sculpture funéraire de l'art chrétien.


L’homme semble être tombé du ciel, le tableau évoque-t-il une re-visitation du mythe d'Icare ou encore celui de l'ange déchu, le diable lui-même ? Quel est le mythe de Lucifer ou du diable ? Dans les traditions juives et chrétiennes, l'ange déchu est un ange banni du paradis pour s'être révolté ou avoir désobéi à Dieu. Le plus connu des anges déchus est Azazel, plus connu sous le nom de Lucifer, de Satan. La seule référence aux anges déchus est un passage du livre d’Isaïe dans l'Ancien Testament. Lucifer, était selon la légende, le “plus sage de tous les anges avant de devenir le diable“. Il est le premier ange qui a péché et pourtant il était placé à la tête de toutes les cohortes célestes

et il surpassait tous les autres en lumière et en splendeur. Dès lors le diable, ange déchu a pour royaume les ténèbres. Dans une main, il tient un rouleau de parchemin et dans l'autre, une plume de fer avec laquelle il fomente la chute finale du Paradis. Sitographie Le guide du visiteur de l’exposition de Michaël Borremans qui a eu lieu au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles du 22 février au 3 août 2014 est téléchargeable en ligne sur www.bozar.be.

michaël borremans, The Devil's Dress, 2011.

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Michaël Borremans

dans l'exposition Passion Secrètes D’autres œuvres de Michaël Borremans sont présentées dans l’exposition Passions Secrètes : Ghost II, 2009, huile sur toile, 17.9x24.6cm Girl with Feathers, 2010, huile sur toile, 42x36 cm Self Portrait, 2010, huile sur toile, 32x24 cm The Beack, 2010, huile sur toile, 36x35 cm The Bread, 2012, vidéo Flesh Tower, 2013, huile sur toile, 32.6x21 cm

Une autre version de ce tableau existe sous le titre de The Devil’s Dress (II) (2011). Le même modèle est présenté dans un décor identique mais le jeune homme est, cette fois-ci, couché sur le côté.

The Devil's Dress, Michaël Borremans œuvres en résonance Des problématiques plastiques :

Le corps immobile

Comment revisiter le mythe de Lucifer, d'Icare ? Comment représenter le corps au repos ? Le corps statique?

Piero di Cosimo, Mort de Procris, 1495, National Gallery, London. Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1790. Edvard Munch, Il Giorno Dopo, 1895. Jean-Jules-Antoine Lecomte de Nouÿ, Rêve d’eunuque,1874, Museum of art, Cleveland. Edward Burne-Jones, La Belle au bois dormant, 1833-1898, Musée d’Art de Ponce, Porto Rico. Paul Gauguin, Le Rêve, Moe Moea, 1892, collection privée. Edward Hopper, Reclining Nude, vers 1924. John William Waterhouse, Ariane, 1898.

Mythe de Lucifer ou le corps après la chute Pieter Bruegel, La Chute des anges rebelles, 1562. Luca Giordano, Lutte entre les anges et les anges déchus, 1666. Sun Yuan & Peng Yu, L’Ange déchu, 2008. Auguste Rodin, L'Ange déchu, 1895, marbre. Palais des BeauxArts de Lille. Gustave Doré, Les Anges déchus, illustration pour le poème Paradis perdu de John Milton, 1866. Cornelis Van Haarlem, La Chute des titans, 1588, huile sur toile, Statens Museum for Kunst, Danemark. Ludovic Carache, Saint-Sébastien jeté dans la cloaca maxima, vers 1600-1619, huile sur toile.

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Mots clés Peinture, figure, nature morte, mise en scène, inquiétante étrangeté.


Le MYTHE 1 • De l’actualité des mythes

2nd degré

2 • Mythes revisités

1er degré

3 • Regards croisés

2nd 1er & degré degré

Phryne, Anselm Kiefer

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De l’actualité des mythes

RUBEN BELLINKX, The Trophy, 2010

Icare, Arachné ou Narcisse n’ont probablement jamais existé ni en Grèce, ni ailleurs. Ce sont des mythes, c’est-à-dire des récits qui relatent les aventures imaginaires de dieux et d’hommes, d’animaux et de chimères ou encore de créatures merveilleuses. Ces histoires sont sacrées pour la civilisation qui les a produites car elles expliquent généralement la création du monde et de l’Homme. Ainsi, d’une extrémité à l’autre de la terre, on retrouve curieusement des figures identiques. L’Indien Indra, le Scandinave Odin et Mars le Romain sont tous des dieux de la guerre. Certains mythes véhiculent une morale tels ceux d’Icare, Arachné et Narcisse, d’autres symbolisent une doctrine ou des idées métaphysiques. Le mot “mythe“ vient à l’origine du grec muthos qui désignait un propos vrai. à partir du Vème siècle avant Jésus-Christ, ce terme est employé pour parler d’un récit fabuleux. Aujourd’hui, le sens du mot s’est encore élargi puisqu’il peut évoquer l’image idéalisée d’une personne, d’une situation ou d’une idée. Le mythe est alors une vision abstraite plus ou moins proche de la réalité mais intellectuellement stimulante et susceptible de nourrir la réflexion.

L’animal : mythique ou pas ? Les cervidés sont mythiques dans de nombreuses cultures européennes, qu’il s’agisse du dieu gaulois Cernunnos qui porte des bois de cerf, de l’animal doué de parole qui, se présentant comme le Christ, pousse Saint-Hubert à se convertir ou encore, dans la mythologie grecque, de la déesse Artémis qui transforme le chasseur Actéon en cerf. Le renne est le héros de la vidéo The Trophy (2010) de Ruben Bellinkx. Dans l’Antiquité, un trophée était constitué par la cuirasse et les armes du vaincu déposées contre un arbre. Aujourd’hui, pour les chasseurs, le mot désigne la tête

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2nd degré

WIM DELVOYE, Trophy, 1999, Courtesy Studio Wim Delvoye

naturalisée, les défenses ou les bois d’un animal abattu. Le terme dans les deux acceptions est lié au combat et à la mort. The Trophy, tel qu’il est vu par l’artiste belge, ne correspond qu’apparemment à cette définition. Cette vidéo, en deux parties, filme le trophée d’une tête de renne. Peu à peu, un doute naît. L’animal que l’on contemple est-il vivant ou mort ? Au bout d’un certain laps de temps, ses paupières se ferment doucement et ce mouvement fournit la réponse à la question que l’on se posait. Un animal empaillé donne l’illusion d’être vivant et donc éternel. L’artiste belge crée l’effet inverse en donnant l’aspect de la mort à une créature vivante. Le second film montre l’arrière-train parfaitement immobile de la bête, son poitrail est coincé dans le mur. D’autres interrogations viennent alors à l’esprit : comment ce renne a-t-il pu être ainsi bloqué dans le mur ? En fait, le mur blanc est simplement fait de deux parties qui coulissent l’une vers l’autre sur des rails, mais il a fallu deux ans à Ruben Bellinkx afin de trouver un renne assez docile pour se prêter au jeu. Le plasticien veille soigneusement à ne pas mettre les animaux en danger. Toutefois un sentiment de gêne peut poindre chez le spectateur face à ce jeu pervers même si ce n’est pas l’intention de l’artiste. Celui-ci cherche à faire naître une image poétique située à la limite du familier et de l’étrange. Il précise : “J’ai commencé à utiliser des animaux dans mes films il y a cinq ans parce qu’ils disent beaucoup sur notre société et sur le comportement humain“1. Les images de The Trophy mettent insidieusement en évidence la violence de notre société.

Trophy (1999) est aussi le titre donné à une œuvre de Wim Delvoye qui a pour autre point commun avec la précédente de mettre en scène des cervidés, un couple de daims en lieu et place d’un renne. Il s’agit ici d’animaux vraiment naturalisés. Le plasticien spécifie que ce sont “des objets de chasse dans la grande tradition animalière ; une sculpture pour un pavillon de chasse“2. 1. Zeenat Nagree, “Wild behaviour“, Time Out Mumbai, 30 novembre 2011. 2. Wim Delvoye cité par Judith-Benhamou-Huet, “La déco conceptuelle de Wim“, Les Échos, 15 juin 2012.


joseph beuys, I like America and America likes Me, 1974

Pourtant, la posture dans laquelle ils sont représentés n’existe pas dans le règne animal. Le mâle copule avec la femelle dans la position dite du missionnaire. Il s’agit ici de mettre l’accent sur le côté animal de l’homme, sur les fonctions corporelles propres à tous les mammifères. L’artiste avait déjà insisté sur l’aspect physiologique du corps avec Cloaca (2000), la “machine à caca“ qui reproduisait un tube digestif humain parfaitement fonctionnel. Wim Delvoye joue, avec humour et ironie, les provocateurs. Il met à mal la supériorité de l’homme en le réduisant à une machine dans le cas de Cloaca ou en attribuant à un animal une attitude humaine pour Trophy. Plutôt que d’évoquer les créatures animales des légendes anciennes, l’artiste belge semble plutôt s’inspirer de la truculence des figures du carnaval. Il devient ainsi un chasseur de mythes au sens où l’entendait Richard Hamilton, l’un des fondateurs du pop art : “La culture populaire a dérobé aux Beaux-Arts leur rôle de création de mythe [...] Pour ne pas perdre sa vocation ancienne, l’artiste devra peut-être piller les arts populaires pour retrouver les images qui constituent son héritage légitime.“3. L’artiste et pédagogue allemand Joseph Beuys tente de réconcilier l’homme avec son environnement. Pour ce faire, il est soucieux d’établir des relations entre celui-ci et les animaux. Il s’est intéressé aux animaux dotés de pouvoirs magiques par certaines mythologies. Ces créatures, tel le cerf des légendes nordiques, permettent, à ses yeux, de renouer le contact avec des forces primitives. Dans les mythologies d’Amérique du Nord, l’animal principal d’avant l’apparition de l’Homme est le coyote. Lorsque Joseph Beuys se rend aux États-Unis en 1974, il décide de passer une semaine avec ce cousin du loup pour rétablir une relation avec l’Amérique pré-coloniale. L’artiste considère la colonisation comme une blessure et, plus largement, la société comme malade ; c’est pourquoi l’action I like America and America likes Me (1974) commence par le transport en ambulance de l’artiste, sur un brancard, de Kennedy Airport à la galerie René Block de New York où se déroule la performance. Joseph Beuys et le coyote Little John vont cohabiter cinq jours dans un espace parsemé d’éléments symboliques tels que le feutre - à la 3. Richard Hamilton, “For the Finest Art, Try Pop“ (“Pour le plus beau des arts, essayez le Pop“, Gazette, no. 1 (1961): 42-3

fois conservateur de chaleur et isolant -, la canne du berger ou le Wall Street Journal sur lequel le coyote se soulagera généreusement. La performance se terminera comme elle avait commencé par le retour en ambulance à l’aéroport. I like America and America likes Me témoigne de la métamorphose, entre l’homme et l’animal, du monologue en dialogue et de la défiance en confiance.

Représenter un mythe Dans de nombreuses mythologies, la mort est personnifiée, par exemple sous la forme de Thanatos pour les Grecs, de l’Ankou pour les Bretons ou de Yama chez les Hindous. Le christianisme la symbolise sous l’apparence d’un corps plus ou moins décharné, voire d’un squelette. Il est évident, dès le premier regard, que l’œuvre de Jan Van Oost a à voir avec la mort sans que l’artiste ait eu besoin de montrer la décrépitude d’un corps en décomposition. Une impeccable robe de velours, couleur de deuil, moule le corps féminin aux cheveux de jais de La Strega Nera (1994). Les mains sont gantées de noir et les jambes gainées de collants de cette même teinte. Impossible d’identifier cette créature car le visage est dissimulé par la chevelure ébouriffée. Elle est presque prostrée pour mieux échapper aux regards. La Strega Nera signife “La Sorcière Noire“, cependant Jan Van Oost la surnomme parfois “la veuve noire“. Cette locution désigne une variété d’araignée venimeuse et elle caractérise aussi une femme qui assassine ses maris successifs afin de faire main basse sur leur fortune. Eros et Thanatos cohabitent dans la statue aux séduisantes courbes féminines de Jan Van Oost. Il s’agit pour lui de mettre en lumière ce qui relève habituellement de l’inconscient et de faire émerger les désirs, les obsessions et les peurs les plus profondes du spectateur. L’artiste considère d’ailleurs que son “rôle est probablement celui d’un guide au monde intérieur d’Hadès“4. Jan Van Oost cultive le paradoxe qui oppose la séduction née de la beauté à l’horreur venue de la peur. 4. Jan Van Oost interviewé par Elizabeth Feder dans “Towards a “Modern Self-consciousness“ : On Decadence and Death with Jan Van Oost“, San Francisco, 7 déc 2012. (Hadès est le maître des Enfers dans la mythologie grecque).

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JAN VAN OOST, La Strega Nera, 1994

Helmet #2 (2013) de Matthew Day Jackson est une espèce de portrait-collage où le profil d'un homme semble se décomposer. Cette créature mi vivante-mi morte porte le casque - d’où le titre de l’œuvre - d’une combinaison spatiale dont l’objectif est de permettre la survie des cosmonautes dans un milieu où la vie est impossible. Le fond noir sur lequel se détache le visage de “l’astronaute“ évoque le vide interstellaire et aussi le néant. Matthew Day Jackson fait en sorte que son travail se situe dans l’espace - au double sens du terme - et dans le temps, celui de l’épopée spatiale auquel il s’était déjà référé dans Apollo Space Suit (After Beuys) (2008), un scaphandrier d’astronaute en feutre. Ce dernier matériau est aussi employé dans Helmet #2 tout comme de la ficelle, du contreplaqué, des photos ou du bois calciné, lui encore évocateur de la mort. Cette dernière est un sujet récurrent dans l’œuvre de l’artiste qui, dans la série Me Dead at… (entamée en 2009), a décidé de se faire photographier à dates régulières dans son cercueil. La mort et la vie sont étroitement imbriquées dans ces œuvres de Matthew Day Jackson comme pour insinuer que la mort fait étroitement partie de la vie et que ce n’est pas nécessairement triste que d’en avoir conscience. Kris Martin se confronte lui aussi régulièrement à l’idée de la mort. Il reproduit son propre crâne dans Still Alive (2005). En 2007, il parvient, durant un bref instant, à faire cesser toute activité à la Frieze Art Fair en demandant, via les hauts parleurs, aux visiteurs de respecter une minute de silence comme on le fait pour des décès si ce n’est que cette minute n’avait été dédiée à personne. L’œuvre exposée dans Passions Secrètes s’intitule The End (2006). Le mot est écrit en belles lettres calligraphiées à l’envers sur un miroir. Le spectateur peut donc le lire soit en utilisant un autre miroir, soit - s’il le pouvait en passant de l’autre côté du miroir. Cette expression signifie aller au-delà des apparences mais aussi découvrir un autre monde comme le fait Alice dans le roman du même nom de Lewis Carroll. Ces quelques mots sont encore une métaphore pour désigner la mort. Comme le spectateur se voit en même temps qu’il tente de lire, il est mis face à sa propre fin. Dans la tradition artistique européenne, un tel memento mori avait pour objectif de rappeler aux chrétiens qu’au-delà de la mort,

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MATTHEW DAY JACKSON, Helmet #2, 2013

l’attendaient ou le paradis ou la damnation éternelle. Dans cette œuvre poétique et sobre, l’artiste met en avant l’aspect fragile et éphémère de l’existence aussi fugace qu’un reflet sur un miroir et qu’on savoure d’autant plus que l’on est conscient que la fin peut être proche.

Des mythes à abattre S’attaquer aux mythes et aux bases sur lesquelles ils reposent fait partie de la démarche de certains artistes. Mike Kelley s’est servi de bijoux, de montres, de perles et de boutons de peu de valeur pour fabriquer Memory Ware Flat #25 (2001). En Amérique du Nord, un memory ware est une pièce de vaisselle sur lequel sont collés toute une bimbeloterie ou des tessons de céramique en souvenir d’une personne disparue. L’artiste californien est préoccupé par ces questions liées à la mémoire individuelle. En témoignent des projets comme Educational Complex (1995) où il a reconstruit les maquettes des complexes scolaires qu’il a fréquentés. De surcroît, il est fasciné par les objets ainsi qu’il l’expliquait en 2000 : “Je n’aime pas du tout Internet, qui n’existe que dans un espace virtuel. Alors que les objets vous attirent dans le monde physique, ils vous font prendre conscience de votre dimension matérielle. Leur sensualité vous fait dépendre d’eux. Ils sont addictifs ?“. Par le recours à des matériaux nobles comme à des objets de récupération et grâce à un langage plastique qui lui est propre, Mike Kelley réussit avec humour à briser la hiérarchie qui sépare la culture populaire de la culture de “l’élite“ afin de mettre à bas le mythe d’une “haute“ culture réservée aux quelques “happy few“ capable de l’apprécier. À l’inverse de Mike Kelley, Art & Language se défie des objets dans le but d’échapper à la commercialisation de la production artistique. Fondé en 1968, le groupe Art & Language adopte ce nom collectif d’une part pour rejeter l’individualisme et la notion d’auteur, d’autre part parce que les mots sont pour eux le matériau privilégié de l’expression artistique. À leurs yeux, l’idée prime sur l’objet. Cependant, en 1977 le collectif revient à la peinture. à cette date, le groupe n'est plus contitué que de Michael Baldwin et Mel Ramsden. Les deux artistes replacent le médium pictural, les lieux de productions et de


KRIS MARTIN, The End, 2006

Collectors, commande photographique, 2014, © Gauthier Deblonde

consommation de l’art au cœur de leurs recherches. Incident in Museum (1993), un des éléments d’un série commencée en 1985, a pour sujet une exposition des œuvres du groupe au Whitney Museum de New York. Un tel événement ne peut se produire car le Whitney est exclusivement réservé à la présentation d’artistes américains. Les salles du musée sont fidèlement représentées sur l’œuvre. On reconnaît leurs plafonds à caissons et leurs sols dallés. Incident in Museum figure l’espace muséal tout en contenant des tableaux qui reproduisent ce même lieu mais à des échelles ou avec des perspectives différentes. Cette mise en abyme vise à ce que le spectateur s’interroge sur ce qu’est un musée et sur ce que sont les effets de la mise en scène. Le tableau montre l’endroit où est le public et, en quelque sorte, prend sa place dans une espèce d’effet miroir. Art & Langage porte sur le musée un regard ironique et subversif qui questionne le musée en tant que lieu et institution. C’est contre un système économique et social qu’Elmgreen & Dragset adoptent l’arme de l’ironie. L’an dernier, l’exposition Happy Birthday Galerie Perrotin:25 ans accueillait les visiteurs avec Disgrace (2007), une RollsRoyce totalement recouverte de goudron et de plume. Ce traitement dégradant lui avait été infligé par le duo danonorvégien Elmgreen & Dragset. Ils avaient transformé un symbole du capitalisme triomphant en objet inutilisable. Cette année, Passions Secrètes donne à voir d’autres œuvres aussi iconoclastes des mêmes duettistes. Safe/Dot Painting (2004) est faite d’un coffre-fort et d’une peinture à pois multicolore comme l’indique littéralement le titre. Le tableau fait penser à une œuvre de Damien Hirst, Methoxyverapamil (1991), elle aussi présentée au Tripostal à l’automne dernier. L’œuvre est déchirée et laisse voir la porte d’un coffre et sa serrure à combinaison numérotée comme si Michael Elmgreen et Ingar Dragset voulaient dire que derrière l’art contemporain se cache à peine un lucratif marché dans la plus pure logique capitaliste. Il faut ajouter que Damien Hirst avait lui-même orchestré la vente aux enchères de ses œuvres en septembre 2008 et que ce fut un succès commercial. Si Safe/Dot Painting dénigre le marché de l’art, d’autres œuvres, à l’instar de Disgrace, raillent le mythe de l’argent facile et pratiquent la subversion. Elmgreen & Dragset affirment que le capitalisme s’écroulera de l’intérieur sur l’œuvre du même

nom - Capitalism Will Collapse from Within (2003) - si ce n’est que le tableau sur lequel cette phrase est écrite menace de se détacher. Il semble donc douteux, selon le duo scandinave, que le capitalisme puisse rapidement s’ébranler.

Conclusion Ruben Bellinkx, Wim Delvoye ont choisi comme sujet principal de leurs œuvres des animaux familiers dans les légendes européennes et américaines. Cela enrichit le sens de leur propos mais le seul à employer un animal pour sa symbolique mythologique est Joseph Beuys. La mort est un personnage mythologique présent, sous de multiples aspects, dans les récits de création du monde. Jan Van Oost, Matthew Day Jackson et Kris Martin ont imaginé des versions actuelles de la grande faucheuse. Les sociétés contemporaines continuent à forger des mythes qui n’ont plus nécessairement de liens avec la religion et qui ne sont plus des systèmes de pensée destinés à expliquer la genèse du monde, mais ils demeurent révélateurs des aspirations de l’homme d’aujourd’hui. Art & Language, Mike Kelley et Elmgreen & Dragset portent l’estocade contre certains de ces mythes sans pour autant leur donner le coup de grâce.

Godeleine Vanhersel

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De l’actualité des mythes pistes en histoire des arts

2nd degré

Collège

Lycée

Les rapports entre art et sacré, art et religion, art et spiritualité, art et mythe trouvent leur place dans la thématique “Arts, mythes et religions“. Dans l’œuvre d’art transparaissent les traces des mythes (thème ou motif, avatars, transformations) et leurs héros continuent à être de grandes figures de l’inspiration artistique en Occident.

La thématique “Arts et sacré“ invite à interroger les œuvres d’art dans leur relation au sacré, aux croyances, à la spiritualité et à étudier les relations établies entre l’art et les grands récits (religions, mythologies).

De l’actualité des mythes

dans d’autres domaines artistiques Arts du visuel

Arts du langage

Sörine Anderson compare les mythologies modernes aux mythes historiques dans des œuvres comme Travelling Through the Dark (2006) où un cerf se transforme en créature bipède. Charwei Tsai calligraphie des mantras sur un massacre de cerf (un trophée où les bois sont encore fixés aux os de la tête) pour une œuvre du même nom en 2008.

Alice doit parcourir un labyrinthe afin de pouvoir rejoindre la Reine de Cœur dans Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll. Dans Le Nom de la rose (1980) d’Umberto Eco, le labyrinthe qui abrite la bibliothèque de l’abbaye se veut une représentation du monde qui transparaît dans le classement des œuvres. Jacques Tardi emmène son héroïne, Adèle Blanc-Sec, dans Le Labyrinthe infernal (2007), qui constitue le tome 9 de ses aventures. Le mythe de Babel peut-être évoqué à propos du roman de Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, où l’invention d’un nouveau langage rend la communication malaisée entre les protagonistes.

La mort est symbolisée par de multiples allégories : squelettes portant une faux, crâne, vanités et gisants. Elle prend l’allure d’un homme armé d’un balai dans Le Temps ou Les Vieilles (vers 1808-1812) de Francisco de Goya. Le crâne demeure évocateur du passage dans l’au-delà pour les artistes contemporains ainsi qu’en témoignent les huiles sur toile intitulées Crâne (2004) de Yan Pei Ming, celui incrusté de diamants par Damien Hirst dans The Love for God, Laugh (2007) ou encore la Tête de mort II (1988) de Niki de Saint Phalle. Santiago Sierra a dénoncé à plusieurs reprises l’exploitation capitaliste de l’homme par l’homme dans plusieurs performances qui ont beaucoup choqué. Il a, par exemple, embauché des ouvriers africains au salaire minimum espagnol pour creuser, en pure perte, 3000 trous en 2002.

Arts de l’espace Dans la mythologie grecque, le roi de Crète Minos demande à l’architecte Dédale de construire un labyrinthe pour y cloîtrer le minotaure. Le roi y enferme ensuite Dédale et son fils Icare qui réussissent à s’enfuir par la voie des airs. Le labyrinthe figure l’homme qui se perd sur les chemins de la connaissance, laquelle se trouve en lui mais aussi à l’extérieur de lui-même. Sa symbolique est récupérée par le christianisme d’où la présence de “chemins de Jérusalem“ - ainsi qu’on les appelle alors - sur le sol des cathédrales d’Amiens et de Chartres. Il se fait jeu dans les jardins de la Renaissance comme ceux de la villa d’Este à Tivoli en Italie ou, en France, celui du château de Villandry.

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Arts du son Des compositeurs se sont inspirés de la construction de Dédale dans des œuvres telles que le Petit labyrinthe harmonique attribué à Jean-Sébastien Bach, les Folies d’Espagne - suite en mi - le labyrinthe, de Marin Marais ou encore Song From The Labyrinth, de Sting (2006).

Arts du quotidien La chaise Rest in Peace (2004-2008) du designer Robert Stadler se réfère au repos éternel par son nom - qui signifie “repose en paix“ - et par son apparente fragilité due aux nombreux orifices qui transforment sa structure en dentelle.

Arts du spectacle vivant La mort, vue à travers les danses macabres, est appréhendée par les chorégraphes Madeleine Fournier et Jonas Chéreau dans la pièce Les Interprètes ne sont pas à la hauteur (2010) et par Bartabas dans son spectacle Calcas (2012).


Le MYTHE 1 • De l’actualité des mythes

2nd degré

2 • Mythes revisités

1er degré

3 • Regards croisés

2nd 1er & degré degré

Phryne, Anselm Kiefer

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Mythes revisités

1er degré

Collectors, commande photographique, 2014, © Gauthier Deblonde

“Je crois que les écrivains et les peintres intéressants ont à voir avec la mythologie. Ils la poursuivent. La mythologie est un grand champ qu’il faut continuer à explorer. Comme eux je cherche à expliquer d’une manière non scientifique (parce que la science n’y parvient pas) les énigmes du monde. Et en retournant en arrière je me projette dans le futur. Ce sont deux mouvements absolument liés. Plus je vais loin dans le passé, plus je vais loin dans le futur.“ expliquait Anselm Kiefer en 2007. 1 L’inspiration mythologique dans l’art occidental ne semble ne jamais devoir se tarir. Depuis l’Antiquité jusqu’à la création contemporaine, elle poursuit son chemin sans doute parce que les mythes sont des récits qui visent à expliquer les mystères de l’univers, la naissance des dieux et leurs relations avec les hommes, mais surtout parce qu’ils sont le ciment d’une organisation sociale ou religieuse dans une société ou une civilisation. En Occident, la mythologie gréco-romaine domine et il est impossible d’arpenter un musée sans en rencontrer des personnages. Dans l’exposition du Tripostal, plusieurs œuvres évoquent de grandes figures mythologiques. Louise Bourgeois avec l'œuvre Spider I rappelle le mythe d’Arachné, des Parques, de Pénélope. Panamarenko et Kris Martin renvoient à celle d’Icare, Hélios et Phaéton, Bellérophon et Pégase. Juan Muñoz revisite le mythe de Narcisse via la présence récurrente du miroir dans ses œuvres. Et enfin, Anselm Kiefer renvoie lui à l’histoire de Phryne.

Louise BOURGeOIS 1911, Paris (France) - 2010, New York (États-Unis) Spider I, 1995 Mots-clés : Mythe, Arachné, Parques, Pénélope, Spider Man

L’œuvre... Une araignée monstrueuse fixée au mur et bravant les lois de la gravité, nous renvoie aux peurs phobiques enfantines de l’aranéide surtout si celle-ci est surdimensionnée. En effet, Spider I mesure 118 cm de longueur, 110 de largeur et 38 de hauteur ! 1. Marie-Laure Berandac, “Anselm Kiefer au Louvre“, Musée du Louvre Éditions, Éditions du Regard, Paris, 2007.

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Pourquoi la figure de l’araignée dans le travail de Louise Bourgeois ? Louise Bourgeois fait apparaître la figure de l’araignée dans son travail et dans ses dessins dès les années 40. à partir des années 90 cette dernière prend une place centrale. Elle l’identifie à sa mère disparue très jeune et explique ainsi son choix : “Parce que ma meilleure amie était ma mère et qu’elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable, qu’une araignée. Elle pouvait se défendre elle-même“2. Pour Louise Bourgeois, l’araignée qui tisse sa toile fait autant écho à la profession de sa mère (tisseuse) qu’à son propre travail qui selon elle, est une sorte de toile d’émotions et de souvenirs qu’elle tisse et détisse et retisse, telle Pénélope, tout au long d’une vie. Louise Bourgeois nomme d’ailleurs une de ses œuvres de 1999 “I do, I undo, I redo“ (“Je fais, je défais, je refais“) titre qui révèle le fonctionnement psychique et créateur de l’artiste. Quel est le symbole de l’araignée ? L’araignée est un être étrange, sorte de trapéziste se balançant au bout de son fil, fileuse virtuose, une chasseresse rusée, équipée d’un grand filet. On éprouve naturellement de la répulsion pour cette créature qui tisse sa toile à la seule fin de capturer ses proies. Dans le monde chrétien, elle passe pour être la maléfique adversaire de la bonne abeille et demeure le symbole des instincts coupables qui vident les hommes de leur sang. Dans la croyance populaire elle passe pour une manifestation de l’âme, qui peut sortir de la bouche d’un dormeur et y revenir. L’araignée renvoie à la mythologie grecque via le mythe d’Arachné décrit par Ovide dans Les Métamorphoses, métaphore du péché d’orgueil d’une mortelle face à une déesse. D’un point de vue psychanalytique, l’araignée est considérée comme un symbole de la maternité dévorante ou de la mère castratrice. Par extension elle dénote la terreur des hommes devant une féminité exacerbée, elle est associée à l’image de la femme fatale qui vide le mâle de ses forces et le menace de destruction.

2. Marie-Laure Bernadac, “Louise Bourgeois“, op. cit. p.149


PANAMARENKO, Bing of the Ferro Lusto X, 1997

PANAMENRENKO, K2 Jungle Machine(dessin), 1992 - Photo : © Gauthier Deblonde

Quel est le mythe d’Arachné ? Arachné, mortelle talentueuse dans l’art du tissage, défie la déesse Athéna et propose un concours. Avec l’aide des dieux, Athéna tisse une magnifique toile, représentant la scène de son combat et sa victoire contre le dieu Poséidon. Puis tout autour de sa toile elle y inscrit des avertissements concernant la vanité des mortels. Arachné tisse de son côté une toile où elle représente Zeus et ses nombreuses conquêtes qui a pris la forme de plusieurs animaux afin de séduire ses amantes. La tapisserie d’Arachné est jugée supérieure à celle de la déesse qui, furieuse, l’humilie, détruit sa toile et la persécute jusqu’à ce qu’elle se pende. Prise de remords, Athéna lui offre une seconde vie sous forme d’une araignée en disant : “Vis, mais reste suspendue, misérable ! Si tu prétends être si douée pour le tissage alors tu tisseras toute ta vie !“. Qui sont les Parques ? Divinités latines du destin, tisseuses de la vie, les Parques sont la transposition des Moires grecques. On les représente comme trois fileuses mesurant à leur gré la vie des hommes. Elles ont chacune un rôle bien défini : Clotho (Nona) fabrique le fil de la vie, Lachésis (Decima) déroule ce même fil et Atropos (Morta) le tranche de ses ciseaux. Les Parques commandent le rythme de la vie et la fatalité de la mort. Arracher un homme ou un héros à la mort n’est possible que dans des cas exceptionnels et toujours en échange de quelque chose d’autre. En effet, les Parques sont aussi inflexibles que le destin ; elles incarnent une loi que même les Dieux ne peuvent transgresser sans mettre l’ordre du monde en péril. Ce sont elles qui empêchent telle ou telle divinité de porter secours à un héros particulier sur le champ de bataille, lorsque “son heure“ est arrivée. Qui est Pénélope ? Pénélope, célèbre héroïne mythologique, est l’incarnation de la chasteté et de la fidélité conjugale. Elle est mariée à Ulysse, héros légendaire de l’Odyssée dont elle a un fils, Télémaque. Pendant les vingt années que durent la guerre de Troie et l’absence d’Ulysse, Pénélope doit repousser par toutes sortes de ruses les avances des prétendants, qui affirment qu’Ulysse est mort et qui la pressent de choisir un nouvel époux parmi eux. Pour faire attendre ces nombreux prétendants, elle promet de choisir l’un d’entre eux quand elle aura achevé de tisser le linceul de son beau-père Laërte. Afin que la besogne perdure, elle défait la nuit ce qu’elle a tissé le jour. Ce stratagème est

dénoncé par une de ses servantes. Alors que Pénélope est sur le point d’épouser l’un de ses courtisans, Ulysse revient enfin. Cette araignée géante n’est pas sans rappeler un héros de comics : Spider Man... Ce personnage créé en 1962, fait partie de notre imaginaire depuis près de 70 ans. à la croisée de la science fiction, de l’épopée et de la mythologie, Spider Man est une version moderne du héros mythologique. Il réalise des actions exemplaires pour donner sens au monde, expérimenter de nouvelles façons de vivre ensemble. Spider Man est un héros qui a acquis ses pouvoirs à la suite d’une morsure par une araignée radio-active, il acquiert dès lors une force et une agilité hors du commun, la capacité d’adhérer aux parois ainsi qu’un “sens d’araignée“ l’avertissant des dangers imminents. Il s’engage dans la lutte contre le mal suite à la mort de son oncle et navigue dès lors entre justice et vengeance.

PANAMaRENKO 1940, Anvers (Belgique) Bing of the Ferro Lusto X, 1997 Bing, 1998 Scotch Gambit, 2000 K3 Jungle Flyer, 1992-1993 K2 Jungle Machine, 1992 Mots clés : Icare, machine, vol, envol, chute, air

“Le but le plus élevé que l’on puisse se donner est de trouver une manière de quitter la terre“, Panamarenko. à quoi servent ces drôles de machines ? Bing of the Ferro Lusto X est une soucoupe volante aux formes aérodynamiques, pourvue d’une coupole en fibre de verre pour habitacle, comme un chapeau-cloche diaphane. Elle semble tout droit sortie d’un livre de science fiction d’antan. Équipé d’un moteur de 40 CV, l’engin ne décolle pas pour autant. Il doit son nom à un message publicitaire de la marque de brillantine “Brillo Lusto“ entendu à la radio par l’artiste. Il remplace “brillo“, l'éclat, par “ferro“, le fer, plus adapté pour un engin volant. Panamarenko adore jouer avec les sonorités de la langue, et les titres de ses œuvres sont de véritables jeux de mots pleins de rapprochements improbables. Le “Bing“ désigne un type de transmission motrice. En théorie, le “Bing“ ne consomme pas de carburant car, une fois lancés, les moteurs utilisent la vitesse de rotation de la terre pour générer leur propre énergie.

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kris martin, T.Y.F.F.S.H., 2009

THOMAS BOGAERT, Zeppelin, LA, 2010

L’œuvre dessinée Bing est postérieure à la réalisation de l’engin car Panamarenko utilise le dessin soit pour ses projets de construction, soit pour garder des traces multiples d’une œuvre déjà réalisée. “Mes projets ne sont pas exactement l’idée, ni exactement le rêve. Il n’est pas question de faire un avion, mais de faire exactement ce qui serait idéal.“. Construit en fibre de Kevlar, K3 Jungle Flyer est un engin destiné à voler dans des espaces très étroits, au-dessous et au-dessus des arbres, comme dans la forêt amazonienne mais aussi entre les flancs des montagnes de l’Himalaya. D’où son nom K3 qui désigne Broad Peak, sommet d’une montagne de l’Himalaya3. Un moteur Suzuki refroidi par eau, similaire au type de moteur utilisé sur une moto, entraîne un axe relié à une courroie attachée aux hélices des ventilateurs à l’avant et à l’arrière de la voiture. Les quatre ventilateurs sont à la place des roues d’une voiture normale. L’air qu’ils génèrent est guidé vers le bas pour former un coussin d’air doux sous la voiture à l’instar des aéroglisseurs. Pour diriger la voiture il suffit de pencher son corps. Un second engin K2 Jungle Machine a été réalisé par l’artiste et son dessin présenté dans l'exposition. Quasi identique au K3 Jungle Flyer et conçu dans le même moule, seul son nom diffère : K2 désignant un autre sommet de l’Himalaya. Quant à Scotch Gambit, c'est une sorte d'aéroglisseur que Panamarenko a réalisé en 2000. L’œuvre mesure 16 mètres de long, 10 mètres de large et 6 mètres de haut. Elle sera présente, dans l’exposition Passions Secrètes, sous la forme d’une photo mesurant sept mètres de long et trois mètres de haut. Quels sont les mythes qui ont trait au rêve de voler ? Plusieurs mythes grecs renvoient au rêve de voler. Il y est souvent question de l’orgueil de l’homme qui veut se détacher de sa condition humaine pour s’élever au niveau des dieux qui eux seuls peuvent se déplacer dans les airs. Dédale et Icare : Le roi de Crète, Minos, honteux de l’existence du Minotaure que la reine Pasiphaë a conçu avec un taureau, décide de le cacher et demande à Dédale de construire le Labyrinthe, enchevêtrement de murs et de couloirs à ciel ouvert ne comportant qu’une seule entrée. Le Minotaure enfermé dans le labyrinthe se nourrit de chair humaine. Pour stopper ces sacrifices humains, Thésée se rend en Crète pour tuer le monstre. Dédale lui fabrique le fil qui lui permet, avec l’aide

d’Ariane, de ressortir du Labyrinthe. Quand Minos découvre la trahison de Dédale, il l’enferme dans le Labyrinthe avec son jeune fils Icare. Dédale décide de prendre la fuite par les airs. Il confectionne pour Icare et lui-même des ailes semblables à celles des oiseaux avec de la cire et des plumes. Avant de se lancer dans les airs, Dédale conseille à son fils de ne pas trop s’élever dans le ciel afin que la chaleur du soleil ne fasse pas fondre la cire. Mais l’enthousiasme d’Icare l’emporte trop haut dans les airs en s’approchant du soleil, la cire de ses ailes fond, et il est précipité dans la mer qui aujourd’hui porte son nom. Icare incarne la quête d’absolu, la soif de liberté, l’ivresse de l’azur. Hélios et Phaéton : Dans la mythologie grecque, Hélios parcourt le ciel aux commandes de son char de feu tiré par quatre chevaux ailés, allant chaque jour de l’Orient à l’Occident. Hélios, après avoir retrouvé son fils, promet de lui accorder ce qu’il veut. Phaéton choisit de conduire le char du Soleil. Hélios le met en garde car conduire son char n’est pas sans danger, mais Phaéton exige que son père tienne sa promesse. Phaéton comprend que son père a eu raison. Terrifié par l’altitude et par les animaux des signes du zodiaque, il perd très vite le contrôle des chevaux. Il se rapproche trop de la terre, manque d’ y mettre le feu, s’élève à nouveau et perturbe alors la courses des astres. Pour sauver l’univers, Zeus est obligé de foudroyer le jeune conducteur inconscient. Phaéton est précipité dans le fleuve Eridan. Bellérophon et Pégase : Bellérophon n’a qu’une idée en tête : posséder Pégase, cheval ailé, pour prouver sa valeur et son courage. Athéna l’aide en lui donnant un mors et des brides en or pour dompter la monture céleste. L’animal charmé par le don d’Athéna, se laisse monter par Bellérophon qui devient dès lors le maître des airs ! Après de multiples épreuves qui lui permettent d’éviter la mort, Bellérophon vit dans la félicité de nombreuses années. Mais sa dévorante ambition jointe à l’orgueil de ses grands succès lui attirent la colère des dieux. Monté sur Pégase, il veut alors s’élever jusqu’à l’Olympe pour prendre place parmi les Immortels. Mais le cheval montre plus de sagesse et refuse l’ascension, il désarçonne son cavalier. De ce jour et jusqu’à sa mort, haï des dieux et solitaire, Bellérophon est condamné à errer ici et là, tandis que Pégase trouve asile dans les écuries célestes de l’Olympe.

3. Le sommet Broad Peak fut d'abord nommé K3, ce qui signifie “troisième pic du Karakoram“. Le Karakoram étant un massif montagneux au nord du Pakistan.

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Juan Muñoz, Mirrors in Stockolm I, 1997

Qui est Panamarenko ? Henri Van Herwegen, dit Panamarenko, pseudonyme tiré de l’abréviation de “Panamerican Airlines Company“ est né à Anvers. Tel un Icare des temps modernes, l’artiste exprime son désir de s’arracher à la gravité terrestre en construisant de drôles de machines, des engins bricolés et improbables, dignes de chimères de science-fiction des années 50, dont le carburant souvent humain, ne fonctionnent pas réellement... Panamarenko s’appuie en effet sur des interprétations très personnelles des lois de la physique. à de maintes reprises on a comparé son œuvre à celle de Léonard De Vinci, l’un comme l’autre étant fascinés par l’acte de voler. Tous deux s’inspirent des oiseaux et des insectes. Si au XVème siècle, les matériaux manquaient pour la réalisation des vols utopiques de Léonard De Vinci, Panamarenko travaille sur le sujet alors qu’avions, fusées, navettes spatiales existent déjà !

Kris MARTIN 1972, Courtrai (Belgique) T.Y.F.F.S.H, 2009 Mots clés : Icare, machine, vol, envol, chute, air

Que signifie l’œuvre ? Une montgolfière est lestée au sol et ressemble davantage à une baleine échouée digne du récit de Jonas qu’au désir icarien de voler, d’accéder à la liberté suprême, de quitter la réalité terrestre. L’engin pathétiquement emmuré et écrasé, nous renvoie à notre simple condition d’humain. Qui est Kris Martin ? Né en 1972 dans la campagne flamande, Kris Martin a grandi dans le pays de la montgolfière, le ballon à air chaud et il se souvient de l’étrange spectacle, de “cette chose énorme passant tranquillement“ dans le ciel. Le travail de Kris Martin explore une dimension morbide ou absurde d’une réflexion sur le temps, la fragilité de la vie, l’immatériel. Son art évolue entre installation, sculpture, photographie, dessin, écriture, son et véhicule des expériences intenses de vie et de mort.

Thomas BOGAERT 1967, Dendermonde (Belgique) Zeppelin, LA, 2010 Mots clés: Icare, machine, vol, envol, chute, air

L’œuvre... Une toute petite toile nous montre un zeppelin dans le ciel, l’image est floue. Elle est tirée d’un film réalisé par l’artiste en

caméra super 8 lors du tournage de On The Way To The Peak Of Ecstasy en Californie. Alors qu’il filme, un zeppelin énorme entre dans le champ de sa caméra. Il décide d’en faire un petit objet, afin de le proposer à un collectionneur dont il connaît la passion immodérée pour les zeppelins. En 2011, Thomas Bogaert a présenté On The Way To The Peak Of Ecstasy au Musée Dhondt-Dhaenens, à Deurle : une installation cinéma, des objets filmés et un book d’artiste créés après son road-trip et dont l’œuvre Zeppelin, LA fait partie. Comment l’artiste réalise-t-il ses tableaux ? Il se sert d’une caméra super 8 qui enregistre les images en continu, soit en 24 images par seconde. L’artiste s’en sert comme d’un télescope en balayant l’espace à la recherche d’instants, de compositions et de cadrages surprenants dans un mouvement continu. Il utilise ensuite certains détails filmés dont il tire les images et les recouvre ensuite de résine synthétique créant ainsi un objet dans lequel une image éphémère semble figée dans le temps. Parfois filmé accidentellement, un instant quotidien se transforme ainsi en une expérience visuelle durable. Qui est Thomas Bogaert ? Thomas Bogaert vit et travaille à Gand où il a suivi, au début des années 90, une formation en film d’animation. Il est fasciné par l’enregistrement de l’image en mouvement et par sa fixation dans une peinture. Il a développé depuis une œuvre très personnelle, composée de dessins, de collages, de films et d’objets filmés.

Juan MUÑOZ 1953, Madrid (Espagne) – 2001, Ibiza (Espagne) Mirrors in Stockolm I, 1997 Mots clés : Miroir, reflet, dédoublement, Narcisse

Que représente l’œuvre ? C’est une installation où la sculpture d’un homme aux yeux cachés se réfléchit dans un miroir. Paradoxe même du reflet, car le regard est ici occulté. Une œuvre à l’opposé du mythe de Narcisse. Cette sculpture est une métaphore du questionnement du visible et de l’invisible, du réel et de l’imaginaire, du dédoublement et redoublement des apparences, autant de pièges qu’offre le reflet. Qui est Juan Muñoz ? Juan Muñoz a créé pendant quasiment vingt ans, un corpus d’œuvres narratives riches de références multiples à l’histoire de la culture occidentale. Toutes ses œuvres invitent le spectateur à entrer en relation avec elles, provoquant une sensation d’introspection individuelle. Qui est Narcisse dans la mythologie grecque ? Narcisse, fils de la nymphe Liriopé violée par le dieu fleuve Céphise, est un jeune homme très fier et d’une beauté exceptionnelle, il repousse sans cesse prétendants et prétendantes dont la nymphe Écho qui demande de l’aide aux dieux. Ainsi, alors qu’un jour il s’abreuve à une source, Narcisse voit son reflet dans l’eau et en tombe amoureux. Il reste alors de longs jours à se contempler et languir de ne jamais pouvoir rattraper sa propre image. Tandis qu’il se meure, Écho, bien qu’elle n’ait pas pardonné à Narcisse, souffre avec lui. Narcisse meurt de cette passion qu’il ne peut assouvir. À l’endroit où l’on retire son corps, on découvre des fleurs blanches : ce sont les fleurs qui aujourd’hui portent le nom de narcisses.

Marie-José Parisseaux-Grabowski

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Mythes revisités pistes en arts visuels MYTHE D’ARACHNé - de fil en aiguille Toile d’araignée Proposer de tisser des liens, de les laisser pendre, de les enrouler, de les nouer autour de clous fixés sur une planche de bois. Jouer sur les différentes textures des fils (laine, ficelle, raphia, rubans, etc.), des couleurs. Tisser l’espace à l’aide de ficelle, tendre dans un espace de l’école des fils qui sculpteront les espaces vides. Proposer de se déplacer dans cet espace arachnéen. Photographier les déplacements. Tissage Tisser sur un grillage des éléments hétéroclites, rubans, dentelles, éléments végétaux. S’éloigner du système rigoureux de la trame régulière, en espaçant les entrelacs, les croisements. Empreintes Collectionner des morceaux de dentelles très variés, les découper. Les peindre. Les appliquer sur un support pour y laisser leurs empreintes. Variante : s’en servir de pochoir. MYTHE De narcisse - reflet, autoportrait, eau... Du miroir à l’impression papier Tracer les contours de son visage directement sur un miroir avec des craies grasses. Fixer une feuille de papier fin sur le miroir, transférer le tracé en tamponnant avec un chiffon imbibé d’essence de térébenthine. Le portrait réfléchi se révèle en négatif.

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1er degré Reflets de soi Se photographier via une surface réfléchissante : un verre rempli d’eau, des miroirs qui se croisent, une surface d’eau, dans un miroir brisé, dans des éclats de miroir, dans le reflet d’une vitrine, etc. Constater les effets produits, les déformations obtenues. MYTHE D’icare - vol, envol, chute... Créer des hommes-oiseaux, des animaux hybrides volants... Collectionner des images d’engins volants, d’insectes, d’oiseaux. Réaliser un photomontage ou le dessin d’un engin volant extraordinaire en associant différents fragments d’images. Décomposer le vol, l’envol, la chute... Après avoir étudié le travail de Jules-Étienne Marey (chronophotographie), traduire un vol en superposant des images décalquées d’un oiseau. Jouer sur la superposition, le décalage.


Mythes revisités

pistes en histoire des arts Comment le mythe d’Arachné a-t-il été traité par les artistes? ARTS DU LANGAGE Ovide, Les Métamorphoses, 43 av. J.-C. -17 ap. J.-C. Virgile, Les Géorgiques, entre 36 et 29 av. J.-C. Sara, Les Métamorphoses d’Ovide, Éditions Circonflexe, 2007. Isabelle Simler, La Toile, Éditions Courtes et Longues, 2013, Album jeunesse dès 6 ans. Susumu Shingu, L’Araignée, Éditions Gallimard, 2007. Atsushi Okubo, Soul Eater, manga, 25 tomes, 2004-2013. ARTS DU VISUEL Diego Vélasquez, Les Fileuses ou La Légende d’Arachné, 1659, huile sur toile, musée du Prado, Espagne. Gustave Doré, Arachné, Illustration pour l’Enfer de Dante,1861. Charles Eisen, Minerve change Arachné en araignée, gravure, 1767. Boccace, Arachné faisant un filet, miniature d’un manuscrit médiéval du De mulieribus claris, 1374. Chiharu Shiota, Infinity, laine noire, 2012, Galerie Daniel Templon, Paris. Tomas Saraceno, Corvus, 2012. Jim Hodges, Untitled (looking back), 1997. ARTS DU SPECTACLE VIVANT Baltic Ballet Group, Arachne based on ovid’s myth metamorphoses. Chorégraphe : Marija Simona Šimulynai. Musique : Rita Maciliunaite, Philip Glass, Bela Bartok, Benjamin Britten, Lituanie. Compagnie La Machine, The Princess, 2008, Liverpool. Arts du quotidien Philippe Starck, presse citron, Juicy Salif, 1991, inox. Blackbody, lampe Spider, acier. Romain Duclos, table Mini Ragno V2, métal, fils jaunes, verre. Comment le mythe de Narcisse a-t-il été source d’inspiration dans les différents domaines artistiques ? ARTS DU VISUEL Le Caravage, Narcisse, 1597-1599, Galerie nationale d’art ancien, Rome, Italie. Ernest Eugène Hiolle, Narcisse, 1868, sculpture en plâtre, Palais des Beaux-Arts de Lille. Salvador Dali, La Métamorphose de Narcisse, huile sur toile,1937, Galerie Tate Modern, Londres, Royaume-Uni. Nicolas Lépicié, Narcisse, 1771, huile sur toile, Saint-Quentin. Fabrice Hyber, Live Vive, 2013, huile, fusain et résine époxy sur toile, 150 x 150 cm, Collection Nathalie Obadia. Patty Chang, Fountain, 1999, vidéo, F.R.A.C.Lorraine. ARTS DU LANGAGE Ovide, Les Métamorphoses, 43 av. J.-C. -17 ap. J.-C. Virgile, Les Géorgiques, entre 36 et 29 av. J.-C. Sara, Les Métamorphoses d’Ovide, Éditions Circonflexe, 2007.

1er degré

Germaine Taillefer, La Cantate du Narcisse, chœur de femmes à quatre voix et orchestre, 1938. Benjamin Britten, Six Metamorphosis after Ovide, Narcissus et Phaeton, 1951. Comment le mythe d’Icare a-t-il été source d’inspiration dans les différents domaines artistiques? ARTS DU SON Manuel Correa, Mateo Romero, Joan Baptista Cabanilles, Manuel Machado et Bernardo Murillo, Le Vol d’Icare, sous la direction d’Albert Recasens, 2010. ART DU LANGAGE Ovide, Les Métamorphoses, 43 av.J.-C. -17 ap.JC. Olivier Douzou, Régis Lejonc, Icare, 1996, Éditions du Rouergue Hélène Kerelis, Hervé Florès, Icare, l’homme-oiseau, 2003, Éditions Hatier. ARTS DE L’ESPACE Les labyrinthes : Le Labyrinthe de Barvaux-Durbuy, Belgique. Labyrinthe végétal dans le “jardin anglais“ du parc Schönbusch, à Aschaffenburg, Allemagne. Labyrinthe de la Cathédrale Notre-Dame, XIIIème siècle, Amiens, France. Mosaïque romaine de Rhétie représentant le labyrinthe, Thésée et le Minotaure. ARTS DU VISUEL Charles le Brun, Dédale et Icare, huile sur toile, entre 1645 et 1646, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. Henri Matisse, La Chute d’Icare, gouache découpée, 1943. Greenaway Peter, Le Bruit des nuages, catalogue de la Réunion des musées nationaux, 1992. Marc Chagall, La Chute d’Icare, 1974, huile sur toile, Musée National d’Art Moderne, Paris. Hayao Miyazaki, Le Château dans le ciel, dessin animé, 1986. Léonard De Vinci, Plan pour une machine volante, 1488. Pablo Picasso, La Chute d’Icare, 1958, Fresque pour le grand hall de l’Unesco, Paris. ARTS DU SON Benjamin Britten, Six Metamorphosis after Ovide, Narcissus et Phaeton, 1951. Quels artistes contemporains on travaillé autour des notions de fils et de tissage ? Muriel Baumgartner, Pieuvre n°2, Corset rouge n°4. Kakuko Ishii, Mizuhiki I, 2007. Marie-Ange Guilleminot, Hamac, 1999. Marinette Cueco, Juncus Capitus, 1991. Javier Perez, Capilares III, 2009. Annette Messager, Dépendance-Indépendances, 1996. Marinette Cueco, 12 carrés entrelacs, 1980-1983.

ARTS DU SON 37


Anselm KIEFER, Phryne, 2008-2011 38


Le MYTHE 1 • De l’actualité des mythes

2nd degré

2 • Mythes revisités

1er degré

3 • Regards croisés

2nd 1er & degré degré

Phryne, Anselm Kiefer

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2nd 1er & degré degré

Regards croisés Phryne Anselm KIEFER 1945, Donaueschingen (Allemagne) Frauen der Antike, Phryne, plâtre,briques, H.220, l.150,Pr.50cm, 1995-1998.

Qui est Phryne ? Phryne est une célèbre hétaïre (prostituée) athénienne du IVème siècle avant J.-C., elle pratique des tarifs très élevés variables suivant ses humeurs et ses courtisans. Elle a de nombreux amants célèbres dont le talentueux sculpteur Praxitèle qui l’utilise probablement comme modèle pour son Aphrodite de Cnide. Phryne devient si riche qu’elle propose de rebâtir les murailles de Thèbes, abattues en 336 avant J.-C. par Alexandre le Grand, à condition qu’on y grave l’inscription : “Détruites par Alexandre, rebâties par Phryne, l’hétaïre“. L’offre est refusée. Accusée plus tard d’impiété, elle est jugée devant l’aréopage, chargé des affaires criminelles qui veut la condamner à mort. Son avocat, à cours d’arguments devant le cénacle, enlève alors le peplos qui la drape et dévoile ainsi les splendeurs secrètes de sa beauté ; les juges, saisis devant la perfection de son corps, abandonnent leur condamnation.

La technique utilisée : des matériaux hétéroclites sont assemblés : plâtre et briques en guise de tête qui semblent contredire les lois de la gravité en n’écrasant pas la robe blanche. Le nom de l’artiste : un artiste contemporain allemand qui produit toujours. Quels éclairages possibles ? La robe blanche renvoie à l’innocence, à la pureté, à la beauté de Phryne. Le mur de briques rappelle la proposition de l’hétaïre de reconstruire le mur de Thèbes. C’est un hymne à la beauté féminine, puisque Phryne est acquittée sur la seule caution de son exceptionnelle apparence, la beauté vaut donc pour innocence. Les femmes ne sont donc pas jugées sur ce qu’elles font, mais sur leur apparence physique. En mettant sur le même plan le beau pour les femmes et le juste pour les hommes, c’est une inégalité radicale entre les sexes qui est affirmée, et un déni de justice.

Qui est Anselm Kiefer ? Anselm Kiefer se tourne vers l’art après des études de droit et de linguistique. Il étudie, de 1970 à 1972, avec Joseph Beuys à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. à ses débuts, il réalise des œuvres qui questionnent le passé nazi de son pays. Installé en France depuis 1993, il va entre autre créer une série dédiée aux femmes de l’Histoire. Ses matériaux de prédilection sont variés : suie, cendre, sable, cheveux, terre, vêtements empesés, etc. mais leur choix n’est jamais anodin. Il utilise un langage symbolique nourri à la fois de la mythologie, de l’histoire, de la religion, de la Kabbale1. Il déclare également : “L’Histoire pour moi est un matériau comme le paysage ou la couleur“. En 2010, il est chargé de l’enseignement de la chaire de “création artistique“ du collège de France. Sitographie : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/ conferen/albanel/DPMonumenta07.pdf.

Le contexte L’intérêt d’Anselm Kiefer pour les femmes malmenées par l’histoire était déjà clair dans l’installation Femmes de la Révolution (1992-2013). La série Femmes de l’Antiquité rend hommage à des femmes de talent injustement traitées parce qu’elles avaient transgressé les normes de leur temps. Toutes ont des robes similaires. L’objet qui remplace leur tête indique leur identité. Hypatia, la mathématicienne, sauvagement mise à mort par une foule en colère, a pour tête un cube de verre. Myrtis, la poétesse qui fut persécutée pour avoir rivalisé avec le poète Pindare, a pour figure un livre ouvert. “Je présente des femmes sans tête car ce sont seulement les hommes qui rendent compte de ce qu’ont dit et fait les femmes de l’Histoire“ explique Anselm Kiefer. 2

Que voit-on ? Une sculpture ou plutôt un assemblage posé sur un socle très bas à hauteur du visiteur, qui permet une grande proximité avec l’œuvre. Une femme est suggérée par une longue robe de mariée blanche empesée de plâtre. Ses bras que ne prolonge aucune main, sont écartés du corps dans une posture figée et statique. Elle ressemble à une silhouette raide d’un mannequin de vitrine. La tête est remplacée par un amoncellement de briques ou plutôt un mur de briques.

Les matériaux Les œuvres d’Anselm Kiefer affirment la toute puissance des matériaux. Le plâtre et la brique employés pour Phryne ont pour caractéristiques d’être plutôt pauvres. Ils sont d’origine naturelle. Le premier provient du gypse et la seconde est faite d’argile. Le plâtre de la robe est coulé sur une structure métallique. Cela donne une fluidité certaine aux plis du vêtement et un rendu précis aux détails tels que la ceinture drapée ou les fronces des manches. Le raffinement de la robe à crinoline contraste avec l’aspect brut de la pile de briques comme pour exprimer de manière métaphorique l’élégance et la beauté de l’hétaïre face à la rudesse d’une société athénienne dominée par les hommes.

Que nous indique le cartel ? Le nom de l’œuvre : Phryne, un prénom peu commun. Les dimensions : c’est une sculpture plus grande que la taille humaine.

1. Tradition ésotérique du judaïsme.

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2. Anselm Kiefer interviewé par Guy Duplat, La Libre Belgique, 25 septembre 2010, “L’atelier XXL d’Anselm Kiefer“, http://www.lalibre.be/culture/arts/l-atelier-xxld-anselm-kiefer-51b8c49be4b0de6db9bd92bc.


Phryne pistes en histoire des arts

problématiques plastiques

Arts du visuel

Comment les artistes contemporains revisitent-ils les mythes anciens? Aborder la notion de mythologie personnelle dans l’art contemporain. Devenu son propre objet, l’artiste puise dans son vécu et sa perception pour créer des mondes réels ou fictifs. Comment traiter le costume, seconde peau, qui peut être un “vêtement monument“ ?

Jean-Léon Gérôme, Phryne devant l’Aréopage, huile sur toile, 1861. Gustave Boulanger, Phryne, huile sur toile, 1850. James Pradier, Phryne, marbre, 1845.

Arts du son Camille Saint-Saëns, Phryne, opéra, 1893. Charles Gounod, Faust, danse pour Phryne, 1859.

Arts du spectacle vivant Maurice Donnay, Phryne, théâtre d’ombres, 1891.

Le “vêtement monument“ œuvres en résonance

pistes en arts visuels

Amener les élèves à s’interroger sur la fonction du vêtement et sur la représentation plastique monumentale de la robe ou du manteau. Élisabeth Vigée-Lebrun, Portrait de Marie-Antoinette, 1783. Auguste Rodin, Balzac, 1897, plâtre, musée d’Orsay, Paris. Hans Holbein, Portrait d’Henri VIII, 1539-1540, National Gallery, Londres. Maureen Connor, Thinner than You, 1990. Niki de Saint Phalle, La Mariée, 1963, Centre Pompidou, Paris. Ruriko Muramaya, Robe d’Amour, 2004. Isabelle de Brochgrave, Costume de papier de la robe de Flore, d’après Le Printemps de Botticelli, 1994. Yael Mer, Evacuation Dresses, 2006. Kim Sooja, Encounter-Looking into sewing, 1998-2002. Kimiko Yoshido, La Madone Sixtine de Raphaël, Autoportrait, 2010.

Réaliser des sculptures de tissus plâtrées /amidonnées /tendues /rembourrées Réaliser des sculptures de plissages Contraindre / libérer Créer des vêtements sculptures avec des matériaux rigides ou lourds. Imaginer des vêtements gadgétisés pour bouger, être en mouvement (courir, danser, nager, flotter...). Imaginer des vêtements qui emprisonnent, morcellent ou libèrent le corps. Imaginer des vêtements qui font allusion à ceux qui les portent. Imaginer des vêtements refuges Des vêtements abris ou des vêtements collectifs pour un ou plusieurs corps. Mythes et religions Créer les manteaux des dieux en fonction de leurs pouvoirs et des leurs attributs. Créer des habits évoquant des créatures mythologiques (Méduse, Parques...).

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Rêves américains

2nd degré

Yasumasa MorimurA, Self Portrait (Actress)/After Vivien Leigh, 1986

danh vo, We the people, élément B7.3, 2011, Courtesy Chantal Crousel, Paris

Le drapeau étoilé, la Statue de la Liberté, Marilyn Monroe, Michael Jackson ou McDo sont des symboles que l’on associe automatiquement aux états-Unis. Ils sont représentatifs de la culture populaire américaine dans l’acception sociologique du terme tel que l’entend l’UNESCO : “Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.“1. De ce point de vue, la culture américaine se réfère aussi bien à Hollywood et à l’univers de rêve qui y a été imaginé, qu’aux idéaux des pères fondateurs2 des états-Unis et à leur remise en question.

de chevalet.“4. Avec la série Cinecittà qui débute en 1958, l’artiste s’oriente vers un style figuratif en travaillant avec des affiches de cinéma. Il pratique le double décollage. En effet, dans un premier temps, il enlève du mur le paquet d’affiches qui y adhère puis le fixe sur la toile. Ensuite, il déchire les dernières affiches collées pour découvrir ce qui se trouve sous les couches de papier et redonner à l’ensemble l’apparence qu’il avait sur le panneau d’affichage. Sur Get Me Marilyn (2003), une œuvre de la fin de la carrière de l'artiste, ce dernier prend soin d’y laisser intacte la plus grande partie du visage de la star tel que la mémoire collective en garde le souvenir. Néanmoins, sur le support fragile qu’est le papier, les lacérations opérées suggèrent qu’une telle œuvre est éphémère tout comme la célébrité peut l’être. Marilyn Monroe, bien que morte il y a plus d’un demi-siècle, reste toujours une célébrité à l’instar de toutes les comédiennes que Yasumasa Morimura a choisi d’incarner dans la série Self Portrait (Actress). Self Portrait (Actress)/After Vivian Leigh (1986) montre le photographe sous l’aspect de Vivien Leigh, dans le rôle de Scarlett O’Hara qu’elle interprétait dans Autant en emporte le vent. Au premier coup d’œil, la ressemblance est troublante. Il est vrai que l’artiste consacre un temps certain à la recherche du costume, du maquillage et des accessoires de l’actrice. Dans un second temps, le spectateur est intrigué par le jardin japonais de l’arrière-plan qui n’a rien à voir avec la région d’Atlanta où le film se déroule. Puis, il va peut-être remarquer que cette Scarlett-là a des traits un peu asiatiques. Elle est ici interprétée par Yasumasa Morimura. L’artiste a choisi de se portraiturer sous l’aspect de femmes parmi les plus glamour attirant à dessein sur lui les regards admiratifs ou choqués du public. Par l’emploi d’une démarche d’appropriation, c’est-àdire en empruntant des photos de film pour les réinterpréter à sa manière, l’artiste suscite bien des interrogations sur le féminin

La vie en rose Hollywood était, au départ, le nom d’un quartier de Los Angeles. Les premiers studios de cinéma s’y installent en 1911. Le terme est devenu aujourd’hui synonyme de cinéma américain avec tout ce qu’il comporte de mythes et de paillettes. La réutilisation par les artistes de ces images de la culture populaire américaine peut leur donner de toutes autres significations. Marilyn Monroe devient une star hollywoodienne et un sexsymbol dans les années 50. Son portrait abonde sur le papier glacé des magazines ou sur les grands formats des affiches comme celles qui constituent la “matière première“ du travail de Mimmo Rotella. Celui-ci a commencé par la peinture mais, dit-il, “Arracher les affiches des murs est la seule compensation, l’unique moyen de protester contre une société qui a perdu le goût du changement et des transformations fabuleuses. Moi, je colle des affiches, puis je les arrache : ainsi naissent des formes nouvelles, imprévisibles.3 Cette protestation m’a fait abandonner la peinture 1. UNESCO, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982. 2. Les pères fondateurs sont les signataires de la déclaration d’indépendance de 1776 et de la constitution acceptée en 1787.

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3. D'autres artistes travaillent à partir d'affiches lacérées. Il s'agit de François Dufrêne, Raymond Hains et Jacques Villéglé. Ils sont communément regroupés sous la dénomination d'“affichistes“. 4. Mimmo Rotella à Tome en 1957. Cité par Catherine L’Hostis, “Mimmo Rotella“, MAMCO, sur http://www.mamco.ch/artistes_fichiers/R/rotella.html consulté le 28 juillet 2014.


SAM DURANT, We Are The People, 2003

MARK FLOOD, God Less America, 2008

et le masculin, le travestissement et l’identité, l’appartenance à l’Orient ou à l’Occident. Les dessins animés de Walt Disney ont eux aussi contribué à la légende du cinéma américain. Leurs héros animent les parcs de loisirs du producteur. Paul McCarty et son fils Damon vont s’inspirer d’une attraction de Disneyland appelée “Pirates des Caraïbes“ pour l’installation vidéo et les photos de Houseboat Party (2005). La figure du pirate est associée dans la culture populaire à l’aventure, aux pillages, aux trésors cachés et à une vie complètement débridée. C’est ce dernier aspect qui a stimulé l’imagination des McCarthy père et fils. Les personnages avec leurs masques outranciers et leur tenue de clown arrachent, dans d’horribles scènes de torture, des membres artificiels pendant que le sang (du ketchup) gicle et que les excréments (de la sauce au chocolat) se répandent. Sous des dehors provocateurs, cette parodie de films de pirates cache un propos plus sérieux qu’on pourrait le croire. Dans cette performance aux allures carnavalesques, les McCarthy transforment les gentils animaux anthropomorphes de Disney en monstres qui n’ont aucun respect pour les valeurs traditionnelles de l’Amérique bien pensante. Dans l'exposition sont présentées les 71 photos tirées de la performance.

des coquilles vides. Danh Vo a refait la totalité de la sculpture mais en différents morceaux qui ont été dispersés dans plusieurs lieux du monde. Cela montre que l’idée de la liberté reste un concept abstrait toujours susceptible d’être tronqué et vidé de sens. Le We Are The People (2003) de Sam Durant reprend à un verbe près la phrase initiale de la constitution. Ces quelques mots sont écrits à la main, avec des lettres de taille variable et de façon un peu malhabile. Le peuple évoqué ici est-il le même que celui dans la loi fondamentale ? Ce slogan se trouvait à l’origine sur un panneau porté lors d’une manifestation par des citoyens afro-américains dont l’artiste a retrouvé la photo. Cette œuvre nous ramène à une époque où ces derniers, par leurs luttes, sont peu à peu parvenus à arracher l’égalité des droits civiques au gouvernement américain. Ces droits leur avaient certes été accordés par le XIVème amendement de la constitution américaine après la guerre de Sécession (18611865) mais ce n’était qu’en théorie et il faudra un siècle pour qu’ils deviennent réalité. Sam Durant a scanné le détail du panneau sur la photo de presse et l’a reproduit sur du vinyl. Le texte est donc traité comme une image et change de statut pour devenir iconique d’autant plus qu’il est décontextualisé et collé sur un caisson lumineux que l’artiste accroche sur des bâtiments. Ces enseignes lumineuses, dont le texte peut prêter à de multiples interprétations, conduisent peut-être le passant à se remémorer des situations où il s’est senti parti prenant d’un groupe ou, à l’inverse, exclu. L’accès à l’indépendance des États-Unis s’est accompagné de la construction d’un idéal national. Il était attendu des immigrés qu’ils se fondent dans la nation américaine. En 1938, Irving Berlin, un immigré juif né en Russie, revoit légèrement les paroles de “God Bless America“ qu’il avait composée en 1918 afin d’en faire une chanson destinée à célébrer la paix. Après les attentats du 11 septembre 2001, le succès retrouvé de “God Bless America“ signale une résurgence du patriotisme dans le pays. En 2008, Mark Flood, sur l’une de ses œuvres, enlève une lettre au titre de ce succès populaire qui devient alors God Less America, ce que l’on peut traduire par “Dieu moins l’Amérique“. Si un esprit malin colle les deux premiers mots, cela donne “Godless America“, c’est à dire “une Amérique sans Dieu“. Le sens de l’expression vire alors à l’opposé de la signification première. Mark Flood écrit ce type de texte au pochoir sur de simples cartons peint à l’aérosol de manière à les faire aussi vite que possible. Il joue sur le langage ou détourne des slogans publicitaires de manière subversive afin de critiquer la culture et la politique américaines.

Un pays de rêves “We the people“ (“Nous, le peuple“) sont les premiers mots de la constitution des états-Unis. We the People (détail) est le titre donné par Danh Vo à plusieurs de ses sculptures. Les parents de Danh Vo étaient des boat-people5 qui ont fui le Vietnam en 1975 avec leur fils de quatre ans. Le préambule de la constitution se poursuit en indiquant que le but de ce texte est d’assurer les bienfaits de la liberté au peuple. Cette liberté est incarnée par la statue de Frédéric Bartholdi installée à l’entrée du port de New York en 1886 et qui était la première vision des états-Unis pour les immigrants. Cette Liberté éclairant le monde avait été offerte par le peuple français au peuple américain pour célébrer le centième anniversaire de l’Indépendance des États-Unis. We the people reproduit plusieurs fragments de la statue en cuivre repoussé et à échelle 1. Danh Vo ne refait que la pellicule métallique extérieure du monument. Les parties du colosse de Bartholdi ne sont plus que 5. Terme qualifiant les migrants fuyant le Vietnam par la mer.

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matthew day jackson, B29 Chair, 2012

Carl andré, North East Deck, 1993 - Photo : © Gauthier Deblonde

La face sombre Après avoir mené les troupes américaines à la victoire, Georges Washington devient le premier président des états-Unis. Dans son discours d’adieu, il encourage le pays à adopter une stricte politique de neutralité sur le plan international. Si ce principe est suivi pendant le XIXème siècle, il n’en sera pas de même au siècle suivant et l’impérialisme américain sera alors vivement critiqué. L’œuvre de Matthew Day Jackson aborde des thématiques diverses. Dans son travail, il aborde notamment des questions relatives à l’impact de la bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945 à travers des œuvres telles que Axis Mundi (2011) – une reproduction à échelle 1 du cockpit d’un bombardier B 29 -, August 6, 1945 (2010) – une reconstitution en bois calciné d’Hiroshima après sa destruction - ou encore B 29 Chair (2011) qui est exposée dans Passions Secrètes. Le B 29 était une forteresse volante essentiellement utilisée par les américains pour bombarder le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. L’avion doit sa notoriété au fait qu’il ait servi à détruire Hiroshima et Nagasaki avec l’arme nucléaire. B 29 Chair est une copie, avec quelques modifications, du siège du pilote du bombardier. L’armature métallique et les tubulures latérales sont de forme identique. En revanche, les pieds sont constitués d’un réseau de minces tiges de métal. L’assise est rembourrée d’un capitonnage de cuir plus proche des canapés anglais Chesterfield et du fauteuil Barcelona de Mies van der Rohe que des coussins en toile du B 29. Aussi le kaki militaire du modèle d’origine a été remplacé et cela change tout. Le siège, avant tout fonctionnel du pilote de guerre, s’est métamorphosé en un élégant fauteuil design dont le moelleux invite à s’asseoir. Dans ce bel objet, l’artiste opère une synthèse entre une utopie pacifiste symbolisée par un élément de confort domestique et une dystopie6 liée au traumatisme provoqué par l’usage de la bombe A. Les États-Unis étaient perçus comme des libérateurs lors du second conflit mondial. Cette belle image va s’écorner brutalement lors de leur intervention grandissante au Vietnam jusqu’à leur retrait en 1973. Ces années correspondent au début de la carrière de Lili Dujourie qui élabore Amerikaans Imperialisme [American Imperialism] (1972), une installation constituée d’une plaque de métal appuyée contre un mur. La paroi est peinte en rouge à l’exception de la portion située derrière la plaque. Ce détail est essentiel parce qu’il génère de multiples oppositions entre la surface du tableau et ce qui est derrière, entre ce qui est montré 4. Une dystopie est une anti-utopie, c’est à dire un récit imaginaire dans un milieu peu propice au bonheur et c’est encore le genre littéraire qui correspond à ce type d’histoire.

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et ce qui est caché, entre la continuité du monochrome du mur et son interruption derrière la tôle d’acier. L’œuvre fait référence au minimalisme qui commençait alors à être bien connu en Europe. D’ailleurs, dans Passions Secrètes, l’œuvre de Lili Dujourie sera exposée près des œuvres de Carl André, North East Deck (1993), figure de proue du courant minimaliste dans les années 60, et de Claire Fontaine, Untitled (Carl André Bricks) (2012), s’inspirant d’un article traitant de l’acquisition d’une œuvre de Carl André par la Tate Gallery de Londres en 1972. Le titre, Amerikaans Imperialisme [American Imperialism], fait comprendre que le propos n’est pas, pour Lili Dujourie de faire un pastiche, mais au contraire de réutiliser levocabulaire plastique minimaliste afin de dénoncer la domination de la sculpture américaine dans le monde de l’art. Dans le contexte du conflit vietnamien, la référence à l’impérialisme américain peut aussi être perçu comme une critique implicite de la politique belliqueuse des états-Unis en Asie du Sud-Est. Ces dernières années, Lili Dujourie a de nouveau exposé cette installation. Le titre conserve toute son actualité en faisant maintenant penser à l’implication américaine en Irak ou en Afghanistan.

Conclusion Hollywood a beaucoup contribué à diffuser dans le monde une certaine image des états-Unis comme un pays où les rêves peuvent devenir réalité, où une ouvrière dans une usine d’aviation devient une star mondialement connue. Mimmo Rotella montre la fragilité de la comédienne dans Get Me Marilyn. Yasumasa Morimura fait apparaître au grand jour les a priori sous-jacents dans les mythes cinématographiques et les McCarthy le font plus encore. Danh Vo, Matthew Day Jackson et Mark Flood contestent les fondements de l’identité américaine, plus précisément la référence aux pères fondateurs. Sam Durant et Lili Dujourie en critiquent quant à eux un autre aspect, à savoir la conviction d’avoir une mission universelle à exercer. Il n’a ici été évoqué que quelques-unes des différentes facettes qui fondent la conscience américaine. Celle-ci a évolué au cours des deux siècles qui ont suivi l’indépendance. Au départ, les américains se percevaient d’abord comme blancs, anglo-saxons et puritains. Lorsque les immigrés arrivent en masse du nord et du sud de l’Europe, ils sont priés de se fondre dans le “creuset“ américain, le fameux “melting pot“, terme qui tire son origine d’une pièce de théâtre du même nom du dramaturge Israel Zangwill en 1908. Les états-Unis ont connu, à partir des années 50, une véritable révolution identitaire lorsque les groupes minoritaires, comme l’évoque Sam Durant, vont vouloir que leur histoire propre et leur spécificité soient reconnues. L’identité américaine n’est plus une mais plurielle.

Godeleine Vanhersel


Rêves américains

pistes en histoire des arts

2nd degré

Collège

Lycée

“Arts, ruptures, continuités“ permet de s’intéresser aux effets de reprises, de ruptures ou de continuité entre les différentes périodes artistiques, entre les arts et dans les œuvres d’art. L’œuvre d’art s’inscrit dans une tradition (emprunts, échos, citations) ou elle va, au contraire, créer des ruptures (avantgardes). Cela s’exprime par la réécriture de thèmes et de motifs (stéréotypes) ; par l’hommage (citation) ou la parodie (pastiche, caricature, etc.). Le dialogue des arts peut apparaître dans les œuvres sous forme de citations et de références d’une œuvre à l’autre mais aussi d’échanges et de comparaisons entre les arts (croisements, correspondances, synesthésies, analogies, transpositions, parangons, etc.).

La thématique “Arts, sociétés, cultures“ invite à souligner les liens que les œuvres d’art tissent avec les sociétés et les cultures qui les ont produites. L’art témoigne de l’appartenance à une communauté, une classe sociale. Cela se manifeste par le langage et par des expressions symboliques telles que des emblèmes, des allégories, des drapeaux, des trophées, des hymnes nationaux ou encore des chants patriotiques. L’art atteste aussi des identités culturelles dans leur diversité (paysages, lieux, mentalités, traditions populaires) et leurs particularismes (arts vernaculaires, régionalismes, minorités, ghettos, etc.).

Rêves américains

dans d’autres domaines artistiques Arts du visuel

Arts de l’espace

Marilyn Monroe a inspiré Willem De Kooning en 1954, Richard Hamilton qui en fait un collage photos en 1965, Andy Warhol qui décline son portrait dans plusieurs sérigraphies en 1967. Salvador Dalí donne son visage à Mao en 1967 sur After Marilyn Monroe. En 1982, la photographe américaine Cindy Sherman se métamorphose en Marilyn à peine maquillée dans Untitled (Marilyn). En 1995, Yasumasa Morimura réalise Self Portrait no. 56 (After Marilyn Monroe), un autoportrait dans lequel il incarne Marilyn. Douglas Gordon, dans sa série The Blind Star, reprend un portait de Marilyn Monroe en la privant de ses yeux. Flag, le drapeau américain peint par Jasper Johns en 1954, a un statut ambigu : est-ce un drapeau ou une peinture ? Ce drapeau constitue l’arrière-plan de Great American Nude (2002). Hassan Mussa y associe avec ironie l’étendard des Etats-Unis à Oussama Ben Laden doté du corps nu de Louise O’Murphy de François Boucher. I like America (2007) de Mounir Fatmi fait métaphoriquement s’écrouler un drapeau américain constitué de barres de saut hippique. Les murs intérieurs de la Follow Instant House (1980) de Vito Acconci sont tapissés de ce même emblème, ils gisent au sol et peuvent se dresser aussi vite qu’ils peuvent s’écrouler. Les films Mulholland Drive (2001) de David Lynch et Map to the Stars (2014) de David Cronenberg illustrent à leur manière l’American Dream.

Frank Lloyd Wright imagine une ville utopique, Broadacre City. Chaque famille y disposerait d’une propriété d’au moins un acre, soit 4 000 m2. L’importance donnée à l’espace et à l’individu est l’une des notions fondamentales de la culture américaine.

Arts du langage Né un 4 juillet (Born on the fourth of July) est à la fois un roman (1976) de Ron Kovic et un film (1989) d’Oliver Stone. Ron Kovic, né le 4 juillet 1946, se porte volontaire pour aller combattre au Vietnam. Dans son autobiographie, il raconte comment il en revient paralysé et remet en question les valeurs qui l’ont poussé à aller se battre.

Arts du quotidien Le canapé Bocca (bouche en espagnol) est créé par Salvador Dalí en 1936 sur le modèle de la bouche de l’actrice américaine Mae West. En 1971, le Studio 65 édite ce sofa et le renomme le Marylin Monroe. Bertrand Lavier a refait à l’identique en 2007 ce sofa si ce n’est qu’il est cette fois en porcelaine de Sèvres et qu’il s’appelle La Bocca.

Arts du son Lors du festival de Woodstock en 1969, Jimi Hendrix, joue une version de The Star-Spangled Banner - l’hymne national des états-Unis – de manière à produire des sons qui suggèrent les lâchers de bombes que les états-Unis effectuent à ce moment au Vietnam.

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Miroirs et reflets

1er degré

robert barry, Diptych Mirror Piece, 2006

DAN GRAHAM, Rectangle inside 3/4 Cylinder, 2008 - Courtesy : Dan Graham et Hauser & Wirth

En 1435, Léon Battista Alberti, dans son célèbre traité De pictura, fait de Narcisse qui contemple son propre reflet dans l’eau, l’inventeur de la peinture. Le reflet est le procédé le plus simple pour donner naissance à une image. Cependant le reflet est mouvant, changeant, non figé, a contrario de l’image créée par le peintre ou le photographe. Quand le miroir devient le sujet de l’œuvre d’art, il est un questionnement sur le processus de représentation, de réalité, de l’éternel débat entre mimesis et illusion. En effet, le miroir renvoie-t-il la réalité, la vérité, la reproduction du réel ou n’est-il juste qu’une interprétation, qu’une illusion ?

au spectateur de troubler notre perception sensorielle, d’expérimenter les effets différents du reflet, de la projection de l’image de la réalité.

La symbolique du miroir est très riche. Une ancienne croyance veut que l’image et son modèle soient liés par une correspondance magique. Les miroirs peuvent, par conséquent, retenir l’âme ou la force vitale de l’homme qui s’y réfléchit, d’où la coutume de recouvrir les miroirs et les surfaces réfléchissantes à la mort d’une personne pour ne pas retenir son âme. Le miroir est aussi capable de repousser les êtres et les forces sataniques. Cette croyance provient de la capacité de l’eau et de son pouvoir réfléchissant qui était un moyen de divination et donc une ouverture sur l’anti-monde (le Miroir de Galadriel dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien). Dans la mythologie grecque, Narcisse, Méduse et Dionysos sont détruits par leur reflet. Dans l’iconographie occidentale, la signification du miroir est double : il est l’attribut de la Luxure ou de la Vanité, mais il symbolise aussi les vertus de la connaissance de soi, de la Vérité ainsi que celle de la Prudence. Dans la chrétienté, il est un symbole marial car Dieu s’est réfléchi et a imprimé son image dans la Vierge. Les soufis eux, comparent l’Univers à un ensemble de miroirs dans lequel l’essence infinie se contemple sous de multiples formes. En psychanalyse, les rêves de miroirs sont présages de mort car “une part de nous-même est hors de nous“. Dans l’exposition Passions Secrètes, Collections Privées Flamandes, Olafur Eliasson, Dan Graham, Jim Hodges, Jacob Kassay autant que Michelangelo Pistoletto, proposent

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Robert Barry 1936, New York (États-Unis) Diptych Mirror Piece, 2006 Robert Barry, est l’une des figures de proue des premiers mouvements de l’art conceptuel. Il se distingue par la forme typographique de ses œuvres. Il utilise les mots, pour leurs propriétés conceptuelles, universelles et impalpables. Il travaille les rapports entre l’œuvre et le langage. Ses mots apparaissent toujours en majuscules mais la taille, la couleur, le matériel et la typographie diffèrent, s’adaptant aux espaces d’exposition. Dans son travail, la subjectivité du spectateur est un élément essentiel de l’œuvre. L’évocation d’un mot crée une multitude d’interprétations, d’idées, de concepts, selon l’imagination et l’expérience propre à chacun. Dans l’œuvre Diptych Mirror Piece, des mots en lettres adhésives colorées se détachent. On peut lire : “anything“, “sublime“, “passion“, “somehow“, “nowhere“, “changing“, “expected“, “obscure“, “anxious“ ; des mots couplés sans véritables relations sémantiques, apparaissent tantôt à l’endroit tantôt à l’envers ou encore en biais sur la surface miroir colorisée... à chacun d’y mettre un sens. Daniel Buren 1938, Boulogne-Billancourt (France) Le Carré reconstruit, 2007 En 1965, Daniel Buren met au point son outil de travail, les fameuses bandes blanches de 8,7 cm de large, alternant avec d’autres de même largeur, noires ou colorées. D’abord support de la couche picturale, l’outil visuel est ensuite imprimé et affiché dans la rue, puis apposé à l’architecture. Les bandes alternées n’ont de sens qu’avec le rapport qu’elles entretiennent avec le site où elles sont installées. L’erreur à éviter est donc de les regarder pour elles-mêmes, elles sont un moyen destiné à révéler un lieu au regard. Ici Le Carré reconstruit est une installation qui donne à voir l’illusion d’un carré rayé reconstitué grâce au reflet de la toile jouant sur le


JIM HODGES, Untitled (looking back), 1997

MICHELANGELO PISTOLETTO, Specchio di diagonale, 1975-1978

miroir et son double. Le reflet est l’un des procédés auxquels Daniel Buren a eu souvent recours dans ses dispositifs. La première des propriétés du reflet est l’inclusion de l’espace environnant, l’interdépendance entre l’objet et son contexte. De plus, un reflet n’est jamais fixe, il se révèle selon la position du regardeur : aucun point de vue unique ne peut être privilégié. Enfin il donne toujours une vision fragmentaire. Daniel Buren confie au miroir le rôle d’un “troisième œil“ qui permet de voir en même temps ce que l’on a devant les yeux et derrière la tête, un élément qui montre les choses sous un autre angle plutôt qu’il ne reflète celui qui regarde, un élément qui permet de voir plus et différemment.

entre voir et être vu. Dan Graham a débuté son travail par l’Art Conceptuel. C’est un mouvement qui porte un intérêt à la psychologie de la perception, en mettent en œuvre des dispositifs de vision et de représentation d’espace, en remettant en cause la place et le rôle du regardeur.

Olafur Eliasson 1967, Copenhague (Danemark) Colour Motoric Entrance, 2004 Connu pour avoir fait entrer les phénomènes naturels au musée (éclair, glace, rayon de soleil, brouillard...), Olafur Eliasson, artiste danois d’origine islandaise, propose ici de percevoir différemment l’espace, de troubler notre perception. La réalité sensorielle est transformée, fragmentée, multipliée, colorisée. Au cœur de l’œuvre Colour Motoric Entrance, on trouve les lumières, les filtres colorés, les constructions et les miroirs chers à Olafur Eliasson. Le travail de l’artiste s’inscrit dans la quête d’un espace autre, quelque part entre l’extérieur et l’intérieur, et inversement. Un espace où se propage et peut se déployer une diversité de formes, de pratiques, de réflexions. Dan Graham 1942, New York (États-Unis) Rectangle inside 3/4 Cylinder, 2008 Les œuvres de Dan Graham, entre sculpture et architecture, sont constituées de verres, de miroirs et de glaces sans tain, aux courbes anamorphiques. L’artiste les combine pour multiplier les perspectives et les points de vues : jeux de reflets et de transparence, de réfraction, de mise en abyme, qui impliquent la participation du spectateur dans l’œuvre. Rectangle inside 3/4 Cylinder, est un pavillon en forme de cylindre à l’intérieur duquel est placé un rectangle, les parois sont en verre semi transparent et incurvé. Les bords et la base de ce périmètre de verre, est un claustra usiné en métal gris. L’intégration de l’œuvre dans l’espace, circuit à la fois ouvert et fermé, remarquable et discret, a pour fonction de provoquer une perturbation : troubler les limites entre dedans et dehors,

Jim Hodges 1957, Spokane (États-Unis) Untitled (Looking Back), 1997 L’œuvre se compose d’un miroir brisé marouflé sur une toile. C’est, lors d'un vol en avion, en repensant à des amis disparus et à un moment où il espérait un nouveau départ dans sa propre vie, que l’image du miroir s’impose à Jim Hodges de manière brutale. Il envisage aussitôt la destruction de cet objet symboliquement fort et associe son geste à un sentiment de libération. Jim Hodges donne volontairement une forme de toile d’araignée à l’éclat du miroir qu’il brise. Le miroir brisé nous confronte à notre reflet dans l’espace d’exposition, mais c’est une image brisée que nous renvoie l’objet, il met en péril notre intégrité et nous dit la fragilité de la vie. Sorte de vanité contemporaine, cette œuvre simple en apparence nous rappelle aussi notre rôle de spectateur / acteur, faiseur d’images pour reprendre un principe cher à Marcel Duchamp. Le miroir figure le passage entre le vrai et le faux, le devant et le derrière, la réalité et la fiction. “Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d’ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent“. Comme pour illustrer le propos de Michel Foucault, Jim Hodges fait apparaître l’image comme une empreinte éphémère, fugitive. Elle est la présence de ce qui est ailleurs, la trace de ce qui n’est pas là et de ce qui va inévitablement disparaître. Cette œuvre condense la violence potentielle du geste de l’artiste : destructeur et créateur à la fois.

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RACHID JOHNSON, The Battle for Intergalactic Supremacy, 2008

Kris martin, The End, 2006

Rashid Johnson 1977, Chicago (États-Unis) The Battle for Intergalactic Supremacy, 2008 White Walk, 2008 Run Jesse Run, 2010 Third Wish, 2012 Les créations de Rashid Johnson sont esthétiquement nonconformistes et politiquement provocantes. L’artiste utilise pour ses installations différents matériaux comme le savon noir, le beurre de karité (substance dérivée de la noix de karité africaine, utilisée dans les produits cosmétiques), la cire noire, le bois, la céramique et les objets de la vie quotidienne. Il crée des installations combinant des éléments de l’histoire afroaméricaine et de la culture pop en faisant également référence à l’histoire récente de l’art.

Kris Martin 1972, Courtrai (Belgique) The End, 2006 L’œuvre est un large miroir où est écrit “The End“ - la fin - à l’envers. L’objet nous renvoie nos reflets, comme ceux d’acteurs sur lesquels ces mots sont écrits, comme si en face nos reflets étaient ces doubles qui eux seuls, pouvaient nous voir réellement (et dans la fin de nos vies), puisque eux seuls peuvent lire, de la place où ils sont, les mots à l’endroit.

Jacob Kassay 1984, Lewiston (États-Unis) Untitled, 2010 Les œuvres de Jacob Kassay jouent sur l’opacité, le reflet et le transfert. Ses monochromes argentés sont réalisés par un procédé industriel et chimique d’électro-galvanisation qui permettent au spectateur de se placer dans le champ de la toile, comme devant un miroir. L’artiste cultive volontairement l’opacité du reflet et le procédé de ces faux tableaux-miroirs évoquent les techniques photographiques anciennes, les daguerréotypes1. Bien que ces peintures soient réalisées industriellement, Kassay a détourné la fonction première de la photographie. Chaque peinture offre un résultat différent, il ne s’agit donc plus de reproduire.

1. Le daguerréotype est une image sans négatif produite sur une surface en argent, polie comme un miroir.

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MichelAngelo Pistoletto 1931, Biella (Italie) Specchio di diagonale, 1975-1978 Artiste du mouvement de l’Arte Povera, Michelangelo Pistoletto a consacré la presque totalité de son œuvre à la question du miroir. Il commence son œuvre par des portraits, des autoportraits questionnant sans cesse la condition humaine. Dans les années 60, il engage un travail sur le miroir qui devient à la fois image et sujet. Il s’est particulièrement intéressé à ce concept dans ses tableaux-miroirs. Il a, dans ses œuvres, inversé le procédé classique en faisant entrer la peinture dans le miroir et non l’inverse. Le miroir est ici à la fois support et surface. Dans le miroir il n’y a cependant pas le seul reflet du spectateur mais aussi l’espace environnant et le temps présent. Michelangelo Pistoletto parle de ses œuvres comme des autoportraits du monde. Où qu’elle aille, à n’importe quel moment, quelque soit la manière dont elle est disposée, l’œuvre reste toujours un autoportrait du monde. Marie-José Parisseaux-Grabowski


1er degré

Miroirs et reflets pistes en arts visuels

Collecte Collectionner des images de reflets issues de magazines. Répertorier : les reflets simples (à l’identique), les reflets transformés (par une matière réfléchissante, par le mouvement, par l’effacement, etc.), les reflets plastiques d’artistes.

Jeux de miroirs Faire refléter de la lumière, des objets dans des miroirs, en utilisant par exemple des miroirs déformants ou de couleur. Créer des installations où le spectateur pourra voir son reflet et celui des autres.

Photographier les reflets Rechercher des reflets sur toutes sortes de surfaces réfléchissantes (vitres, carrosseries, surfaces d’eau, vitrines de magasin, chromes de voiture, l’écran d’un PC, etc.). Photographier.

Autoportrait au miroir Se servir d’un ou de plusieurs miroirs pour se représenter entièrement, partiellement, en abîme dans un environnement donné ou pas. Jouer sur le dispositif de la mise en scène. Se photographier.

Miroirs et reflets

pistes en histoire des arts ARTS DU VISUEL

ARTS DE L’ESPACE

Le miroir symbole de Vanité : Georges de La Tour, La Madeleine au miroir, vers 1635-1640. Pieter Claesz, Vanité avec violon et bille de verre, 1628. Le Caravage, Narcisse, vers 1595. Jean Cocteau, Orphée, La traversée du miroir, film, 1950.

De nombreuses architectures récentes ou passées font appel à d’immenses surfaces planes, vitrées et réfléchissantes. Jules Hardouin-Mansart, La Galerie des Glaces, 1678-1684. Robert Camelot, Jean de Mailly, Bernard Zehrfuss, Jean Nouvel, Jean Paul Viguier, La Défense, 1958-2010. Johan Selbing & Anouk Vogel, Maison miroir, 2013, Pays Bas. Jean-Max Llorca (fontainier), Pierre Gangnet (architecte), Michel Corajou (urbaniste), Miroir d’eau de Bordeaux, Fontaine, 2006. Tham et Videgard Hansson, Tree Hotel, Harads, Suède. Leoh Ming Pei, Pyramide du Louvre, 1983-1988. Franck Gehry, Musée Guggenheim, 1997. Adrien Fainsilber et Gérard Chamayou, La Géode du parc de la Villette.

Le reflet n’est pas la réalité : Jean Cocteau, La Belle et La Bête, 1946 Hans Memling, La Vanité, vers 1485 Van Van Eyck, Les Époux Arnolfini, 1434. Diego Vélasquez, Les Ménines, 1656. Diego Vélasquez, Vénus à son miroir, vers 1644-1648. Bernardo Strozzi, Allégorie de la Vanité, vers 1635. Fernand Knopff, Avec Grégoire le Roy. Mon cœur pleure d’autrefois, 1889.

ARTS DU LANGAGE Lewis Caroll, Les Aventures d’Alice au pays des Merveilles, 1865. Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, 1890. Frères Grimm, Blanche-Neige, 1812.

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lille3000, et aussi... L’AUTOMNE 2014 À SAINT SAUVEUR GARE SAINT SAUVEUR, LILLE 10 SEPTEMBRE > 02 NOVEMBRE 2014

exposition “ACHEMAR“ LA MALTERIE 26 septembre > 02 novembre 2014 vernissage 25 septembre à 18h visite enseignants 01 octobre à 14h

EXPOSITION “SFR JEUNES TALENTS PHOTO RENCONTRES D’ARLES 2014“ 10 septembre > 02 novembre 2014

INSTALLATION “3DESTRUCT“ ANTIVJ 10 > 21 septembre 2014

“LES SOUS-SOLS DE L’HOTEL EUROPA“ MÉTALU A CHAHUTER Jusqu’au 02 novembre 2014

Nouvelle chambre dès le 26 septembre LES WEEK-ENDS À SAINT SAUVEUR EN COOPÉRATIVE AVEC LES PARTENAIRES CULTURELS 10 septembre > 02 novembre 2014

Concerts, Spectacles, Dj’s, Mode, Jeux, Goûters d’anniversaires, Cinéma Jeune Public, Animations Sportives, Bistrot de St So...

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FUTUROTEXTILES 3 TECNOPOLIS, BUENOS AIRES (ARGentine) 16 JUILLET > 02 NOVEMBRE 2014

EXPOSITION ITINÉRANTE www.futurotextiles.com le printemps 2015 À SAINT SAUVEUR GARE SAINT SAUVEUR, LILLE avril > juin 2015

exposition “art garden" 15 avril > 16 août 2015

En collaboration avec le National Heritage Board de Singapour et le SAM Museum, et dans le cadre du Festival de Singapour en France. RENAISSANCE 4ÈME ÉDITION THÉMATIQUE DE lille3000

Septembre 2015 > janvier 2016

Après Bombaysers de Lille, Europe XXL et Fantastic, plongez pendant 4 mois au cœur de villes en pleine renaissance ! Parade, expositions, métamorphoses, Do It Yourself, lumières, design, food, débats… Plus que quelques mois à patienter !


EXPOSITION “ACHEMAR“ Digitool / La Malterie

“les sous-sols de l’hotel europa“ Metalu A Chahuter © Yves Bercez

LA GARE SAINT SAUVEUR © Laurent Ghesquière

3destruct ANTIVJ (Dans le cadre de "Micro Macro") © Pauline Manet

EXPOSITION “FUTUROTEXTILES 3“ en tournée Tecnopolis, Buenos Aires (Argentine)

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Infos pratiques TRIPOSTAL

VISITES GROUPES

LA BOUTIQUE DU TRIPOSTAL

Avenue Willy Brandt F-59000 Lille À 2 min à pied des Gares Lille Flandres et Lille Europe Métro : Gare Lille Flandres

Equipe des Relations Publiques lille3000 105 Centre Euralille F-59777 Euralille T +33 (0)3 28 52 30 00 F +33(0)3 28 52 20 70 relations.publiques@lille3000.com

MER > ven : 12:00 > 19:00 SAM - DIM : 11:00 > 19:00 Avec Aziat et le Furet du Nord

TARIFS

Ticket : 8 /4 € Pass saison solo : 15 / 10 € Pass saison duo : 25 / 20 €  HORAIRES

MER > ven : 12:00 > 19:00 SAM - DIM : 11:00 > 19:00 Ouvertures exceptionnelles : 01, 11 NOV., 25 DEC. 2014, 01 JAN. 2015

VISITES GUIDÉES POUR LES INDIVIDUELS

Sam & Dim : 11:00 Inscription 15 min avant le début de la visite à l’accueil du Tripostal ou sur réservation directement à l'accueil. Gratuit pour les porteurs de Pass saison lille3000 ou supplément de 2€ sur le ticket d'entrée.

la cantine DU TRIPOSTAL

MER > ven : 12:00 > 19:00 SAM - DIM : 11:00 > 19:00 Ouvertures exceptionnelles : 01, 11 NOV., 25 DEC. 2014, 01 JAN. 2015

POUR LES ENFANTS

REVIENS AVEC TES PARENTS ! Un élève venu en visite avec sa classe peut revenir gratuitement accompagné de ses parents, sur présentation de son billet scolaire (billet remis après la visite de classe au Tripostal)

pass saison lille3000

UN PASS, PLEIN D’AVANTAGES ! Accès libre et illimité au Tripostal ! Plus de 20 expositions et événements dans l’Eurométropole, à Paris et en Belgique à tarif réduit ! Tarifs : 15/10 € (pass solo) - 25/20 € (pass duo). Tarif réduit sur présentation du Pass Education. En vente : - dès le 06 septembre à la Gare Saint Sauveur, Lille - dès le 08 septembre à l'Office du Tourisme, Lille - dès le 08 septembre à l'Office du Tourisme, Roubaix - dès le 11 octobre au Tripostal, Lille

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PASS


Équipe Président, Ivan Renar Directeur, Didier Fusillier Coordinateur Général, Thierry Lesueur Administratrice, Dominique Lagache Assistante de Direction, Margaux Graire Comptable, Chantal Dupond Accueil et Logistique, Catherine Gillot Directrice des Arts, Caroline David Coordination Artistique, Caroline Carton Avec Claire Baud-Berthier, Jeanne François

Responsable Communication & Relations Presse, Olivier Célarié Chargée de Communication, Vanessa Duret Avec Quentin Faye, Cindy Lecat Chargée des Relations Publiques, Magali Avisse Avec Kim Hollant, Ludivine Kaloun, Paul Levrez, Marie-Laure Scaramuzzino Mécénat, Flore Taine Billetterie & Accueil, Marion Chevalier Avec Nicolas Busetta, Donovan Yahia Webmaster, Emmanuel Dejonghe - www.kwtprod.com Création Graphique, EKTA - www.ekta.be

Directeur Technique, Frédéric Platteau Avec Camille Ortegat Régisseur Général, Elodie Wattiaux Avec Benoit Carlier Production, Emilie Bailleux Conseiller artistique de l’exposition “Passions Secrètes“, André Gordts

Contacts Relations pubiques lille3000 Magali Avisse, Kim Hollant, Ludivine Kaloun, Paul Levrez, Marie-Laure Scaramuzzino Réservations / accueil groupes : Ludivine Kaloun T . +33 (0)3 28 52 3000 relations.publiques@lille3000.com lille3000

105 Centre Euralille F-59777 Euralille www.lille3000.com

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NOTES

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