Le Pied Du Mur

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LE PIED DU MUR

Numéro 1 - Mai-Juin 2013

“Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons” Victor HUGO


EDITO L’aventure commence pour ‘’LE PIED DU MUR’’ ! Ceci est le premier numéro, autant dire qu’il est voué à évoluer. Mais qu’est-ce qu’il s’y dit à l’intérieur ? ‘’LE PIED DU MUR’’ te parle de la prison, cet endroit près de chez toi où l’on enferme des personnes pour des jours, des mois, des années derrière des hauts-murs où l’État se cache bien de te raconter ce qu’il s’y passe. Sans prétention de détruire les mythes véhiculés par la télévision, la presse ou le cinéma, je cherche simplement à apporter plus de précisions et de pistes de réflexions sur un sujet si important et intéressant qu’est le milieu carcéral. De quoi ce magazine est-il composé? A l’intérieur, tu trouveras des articles, des communiqués, un espace de présentation d’une association du milieu carcéral ainsi qu’une rubrique culturelle. Tout ce qu’il contient est extrait de travaux de professionnels ou bénévoles engagés dans la sensibilisation et l’information au milieu carcéral et extraits de sites internet, revues... Les thèmes abordés seront aussi différents que possible dans un objectif de cohérence. Il y a tellement de choses à lire, voir, entendre, ce qui est entre vos mains ne représentent qu’une infime partie de ce qui peut être communiqué actuellement mais pour reprendre une expression courante : ‘’C’est toujours mieux que rien !’’. Pourquoi “Le pied du mur’’? C’est donc ce mur qui sépare la société en deux espaces. D’un côté, la société extérieur et de l’autre côté la société qui vit à l’intérieur, avec une liberté d’aller et venir supprimée. Le mur n’a t-il pas un pied ? Ce coup de pied au cul que ces personnes prennent lorsqu’elles sont placées en détention et tout aussi violent à la sortie lorsque l’on observe les moyens engagés afin de permettre une réinsertion dans les meilleures conditions pour ces détenus. Ce pied est en train de moisir au rythme d’une justice ayant une politique d’incarcérations massives dangereuses depuis de nombreuses années avec des records de personnes détenues en France qui ne font que d’être battus tristement tous les mois. Dans un Etat de droit comme le notre, la situation est critique. Il appartient à tout le monde de réagir car l’Etat, c’est nous !


SOMMAIRE 1-5 Evènement national largement médiatisé L’observation international des prisons revient sur la spectaculaire évasion de Rédoine Faid de la prison de Lille-Séquedin

6-11 Retour sur l’actualité locale A la découverte des nouvelles prisons ; l’exemple de la Maison d’arrêt de Nantes-Carquefou

12-13 Présentation d’une association militante Le groupement d’étudiants national d’enseignement aux personnes incarcérées ( Le GENEPI )

14-17 La prison tue ! Communiqué relatif aux trois suicides en trois semaines à la Maison d’arrêt de Nantes-Carquefou

18-20 Culture Comment parler de la prison aux enfants à travers le livre ?

21 Quelques chiffres La population carcérale au 1er mars 2013 en France


Evènement

national largement médiatisé

Communiquée de l’Observatoire Internationale des prisons (OIP) suite aux déclarations qui ont suivies l’évasion de la prison de Lille-Séquedin du 13 avril 2013.

Alors que l’évasion d’un détenu de la prison de Sequedin suscite de nombreux commentaires simplistes, l’Observatoire international des prisons (OIP) en appelle à ne pas instrumentaliser un fait divers au caractère particulièrement exceptionnel. L’Observatoire estime qu’un tel événement ne saurait justifier la défense, le maintien ou le renforcement de mesures de sécurité et de surveillance attentatoires à la dignité humaine. Il rappelle le caractère contre-productif et humiliant des fouilles à nu en détention pour les personnes qui les subissent, comme pour celles qui sont chargées de les réaliser, en appelle au respect par l’administration pénitentiaire des dispositions législatives en vigueur et à la mise en œuvre par le ministère de la Justice d’une politique de « sécurité dynamique » dans les prisons françaises. Depuis l’évasion ce samedi 13 avril d’un détenu du centre pénitentiaire de Lille-Sequedin, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer des carences supposées dans la gestion de cet établissement pénitentiaire et plus largement des dispositifs de sécurité en milieu carcéral. Est notamment mise en cause la disparition supposée des fouilles intégrales (à nu), ainsi que de leur systématicité pour l’ensemble des personnes détenues qui viennent de bénéficier d’un parloir. Éric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes, a ainsi demandé des explications à la garde des Sceaux sur « l’absence de fouilles au parloirs ». Stéphane Jacquot, secrétaire national de l’UMP chargé des prisons, explique que « si on avait mis en place des fouilles systématiques, on n’en serait pas là ». La présidente du Front national a quant à elle demandé le rétablissement des « fouilles systématiques à la sortie des parloirs », selon elles « justifiées aussi bien par les actes criminels commis que par la dangerosité et les contacts établis avec des tiers ». Et le syndicat UFAP de qualifier la prétendue « suppression des fouilles corporelles » de « pure aberration »...

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L’OIP tient en premier lieu à rappeler que bien que particulièrement dégradantes, les fouilles à nu en prison n’ont jamais disparu des établissements pénitentiaires français. La loi du 24 novembre 2009, adoptée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est seulement venue en encadrer l’usage en posant trois principes impératifs : un principe de nécessité au terme duquel les fouilles, par palpation ou intégrales, ne peuvent être effectuées que si elles sont justifiées par « la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement » ; un principe de proportionnalité qui impose que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues » ; et enfin un principe de subsidiarité impliquant que les fouilles à nu « ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». L’administration dispose donc, en l’état actuel du droit, de l’ensemble des instruments juridiques nécessaires pour effectuer des fouilles à nu à l’encontre des personnes détenues si cela s’avère justifié et si cette mesure s’avère proportionnée.

Des pratiques pénitentiaires illégales Bien que désormais prohibés par la loi pénitentiaire, des régimes de fouilles intégrales effectuées de façon systématique sur l’ensemble des personnes détenues ayant eu accès à un secteur de la détention (en particulier les parloirs) sont toujours en vigueur dans la plupart des établissements pénitentiaires français, comme à Lille-Sequedin où un élu du syndicat CFTC a ainsi confirmé que « la fouille au corps est automatique (...) à la sortie des parloirs ». Un « maintien quasi-systématique des fouilles intégrales » dont les sénateurs Jean-René Lecerf (UMP) et Nicole Borvo (groupe communiste) ont souligné l’illégalité dans un rapport du 4 juillet 2012 sur l’application de la loi pénitentiaire. L’incapacité des gardes des Sceaux successifs de faire appliquer la loi de la République et les décisions de justice au sein des prisons françaises apparaît à ce titre particulièrement préoccupante. Condamnée à de nombreuses reprises depuis deux ans par les juridictions administratives pour le maintien de pratiques contraires à la loi, l’administration pénitentiaire l’est à présent également pour son refus de se soumettre à ces décisions de justice lui enjoignant de respecter les dispositions de la loi pénitentiaire.

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Constatant le non-respect d’une décision rendue le 17 juillet 2012, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a ainsi été contraint de prononcer pour la seconde fois la suspension de la décision de la direction du centre pénitentiaire de Fresnes d’instituer un régime de fouilles intégrales systématiques à l’encontre de toute personne détenue venant de bénéficier d’un parloir (ordonnance du 29 mars 2013). Outre Fresnes, l’Observatoire observe la persistance de fouilles intégrales systématiques dans la plupart des établissements pénitentiaires condamnés pour avoir institué de tels régimes (centres pénitentiaires de Rennes, Poitiers-Vivonne, Bourg-en-Bresse, Nancy, centres de détention de Bapaume, Salon-de-Provence, Joux-la-Ville, Varennes-le-Grand ou Oermingen).

Assurer la sécurité dans le respect des droits de l’homme L’OIP rappelle que la fouille à nu est une mesure particulièrement intrusive, susceptible de porter gravement atteinte à l’intégrité physique et morale des personnes fouillées et dès lors de générer en elle-même des troubles à l’ordre et à la sécurité par la maltraitance des personnes qu’elle emporte. Cette pratique implique en effet la mise à nu des personnes détenues, souvent devant plusieurs surveillants pénitentiaires, dans des locaux ne garantissant pas toujours la confidentialité. Le caractère humiliant de ces fouilles est un constat largement partagé par nombre d’organes nationaux (Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Contrôleur général des lieux de privation de liberté...) et internationaux (Cour européenne des droits de l’Homme, Comité européen de prévention de la torture, Comité contre la torture des Nations-Unies).

Lors de sa convention justice de juin 2006, l’UMP affirmait que « les atteintes [que les fouilles corporelles intégrales] constituent à la dignité des détenus, et d’une certaine manière à celle des surveillants, sont disproportionnées par rapport à l’objet qu’elles poursuivent et aux résultats qu’elles obtiennent (nombreux trafics en prison) ». Le parti avait alors conclu qu’il était « urgent d’adopter des pratiques plus encadrées et plus conformes à la dignité, comme l’ont fait de nombreux pays occidentaux ».

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Selon les sénateurs Lecerf et Borvo, « la conciliation des principes de sécurité et de respect de la dignité de la personne passe par le recours aux portiques à ondes millimétriques permettant de visualiser les contenus du corps et de repérer la présence à la fois de substances illicites ou d’objets dangereux sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir ». Les débats parlementaires concernant la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 mettaient d’ailleurs en exergue l’objectif, à terme, de tendre vers une véritable disparition des fouilles intégrales grâce au recours à des moyens de détection moderne. Pour autant, aucune politique d’équipement des établissements pénitentiaires n’a été mené par les gouvernements successifs. Dans les avis de la Commission des lois du Sénat sur les projets de loi de Finances 2011 et 2012, le sénateur Jean-René Lecerf (UMP) regrettait ainsi que les projets de budgets ne prévoient « pas de financement pour permettre l’expérimentation de matériels de détection électronique qui éviterait le recours à des pratiques ressenties comme humiliantes pour les personnes détenues ».

L’OIP rappelle également que l’évasion de ce samedi 13 avril 2013 revêt un caractère particulièrement exceptionnel, qui ne saurait justifier la défense d’un dispositif extrêmement attentatoire à la dignité humaine pour l’ensemble des personnes détenues, sans être pour autant efficace du point de vue de la sécurité, et que la France détient l’un des taux d’évasion le plus faible d’Europe (2,7 évasions pour 10 000 détenus en France contre 42 pour 10 000 en Belgique en 2012). Alors que les sénateurs Lecerf et Borvo relevaient dans leur rapport de juillet 2012 que l’administration pénitentiaire « souhaiterait que la loi pénitentiaire puisse être modifiée afin d’autoriser le recours aux fouilles intégrales dès lors que les personnes détenues auraient un contact avec l’extérieur », l’OIP, tout comme ces parlementaires, « ne sauraient accepter un tel retour en arrière », les modifications législatives en matière de fouilles à nu ayant été largement inspirées de la jurisprudence européenne.

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L’OIP appelle enfin la garde des Sceaux à non seulement faire appliquer les dispositions de la loi de 2009 encadrant la fouille intégrale, mais également à développer une politique de « sécurité dynamique » dans les établissements pénitentiaires telle que préconisée par le Conseil de l’Europe : elle consiste à privilégier la prévention et la communication avec les détenus et non à seulement mettre en œuvre des mesures de sécurité défensive (miradors, filins anti-hélicoptères, armes, fouilles...) et de coercition. « Le bon ordre dans tous ses aspects à des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claire entre toutes les parties », indiquent les Règles pénitentiaires européennes. Une approche de sécurité dynamique implique également un aménagement de la vie en prison « de manière aussi proche que possibilité des réalités de la vie en société », une détention dans des « conditions matérielles appropriées », la mise en œuvre d’ « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel », de possibilités pour les personnes détenues « de faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison » (Rec(2003)23 du Comité des Ministres aux États membres). Autant de mesures mieux à même de renforcer tant la sécurité interne des établissements pénitentiaires, que la réinsertion des personnes à leur sortie après avoir été traitées comme des citoyens dans le respect de la loi et des droits fondamentaux.

Dans la nuit du mercredi 28 au 29 mai et après six semaines de cavale, Rédoine Faid, braqueur multirécidiviste, a été arrêté dans un hôtel de Seine et Marne.

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L’OIP rappelle : - l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; - l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme El Shennawy c/ France du 20 janvier 2011 : « des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associées et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui [...], peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus » ; - la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes : « la sécurité assurée par des barrières physiques et autres moyens techniques doit être complétée par une sécurité dynamique assurée par des membres du personnel alertes connaissant bien les détenus dont ils ont la charge ».

Source : http://www.oip.org

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Retour

sur l’actualité locale

La Nouvelle Maison d’arrêt nantaise : les dessous d’une nouvelle prison Dans la nuit du 2 au 3 juin 2012, la nouvelle maison d’arrêt de Nantes a ouvert ses portes aux quelques 400 détenus de l’ancienne maison d’arrêt du centre-ville.Visite guidée de ce nouveau lieu de détention.

UN COMPLEXE NEUF TANT ATTENDU

Avec une maison d’arrêt complètement vétuste, Nantes ne pouvait attendre plus longtemps pour accueillir en son sein un établissement permettant l’accès à un minimum de dignité humaine. C’est chose faite à présent. Comme dans les nouvelles prisons de Lille et de Réau (Seineet-Marne), la construction de cet établissement nantais, ainsi que sa maintenance, la gestion des services de restauration, de la blanchisserie, le transport des détenus ou encore la formation pénitentiaire ont été délégués au privé. L’État reste en charge de la surveillance et de la direction de l’établissement. Initiés en 2008 par l’ancien gouvernement pour faire face à la surpopulation carcérale, ces Partenariats publicprivé (PPP) ont fait l’objet des critiques de la Cour des comptes dans un rapport de 2010. L’institution y relève notamment le coût élevé des loyers versés aux entreprises prestataires. « C’est un véritable gouffre financier, approuve Jean-Michel Dejenne, du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP). Une prison de ce type coûte environ 10 millions d’euros par an. Du coup, l’administration pénitentiaire est obligée de consacrer en priorité son budget à ces loyers. Et nous redoutons que ces dépenses, inscrites dans le budget sur les trente prochaines années, grèvent les fonds consacrés aux autres établissements qui deviendraient des variables d’ajustement. Le risque, c’est qu’il y ait à long terme une prison à deux vitesses. »

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D’ici trente ans, pendant lesquels l’État devra s’acquitter d’un loyer auprès de l’entreprise, les clés de l’établissement seront remises à l’État. Bouygues, qui s’est vu confier la tâche, devra rendre l’établissement en parfait état à la fin du contrat. En ce qui concerne les conditions de détention sur le papier, cette nouvelle maison d’arrêt ne semble présenter que des avantages. Mais qu’en est-il réellement ?

UN PARLOIR À PRIX FORT Il faut commencer par le commencement. La privatisation de la prison se ressent dès la réservation du parloir. Celle-ci passe en effet par une plate-forme téléphonique privée et cela a un coût. Il faut en effet appeler un numéro indigo – soit quinze centimes d’euros la minute, plus le prix d’un appel local. En panne de crédit ? Pas de panique ! Le parloir peut aussi être réservé à la borne présente au sein de la maison d’arrêt. Il faut cependant s’armer de courage lorsque l’on n’a pas de voiture puisque s’y rendre est un véritable parcours du combattant. Car, comme toutes les prisons nouvelle génération, la maison d’arrêt de Nantes est excentrée. Au départ du centre ville, l’accès est un vrai périple. Très mal desservie par les transports en commun, il faut prévoir en moyenne trois heures de son temps pour un parloir d’une heure lorsque l’on ne possède pas de véhicule. Cerise sur le gâteau, il n’y a pas de parloirs les jours fériés; mais, de toute façon, le seul bus à desservir le lieu ne roule pas le dimanche et les jours fériés. Entre ceux qui travaillent et ceux qui sont tout simplement découragés par le périple, les proches vont-ils toujours aussi souventse rendre au parloir ?

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ATTENTION, CHÈVRES DE GARDE !

Comparé à la vieille maison d’arrêt, pas de doute, tout cela sent le neuf. La différence est de taille ; vu de l’extérieur, le complexe est absolument immense. Dans un bâtiment, isolé à l’écart du reste de la détention, le quartier disciplinaire. La sécurité est à l’honneur ! L’accueil des familles passe par le privé. Un employé de chez Thémis FM, filiale de Bouygues, prend en charge les enfants qui ne rentrent pas dans la prison. La salle d’attente est équipée d’une télé, d’un petit parc avec des jeux. La question se pose de savoir si les associations d’accueil des familles ont toujours leur place. Indispensables pour le soutien moral et l’information des familles de détenus, on imagine difficilement qu’elles puissent être remplacées par une simple télé. La déshumanisation de la prison commence à être palpable.

Juste à droite de la porte d’entrée, on peut, pour l’anecdote, saluer deux petites chèvres dans leur enclos dont personne, pas même les surveillants, et encore moins les détenus, ne connaît l’utilité de la présence si ce n’est qu’à la différence du personnel pénitentiaire, elles sont visibles. En effet, la nouveauté de cette prison réside aussi dans l’esthétisme incomparable des vitres chromées derrière lesquelles sont cachés les surveillants. Le surveillant sans visage récupère ainsi les pièces d’identités avant de pouvoir pénétrer dans l’enceinte même de la maison d’arrêt.

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ET À L’INTÉRIEUR ALORS ?

Toute la détention est fondée sur ce système. Les surveillants sont cachés derrière des vitres. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a déjà relevé avec inquiétude « un taux de suicide plus élevé » dans les nouveaux établissements car le manque de contact entre les détenus et le personnel pénitentiaire ne permet pas de détecter et de prévenir les cas de personnes à risque. L’ambiance générale est à la sécurité. Les nombreuses séparations par des grillages très hauts donnent un air de Prison Break et n’a de cesse de nous rappeler où nous sommes. Il y a tout de même des points positifs. En effet, quatre UVF (Unités de vie familiale, permettant aux personnes détenues de recevoir leur famille, leur compagne, leurs enfants pendant quelques heures ou quelques jours) ont été créées et les détenus ont enfin le strict minimum en ce qui concerne l’hygiène puisque chaque cellule est équipée d’une douche, d’un WC et d’un lavabo. Les détenus sont seul ou à deux dans la cellule mais l’administration pénitentiaire a déjà passé commande de plusieurs matelas supplémentaires. À peine ouverte, la prison souffre déjà de surpopulation puisque 98 lits superposés supplémentaires ont été commandés. Cependant, ce problème n’est pas dû au nombre de places dans ce nouvel établissement, qui compte tout de même 570 places, mais au nombre sans cesse croissant d’incarcérations.

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Thémis FM a aussi mis la main sur le travail et offre ainsi plus de postes aux détenus. On passe en effet de moins de cinquante détenus au travail à une centaine. Cela est rendu possible grâce à la création de 750 m2 d’atelier et à la nouvelle organisation des repas qui seront préparés dans cet établissement pour les centres pénitentiaires de Nantes, Lorient et Angers. En conclusion, après de nombreuses condamnations de l’État pour conditions de détention indignes dans l’ancienne maison d’arrêt surpeuplée et délabrée, le nouvel établissement comporte donc quelques améliorations. Cependant, la priorité donnée à la sécurité et à la rentabilité déshumanise complètement la prison et par conséquent, le détenu.

Source : Revue Passe-Murailles n°37, «Europe, la bonne conscience pénitentiaire ?», GENEPI. Juillet/Août 2012

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Présentation d’une

association militante

On me parle du GENEPI, ça a l’air chouette mais qu’est-ce que c’est ? Plus de 60 000 personnes sont détenues dans les prisons françaises. Cet univers encore trop méconnu reste séparé et oublié de la société. Conscients de leur responsabilité de citoyens, 1300 étudiants ont décidé d’agir pour la réinsertion des personnes incarcérées au sein de l’association GENEPI par deux types d’actions : - L’Enseignement en Milieu Carcéral - La sensibilisation du public aux problématiques de la prison. Le GENEPI est une association de loi 1901 à but non lucratif, sans affiliation politique ni religieuse. Son objet est de “collaborer à l’effort public en faveur de la réinsertion sociale des personnes incarcérées par le développement de contacts entre les étudiants de l’enseignement supérieur et le monde pénitentiaire” (art. 3 des Statuts). Le début des années 1970 fut marqué par de violentes émeutes au sein des établissements pénitentiaires. Les pouvoirs publics décidèrent alors d’ouvrir les portes des prisons à des intervenants extérieurs. A l’initiative de Lionel Stoléru, conseiller technique à la présidence de la République, le Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées voit le jour le 26 mai 1976. L’idée est d’instaurer un lien entre les étudiants et les personnes détenues. Pour ces derniers, les besoins en formations sont de plus très importants.

Depuis ce jour, ce sont chaque année plusieurs centaines d’étudiants (1 300 aujourd’hui) de toute la France et de tous types de filières qui s’engagent pour la réinsertion sociale des personnes incarcérées.

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Les principes fondamentaux du GENEPI

Le GENEPI, association citoyenne, attachée au respect des Droits de l’Homme, a le devoir de rendre compte de leurs violations éventuelles. Le GENEPI, considère que toute peine doit nécessairement permettre la réinsertion dans la société. Le GENEPI contribue à l’exercice du droit au savoir des détenus. Dans toutes ses activités, le GENEPI est indifférent au passé pénal des détenus. Dans le cadre de l’Information et de la Sensibilisation du public, le GENEPI rappelle que son devoir de témoignage s’accompagne du souci de la plus grande honnêteté. L’action du GENEPI nécessite la formation des membres de l’association. L’action au sein du GENEPI est indissociable d’une réflexion sur le système pénal et judiciaire.

Source : www.genepi.fr

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La

prison tue

!

Communiqué du GENEPI Nantes : Trois suicides en trois semaines, à Nantes et ailleurs la prison tue !

Mercredi 10 avril 2013, un homme de 23 ans s’est donné la mort dans sa cellule, au sein de la très moderne maison d’arrêt de Carquefou-Nantes, en service depuis juin 2012 (1). Trois semaines auparavant, cette prison connaissait son premier suicide en son sein, puis le deuxième dans la foulée, les 22 et 30 mars. Ces événements, évoqués par la presse locale mais ne remettant jamais en cause l’institution judiciaire (2), font écho aux deux suicides perpétrés au sein du nouveau centre pénitentiaire de Lyon-Corbas, à l’architecture et au fonctionnement très proches, les 11 et 30 mars derniers. Ces deux établissements, issus du « plan 13200 » comme de nombreux autres (3), illustrent bien l’échec total d’une politique pénale censée répondre aux problèmes de surpopulation carcérale et de conditions d’incarcération. Alors que l’évasion anecdotique d’un seul sert à ramener des débats sécuritaires sur la scène médiatique, il est déplorable que la sortie de trois personnes détenues les pieds en avant n’inquiète pas sur le respect des droits fondamentaux, censé être une priorité dans une société ayant aboli la peine de mort il y a plus de 30 ans. Moins d’un an après son ouverture, la maison d’arrêt de NantesCarquefou est déjà surpeuplée, des lits superposés ayant été installés dans les cellules dites « individuelles » avant même son ouverture, et une vingtaine de matelas ont été rajoutés au sol pour pouvoir augmenter sa capacité d’enfermement (4). La prison de Lyon-Corbas quant à elle connaît un taux d’occupation de 129 %, trois ans après sa mise en service … Le constat est donc simple : les nouvelles prisons, plus grandes, ne servent pas à désengorger, mais bien à pouvoir enfermer encore et toujours plus, en diminuant proportionnellement le personnel pénitentiaire, donc en automatisant inévitablement la surveillance. Présentées comme la solution aux problèmes carcéraux des établissements vieillissants, c’est pourtant au sein de ces nouvelles prisons que l’on se suicide le plus. Avec une proportion proche d’un suicide pour 100 détenus, la maison d’arrêt de Lyon-Corbas enregistre le taux de suicide le plus élevé de France.

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Face à cette macabre situation, le GENEPI Nantes, fort de son expérience auprès des détenu(e)s nantais, tiens à rappeler fermement à l’Administration Pénitentiaire, au ministère de la Justice, à celui de l’Intérieur et à l’ensemble de l’ordre judiciaire, les points suivants : • La peine de prison entraîne systématiquement des conséquences souvent irréversibles sur la santé à la fois physique et mentale des individus qui la subissent, des impasses sociales et des naufrages familiaux, amenant parfois au suicide. • La peine de prison vécue au sein d’un établissement moderne et sur-sécurisé, est d’autant plus difficile à vivre. La bonne facture d’une prison ne sauvera personne du désespoir et de la mort. Le manque le plus certain évoqué par les personnes détenues étant la liberté et le contact humain. L’incarcération, telle qu’établie par la législation, ne devrait porter atteinte uniquement à la liberté d’aller et venir, et non à la liberté d’association, d’expression, de droit à la santé, etc. • La peine de mort, abolie en 1981, ne doit pas être remplacée par une peine de prison déshumanisante au point de la rétablir implicitement.

En outre, le GENEPI Nantes dénonce avec la plus grande fermeté la rigidité sans commune mesure de l’administration pénitentiaire de la Maison d’Arrêt de Nantes-Carquefou, dénoncée par la totalité des détenus que nous y avons rencontré.

Par leur taille excessive, leur isolement géographique et leur système sécuritaire automatisé, ces prisons construites dans le cadre de partenariats public-privé font obstacle par nature aux besoins humains fondamentaux d’expression et de lien social des personnes détenues. Nous mettons donc en garde leurs garants contre l’aliénation des personnes détenues, qui ne pourrait qu’entraîner autant de gestes de désespoir que de rébellion, inévitables et légitimes.

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« Une politique de lutte contre le suicide n’est légitime que si elle cherchenon à contraindre un détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie. » Circulaire du 29 mai 1998 Aux personnes détenues enfin, nous adressons notre solidarité et notre soutien indéfectible face à un système de plus en plus répressif, destructeur et vain.

1 Le décès a été déclaré le jeudi 11, le lendemain, à l’hôpital 2 Pour preuve l’article de Ouest-France, évoquant « Un homme assez fragile » : http://www.oue st-france.fr/ofdernmin_-Nantes.Un-troisieme-detenu-se-suicide-a-la-nouvelle-prison_63462182609-fils-tous_filDMA.Htm 3 Ainsi, les villes de Rodez, Rennes, Nancy, Alençon, Réau, Bourg-enBresse, Lyon et Nantes, ont vu ces dernières années s’y construire des établissements hautement sécuritaires. D’autres sont en projet à Angers, Riom, Valence, et Beauvais 4 Selon les dires des détenus et du personnel pénitentiaire de la nouvelle Maison d’Arrêt de Nantes

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Note importante

- Ce communiqué date du 12 avril 2013. - Un nouvelle incident s’est déroulé le premier mai. - Un détenu aurait probablement mit le feu volontairement à sa cellule aux alentours de 13h30-14h dans la maison d’arrêt de Nantes-Carquefou, ce qui a déclenché l’alarme dans le quartier MA2. Les pompiers sont arrivés en nombre sur place, le détenu serait légèrement blessé. Ces informations proviennent de témoignages de détenus car aucune info n’a filtré, aucun média n’en parle, personne n’est au courant ... Belle censure de mouvement de révolte / désespoir ...

Source : Groupe local GENEPI Nantes

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Culture Expliquer la prison aux enfants par la littérature Chronique

“ Petit Papa Prison “

Bruno Gibert, Editions Casterman, 2010

Publié en 2010 par Bruno Gibert aux éditions Casterman, cet ouvrage destiné plus particulièrement à un public enfant traite d’une problématique particulièrement sensible qu’est le maintien des relations entre un enfant et un parent incarcéré sous forme d’une correspondance entre Anna et son papa. Ce format original constitué d’une succession continue des lettres du père et sa fille ainsi que des dessins glissés permet une immixtion dans la vie de ces deux protagonistes dont les émotions et les sentiments sont par conséquent dévoilés directement au lecteur. Pas de langue de bois, tout ce dit entre la jeune fille pleine d’entrain et son papa tout au long de ses huit mois d’incarcération. Nous découvrons donc la vie en détention avec Anna. Sans tabou ni préjugé, elle interprète, réagit à ce que son père lui raconte. Tout d’abord l’entrée et le passage obligée par le quartier arrivant où les nouveaux se croisent avant d’intégrer la détention. Le père d’Anna intègre alors une cellule, tout d’abord à deux puis à trois ! Dans neuf mètres carrés à trois, les conditions sont difficiles, d’autant plus que l’un est étranger et ne parle pas français et le second exécute une longue peine. Face à cela, le père d’Anna et sa fille redouble d’imagination pour s’évader chacun à leur manière mais d’une façon unique : la projection dans le futur, après la sortie du père d’Anna. Rêve d’évasion dans un pays imaginaire ou projet de vie. Tout se mêle pour ne penser qu’à la liberté et combattre une claustrophobie naissante. Anna découvre alors la prison, elle aussi, si jeune, mais par le biais du parloir. Elle ne comprend pas tous ces codes, cette procédure obligatoire pour entrer en prison. Elle ne cache d’ailleurs aucunement son dégoût pour cet endroit qui ‘’ressemble un peu à un hôpital à cause de l’odeur de la soupe mélangée à celle de l’eau de javel’’. Elle observe sa mère être contrôlé par une surveillante.

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A partir de là, Anna développe une technique particulière pour montrer en toute discrétion son énervement face à de telles situations : le tirage de langue invisible ! Quelle bonne façon de se lâcher en toute discrétion tout de même ! Et finalement, pas forcément car ces ‘’tirages de langue’’ retranscrits dans les lettres d’Anna sont elles aussi contrôlées par l’Administration pénitentiaire qui profiterai presque de l’occasion pour blâmer son père. Anna découvre alors les joies du règlement intérieur de la prison avec la nécessité par exemple d’inscrire sur chaque lettre le numéro d’écrou de son père ainsi que le numéro de section et de cellule. Celle-ci s’y refuse mais devra par la suite s’y conformer comme tout le monde. En réaction à cela et pleine d’ironie, la lettre suivante d’Anna ne commencera pas par ‘’Mon cher papou’’ mais se transforme alors en ‘’Cher papa 87665’’. La vie suit son cours de chaque côté, l’engouement et l’espoir est compliqué à tenir notamment à l’approche d’une fête comme noël. Les restrictions sont énormes pour faire pénétrer un colis à son père mais c’est aussi l’occasion d’échanger sur le cadeau de sa maman. La solidarité est plus forte que jamais pour la famille à l’extérieur et laisse par conséquent place à un fort sentiment d’abandon. Anna n’en oublie pas pour autant toute sa littérature pour réchauffer le cœur de son père avec un léger poème : « Petit papa prison, Quand tu quitteras les matons, Avec deux fausses ailes en papier, N’oublie pas mes petits souliers.» La fin de la détention approche mais la fatigue s’accumule pour Anna et son père. La ‘’boule au ventre’’ qu’a Anna à force d’accumulation de mensonges à ses camarades de classe sur la situation de son père qui ‘’répare des avions dans le ciel accroché à une corde’’ et de la situation complexe dans laquelle elle s’est retrouvée du jour au lendemain avec sa mère ne facilite pas sa vie de jeune fille. Anna combat tous les préjugés de ses camarades avec une force incommensurable et avec beaucoup de malice. Son père, fatigué par le tumulte de la vie en détention, par les bruits incessants et la violence n’espère plus qu’une chose ; sortir au plus vite rejoindre sa famille.

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La dernière ligne droite avant la sortie est arrivée, tout s’accélère, la rencontre avec le conseiller d’insertion, le directeur de la prison engrange la perspective de sortie. Le bonheur est perceptible des deux côtés, comme un aboutissement d’un projet en lui même. Le père laisse pour autant derrière lui le jeune Yurek qui est devenu un très bon ami mais qui a, au regret du père d’Anna, a encore deux années de détention à effectuer avant de pouvoir sortir... Plein de fantaisie, d’humour et de franchise, cet ouvrage met notamment en avant l’importance du maintien du lien familial pendant le temps de la détention. Avant sa sortie, ce ‘’petit papa prison’’ exprime ainsi que sans cette correspondance il ‘’[..] serait devenu comme beaucoup de délaissés ici. Un numéro dans un couloir. Une ombre pour la société, un oiseau chétif qui ne rêve plus de la liberté, qui la redoute même. Plus rien de rien’’.

Prix librairie : 5E

Source : Maxime – Le pied du mur

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Quelques chiffres

66.995

C’est le nombre de personnes incarcérées en France au 1er mars 2013.

Au 1er mars 2013, le nombre de personnes prévenues* détenues s’élève à 16.799 pour 50.196 personnes condamnées détenues. Les mineurs détenus sont 729 au 1er mars 2013, ce qui représente une légère augmentation (1,1%) par rapport au mois précédent (721 au 1er février 2013). Les femmes écrouées sont au nombre de 2795 au 1er mars 2013 ce qui représente 3,6% du nombre de personnes placées sous écrou. Il y a donc aujourd’hui 66.995 personnes en prison au 1er mars 2013 pour 56.920 places mais à cela s’ajoute les 11.213 autres personnes écroués mais qui sont placés sous des régimes permettant une vie en continue à l’extérieur (bracelet électronique, placement extérieur...) *les personnes prévenus sont les personnes incarcérées mais dont le jugement est encore en attente. Ils ne sont donc pas encore condamnés.

Source : Rapport mensuel du ministère de la justice et des libertés, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France

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