Possibilités atroces Dessins de Philippe Vandenberg 'Le nègre se peint soi-même. Il peint aussi l'autre. Mais c'est pareil: l'autre n'est toujours que lui-même, l'autre est toujours moi-même.' i Les dessins de Philippe Vandenberg, dont je parle dans ce texte, ont été sélectionnés par l'artiste Berlinde De Bruyckere pour le livre d'art commun Philippe Vandenberg / Berlinde De Bruyckere. L'Innocence signifie: ne jamais éviter le pire.ii Ils furent créés en 1996, un moment de conversion pour Vandenberg aussi bien sur le plan personnel qu'artistique. C'était une période d'impulsion créatrice fiévreuse, dans laquelle son système de symboles devint de plus en plus autonome et concret et ceci d'une manière unique et authentique. Les dessins de torture et humiliation, de volupté, meurtre et mort sont d'une grande complexité. Ils peuvent être catalogués plus ou moins en quatre catégories: 1. dessins directement inspirés par des oeuvres religieuses existantes; 2. dessins qui peuvent référer totalement ou partiellement à un thème religieux; 3. dessins qui peuvent référer à une thématique religieuse, mais transposés clairement dans une réalité différente et à plusieurs niveaux; 4. dessins de comportement sexuel explicite où à première vue il n'est pas question de violence. Ce qui peut se ressentir de manière intuitive peut difficilement s'exprimer en termes exacts. Ainsi l'intention de ce texte n'est qu'une tentative pour situer ces dessins dans un contexte plus ample. I Le contexte De l'endoctrinement à l'interprétation personnelle Philippe Vandenberg - alors encore Vandenberghe - a grandi dans une Flandre avant tout catholique, souvent en colère. De sécularisation il n'était pas encore question en ce temps-là et "l'aggiornamento", la réforme de l'Eglise aux temps modernes n'était pas encore en cause. Bien que Philippe reçut une éducation catholique à l'école et fit aussi sa Première Communion et sa Communion Solennelle, c'est sans doute surtout arrivé par considération sociale. La famille Vandenberghe-Schamp était plutôt non cléricale que anticléricale. Son père fut le dernier bourgmestre de Sint-Denijs-Westrem, qui comptait alors 5.500 habitants, avant la fusion de cette commune avec Gand. Il était membre du PVVV, le parti libéral, dominé en ce temps-là par des libertins. Depuis l'enfance donc il y a eu chez Philippe certainement des divergences avec la doctrine catholique. Comme remarque sa seconde épouse Mieja D'hondt: " Pour lui il existait déjà une fissure, une distance qui l'autorisait à utiliser aisément les symboles catholiques et à les interpréter librement selon les besoins de son âme meurtrie." iii La représentation de l'univers catholique était omniprésente durant la jeunesse de Philippe: dans chaque maison on trouvait alors au moins quelques crucifix, images religieuses ou saintes, dans et autour des églises étaient érigés des crucifix et des statues de saints, dans chaque classe et même dans la cour d'appel on voyait au mur une effigie du crucifié... Vandenberg a vite découvert que ces icônes étaient devenues impuissantes. Chaque jour les media gagnaient en influence et importance, la société était tellement submergée d'images de toute sorte que le sens profond leur échappait. Tout comme dans le roman magique réaliste Malpertius de l'auteur flamand Jean Ray, iv un des livres favoris que Vandenberg lut au début des années septante, la croyance inébranlable et aveugle commença à diminuer et les icônes autrefois si rares et précieuses perdirent leur