Patrick Van Rossem Philippe Vandenberg et la route du dessin artistique, la route de l'homme 'Le véritable problème: c'est la confrontation avec la matière. Que faire avec elle? Comment la traduire en lumière? (...) Notre souffrance provient, non seulement de la blessure humaine, mais surtout du tiraillement qui nous habite, entre la matière et l'esprit. Comment ne pas tomber dans le piège de la matière? (...) Il arrive qu'elle me fasse peur. D'où mon grand amour pour le dessin. La matière y est réduite, d'office, au minimum.'1 Philippe Vandenberg Philippe Vandenberg était en première instance peintre; un choix né par nécessité, un choix aussi parce qu'il semblait être le seul valable: 'Mais à défaut de toute autre activité humaine dont je serais capable, j'ai été obligé, je m'oblige à endosser l'habit d'artiste, c'est-à-dire, à extérioriser la vision du peintre que je suis.'2 La pression qui le conduisait vers la peinture était sans plus de nature existentielle. L'art procurait à Vandenberg - à son esprit fragmenté, agité et nomade - une unité, des points et des piliers de refuge. Dans son journal il écrit:'L'homme en pièces n'a qu'une solution, qu'une obsession: se refaire entier; pour le peintre - pour moi - ce sera par l'unité de l'image, du signe, de la toile.'3 Sur un de ses dessins (2009) il note: 'Brisé. La seule chose que je tente c'est de me repeindre moi-même en entier.' Cette dimension cruciale a échappé à fort peu d'auteurs. Au fait ce devint la perspective par laquelle on analysait son oeuvre. Parfois elle rendait aveugle et le 'non-voir' faisait alors partie de sa réception institutionnelle. L'aspect existentiel et l'approche biographique de l'art souffrent depuis longtemps de fatigue discursive et se retrouvent, oh ironie, eux-mêmes dans une crise existentielle. Ils rencontrent l'ennui et découragent, au lieu d'attirer. Mais l'obstination avec laquelle l'aspect existentiel et biographique continue à apparaître dans l'art, la présence réflexive - parfois furieuse - qui les caractérise, indique au moins que le cadre et la réalité sont souvent étrangers l'un à l'autre. (ill. p. 74)
Il se peut que cette aliénation était le sujet artistique de l'artiste allemand Martin Kippenberger (1953-1997), un contemporain et âme soeur de Vandenberg. Tous les deux avaient une image fort semblable et pessimiste de la société et de l'homme. Vandenberg est moins cynique mais il avait par exemple la même obsession terrifiante de l'erreur et de la mort. L'oeuvre de tous les deux est imbibée de la hantise de l'échec et de préoccupation pour la souffrance. L'affinité la plus surprenante - qui s'extériorise de façon différente - est le vide de sens qui colorie leur talent artistique. Ceci va de pair avec leurs pensées fatalistes sur le potentiel social de l'art mais aussi avec la peur de l'échec qui les hantait parfois. Vandenberg écrit: 'Il existe une douleur de peindre: la peur, le doute,, la panique, le rongement, la hantise de ne pas être capable de venir à bout des exigences de la toile.(...) Je peins de ratage en ratage, d'espoir en espoir.'4 Kippenberger ne voyait pas d'autre solution que de se réincarner comme l'image burlesque et stéréotypée de l'artiste maudit et souffrant. Il le faisait en partie afin de se distancier de ses collègues contemporains néo-expressionnistes allemands, et en partie afin de trouver sa propre position par un détour vers la farce cynique: via un corps (pictural), endommagé par la raison conceptuelle et la notion que le soi-même authentique et original n'existe plus. Vandenberg aussi emploie le cynisme pour commenter sa propre position d'artiste. Ses dessins de style cartoon sur la problématique existentielle de Vincent van Gogh (ill. p. 73) sont à première vue des évocations de couleur aérée devenues des clichés entre-temps. Mais par association avec son approche existentielle ce sont aussi des évocations cyniques sur le fait que ce 'type'