ALL ALIENS > LE LIVRE DU CABARET DE CURIOSITÉS

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dans un fractionnement propre au multitâche. Constamment détournés, les internautes en viennent à hachurer leur a ention en autant de tweets, posts, textos et nouvelles brèves résumées en de courtes phrases sommaires... La vitesse et l’éphémère semblent la norme et l’on reproche à ces technologies l’évanescence des informations et des rapports humains.

HYPERTROPHIE DES TERRES NUMÉRIQUES Pourtant, rien n’est moins périssable que nos échanges sur le web, car tout est désormais archivé, conservé, enregistré. Le paradigme de la trace numérique s’est imposé sous la masse gigantesque de données accumulées. Big Brother est, depuis longtemps, ce Big Data monstrueux, colossal, fascinant qui nous surveille et qui garde trace de toutes nos communications. Si l’on qualifie souvent le cyberespace de «monde désaffecté», ce n’est pas à cause de la numérisation de la communication puisque les affects en ligne demeurent bien présents dans les échanges. S’il y a désaffectation, elle est plutôt l’effet de la traçabilité et l’accumulation exponentielle de ces données stockées dans de gigantesques et surréelles bases de données contenues dans des «fermes»(farms) d’ordinateurs coûteusement réfrigérées. Traduites en langage informatique, nos traces numériques sont manipulables et calculables objectivement, analysées et traitées grâce à des algorithmes, c’est-à-dire des règles opératoires basées

sur l’arithmétique qui rythme nos vies. Le phénomène, en forte croissance, de la quantification de soi (quantified self) est emblématique de ce rapport de traçabilité qui nous influence, où une panoplie d’applications enregistre nos kilomètres parcourus, nos calories ingérées, la qualité de notre sommeil, notre taux de glycémie ou notre rythme cardiaque afin de nous donner des objectifs pour améliorer notre qualité de vie, au péril d’une normalisation traduite en code informatique. D’un point de vue technologique, la désaffectation est réelle puisque ces données volumineuses sont toutes placées sur un même plan, avant que des outils d’analyse en extraient le sens pour les valoriser économiquement, scientifiquement et symboliquement. En effet, l’analyse de ces données prélevées comme nous extrayons des minerais (on parle bien de data mining ou de forage de données) nous révèle ce que nous sommes ou ce que nous deviendrons, comme si, enfin, la vérité se dévoilait : le monde traduit en données est plus vrai que celui dont nous faisons l’expérience puisque nos sens et nos affects nous trompent. On parle même désormais de sentiment analysis ou de forage d’opinions alors que la subjectivité humaine peut, elle aussi, être extraite et traitée objectivement à partir de données «naturelles». Depuis la caverne platonicienne ou la recherche de la langue adamique, l’humain vise à s’approcher de la Vérité et les techniques paraissent un moyen d’y arriver. Voici le fantasme des Big Data qui nous hypnotise : enfin une technologie présentée comme

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