REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements à monsieur le maire de Thonon-les-Bains, Christophe Arminjon, et madame Cassandra Wainhouse, adjointe au maire en charge des Affaires culturelles, pour avoir encouragé et soutenu cette publication.
À Nathalie Renaud, directrice de la Culture, pour sa confiance et sa bienveillance.
À Amélie Beaujouan, responsable des musées de la Ville de Thonon-les-Bains, pour m’avoir sélectionnée pour mener à bien cette étude, ainsi que pour sa gentillesse et son grand professionnalisme.
Je tiens également à remercier l’ensemble de l’équipe des musées pour sa disponibilité, son enthousiasme et sa bonne humeur, ainsi que Joseph Ticon, président de l’Académie chablaisienne, pour les précieux documents qu’il m’a transmis au sujet de Favre-Buisson et de la bataille de Mori. Enfin, ma reconnaissance va à Géraud Seznec, dont j’ai été l’élève à l’École du Louvre et avec qui j’ai le plaisir et le privilège de pouvoir travailler aujourd’hui. Un soutien indéfectible et un véritable ami.
Les termes techniques marqués d’un t sont référencés dans le glossaire, inséré en fin d’ouvrage. Les résumés des différents événements historiques rédigés dans la seconde partie de ce livre l’ont été d’après les ouvrages suivants : Jean Massin, Almanach de la Révolution française. Des États Généraux au Neuf-Thermidor, Paris, Encyclopædia Universalis, 1988 ; Jean Massin, Almanach du Premier Empire, Paris, Encyclopædia Universalis, 1988 ; Gérard Delaloye, Un Léman suisse : La Suisse, le Chablais et la neutralisation de la Savoie (1476-1932), Bière, Cabédita, 2002.
INTRODUCTION
[…] Mais dites-moi à ce propos, vous parliez d’observation et de déduction : sûrement l’une ne va guère sans l’autre.
— Et pourquoi donc ? pas toujours. Sur cette réponse il se renversa paresseusement dans son fauteuil, en tirant de sa pipe de petits nuages bleus.
— Tenez, en voulez-vous un exemple ? L’observation me prouve que vous êtes allé ce matin au bureau de poste de Wigmore Street, mais la déduction m’amène à vous dire que vous y avez envoyé un télégramme.
— Parfaitement exact, dis-je, sur les deux points. Mais comment le savez-vous ? Car je suis entré là par hasard et je ne l’ai dit à personne.
— […] L’observation me prouve que vos chaussures conservent un peu de boue rougeâtre. Eh bien ! à l’entrée du bureau de Wigmore Street on a défoncé la rue et rejeté la terre sur laquelle on est forcément obligé de passer. Cette terre a une teinte rougeâtre spéciale et qu’à ma connaissance on ne retrouve nulle part ailleurs dans le voisinage. Voilà où s’arrête l’observation, le reste est du domaine de la déduction1 .
L'OBJET TÉMOIGNE, L'OBJET RACONTE.
Il dévoile des informations souvent inédites pour celui qui sait les interpréter, et plus particulièrement lorsqu’il a appartenu à un personnage identifié, dont l’existence prend soudain corps, loin des pages biographiques uniformes de l’encyclopédie ou du dictionnaire. Car l’objet est le témoin et le vecteur de la vie quotidienne de son propriétaire. Il invite à un véritable voyage dans le temps et nous fait toucher du doigt le passé, parfois tumultueux, surtout lorsqu’il s’agit de soldats qui ont risqué leur vie sur le champ de bataille, à l’image des trois généraux d’Empire originaires du Chablais : Pierre-Louis Dupas (1761-1823), Joseph-Marie Dessaix (1764-1834) et Amédée-Pierre Chastel (1774-1826)2 . Ces trois hommes, dont les noms sont gravés sur les piliers de l’Arc de Triomphe de l’Étoile, ont pour point commun d’avoir servi dans les rangs de la légion des Allobroges dès 1792 et d’avoir légué à la postérité, non seulement leurs noms et le souvenir de leurs faits d’armes, lancés dans la tourmente révolutionnaire puis dans le tourbillon des guerres napoléoniennes, mais aussi certains de leurs uniformes, de leurs armes et de leurs équipements, soigneusement préservés par les héritiers de Dessaix et Chastel qui les cédèrent au musée du Chablais. Ces quelques vestiges constituent un ensemble exceptionnel, tant en termes de qualité de conservation que, pour certains objets, de rareté. L’étude approfondie que nous avons menée dans le courant de l’année 2021, à la demande du musée, nous a permis de découvrir et de mettre en avant ces aspects. Outre les souvenirs des trois généraux, d’autres œuvres et d’autres objets conservés dans les collections retracent le contexte de la Révolution française, du Consulat et du Premier Empire, mais aussi l’histoire du Chablais à cette époque, raison pour laquelle nous avons choisi de les insérer dans le présent ouvrage, dont l’objectif est de présenter les résultats de nos analyses tout en offrant la possibilité au lecteur de pouvoir, en quelque sorte, voyager à travers les siècles en redonnant vie et, pour ainsi dire, corps et âme, à ces témoignages matériels et aux figures désormais historiques de ces généraux qui s’en servaient au quotidien.
Dessaix, Chastel, Dupas. Trois noms, célèbres autrefois, presque oubliés aujourd’hui, qui résonnent dans le fracas de batailles aussi légendaires qu’Austerlitz, Wagram, La Moskowa… De l’Italie à l’Égypte, de l’Allemagne à l’Espagne, leurs pas ont suivi ceux du général Bonaparte, devenu l’empereur Napoléon Ier, au sein de cette Grande Armée dont les exploits retentissants fascinaient et effrayaient tout à la fois les souverains d’Europe coalisés contre la France. Panache, honneur, héroïsme, mais aussi résilience et humilité : autant de qualités qui marquèrent l’existence et la carrière de ces trois soldats, animés par le souffle de l’épopée qu’ils écrivaient en lettres de feu aux côtés de leurs camarades. Les objets et les tableaux transmis par leurs héritiers témoignent, aujourd’hui encore, de leur incroyable destinée dont ils mesurèrent certainement l’ascension vertigineuse au moment où ils furent frappés de disgrâce par la Restauration, peu encline à célébrer les héros d’un régime qu’elle venait d’abattre. Le Chablais devint alors leur dernier refuge, là où tout avait commencé…
Ces pages invitent le lecteur à découvrir la carrière militaire de ces trois généraux, retranscrite en partie grâce aux objets qui leur ont appartenu, et à plonger dans cette
époque bouillonnante de la Révolution et de l’Empire. Les destins croisés de ces cousins germains3 , nés sur les bords du lac Léman, ont étroitement lié l’histoire de la Savoie et du Piémont à celle de la France et de l’Europe, contribuant en même temps au rayonnement du Chablais.
Nous avertissons cependant le lecteur que l’objectif n’est pas ici de retracer la biographie classique de ces trois généraux, d’autres auteurs ont accompli cette tâche4 . Il s’agit de s’attarder sur ce qu’apprennent et révèlent de leur existence et de leur carrière les œuvres et les objets conservés, présentés dans cet ouvrage, en prenant pour approche les qualités et les vertus militaires qui en ont fait des chefs estimés. En un mot, d’évoquer, par la force symbolique et matérielle de l’objet, ces trois destins d’officiers. Car le témoignage palpable est tout aussi évocateur de ce que fut son propriétaire – comme l’affirme Sherlock Holmes au docteur Watson sous la plume d’Arthur Conan Doyle5 – que les sources conservées aux archives. La question de l’observation et de l’interprétation qui s’ensuit, grâce au faisceau d’indices fourni par l’objet étudié, est en effet fondamentale pour l’historien de l’art, peut-être plus encore lorsqu’il s’agit d’analyser des œuvres et des vestiges relevant d’un domaine aussi spécifique que celui du patrimoine militaire. Les particularités de cette discipline nécessitent en effet de recourir à des domaines qui appartiennent exclusivement à ce champ d’étude, à l’instar de l’uniformologie, de la phaléristique – la science des médailles et des décorations –, ou encore de la connaissance de l’armement, que vient compléter le recours à l’histoire militaire dans le cadre de la contextualisation des données étudiées.
L’ouvrage se compose de deux parties. La première est consacrée à l’évocation de la carrière et des qualités morales et militaires des trois généraux du Chablais à travers les objets qui leur ont appartenus. La seconde comprend les notices détaillées du catalogue, présentant une sélection d’œuvres choisies particulièrement évocatrices des personnages et du contexte étudiés.
1. Arthur Conan Doyle, La Marque des Quatre, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896, p. 10-11 (édition originale anglaise : The Sign of the Four, Londres, The Lippincott’s Monthly Magazine, 1890).
2. Prénoms portés sur son acte de baptême en date du 29 avril 1774 (Registre des baptêmes de l’église paroissiale de Veigy, archives départementales de Haute-Savoie, E DEPOT 323/GG 4 – 1754-1793, folio 84). Chastel est davantage connu sous les
prénoms de Louis-Pierre-Amé et parfois aussi d’Amé-Pierre, bien que ceux-ci s’inscrivent en contradiction avec l’état-civil.
3. La mère de Pierre-Louis Dupas est la fille de Louise Chastel dont le frère, Nicolas Chastel, est le père d’Amé-Pierre. La mère d’Amé-Pierre, Marie-Josèphe, née Favrat, est la sœur de MariePhilippine Favrat, elle-même épouse de Charles-EugèneJoseph Dessaix. Tous deux sont les parents de Joseph-Marie. Données généalogiques établies
d’après les registres d’état-civil des archives départementales de Haute-Savoie.
4. Sur Chastel, cf. Paul-Émile Bordeaux, Le Général Chastel, Thonon, Imprimerie Dubouloz, 1933 et Paul Guichonnet, Les Chastel : Une famille savoyarde, de l’Ancien Régime à la Révolution, de l’Empire à la Restauration, Amancy, Éditions Lolant, 2011 ; sur Dupas, cf. Ferdinand DuboulozDupas et André Folliet, Le général Dupas. Italie – Égypte – Grande Armée (1792-1813), Paris, R.
Chapelot & Cie, 1899 ; sur Dessaix, cf Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879. Bien que la plupart de ces ouvrages soient aujourd’hui largement datés, à l’exception de celui de Paul Guichonnet, ils restent néanmoins les productions les plus complètes existant, à l’heure actuelle, sur ces généraux.
5. Cf. supra, note 1.
1 S'ENGAGER ET SERVIR
Le 11 juillet 1792, l’Assemblée nationale législative déclare « la patrie en danger » par décret6 . La nécessité de contrer l’offensive austro-prussienne, dont les troupes coalisées s’avancent vers les frontières de l’Est de la France, devient urgente. L’afflux spontané des volontaires pour défendre le territoire, ainsi que les premiers acquis révolutionnaires, entraînent la création de différentes unités parmi lesquelles une légion franche allobroge7, fondée par le décret du 8 août 1792 :
L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire sur le plan de formation d’un nouveau corps de troupes légères, dont elle a décrété la levée le 2 de ce mois ; considérant qu’il est instant d’augmenter les moyens de défense du côté de la frontière des Alpes, décrète qu’il y a urgence.
L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit :
Art. I : Il sera formé dans le plus court délai, sous l’autorité et la surveillance du pouvoir exécutif, et par les soins de l’officier général commandant à Grenoble, une légion sous la dénomination de légion franche allobroge, dans laquelle il ne pourra être admis que des Allobroges.
II : Cette légion pourra être formée de quatorze compagnies d’infanterie légère, de cent vingt hommes chacune, y compris les officiers, dont sept compagnies seront armées de carabines, les sept autres de fusils à baïonnettes ; Plus, trois compagnies de dragons légers, de cent hommes chacune, y compris les officiers, faisant le service à pied et à cheval ;
Enfin, d’une compagnie d’artillerie légère, de cent soixante hommes, officiers compris.
III : La ville de Grenoble sera le lieu du rassemblement de ladite légion et de son dépôt. Le pouvoir exécutif donnera à cet effet tous les ordres nécessaires tant pour accélérer la levée, la formation et l’organisation de cette légion, que pour son emploi à la défense des Alpes […]8
Dans leur Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire publiée en 1879, Joseph Dessaix et André Folliet mentionnent que la création de cette légion émane des membres savoisiens du Club des Allobroges, fondé à Paris par les réfugiés chablaisiens acquis aux idées de la Révolution française. Ces derniers avaient dû fuir la Savoie
à la suite de la répression et des condamnations à mort prononcées à leur encontre par les tribunaux du royaume de Piémont-Sardaigne à l’issue de l’émeute de Thonon9. Parmi ces membres figurent le docteur et écrivain François-Amédée Doppet10 , le docteur Joseph-Marie Dessaix, médecin diplômé de la faculté de Turin11 , ses trois frères, François, Claude et Aimé, ainsi que les deux frères Chastel. Dans ses Mémoires, Doppet, nommé lieutenant-colonel de la nouvelle légion, revient sur cet épisode :
[…] Nous résolûmes donc, entre les membres de notre société, de former une légion composée de Suisses, de Savoisiens et de Piémontais, pour aller partager aux frontières les lauriers des légions françaises.
Nous nous présentâmes à l’Assemblée nationale le 31 juillet 1792. Chargé d’y porter la parole, je demandai la levée et l’organisation d’une légion franche, sous le nom de légion des Allobroges. J’ai oublié de dire que, voyant depuis quelque temps la société composée de Suisses et de Savoisiens, nous lui avions ôté le nom de club des Patriotes étrangers, pour lui donner celui de club des Allobroges. Ce fut la raison qui nous fit adopter le nom d’Allobroges pour la légion.
L’Assemblée législative décréta la levée et l’organisation de la légion des Allobroges12
Des volontaires de la Révolution Commencée à être constituée avant la publication du décret de l’Assemblée nationale législative, la légion des Allobroges compte de ce fait plusieurs volontaires recrutés en premier lieu au sein du club patriotique installé à Paris. L’exemple de Joseph-Marie Dessaix, qui servait jusqu’alors dans la Garde nationale parisienne, illustre cette tendance, puisqu’il est nommé dès le 7 août capitaine de la 1re compagnie de la toute nouvelle légion, commandée par le colonel Pinon. Le frère cadet de Joseph-Marie, Jean-François-Aimé Dessaix, ainsi que Pierre-Louis Dupas et PierreAmé Chastel, sont également promus au grade de capitaine. Ces officiers font partie des figures marquantes de la légion, se signalant dès le 10 août 1792 au moment de l’assaut des Tuileries, au cours duquel ils sauvent plusieurs gardes suisses de la mort avec leurs hommes, comme l’évoque Doppet13 , face à la furie meurtrière des sans-culottes dont le jeune Napoleone de Buonaparte, capitaine d’artillerie, est témoin :
Au bruit du tocsin et à la nouvelle que l’on donnait l’assaut aux Tuileries, je courus au Carrousel chez Fauvelet,
DUPAS L'IMPÉTUEUX
Le général Dupas était un courageux soldat. Il avait fait la guerre d’Égypte, et sa bravoure était bien plus positive que sa politesse, quoique cependant il n’eût jamais l’intention d’en manquer. Mais il jouait de malheur […]. C’était un drôle d’homme que ce général Dupas […]. Il avait surtout une manière si grave et si solennelle de faire ce qu’on est convenu d’appeler des pataquès, qu’il n’y avait pas moyen d’y tenir. Il joignait à cette façon toute digne d’errer sérieusement dans toutes ses phrases, une figure longue, jaune et blême, qui contrastait étrangement avec les paroles burlesques qui sortaient de sa bouche. Non pas qu’il voulût être drôle, il n’en avait jamais l’envie ; mais il le devenait à son insu, et cela tout innocemment30 .
DESSAIX LE « BRAVE44 »
Général Dessaix
lithographie, inv. 1989.1.22
Je connais cet officier général depuis longtemps, et je n’ai eu qu’à me louer de son zèle, de ses talents et de son dévouement. C’est un officier du plus grand mérite. Je te réponds de lui, mon cher prince, comme de moi-même ; ainsi sois-lui utile et confie-toi en ses qualités45 .
CHASTEL L'ÉRUDIT
Le général Chastel était doué d’un beau physique, il avait le coup d’œil vif et pénétrant, avec l’ascendant du commandement. La franchise, l’indépendance et une grande constance formaient la base de son caractère. Il avait une connaissance approfondie de toutes les parties de son art. À une élocution vive et facile, il joignait une grande érudition et une mémoire prodigieuse. Outre son savoir distingué comme militaire, le baron Chastel possédait encore des connaissances très étendues en littérature ; sa bibliothèque était très bien choisie, on trouvait chez lui une foule d’objets rares et précieux. Il a légué au conseil représentatif de la République de Genève, sa collection de tableaux évaluée à 100 000 francs, à la charge de faire border d’un quai en maçonnerie le port de la ville, sur les dessins du colonel Dufour, ancien officier du génie en France, aujourd’hui au service de la confédération50 . Il a laissé des mémoires très curieux sur l’art de la guerre, et principalement sur le service de la cavalerie. Ces écrits ont obtenu les suffrages de plusieurs généraux expérimentés51 .
2 ŒUVRES CHOISIES
Les événements de la Révolution française mettent progressivement la toute jeune Ire République aux prises avec les troupes coalisées des autres États européens, désireux de faire rétablir la monarchie des Bourbons. Ces conflits surviennent à la suite de l’emprisonnement de la famille royale au Temple après la prise des Tuileries, le 10 août 1792. La proclamation de la patrie en danger, le 11 juillet 1792, et l’appel aux volontaires qui s’ensuit, marquent le début des guerres de la première coalition (1792-1797), qui opposent la France à la Prusse et à l’Autriche en 1792, rejointes par l’Angleterre et la Hollande en février 1793, l’Espagne en mars 1793, puis le Portugal, le royaume de Naples et des Deux-Siciles et le royaume de Sardaigne66
Les victoires de Valmy (20 septembre 1792) et de Jemmapes (6 novembre 1792), ne suffisent pas à repousser les alliés. L’année 1793, marquée par de nombreux revers, voit finalement un renversement de la situation grâce aux réformes entreprises dans l’armée par Lazare Carnot. Victorieuses à Hondschoote (8 septembre 1793) et à Wattignies (15 et 16 octobre 1793), les troupes révolutionnaires l’emportent de manière décisive à Fleurus (26 juin 1794), se rendant maîtresses de la Belgique puis, à l’automne 1794, de la Hollande.
Peu à peu, les coalisés se retirent du conflit : la Prusse signe le traité de Bâle le 5 avril 1795, suivie par la Hollande (traité de La Haye, 16 mai 1795) et l’Espagne (second traité de Bâle, 22 juillet 1795). Les victoires remportées lors de la première campagne d’Italie (1796-1797) provoquent le retrait du royaume de Sardaigne (traité de Paris, 17 mai 1796), puis de l’Autriche (préliminaires de Leoben, 18 avril 1797, suivis du traité de Campoformio, 18 octobre 1797), signant la fin de la première coalition. Seule l’Angleterre poursuit sa lutte contre la France, réunissant une seconde coalition dès 1798, composée de la Russie, de l’Empire Ottoman, de l’Autriche, du Royaume de Naples et des Deux-Siciles et de la Suède. Après plusieurs défaites et en dépit de l’isolement du corps expéditionnaire français en Égypte, à la suite de la destruction de la flotte par les Anglais à Aboukir (1er-2 août 1798), les troupes françaises s’imposent progressivement lors des victoires de Zürich sur les Austro-russes (25-26 septembre 1799), d’Alkmaar en Hollande (18 octobre 1799), où le corps expéditionnaire anglo-russe capitule, de Marengo en Italie face aux Autrichiens (14 juin 1800) et, enfin, d’Hohenlinden en Allemagne (3 décembre 1800), forçant les Autrichiens à négocier. Les traités successifs de Lunéville (9 février 1801) si-
gné avec l’Autriche, de Florence (18 mars 1801) avec le royaume de Naples et des Deux-Siciles, de Paris (8 octobre 1801 avec la Russie, 9 octobre 1801 avec l’Empire Ottoman), laissent l’Angleterre seule face à la France, ce qui conduit à la signature du traité d’Amiens (25 mars 1802) qui met fin à la guerre et à la deuxième coalition.
Cette époque troublée conduit de nombreux citoyens à s’enrôler dans les armées et à abandonner leurs professions civiles. De cet engagement massif des volontaires vont sortir les grands noms des armées de la Révolution, du Consulat et de l’Empire, à l’instar des trois généraux chablaisiens, Joseph-Marie Dessaix (1764-1834), Pierre-Louis Dupas (1761-1823) et LouisPierre-Aimé Chastel (1774-1826). D’autres membres de leurs familles vont également rejoindre les troupes ou mener une carrière politique, à l’image de François Chastel (1765-1847).
Les quelques souvenirs de la période révolutionnaire réunis ici témoignent du contexte militaire de l’époque et des différents engagements pris par les Chablaisiens jusqu’au début du Premier Empire.
La période révolutionnaire est marquée par l’engagement de nombreux civils sous les drapeaux. Volontaires, soldats-citoyens puis conscrits mobilisés par la loi Jourdan-Delbrel du 19 fructidor An VI (5 septembre 1798), nombreux sont ceux qui ont abandonné leur activité première pour s’enrôler, souvent comme simples soldats67. La création d’unités telle que la légion des Allobroges, qui comprend des fantassins, des dragons légers et une compagnie d’artillerie, marque l’importance du recrutement militaire à cette période afin de lutter contre les troupes coalisées.
67. Cf. à ce sujet Annie Crépin et Philippe Boulanger, « Le soldatcitoyen. Une histoire de la conscription », La Documentation Française, dossier n° 8019, février 2001 et Annie Crépin, Histoire de la conscription Paris, Gallimard, 2009.
HABIT CIVIL À LA FRANÇAISE
de Joseph-Marie Dessaix (1764-1834)
Entre 1780 et 1789
Drap de laine écarlate, doublure en taffetas de soie beige, broderie de clinquants (boutons)
140 cm (H)
Inv. : 1953.56.1
Historique : Don famille BruelDubouloz (1953.56), restauré en 2006 au musée des Tissus de Lyon (intervention menée dans le cadre du Fonds régional d’aide à la restauration [FRAR] cofinancé par l’État et la Région Rhône-Alpes)
Cet habit civil est typique de la période 17801785, ce que révèle la hauteur du col, la coupe générale ainsi que la forme des manches. L’ensemble est conforme à l’élongation du canon du vêtement masculin à la fin du xviiie siècle. L’apparition du col droit dit « officier », est également caractéristique de cette période, de même que la diminution des rabats des manches ou encore le choix d’un textile uni (les motifs ornementaux – essentiellement végétaux –étaient destinés aux réceptions et aux costumes de Cour). Cet habit du futur général JosephMarie Dessaix correspond à la période pendant laquelle ce dernier exerçait comme médecin à Paris. Dessaix était en effet docteur de l’Académie de médecine de Turin et lui-même fils de médecin, avant son engagement dans la Garde nationale en 1789, point de départ de sa carrière militaire.
GILET D'OFFICIER SUBALTERNE
de cavalerie légère
Entre 1790 et 1804
Drap de laine écarlate, dos en toile de coton écru, passementerie en argent doré, laiton
38 cm (H) x 88 cm (L)
Inv. : 1953.56.2
Ce gilet est typique de ceux revêtus par les officiers de cavalerie légère (hussards, chasseurs à cheval) et d’état-major sous la Révolution, le Consulat et le Premier Empire, ainsi que par les officiers des gardes d’honneur en 1813-1814. Les douze brandebourgs de ganse carrée, achevés en forme de nœuds hongrois, sont ornés de deux rangées de boutons demi ronds en laiton sur le montant gauche et de trois rangées sur le montant droit, afin d’en faciliter la fermeture. Des boutonnières taillées dans le drap de l’habit sont encadrées de fausses boutonnières de ganse carrée. Une ganse carrée à forte proportion d’argent borde également en double le pourtour du gilet et simule deux fausses poches latérales. Une broderie formée d’une frise de boucles encadre la ganse du collet et des poches, motif récurrent sur les tenues à la hongroise de la Révolution et du Consulat. Un lacet de réglage, cousu dans le dos en coton écru, permet d’ajuster la taille du gilet. L’emploi de la ganse carrée double et la sobriété de l’ornementation de la passementerie désignent un grade d’officier subalterne (sous-lieutenant, lieutenant ou capitaine).
PORTRAIT DE MONSIEUR FAVRE-BUISSON
Ce portrait représente le dénommé Favre-Buisson – ou Fabre-Buisson69 –, en uniforme de lieutenant-capitaine de la Garde nationale70 . La facture, le cadrage et le style même du portrait, avec le souci du détail, le traitement sans concession du visage et le caractère graphique, ainsi que la manière dont la lumière artificielle est travaillée, sont très proches de deux autres portraits conservés au musée, représentant un colonel d’infanterie resté anonyme et son épouse (inv. 2004.33.1 et 2004.32.1). Nous pourrions dès lors proposer une même attribution de main pour les trois œuvres. S’agirait-il du travail d’un artiste local sollicité par les personnes aisées de l’époque pour peindre leurs portraits ? Ici, la volonté de FavreBuisson de revendiquer son engagement dans la Garde nationale et, partant, son adhésion aux principes de la Révolution, est évidente.
Buechery (actif à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle)
Huile sur toile
Vers 1791-1794
81 cm (H) x 63,5 cm (L)
Inscription : BUECHERY (à la peinture noire, au revers)
Inv. : 2008.18.2
Historique : Collection Jacqueline Bruel. Achat en vente publique, Thonon, 5 octobre 2008
Dans une lettre adressée à sa sœur, datée du 23 septembre 178971 , Favre-Buisson, alors « Lieutenantcapitaine » de la compagnie Lefèvre72 , donne quelques détails sur son uniforme et sur le coût élevé de celui-ci :
[…] Je vais te faire un petit détail de mes affaires, ma place de lieutenant me vaut deux mille livres par an. Il faut sur cette somme que je m’habille. Mon habit complet me revient à trois cents livres, mon épée à quarante livres. Les épaulettes en or, la dragonne de même me coûte trois louis actuellement.
[…] Je vais te décrire notre uniforme, habit bleu revers et doublure blanche, veste et culotte de même couleur en drap très fin, épaulette en or.
L’uniforme présenté ici est conforme à la description de la lettre. Le corps des épaulettes comporte deux raies de soie ponceau73 , correspondant au grade de capitaine de remplacement défini dans le Règlement arrêté par le Roi, Pour l’Habillement et l’Équipement de ses Troupes Du 1er octobre 1786. Ce grade a été supprimé en 178874 . En revanche, le grade de lieutenant-capitaine est défini dans L’Encyclopédie, à laquelle renvoie le Dictionnaire de l’armée de Terre, comme celui du « capitaine en second ou l’officier qui commande la compagnie sous les ordres du capitaine, et pendant son absence75 » Cet officier a bien rang de lieutenant, ce que corrobore le témoignage de Favre-Buisson. Les épaulettes du capitaine de remplacement ont donc dû être attribuées aux lieutenant-capitaines après 1788, un grade qui va également disparaître au début du xixe siècle, à la suite des profondes réformes faites dans l’armée par Lazare Carnot sous le Directoire, puis par Napoléon sous le Consulat et l’Empire : grades et fonctions sont alors simplifiés et sont presque définitivement fixés dans l’organisation hiérarchique qui est encore appliquée aujourd’hui.
Après une carrière politique retentissante sous la Révolution, Favre-Buisson, nommé accusateur public sous la Terreur, est parvenu à éviter procès et arrestations à la chute de Robespierre, préférant demeurer discret. Il ne semble pas avoir poursuivi sa carrière militaire dans la Garde nationale, préférant se dévouer entièrement à ses ambitions politiques.
69. Son nom est mentionné en tant que membre de la Société populaire du Mont-Blanc dans le compte rendu de la séance du 3 ventôse An II (21 février 1794), de la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité aux Jacobins de Paris. Un article de Paul Guichonnet, intitulé « Le terrible Favre-Buisson », paru dans Le Messager du 24 septembre 1990, permet d’en apprendre davantage sur la carrière politique de ce personnage, considéré comme l’un des plus redoutables partisans de la Terreur en Savoie.
70. La Garde nationale a été créée à Paris en 1789 et placée sous les ordres du général Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (17571834), le héros de la guerre d’Indépendance américaine (1775-1783). Son modèle a été repris par la plupart des grandes villes pendant la Révolution. Chaque canton fournissait des gardes nationaux, les officiers et les sous-officiers étant nommés par élection. Ces troupes ont remplacé les milices bourgeoises de l’Ancien Régime.
71. Une copie de ce document a été portée à notre connaissance par Joseph Ticon. président de l’Académie chablaisienne.
72. Installée à la caserne de Popincourt, construite en 1770 pour le régiment des Gardes françaises puis détruite en 1885 (emplacement de l’actuelle rue Pasteur dans le XIe arrondissement de Paris), la compagnie Lefèvre appartient à la 5e division (4e district ou district de Tresnel, 8e bataillon sous les ordres du commandant Charles-François Colin de Cancey). Le drapeau du district de Tresnel portait en son centre les armes royales avec la devise « Un roi juste fait le bonheur de tous. » Cf. Henry Lachouque et Gérard Blankaert, Les drapeaux de la Garde nationale de Paris en 1789, Paris, Les Éditions militaires illustrées, 1947.
73. Teinte rouge foncé rappelant la couleur des pétales du coquelicot..
74. « Sorte de capitaines de diverses armes qui, dans l’autre siècle où tant d’abus étaient tolérés, étaient revêtus de grades sans fonctions ; ils ont été supprimés en 1788 par le conseil de la guerre. » Dictionnaire de l’armée de Terre, tome IV, op. cit., p. 973
75. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, David l’aîné, Le Breton et Durand, 1751, t. II, p. 629.
JOSEPH-MARIE DESSAIX,
colonel commandant la 4e demi-brigade légère au combat de Mori, le 18 fructidor An IV (4 septembre 1796)
Cette œuvre naïve, peinte dans des tonalités vives et colorées, représente le futur général Dessaix en Italie, le 18 fructidor An IV (4 septembre 1796), au moment où il s’empare d’une redoute autrichienne flanquée de plusieurs pièces d’artillerie sur l’Adige, à Mori. Le paysage reproduit la configuration topographique des lieux : à gauche, derrière le rempart hérissé de bouches à feu qui ferme l’accès de Mori, se profilent les clochers de la petite église de San Marco et, à l’arrière-plan, celui de San Biagio, au bord d’un méandre du fleuve.
Anonyme Vers 1800
Gouache sur papier vergé
marouflé sur toile. Silhouette de Dessaix découpée et rapportée. Tête peinte sur ivoire
55 cm (H) x 70 cm (L)
Inv. : 2008.18.3
Historique : Collection
Jacqueline Bruel. Achat en vente publique, Thonon, 5 octobre 2008
L’auteur de cette gouache est réputé être un témoin oculaire puisqu’il s’agirait d’un officier proche du colonel Dessaix, comme le mentionne l’abbé Joseph Pinget, nommé correspondant de l’Académie chablaisienne en 1888, dans une lettre conservée aux archives départementales de Haute-Savoie :
Ce tableau, ou mieux ce portrait du général fut fait après la bataille, par un officier, ami et aide de camp du général. Cet officier, dont on m’a souvent redit le nom, lequel pourtant m’échappe en ce moment, courtisait la sœur du général, Mademoiselle Jeannette Dessaix, qui, plus tard, épousa M. de Lachenal, mon arrière-grand-père. De retour au pays, il offrit ce portrait à celle dont il sollicitait la main, et mon arrière-grand-mère le conserva précieusement, le transmit à sa fille Adélaïde de Lachenal qui épousa en 1828 M. le Docteur Pinget, mon aïeul. C’est ainsi que ce tableau nous est parvenu 76 .
L’œuvre est également décrite par le frère de Dessaix, François, qui l’avait envoyée à leur père avec l’explication suivante, citée par Joseph Dessaix et André Folliet dans leur ouvrage paru en 1879 :
Je vous envoie la représentation de la bataille de Mori. Vous trouverez à mon frère l’air un peu méchant, mais il faut faire attention qu’il se trouve dans une chaude affaire, le sabre à la main, il vient d’être démonté, ayant eu l’épaule fracassée, s’étant fait passer un mouchoir autour du cou pour soutenir son bras gauche. Il donne l’ordre aux grenadiers d’avancer ; la route est couverte de cadavres et de mourants77 .
Celui qui est près d’un canon, ayant les deux jambes rompues, est un Genevois nommé Cubi, que j’avais engagé à Thonon78
Dessaix et Folliet précisent en note que le tableau est conservé dans la collection de madame Édouard Dessaix, à Thonon. Or, dans un article intitulé « La singulière histoire du tableau de la bataille de Mori », paru dans Le Dauphiné libéré du 4 octobre 2015, Joseph Ticon est le premier à soulever une complexité, insoupçonnée au départ, dans l’historique de provenance de l’œuvre acquise par le musée en 2008, en raison de la découverte de la lettre de Pinget aux Archives départementales de Haute-Savoie, dont l’extrait suivant apporte des précisions intéressantes :
Je me suis procuré des toiles de dimensions suffisantes, pour copier ce portrait. Si vous voulez bien me le permettre je vous offrirai l’une de ces copies, j’en remettrai une à Madame Dessaix et je garderai l’autre pour moi-même, car, à la suite de nos malheurs de famille, je n’ai pas voulu que ce tableau quittât la famille Pinget pour s’égarer chez ces abominables Piccot, et je l’ai fait donner à mon frère79 .
Ainsi, comment ce tableau a-t-il pu à la fois appartenir, à la fin du xixe siècle, au frère de Pinget et à madame Édouard Dessaix ? S’il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que l’œuvre conservée au musée du Chablais est bien l’original exécuté en 1796, provenant initialement de la collection Pinget puisque l’abbé avait envisagé d’en offrir une copie à madame Dessaix, il semblerait qu’en définitive l’exemplaire autographe ait aussi appartenu à cette dernière. La précision apportée par André Folliet et Joseph Dessaix au sujet du portrait peint sur ivoire rapporté sur la gouache conservée dans la collection Dessaix est irréfutable. Ainsi, le frère de l’abbé Pinget aurait-il finalement transmis ce portrait à Madame Édouard Dessaix ?
C’est, dans l’état des connaissances actuelles, l’hypothèse la plus vraisemblable. Quoiqu’il en soit, cette gouache est un véritable récit circonstancié de l’événement, rapporté dans les différentes biographies du futur général, ainsi que dans l’ouvrage consacré aux volontaires de la Savoie80
Face aux grenadiers hongrois, Dessaix, en uniforme de colonel, commande les troupes de sa demi-brigade d’infanterie légère. Son cheval gît au sol derrière lui, conformément au récit rédigé par son frère dans sa lettre précitée, qui permet également d’identifier le soldat Cubi, dont les jambes déchiquetées sont coincées sous le tube d’un canon éjecté de son affût par la violence des tirs d’artillerie. Les carabiniers sont reconnaissables à leurs shakos et à leurs uniformes entièrement bleus aux distinctivest écarlate et argent.
L’unité est composée des anciens 1er et 2e bataillons de la légion des Allobroges, auxquels s’ajoute le 4e bataillon de chasseurs. Ces derniers, aux épaulettes vertes – qui paraissent bleues ici, de même que les plumets des shakos, en raison d’un vieillissement du pigment81 –, sont au contact des Autrichiens, que l’on voit se replier et franchir les ponts de bateaux provisoires jetés sur l’Adige, à l’arrière-plan, par les pontonniers du génie. Les carabiniers à pied, que l’on identifie à leurs épaulettes, à leurs plumets et aux cordons-raquettes écarlates de leurs shakos, massés au premier plan à droite, s’avancent en bon ordre, au son du tambour qui marque le pas. L’impressionnante muraille humaine qu’ils forment, à droite, et le calme qui se dégage de leur attitude imposante, destinée à impressionner l’adversaire en vue de prendre l’ascendant moral sur lui, contrastent avec la violence de la
lutte et les nombreuses pertes qui en résultent. Le sol du premier plan est jonché de cadavres et de blessés. On identifie également, à travers les épais nuages de fumée provoqués par le feu nourri des fusils et des canons, les grenadiers hongrois, vêtus de leurs pantalons gris de fer, qui fournissent une résistance farouche, allant jusqu’à se battre à coups de crosse lorsqu’ils n’ont plus de munitions face aux chasseurs à pied. Ces derniers continuent, imperturbables, à recharger leurs armes et à tirer avec calme et détermination en dépit des pertes importantes qui les frappent et s’accumulent à leurs pieds.
Le peintre a cherché à montrer le mouvement autant que l’intensité du combat, auquel semblent répondre les flots impétueux de l’Adige qui dévalent le long des pentes rocheuses à la vitesse d’un torrent rugissant. La figure centrale de Dessaix est mise en valeur par sa taille plus imposante que celle des autres protagonistes et par l’effet de relief produit par l’ivoire rapporté, dont la mince épaisseur atteste une certaine maîtrise technique de la part de l’auteur. La présence d’une flèche sur l’eau indique le sens du courant et atteste l’ambition de précision topographique recherchée par l’artiste : bien que le paysage soit rendu de manière relativement naïve, la géographie a été étudiée avec soin et dessinée directement sur le motif.
Cette œuvre, en dépit de sa facture maladroite, constitue un témoignage particulièrement précieux dédié à la représentation de l’un des faits d’armes marquants de la carrière du futur général d’Empire, mais aussi de la valeur militaire des Allobroges.
76. Série 43 J 1624. Lettre retranscrite et communiquée par Joseph Ticon, président de l’Académie chablaisienne.
77. Une telle erreur d’identification venant d’un officier, lui-même acteur de l’événement, est surprenante, puisque les soldats représentés sont des carabiniers à pied et non des grenadiers. Il est possible que François Dessaix ait confondu avec les grenadiers de la 25e demibrigade de ligne, venus appuyer l’assaut de la 4e demi-brigade légère sur les batteries autrichiennes défendant la position de Mori.
78. Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879 ; Martial Chablais, Le Général Dessaix, Thononles-Bains, Jules Masson, 1910 ; André Folliet, Les volontaires de la Savoie, 1792-1799, Paris, Librairie militaire de L. Baudouin et Cie, 1887.
79. Série 43 J 1624, op. cit
80. Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879 ; Martial Chablais, Le Général Dessaix, Thononles-Bains, Jules Masson, 1910 ; André Folliet, Les volontaires de la Savoie, 1792-1799, Paris, Librairie militaire de L. Baudouin et Cie, 1887.
81. Ce fait est particulièrement fréquent sur les textiles de cette époque, ce que nous avons pu constater sur plusieurs uniformes du Premier Empire conservés, à l’image notamment de deux uniformes de colonel des chasseurs à cheval de la Garde ayant appartenu à Napoléon Ier dont la couleur vert foncé initiale a tourné au bleu. Ces deux habits-vestes sont respectivement conservés aux musées de Sens et au Palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio.
GILET CIVIL
Vers 1804-1815
Tissu façonné de soie crème et filet d’argent doré, doublure de sergé de soie crème, dos en coton sergé, paillettes, filés et cannetilles d’or, cabochons de verre
51 cm (H) x 92 cm (L)
Inv. : 1955.2.1
Historique : Achat collection Ponet-Bordeau (1955.2.1), restauré en 2005 au musée des Tissus de Lyon (intervention menée dans le cadre du FRAR cofinancé par l’État et la Région Rhône-Alpes)
Ce gilet d’homme était porté sous l’habit civil. Sa forme droite, s’arrêtant à la taille, ainsi que le collet montant, permettent de le dater entre la fin du Consulat et le Premier Empire. La qualité des matériaux employés, le soin raffiné de la broderie, restée d’une grande fraîcheur, ainsi que le décor composé de rinceaux végétaux stylisés, de pampres de vigne et de grappes de raisin, attestent qu’il a appartenu à un notable fortuné de l’Empire, voire à un officier supérieur qui pouvait le porter revêtu de l’habit civil, circonstance rare, mais probable dans le cadre de permissions en dehors du service.
Le décor, inspiré de l’Antiquité, est caractéristique de la période, qui voit l’essor du style néoclassique. Le musée des Arts décoratifs conserve dans ses collections un gilet datant de la période 1800-1830 reproduisant des motifs comparables, preuve que ces rinceaux avaient recueilli un certain succès dans la mode civile de l’époque.
SABRE À L'ORIENTALE
du général de division Pierre-Louis Dupas (1761-1823)
Ce sabre à l’orientale a probablement été récupéré par Dupas sur un champ de bataille, lors de la campagne d’Égypte. La ligne et les formes épurées de ces sabres courbes ont en effet séduit bon nombre d’officiers de l’expédition, qui en ont rapporté en France, contribuant à la diffusion du style « retour d’Égypte » dans la fabrication de l’armement, notamment à destination des officiers et plus particulièrement des officiers de cavalerie légère et d’état-major, déjà équipés de sabres à lame courbe.
Empire Ottoman
Seconde moitié du xviiie siècle Laiton doré, corne, acier damasquiné et bleui, chagrin 96,5 cm (L)
Inscriptions : J’ESPÈRE EN L’AIDE ET / L’AMOUR D’ALLAH (traduction de l’inscription en arabe présente à l’avers de la lame) DUPAS / CHEF DE B.ON ~ (au revers de la lame)
Inv. : 2016.1.1
Historique : Vente publique Paris, 11 avril 2014. Achat collection Patrick Mornet en 2016
Aude NICOLAS est docteur en histoire de l’art et diplômée de l’École du Louvre. Spécialiste en histoire de l’art du xixe siècle et en patrimoine et archéologie militaires, chercheur associé au Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham-UR 15507) de l’Université de Poitiers et à l’équipe de recherche de l’École du Louvre, elle est également chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Auteur de nombreux articles et ouvrages dans le domaine des militaria, elle est lauréate du Prix des Cadets des Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan en 2019 pour son livre Le Général Lasalle (1775-1809). L’héritage d’une légende, paru aux éditions Bernard Giovanangeli en 2018. Sa thèse de doctorat a été publiée en 2019 aux éditions Bernard Giovanangeli sous le titre L’art et la bataille : les campagnes d’Italie (1800 et 1859). Son dernier ouvrage en date, intitulé Du terrain à l’atelier. L’artiste témoin du combat (xviie-xixe siècles), est paru aux éditions Memoring en 2021.
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
Édition Libel, Lyon www.editions-libel.fr
Conception graphique Cecilia Gérard
Photogravure Résolution HD, Lyon
Impression Kopa
Dépôt légal Avril 2023
ISBN 978-2-491924-33-1
© ETH Productions p. 16, p. 20, p. 89-90
© Archives de Thonon-les-Bains p. 24
© Assemblée nationale (2023) p. 51
© BNF (2023) p. 63, p. 111
© Vidalie éditions p. 59 à 61
© Alain Dubouloz pour toutes les prises de vue (sauf mention contraire)
Illustration de couverture : Habit de petit uniforme du général Louis-Pierre-Aimé Chastel (détail). Cf. notice p. 100.
Les noms des généraux Dupas, Dessaix et Chastel sont gravés sur les piliers de l’Arc de Triomphe de l’Étoile. Reconnus sous le Premier Empire pour leurs mérites militaires et leurs actes héroïques sur le champ de bataille, estimés de leurs soldats comme de l’empereur Napoléon Ier, ils sont pourtant tombés dans l’oubli. Même en Savoie, dont ils étaient tous trois originaires, leur souvenir demeure confidentiel. Le musée de la Ville de Thonon-les-Bains conserve un ensemble exceptionnel d’uniformes, d’armes et d’objets ayant appartenu à ces trois officiers, nés cousins germains, qui avaient commencé leur carrière militaire sous la Révolution française au sein de la légion des Allobroges. Le présent ouvrage propose, en s’appuyant sur l’analyse des œuvres et des objets conservés liés à ces généraux, d’évoquer leurs parcours et de mettre en valeur leurs qualités de chefs dans l’exercice du commandement, dont les préceptes constituent, encore aujourd’hui, les fondements du caractère moral de l’officier. Un ensemble de notices détaillées complète cette approche, permettant de découvrir toute la richesse de cette collection muséale inédite.
Aude NICOLAS est docteur en histoire de l’art. Diplômée de l’École du Louvre, elle est spécialiste en histoire de l’art du xixe siècle et en patrimoine et archéologie militaires.