La peinture face à son désastre Damien Sausset L’exigence de la peinture, cette lutte continuelle contre le réel, contre l’histoire de l’art, contre soi aussi, fut au cœur de la vie de Philippe Vandenberg. L’œuvre peut déconcerter. Les thèmes abordés, les figures esquissées, le trouble coloré de ses coups de pinceaux participent d’une violence que certains jugeraient insupportable – comme si l’art avait pour mission de ré-enchanter le monde. Rien de tel chez cet homme qui n’a cessé de frôler l’éphémère pour mieux entrer dans le légendaire. Philippe Vandenberg a toujours perçu sa vie et son œuvre comme une remise en question radicale, sans concession aucune. Ébranler l’être, seule condition pour enfin toucher à une forme de vérité quitte à s’égarer dans les gouffres les plus obscurs et les plus noirs de la pensée. Artaud, Céline, Bataille, Cioran mais aussi El Greco ou Goya furent ses compagnons, des figures lointaines en qui il reconnaissait la même analyse lucide et désespérée du néant intérieur. Ses textes, des dizaines, tous écrits dans un style somptueux avec une sorte d’urgence à refuser l’ordinaire, tracent la silhouette d’un fugitif toujours en quête d’un absolu qu’il sait impossible à trouver. « Et maintenant que le couteau se rapproche de nos gorges, que tout le dire a été dit – sans résultat aucun –, que le bidon du bonheur est troué par les mensonges, qu’aucune stratégie ne nous aidera encore à dépasser la folie et que seuls les imbéciles prétendent ne pas avoir peur, une question s’impose : “Sommes-nous des peintres ratés ?” D’ailleurs combien comprennent que peindre c’est dépendre de quelque chose qui est hors de soi 1. » Philippe Vandenberg ne pouvait donc se satisfaire de ses oeuvres ; jamais achevées bien que parfois finies, jamais égales à son désir de pureté. Pour cela, il inventera même un concept : être kamikaze. Être kamikaze, ce n’est pas seulement détruire certaines toiles, surtout anciennes, en les recouvrant d’une nouvelle peinture, c’est surtout faire table rase du passé comme pour mieux affirmer qu’en peinture seul le présent existe, autant dire la dernière toile. La suivante engage déjà d’autres renonciations, d’autres altérations. Parfois tout semble achevé, toutes les peintures faites, tous les livres écrits, toutes les paroles dites. D’ailleurs, il ne cessera d’affirmer son admiration sans borne pour l’oeuvre des dernières années de Picasso et quelques autres, ce moment où le peintre se défait irrévocablement de son passé, de la tradition et de l’attente du marché. Mais, et cela lui pèse comme une sorte de malédiction, l’espace de l’atelier ne permet pas le repos. À défaut d’annoncer au monde une fin de la peinture fatalement sublime, il faut recommencer, toujours recommencer, toujours s’interroger sur ce qu’est une peinture, quand il faut débuter et quand il faut s’arrêter, se demander aussi comment jeter son trouble sur quelques supports. Philippe Vandenberg pouvait bien ajouter : « Et c’est là l’attitude juste : il faut peindre le drame non à cause de, mais malgré2. » Toute la raison de l’actuelle exposition de La maison rouge tient dans ce questionnement infini de l’artiste et tente de rendre visibles ces moments qui ont rythmé les dix dernières années de sa pratique, période où un « second » Philippe Vandenberg émerge véritablement. Car il ne faut jamais oublier qu’il y eut pour le grand public deux Philippe Vandenberg, même si ses proches attestent d’une continuité entre ces deux personnages. Le premier est un artiste à succès auquel tout semblait réussir et principalement préoccupé par l’exploration des limites de l’acte pictural. Le second, à partir des années 1990, s’engage dans un