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Sac à dos et libido

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ANTONIO FISCHETTI

Le zèle du désir

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Tel un cartographe de l’intime, Antonio Fischetti, journaliste scientifique pour Charlie Hebdo et chroniqueur "voyage", inventorie depuis une dizaine d’années les pratiques amoureuses et sexuelles d’un bout à l’autre de la planète. Étonnantes, excitantes ou carrément révoltantes, ces croyances et coutumes racontent beaucoup du monde dans lequel on vit (et jouit). Interview sans tabous à l’occasion de la parution de son recueil de chroniques, Sac à dos et libido. L’été sera chaud !

Comment passe-t-on de journaliste scientifique à explorateur des sexualités ?

Tout est parti d’une conversation avec Charb* et un ami turc. Nous parlions de musique quand cet ami s’est mis à rire, nous expliquant que l’expression "jouer du saxophone", dans son pays, signifiait "faire une fellation". J’ai trouvé ça drôle, et cette discussion a abouti au livre Éternuer dans le chou-fleur et autres métaphores sexuelles à travers le monde. De façon générale, cela m’amuse de répondre à des questions a priori saugrenues. J'ai abordé le sujet comme un journaliste scientifique mêlant des témoignages, du reportage et des études d’anthropologues, d’ethnologues, de démographes, de médecins.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans les pratiques romantiques, sexuelles ou matrimoniales des sociétés du monde entier ?

Je crois que les mœurs et les croyances disent beaucoup de la mentalité d’un peuple.

« Les codes sexuels divergent souvent d'un continent à l'autre. »

Parfois en bien, parfois en moins bien, comme dans le cas de certains pays islamistes qui emprisonnent les homosexuel.les. Les codes sexuels divergent souvent d'un continent à l'autre. Au Japon, on ne devinera jamais la toison pubienne d’une femme, qui a d'ailleurs toujours l’air extrêmement jeune.

Couverture Sac à dos et libido © Sébastien Mourrain, JC Lattès

En revanche, les rapports sadomasochistes ne sont pas aussi marginaux que chez nous. Cela montre un rapport singulier à la jeunesse, à la soumission. Il n’existe pas mille ingrédients pour faire l’amour, mais il existe mille façons de les accommoder.

On découvre dans votre livre de curieuses coutumes, à rebours des codes de nos sociétés occidentales. Quelles sont celles qui vous ont le plus étonné ?

J’en reviens au Japon, car il y a une incroyable diversité dans les pratiques. À Tokyo, les gens peuvent acheter des "love dolls", qui sont bien plus qu’un simple accessoire sexuel. Je décris aussi les possibilités offertes par certains casques de réalité virtuelle, où l’on a l’impression qu'une femme se trouve à côté de nous, en chair et en os.

On est dans le monde du fantasme. J’ai aussi interviewé un maître du bondage, qui lie cette pratique au fait d’attacher, plier, manipuler, comme dans l’origami. Il y a tout un soubassement culturel derrière.

« Il faut continuer à lutter contre les stéréotypes dominateurs. »

Quelles seraient celles qui vous ont le plus amusé ?

Disons que j’aime la liberté des corps que l’on observe en Amérique du Sud.

D’autres révèlent aussi un machisme profond. Certaines vous ont-elles choqué ?

On peut parler du "dry sex", ou "sexe à sec", une coutume répandue dans certains pays d’Afrique, supposant que plus le vagin des femmes est sec et abrasif, plus les hommes en retirerait du plaisir - mais les femmes de la souffrance...

Vous pointez à plusieurs reprises la misogynie de certaines pratiques. Les femmes ne sont-elles pas les grandes perdantes de nos habitudes et législations sexuelles ?

Oui, et ce n’est hélas pas surprenant quand on observe la domination masculine dans la plupart des sociétés. Pour autant, la loi est plus dure quand il s’agit de réprimer l’homosexualité masculine. Ainsi, les peines sont beaucoup plus lourdes en Iran pour les couples d’hommes, risquant une condamnation à mort, que pour les femmes.

Il y a des pays où les transsexuel.les sont mieux accepté.es que dans notre société…

En Thaïlande, les "ladyboys" ont droit de cité, bien plus qu’en France. Beaucoup de cliniques dans le pays se sont spécialisées dans le changement de sexe. Selon la philosophie bouddhiste, on peut être réincarné en tout, y compris en transsexuel.le, c’est pourquoi il vaut mieux être sympa avec eux…

Selon vous, se dirige-t-on vers une sexualité de plus en plus libérée ?

Globalement, dans les pays occidentaux, nous avons progressé sur l’acceptation des trans et homos, mais ce n’est pas le cas partout dans le monde. Il faut continuer à lutter contre les inégalités, les stéréotypes dominateurs, les mutilations en tous genres. Enfin, le fait d'avoir accès à n'importe quelle scène de sexe sur nos écrans ne procure pas davantage d’excitation. Je crois que le sexe, en général, a besoin d’un peu d’interdit, du plaisir de la transgression. Si tout le monde était à poil tout le temps, ça ne serait plus très amusant !

Propos recueillis par Marine Durand

À lire / Sac à dos et libido. Les pays racontés par leur sexualité, Antonio Fischetti (JC Lattès), 208 p., 18€, www.editions-jclattes.fr Éternuer dans le chou-fleur et autres métaphores sexuelles à travers le monde, Antonio Fischetti & Charb (Les Échappés, 2009), 139 p., 17€, lesechappes.com L’Angoisse du morpion avant le coït : 36 questions que vous ne vous êtes jamais posées sur le sexe, Antonio Fischetti & Charb (Albin Michel, 2011), 272 p., 17,75€, www.albin-michel.fr

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