TABLE OF CONTENTS 2
Nous sommes le 14 septembre 2021. Cette musique réussit (assez facilement, je vous le concède) à m’extirper de mes révisions et à me conduire vers le Glass Hallway. Du rap à Sciences Po ? Que dis-je, du bon rap à Sciences Po ? C’était inespéré.
Au lendemain de mon admission, j’étais persuadé que je devrais nécessairement annihiler mon amour pour le hip-hop ou du moins la mettre de côté afin de naviguer les eaux troubles de ce que les plus crédules désignent comme étant “l’élite de la nation”.
Fort heureusement, la ghettoïsation
a eu raison de notre illustre institution et c’est avec une émotion immense que j’entends la douce voix de JUL résonner au sein de nos murs. Je découvre alors le Seize, un groupe hétéroclite uni par sa passion pour la musique, les sneakers et les blagues de mauvais goût. Surtout, un groupe déterminé à promouvoir cette chère sous culture d’analphabètes à travers notre campus.
La tâche est ardue. Apprécier une culture sans se l’approprier et sans pour autant s’embourber dans une dichotomie réductrice contraire avec l’idée même de partage demande une certaine gymnastique. Néanmoins, bien que semé d’embûches, le chemin mérite d’être emprunté et c’est la mission que s’est donnée l’asso préférée de ton asso préférée.
Ce magazine, loin d’avoir la prétention d’être un florilège de grandes œuvres littéraires, est le fruit de plusieurs semaines de tra-
vail. De la sueur, des larmes, des pages blanches et d’autres un peu trop remplies : nous avons donné le meilleur de nous-même pour tenter de vous partager des bouts de notre passion pour la culture hip-hop et ses enjeux.
Merci à Benoît Sleiman, Safia Larjadane, Judy Gabriel, Yann Legloan et Klea Varvoglis pour ces articles. Merci à Mathilde Requier, Solal Fremiot et Judy Gabriel pour avoir transformé ces derniers en œuvres d’art. Merci à toute l’ekip pour cette énergie immaculée Enfin, merci à toi qui soutiens le Seize de près ou de loin et qui nous permet de réaliser ce projet; on espère sincèrement qu’il te plaira. Vive le hip-hop, vive le Seize !
PRESIDENT’S LETTER 3
LE SEIZESEIZE
2022 INTROS 4
SEIZE
2023 5 INTROS
LE SEIZE
LE ZEeiS
INTROS 6
LE Seize 7 INTROS
focus on: dapper dan
PAR NAFAYE HATUBO
De son vrai nom Daniel Dan, Dapper Dan est l’une des figures les plus emblématiques du streetwear et surtout de ses liens avec le monde du luxe.
Pur produit d’Harlem, l’un des quartiers les plus pauvres de New York dans les années 80; ce créateur de mode à complètement redistribué les cartes à une époque où la culture hip-hop et plus particulièrement les communautés non blanches étaient complètement ignorées par les grandes maisons de luxe.
La couture constitue alors pour Dapper Dan un moyen d’échapper à sa condition d’une part mais surtout une manière de pallier au problème d’exclusion des classes populaires dans le monde de la mode tout en créant un
univers unique en son genre.
FEATURE 8
Le groupe Salt-N-Pepa en Dapper Dan, Photo
de Janette Beckman, 1987 (Edited).
Bobby Brown in custom Gucci by Dapper Dan. Photo by Ernie Paniccioli at Hotel Le Parker-Meridian, 1988 (Edited).
Dapper Dan in his boutique wearing his own custom clothing. Photo by NY Times, 1987 (Edited).
Dapper Dan and Mike Tyson, Unknown (Edited).
Création de Dapper de Alessandro Michele,
Sensible aux idées de Malcom X, il s’engage au sein du mouvement pour les droits civiques et voyage en Afrique à cette occasion. Ce voyage constitue alors un tournant dans son art car c’est dans des pays comme le Liberia qu’il découvre et qu’il s’initie aux imprimés wax. En effet, Dapper Dan utilisera ces tissus aux motifs très colorés et les combinera aux logos des maisons comme Gucci ou Louis Vuitton pour créer un style remarquable combinant culture hip-hop et monde de la haute couture. Connu dans Harlem, il a habillé les plus grandes figures du monde du hip-hop. Des sportifs comme Mike Tyson, aux rappeurs comme en Eric B & Rakim en passant par les plus gros trafiquants de drogue; tout Harlem connaissait la boutique de Dapper Dan.
vol ou inspiration?
Malheureusement, en reproduisant les logos de ces grandes maisons de luxe sans permission; Dapper Dan s’attire très rapidement les foudres de Fendi, Gucci et Dior qui engagent des poursuites judiciaires à son encontre. C’est alors en 1992 que le FBI ferme sa boutique de force à Harlem pour contrefaçon.
Cependant, ce n’est pas la fin de l’histoire pour Dapper Dan qui se retrouve 25 ans plus tard au cœur de l’actualité. Cette fois-ci, c’est Alessandro Michele, représentant de la maison Gucci qui est accusé d’avoir volé un modèle de veste conçu à l’époque par Dapper Dan. Si la maison s’est défendu en arguant qu’elle voulait rendre hommage au créateur, la pression de l’opinion publique l’a grandement poussé à entamer une collaboration avec le natif d’Harlem. C’est ainsi le début de la consécration pour le créateur qui voit son art enfin mis en avant par des marques qui le méprisait quelques années auparavant et qui aujourd’hui s’inspire de ses travaux.
de paria à légende de la mode
Complètement en rupture avec les standards de la haute couture de l’époque caractérisés par le minimalisme et l’utilisation de matière noble; Dapper Dan a considérablement influencé le streetwear dans sa manière de rendre tendance les joggings ou encore les grosses chaînes en or à une époque où ce n’était pas socialement acceptable.
Le plus grand exemple de son influence dans le monde de la mode est la logomania définie par la mise en valeur des logos à outrance. Considérée cheap pendant longtemps, elle devient une tendance 30 ans après; lorsqu’elle est reprise par les grandes maisons de luxe.
Visionnaire, Dapper Dan est aujourd’hui une légende tant il a contribué à la démocratisation du streetwear et à l’intégration de la culture hip-hop dans le monde fermé de la haute couture.
En 2021, c’est la consécration : il obtient le Geoffrey Beene l’un des prix le plus prestigieux dans le monde de la mode décerné par le Council of Fashions of America (CFDA). Il devient alors le premier créateur sans défilé de mode à remporter le prix et consolide durablement son statut d’icône et de pionnier de la culture hip-hop.
la révolution à coup d’aiguilles
9 FEATURE
Eric B & Rakim portant des blousons signés Dapper Dan sur la cover de l’album “Follow the Leader,” 1988 (Edited).
Jam Master (Run DMC) en Dapper Dan, 1988 (Edited). Dapper Dan, 1980’s, à gauche création Michele, 2017, à droite (Edited).
Dapper Dan, Made in Harlem : A Memoir , 2019 (Edited).
FEATURE 10
Slum Village, Unknown. (Edited)
BY YANN LE GLOAN
If MF DOOM was “your favorite rapper’s favorite rapper”, J Dilla was your producer’s favorite producer. James DeWitt Yancey, alias JayDee or J-Dilla, emerged in the mid 90’s with his group Slum Village. Producer of many classics of that era, from Common to A Tribe Called Quest, he remains to this day perhaps the most influential beatmaker of all time. Let us explore what made him so great.
Let’s first make sure we’re all on the same page and go over what a sample is as well as what it’s used for. Sampling is the art of using a segment of a previous piece of music, to transform it and use it again - «chopping» refers to how that segment of music will be cut, while «flipping a sample» refers to how the original song as a whole will be transferred to fit into a new artistic piece. Here is a cool example of how Family Circle’s Mariya (1976), and The Honey Drippers’ Impeach the President (1974) were chopped and
flipped in the making of J. Cole’s Wet Dreamz. Hope you got the idea. Early hip hop producers did not have at their disposal bands or musicians - as such, the beginnings of hip hop and rap relied on samples of drum solos and bridges from jazz funk and RnB. Rappers and dancers would then dance or rhyme over the looped chopped segments. To this day, sampling remains at the heart of hip hop culture as production heavily revolves around flipping old tunes - artists such as J-Dilla in the 90s and 2000’s show us the complexity, depth, richness and beauty of finding the right sample and flipping it accordingly.
With the arrival of new gear like the Akai MPC-60, that combined both sampler and drum machines, beatmakers were given unprecedented liberty. From those machines emerged an album that beautifully illustrates sampling as an artform: J-Dilla’s Donuts.
11 FEATURE
Dilla would start the making of the album in 2005, after his diagnosis of a lethal blood disease, and record almost the entirety of the project from his hospital bed… Dilla only had a couple of years to live. Deemed “too underground” at first, and with his label fearing catastrophic sales, the tape would be published only a year later in 2006, three days before his passing at the young age of 32. The album is an ensemble of snippets, images and colors, brought together on a 31 song tape, most tracks barely crossing the minute thirty. Each
beat draws from soul and funk influences of the 70’s and 80’s, morphing, merging classic grooves, base-lines and vocals to create something new. From his bed, using a few vinyls and the 8 pads of his SP-303, Dilla encapsulated the thoughts of a dying man in what he knew would be his last work: his magnum opus. Here lies the power of the sample - it tells a story without words, gives depth by allowing instrumentals to draw on past eras political, social and musical environments to carry legacy- Jay Dee’s Gobstopper sampled Luther Ingram’s RnB track
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To The Other Man (1972), Nas’ 2014 track The Season, sampled Jay Dee’s Gobstopper. More than instruments, songs are alive: they are to be transformed, reinterpretted, and samplers are what keeps their heart pulsing. Songs based upon samples are later sampled again, as is the case with Nas’ The Season and countless others. This makes for loops of artistic expression, merging genres and sounds which edges Hip Hop forward with every release, but never letting go of history and culture. Let’s dig a little deeper and focus on a track off of the album: Don’t
Cry. I invite you to have a listen beforehand, so you have it in mind before I ramble! The sample, I Can’t Stand (To See You Cry) (1973) by The Escorts (70’s R&b and Soul group) carries the weight of a heartbreaking love song. Dilla plays the sample in its entirety in the opening 30 seconds, to then show how he managed to sublimate it, without denaturalizing the original groove. He chops a section of the song less than a minute long into 20 different segments- check out the making of Don’t Cry’s pattern. Incredible right? His ability to reconstruct and remodel but always keeping the essence and vibe of the track he is sampling is unmatched. He alternates between these different sections - the chorus without the drum pattern on one hand, chopped harmonies and vocals on the other. These melodic bursts clash with the melancholy of the unscathed «I can’t stand to see you cry». Throughout, samples of a woman crying are used as percussion elements, resembling the sound of a high hat. Using tears to make music: heartbreakingly symbolic. Dilla transforms Don’t Cry into a goodbye to those he loves, asking them not to cry as his health slowly degrades. The meaning of the sampled song is not disregarded, it is simply reinterpreted.
Sampling is a way to show homage, to present to listeners personal influences, all while showing personality and identity through singular and new artistic expression. Sampling is not plagiarizing or a lack of creativity. What do I mean by this? That very same Luther Ingram piece sampled in Gobstopper mentioned above is sampled in another beat off the Donuts tape (One for Ghost), and both are fundamentally different. Dilla gives distinct textures to the two tracks, pushing forward different messages. The art of sampling encompasses both the ability to «dig crates» (finding old songs and obscure sounds) as well as the way it will be utilized. In putting these
MIDI Production Center 3000 Limited Edition used by J Dilla, National Museum Of African American History and Culture, 2000. (Edited)
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tracks one after the other on the album, Dilla shows his versatility, his capacity to bend songs and create whatever he wants from whatever he has. It was his way of showing off, making listeners understand just how good of a producer he was. This brief overview of J-Dilla’s Donuts is to be seen neither as an analysis, nor a critique, but rather as an invitation. All I am trying to do is make you want to whip out your phone and press play. The album displays sampling and hip hop production at its best. It transmits crude emotions all without a single lyric and condenses in each track and with every second a richness in layering that makes every listen seem like the first. J Dilla did not quantize his drum patterns, meaning he laid them down on the pads and did not go back to fix the rhythmic imperfections: the “Dilla Swing’’, or “drunk swing” gave his music a unique texture and flow. He made the machines on which he composed seem human. The listener is bombarded with sounds, samples
left and right, over off quiltered and funky rhythms. Donuts tells a story. The story is different for everyone who listens, making it a fascinating album to explore. The short beats condensed on a single tape make this album, more than any other, feel like a coherent yet chaotic whole - don’t let me dig into it alone... Find out what it has to say for you and give it a listen! Check out all the samples, how they were flipped, the odd drum patterns, the raw emotion that emanates from what at first seems like an ordinary beat tape. It’s difficult to establish the extent of J-Dilla’s legacy; he for sure changed the face of hip hop in the early 2000’s. Albums such Madlib’s Pinata, Earl Sweatshirt’s Some Rap Songs and The Alchemist’s This Thing of Ours are still proof of his long lasting influence. (a playlist with some of his beats I like is attached, hope you enjoy.) Rest in Peace J-Dilla.
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J Dilla, Donuts, original cover, 2006.
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J Dilla at the studio, Unknown. (Edited)
Meufia, M.L.F: Nouvel R album cover, 2000 (Edited).
LES FEMMES POSSÈDENTELLES UNE PLACE SECONDAIRE DANS LE RAP FRANÇAIS?
PAR SAFIA LARDJANE
Quand on entend « Rap français » on entend Booba, Damso ou encore PNL en bref une bonne dose de virilité parsemée de bonne punchlines, trépassant parfois les règles primaires du respect des femmes. Malgré une occupation majoritairement masculine sur la scène du Rap français, les rappeuses françaises existent bien et apportent à elles toutes une vision différente du Rap. Pourtant le Rap créé par des femmes, on lui donne un nom: « Rap féminin ». Le rap féminin est un terme utilisé pour décrire le rap par les femmes et surtout pour les femmes ainsi les femmes rappeuses ne sont qu’un ajout à la discipline et sont alors cantonnées à une seule et même branche du Rap français ou plutôt à un sous-genre.
Le rap féminin en France se résume principalement à Diam’s, Shay ou encore Chilla. Nous avons tendance à placer ces rappeuses dans une et même catégorie pour unique et seule raison qu’elles sont des femmes. Pourtant, il nous est impossible de comparer le Rap que produisait Diam’s à l’époque de Brut de femme avec des sons comme Ma souffrance ou 1980 avec le style de Shay dans Jolie Garce ou encore Antidote avec des sons tels que PMW ou Liquide. De par leurs musicalités différentes, deux époques différentes ainsi que deux messages différents, l’idée de trouver des similarités dans ces deux artistes par le seul fait qu’elles soient
femme revient à les placer (in)consciemment dans une même catégorie. Leurs singularités respectives ne peuvent nous permettre de les cantonner à une même catégorie de rap.
Nous pourrions parler du groupe Meufia dont faisait notamment partie la rappeuse Sévère, qui prônait un rap conscient et féministe dans le début des années 2000 et qui n’avait pas reçu le même accueil qu’ IAM ou encore NTM malgré des textes tout aussi politisés. Prenons pour exemple un de leur titre phare: MLF (Mouvement de libération de la femme) sorti en 2000. Ce manque de notoriété subi par ce groupe exclusivement féminin à une époque où les groupes masculins se multiplient et gagnent en popularité marque encore la place secondaire des femmes dans le Rap français. Le groupe Meufia a fini par se séparer et aucune des membres du collectif n’a réussi à bâtir une carrière solo.
En parlant de groupe de rap féminin, l’un des featurings 100% féminin ayant connu un franc succès sur la scène de rap française c’est le son AHOO qui est un featuring entre cinq rappeuses aux styles de rap différents: Chilla, Davinhor, Le Juiice, Vicky R et
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Davinhor, Photo de Benjamin Ranger, 2022 (Edited).
Clip AHOO de Chilla, Bianca Costa, Davinhor, Le Juiice, Vicky R, 2021 (Edited).
Bianca Costa issue d’une collaboration établie lors du documentaire Reine diffusé par Canal plus. Cette absence de featuring intégralement féminin prouve la classification de sous-genre des rappeuses féminines donnant l’impression qu’elles ne peuvent collaborer et amener deux visions différentes du rap, les plaçant encore et toujours dans la catégorie d’un sous-genre. Nous pourrions ajouter à cette réflexion qu’il est presque impossible de trouver un rappeur sortir un featuring avec une rappeuse dans l’album de cette dernière . En effet, le dernier featuring mainstream rappeur/rappeuse apparue dans un album de rappeuse a été dans l’album Antidote de Shay avec en featuring Niska en 2019 qui avait d’ailleurs soulevé une polémique sur la misogynie dans le milieux du rap français.
Le rap n’est pas la première discipline musicale qui favorise les hommes, le rock l’avait été avant pour exemple. Le rap est une discipline qui reste extrêmement genrée mais qui n’est pas seulement réservée aux hommes. Les femmes continuent le combat afin d’être considérées comme des rappeuses avec des genres et styles musicaux différents. Mais je ne peux me résigner à dire que les femmes ont un rôle secondaire dans le rap quand elles sont le sujet principal d’une (très) grande partie des sons mainstreams actuels. Que resterait-il du rap français sans que le sujet des femmes soit abordé? À mon humble avis, que des lambeaux. Qu’elle soit abordée par le thème de la mère, de la sœur, de la fille ou encore de
la partenaire (sexuelle), la femme reste la muse de la majorité des sons qui remplissent nos playlists. Certaines carrières de rappeurs reposent entièrement sur des sons qui traitent des femmes et qui possèdent un public majoritairement féminin qu’on qualifie souvent de Rappeur loveur comme Squidji par exemple. Il est d’ailleurs inconcevable de placer les femmes comme secondaires dans le rap français quand elles représentent une grande part des auditeurs de rap actuels. Je pourrai concevoir que l’écoute de rap (et le Rap en général) peut être vu comme classiste. En effet, le rap et le hip hop avait pour base de créer un mépris de classe envers les classes dominantes mais l’écoute de rap n’est en aucun cas un hobby genré, c’est art qui se voulait certe dénonciateur mais pas sexiste ce qui fait des auditrices, des éléments principales de l’industrie du Rap français tout autant que les hommes. Enfin, il m’est impossible de déclarer que les femmes tiennent une place secondaire dans le rap français quand il existe des femmes comme Marie-France Brière, sans qui, le rap français n’aurait pas eu la même histoire. Les femmes dans le rap français sont loin d’être secondaires, elles ne sont que moins visibles. Je finirai par cette citation de Queen Latifah qui résume le combat de l’industrie du rap actuel à effectuer en faveur du combat des femmes: “To me, hip hop will never be right until female rappers have a stronger voice in it.”
To me, hip hop will never be right until female rappers have a stronger voice in it. - Queen Latifah
“ “ 17 OPINION
Diam’s live pendant le 63ee Festival de Cannes, photo par Gorassini Giancarlo, 2010 (Edited).
Chilla, Unknown (Edited).
Clip Jolie de Shay, 2019 (Edited).
LE RAP NIQUE-TIL VRAIMENT LES PDGS?
PAR NAFAYE HATUBO
LE RAP NIQUET-IL VRAIMENT LES PDGS?
Niquer les PDG, vive l’argent du rinté”, scandent fièrement nos sciences pistes lors des légendaires TrapHouse du 16. Leurs parents, pour la plupart, eux-mêmes PDG ; tomberaient sûrement des nues en voyant leurs enfants dans un tel état de transe à l’écoute du morceau RR91 du rappeur Niska en featuring avec Koba la D. Et pour cause, cette phrase, scandée par le rappeur, pourrait suffire à lui attribuer des tendances marxistes. En effet le fameux “niquer les PDG” peut être analysé comme un appel à renverser la classe sociale dominante, donc les bourgeois qui sont ici incarnés par la figure contemporaine du pdg. Cependant, la suite du morceau suffit pour balayer d’un revers la théorie selon laquelle Niska serait le nouveau Marx du 91. En effet, par un éloge au “rinté”, endroit où l’on vend des stupéfiants ; le rappeur promeut non pas une émancipation au profit de tous comme l’utopie communiste l’entend,
mais plutôt une émancipation individuelle grâce à l’économie souterraine engrangée par le narcotrafic. Il n’est pas question ici de détruire les structures privilégiant les PDG au détriment du reste de la société, mais bien de devenir PDG à son tour, par d’autres moyens.
À mon sens, cet exemple illustre parfaitement l’évolution de la relation complexe entre les rappeurs et le capitalisme. Car si le rap s’est d’abord construit sur la haine de ce système, il s’est peu à peu imprégné de celui-ci jusqu’à le promouvoir. Cette contradiction apparente fait parfois grincer des dents les adeptes du rap “de nos grands frères” qui déplorent que la démocratisation de ce genre soit synonyme de dilution de son essence contestataire. Alors, le rap a-t-il donné son cul au grand Capital ?
OPINION 18
OUR ‘VALUES’ HAVE SHIFTED FROM LIFEAFFIRMING QUALITIES TO A DEATH PROGRAM OF PROMISCUITY, ANTI-LOVE, DRUG USE, DRUG DEALING, MATERIALISM, VIOLENCE AND CRIMINALITY, AND PEOPLE WHO CLAIM TO LOVE HIP HOP PROMOTE THESE ‘VALUES.’
Rap Rehab 19 OPINION Clip ATM de J. Cole, 2018 (Edited). Clip ATM de J. Cole, 2018 (Edited).
- Lauren Carter, journaliste chez
UNE ORIGINE ANTICAPITALISTE
Le rap à l’origine, c’est une manière d’affirmer une certaine marginalité, c’est se donner une voix dans un monde qui ne nous en donne pas. Dès sa genèse, c’est un genre porteur de discours contestataires mettant en lumière le quotidien de jeunes issus de minorités de l’époque rythmé par le racisme, les violences policières, la pauvreté et l’exclusion sociale. Au fil du temps, il a évolué et s’est diversifié en plusieurs sous-genres différents. Mais dans les années 80, un sous-genre se démarque tout particulièrement et impacte durablement le rap que l’on connaît aujourd’hui.
L’IMPACT DU GANGSTA RAP
En effet, le “reality rap” qui deviendra ensuite le “gangsta rap” a pris une place d’autant plus importante dans l’industrie ; jusqu’à devenir le sousgenre le plus représenté sur la scène médiatique de l’époque. C’est souvent à ce sous-genre auquel ton tonton raciste fait référence lors des dîners de famille quand il désigne le rap comme une musique de “sauvage.” Le gangsta peut être en outre résumé par la célèbre trinité de Lil Wayne : Pussy, Money, Weed. Il est caractérisé par des paroles très crues censées dépeindre le train de vie de gangster s’épanouissant dans la quête de l’argent souvent par le biais de la drogue et jouissant d’un succès qui lui permet de séduire toutes les femmes qu’il convoite.
Et si les disciples du gangsta rap se défendent de toute promotion de la violence en expliquant qu’ils ne font que retranscrire la réalité de leur quotidien; on ne peut réduire l’impact de celui-ci dans la pérennisation de stéréotypes sur les personnes issues de la communauté noir de l’époque et sur la promotion d’un modèle de réussite par le capitalisme. Dans son ouvrage We Real Cool, Black men and Masculinity; l’auteure bell hooks analyse très justement ce phénomène en expliquant que la représentation de personnages noirs aux
[Refrain]
“Munitions, flingues et balles, c’est du rap de droite
Femmes soumises ou à poil, c’est du rap de droite Corruption, copinage, c’est du rap de droite
Slogans chocs, affiches et battes, pour un bon rap de droite”
- IAM, “Rap de droite”
États-Unis dans le gangsta rap tant à renforcer leur hypersexualisation et plus globalement leur déshumanisation en banalisant la violence dans des quartiers noirs. Les références au meurtre par exemple sont monnaie courante et entretenues par la culture des gangs qui a pénétré le champ artistique et qui s’est même vue accentuée par celui-ci. On se vante de tuer pour de l’argent, exhibe de manière ostentatoire les acquisitions matérielles permises grâce aux profits effectuées et promeut une soif de pouvoir toujours plus forte.
À partir de ce moment, les messages portés par le rap ont donc changé ; on est passé de morceaux appelant à renverser des structures oppressantes pour l’émancipation collective de communautés marginalisées à des morceaux appelant à l’émancipation individuelle par la réussite capitaliste.
OPINION 20
UNE CULTURE DE L’INDIVIDUALISME
Si avec le temps, le gangsta rap va peu à peu laisser place à d’autres sous genre, il inscrit durablement son empreinte dans le rap que nous consommons actuellement. En effet, on peut observer encore aujourd’hui une tendance à la glorification de la figure du “self made men” à l’instar de vieux films de gangster comme Scarface ou encore Le Parrain devenus d’ailleurs des références incontournables dans le rap. L’idée d’un homme partis de rien, issus de minorité qui réussit à s’en sortir grâce à une économie parallèle fut et reste le fonds de commerce de beaucoup de rappeurs qui sans le vouloir tiennent parfois un message qui pourrait s’apparenter à une ode à la méritocratie, laissant croire que s’ils ont réussis ; vous le pouvez également. On le retrouve dans le fameux “Started from the bottom now we’re
here” de Drake ou encore le “T’as deux bras, deux jambes ; va braquer ou nique ta mère” de Sadek en 2018 pour Booska P qui usent tout deux d’une rhétorique assez similaire à celle utilisée par les classes dominantes pour légitimer un certain ordre social impliquant l’accumulation de richesses par une élite : “ils ont réussi, car ils ont travaillé pour” nous diront-ils.
Les rappeurs tiennent exactement le même discours, mais l’adaptent à des structures d’économies parallèles comme le narcotrafic en les présentant comme des moyens pour sortir d’une condition miséreuse et atteindre une réussite grâce à l’argent.
21 OPINION Clip 7 sur 7 Koba la D et Freeze
Corleone, 2020 (Edited).
L’HÉGÉMONIE DES MAJORS
En quoi c’est paradoxal ? Comme expliqué précédemment, le rap, dès son origine, s’érige contre une société capitaliste violente envers les communautés dont il est issu. Alors le fait qu’il participe aujourd’hui (volontairement ou non) à la promotion et à la légitimation de ce système peut être vu comme une profonde contradiction surtout pour les anciennes générations ayant assisté à cette rapide évolution. Ce qui dérange également, en France tout particulièrement, c’est la manière dont certains rappeurs continuent à utiliser les codes et l’esthétique propres aux jeunes de banlieue pour vendre leurs disques alors même qu’ils ne vivent plus le quotidien qu’ils dépeignent. Le rap, originellement dissident, tient maintenant des discours soutenant la conformité tout en ne cessant de revendiquer une certaine marginalité. Et par ce processus, les rappeurs s’érigent au rang de représentants de communautés encore marginalisées
tout en tenant des discours allant à l’encontre de l’émancipation de celles-ci. Les violences policières, le racisme institutionnel et les effets néfastes du capitalisme plus globalement sont encore aujourd’hui des réalités que vivent au quotidien les jeunes de banlieue. Le fait que des rappeurs sélectionnent certaines réalités et pas d’autres pour faire de l’esthétique des jeunes de banlieue un fonds de commerce sans jamais se mouiller et prendre position pour défendre leurs droits sonnent comme une immense trahison pour beaucoup. Ce que l’on pourrait désigner comme un manque d’engagement, peut s’expliquer par le succès commercial que le rap connaît lors des années 90. Le rap rapporte désormais, et beaucoup. Au grand bonheur des majors, ces grandes multinationales généralement en charge de la chaîne de production musicale qui règne avec une main de fer sur l’industrie et donne au tournant capitaliste qu’à pris le rap, une tout autre dimension.
OPINION 22 Clip Megadose de Vald, 2017 (Edited).
De la composition à la promotion en passant par l’enregistrement en studio, ces grandes sociétés s’occupent de la capitalisation de la production artistique et s’octroient pour cela la grande majorité des bénéfices générés par les œuvres d’un artiste, lui laissant quelques miettes. Les majors dominent donc presque entièrement l’industrie, leur but étant avant tout de faire le plus de profit possible grâce aux artistes qu’ils signent. Ils distribuent, promeuvent la musique et parfois gèrent l’image des rappeurs de manière à plaire au plus grand nombre et se faisant, tendent à les standardiser. Ce qui, d’une part, cantonnait les rappeurs une certaine image parfois stéréotypée issue du gangsta rap, car c’est ce qui se vendait à l’époque. Et qui d’une autre part, plus récemment; restreint grandement l’innovation musicale en uniformisant les productions de sortes à ce qu’elles rentrent dans le moule qui rapportera le plus d’argent. Alors on ne froisse personne surtout, on ne se mouille pas et on ne prend surtout pas position de peur de froisser les riches hommes blancs à la tête des majors dont on devient peu à peu la vache à lait. Quoi de plus paradoxal que de se faire exploiter en faisant de la musique promouvant l’émancipation individuelle et le fait d’être son seul et unique patron? En plus de la contradiction morale qu’implique la progressive capitalisation du rap, l’hégémonie des majors à un impact concret sur les rappeurs que les majors exploitent allègrement en récoltant la majeure partie des recettes générées et en ayant la main mise sur les droits d’auteur des artistes qu’ils signent.
Autrefois, les majors étaient une porte nécessaire à franchir pour percer, mais aujourd’hui notamment avec Internet ; les rappeurs peuvent être maîtres de leur art et se créer une communauté sans passer par les médias mainstream auxquels seuls les artistes signés en major avaient jadis accès. Ils sont désormais libres de monter leurs propres équipes, souvent ceux avec qui ils ont commencé à faire de la musique. C’est par exemple le cas du groupe PNL avec leur label QLF Records. En effet, en réaction à cette domination des majors, on observe ces dernières années une forte tendance à la création de labels indépendants détenus par les rappeurs eux-mêmes. C’est par exemple le cas de Freeze Corleone, de Jul ou encore d’Alpha Wann pour n’en citer que trois et c’est un phénomène qui ne fait que s’amplifier puisqu’il constitue un moyen pour les artistes d’avoir un contrôle presque total sur leurs productions. En passant “en indé”, ils accèdent à une liberté plus accrue loin des préoccupations de conformité imposées par l’industrie pour mieux vendre. Ils acquièrent ainsi une cohérence artistique plus importante que tout profit et c’est peut-être en cela que le rap nique les PDG. Finalement, loin de satisfaire nos rêves de révolution, le rappeur d’aujourd’hui semble incarner la réalité d’une génération qui peine à croire qu’un monde plus juste est possible; préférant limiter la casse individuellement en sauvant SON monde uniquement.
VERS UNE EMANCIPATION? “Si le rap était dirigé par les lascars nègres, Mes nègres feraient des Pascals sans Pascal Nègre” - Yousoupha dans Dangereux, 2007 23 OPINION
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Eyez On Me est un biopic de 2h20 sorti en 2017 sur la vie de Tupac Shakur Amaru, un rappeur américain qui, en l’espace de 25 ans d’existence, aura eu un impact musical et sociétal difficilement égalable dans l’univers hip-hop. Si d’autres légendes du rap avaient déjà leur propre film, on pense notamment à son plus grand rival Notorious BIG, il manquait à Tupac un film capable de sanctuariser son héritage et transmettre aux générations suivantes l’ampleur de l’onde de choc qu’il a générée; spoiler alert: ce film n’existe toujours pas. Cependant, malgré des critiques désastreuses à la sortie du film, est-t-il réellement un échec complet dont il faudrait éviter le visionnage ? La réponse n’est pas si évidente, cela dépend vraiment de ce que l’on recherche lorsqu’on décide de le regarder. Pour une personne qui connaît peu de choses du rappeur de la West Coast, ce film s’avère être un bon point de départ dans la découverte de son travail et surtout du parcours assez singulier de Tupac. Le film a le mérite d’essayer de couvrir l’entièreté de la vie du rappeur. A travers la mise en scène d’une interview donnée à un réalisateur lorsqu’il est encore en prison, des flashbacks reviennent sur les points marquants de son parcours jusqu’au moment où il se retrouve derrière les barreaux. On commence donc par revenir sur son enfance dans une famille de militants Black Panther, son engagement dans une école d’art et sa passion pour la poésie ou le théâtre, puis son déménagement en Californie, le début du succès avec le groupe Digital Underground, son premier album solo, ses problèmes judiciaires, son agression par balle… En bref, les événements s’enchaînent et permettent de montrer les nombreux rebondissements de sa courte carrière. Mais le problème principal du film réside justement dans cette addition d’aventures. A vouloir tout mettre en avant, le film est davantage une tentative de coller les pièces du puzzle de sa carrière à l’aide de transitions
parfois poussives. Les traits des personnages sont grossis pour qu’ils soient facilement cernables et de nombreuses incohérences se glissent dans le scénario. On retiendra notamment la manière dont le film montre la relation entre deux amis d’enfance, Tupac et Jada Pinkett Smith. Cette dernière va d’ailleurs s’empresser de pointer du doigt ces erreurs en montrant par exemple que Pac ne lui a jamais fait d’adieux émouvants en lui lisant un poème spécialement écrit pour l’occasion, il a en réalité quitté Baltimore sans même avoir le temps de la voir.
Cette suite d’événements empêchent aussi d’exploiter une grande facette de Tupac, sa réflexion. Le film montre un personnage plutôt impuissant quant à son sort, qui subit et réagit aux épreuves lui tombant dessus. Il n’y aura donc pas de plongée profonde dans la manière de penser du protagoniste, le film ne fait que survoler sa vision du monde et le sens de ses textes.
En résumé, si le film se donne la tâche complexe de résumer la vie de Tupac Shakur en deux heures et vingt minutes, il réussit à faire ressortir les principaux éléments de sa vie et reste assez plaisant à regarder pour n’importe quel public. Les mauvaises critiques du film sont toutefois légitimes, notamment de la part des initiés qui en attendaient beaucoup. Mais il faut davantage considérer All Eyez On Me comme un film, contant la vie de Tupac d’une façon romanesque plutôt que de s’attendre à voir un documentaire sur le rappeur californien. De plus, le film est bien filmé et les acteurs font de bonnes prestations tout en ressemblant aux personnages qu’ils interprètent. Il est dans l’ensemble plaisant à regarder et des scènes sur fond de musiques comme celles des séances au studio ou bien de sa mort nous plongent vraiment dans l’ambiance recherchée.
Tupac a un jour affirmé dans une interview : “I guarantee that I will spark the brain that will change the world.” Ce n’est sûrement pas à travers ce film que cette connexion se produira mais le visionner donne sans aucun doute l’envie.
de se plonger plus en profondeur dans l’œuvre de Tupac et de profiter de tout ce dont le film n’a pas su transcrire sur image ; on ne peut que vous recommander de vous faire votre propre avis sur celui-ci !
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Tupac Shakur, Unknown. (Edited)
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KLEA VARVOGLIS ET JUDY GABRIEL
Rap et manga, manga et rap, deux mondes qui se marient à la perfection depuis maintenant 20 ans.
L’influence de l’univers des otakus sur nos rappeurs français est écrasante, au point d’être présente dans instrus, couplets, titres, ou même noms de scène.
Retournons aux sources de cet intérêt fulgurant pour la BD japonaise : dès les années 70, Kheops, Akhenaton et Kephren de IAM restaient cloîtrés chez eux pour enchaîner les tomes des premiers mangas vendus en France, comme Albator, Cobra, ou Goldorak. Mangas dont on voit l’inspiration dans leurs titres Division Ruine ou encore
Benkei et Minamoto, clip qui reprend d’ailleurs l’univers visuel nippon. Mais IAM ne fait pas cavalier seul. La grande majorité des rappeurs mainstreams comme plus discrets font référence à la sainte trinité des mangas, Dragon Ball, One Piece et Naruto, mais aussi d’autres shonens comme Death Note, Hunter x Hunter, GTO, One Punch Man, Saint Seiya ou Bleach. Nombreux sont les artistes qui ont baigné dans ces références nippones depuis leur plus jeune âge, postés devant les chaînes de télévisions TNT et Club Dorothée.
L’exportation massive d’animés en Europe à cette époque a largement influencé les jeunes générations, particulièrement en France. Les médias ont, cependant, longtemps perçu cette culture comme dangereuse pour les
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jeunes : elle serait violente, vulgaire ou encore obscène. C’est à cette même période que la culture hip-hop et le rap se sont importés des Etats-Unis jusqu’en France. L’effet a été similaire à celui produit par la culture nippone, avec un rejet plus extrême. Si les plus jeunes se retrouvent dans ces deux univers, ces derniers restent cependant méprisés par une culture traditionnelle dominante.
Le rap et les mangas ont longtemps été marginalisés mais leur hybridation à travers les textes de rap peut apparaître comme une forme de soutien mutuel. La construction des textes de rap se fonde en grande partie sur des métaphores, des comparaisons et d’autres figures de style qui suscitent des images évocatrices pour le public. Lorsqu’ils mobilisent des références issues des mangas, c’est un champ lexical épique et mythique qui est transmis au public et qui leur parle énormément. Aujourd’hui, les mangas et animés ont véritablement marqué les français, et les mobiliser dans les textes de rap, c’est aussi leur donner plus de crédibilité. Les rappeurs placent les figures emblématiques des mangas au même niveau que toute autre référence culturelle car elles font partie de la culture générale désormais. C’est le partage d’une même mythologie entre le public et l’artiste.
Et qu’est-ce que ça donne ? Eikichi Onizuka, protagoniste de Great Teacher Onizuka de Tōru Fujisawa, collectionne 19 références à lui seul. Il est devenu le modèle d’Ademo (un des frères PNL), qui a consacré un titre à son nom, Onizuka, et ne cesse de vanter la liberté du professeur, comme dans Shenmue “Je vagabonde partout comme Eikichi”, ou dans Sibérie “La ville est grande, je veux juste faire un tour, libre, comme Onizuka”. Côté production, les openings d’anime, notamment Saint Seiya - Les chevaliers du Zodiaque, sont samplés dans des titres de Guizmo, Vald ou Seth Gueko. Aussi, One Piece, et en particulier le légendaire pirate et protagoniste de l’œuvre Monkey D. Luffy, se fait citer par Damso dans M. Noob Saibot “J’ai le bras long mais pas pour selfie, Piraterie, Mugiwara Luffy” ou encore dans l’Opening du jeune Youv Dee “J’suis différent, Monkey D. Luffy, tu sais que Youv Dee c’est le pire”. Les références à One Piece sont également mobilisées par le fameux Alpha Wann dans Cascade (Remix) “Fourrure à la DoFlamingo”, ou Soolking, qui nomme un de ses titres Barbe Noire, un des principaux antagonistes de One Piece. Finalement, comment ne pas oublier Naruto, qui cumule, selon Le Règlement, plus de 240 références, allant de Nekfeu, OBOY, Sexion d’Assaut, Dinos, Alkpote.
De nombreux mangas et animés sont ainsi largement mobilisés par les rappeurs dans leurs punchlines. D’après la vidéo du Règlement datant de 2020, pour laquelle plus de 17000 sons ont été passés en revue, c’est Dragon Ball Z (DBZ) qui recense le plus de références dans le rap français avec 627 sons lui rendant hommage.
Il est suivi par Naruto et ses 241 références comme mentionné précédemment. L’univers de Naruto est si vaste qu’il permet à presque tous les rappeurs de trouver les personnages qui correspondent le mieux à ce qu’ils veulent exprimer dans leurs textes et ce à quoi ils s’identifient. Par exemple, on peut supposer que le 667 porte une préférence pour Sasuke et Madara qui sont les plus cités, notamment par Freeze et Zuukou Mayzie. PNL et Youv Dee semblent beaucoup admirer Itachi, tandis que Obito et l’Akatsuki apparaissent comme les favoris d’Alpha Wann. A la troisième place du classement se trouve finalement One Piece avec 129 références, manga le plus cité par l’Ordre du Périph. Ce sont les albums Gear 2 et Gear 3 de Youv Dee qui regroupent le plus de punchline en lien avec le manga, qu’elles fassent référence à Luffy et sa bravoure ou encore son équipage et leur fidèle bateau-pirate, le Vogue Merry.
REVIEW 28 Youv Dee, Gear 3, album cover, 2018. (Edited)
La question qui se pose désormais est la suivante : pour quelle raison les mangas ont-ils une si forte influence dans le rap ? Avant tout, la culture nippone a su influencer le rap car il est, selon Akhenaton, “une culture qui absorbe les autres cultures”. Le rap reprend en effet la culture du sampling, comme on peut le voir avec California Love de 2Pac feat. Dr. Dre, inspiré de Woman to Woman de Joe Cocker ; ou encore Gangsta’s Paradise de Coolio feat. LV inspiré de Pastime Paradise de Stevie Wonder. En retournant au monde du manga, les artistes ne craignent pas les tabous, les labels ou stéréotypes, et réussissent sans aucune retenue à témoigner de leur vie passée, et par conséquent, de mangas. Deuxièmement, les deux mondes s’allient car ils partagent des valeurs communes, surtout avec le genre du manga shonen nekketsu, mangas pour adolescents stéréotypiquement masculins. En effet, ce dernier prône courage, sens de l’honneur, esprit d’équipe et dévouement à l’intérêt général, ce en quoi certains rappeurs comme IAM ou Tiers Monde croient dur comme fer. Par exemple, Son Goku de Dragon Ball est une idole pour certains rappeurs car après une perte importante, il a su se relever et faire face à sa concurrence, ce qui s’apparente au parcours de
nombreux rappeurs qui font tant bien que mal face à leurs rivaux. Par ailleurs, cette volonté de vaincre ses adversaires, que l’on retrouve dans les shonen, peut se traduire dans le rap par l’egotrip. L’art du hip hop se fonde en partie sur la compétition, il y a donc une nécessité de montrer qu’on est le meilleur.
Les mangas représentent aussi l’idée non pas de dépasser les autres, mais de se dépasser soimême. L’idée de solidarité, la rage de lutter pour les siens et d’évoluer avec son crew sont des principes que l’on retrouve autant dans le rap que dans les mangas. Les personnages de mangas incarnent des traits de caractères bien spécifiques et de manière presque exagérée. Lorsque les rappeurs les mentionnent, le public sait précisément quel trait de personnalité est mis en avant ; par exemple la haine de Vegeta. Il s’agit d’éléments implantés dans l’imaginaire des rappeurs que leur public peut également comprendre. C’est cet imaginaire commun qui nous rapproche un peu plus de nos artistes. Inversement, il existe peu de mangas et animés inspirés par la culture hip-hop. Les plus connus sont notamment Afro-samouraï dans lequel on retrouve une bande originale hip-hop réalisée par RZA; ou encore Samurai Champloo avec les bandes son rap de Nujabes.
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RZA, The RZA Presents: Afro Samurai The Soundtrack, album cover, 2007. (Edited)
On perçoit une forte identification des rappeurs à ces personnages de shonens avec lesquels ils ont grandi et qu’ils ont toujours considérés comme leurs modèles, notamment lorsque les thématiques liées à la marginalisation ou l’enfance difficile sont abordées dans le rap. Le manga est devenu plus qu’un loisir mais un guide, un vecteur d’éducation, un modèle à suivre, ou plus simplement, une morale. Le rap et les mangas sont désormais presque indissociables et en analysant leur lien étroit, on peut mieux comprendre ces derniers mais aussi l’état d’esprit et les logiques des rappeurs. Malgré les critiques et rejets dont ils ont pu faire l’objet auparavant - et qui persistent toujoursce sont deux univers qui connaissent aujourd’hui une immense popularité. C’est assez mystique mais les destins respectifs du rap et des mangas ont suivi cette même logique d’ascension que l’on retrouve justement dans les shonen : ils sont passés de la marginalité au sommet.
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Afro Samurai Drawing by Albi Art, 2022. (Edited)
BASKET ET HIP HOP:
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Allen Iverson wearing the Reebok Question, Unknown (Edited).
N’EN FONT QU’UN?
PAR BENOIT SLEIMAN
Si seul Premier Love de Tony Parker vous vient à l’esprit lorsque l’on évoque les connexions entre basket et hiphop, c’est à la fois cool (référence trop souvent sous-estimée) et insuffisant, tant les deux mondes se sont souvent entrecoupés et continuent de le faire. Cette connexion est d’autant plus visible aujourd’hui que les deux disciplines n’ont jamais été autant pratiquées. Mais comment expliquer cette connexion ? Sontils fatalement destinés à évoluer dans la même direction ? Allons encore plus loin, le basket peutil être considéré comme une des nombreuses branches du hiphop aux limites floues ? Nous reviendrons dans cet article sur le pourquoi et le comment de ce lien si fort, à commencer par les débuts de cette relation passionnée.
La connexion entre hip-hop et basketball n’est pas récente. Elle prend place aux États-Unis dans les années 1980 et 1990 lorsque les deux univers deviennent des piliers de la culture afro-américaine et gagnent fortement en popularité. Hip-hop et basketball sont massivement consommés car facile d’accès et vont bien ensemble, après-tout pourquoi ne pas accompagner ses match de playground par du rap? Dès 1984, Kurtis Blow sort le son Basketball venant sceller le lien entre basket et hip-hop. Mais le réel tournant opère au début des années 2000 lorsqu’une génération bercée par le hip-hop débute dans une NBA (ligue de basket américaine) en quête de succès mondial.
33 REVIEW Kobe Bryant at the 2001 NBA Finals, 2001 (Edited).
En 1996, un jeune Allen Iverson est parachuté dans la ligue américaine et impose son style de jeu tout autant que son style vestimentaire. Celui qu’on surnomme « The Answer » arrive aux match en sneakers, baggy, jersey, casquette et toute sa jewelry ; sans parler de tous les accessoires qu’il porte une fois sur le terrain. Ce dernier va ouvrir la voie à toute une dynastie de joueurs assumant pleinement leur style et continue d’être une référence hip-hop (salut Laylow). Pour continuer sur le style vestimentaire, le monde de la basket est fortement lié à la pratique du sport au ballon orange. Par exemple à la fin des années 1990, la marque de chaussures de basket « And1 » offre des mixtapes de street basket après l’achat d’un produit, bien sûr toujours sur bande son de rap. Aujourd’hui encore, la connexion est omniprésente comme en témoigne le surnom “Coco jojo” (Jordan) du très médiatisé Guy2Bezbar. D’autre part, le média Bleacher Report et Mitchell
& News se sont associés pour produire une collection « NBA Remix » en 2020 ; le principe étant de laisser un artiste hiphop réinventer le design du maillot de sa ville. Ainsi, on a pu voir Travis Scott remixer le maillot des Houston Rockets, Schoolboy Q celui des Los Angeles Lakers, Outkast et Future pour Atlanta ou encore Joey Badass pour Brooklyn. Certains vont même jusqu’à cumuler rap et basketball de manière plus ou moins réussie. On pense notamment aux pionniers comme Shaquille O’Neal qui feat avec des JayZ ou Biggie; Dame D.O.L.L.A, nom de scène de Damian Lillard ou encore J.Cole qui après avoir évolué dans la toute nouvelle Basketball African League joue actuellement dans une équipe au Canada. Rap et basket vont aussi de pair dans les jeuxvidéos, chaque année la soundtrack de NBA 2K est remplie de banger rap là où des jeux comme FIFA ne font pas du tout ce choix artistique.
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Allen Iverson, Unknown (Edited).
Si le lien fort entre hip-hop et basket se forge et subsiste de manière plus intense aux Etats-Unis, leur mondialisation ne brise pas pour autant ce lien. La scène rap française en est d’ailleurs un bon exemple, Freeze Corleone lâche régulièrement des références NBA comme il a pu le faire avec Jeremy Lin ou John Wall, dans un pays où le basket gagne chaque année en popularité. En 2021, on a même eu le droit à un featuring entre Ninho et Serge Ibaka, champion NBA en 2019, bien que la participation de ce dernier se limite à faire les back de Ninho pendant approximativement deux secondes sur l’ensemble du son…
Des ponts assez solides relient donc basket et hip-hop mais ils ne sont cependant pas forcément destinés à évoluer dans le même sens. Par exemple, la NBA met en place en 2005 un dress code extrêmement strict lorsque les joueurs arrivent à un match pour donner une image “plus sérieuse” de la ligue et s’éloigner
d’un style inspiré de la culture hip-hop qui pouvait ne pas plaire à tous les spectateurs et donc vendre moins. Allen Iverson prend d’ailleurs très mal cette décision : “Ils visent ma génération, la génération hip-hop.” Si aujourd’hui ce dress code s’est effacé et laisse place à l’expression des styles de chacuns, cette restriction témoigne bien du fait que basket et hip-hop ne vont pas forcément de pair. De plus, la pratique et le développement du basket sont largement antérieurs à l’émergence du hip-hop, qui a pu se rattacher et inspirer la discipline sans pour autant s’y imbriquer totalement.
Toutefois, si les deux mondes ne sont pas intrinsèquement liés, leur popularité a explosé dans la même période, au même endroit et sont surtout produits et consommés par les mêmes personnes. Hip-hop et basket sont donc aujourd’hui forcément hautement complémentaires, pour notre plus grand plaisir.
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Allen Iverson during a game against the Washington Wizards by Doug Pensinger, 2001 (Edited).
Mehdi Maizi est une pointure dans le domaine du français et c’est avec les yeux fermés que vous pouvez vous plonger dans son livre: Rap français: une exploration en 100 albums. Que vous soyez un.e passioné.e de Hip Hop made in France ou que vous soyez encore novice, cet ouvrage est pour vous. Ce livre traite tout d’abord du voyage du Hip Hop de New York à la France dans les années 80 et de la façon dont le rap s’est étendu dans le territoire national à travers
les années. Mehdi explore donc 100 albums qui ont marqués l’histoire du Rap français entre Rapattitude paru en 1990 jusqu’à Or noir de Kaaris sorti en 2013. Le journaliste consacre une analyse à la fois compréhensible mais tout de même technique des albums monuments de ces dernières décennies, en passant de Lunatic à 113 ou encore Diam’s ou Kery James, en bref, découvrir ou redécouvrir l’évolution du Rap français de sa Genèse et de sa métamorphose.
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Mehdi Maizi, Rap français : une exploration en 100 albums, 2015.
Benny Malapa, Rappatitude, 1990. (Edited)
Just being myself, I end up touching a lot more people who might never have paid much attention to a female rapper.» déclarait Nicki Minaj et c’est pour cela que j’aimerais vous présenter ce livre de Sylvain Berthot nommé: Ladies First, une anthologie du rap au féminin. Si vous avez com
concentre. En effet, Sylvain Berthot évoque les différents styles qui règnent du côté féminin du rap féminin en traitant du sujet de «l’ère des bad bitches » en parlant d’hypersexualisation des rappeuses mais aussi de la misogynie grandement présente dans le milieu du Rap. De surcroît, l’auteur analyse 100 œuvres de rappeuses dans le livre de façon chronologique afin d’exposer le long chemin que les rappeuses ont dû parcourir vers le succès. Dans cet ouvrage, vous trouverezles pionnières de la discipline telles que Salt-N-Pepa ou Queen Latifah jusqu’aux rappeuses qui figurent aujourd’hui dans le top des charts telles que Lizzo mais aussi l’apparition d’une rappeuse française: Chilla! En bonus, à la fin du livre vous trouverez un lexique qui vous rendra incollable en vocabulaire du Hip Hop.
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Ms. Lauryn Hill, Unknown. (Edited)
TLC, CrazySexyCool, 1994. (Edited)
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a le16 production - dec. 2022