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42ÈMES ASSISES DE LA PRESSE FRANCOPHONE 1-5 JUIN 2010 A RABAT « La responsabilité politique et sociétale des médias

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JANVIER / FEVRIER 2010

8 EUROS

Internet aux Assises de Yaoundé

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1950-2010

Plus qu’une Union, une âme par Georges Gros

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imoges, 1950… Soixante ans plus tard, la frêle amicale voulue par Dostaler O’Leary est devenue notre chère et forte UPF. Partie pour défendre la langue française, elle a fait siens d’autres combats, tout aussi justes, tout aussi importants. Et d’abord le premier d’entre eux: la liberté de presse, cette liberté mère de toutes les autres, fille de la démocratie et de l’humanisme. Revendiquant sa dimension francophone avant même la naissance de la Francophonie politique, l’UPF, malgré les obstacles, les mauvais coups, parfois la simple adversité, n’a jamais baissé les bras. Aucune des luttes qu’elle mène n’est achevée, qu’il s’agisse du français, aujourd’hui agressé au sein même du pays où il est né, ou du droit des journalistes de s’exprimer librement, dans un environnement juridique stable et équitable, sans craindre menaces et représailles d’où qu’elles viennent. Sans craindre d’être jetés en prison… Disons-le net : sur ce point, trop de dirigeants politiques francophones font encore la sourde oreille ou arguent de motifs injustifiés. L’UPF le déplore, se bat et se battra jusqu’à la dernière garde à vue, jusqu’à la dernière peine privative de liberté prononcée pour sanctionner un délit d’opinion. Cela a été dit et répété à Yaoundé, cela sera redit lors des prochaines assises et autant de fois qu’il le faudra, tant que ce scandale perdurera en terre francophone. Au fil des ans, au fur et à mesure que les « indépendances » s’installaient, prenaient tant bien que mal le chemin, souvent douloureux, de la démocratie, l’UPF a applaudi l’éclosion de leurs médias, publics et privés, avec un seul souci en tête : la qualité de leurs contenus. Très vite, elle a soutenu les actions de formation, aidé à l’organisation de la profession, incité les dirigeants politiques à promouvoir chez eux une véritable économie de la communication. Dire que ceux-ci l’ont partout entendu serait présomptueux. Des progrès substantiels ont néanmoins été accomplis, même si, trop souvent encore, les jour- Suite page 5

Accueillis au Cameroun pour réfléchir sur le thème « Ethique et déontologie à l’heure d’Internet : liberté et responsabilité des journalistes », deux cents professionnels ont réaffirmé que le respect de la déontologie et une formation de qualité restaient leurs armes essentielles pour se distinguer des « blogueurs » dans un monde où, désormais, chacun est invité à « fabriquer » son information.

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e l’avis unanime des participants, les 41èmes Assises de la Presse Francophone, organisées à Yaoundé du 16 au 22 novembre, ont été une réussite. Réussite au plan de l’accueil, grâce à une équipe locale, dirigée par Alain-Blaise Batongué, qui n’a pas ménagé sa peine. Réussite au plan de la solennité de ce congrès, qui a été honoré de la présence des plus hautes autorités du Cameroun. Réussite surtout au plan des travaux, les ateliers ayant été particulièrement animés. Il est vrai que le thème choisi par les responsables de l’UPF, « Ethique et déontologie à l’heure d’Internet : liberté et responsabilité des journalistes », est en pleine actualité, avec la montée en puissance,

sur tous les continents, d’un phénomène irréversible : l’intrusion au sein du monde de

l’information de nouveaux acteurs : les « blogueurs », auxquels d’aucuns accordent par-

fois le titre -fallacieux, sinon

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Une information instantanée Le réseau social en ligne qu’est Twitter a fait une nouvelle fois la preuve de la rapidité avec laquelle l’information y est diffusée.

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l est 22 h 56, heure française, mardi 12 janvier. À Port-au-Prince, Frédéric Dupoux écrit sur son compte Twitter : « Ça tremble. Séisme majeur en Haïti. » Ce n’est que dix minutes plus tard que les premières dépêches d’agence alertent les rédactions de ce tragique événement. Ce n’est pas la première fois que ce site américain fait parler de lui. Lors des manifestations iraniennes, en juin dernier, les opposants au régime de Mahmoud Ahmadinejad contournaient la censure de la presse iranienne et internationale en utilisant massivement Twitter.

Présenté comme une révolution de l’information, Twitter n’était pourtant à l’origine qu’un réseau social extrêmement dépouillé et simple d’utilisation. Il naît en 2006 de l’envie de Biz Stone et Jack Dorsey de savoir en temps réel ce que leurs amis font. Le principe est simple : une fois inscrit, l’utilisateur poste sur son compte des messages -ou tweets (gazouillis en anglais)- n’excédant pas 140 caractères, soit un peu moins long qu’un sms (160 signes). Les tweets peuvent d’ailleurs être aussi envoyés depuis un téléphone portable connecté à Internet.

Chaque membre se constitue un réseau de contacts, qui sont autant d’abonnés à son fil d’information, et peut également suivre d’autres personnes. Mais si l’accès au profil n’est pas restreint – ce qui est le plus souvent le cas –, tous les internautes peuvent consulter les messages qui y sont publiés. Décrié à ses débuts comme un gadget futile et nombriliste, Twitter a su mettre en valeur sa richesse : cette masse de petites et grandes nouvelles, de témoignages, de liens Internet, d’humeurs, de photos, etc. La page d’accueil du site n’est d’ailleurs plus,

depuis juillet dernier, une page d’inscription, comme c’est le cas sur Facebook, le plus gros réseau social, mais une barre de recherche, à l’instar de Google. « Qu’est-ce que Twitter a de révolutionnaire par rapport au Téléphone rouge d’Europe 1? », s’interroge Alain Joannes, auteur du Journalisme à l’ère électronique (ed.Vuibert). « Il y a un avant et un après Twitter dans la rapidité de l’accès à l’information. On est passé de la carriole au TGV ! », répond Laurent Guimier,

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ABDOU DIOUF : ETHIQUE ET DÉONTOLOGIE

HAÏTI FANN KÈ

COLLOQUE EN CROATIE

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41ÈMES ASSISES

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La cérémonie d’ouverture : un dialogue constructif entre journalistes et politiques Chacun des orateurs, en abordant le thème des assises, a admis qu’Internet bouleversait l’univers des médias, mais a aussi insisté sur l’importance du respect de l’éthique dans une société dominée par l’information. « Il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté de presse, ni de liberté de presse sans responsabilité des journalistes », a affirmé le Premier ministre camerounais, Philémon Yang.

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’emblée, les participants aux 41èmes assises de l’UPF sont entrés dans le vif des débats de leur congrès. Dès les premières interventions de la séance inaugurale, présidée par le Premier ministre du Cameroun, Philémon Yang, l’éthique et la responsabilité des journalistes, leur rôle dans les sociétés modernes, ont été abordés à la tribune, avec un souci commun à chacun des orateurs : ouvrir un dialogue constructif, en évitant les habituels griefs qui séparent professionnels de la presse et autorités politiques. Protocole oblige, c’est Gilbert Tsimi Evouna, délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé qui, le premier, a souhaité la bienvenue aux journalistes. Président de la section camerounaise et viceprésident international de l’UPF, Alain-Blaise Batongué a fait de même, après avoir invité ses confrères à observer une minute de silence en mémoire de ceux qui, depuis le congrès de Montréal, « ont cassé leur plume », notamment Abui Mama Eloundou, le directeur de la rédaction de Cameroon Tribune, que ses amis ont porté en terre à la veille même des assises.

ment de la liberté d’expression et, partant, celle de la presse, un pilier essentiel et le baromètre par excellence des progrès d’une démocratie apaisée dans notre pays ».

et l’élection d’un nouveau bureau. « Faisons de notre Union une association forte, toujours au service du professionnalisme, de la solidarité, du partage et, surtout, de la promotion et de la qualité de la langue française dans nos médias », a-t-il conclu.

Un citoyen éclairé parce que bien informé

Après un intermède musical, Jean Miot, président de la Section française de l’UPF, a lu un message de Jean-Pierre Raffarin, Représentant permanent du président de la République française pour la Francophonie (voir encadré), avant de souligner à titre personnel combien, selon lui, les participants aux assises

Le Premier ministre Philémon Yang

« Nous sommes convaincus qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté de presse, ni de liberté de presse sans responsabilité du journaliste », a-t-il ajouté, abordant ainsi le thème même des assises. Et le Premier ministre,

Jean-Pierre Raffarin : « Des règles spécifiques à la Toile »

Le rêve d’AlainBlaise Batongué Ce congrès, a dit avec émotion le directeur du quotidien Mutations, est « la matérialisation d’un rêve qui a mis du temps à se réaliser ». C’est en effet dès mars 2004 que le président de la République, Paul Biya, a invité l’UPF au Cameroun. Un événement que diverses circonstances ont retardé, mais qui n’en a pas moins l’ampleur souhaitée alors. Rendant hommage à « l’implication personnelle» du chef de l’Etat dans la préparation des assises, AlainBlaise Batongué a remercié aussi deux autres personnalités, Jean-Pierre Biyiti bi Essam et Issa Tchiroma Bakary, qui, pendant cette période, se sont succédés à la tête du ministère de la Communication. Le président de la Section camerounaise a enfin rendu hommage aux « pionniers » qui, au début des années 80, ont implanté l’UPF en terre camerounaise, en particulier à Pius Njavé, directeur du quotidien de Douala Le Messager, qui, le jour même de cette séance inaugurale, fêtait ses trente ans. « Il fut le premier à recevoir le Prix de la Libre Expression », a rappelé l’orateur, avant de promettre une vraie relance des activités de la section dans les prochains mois, notamment l’organisation de séminaires

étaient unis, par leur langue commune, le français -« quatrième parler mondial »-, mais aussi par « notre merveilleux métier de journaliste ». « Nous devons aujourd’hui faire face à une deuxième fabuleuse révolution après celle de Gutenberg, celle d’Internet », a dit l’ancien PDG de l’AFP. « Notre métier est menacé : si tous les journalistes sont blogueurs, tous les blogueurs ne sont pas journalistes… », a-t-il insisté, avant de souhaiter des débats « à égalité » entre tous les participants. « Nous rencontrons les mêmes difficultés, les mêmes problèmes d’éthique, nous avons beaucoup à apprendre de vous », a-t-il ajouté, avant de conclure sur une première proposition : l’aide de l’IFRA, la cellule technologique de l’Association Mondiale des Journaux, aux éditeurs des pays émergents confrontés à la révolution numérique.

Des sanctions pécuniaires plutôt que la prison Axant son discours sur « la liberté et la responsabilité du

journaliste », le président international de l’UPF, Alfred Dan Moussa, après avoir multiplié les remerciements à tous ceux qui ont oeuvré à l’organisation des assises a lui aussi, d’entrée de jeu, souligné une évidence : Internet n’est pas que l’affaire des seuls journalistes. « Les citoyens de toutes les catégories socio-professionnelles deviennent chaque jour davantage des producteurs d’information… à la différence près que le journalisme impose la vérification des sources, la sélection et le traitement de l’information, alors qu’Internet apparaît comme un fourre-tout », a-t-il ajouté, soulignant que l’éthique et le respect de la déontologie professionnelle étaient, de ce fait, plus que jamais à l’ordre du jour. « L’actualité nous imposait ce thème pour nos assises », a-til estimé, avant d’aborder une question que l’UPF a placée depuis longtemps au centre de ses préoccupations : la suppression de la peine privative de liberté pour les délits de presse. S’adressant aux chefs d’Etats francophones, Alfred Dan Moussa a expliqué qu’« il ne s’agit pas pour l’UPF de revendiquer le droit, pour les professionnels de l’information, d’être des

intouchables ». « Comme n’importe quel citoyen, nous devons accepter d’être sanctionnés, a-t-il dit. Mais, à la prison, nous préférons les sanctions pécuniaires raisonnables ». Une revendication qu’il estime « confortée » par « les retombées incontestables du travail quotidien de formation et de sensibilisation des journalistes » réalisé par les multiples organismes qui encadrent la profession dans l’espace francophone. « Dès lors, comment comprendre que, sur 172 journalistes incarcérés dans le monde en 2009, 65 le soient dans celui-ci ? » s’est-il interrogé, avant de réclamer la libération immédiate de tous les confrères encore en détention et la levée des interdictions de paraître et d’émettre qui frappent certains médias. Conseiller spécial d’Abdou Diouf, Ousmane Faye lut ensuite le message du Secrétaire général de l’OIF, avant l’intervention la plus attendue, celle du Premier ministre. Soulignant lui aussi combien le Président de la République avait fait de la réussite de ces assises un objectif prioritaire, Philémon Yang a insisté sur « la préoccupation » de Paul Biya de « faire du plein épanouisse-

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eprésentant permanent du président de la République française pour la Francophonie, Jean-Pierre Raffarin, dans son message aux congressistes de l’UPF, lu par Jean Miot, a d’abord souligné le rôle éminent des médias dans « la démocratisation des relations internationales et la promotion de la diversité culturelle ». « La France, a-t-il ajouté, accorde une importance primordiale à la presse internationale », qui joue « un rôle fondamental en matière de défense de la liberté de communication et d’expression dans le monde ». Un monde que la Francophonie veut « plus juste ». Puis l’ancien Premier ministre français est entré dans le vif du sujet en affirmant que « les nouvelles pratiques liées à la rapidité de la diffusion de l’information confrontent le journaliste à de nouveaux obstacles ». « Le journaliste en ligne, a-t-il précisé, est pris en étau entre la loi du marché et sa responsabilité professionnelle ». D’où la nécessité, selon JeanPierre Raffarin, de définir « des règles éthiques spécifiques » à la Toile pour combler « le vide juridique » qui demeure en matière de gestion de celle-ci, « malgré les efforts réalisés par les gouvernements ». Le représentant de Nicolas Sarkozy suggère ainsi que «le journaliste en ligne explicite ses sources avec rigueur » et qu’il « permette au lecteur, par courriel, d’obtenir des précisions supplémentaires ». Il s’agit, a-t-il dit, « d’éviter les dérapages dans cette course effrénée à la recherche du scoop ». Enfin, le sénateur de la Vienne a rappelé que, par un décret du 29 octobre 2009, le système juridique de la presse française avait été modifié « afin de reconnaître les services de presse en ligne ». Ceux-ci, désormais, bénéficient du régime fiscal des entreprises de presse et les membres de leur rédaction sont reconnus comme journalistes. « C’est une véritable innovation qui, je l’espère, va servir d’exemple pour la Francophonie », a-t-il conclu.

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41ÈMES ASSISES qui s’est réjoui que les journalistes, aujourd’hui, soient de plus en plus nombreux à s’intéresser à l’éthique et à la déontologie, de se lancer dans une véritable leçon de journalisme, en insistant notamment sur les responsabilités des professionnels lorsqu’ils délivrent des informations qui « mettent en jeu l’honneur, la considération, la réputation, la vie professionnelle ou privée de particuliers ». « Il n’y a pas de démocratie sans démocrate, c’est-à-dire ce citoyen éclairé et serein parce que bien informé, capable de prendre son destin en main, en toute connaissance de cause. Ce citoyen-là est,

pour une part essentielle, le produit d’un bon système d’information et de communication », a encore dit le Premier ministre, avant de souligner que les textes qui, au Cameroun, encadrent la liberté de presse sont « conformes aux attentes universelles en la matière et aux spécificités de notre société, un melting-pot humain et socio-culturel s’il en fût ». Enfin, avant de conclure son discours en déclarant ouvertes les 41èmes assises de l’UPF, Philémon Yang a souhaité que ce congrès soit aussi un moment de réflexion sur les relations Nord-Sud à travers la presse francophone.

Regrettant qu’à côté d’un reportage sur les enfants victimes du choléra, les médias du Nord ne relatent pas les efforts des services de santé, le Premier ministre a appelé à « une information objective, c’est-à-dire équilibrée ». « Il importe de promouvoir une éthique communicationnelle de la solidarité entre presse des pays du Nord et presse des pays du Sud. Une solidarité, a-t-il souhaité, qui doit conduire la presse francophone à montrer un réel reflet du Sud, à montrer ses forces, ses succès, ses hommes et ses élites ».

Serge Hirel

Abdou Diouf : « Ethique et déontologie sont indispensables au succès d’Internet »

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Internet peut représenter une chance pour la réalisation des objectifs que la Francophonie s’est fixée : la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme, la promotion de la diversité culturelle ». Loin du procès trop souvent prononcé contre ce nouvel outil de communication, notamment dans les cercles politiques, le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, dans son message aux Assises de l’UPF, lu par son conseiller spécial, Ousmane Faye, a, au contraire, « loué ses vertus en tant qu’outil de socialisation, diffuseur de la culture de masse, source de créativité et support pédagogique efficace ». « L’impact d’Internet sur les citoyens et la vie des nations, parce qu’il est instantané, immédiat et universel, bouleverse notre appréhension de la communication », a-t-il ajouté, insistant sur « le rôle actif » qu’il donne aux consommateurs. L’interactivité permet à l’internaute de « jouer un rôle citoyen, de développer son imagination », aux communautés humaines « de sortir de l’isolement et du repli sur soi ». Cette puissance d’Internet, qui « apparaît comme l’outil de communication le plus complet », n’a pas échappé aux médias traditionnels, a indiqué Abdou Diouf. Aujourd’hui, ils « construisent leur stratégie de développement sur leurs versions en ligne et développent un échange inédit avec leurs lecteurs et leurs auditeurs ». Mais, a-t-il aussi prévenu, Internet ne tiendra ses promesses « que si les conditions de sa gouvernance obéissent aux principes d’éthique et de déontologie inhérents à un journalisme de qualité ». Regrettant que, trop souvent sur la Toile, apparaissent informations incertaines, sources anonymes, diffamations, manipulations, le Secrétaire général de la Francophonie a dit sa crainte d’y voir « planer la

menace de désinformation ». « Trop longtemps, émerveillés par l’outil, nous avons fait l’impasse sur la nécessité de définir et de faire respecter des règles de bonne pratique, d’informer et de former les personnels concernés », a-t-il affirmé,

Toile », mais certain de la nécessité d’une éthique, le Secrétaire général de la Francophonie voit dans les réseaux de professionnels « les fers de lance de ce combat ». Cette mission, l’UPF la fait sienne. Depuis longtemps,

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Séance de présentation : la « leçon inaugurale » d’Yves Agnès « Pour nous, journalistes, Internet est une chance de retrouver nos fondamentaux et la confiance du public », a affirmé l’ancien directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris. Président d’une association de préfiguration d’un conseil de presse, il défend le principe de la médiation, qu’il oppose au pouvoir des juges.

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peine achevée la cérémonie officielle d’ouverture des 41èmes assises de l’UPF, les congressistes ont écouté l’un des leurs, Yves Agnès, ancien rédacteur en chef au Monde, présenter un « exposé introductif » censé cadrer les futurs débats. L’ancien directeur du Centre de Formation des Journalistes de Paris n’a pas établi la liste des nombreuses questions qui allaient être examinées dans les ateliers, ni même celle des réponses possibles. Il a plutôt prononcé « une leçon inaugurale », en donnant son point de vue sur sa conception du journalisme à l’heure d’Internet, sur les nouveaux rapports que ce média crée avec le lecteur et l’auditeur, en disant aussi sa conviction que l’autorégulation de la profession devait s’imposer, y compris en France, où il est président d’une association de préfiguration d’un « conseil de presse »… Divisant son propos en cinq chapitres, Yves Agnès a d’abord rappelé les diverses définitions du journalisme professionnel. « Deux mots sont au centre de notre travail, a-t-il dit : information et public. Ils caractérisent notre métier, en déterminent l’importance sociale et fondent sa spécificité pour le bon fonctionnement d’une démocratie ». « Le journaliste est au service du public », a-t-il résumé, regrettant que, « trop souvent », il ait « tendance à oublier ceux pour lesquels ils travaillent : les citoyens consommateurs d’informations ». D’où de « vives critiques », qu’elles soient adressées directement aux médias ou indirectement via des sites Internet ou des blogs. « Cela nous appelle avec insistance à la réflexion sur nos pratiques et, plus encore, sur notre raison d’être », a-t-il affirmé.

Des critiques de plus en plus acerbes

un avachissement de la morale professionnelle ». « Que nous arrive-t-il ? », s’est-il exclamé. « Pas étonnant que les critiques des publics se fassent de plus en plus acerbes », malgré l’apparition de « médiateurs », malgré, dans de nombreux pays, l’adoption de chartes déontologiques, nationales ou par entreprise, et la création de « conseils de presse » chargés de veiller à l’application des principes professionnels. « La partie serait-elle perdue ? », a-t-il lancé, avant de consacrer un quatrième chapitre à défendre le principe de la médiation -et donc du « conseil de presse »- qu’il oppose au pouvoir des juges. « Dans les sociétés démocratiques libérales, qui dit liberté dit aussi responsabilité sociale et donc régulation ou autorégulation », argumente Yves Agnès. L’information exigeant une liberté absolue, donc une responsabilité vis-à-vis du public, « chaque entreprise médiatique et la profession tout entière doivent mettre en oeuvre des dispositions structurelles efficaces ». La deuxième raison pour refuser de confier aux juges l’éthique professionnelle découle, selon l’orateur, « de la demande généralisée du public de participer à la vie sociale ». « Aujourd’hui, le public n’attend plus des médias une vérité assénée comme parole d’évangile. Il veut être traité avec respect et être associé, d’une façon ou d’une autre, à la production de l’information ». Initiée avec le « courrier des lecteurs », l’interactivité a pris un envol définitif avec Internet. Saisir la justice quand on s’estime lésé ne suffit pas.

Un partenaire incontournable : le public

Dès lors, en conclut Yves Agnès, « signe d’une avancée démocratique, d’une conception évoluée des rapports sociaux, la médiaDeuxième thème abordé : « la liberté d’infor- tion devient un passage obligé ». Selon lui, mer, mais aussi le droit d’être bien informé ». « faite d’écoute du public, d’atPour Yves Agnès, si la tention aux critiques, d’enquêliberté d’expression et tes sur les faits reprochés, de communication est d’explications, de dialogue », reconnue pour la prela médiation, qui « s’intercale mière fois avec la entre les acteurs d’un litige et Déclaration des Droits le recours aux tribunaux, s’opde l’Homme du 26 août pose à toute tentative de repli 1789, « le droit de chacorporatiste, de conseil de l’orque citoyen à recevoir En conclusion de son exposé, dre ou de jugement des pairs ». une information plura- Yves Agnès a énuméré quatre liste, libre, honnête et principes qui, a-t-il dit, « résument « C’est donc à la profession, et de qualité n’est pas mes convictions sur la qualité de non aux juges, de s’organiser encore entré dans les l’information au regard de l’éthi- en toute liberté, mais avec un partenaire désormais inconconsciences ». « Il n’a que et de la déontologie » : pas trouvé de traduction - Des journalistes conscients de tournable, le public des lecsuffisante dans les leurs responsabilités vis-à-vis du teurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes », a insisté Yves constitutions », a-t-il public ; Agnès. regretté, citant toutefois deux résolutions du - Des journalistes compétents, Enfin, l’ancien rédacteur en Conseil de l’Europe et campés sur leurs fondamentaux, chef au Monde a donné son des Nations Unies qui, donc bien formés ; point de vue sur l’impact l’une et l’autre, en ter- - Des éditeurs de médias pas uni- d’Internet sur le métier de jourmes différents, exigent quement obnubilés par les divi- naliste. Aujourd’hui, avec l’aprigueur et morale de la dendes de leurs actionnaires ou parition des radios et télévipart des médias et des par leur complaisance envers la sions d’information continue journalistes. puissance publique, mais, eux et, bien évidemment, « L’apparition d’Inter- aussi, responsables de la qualité d’Internet, le public est plongé dans « un bain d’informations net modifie-t-elle réel- de l’information ; lement la donne dans la - Des dispositifs déontologiques permanent », au point de ne démarche qui doit être vivants, donc évolutifs, fortement plus savoir d’où il les détient, la nôtre de recherche et présents dans la collectivité a-t-il dit. Chez les professionde production d’une médiatique de chaque pays, asso- nels, la Toile conduit bon nominformation honnête et ciant le public, qui servent à tous bre d’entre eux à pratiquer « le de qualité ? », a alors de boussole dans un univers agité journalisme assis, décalé de la réalité du « terrain », qui ne interrogé l’orateur. et changeant. peut qu’être préjudiciable à Sur ce thème du respect une information de qualité », de l’éthique et de la a-t-il aussi regretté. déontologie, Yves Agnès a ensuite consacré quelques instants aux « dérives des pratiques Puis dressant un tableau des points positifs et journalistiques » provoquées, « ici par des négatifs d’Internet en matière d’éthique et de considérations marchandes, là par des injonc- rapport avec le tions politiques, mais aussi, simplement, par public, Yves Agnès Suite page 7

Quatre principes

avant de rappeler que toutes les actions de la Francophonie en faveur du développement des médias sont basées sur « le principe de professionnalisation des acteurs, dans le respect scrupuleux des règles de déontologie et d’éthique ». « C’est cette référence qui doit servir de base aux règles à proposer pour gouverner Internet », en conclut Abdou Diouf, qui souhaite que « les journalistes aient un rôle majeur dans cette nécessaire mobilisation ». A eux d’éduquer les nouveaux cybercitoyens, suggère-t-il.

Aux réseaux de professionnels de mener le combat Reconnaissant que, même s’il est « envisageable, indispensable », l’encadrement législatif et réglementaire de ce nouveau média aura ses limites, se refusant à « établir un ordre moral sur la

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ensemble, journalistes du Nord et du Sud réfléchissent sur l’éthique et les pratiques professionnelles. Le thème des assises de Yaoundé démontre, s’il en était besoin, que l’UPF partage les craintes et les convictions d’Abdou Diouf sur l’avenir d’Internet. Comme lui, elle en est persuadée, « les journalistes doivent demeurer les passeurs d’une information multiforme, qui se doit de rendre compte de la diversité des modes de pensée et d’expression ». Dans le préambule de son message, le Secrétaire général de la Francophonie avait rendu hommage à l’Union, « cette vaillante association », dont tous les membres, depuis soixante ans, font preuve d’un « activisme militant au service de la cause francophone ». Un activisme qui, outre ses champs d’action traditionnels, en a désormais un nouveau : développer la qualité de l’information francophone sur la Toile.


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Le journaliste doit s’adapter à Internet mais ne rien changer à son éthique Organisé autour du thème « Internet change-t-il la donne ? », le premier atelier des assises, très interactif, s’est achevé sur un consensus : oui, la révolution numérique bouleverse le journalisme mais ne change en rien l’ardente obligation du professionnalisme et du respect de ses règles.

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es quatre ateliers organisés pendant les 41èmes assises de l’UPF, c’est le premier qui fut le plus interactif. Consacré à l’impact d’Internet sur les médias et les pratiques professionnelles, le débat, modéré par Pierre Essama Essomba, président du Comité camerounais des médias, a été alimenté par une bonne vingtaine de participants, après les témoignages et les points de vue des quatre membres du panel. Directeur du quotidien camerounais Le Jour, Haman Mana ne décolère pas : « Nos contenus sont piratés par un site très regardé à l’étranger. Nous avons tenté une action judiciaire aux Etats-Unis. Mais le dossier de l’entreprise était établi à une fausse adresse et pour une toute autre vocation… Poursuivre nous aurait coûté trop cher… et le site continue à nous piller…». Amer, Haman Mana, dont le journal est diffusé à 5 000 exemplaires, fulmine aussi contre « la religion de la gratuité » qui sévit sur Internet. « Nous, nous payons nos journalistes pour collecter et traiter l’info ! », dit-il. « Internet ne nous fascine plus. Et nous n’avons rien à faire de la notoriété que ce site pirate nous apporte dans les pays du Nord! Notre problème est simple : comment capter la manne que nous créons tous les jours ? Comment obliger les services en ligne à respecter le droit d’auteur ? D’évidence, la solution n’est pas encore trouvée. Même les plus grands groupes de communication du monde se battent sur ce point avec Google… ». « Cette question, la plupart des éditeurs africains se la posent », a conclu le directeur du Jour.

TV5Monde : une rédaction devenue « globale » Philippe Dessaint, rédacteur en chef de l’émission Kiosque sur TV5Monde et vice-président de l’UPF pour l’Europe, a décrit les bouleversements qu’entraîne Internet dans une rédaction qui devient « globale ». « Voici trois ans, nous avons pris conscience que nous avions un retard en matière d’information sur le Net, que nous devions y prendre notre part. Une grande partie de la rédaction a eu peur et a soulevé des questions pertinentes : la responsabilité éditoriale, les droits d’auteur, la vérification de l’info, le respect de la ligne éditoriale… Nous avons pris le problème à l’envers : au lieu de créer une autre rédaction, dédiée aux nouveaux médias, nous avons « globalisé » notre équipe ». « Aujourd’hui, nos 80 journalistes fabriquent des contenus qui sont immédiatement mis en diffusion, soit sur le téléphone portable, sur le Net ou à la télévision, a expliqué Philippe Dessaint. Cela change pas mal de choses en

avec ses lecteurs permet d’approfondir, d’enrichir l’information », a estimé l’ancien directeur délégué du Figaro, qui a élargi son propos à la crédibilité des sites d’information sur la Toile. « L’internaute doit pouvoir être sûr qu’une information est authentique, c’està-dire vérifiée, grâce à un label accordé au site qui la diffuse, qu’il soit attaché à un média traditionnel ou ‘pure player’ », a-t-il dit. Il a aussi énoncé son « théorème » qui veut que, à condition de ne pas dupliquer sur le Web le contenu du journal, « l’écran sauvera l’écrit » (lire page 10 l’interview de Jean Miot paru dans Mutations. Plusieurs intervenants ont, de matière de rapidité : le journal doit être prêt à tout moment… Nous devons, à chaque instant, être en mesure d’entrer en émulation avec d’autres supports… Ce qui entraîne une difficulté nouvelle : aller vite et, pourtant, vérifier solidement… Notre choix est clair : ne pas employer le conditionnel, vérifier d’abord… quitte à perdre quelques matches…». Le chef des opérations spéciales et internationales de TV5Monde a aussi abordé une question qui, aujourd’hui, fait débat dans beaucoup de rédactions : le blog personnel des journalistes. « Leur notoriété, qui découle de leur présence à l’antenne, attire les internautes… Nous sommes très interrogatifs sur ce modèle », a-t-il indiqué. « Nous pensons à établir une règle de bonne conduite pour éviter que des choses figurant sur ces blogs soient ensuite reprochées à la chaîne… ».

Labelliser les sites d’information Michel Tjade Eoné, professeur à l’ESSTIC (Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication) de Yaoundé, a ensuite donné son point de vue sur « le binôme libertéresponsabilité ». « Un couple qui doit se compléter et se conseiller mutuellement », a-til dit, avant d’observer qu’aujourd’hui, l’homme public est devenu « l’homme cathodique ». Ce qui, selon lui, justifie le primat du droit de chaque citoyen à l’information sur le respect scrupuleux de sa vie privée. Après l’exposé d’Ibrahim Koné, un débat s’est installé, qui, la densité des interventions du panel aidant, a pris plusieurs directions. A la remarque d’un confrère qui notait que, depuis toujours, les journalistes ont à vérifier une information tombée à quelques instants du bouclage, Philippe Dessaint rétorquait que le problème est d’une toute autre dimension lorsque le bouclage est permanent. Puis, plusieurs congressistes ont repris la question des blogs

tenus par des journalistes. Pour André Buyse, « le blogueur doit rester fidèle, correct et honnête vis-à-vis de son employeur ». « Un blog de journaliste n’est pas obligatoirement une réponse à son journal. Il peut être aussi réalisé en accord avec le média. C’est

une façon d’aller vers le média global », a fait remarquer, pour sa part, Jean Kouchner, tandis que Jean Miot insistait sur le fait que « tous les blogueurs ne sont pas journalistes ». « Qu’un journaliste, sous couvert de son journal, discute

Suite de la page 1 : Internet usurpé- de « journalistes citoyens ». Les quelque 200 participants aux assises, venus de 33 pays, ont donc longuement examiné les conséquences sur leurs activités professionnelles de la possibilité pour tout internaute de s’exprimer directement, sans l’intermédiaire d’un média, grâce au Net, pour informer, pour commenter, pour désinformer et manipuler. Comment, confronté à ce nouvel environnement, le journaliste professionnel peut-il se démarquer ? La réponse n’a fait de doute pour personne : par ses compétences et par son respect rigoureux des règles du métier. Plus que jamais, dans un monde où les nouvelles sont transmises à la vitesse de la lumière, la formation et l’éthique feront la différence, tout simplement parce le public préférera toujours une information exacte, parce que vérifiée, recoupée, hiérarchisée, placée dans son contexte, à une rumeur reprise, amplifiée, trouvée par hasard sur

leur côté, dit leur inquiétude à propos de l’utilisation du Net comme source d’information. Une habitude qui s’est notamment développée dans les rédactions du Sud, où il n’est pas rare, faute de moyens économiques, que la Toile soit, aujourd’hui, le seul moyen de

vérification d’une information. « Internet nous permet d’avoir accès aux dépêches de l’AFP», a dit l’un. « Internet, ce n’est pas la vérité », a dit l’autre. « Notre attitude ne doit pas être négative vis-à-vis de cette nouvelle source, mais nous devons exercer notre professionnalisme », a nuancé Lucien Messan.

Chacun est responsable de sa liberté Autre thème débattu : l’écriture sur Internet. « On a parfois l’impression que la technique prend le dessus sur le contenu. Le journaliste semble donner l’impression de négliger certaines règles… », a regretté une intervenante. « Ecrire pour le Net ne veut pas dire que l’on doit outrepasser les canons de l’information », a répondu un autre, tandis que Silvija LuksKalogjera, présidente de la Section croate de l’UPF, affirmait : « Notre travail reste le même. Internet n’est qu’un outil technique. Auprès des jeunes journalistes, il faut d’abord insister sur la responsabilité et la liberté personnelle. Chacun est responsable de sa liberté. Si je n’obéis pas à la déontologie de l’info, je suis d’abord responsable devant moi-même ! » Des débats très riches donc, auxquels l’organisateur des assises, Alain-Blaise Batongué, a aussi participé en résumant l’opinion générale. « La réponse à tous ces problèmes, a-t-il dit, tient en un mot : le professionnalisme ».

Jules de la Fayolle

une Toile où se côtoient le meilleur et le pire. Président des travaux, Jean Kouchner a réussi à bâtir des panels particulièrement compétents pour tenter de répondre à quatre sujets principaux: les bouleversements provoqués par Internet dans les pratiques du métier de journaliste, la régulation éthique des médias confrontée à cette nouvelle donne, l’impérieuse nécessité de la formation, enfin le délicat problème, irrésolu à ce jour, du financement et donc du management des médias, qu’ils soient traditionnels ou électroniques.

Pas de journalistes en prison Une bonne vingtaine de personnalités, camerounaises ou étrangères, ont planché sur ces questions, et leurs interventions, précises, parfois rugueuses, ont fait réagir les congressistes, qui ont été particulièrement nombreux à s’exprimer. En particulier les

confrères locaux de la presse privée, quelque peu malmenés par certains dirigeants des médias publics, qui ont décrit un paysage médiatique quasi apocalyptique… En tout cas, une bonne démonstration de la vitalité de l’UPF, de son pluralisme aussi, même si, sur de nombreux points, en particulier la défense de la liberté d’expression, les points de vue étaient unanimes. Président international, Alfred Dan Moussa, dès son discours d’ouverture, a rappelé que l’UPF militait depuis de nombreuses années pour la dépénalisation des délits de presse dans tout l’espace francophone. « Aucun journaliste ne doit être jeté en prison dans le cadre de ses activités professionnelles », a-t-il plaidé, tout en reconnaissant avec la même conviction que les professionnels de l’information ne sont pas au-dessus des lois. Les participants aux assises ont aussi tous applaudi la décision du comité internatio-

nal de l’UPF de remettre le Prix 2009 de la Libre Expression à la chaîne TV+, de Libreville, qui, après une interdiction de diffusion le jour même du scrutin présidentiel, a vu ses émetteurs et tous ses équipements confisqués par l’armée gabonaise. Enfin, les congressistes ne sont pas prêts d’oublier non plus la partie festive des assises, en particulier les deux réceptions très réussies offertes par les ambassadeurs de France et du Cameroun, Bruno Gain et Eugène Biti Allou Wanyou. Cette dernière d’autant plus qu’elle s’est déroulée au soir d’un voyage particulièrement éprouvant, mais passionnant, à Foumban. Dans cette cité, l’une des plus anciennes du Cameroun, à 250 km de Yaoundé, les plus vaillants ont bénéficié d’un rare privilège : la rencontre avec le sultan Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya XIX. Cela méritait bien près de quinze heures d’autobus… S. H.

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Michel Tjadé Eoné : « Liberté et responsabilité sont deux valeurs fondamentales et complémentaires » De tous les panélistes des 41èmes assises de l’UPF, c’est à coup sûr Michel Tjadé Eoné, professeur à l’Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information (ESSTIC) de Yaoundé, qui a réalisé le plus important travail de recherche pour étayer son exposé « Le binôme liberté-responsabilité ». Cette étude comparative des différents textes qui proclament le droit fondamental de l’homme à la communication, allant du poète anglais John Milton (en 1644) à la Charte africaine de Nairobi (en 1981), restera notamment dans les mémoires.

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’emblée, Michel Tjadé Eoné a affirmé que, « malgré les apparences, liberté et responsabilité ne sont pas en conflit ». « Dans l’exercice des métiers de la communication, a-t-il dit, ces deux valeurs fondamentales devraient se compléter et se conseiller mutuellement et inlassablement. Autrement dit : pas de liberté sans responsabilité, pas de responsabilité sans liberté ». « Le principe de la liberté de communication fait droit », a-t-il poursuivi. Mais ce droit à la communication -« droit de chaque citoyen à communiquer sa pensée et à accéder à la pensée d’autrui »-, dans tous les textes qui, depuis plus de deux cents ans, l’établissent, « n’induit pas une liberté absolue. Ce n’est pas la liberté de l’anarchiste. Au contraire, c’est une liberté

concrète qui s’exerce dans un espace sociopolitique précis». Dans toute société démocratique, « le droit positif précise les contours et donc les limites ainsi que les modalités de l’exercice des libertés de communication », a noté le professeur de l’ESSTIC, avant d’énumérer ces diverses restrictions. Il les divise en deux catégories : celles liées à la protection de l’intérêt général -c’est le cas notamment des textes interdisant la propagande en faveur de la guerre ou l’appel à la haine raciale- et celles « nécessaires pour protéger les droits d’autrui ». Parce que les médias ont, en démocratie, une responsabilité sociale indéniable, le respect de ces droits est inscrit dans la loi. Mais, au-delà, il implique aussi « l’obser-

vance scrupuleuse par les journalistes d’un certain nombre de devoirs qui relèvent de la déontologie et de l’éthique professionnelles », a noté Michel Tjadé Eoné. Devoir -et obligation- de ne publier que des informations exactes, donc vérifiées. Devoir de rechercher la vérité, pour « servir le droit des citoyens à une information authentique». Devoir -et obligation-, enfin, de respecter la vie privée. Un point sur lequel l’orateur s’est étendu pour traiter du cas particulier de l’homme public. Observant qu’aujourd’hui, « avec l’intrusion des nouvelles technologies et singulièrement d’Internet, la célébrité rend incertaine, voire poreuse, la frontière entre vie publique et vie privée » et que, « de toute évidence, un conflit latent existe alors entre le droit de chacun

à la protection de la vie privée et le droit de chacun à une information complète », le professeur de l’ESSTIC a estimé que, dans une démocratie représentative, celui-ci l’emportait sur le premier. « Un primat, a-t-il dit, qui se fonde sur l’exigence de transparence qu’entraîne l’émergence de « l’homme cathodique », un homme presque sans vie privée ». Un primat qui, néanmoins, ne saurait justifier aucun manquement au devoir de vérification des faits. « La toute-puissance des médias, qu’elle soit réelle ou surfaite, ne doit pas, sous prétexte de liberté de communication, inciter à la violation d’autres droits de l’homme », a conclu Michel Tjadé Eoné. « Il en découle une synergie d’action entre liberté et responsabilité, deux vecteurs de progrès social

qui doivent former un couple solide, solidaire et inséparable, déterminé à vivre durablement une vraie histoire d’amour ». « Pour qu’il en soit ainsi, a-til encore affirmé, il faut que les hommes des médias soient de vrais profession-

nels, bien formés et bien informés des règles de l’art. Ils doivent acquérir un savoir et un savoir-faire qui leur permettent en permanence d’être pleinement libres dans la responsabilité et pleinement responsables dans la liberté ».

Ibrahim Koné : « Internet réinvente notre avenir »

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vec le lyrisme et le franc-parler qui le caractérisent, Ibrahim Koné, ancien directeur de Radio-Côte d’Ivoire, a livré à ses confrères, pendant le premier atelier, un discours d’une qualité exemplaire, nourri par son expérience de près de cinquante ans de journalisme. Il les a d’abord appelés à « ne pas se résigner » face aux « crises démocratique, économique et morale qui minent l’information, sa qualité et son utilité, son honnêteté et sa liberté ». Pestant contre « le présidentialisme exacerbé », qui « réduit l’information au pouvoir d’un seul », le journaliste-enseignant a regretté que, « dans cette culture politique-là, le journaliste professionnel devienne un adversaire qu’il faut séduire ou soumettre, vaincre dans tous les cas ». « Tout semble fait, en cette époque, pour démoraliser le journalisme, ses valeurs, ses idéaux, sa jeunesse en somme », a poursuivi l’orateur… qui, pourtant, espère des jours meilleurs, grâce aux « bouleversements » provoqués par Internet. « La nouvelle presse numérique invente et préserve, innove et prolonge, a-til dit. Elle protège l’indépendance et le pluralisme de l’information par le secours et le recours de lecteurs contributeurs… Elle réinvente un avenir où notre travail retrouve crédit et valeur ». « Oui, Internet change la donne », s’est-il exclamé, précisant aussitôt que, si les professionnels de l’information veulent profiter de « la nouvelle alliance » avec leur public que le net rend possible, ils devront, sur ce média

créditée par nous-mêmes, notre légitimité est à reconquérir. Notre métier ne peut plus être pratiqué d’en haut, nous ne pouvons plus tenir à distance nos lecteurs, nos auditeurs, nos téléspectateurs ».

aussi, « s’attacher à trois exigences : leur responsabilité démocratique, la qualité de leurs informations et l’authentique exigence éthique ». « La Toile doit apporter l’information qui fait sens, la nouvelle qui enseigne, le débat qui construit, l’échange des savoirs et le partage des connaissances », a ajouté Ibrahim Koné, avant d’appeler ses confrères à ne renoncer « ni à la qualité, ni à la référence ». « Notre ambition, a-til affirmé, doit rester de fournir des informations d’intérêt public, de demeurer libres et autonomes, acteurs de nos destins, individuel et collectif. Notre première obligation est à l’égard de la vérité, notre première loyauté envers les citoyens, notre première discipline la vérification et notre premier devoir l’indépendance ». « Il ne suffit pas de revendiquer cet héritage pour lui rester fidèle, a-t-il prévenu. Malmenée par d’autres, dis-

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Pour Ibrahim Koné, « la révol u t i o n d’Internet » a parachevé cette mutation. « Le journalisme qui prétendait avoir le monopole de l’opinion est tombé de son piédestal, a-t-il jugé. Cela me paraît une bonne nouvelle ! Nous voici remis à notre place, ramenés à notre raison d’être : chercher, trouver, révéler, trier, hiérarchiser, transmettre les informations, les faits et les réalités utiles à la compréhension du monde, à la réflexion qu’elle suscite, à la discussion qu’elle appelle». Et « l’ancien » de poursuivre sa leçon : « Le journaliste doit réapprendre que le jugement, le point de vue, l’analyse ou le commentaire, l’engagement, l’expertise et la connaissance ne sont pas sa propriété exclusive ». En ce sens aussi, selon lui, Internet modifie la donne, en facilitant l’interactivité entre les professionnels de l’information et leur public. Ce qui renforcera la fidélité des lecteurs. « C’est cette fidélité qui assure la liberté d’un journal ». Enfin, affirmant encore que la

valeur des informations d’un média dépend directement de la qualité de ses journalistes, Ibrahim Koné, commentant un article paru dans La

Suite de l’édito page 1 : nalistes du Sud, faute d’être salariés de véritables entreprises, travaillent dans une précarité financière et sociale inquiétante. Une précarité qui, naturellement, ne facilite pas l’indépendance d’esprit, mais ne saurait cependant justifier les graves entorses aux bonnes pratiques professionnelles constatées ici et là. Parallèlement, depuis tout aussi longtemps, l’UPF conduit ce combat majeur en faveur de l’éthique et de la déontologie. Sur ce point également, la situation s’est globalement améliorée, mais beaucoup reste à faire, au sein des écoles de journalisme, au sein aussi des rédactions et des organisations professionnelles. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le « gombo » ou « l’enveloppe », pratiqués au Sud, ont leur pendant au Nord, « ménages » et autres arrangements tout aussi détestables, qui flétrissent l’image du plus beau métier du monde, le nôtre. Etre libre, c’est aussi respecter son métier, respecter son lecteur, son auditeur, son téléspectateur. Bref, c’est aussi être responsable. L’un ne va pas sans l’autre. L’UPF, quels que soient le lieu et l’instant, le rappelle sans cesse, d’autant plus fermement aujourd’hui qu’Internet et ses « blogs » ont troublé la donne

Gazette, a déclaré être de ceux qui pensent qu’une grande partie de ses lecteurs suivrait un professionnel de qualité qui changerait de titre.

Une fidélité qui doit inciter les éditeurs à étudier au plus près la question des « blogs ».

Georges de Villerville

Plus qu’une Union... en contestant aux journalistes le monopole de l’information. Tous ceux qui ont participé aux assises de Yaoundé l’ont dit : seuls survivront les professionnels et les médias, y compris électroniques, qui resteront attachés ou reviendront aux « fondamentaux » du métier : la vérification, le tri, la prudence, voire le doute…

Notre force : notre diversité Pourquoi la petite amicale de 1950 a-t-elle pu devenir, soixante ans plus tard, cette organisation reconnue et écoutée ? Grâce à la qualité de ses membres et de ses dirigeants successifs, bien sûr. Mais aussi, probablement, parce que ceux qui l’ont créée ont eu une véritable intuition en l’appelant « union ». Ni « ONG », ni « association », ni « club » : « union » ! Une union de journalistes qui, tous, à égalité, qu’ils soient du Nord ou du Sud, partagent le même amour du métier, la même soif de liberté et de démocratie, le même goût pour la chose publique, le même respect du lecteur, le même sens de la responsabilité professionnelle. Ils utilisent aussi la même

langue, notre belle langue française, avec ce qu’il faut de couleurs locales, d’expressions originales, d’accents différents, pour que, tout en restant la langue de Molière, celle des Lumières, elle soit aussi l’outil d’une autre mondialisation que celle que tentent de nous imposer les chantres piteux de l’uniformisation des cultures. La force de la Francophonie, la force de notre Union, c’est justement cette diversité acceptée, proclamée, recherchée, qui -paradoxe de l’humain- est le plus sûr ciment de notre unité. La diversité exige la tolérance, la solidarité conduit à l’humanisme et à la paix. En un mot comme en cent, l’UPF n’est pas un corps, comme on l’entend des architectes ou des médecins, mais, osons-le, une âme. Une âme vivante, sage parfois, impétueuse aussi, mais jamais silencieuse, une âme qui n’a qu’un objectif : l’excellence d’une profession indispensable dans un monde globalisé et électronique, à la recherche néanmoins d’un développement durable profitant à chacun…

Georges Gros Secrétaire général de l’UPF


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Un objectif : renforcer l’éthique professionnelle Le constat reste inquiétant : l’économie chancelante de leurs médias et leur manque de formation conduisent encore de trop nombreux journalistes africains à se dispenser du respect des bonnes pratiques. L’autorégulation est une des réponses à ces dérives, à condition qu’elle soit reconnue par les autorités et admise par tous. Le deuxième atelier s’est aussi préoccupé de la question récurrente de la dépénalisation des délits de presse.

ser un tableau des « comportements déviants » et des « mesures préventives » et « correctives » au sein de Cameroon Tribune.

Alfred Dan Moussa

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odéré par Alfred Dan Moussa lui-même, le deuxième atelier organisé dans le cadre des assises de Yaoundé a été consacré à un débat récurrent au sein de l’UPF : la régulation éthique des médias. D’entrée de jeu, Marie-Claire Nnana, directeur général de la Sopecam, société éditrice de Cameroon Tribune, a rappelé que cette question figurait au menu des congrès de l’Union depuis plusieurs années, tout comme celle, concomitante, de la dépénalisation des délits de presse. Il est vrai que, dans un contexte où les entorses à la déontologie restent légion, « face à une presse apparemment sans principes et sans limites », qui pratique « bien souvent l’abus de position dominante », il convient, non seulement de faire respecter les droits du public, « peu averti et mal informé des recours possibles», mais aussi de tenter de redorer le blason de la profession, a dit la DG du quotidien public camerounais.

La déontologie, c’est notre permis de conduire Les solutions, « souvent déjà rabâchées », relèvent ou de « la méthode douce » ou de « la manière forte », a-t-elle poursuivi. Pour les partisans de la première, il s’agit de « former, informer, éduquer les professionnels et faire fonctionner les instances de régulation interprofessionnelles, qui ne prononcent que des peines symboliques et morales ». Les autres préfèrent « faire le ménage dans les écuries médiatiques, limiter la carte de presse aux seuls titulaires d’un diplôme d’une école de formation, considérer les journalistes comme des justiciables ordinaires et s’en remettre à l’institution judiciaire… » « En tout état de cause, il faut réguler la pratique professionnelle, si l’on ne veut pas risquer de voir le journalisme

dépérir sous ses propres excès », a ajouté Marie-Claire Nnana, avant de reprendre « une belle image » utilisée lors des assises de Lomé par Daniel Deloit, directeur de l’ESJ Lille : « Imagine-t-on, au coeur d’une cité grouillante de vie, un chauffeur sans permis de conduire ? Les principes d’éthique et de déontologie sont notre permis de conduire ! ». Réfutant « l’utopie d’une régulation automatique » confiée aux forces du marché, la DG a dit ensuite que sa préférence allait à l’autorégulation. « Le combat pour la déontologie journalistique est certes le combat de toute une société, mais avant tout celui des journalistes et, plus encore, celui des rédactions », a-t-elle expliqué, tout en reconnaissant que « le contexte de la société camerounaise se prête mal » à une telle pratique.

Oui, mille fois oui à la régulation Et Marie-Claire Nnana de regretter l’étroitesse du marché de la presse, la fragilité des entreprises, qui déterminent « une certaine précarité » dans la condition des journalistes, mais surtout « l’absence effarante de consensus à l’intérieur de la profession », « le manque d’esprit corporatiste » et « les divisions : public-privé, hommes-femmes, audiovisuelpresse écrite ». Des propos qui, pendant la discussion générale, ont provoqué un trop long débat entre professionnels du Cameroun, d’autant que l’oratrice a aussi dénoncé « le climat de propagande » et la « tonalité militante » de certains titres… « Seul un fonctionnement de la presse respectueux des valeurs, des libertés individuelles, de la morale, des règles éthiques et déontologiques, pourra plaider efficacement pour la dépénalisation des délits de presse », a-t-elle encore estimé, avant de bros-

« Oui, mille fois oui à la régulation, a-t-elle conclu. Mais avant, il convient de former correctement les journalistes, d’améliorer les conditions d’exercice du métier, de faciliter l’accès aux sources d’information. Il faut encourager l’autorégulation en donnant aux instances professionnelles la reconnaissance, la crédibilité, les moyens et la sérénité pour fonctionner… Mais il faut néanmoins laisser la justice jouer son rôle face aux éventuels abus. Nul ne doit être au-dessus des lois ». DG de la radio-télévision publique, Amadou Vamoulké a, lui aussi, décrit la situation assez inquiétante qui prévaut à la CRTV. Malgré les rappels à l’ordre, les « mal pratiques » sont courantes, en particulier le « gombo », appellation locale d’une méthode de corruption des journalistes, qui consiste à accepter, voire solliciter, une « enveloppe » lors d’une interview ou d’un reportage « commandé »…

Combattre « l’infection généralisée » « De manière générale, le journaliste de la radio et de la télévision apparaît constamment comme soumis à une double pression, celle des pouvoirs publics et celle des puissances de l’argent », a-t-il affirmé, non sans pointer aussi la responsabilité de « certaines administrations ou entreprises » qui, dans leur budget, prévoient de « prendre en charge » les journalistes. « La conséquence, a-t-il dit, c’est que ces groupes de pression détournent la CRTV de ses missions de service public à leur seul profit ». Pour Amadou Vamoulké, cette « infection généralisée » est d’autant plus alarmante que sa société entend appliquer les deux codes de déontologie nationaux -celui de 1992, édicté par le ministère de la Communication, et celui de 1996, voté par l’Union des Journalistes-, mais aussi la charte de l’Association de la communication publique, qui s’intéresse particulièrement au respect de l’égalité des citoyens. Même les statuts de la CRTV, qui formulent « l’obligation déontologique » de « la conformation des journalistes à la ligne éditoriale »,

leur interdisent de « se servir de l’antenne pour faire valoir leurs opinions ou leurs intérêts personnels ». « Pourra-t-on s’en sortir ? » Oui, répond le DG, « par des sanctions sévères, par la formation du personnel, par une rigueur accrue de l’encadrement », mais aussi par une meilleure compréhension du rôle d’un média de service public de la part de tous les protagonistes. « Les habitudes ont la peau dure, il y a des résistances à l’intérieur, plus grandes encore à l’extérieur… Mais, déjà, on ne parle plus avec le même dédain du gombo à la CRTV », s’est-il réjoui, avant de conclure sous forme de menace envers ceux qui « se complaisent dans ces pratiques abjectes » : « Qu’ils sachent qu’ils ne grandiront jamais professionnellement et qu’ils ne perdent rien à attendre… », a-t-il dit. Un discours qui, bien sûr, a aussi alimenté le débat camerouno-camerounais pendant la discussion générale. Quant au troisième orateur du panel, Yves Agnès, président de l’Association de Préfiguration d’un Conseil de Presse (APCP), il a défendu âprement ce concept, qui, en France, a gagné du terrain après les états généraux de la presse, organisés au printemps dernier par la Présidence de la République.

Admettre la sanction, mais pas la prison De la discussion qui a suivi ces interventions, on retiendra d’abord celles centrées sur la dépénalisation des délits de presse. « Nous ne revendiquons pas l’immunité totale et absolue pour les journalistes, a indiqué Alfred Dan Moussa, en sa qualité de président international de l’UPF. Dès lors qu’un délit de presse est commis, les journalistes sont prêts à subir et à assumer des sanctions pécuniaires. En tant que citoyens, nous devons accepter d’être sanctionnés comme n’importe lequel d’entre eux ». Vice-président pour l’Afrique de l’Ouest de l’UPF, Edouard Ouedraogo partage cet avis. « Il faut dépénaliser le délit de presse -ce qui n’est pas encore le cas au Burkina Faso-, parce qu’il peut s’apparenter au délit d’opinion. On ne va plus en prison pour un tel délit… A la prison, il faut substituer des actions au civil ». Mais, a prévenu le directeur de L’Observateur Paalga, « les réparations civiles peuvent

s’avérer aussi mortelles pour les journaux que les peines privatives de liberté… ». « La dépénalisation est une question récurrente, a déclaré, pour sa part, Jean Kouchner. Il faudra que l’UPF en reparle autant de fois qu’il le faudra, sans jamais modifier son point de vue. Mais nous disons aussi que le journaliste n’est pas audessus des lois. Il doit les respecter et être sanctionné en cas de manquement… sans être passible de prison ! ». Ce qui est le cas, depuis cinq ans, à Lomé, a indiqué Lucien Messan, président de la Section togolaise de l’UPF. Le directeur du Combat du Peuple dresse toutefois un bilan très nuancé de cette dépénalisation. « Elle a permis trop de dérives », regrette-t-il, avant de noter qu’une loi organique récemment votée confie les sanctions à l’égard des médias -interdictions temporaires de paraître, suppression du récépissé de déclaration,…- à la Haute Autorité, alors que le Code de la Presse prévoit encore qu’elles sont l’affaire de la Justice…

Chaque société a sa propre vision de l’information… Un autre débat a porté sur l’indépendance des médias de service public. Marie-Claire Nnana et Amadou Vakoulmé ont tous deux affirmé qu’ils ne recevaient de « coups de téléphone » ni de la Présidence, ni du gouvernement. « Cela n’a pas toujours été le cas… On nous laisse une certaine latitude. Nous cherchons l’équilibre entre la place accordée à l’Etat et celle, nécessaire, à accorder au public, et donc à l’opposition », a indiqué la DG de la Sopecam, qui, cependant, a reconnu recevoir « quelquefois quelques recommandations sur la nature à risque de tel ou tel événement ». « Cela ne nous crée pas d’état d’âme…, a-t-elle dit. Chaque société a sa propre vision de l’information, de son traitement et, donc, de la régulation». « L’indépendance est d’abord une question personnelle pour chacun d’entre nous », est intervenue une présentatrice du journal de la CRTV. « Tout est une question d’hommes… Beaucoup veulent grimper dans la hiérarchie. Ils se taisent… Dans un débat, j’ai pris position en faveur de la presse privée. J’ai été mise en cause… ». « Mieux vaut être un journaliste debout qu’un DG couché », a commenté

Ibrahim Koné. Au cours de cette discussion générale, plusieurs intervenants ont aussi décrit les conditions dans lesquelles les journalistes travaillaient dans leur pays. André Buyse (Belgique) a ainsi indiqué qu’à Bruxelles, il est « inconcevable » qu’existe un ministère de la Communication et que les délégués de l’Etat dans les instances de régulation ne sont que des experts, qui ne votent pas. Stefania Muti (Italie-Val d’Aoste) s’est inquiétée des atteintes au pluralisme et à la liberté d’expression qu’elle constate dans son pays. « Un journal est sous protection parce qu’il a dénoncé les pratiques de la Mafia », a-t-elle affirmé.

Au Gabon, nous avons régressé de vingt ans… Quant aux journalistes africains, ils ont tous insisté sur « l’état déplorable des finances » des journaux et donc de leurs journalistes. Une situation qui explique -sans les excuser- la plupart des dérives. « Nous bradons notre profession ! », s’est exclamé un confrère, avant de rappeler que, partout en Afrique francophone, la loi fait obligation à l’Etat de protéger les médias… Partout… y compris au Gabon, où, pourtant, le nouveau pouvoir multiplie les agressions contre les professionnels de l’information. « Nous avons régressé de vingt ans… », a déploré un représentant de Libreville, qui a demandé -et bien sûr obtenuqu’au cours des assises, l’UPF s’inquiète officiellement de cette situation inadmissible. Le mot de la fin est revenu à Jean Kouchner, lui aussi ferme partisan de la régulation des médias par des instances ad hoc. « Elles sont dans l’intérêt du public, pour qu’il exerce son droit d’être bien informé, a-t-il dit. Mais aucune d’elles n’a de valeur si la loi ne prévoit pas la liberté de l’information et la liberté des pratiques journalistiques. Les pressions? Ce n’est pas le problème. La question est : quelle force d’indépendance ont les journalistes face aux pressions économiques et politiques ? ». En clair : tout dépend de la qualité, de la neutralité et de la stabilité du cadre juridique dans lequel évoluent les médias. A l’UPF, ce sujet, aussi, est récurrent…

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La formation reste l’arme principale des journalistes face aux « blogueurs » Internet ne pose pas de problèmes déontologiques nouveaux, ont estimé les congressistes. Mais le besoin de formation est encore plus évident depuis que chaque citoyen, grâce à la Toile, est devenu « fabricant » d’informations. Un rôle qui, avant l’apparition des médias électroniques, était réservé aux journalistes professionnels.

L

es assises n’ont pas failli à la tradition : le troisième atelier, modéré par Edouard Ouedraogo, PDG de L’Observateur Paalga (Ouagadougou), a été consacré à la formation des journalistes. Un débat d’autant plus d’actualité que ceux-ci sont confrontés aux bouleversements que provoque Internet dans leur pratique professionnelle, mais aussi pour leur place au sein de la société. L’apparition des « blogs » et la possibilité nouvelle pour chacun d’accéder sans intermédiaire au grand public, leur ont fait perdre définitivement le rôle, jusqu’alors essentiel, de « fabricants » uniques de l’information. Seule la qualité de l’offre fera désormais la différence. Ce qui suppose des professionnels qui, non seulement, maîtrisent parfaitement les outils techniques, mais aussi connaissent et respectent les règles du métier. Point de salut sans solide formation, ont convenu tous les intervenants, qui ont estimé que celle-ci était l’une des conditions nécessaires à l’indépendance et à l’exercice des responsabilités des journalistes professionnels. La situation chaotique des médias camerounais, longuement évoquée au cours de l’atelier, démontre cependant qu’elle n’est pas la seule… « On peut être surpris du comportement de certains anciens élèves de l’ESSTIC, une fois rendus sur le terrain professionnel », a déploré Valentin Nga Ndongo, qui, professeur de sociologie à l’Université de Yaoundé, a étudié « la socialisation » des journalistes du Cameroun. « Les reproches que leur adresse l’opinion publique portent globalement sur des manquements à l’éthique », a-t-il poursuivi, citant notamment « la désinformation et l’information spectacle, la pratique du « gombo », la violence verbale, la conflictualisation des champs médiatique et politique,… ».

Des journalistes sous influence « Ces pratiques témoignent des insuffisances de la formation, mais sont aussi le reflet des tares de la société », a-t-il dit. Jugeant qu’à l’ESSTIC, la formation à l’éthique et à la déontologie « figure en bonne place », Valentin Nga Ndongo a souligné que la socialisation « ne s’arrête pas au sein des structures d’éducation » « Elle dure toute la vie », a-t-il affirmé, notant au passage que beaucoup de journalistes camerounais ne bénéficient pas de formation initiale. Ils sont formés sur le tas, « c’està-dire pas du tout ou, tout au plus, sommairement »… « Après l’école, formelle ou informelle, vient l’école de la

vie… La société dans laquelle travaille le journaliste n’est pas sans exercer une forte influence sur la culture des hommes de presse », a jugé le sociologue. Selon lui, la société camerounaise est marquée par trois « dynamiques sociopolitiques qui influent sur les pratiques de journalistes : une pauvreté générale et structurelle, une déstabilisation politique et une psychologie spécifique ». « Le journaliste camerounais appartient à une catégorie sociale pauvre et défavorisée, a-t-il dit, d’où sa tentation, dans une société dominée par la munificence et la « politique du ventre », de rechercher l’enrichissement par tous les moyens… Cela conduit au journalisme alimentaire, au journalisme instrumentalisé… que l’on appelle ici journalisme du Hilton ». Quant à la « déstabilisation politique », que Valentin Nga Ndongo perçoit à travers la persistance des luttes tribales et ethniques, elle a entraîné, selon lui, « l’émergence de journaux à la ligne éditoriale ouvertement régionaliste ou tribaliste », certains professionnels, depuis la démocratisation des années 90, n’ayant pas résisté à « la tentation de l’opportunisme politique, du monnayage de leurs services… ». S’ajoutent encore à cela les défauts de la psychologie nationale, « la propension à l’affabulation, qui entraîne la rumeur, la violence verbale, le goût pour l’injure, les délires verbaux... ». « Les journaux en sont le reflet », a jugé l’orateur, avant de souligner la nécessité pour les professionnels de réfléchir à leur métier, « de se poser le problème fondamental : celui de la vocation ». « Immergé dans la structure sociale, le journaliste doit néanmoins s’en distinguer, rester au-dessus de la mêlée, pour jouer son rôle de veilleur au service de la société », a conclu Valentin Nga Ndongo. « Difficile, mais pas impossible », a-t-il jugé, tout en estimant que « le chemin est encore long »…

Ne nous laissons pas fasciner par Internet Après cette intervention en forme de réquisitoire, Nta à Bitang, vice-président de l’Union des Journalistes du Cameroun (UJC), a préféré élargir le débat, même si, enseignant à l’ESSTIC, il estime, lui aussi, qu’il est urgent que ses confrères se ressaisissent. « Le journaliste, a-t-il dit, remplit une tâche difficile, qui nécessite une curiosité toujours en éveil, une solide culture générale, un sens critique aiguisé, une

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grande indépendance d’esprit et une profonde qualité… Toutes choses qu’il ne peut acquérir spontanément en l’absence totale d’une formation adaptée et d’une responsabilité sociale réelle ». Restant un instant dans le champ camerounais, il s’est félicité de ce que le gouvernement fasse de plus en plus référence au code de déontologie adopté par la profession en 1996 et a souhaité qu’« un jour » l’autre code, édicté par décret en 1991, « soit retiré » au profit de ce texte reconnu sinon respecté- par les professionnels. « Un tel code, a-t-il affirmé, donne à chacun un sentiment de sécurité, de force collective. Il augmente la crédibilité, la fidélité de la clientèle… Il ne saurait être imposé aux professionnels. Il doit être conçu et adopté par eux librement. Il n’a pas force de loi… Mais c’est un code moral auxquels médias et journalistes se réfèrent pour définir leurs pratiques, les réguler, au besoin les défendre contre quiconque aurait l’intention d’attaquer l’exercice libre et protégé de l’expression ».

Un impératif : le retour aux fondamentaux Puis Nta à Bitang a consacré le reste de son intervention au journalisme professionnel sur Internet. « En raison de la diffusion individuelle de l’information, notre responsabilité personnelle est plus interpellée que par le passé, a-t-il reconnu. Mais Internet ne pose pas de problèmes déontologiques nouveaux. Simplement, ne nous laissons pas fasciner par l’outil, n’oublions pas nos règles éthiques, faisons preuve vis-à-vis des messages électroniques de la même méfiance que pour les documents sur papier… ». Bien qu’elle date de 1971, avant même la naissance d’Internet, la Charte des droits et devoirs des journalistes, dite « de Munich », reste valable, a

estimé le vice-président de l’UJC. « Y compris les articles qui prescrivent le respect de la propriété intellectuelle et celui de la vie privée », a-t-il précisé. Enfin, observant que la multiplication des « blogs » et des sites amateurs est à saluer en tant que « nouveaux contrepouvoirs », l’orateur n’en est pas moins inquiet « s’il ne s’agit d’une compilation de rumeurs, d’une addition de fausses informations ». Pointant aussi la fragmentation et l’absence de hiérarchisation de l’offre d’information

sur Internet, qui entraînent un problème de crédibilité, il a estimé que « cette situation remet la responsabilité sociale du journaliste au centre de la profession ». « Le journaliste restera un médiateur, un intermédiaire, a-til affirmé, à condition q u ’ i l accroisse sa vigilance et applique avec une extrême rigueur les techniques et règles professionnelles ». Bref, pour Nta à Bitang, « le retour aux fondamentaux devient un impératif ».

Savoir répondre au marché « Nous tenons des discours masochistes ! », s’est exclamé, pour sa part, Abdelmounaïm Dilami, vice-président international de l’UPF. « J’exerce le plus beau métier du monde…

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Il n’y a pas plus de tricheurs dans nos rangs que chez les juges ou les policiers ! », a-t-il encore affirmé, avant d’estimer que l’éthique, avant tout, est « le produit de la société. Elle en découle… et diffère selon les valeurs et les normes défendues par celle-ci ». Pour le PDG du groupe L’Economiste (Casablanca), la communication est devenue le principal enjeu économique. Ce qui le conduit à affirmer que la question principale est celle de la structure des entreprises de presse, qui, selon lui, doivent être en mesure de « répondre au marché ». La nécessité de la formation, le respect des règles professionnelles, l’éthique -« un complexe souvent flou, parfois vide »- sont des éléments nécessaires au développement des médias, mais ce sont des « accessoires » et non l’objectif principal, a-t-il encore déclaré, tout en émettant également des réserves sur la tendance actuelle à mettre en parallèle la responsabilité individuelle du journaliste et l’exercice de la liberté de presse. « Cela mérite réflexion », a-t-il dit, craignant que, pour les médias, les

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de présentation

en a conclu que ce nouveau média était un « encouragement » puisqu’il permet de se rapprocher davantage de celui-ci, mais aussi une « chance » pour les journalistes professionnels. « Si nous voulons ne pas être submergés par ce miroir aux alouettes que constitue le journalisme « amateur » ou même « participatif », il importe que nous retrouvions rapidement nos fondamentaux », a-t-il expliqué. « C’est la valeur ajoutée d’un information rigoureuse, indépendante, sûre, qui permettra au public de distinguer le vrai du faux. Nous retrouverons alors la confiance du public qui, aujourd’hui, fait défaut au journalisme professionnel ».

Autorégulation : des expériences divergentes Ce qui, pour Yves Agnès, n’exclut pas l’apparition de médias professionnels sur la Toile, qu’il s’agisse de sites rattachés à des médias traditionnels ou de « nouveaux joueurs ». « A charge pour la profession d’adapter ses dispositifs déontologiques, en intégrant ces nouveaux médias dans le champ d’action de la veille éthique et de la médiation », a-t-il précisé. Le débat qui a suivi cet exposé fut une sorte de séance d’entraînement pour les futurs ateliers. Si l’on a évité de justesse la sempiternelle question du sens des mots -« définissons d’abord les mots ‘public’ et ‘information’ », a proposé un participant-, on s’est vite rendu compte qu’il fallait, sur toute question touchant à l’éthique, non seulement prendre en compte les diverses réalités nationales, mais aussi écouter des points de vue très divergents sur celles-ci. Ainsi, si le secrétaire du syndicat des journalistes camerounais s’est félicité du bon fonc-

tionnement de l’organe d’autorégulation national, qui comporte des membres représentant le public, un autre journaliste de Yaoundé a, lui, estimé que la plupart des médias du pays appartenant à des groupes de pression, il était bien difficile de responsabiliser ceux qui y travaillent. Quant à Lucien Messan, directeur du Combat du Peuple à Lomé, il est allé jusqu’à se demander s’il ne fallait pas en revenir au juge, tant les dérives de la presse togolaise se sont accentuées depuis l’instauration d’un « conseil de presse » et la « dépénalisation ». « On ne maîtrise plus rien », a-t-il dit. André Buyse, président de la Section belge de l’UPF, a dénoncé « le système de perversion de l’information » que représentent selon lui les blogs, Jean-Baptiste Akrou, directeur général de Fraternité Matin, a regretté « la piraterie en ligne de nos publications » et Philippe Stroot, de Genève, s’est emporté contre « la pensée unique » des « grands médias » qui hiérarchisent l’information au mépris du droit de chacun d’être informé. Jean Miot doutant qu’une même déontologie puisse être appliquée dans tous les titres, Yves Agnès lui a répondu que « l’éthique professionnelle s’applique aux faits, pas aux commentaires ». C’est aussi en rappelant que chaque publication défend une ligne éditoriale que Jean Kouchner, responsable du comité éditorial des assises, a justifié la hiérarchisation des infos. « Le choix doit correspondre aux attentes du public, a-t-il dit. Mais où est la limite entre ce souci et celui, plus commercial, de faire plaisir au lecteur ? ». C’est le même Jean Kouchner qui, en une phrase, a résumé cette première séance de travail : « Le développement des médias, a-t-il dit, a pour rançon un développement des exigences du public, d’où, pour nous, journalistes, l’obligation d’une plus grande déontologie ».


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Le financement des journaux africains reste extrêmement fragile Les travaux du quatrième atelier, consacré au financement des médias à l’heure d’Internet, ont démontré, si besoin était, que la presse africaine souffre d’un défaut majeur : le trop petit nombre de véritables entreprises de presse. Quant à la situation des médias camerounais, elle a échauffé les esprits… D’emblée, le quatrième atelier, consacré au « management » des médias et modéré d’abord par Evelyne Yao, sous-directeur du contentieux du Conseil National de la Presse de Côte d’Ivoire, puis par son président, Eugène Dié Kacou, a connu la même ambiance fiévreuse que les deux précédents. Et pour la même raison : une diatribe sans concession d’un représentant des médias publics camerounais contre la presse privée. Ancien directeur général de la Sopecam et enseignant à l’ESSTIC, Paul Célestin Ndembiyembe a dénoncé pêle-mêle le financement « opaque » des journaux, leurs « mensonges » sur les tirages, leurs contenus « orientés », la corruption des journalistes… « Parce que la presse est un produit particulier, les politiques veulent savoir qui finance et donc qui inspire, at-il expliqué. La loi prévoit la transparence de la propriété. Mais cette règle n’est pas respectée. Il y a beaucoup de prête-noms… Tout ce que l’on connaît, c’est l’origine tribale des vrais propriétaires, parce que les « ours » indiquent les noms des dirigeants officiels, qui, généralement, sont issus du même groupe que ceux-ci… ». « Les tirages indiqués sont

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factices. Il n’existe pas de contrôle de la diffusion, pourtant prévu par la loi, ce qui affecte le financement par la publicité. Les tarifs sont opaques, alors qu’ils devraient être publiés… Au final, les journaux sont à la merci de leurs annonceurs, qui fixent les prix à la tête du support !», a poursuivi l’orateur, qui a reconnu cependant que les quotidiens ont essayé de s’organiser. « Difficile », a-t-il commenté.

Une solution : le regroupement des titres Paul Célestin Ndembiyembe a aussi regretté « la politisation à outrance » de la plupart des publications -« pour plaire aux lecteurs », a-t-il jugé- et « l’apparition de journaux occasionnels, qui jouent la carte de l’instrumentalisation politique. Leur financement est bien sûr occulte et ils disparaissent dès leur mission accomplie… ». Quant aux journalistes euxmêmes, qu’ils travaillent dans la presse privée ou les médias publics, ils pratiquent le « gombo », a dit l’ancien DG de la Sopecam, avant d’indiquer que le Groupement des hommes d’affaires camerounais (Gicam), dans un récent

La formation...

contraintes liées à cette responsabilité s’ajoutent à celles définies par la loi. « Nous irions alors vers une restriction des libertés », a-t-il jugé, avant de conclure sur sa conception de la presse et du rôle des journalistes professionnels : « Un média n’est pas un pouvoir. Se prétendre tel est une erreur. Notre rôle, c’est d’informer et d’observer ! C’est ce que nous demandent nos lecteurs ! »

Peu de formation sur la qualité de l’info Quant à Jean Kouchner, professeur de journalisme à l’ESJ-Montpellier, il s’est surtout attaché à examiner la question de la nécessité ou non d’une formation spécifique à Internet. Ce qui ne l’a pas empêché d’entrer un instant dans le débat sur la responsabilité sociale des journalistes, en tentant une définition de celle-ci : « Etre responsable, a-t-il dit, c’est avoir conscience des conséquences d’une information sur un individu ou un groupe… Ce qui ne gêne en rien le pluralisme ! ». Notant que, pour les journalistes, Internet était tout autant une source qu’un vecteur d’informations, il s’est dit partisan d’un apprentissage des techniques spécifiques à l’outil, comme cela se fait déjà pour les autres médias, presse écrite, radio ou télévision. En ce domaine, l’offre est déjà importante, juge-t-il, de « l’editing Web » aux « techniques de mise en valeur de l’info », de la « technique photo » à « l’écriture Web ». Mais, pour Jean Kouchner, l’essentiel,

pas modifié le point de vue de l’orateur. « Mes propos sont en rapport avec la loi, a-t-il répondu. L’OJD existe-t-il ? Non. Les quotidiens annoncent leur entente en matière de tarifs de publicité, mais, rentrés chez eux, leurs dirigeants négocient avec les annonceurs… ». « Si nous continuons dans cet amateurisme, si nous n’avons pas d’entreprises de presse économiquement viables, bien dirigées, nous resterons incapables de payer nos journalistes », a-t-il jugé, avant d’ajouter qu’il ne changeait en rien son discours sur la presse occasionnelle : « L’annonce de l’aide à la presse provoque l’éclosion de titres qui paraissent, prennent l’argent et disparaissent… », a-t-il affirmé. Quant à l’idée de « regrouper » les médias lancée par Président de la Section came- Paul Célestin Ndembiyembe, rounaise de l’UPF et organi- elle n’a suscité que les comsateur des assises, Alain- mentaires d’André Buyse Blaise Batongué est intervenu (Belgique) et de Jean Miot. lui-même pour s’élever contre « 700 journaux… Le nombre ce « tableau excessif, volon- de publications n’est pas un tairement négatif ». « Nos critère de démocratie », a groupes de presse ne ressem- affirmé le premier, tandis que blent pas au profil indiqué par le président de la Section l’orateur, a-t-il dit. Nos tarifs française de l’UPF se disait publicitaires sont connus, y « réjoui par ce foisonnement compris par le parti au pou- de titres, même si des abus voir. Quant aux tirages et aux sont à corriger ». ventes, si certains mentent, « Les concentrations ne sont des structures permettent de pas forcément malsaines. vérifier leur réalité ». Elles permettent des synerCette levée de boucliers n’a gies, dans l’impression, la distribution,… », a poursuivi l’ancien président aussitôt contre l’idée d’une quelconque de la Fédération intervention de l’Etat dans l’existence des Nationale de la Presse journaux. « Non, non et non ! a surenchéri Française, qui a rappelé Jean Kouchner. L’Etat n’a pas à dire si un qu’en 1945, la presse journal peut paraître ou non. Son rôle est de quotidienne régionale donner les moyens à ceux qui respectent un comptait 80 titres indécertain nombre de règles professionnel- pendants et qu’aules… Mais il est vrai aussi que la pléthore jourd’hui, cinq groupes de journaux fait que personne ne s’y recon- se partagent le marché. « naît… ». Pas un seul quotidien Il y eut aussi quelques escarmouches national ne peut vivre autour de l’idée très enracinée dans le sans être appuyé sur un milieu professionnel que la presse est un grand groupe industriel, contre-pouvoir, mais c’est surtout l’impor- a-t-il ajouté. Pour des raitance de l’éthique qui a été défendue par sons historiques, depuis quelques confrères, en désaccord avec la Libération, on n’a pas Abdelmounaïm Dilami. « Elle a permis à la laissé se créer en France presse d’avancer », a dit un journaliste de un grand groupe de comme en Brazzaville, tandis qu’un autre, du Congo presse, également, réclamait un ordre profession- Allemagne ou aux Etatsnel, « comme les médecins ou les pharma- Unis… ». ciens, pour faire face aux braconniers qui Après ce long débat envahissent la profession ». autour de la presse cameUne proposition très loin de faire l’unani- rounaise, l’atelier a repris mité, même si d’autres congressistes ont son cours avec, d’abord, aussi dénoncé « les apparatchiks » et « les les interventions du sorciers » qui sévissent dans leurs médias. même Jean Miot (voir « Cela arrange les pouvoirs publics », a dit page 9) et de Tidiane l’un d’eux, expliquant que la médiocrité de Dioh, responsable du ces pseudo-professionnels entamait la cré- programme Médias de l’OIF. dibilité des journaux… Enfin, on notera encore une intervention de Jean Miot, qui, avant de rappeler que Centrant son propos sur l’IFRA propose des stages de formation le financement des sites aux NTIC, a estimé que l’éthique « relève Internet des médias afride la conscience personnelle ». « Il est cains, ce dernier a grand temps de développer le principe de d’abord rappelé que la vigilance vis-à-vis d’Internet », a-t-il « fracture numérique » ajouté, s’élevant contre la notion « bizarre » est loin d’être réduite. « de « journaliste-citoyen ». « Non, tous les Le français ne représente citoyens ne sont pas des journalistes, a-t-il que 4% des contenus de insisté. Nombreux sont ceux qui, sur leur ce nouveau média et seu« blog », ne connaissent même pas la pré- lement 4% des Africains y ont un accès régulier. somption d’innocence… ». De plus, face au nouveau

rapport, plaçait la presse au sixième rang des institutions camerounaises les plus corrompues ». Selon lui, tout cela explique que les investisseurs ne s’intéressent pas à la presse, que, de plus, ils « considèrent comme un secteur non rentable ». En conclusion, Paul Célestin Ndembiyembe a proposé « une solution : le regroupement des titres ». « Ce qui n’est pas la concentration, a-til ajouté. Condamné au Nord, cela peut être la solution au Sud. Aujourd’hui, trop de titres sont installés sur un même créneau. Cet émiettement n’est peut-être pas salutaire pour la presse. Mieux vaudrait quelques groupes forts, solides et viables ». Les esprits s’étant échauffés au fil des critiques, les congressistes camerounais ont tenu à répondre immédiatement, avant même d’écouter les autres intervenants du panel. « A chaque fois qu’un responsable de la presse publique parle de la presse privée, c’est pour lui taper dessus », a dit l’un. « Pour démarrer, on ne peut pas faire autrement que passer par l’économie informelle. Ensuite, installé, le journal peut faire appel à des investisseurs… », a affirmé un autre, avant qu’un troisième ne s’en prenne à l’importance des « financements opaques » des

pourtant, n’est pas là. « Aujourd’hui, a-t-il dit, on ne trouve que peu de formations sur la qualité de l’information sur le Net, sur les responsabilités particulières qu’impose ce média en matière de déontologie, d’éthique, de vérification de l’info... Certes, sur le fond, les pratiques professionnelles doivent rester les mêmes, mais dans le cadre nouveau que dicte la rapidité de la diffusion de l’information sur la Toile… ». Ce qui l’a conduit à indiquer quelques-uns des stages proposés en ce domaine par l’ESJ, à Lille ou à Montpellier : « Savoir évaluer les « blogs » en termes d’information », « Savoir évaluer la qualité des sources », « Créer et modérer le dialogue avec les internautes, « Le pièges du Web »,... Avec, en conclusion, une dernière question: « Qui paie ces stages de formation des journalistes aux NTIC ?... En France, malgré nos moyens, nous n’avons pas trouvé de solution… ».

Ni ordres ni interventions de l’Etat Du débat qui a suivi ces interventions, on retiendra surtout les échanges assez vigoureux provoqués par le point de vue de Martine Ducolombier, directrice de Dialogue Production (Abidjan), qui s’est demandé à haute voix « si la multiplication des titres était conciliable avec la qualité » et « si la porte de la maison n’était pas trop ouverte ». « Il faudrait exiger que les petits journaux emploient des gens formés », a-telle ajouté. « Idée dangereuse », a répliqué Jean Miot, tandis qu’Edouard Ouedraogo s’élevait

médias publics. « D’où le développement anarchique du contre-pouvoir que représente la presse privée », a-t-il ajouté, avant d’appeler à « la création des conditions réglementaires » nécessaires à la mise en confiance des investisseurs. « Aujourd’hui, a-t-il dit, les banquiers craignent de nous financer en raison du contexte politique. Nos titres peuvent être interdits du jour au lendemain. Notre problème, c’est que nous ne sommes pas des entreprises… ».

Les concentrations ne sont pas forcément malsaines

langage multimédia, nous sommes des analphabètes… », a-t-il dit. Puis, tout en faisant le constat que, pour l’instant, nul n’a trouvé un système économique rentable, il a fixé « deux préalables » à la réussite d’un média électronique installé dans un pays du Sud : « l’utilisation massive de l’ordinateur et l’accès de tous les journalistes à la Toile ». Deux conditions qui, selon lui, lorsqu’elles seront remplies, permettront aux médias du Sud d’atteindre la manne financière que représente la diaspora… « Elle est seule à pouvoir payer », a-t-il insisté, citant l’exemple de l’hébergeur français Free qui fait « de bonnes affaires » en vendant sur Internet un bouquet de neuf chaînes nationales africaines. « Même les journaux à très faible tirage pourront profiter de cela », a-t-il ajouté pour tenter de convaincre son auditoire, un peu désarçonné par cette « solution» qui ignore le coeur du marché : le lectorat local… Fort heureusement, l’intervenant suivant, fort de son expérience, s’est montré plus réaliste. Patron d’un groupe de communication indépendant qui, créé en 1990, regroupe notamment Equinoxe TV, une radio et le quotidien « La Nouvelle Expression », Séverin Tchounkeu voit dans son site Internet « un nouveau centre de profit ». « Il est bien tenu, la publicité arrive », a-til dit, affirmant que ses tarifs sont dix fois supérieurs sur le Net à ceux pratiqués pour l’édition papier. « Internet renforce notre indépendance. Quand, dans votre journal, vous ne chantez pas la chanson du roi, vous risquez des difficultés. Mais, sur la Toile, vous pouvez continuer à déplaire… », a-t-il encore affirmé, avant d’appeler ses confrères à créer « de vrais entreprises, qui paient leurs salariés », à éditer des journaux qui « visent des publics identifiés, lesquels exigent éthique et déontologie… » « Parce que nous avons respecté cela, nous avons su donner confiance à nos partenaires financiers… », a-t-il dit, regrettant cependant que les investisseurs n’accordent pas encore des crédits à long terme au secteur des médias. « Cinq ans pour nous, quarante ans pour la bière… », at-il observé. Enfin, exhortant encore ses pairs à « faire en sorte d’être éligibles aux structures financières internationales, qui disposent de possibilités de financement», Séverin Tchounkeu a demandé à l’UPF de faire du « lobbying » auprès de la Banque Mondiale. « C’est son intervention qui déclenche celle des autres organismes internationaux », a-t-il précisé.

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41ÈMES ASSISES Le long débat qui a suivi ces interventions a été particulièrement intéressant et instructif sur l’état d’esprit dans lequel les dirigeants des médias africains conçoivent le financement de la presse. « Les investisseurs sont frileux parce que l’entreprise de presse leur semble définitivement en situation de perte », a regretté une journaliste camerounaise, qui s’insurge contre le taux de commission de la société de distribution des journaux, filiale des NMPP : « 44% du prix facial ! Il nous reste 225 francs par exemplaire pour tout payer ! ». « C’est 32% chez nous », a indiqué Jean-Baptiste Akrou, directeur général de Fraternité Matin (Abidjan), qui a d’autre part souhaité que « l’OIF se cherche les moyens de continuer à financer les médias du Sud ». « Le problème en Afrique, c’est que tout le monde veut être président… Cela ne facilite pas la concentration », a-t-il ajouté, avant d’admettre qu’il est « difficile pour un groupe financier d’aider un journal d’opposition ». « Notre activité est une activité économique, a affirmé, pour sa part, le président de la Section marocaine de l’UPF, Abdelmounaïm Dilami. Au Maroc, nous avons fait des efforts pour passer de l’artisanat à l’entreprenariat. En 2004, nous avons négocié avec le gouvernement un contrat-programme de 50 millions d’euros sur cinq ans. Cela représente 20% du coût d’achat du papier. Nous nous sommes engagés à rémunérer un certain nombre de journalistes, à être en règle avec les conventions sociales, avec les impôts, et à payer nos stagiaires 800 euros par mois au minimum. La première année, nous étions quinze journaux dans les clous, la deuxième 35. Aujourd’hui, nous sommes 55… sur 400, il est vrai… ». « Les organisations professionnelles peuvent donc entreprendre des actions pour moderniser le secteur en passant par le système des subventions », a ajouté le PDG du groupe L’Economiste. « Mais, a-t-il prévenu, il ne faut pas faire de la subvention l’objectif final ! ». Un point de vue approuvé par Séverin Tchounkeu. « Je suis contre l’assistance permanente. Je n’ai jamais sollicité l’OIF parce que sa démarche entre dans une telle perspective. C’est au marché de décider de la survie ou non d’une entreprise de presse ! ». Alain-Blaise Batongué est plus nuancé. « Pour courir dix kilomètres, il faut d’abord faire le premier pas… L’aide de l’OIF, si elle n’est au maximum que de 30 000 euros, n’est pas à négliger. Ce fonds

d’appui a permis des décollages… ». C’est aussi l’opinion de Vincent Nkeshimana, directeur de Radio-Isanganiro (Burundi) : « Notre objectif est très précis : le rapprochement des communautés pendant la période de sortie de crise. Nous avons longtemps fonctionné grâce à des subventions des organisations internationales », a-t-il dit, avant de suggérer que les médias du Nord proposent à leurs confrères africains des offres de formation et leur envoient les matériels qu’ils réforment. Tidiane Dioh a, lui aussi, participé à ce débat, en rappelant d’abord que les organisations internationales, OIF comprise, « gèrent des fonds provenant de leurs Etats-membres, dont la vocation est d’y retourner ». « Ce n’est pas faire preuve de non indépendance que d’aller chercher ces fonds publics », a-t-il affirmé, avant de rappeler que, depuis dix ans, le fonds d’appui aux médias de l’OIF a subventionné 120 projets pour 2 millions d’euros. « Il faut sensibiliser les autres organisations internationales, a-t-il poursuivi. 40 milliards d’euros dorment à Bruxelles, destinés à des pays en développement. N’ayez pas peur des administrations, de la paperasserie !». Quant au problème de la concentration des titres en Afrique, le directeur du programme Médias de l’OIF le connaît bien : « Nous sommes dans une nouvelle géopolitique des médias. En matière d’aide, nous ne devons plus faire de l’émiettement… Mais depuis dix ans, aucun projet collégial ne m’a encore été soumis… Le syndrome du patron à 150 exemplaires est toujours là ! ». « La presse est une grande famille… mais des Atrides !», a commenté Jean Miot, citant le cas de la presse française. « Chaque quotidien possède ses moyens d’impression. La plupart de nos rotatives fonctionnent quatre heures par jour…». « La liberté de la presse commence par son équilibre économique… La crise fait qu’on s’aperçoit qu’il va falloir travailler en famille », a-t-il ajouté, évoquant les travaux récents des états généraux de la presse française. « Une initiative de la Présidence de la République, a-t-il précisé. A la crise conjoncturelle, s’ajoute, en France, une crise structurelle : la sous-capitalisation de nos journaux… L’Etat a mis sur la table 600 millions d’euros sur trois ans. Ce n’est pas une mise sous tutelle. L’aide de l’Etat à la presse est un devoir, parce que la presse est l’un des outils de la démocratie ». Un modèle que Jean Miot

Jean Miot : « Aujourd’hui, le journalisme est obligatoirement multimédia » « La révolution d’Internet, il ne faut pas la diaboliser, mais la maîtriser », a lancé Jean Miot, qui, outre la question, encore sans réponse, du financement de ce nouveau média, a abordé son sujet favori : le rapport entre celuici et la presse papier. « Internet, c’est l’information immédiate, brute de décoffrage, parfois mal vérifiée, souvent incontrôlée, a-t-il affirmé. Dans un pays démocratique, le citoyen peut-il s’en contenter ?... Le papier, c’est l’indispensable recul de l’analyse, de la réflexion, du commentaire ». Et l’ancien directeur délégué du Figaro de reprendre sa démonstration sur l’avenir de l’écrit, « conservatoire de notre langue et de notre culture ». « Non, chaque nouveau média ne fait pas disparaître le précédent », a-t-il dit, raillant « les prétendus visionnaires », tel Mc Luhan, qui, en 1962, annonçait la mort de l’imprimé au profit de l’édition virtuelle. « Comme si on pouvait imaginer un monde sans papier ! ». Fustigeant aussi les journalistes, sur lesquels « les scénarios d’apocalypse semblent exercer une véritable fascination ». Jean Miot en est persuadé, « ce n’est pas Internet qui menace les journaux, c’est la

presse qui a besoin d’Internet pour se développer ». D’où son « théorème » - « plus, une conviction »- : « L’Ecran sauvera l’Ecrit ». « C’est cette conjugaison entre le papier et le Web, cette complémentarité, qui va nous donner toutes nos chances », a-t-il assuré, sans néanmoins se laisser éblouir par « le côté magique du numérique ». « C’est aussi un réel danger, a-t-il dit. Notre métier de journaliste est menacé », même si, a-t-il insisté « tout citoyen-blogueur n’est pas journaliste ». « Nos responsabilités sont, chaque jour, accrues par l’hyperchoix imposé par le multimédia, a-t-il encore affirmé. Internet augmente l’exigence de qualité du journaliste professionnel. C’est par cet effort qu’il se distinguera du flot d’informations qui inonde la Toile… ». « Pour que l’internaute sache où aller puiser en toute confiance, il faut que nos sites d’information soient labellisés », a-t-il ajouté. Reste la question du financement de ceux-ci. « La publicité y est encore maigre et nous sommes loin de la sortie de crise », a reconnu Jean Miot. « Ne rêvons pas : la religion d’Internet, c’est la gratuité. Sauf à lui offrir une valeur ajoutée exception-

nelle, aucun internaute n’accepte de payer pour lire sur le Web », a-t-il dit, qualifiant de « risqué » le « pari » de Murdoch de tenter l’expérience du site payant. « On s’oriente plutôt vers la création de sites marchands, vers l’accès couplé papier/Web avec des offres publicitaires multimédias », a indiqué le président de la Section française de l’UPF. « En fait, personne ne sait ce que sera l’économie des sites Web dans les prochaines années. Une seule chose est sûre : le journalisme du XXIème siècle est obligatoire-

ment multimédia et l’information doit être désormais délivrée sur tous les supports ». Le journaliste devra-t-il savoir les utiliser tous ou se spécialiser? La quetion n’est pas tranchée. « Les salles de presse multimédias sont encore à l’état expérimental… On n’écrit pas sur le papier comme sur le Web », a noté Jean Miot, qui, plaidant enfin pour « une presse libre, outil fondamental de la démocratie », a conclu sur une formule d’Albert Camus : « Un journal, c’est la conscience d’une nation ».

souhaite voir se reproduire au Cameroun, mais aussi dans d’autres pays de l’espace francophone. « Il faut jouer les synergies, dialoguer avec le pouvoir », a-t-il conclu à l’adresse de ses confrères. Le mot de la fin est en quelque sorte revenu à Jean Kouchner, qui avait préparé l’ensemble des quatre ateliers : « Il est assez singulier, mais pas étonnant, a-t-il dit, qu’un débat sur Internet débouche sur les questions générales du financement de la presse ». « La fracture numérique est réelle, y compris au Nord, a-t-il ajouté. Au Sud, certains citoyens n’ont pas même accès aux médias traditionnels… Notre réflexion doit être de savoir comment faire pour que chacun puisse disposer d’une information de qualité… en nous battant aussi sur le front de l’éthique ». Une « feuille de route » qui sera encore au premier rang des préoccupations des membres de l’UPF, lors des prochaines assises, en juin, au Maroc. S.H.

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Une cérémonie de clôture, le sourire aux lèvres…

Jean Miot : « L’écran sauvera l’écrit »

Après trois jours de débats intenses, salués par le ministre de la Communication, les travaux des assises se sont achevés dans une belle ambiance confraternelle. « Ne soyez plus les bannis du village planétaire », a lancé Issa Tchiroma Bakary aux journalistes francophones.

Dans un entretien accordé au quotidien Mutations, le président de la Section française de l’UPF s’est déclaré certain qu’Internet ne tuera pas les autres médias.

Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte…, dit un proverbe. A Yaoundé, la cérémonie de clôture des 41èmes assises de l’UPF, présidée par le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a été l’occasion pour tous les participants de démontrer combien ils avaient apprécié l’accueil qui leur avait été réservé, mais aussi la qualité des travaux. Plusieurs salves d’applaudissements nourris ont retenti pour honorer tous ceux qui, en coulisses ou sur l’avant-scène, ont fait de ce congrès l’un des plus réussis dans l’histoire de l’Union. Ambiance d’amitié donc, mais aussi avec ce qu’il faut de solennité pour clore trois jours de débats intenses autour de questions qui, toutes, resteront toujours au coeur même du métier de journaliste professionnel, quel que soit le média qui l’emploie : l’éthique, la liberté d’expression, la formation, la responsabilité sociale, le respect des bonnes pratiques… Rapporteur général des assises, Aimé-Robert Bihina, journaliste à la CRTV et membre de la Section camerounaise de l’UPF, a lu le rapport général. Puis, Georges Gros, secrétaire général international de l’UPF, après avoir présenté au ministre les trois résolutions votées quelques

instants plus tôt lors d’une dernière séance de travail, a annoncé que le comité international avait décidé de remettre le Prix 2009 de la Libre Expression à la chaîne TV+, de Libreville. « Cela a valeur de symbole et de soutien aux médias gabonais, victimes de la répression voulue par les nouvelles autorités politiques de ce pays », a-t-il commenté.

Nous l’avons fait, tous ensemble Ovationné, Alain-Blaise Batongué, visiblement ému, lui a succédé. « Nous l’avons fait, nous, tous ensemble ! Ces assises font désormais partie de notre histoire commune », a-t-il lancé, avant de remercier tous ceux qui ont aidé l’UPFCameroun à les organiser, au premier rang desquels le gouvernement et le Président Paul Biya lui-même. « De ces journées enthousiasmantes, nous tirons quelques motifs d’espoir », a-t-il ajouté, saluant notamment « la volonté affichée du gouvernement d’oeuvrer pour assainir la presse ». « Ce congrès va nous servir de tremplin pour relancer les activités de notre section », a-t-il promis, annonçant un

effort de recrutement dans les prochaines semaines. Alfred Dan Moussa a, lui aussi, exprimé sa reconnaissance aux autorités et remercié longuement tous ceux qui ont fait en sorte que les congressistes se sentent chez eux au Cameroun. « Nous avons apprécié votre sourire, a-t-il dit. Certaines destinations francophones ne nous ont guère offert pareil accueil…». Puis le président international de l’UPF, tirant les leçons des assises, a exhorté ses confrères à « ne pas se détourner des fondamentaux du métier ». « Mieux vaut rater une information que divulguer une fausse nouvelle!», a-t-il dit, avant de rappeler « les préoccupations » et « les centres d’intérêts » des journalistes soucieux du respect de l’éthique et de la déontologie : la formation, l’application des conventions collectives, mais aussi « l’existence et la culture de l’esprit de confraternité, de cohésion et de solidarité ». Quant aux instances de régulation ou d’autorégulation, pour être efficaces et constituer un lien entre les médias, le public et les instances politiques, elles doivent être « animées par des journalistes, par des éditeurs et par des représentants du public

et dirigées par des professionnels de qualité, agissant en toute indépendance », a-t-il affirmé. « Si la meilleure sanction est celle des pairs, elle est aussi celle des auditeurs, téléspectateurs, lecteurs et internautes. On peut les induire en erreur, les tromper, les manipuler une ou plusieurs fois, mais on ne peut les trahir indéfiniment. Les médias, modernes ou traditionnels, qui manquent continuellement de professionnalisme, d’éthique et de déontologie, finissent inévitablement par disparaître sans qu’on ait besoin d’emprisonner leurs animateurs », a conclu Alfred Dan Moussa, rappelant ainsi, une dernière fois, que l’UPF militait et militera toujours en faveur de la dépénalisation des délits de presse. L’honneur de clore les 41èmes Assises de l’UPF revenait bien sûr au ministre de la Communication. « Désormais, je mettrai des gants et prendrai des pincettes pour parler aux journalistes ! », a-t-il d’abord plaisanté, pour saluer avec humour la qualité des interventions des congressistes. « Au Cameroun, l’homme de presse voit le lever et le coucher du soleil en toute liberté, il n’y a pas de journaliste en prison pour sa ligne éditoriale ! », a poursuivi le « MinCom », insistant sur l’attitude « résolument libérale » des autorités de l’Etat visà-vis de la presse. « Vous pouvez témoigner de sa liberté de ton ! », a-t-il dit, avant d’affirmer que les travaux des assises nourriraient sa réflexion à l’occasion de la préparation des états généraux de la communication, programmés « pour bientôt ». Des états généraux auxquels il a invité les dirigeants de l’Union à participer.

Défendez le plurilinguisme ! « Beaucoup de vos propositions sont à affiner pour les rendre applicables. Nous chercherons à en tirer le meilleur profit pour améliorer les ressorts essentiels de notre système médiatique », a encore ajouté Issa Tchiroma Bakary, avant de lancer un appel aux journalistes pour qu’ils défendent le français et, par là même, le plurilinguisme, « rempart indispensable contre l’hégémonie d’une langue ». « Le plurilinguisme, a-t-il dit, est aussi important pour la communauté internationale que le pluralisme pour la communauté nationale. Si rien n’est fait, une seule langue de communication s’imposera, qui occupe déjà 87% du cyberespace. Cela conduirait à une situation périlleuse pour la paix… ». « Les journalistes francophones ne doivent plus se contenter de se plaindre comme des bannis du village planétaire. Ils doivent défendre le pluralisme et le plurilinguisme ! », a-t-il conclu.

Qu’entendez-vous par management des médias ? C’est savoir si on peut rentabiliser une entreprise de presse. Jusqu’à présent, dans l’histoire de la communication, il y a eu deux révolutions extraordinaires. La première, c’était Gutenberg et la seconde c’est Internet. Il s’agit d’une révolution prodigieuse, qui bouleverse complètement la société et toute la planète. Qui bouleverse également toute la presse. La question que l’on doit se poser : est-ce que, demain, on lira encore la presse sur du papier ? A cela, j’ai une réponse formelle. Oui, parce qu’on ne pourra jamais se contenter d’une information brute, immédiate, souvent non vérifiée, d’où le thème de nos travaux. Le citoyen ne saurait se contenter d’une information aussi brève, aussi sèche. Il a besoin de commentaires et d’analyses. C’est à ce niveau que j’ai un théorème qui dit que l’écran sauvera l’écrit. Quand vous dites que l’écran sauvera l’écrit, comment cela se manifestera-t-il ? Le sauvetage ne sera possible qu’à condition que les journaux, qui vont également produire de l’information sur le Web, ne s’amusent pas à y reproduire ce qu’ils ont fait sur le papier. Car, à ce moment-là, le lecteur n’ira pas acheter son journal. Il ira directement et gratuitement sur le Net. Personne n’accepte de payer pour aller lire son journal sur Internet. En effet, la tare d’Internet, c’est la gratuité. On le voit bien, les grands éditeurs aux Etats-Unis essayent de faire payer les internautes pour aller lire leur journal. C’est extrêmement difficile. Seuls y parviennent quelques grands journaux, très spécifiques, comme le Financial Times, qui donnent vraiment une valeur ajoutée extrême, forçant le lecteur à aller lire la version Web.

Le journaliste, aujourd’hui, est-il forcément plurimédia? S’il faut faire la différence entre l’édition en ligne et l’édition classique, il y aura forcément des coûts financiers conséquents… Le journaliste, aujourd’hui, est forcément un journaliste plurimédia. Jusqu’à présent, on était attaché à un titre, une radio ou une télévision. Or, en ce moment, même les télévisions produisent de l’écrit, du texte. Ca veut dire que notre métier est totalement bouleversé par ce phénomène d’Internet. Attaché à un journal papier, le journaliste plurimédia produira bien sûr sur ce support. Mais les informations, qu’il n’aura pas exploitées sur le même sujet seront mises en ligne. Il existe aussi les blogs. Maintenant, chaque journaliste a son blog, avec le nom du journal attaché. Que fontils dans ce blog ? Ils y font figurer ce qu’ils n’ont pas eu la place de mettre sur le papier et les internautes vont pouvoir le lire. Car il y a des limites sur le papier. Grâce au blog, il sera possible de développer, de produire de nouvelles informations et de renvoyer même à d’autres liens. Alors que le rôle du papier sera d’apporter l’analyse, l’explication profonde, le commentaire. Faut-il donc mobiliser davantage de fonds pour la gestion des médias en intégrant Internet ? La difficulté, c’est que l’équilibre économique du support Web n’existe pas encore, parce que la publicité est très faible. Donc, il va falloir le trouver. Et, là, on le voit bien, même dans les plus grands groupes, on en est aux balbutiements. Le drame, c’est qu’à la crise structurelle que vit la presse partout dans le monde, s’ajoute aujourd’hui la crise conjoncturelle, qui fait que, dans le monde industriel, on licencie à tour de bras, on supprime des postes. C’est là le problème du management de la presse. Comment trouver l’équilibre ? Un journal comme Le Figaro consacre 17% de son chiffre d’affaires à sa version Internet. C’est énorme. Or, ces 17% sont totalement déficitaires. Il n’y a pas encore les recettes de publicité. Ca va venir petit à petit. Cela prendra la forme de liens de services qui permettront d’alimenter et de soutenir économiquement ce nouveau support qu’est le Web.

Propos recueillis par Priscille G. Moadougou « Mutations » - Yaoundé

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Issa Tchiroma Bakary

« Pour une presse libre qui serve les valeurs » Pour le ministre camerounais de la Communication, l’oeuvre d’assainissement des médias n’incombe pas seulement aux pouvoirs publics. Elle est aussi l’affaire des professionnels et de tout le corps social.

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n marge des 41èmes assises de l’UPF, le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a accordé un entretien au quotidien Cameroon Tribune, dans lequel il fait part de son sentiment sur l’état de la presse et précise l’action du gouvernement en sa faveur. Monsieur le Ministre, vous avez eu récemment à sanctionner certains médias audiovisuels pour non respect de la déontologie, et d’autres parce qu’ils évoluent en marge des textes en vigueur. Quel regard posez-vous sur le paysage médiatique camerounais, tant du point de la déontologie que du respect des règles institutionnelles en vigueur ? Votre interrogation comporte deux aspects. Le premier a trait à l’assainissement du paysage audiovisuel national. Le second questionne l’appréciation que le ministre de la Communication porte sur les médias camerounais dans leur globalité, s’agissant des exigences légales, réglementaires, éthiques et déontologiques. En ce qui concerne l’assainissement du secteur audiovisuel, il s’agit d’un travail profond et méthodique que conduit le département ministériel dont j’ai la charge. Seront hors course, au terme de ce processus, tous les pirates, mais aussi tous ceux qui refusent de s’astreindre aux obligations que leur impose la loi, en vertu de leur statut d’opérateur économique dans le secteur de la communication. A terme, nous ne souhaitons travailler qu’avec des médias professionnels, soucieux de la promotion de la cohésion nationale, de la paix et du développement, et dont les promoteurs reçoivent un juste retour de leurs investissements. Cette exigence me permet d’aborder le second volet de votre question pour dire que cette mission cardinale que nous assignons aux médias nationaux ne peut être conduite avec bonheur que par des professionnels respectueux de l’éthique et de la déontologie. Sur ce plan, je dois avouer que la maturation est souhaitable ; elle est à venir.

Des critiques de plus en plus récurrentes s’élèvent contre le système de répartition jugé aléatoire et le volume estimé inconsistant de l’aide publique à la communication privée. Comment réagissez-vous face à ces observations ? L’aide publique à la communication est un grand sujet de préoccupation au ministère de la Communication. Il y a une volonté du gouvernement de viabiliser les entreprises, parce que, nous semble-t-il, une presse libre et responsable est aussi une presse économiquement viable. Nous sommes informés d’un certain nombre de critiques que formulent les opérateurs des divers secteurs de la communication, qui ont trait entre autres au volume de l’aide et à son mode de répartition. A cet égard, un rappel est nécessaire pour indiquer que l’aide publique est évoquée pour la première fois au Cameroun au cours de l’exercice 2002. Depuis lors, elle s’est régulièrement chiffrée à 150 millions de FCFA chaque année, répartis sous forme directe aux différents postulants, sur la base des critères objectifs définis dans l’arrêté qui crée cette aide. Je signale que, depuis trois exercices, sur instruction du Premier ministre, l’enveloppe allouée à l’aide publique à la communication privée est passée à 250 millions de FCFA. Au regard de ce qui est pratiqué dans certains pays africains, ce montant peut être jugé insignifiant. Mais toute la question ne se situe pas au niveau du montant de l’aide, pour lequel mon département ministériel est déjà engagé dans un plaidoyer en faveur de son augmentation. Nous sommes davantage préoccupés par la qualité de la production médiatique, qui est la finalité de cette aide. Celle-ci appelle un renforcement des capacités techniques des entreprises de communication, mais aussi un renforcement des capacités professionnelles des hommes et des femmes chargés d’animer ces structures. Nous travaillons méthodiquement à cela, à travers un toilettage complet des textes qui organisent l’aide publique à la communication privée. Bientôt, je vais avoir des rencontres sectorielles avec tous

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les acteurs de la communication privée au Cameroun. A ces diverses occasions, nous aborderons cette question essentielle, en vue de nouvelles avancées consensuelles. Le paradoxe du paysage camerounais s’observe dans une presse quantitativement florissante, qui s’exprime dans une liberté parfois débridée, avec des professionnels formés conformément aux canons universels, mais aussi beaucoup de brebis galeuses à la formation sommaire, vivant dans la précarité, et ternissant l’image de la presse nationale, voire celle du pays. Comment entendez-vous, dans ce contexte, oeuvrer pour la promotion de la liberté de la presse, en même temps que de celle des valeurs éthiques et républicaines ? Le paradoxe que vous évoquez n’est pas propre au Cameroun. Il n’y a pas un seul pays au monde où tous ceux qui exercent comme journalistes sont passés par des moules formels. Mais je conviens avec vous qu’au Cameroun, l’entrée dans ce beau métier a de quoi révolter. Très peu de journalistes sont identifiables comme tels, parce qu’ils ne se croient pas obligés de détenir la carte de presse.

déontologiques et républicaines, alors les brebis galeuses s’élimineront d’elles-mêmes.

Le ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary Le gouvernement continue d’encourager les journalistes camerounais à aller vers la carte de presse, même si les conditions d’accès à ce sésame professionnel sont encore à améliorer. Mieux que par le passé, le ministère de la Communication va mettre un accent particulier sur le renforcement des capacités des journalistes et des entreprises de presse, ainsi que je l’ai indiqué plus haut. Ma conviction est cependant que l’oeuvre d’assainissement ne saurait incomber aux seuls pouvoirs publics. Les associations et les syndicats

professionnels, ainsi que les patrons de presse, devraient mettre la main à la pâte. Il est également de la responsabilité du reste du corps social de fermer l’accès à l’information aux aventuriers de tous les bords, avec lesquels une sournoise complicité est malheureusement entretenue, pour servir très souvent la médisance, la calomnie, le lynchage pour des intérêts politiques, économiques, tribaux, etc. Si tous, nous nous mettons ensemble pour travailler à la promotion d’une presse libre qui serve les valeurs éthiques,

A l’exception de l’exigence du ministère de la Communication liée à la couverture des événements officiels, la carte de presse n’apparaît pas comme un instrument de valorisation de la profession, étant donné qu’aucun avantage véritable n’en découle jusqu’à présent au Cameroun. Comment le ministère de la Communication entend-il y remédier ? Je vous renvoie la question en vous demandant quel avantage vous avez à détenir votre carte d’identité nationale ou professionnelle. Ceci pour dire que la carte de presse doit être perçue comme un élément d’identification du journaliste camerounais. C’est ainsi que ça fonctionne dans tous les pays de vieille tradition médiatique, dont nous ne devons pas seulement nous approprier l’exigence de liberté de presse. La question des avantages liés à la carte de presse, sans être superfétatoire, ne peut se poser qu’autrement et après.

Propos recueillis par Essama Essomba « Cameroon Tribune »

La chaîne gabonaise TV+ a reçu le Prix 2009 de la Libre Expression UPF-TV5Monde En distinguant ce média, victime, de la part des nouvelles autorités politiques, d’une interdiction illégale de diffusion, l’UPF entend apporter son soutien à la presse gabonaise et exige un retour immédiat à la liberté de presse. Afin de souligner particulièrement son inquiétude quant aux atteintes à la liberté de presse au Gabon, le comité international de l’UPF, réuni à Yaoundé en marge des 41èmes assises, a décidé de remettre le Prix 2009 de la Libre Expression à la chaîne privée de télévision de Libreville TV+, dont la situation est exemplaire de l’attitude néfaste des nouvelles autorités du pays, au lendemain du décès du Président Omar Bongo Ondimba. Ce prix, créé en 1991 par l’UPF avec le concours de l’OIF, distingue un journaliste ou un média qui, « dans un environnement difficile, a maintenu son indépendance malgré les atteintes à sa personne ou à ses biens ». C’est

le cas de TV+ qui, le 30 août dernier, a été victime d’une décision du gouvernement gabonais ne s’appuyant sur aucune disposition légale ou administrative. Ce jour-là, qui était aussi celui du scrutin présidentiel, le ministre de la Communication a fait arrêter le signal de la chaîne et a interdit ses émissions. Le gouvernement a fait brouiller les images, puis a lancé une opération nationale d’enlèvement de ses émetteurs. Par ailleurs, pour compléter ce dispositif répressif et illégal, la Garde Républicaine a séquestré les équipements satellitaires de la chaîne, installés sur le site de la Cité… de la Démocratie. Dans une note adressée aux assises de l’UPF, les éditeurs et responsables des associations de presse du Gabon, qui préfèrent ne plus être cités nommément, estiment qu’il est « devenu périlleux d’exercer dans le secteur de la presse ». « La situation ressemble à la

période sombre du monolithisme et de la pensée unique», écrivent-ils, avant d’énumérer les différentes exactions dont sont victimes les médias et les journalistes: « interdiction faite à plusieurs journalistes étrangers (France 24, agence Capa-TV, L’Express) de couvrir les événements politiques au Gabon, expulsions d’autres confrères sous prétexte d’exercice de la souveraineté, sabotages d’installations de médias, menaces physiques à l’endroit des journalistes locaux, interpellations de directeurs de publication, interdictions de paraître… ». Ainsi, à la mi-novembre, après avoir suspendu les périodiques Ezombolo et Le Nganga, le Conseil National de la Communication a interdit la parution d’une dizaine de titres réguliers pour une période allant d’un à trois mois. Motif : la publication d’articles critiquant l’action des autorités politiques. Sont notamment concernés Nku’u Le Messager pour un texte

intitulé : « Et s’instaura la monarchie », Le Crocodile (« L’argent du pétrole »), L’Ombre (« Boukoubi aux aveux »), La Nation, Le Scribouillard, Les Echos du Nord, Gabon d’abord et Le Temps. Même Albert Yangari, directeur de publication du quotidien public L’Union a été interpellé par les militaires « pour avoir laissé paraître des reportages sur les événements dramatiques de PortGentil », précise la note des éditeurs, qui s’émeuvent aussi des menaces contre Jonas Moulenda, l’auteur des articles. « Il s’est installé au Gabon un climat délétère, empreint de violations et de restriction des libertés fondamentales », concluent-ils, en demandant que l’UPF intervienne pour faire cesser ce « véritable muselage ».


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Quotidiens algériens : des moyens pour une presse libre et prospère A

u moment même où se tenaient à Yaoundé les 41èmes assises de l’UPF, le quotidien de Douala Le Messager fêtait ses trente ans. A cette occasion, il a organisé un colloque sur « l’avenir de la presse africaine». Omar Belhouchet, directeur de publication du quotidien algérien El Watan (dont le tirage journalier est de 160 000 exemplaires) y participait. Dans un article publié le 19 novembre 2009 sous la signature de Robert Ngono Ebodé, le quotidien, qui s’appuie sur le témoignage de son invité, retrace l’histoire de la presse algérienne depuis les années 90. Une histoire qui démontre que, quand ils s’unissent, les éditeurs peuvent placer leurs titres sur les chemins parallèles de la liberté et de la rentabilité… Avec les événements qui ont précédé l’ouverture démocratique en Algérie à la fin des années 80 et début 90, le paysage médiatique de ce pays était face à plusieurs défis. D’abord sortir de l’emprise du monopole de l’Etat, construire une presse libre, fiable, viable et forte, jouer le rôle qui lui est dévolu, notamment dans la promotion de certaines valeurs propres aux pays modernes et relatives à la démocratie, aux libertés publiques, à la gouvernance. Ensuite, construire de véritables entreprises dans le sens réel du terme et permettre une saine émulation de ceux qui en sont acteurs. « L’émergence d’une telle

Suite de la page 1 : directeur de la rédaction d’Europe 1, inscrit à Twitter, comme beaucoup de journalistes français et internationaux. « C’est une formidable agence de presse, la meilleure, la plus puissante, la plus rapide, estime Philippe Mathon, rédacteur en chef du Point.fr. C’est un outil de veille fantastique pour savoir ce qui se dit à défaut de savoir ce qui se passe. » Car il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux sur Twitter. Après le séisme en Haïti, les rares photos du désastre ont été postées sur Twitter. Parmi celles que les agences de photo ont récupérées, l’une représentait des maisons effondrées lors d’un tremblement de terre en Chine…

presse a commencé à se mettre en place avec les événements émanant de la révolte populaire des années 90, qui a été malheureusement récupérée par les acteurs politiques. Des journalistes ont senti la nécessité de se regrouper pour mettre sur pied des entreprises de presse et offrir des informations crédibles », indique Omar Belhouchet.

Concevoir une stratégie Avec ces soulèvements populaires, la presse en général, et celle privée en particulier, a été prise comme bouc émissaire. Elle s’est retrouvée entre le marteau et l’enclume, entre le pouvoir et le mouvement islamiste, qui a récupéré le soulèvement populaire. Dans ces affrontements, plusieurs milliers d’Algériens ont laissé leur vie, environ 150 000 personnes, dont 70 journalistes qui étaient particulièrement visés pour leurs opinions, dans la seule période 1993-1998. « Avant cette période, l’Algérie était dirigée par le parti unique, qui interdisait toute expression contraire à la version officielle. Les événements que nous venons de citer ont contraint près de 500 journalistes à l’exil », explique le directeur de publication de El Watan. « Nous qui avions décidé de mettre sur pied des entreprises de presse, il nous fallait réfléchir à la stratégie qui

nous permettrait de les construire. Nous étions conscients du fait que le gouvernement faisait tout pour que nous ne puissions pas fonctionner normalement. Par ailleurs, il a instauré le monopole dans le secteur de la publicité, de sorte que les journaux qui ne jouaient pas son jeu étaient interdits de revenus d’annonceurs. Ce qui fragilisait davantage certaines publications et faisait pression sur elles », poursuit-il.

Constituer un bloc solide

tion à qui le produit est destiné. « Nous avons alors décidé de mettre sur pied, en interne, une agence de publicité ayant des représentations dans les principales régions du pays. Au bout de dix ans, le journal est sorti de l’emprise du gouvernement », explique Omar Belhouchet. Il a fallu ensuite résoudre d’autres problèmes, notamment l’impression du journal et sa distribution. « Nous avons engagé un dialogue entre éditeurs de quotidiens, malgré nos différences édito-

riales et sans tenir compte de la concurrence, pour faire bloc et travailler ensemble dans le domaine de l’impression et de la distribution des journaux. Après plusieurs tractations et des hésitations de quelques éditeurs qui n’y croyaient pas, nous sommes arrivés, pour certains, à nous mettre d’accord sur le projet». « Nous avons fait appel à des experts, des techniciens pour le montage du dossier et mobiliser des financements à la banque. Nous avons pu obtenir notre première rota-

tive et nous avons investi dans l’imprimerie en 2001. C’est cela qui nous a permis d’avoir une liberté de ton et une indépendance qui, aujourd’hui, rend possible de travailler sans subir des pressions diverses quant à nos prises de position », poursuit-il. Aujourd’hui, le quotidien El Watan est une référence en Afrique du Nord en matière de presse écrite et d’entreprise de presse. « La presse africaine ne peut pas se développer si elle n’innove pas. Il faut qu’elle passe à un nouveau mode économique, qui fait appel à la synergie, à la complémentarité, quitte à ce que le lecteur choisisse désormais ce qu’il veut lire », pense le directeur de la publication, qui appelle les éditeurs à la transparence dans la gestion. « Nous avons recruté un commissaire aux comptes, qui fait son travail. Et, régulièrement, nous faisons notre bilan pour appliquer toutes les règles de gestion indispensables à une entreprise qui veut aller loin ».

Robert Ngono Ebode « Le messager» Douala

Pour le journal El Watan, il fallait sortir de cette tentative de musellement. Il fallait s’organiser pour ne plus dépendre de qui que ce soit, sinon du consommateur de l’informa-

Twitter, une information instantanée Dès 1650 à Versailles à la cour du Roi Soleil Demain sur votre table Champagne des vignobles de Christian Busin à Verzenay Les loupés sont inhérents à la nature de l’outil, ouvert à tous. « Ce n’est pas une agence de presse comme l’AFP, s’insurge Alain Joannes, car il faut vérifier l’information publiée sur Twitter ». Pour Laurence Ferrari, présentatrice du journal télévisé de TF1, «

cela remet les journalistes au centre du jeu : la fonction de vérification et de hiérarchisation de l’information n’en est que plus essentielle ».

Tél : 33 (0) 6 12 47 59 89

Stéphane Dreyfus « La Croix »

Les textes relatifs aux 41èmes assises ont été rassemblés et rédigés par Serge Hirel. Les photos sont signées Stefania Muti, Arnaud Danloux-Dumesnils et Alexandre Godard. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé A consommer avec modération . JANVIER / FEVRIER 2010 - N° 143


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MÉDIAS

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Roumanie : journalistes en crise Vingt ans après avoir conquis leur liberté, grâce à la chute du communisme, les journalistes roumains sont en train de la reperdre. Pour des raisons à la fois économiques et politiques. La crise a frappé de plein fouet une industrie bâtie sur un modèle économique fragile. Les radios et les télévisions publiques sont gérées selon des critères exclusivement politiques, leurs cadres étant nommés par le pouvoir. Côté privé, trois groupes importants, « tout terrain » (télévision, radio, presse écrite et électronique), se partagent un gâteau publicitaire réduit à la portion congrue. Il leur faut donc trouver des financements ailleurs. Par conséquent, les principaux médias mettent leur influence au service des partis. Sans états d’âme. Il ne s’agit pas d’idées ou de valeurs à défendre mais de business. Les idées ne manquent pas. On lance des campagnes d’opinion. On tourne des publi-reportages, payés par le gouvernement et présentés comme de l’information. On accepte des enveloppes pour faire venir devant les caméras tel ou tel responsa-

ble. On fabrique même l’événement, en mettant en scène des comptes rendus frôlant la fiction. Rien d’exagéré dans cette énumération. Elle ne fait que

reprendre des affaires devenues célèbres. La dernière d’entre elles concerne le salaire des journalistes. Déjà peu mirobolants,

ils viennent d’être réduits d’une manière radicale (près de moitié, souvent) au sein des médias des plus influents. Et ce dans un silence assourdissant. Les journalistes roumains

EN BREF...

sionnelles dignes de ce nom, ils n’ont aucun accès à ceux qui décident de leur sort. Alors ils pensent aux factures, aux crédits à rembourser, aux gamins qu’il faut nourrir. Ils baissent les yeux, la rage et le dégoût au coeur. Et écrivent sur commande. Comme avant, quand on suivait « la ligne du parti ». Maintenant, on colle aux intérêts du patron, en soutenant X et en tapant sur Y. Sinon, c’est la porte. Le journalisme est donc toujours un combat. Mais ce n’est plus celui pour la liberté. Deux décennies après la disparition de Nicolae Ceausescu, des professionnels en voie de paupérisation luttent avant tout contre le spectre du chômage. Ceux qui les dirigent se concentrent sur la recomposition du paysage médiatique, au lendemain de l’élection présidentielle. Une nouvelle partie commencera alors. Avec d’autres équipes. Composées, hélas, des mêmes joueurs.

se taisent. Faute d’une législation adéquate, ils peuvent être congédiés du jour au lendemain. Faute d’être représentés par des organisations profes-

Nicolas Don « Regard » Bucarest

Haïti Aide et solidarité durables Tous les superlatifs décrivant l’horreur ont été employés pour traduire la gravité de la catastrophe qui vient d’ajouter à la situation dramatique que vit la République d’Haïti. Il n’y a pas de malédiction programmée et encore moins d’îles ou de pays maudits. Dany Laferrière a raison de dénoncer ce terme de malédiction, insultant et qui sous-entend qu’Haïti a fait quelque chose de mal et qu’elle le paie. La catastrophe haïtienne traduit d’abord notre impuissance face aux forces de la nature. Haïti fann kè* ! Nous comprenons la compassion et la solidarité des peuples qui se découvrent des frères. Et davantage encore des êtres d’un extrême dénuement. Mais gardons-nous cependant de la politique de l’émotion amplifiée par les médias, mettant la solidarité en mouvement d’une manière hélas trop souvent éphémère. L’aide et la solidarité portées envers Haïti doivent être durables. Elles doivent être aussi exemplaires et désintéressées que celles de ces femmes et de ces hommes qui au péril de leur vie accourent du monde entier pour sauver d’autres vies et rappeler que : «Si une vie ne vaut rien, rien ne vaut une vie» ! Et que la vie doit toujours triompher de la mort ! La reconstruction d’Haïti doit s’inscrire dans une démarche durable. L’oublier ce serait tuer encore une fois Haïti, tant qu’il est vrai que les morts sont véritablement morts seulement quand on les a oubliés ! Le déblaiement des tours du World Trade Center à New York, c’est 4 ans ! La reconstruction après le tsunami en Asie dure depuis 5 ans. Pour l’heure, il s’agit d’organiser le pays au plus vite et de coordonner l’aide internationale. Tout chauvinisme national ou tentative de récupération serait, devant l’ampleur d’un tel drame, déplacé voire indécent. La transition en attendant la reconstruction autrement, est un cap difficile. Il y a des traumatismes à guérir. Que faire des tonnes de débris ? Que faire des milliers d’estropiés et d’amputés ? Que faire des milliers d’orphelins ? Comment remettre debout ces milliers de traumatisés ? Comment faire redémarrer un pays aussi anéanti ? Tous les «kenbé rèd pa moli»** du monde doivent se concrétiser dans des actions pragmatiques, trébuchantes et sonnantes. La tragédie qui frappe Haïti, au-delà de nos identités individuelles, familiales, géographiques et historiques vient avec ce formidable élan de solidarité planétaire, renforcer notre conscience de l’universel. Certes, il est encore dommageable que la peur et la mort, comme pour les animaux, restent les seuls catalyseurs instantanés capables de renforcer notre fraternité dans une claire conscience de la survie de la horde. Si l’homme meurt, et c’est son destin, l’humanité elle, ne meurt pas. Et c’est là notre victoire, notre éternité, avec comme feuille de route : la sauvegarde de l’espèce humaine.

Jean-Claude Rodes « Le Progrès social » Pointe-à-Pitre * Haïti fann kè : Haïti, notre coeur est brisé * kenbé rèd pa moli : Tenez bon (encouragements)

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Le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) pour la Communauté française de Belgique a été installé à Bruxelles, dernière étape d'une longue maturation visant à doter le journalisme francophone belge d'une instance de déontologie chapeautant l'ensemble des organes de presse. Le CDJ rassemble des représentants des journalistes mais aussi des représentants des rédacteurs en chef, des éditeurs ainsi que des personnalités de la société civile, au contraire du Conseil de déontologie (fédéral et bilingue) qui a existé jusqu'en 2001 à l'initiative de l'association professionnelle des journalistes. Le CDJ ne pourra infliger de sanctions et revêtira donc une autorité morale. Il est notamment chargé de codifier les règles déontologiques du journalisme en tenant compte de la spécificité de chaque média, et de traiter les demandes d'avis et les plaintes.

*** Le Temps, média de référence de la Suisse romande et francophone, renouvelle sa structure de direction : Valérie Boagno à la direction générale et commerciale, JeanJacques Roth à la rédaction en chef (jusqu’à la désignation de son successeur), Ignace Jeannerat au secrétariat général.

*** La journaliste française Michèle Cotta juge lucidement les journalistes qui se laissent débaucher par les pouvoirs en place : « Le passage du journalisme à la politique est un aller sans retour, et c’est irréversible ; on peut flirter avec les pouvoirs, mais jamais faire le pas. Les politiques sont persuadés que les journalistes connaissent bien la presse et peuvent les aider dans leur communication. Or c’est faux, ils ne connaissent que les mécanismes. »

*** TV5Monde vient de lancer le sous-titrage de ses programmes en japonais. "Cette nouvelle langue de sous-titrage va permettre aux nombreux Japonais fascinés par l'art de vivre à la française et par notre culture, mais ne parlant pas notre langue, de suivre nos programmes", a déclaré sa directrice générale Marie-Christine Saragosse. Les programmes de TV5Monde sont déjà sous-titrés dans neuf autres langues: l'anglais, l'arabe, l'espagnol, le portugais, le néerlandais, l'allemand, le roumain, le russe et le français. « On prévoit deux autres langues l'an prochain, le polonais et le vietnamien », a indiqué Mme Saragosse. « Il existe des déclinaisons de chaînes thématiques dans des langues différentes, mais TV5Monde est un modèle unique fondé sur une signature linguistique qui est le français, mais jamais exclusivement puisqu'on sous-titre. On en fait aussi de plus en plus un outil d'apprentissage du français. On se rend ainsi accessibles aux non-francophones et on les aide à apprendre cette langue s'ils le souhaitent", a-t-elle ajouté.

***

Témoignage Le lendemain du terrible tremblement de terre qui a ravagé Haïti, nous avons reçu ce courriel émouvant de notre correspondante à Port-au-Prince, Nicole Siméon. Je suis très touchée par tous les témoignages de soutien des uns et des autres. Je vous remercie du fond du coeur. Les détails sont navrants, désespérants... C’est tout simplement inimaginable. On approche les 200 000 morts et disparus. Ce mail est pour vous rassurer sur notre sort. Faites passer s’il vous plaît. Internet et la téléphonie sont plus qu'aléatoires, on ne trouve pas tout le monde. Ne vous inquiétez pas si vous n’y parvenez pas. Je vous donnerai plus de nouvelles et pourrai parler aux uns et aux autres dès que possible. On a perdu beaucoup d’amis et de connaissances. Nos maisons sont en ruine, quand elles ne se sont pas carrément effondrées. On dort à la belle étoile depuis trois nuits (il n’y a que les enfants qui s’en amusent) de peur que ce qui est encore debout ne s’effondre sous les petites secousses qu’on continue à avoir. Il y a une vraie solidarité entre nos voisins. Haïti est sur les genoux. Les aides tardent à arriver à la population. On commence à craindre les pénuries en eau potable et en produits de première nécessité, on a sérieusement besoin de l’aide extérieure… on craint des épidémies pour les semaines à venir. Merci de vos prières pour ceux qui y croient : pourvu qu’on n’ait pas de réplique… Alors là, personne ne pourra survivre…

Un accord a été signé au Burkina Faso entre le Conseil supérieur de la communication (CSC) et les promoteurs de 22 médias audiovisuels : 12 radios associatives/communautaires, 3 radios confessionnelles, 1 radio commerciale, 4 télévisions confessionnelles, 1 télévision commerciale et 1 opérateur MMDS. Pour la présidente du CSC, Béatrice Damiba, cette signature de convention s'inscrit dans un contexte de grands bouleversements technologiques où l'analogique cède progressivement le pas au numérique.

*** Le prix de l’Association de la presse diplomatique française a été décerné à Marc Nexon, grand reporter à l’hebdomadaire Le Point, pour ses articles sur la Russie. Ce prix distingue un journaliste pour le talent avec lequel il rend compte de l’actualité internationale.

*** L’Assemblée nationale du Togo a effectué une modification de la loi - sous la pression des médias et de la société civile - afin que la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) ne dispose plus d’un pouvoir de police. Désormais l’organe de régulation des médias exercera son autorité dans les limites de la loi. C’est à la justice qu’il reviendra de se prononcer sur des sanctions éventuelles.

*** Un rapport du Comité de protection des journalistes (CPJ) établit qu’au moins 70 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur métier en 2009, soit le nombre le plus élevé jamais enregistré. Face à cette « sombre situation », Robert Mahoney, directeur adjoint du CPJ, a appelé le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à « prendre position avec plus de fermeté et d’autorité en faveur de la liberté d’expression ».


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Colloque en Croatie Diversité culturelle et linguistique, coopération et développement sont les mots clés autour desquels les journalistes et les écrivains francophones ont échangé pendant le colloque « Journalisme et métissage culturel à travers la francophonie », organisé par la Section croate de l’UPF le 23 et 24 octobre 2009. Ces rencontres ont été une occasion de réflexion et d’échanges intellectuels entre des participants venus de différents milieux francophones européens.

Silvija Luks : les journalistes aident à comprendre le monde Pourquoi la Section croate de l'UPF a-t-elle organisé un colloque et pas une conférence ? Parce que les conférences ont la vocation de changer le monde et que notre prétention était plus modeste. Avec le colloque de Dubrovnik nous désirions seulement « échanger », ce que nous avons fait durant trois jours. Une des conséquences de la globalisation est la lente disparition de la langue française et des valeurs francophones dans la région de l' « Europe du Sud-Est ». Par conséquent nous, journalistes de l'époque d’Internet, sommes condamnés à recevoir les informations par le canal dominant anglosaxon. C’est pourquoi il faut agir. Le fil conducteur de nos débats a donc été : comment réintroduire la francophonie dans les sources d'informations. Le président croate Stipe Mesiç (alors en fonction), le Premier ministre et ex journaliste Mme Jadranka Kosor, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Culture de Croatie ont apporté leur soutien à notre démarche. Dans la lettre adressée aux participants, le chef de l'Etat Stipe Mesiç a rappelé : « J'espère que vous vous sentirez bien à Dubrovnik, perle de notre Adriatique, que Napoléon était si fier d'avoir conquise qu'il l'a inscrite sur la liste de ses victoires sur l'Arc de Triomphe. Mais dans la mémoire des Croates, la période du pouvoir français

reste gravée pour d'autres raisons. Ce fut justement sous l'administration française que la langue croate fut introduite comme langue officielle et que les premiers journaux furent imprimés dans notre langue. » Le ministre de la Culture de Croatie, Bozo Biskupic, a souligné : « Je suis heureux

que la rencontre des journalistes francophones soit organisée en Croatie et je suis convaincu que vos discussions et vos ateliers contribueront à la compréhension de l’autre et des différences qui sont le moteur essentiel de développement de la diversité culturelle. » Et ce fut le cas. C’est à Dubrovnik que nous avons envisagé d'établir une nouvelle télévision régionale francophone. Si les journalistes ne peuvent pas changer le monde, ils peuvent contribuer à mieux le comprendre.

Goran Mili : pour une télévision francophone méditerranéenne

André Bercoff a aimé la francophonie à Dubrovnik

« Je vais profiter de mes 40 ans d’expérience à la télévision pour dire qu’il serait bon qu’une télévision puisse défendre les valeurs de la francophonie. Pour cela, il faut savoir que la télévision est très superficielle, car plus elle est superficielle, plus elle aura d’audience. Ce que l’anglophonie dominante a bien compris. Les messages sont courts, dans une langue simplifiée, qui joue sur l’impression. Au contraire des francophones qui adorent les discours, qui pensent que tout le monde a lu « Guerre et paix » et qui répètent peu les phrases. Les francophones aiment les messages, les discours, de préférence avec une certaine philosophie. C’est l’amour de la belle langue, avec éventuellement passé simple et imparfait du subjonctif, là où le même concept s’exprimera en deux mots anglais. Le monde francophone résiste à la globalisation, on y parle de nos valeurs, l’argent entre peu en ligne de compte. Par exemple, au contraire des Américains, on trouvera rarement un héros homme d’affaires self made man, sauf s’il est un artiste qui est arrivé grâce à son talent ! Et un artiste ne parle pas d’abord d’argent, comme aux USA, mais du contexte… Notre chance, c’est de préserver nos valeurs francophones, de fraternité, de famille, qui sont souvent les mêmes que dans le monde hispanique et méditerranéen. La France est riche de son histoire et doit s’en servir. Mais faire aujourd’hui une télévision francophone serait mission impossible, en revanche le faire graduellement est envisageable. La France en a les moyens mais il ne serait pas souhaitable que ça ne vienne que d’elle. Pourquoi ne pas proposer un programme en français qui serait géré par les minorités vivant en France ? Ce serait une excellente manière pour les Français de comprendre leurs minorités, mieux qu’avec une télévision où les Algériens parleraient arabe. Les Français, regardant ces programmes, saisiraient davantage les débats qui agitent ces populations. Car ils souhaitent comprendre. On pourrait également inventer une série d’émissions sur la Méditerranée, où tant de choses nous rassemblent. Et c’est vraiment la seule région du monde où l’anglais n’est pas dominant. Pourquoi pas, également, des échanges de programmes entre pays francophones, car le manque est criant. En se globalisant, la télévision francophone perd toutes ses chances, c’est en restant spécifiques, en montrant nos traditions et nos valeurs que nous gagnerons. Les inventions, la culture, sont de notre côté. Il faut une télévision méditerranéenne. »

Des nouvelles du Père Delvordre

L

e père assomptionniste Joseph Delvordre, qui effectue dans la région instable du Nord-Kivu (République démocratique du Congo) un travail exceptionnel pour faire vivre la région, créer des liens, apporter de l’aide et de la solidarité, était récemment de passage en France. Cinquante ans jour pour jour après son ordination à Rome. Les nouvelles qu’il apporte ne sont pas toutes bonnes, sa ville de Butembo abrite des rôdeurs qui s’échangent armes et uniformes, les rebelles des pays voisins sèment le trouble et parfois la terreur. La crise financière frappe l’Afrique de plein fouet, la faim se fait sentir et les terres du Kivu sont convoitées par des populations qui passent la frontière de l’Est avec enfants, troupeaux et armes. Mais parmi les bonnes nouvelles, la radio RMBB, dont s’occupe le Père, a fêté son dixième anniversaire, le Centre de formation informatique assure une initiation à internet, ainsi que des cours de langues ou de maths. Les internautes peuvent user de leur savoir-faire tout neuf au cybercafé créé par le père Delvordre, qui offre également la lecture de journaux, revues, CD et cassettes. Un travail inlassable, modeste et précieux, une générosité qui se traduit en action depuis plus de trente ans en Afrique.

L’Europe peut-elle encore avoir des accents français ? Cela paraît aujourd’hui être une douce utopie alors que l’anglo-saxon est l’espéranto du monde, en attendant l’éclosion pas spontanée du tout, de milliards de petits experts en chinois. Il appartenait à Silvija Luks, correspondante de la télévision publique croate à Paris et fondatrice de la Section croate de l’Union de la Presse Francophone, de réunir une quarantaine de journalistes venus de nombreux pays d’Europe de l’Est, pour discuter en français des conditions plus ou moins aisées de l’exercice de leur métier. Si Bucarest, la capitale roumaine, publie un luxueux magazine en langue française, d’autres, en Slovénie, au Val d’Aoste, en Serbie, en Slovaquie et ailleurs, se battent pour préserver un espace francophone dans la grande bourrasque de la mondialisation. Ils se sentent certes aidés, mais pas assez, par les Alliances Françaises existant dans toutes ces

capitales, ainsi que par la présence sur les petits écrans, de TV5 monde et de France 24. Mais cela suffit-il à créer, chez les jeunes, des vocations ? On a senti en tout cas durant ces trois jours passés dans l’une des plus belles cités médiévales du continent, chez les jeunes Croates présents au colloque, l’envie de l’alternative à l’anglais et surtout le goût vif de nos écrivains. Ainsi, l’un d’eux, parlant de Camus et de Sartre, trouvait indispensable de les lire en français, car rien ne vaut le génie de la langue. Lors de la guerre d’Algérie, à un écrivain arabe qui disait : « Mon exil, c’est la langue française », un autre écrivain arabe répondit : « Ma patrie, c’est la langue française ». Il est à espérer que des colloques comme celui organisé si cordialement et chaleureusement par Silvija Luks, croissent et se multiplient. Un parfum de France sur les rives de l’Adriatique c’est plus qu’un plaisir : une nécessité vitale.

La lettre mensuelle de la Chambre du commerce Franco-Arabe

Toute l’information pratique sur l’économie du monde arabe sur le site ccfranco-arabe.org

Cécile de Songy JANVIER / FEVRIER 2010 - N° 143


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ROUMANIE

Forum Francophone des Affaires : le français, outil de travail

Sous l’autorité de Doru Costea, président de la Section roumaine de l’UPF, Daniela Coman est devenue secrétaire générale. Chef de rubrique à Radio Roumanie et pigiste pour le magazine francophone Regard, elle est chargée de développer les activités de la section qui enregistre, déjà, de nouveaux membres.

A l’occasion de la Journée de la Francophonie du 20 mars, le Forum Francophone des Affaires (FFA) a inauguré deux initiatives qui témoignent de l’utilité et de l’efficacité du français comme langue de travail.

C

ontribuer au rayonnement économique du français est l’une des principales missions que s’est donné le Forum économique des affaires. En partenariat avec Pôle Emploi International, le FFA – par l’intermédiaire de son représentant canadien : le Réseau de développement économique et employabilité (RDEE) – met en place à Paris une « banque d’offres d’emploi authentifiées ». Ce dispositif est constitué d’offres d’emplois émanant des entreprises canadiennes et s’adressant spécifiquement aux demandeurs francophones. Pôle Emploi est chargé de la mise en relation des candidats avec le RDEE/FFA, qui reste le point de contact des recruteurs. Le Canada est une destination attractive tant l’offre y est importante pour une demande qui existe dans tout l’espace francophone. En novembre 2009, l’Ambassade du Canada en France organisait – toujours avec la collaboration de Pôle Emploi International – un forum emploi destiné aux candidats intéressés par, l’enseignement francophone. Outre cette initiative, le FFA en la personne de Françoise Foning, présidente du FFA Cameroun et des Femmes mondiales chefs d’entreprise, consacre un séminaire de formation aux femmes responsables d’entreprises. Cet apprentissage vise à familiariser ce public à l’utilisation d’une plateforme de commerce en ligne. Avec cette innovation, la francophonie économique initie une réflexion essentielle sur Internet et sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication audiovisuelle. Crée en 1987 au premier sommet de Québec, le Forum Francophone des Affaires est l’unique organisation économique reconnue par le sommet des chefs d’États et de gouvernements francophones. En plus de vingt ans d’existence, cette organisation est devenue l’un des premiers réseaux mondiaux d’entreprises. Au-delà de la Journée de la Francophonie, le FFA prépare plusieurs grands rendezvous pour les acteurs économiques, comme celui organisé dans le cadre du prochain sommet qui se tiendra à Montreux en 2010.

ACADIE Le comité directeur 2010 de la Section acadienne de l’UPF Président : François Leblanc, journaliste à Radio-Canada, Viceprésidente : Michèle Brideau, journaliste à Radio-Canada, Secrétaire : Ricky Landry, journaliste à Radio-Canada, Trésorier: Gilles Haché, PDG de l’hebdomadaire Le Moniteur Acadien, Conseiller : Julien Abord-Babin, journaliste de l’hebdomadaire L’Etoile, Conseiller : Gervais Mbarga, professeur au programme Information-Communication de l’université de Moncton, Président sortant : Eldred Savoie, journaliste à Radio-Canada, Vice-présidente internationale : Elisabeth Créner, directrice de l’information de Radio-Canada-Acadie.

Téléphone : (0) 1 47 70 02 80 Télécopie : (0) 1 48 24 26 32

Bureau de Genève 38, avenue William Favre 1207 Genève

MONTENEGRO

Rédaction Rédacteur en chef

Responsable des programmes étrangers à la Radiotélévision du Montenegro, Snezana Nikcevic a été investie présidente de la Section UPF montenegrine.

Georges Gros

Rédacteur en chef-adjoint Serge Hirel

Chef des informations Pascale Bilger

Ont collaboré à ce numéro Priscille G. Moadougou, Essama Essomba, Robert Ngono Ebode, Chantal Delsol, J. de Villerville, Jules de la Fayolle, Cécile de Songy, Stéphane Dreyfus, Jean-Claude Rodes, Nicolas Don

Maquette

Réalisée par D. Accaoui

ANGOLA

FEO : Immeuble Lissan El-Hal Byblos - Liban

Réunie le 27 février à Luanda, l’assemblée générale a reconduit la direction exécutive intérimaire de l’UPF, Section angolaise. Mpassi Salamau est ainsi conforté dans le siège de président de l’association tandis que Lutonadio Kunsunga garde la viceprésidence. Le secrétariat est assuré par Nsingui Mabuassa et Maria Inês Domingos. L’assemblée a reconduit le trésorier Nelson Mujinga.

Iconographie Agence Gamma « La Gazette » est réalisée avec le concours de la « délégation chaîne graphique » Responsable : Patrick Convercey

Directeur technique Bady Chebab

Redacteur en chef technique Jean Valion

Impression Imprimerie Rockson RN 113 - 13340 Rognac

Diffusion Abonnement annuel voie de surface : 15 euros par avion : 38 euros abonnement de soutien : à partir de 50 euros

LISTE DES NOUVEAUX MEMBRES

JANVIER / FEVRIER 2010 - N° 143

direction, rédaction, publicité 3, cité Bergère 75009 Paris

gazette@presse-francophone.org

GUINÉE ÉQUATORIALE La Section UPF de la Guinée équatoriale s’est dotée d’un responsable en la personne de Francisco Patricio Angue. Titulaire d’un BTS en information et communication option journalisme, F-P Angue travaille comme directeur de la rédaction du magazine Hola Cemac.

Responsable de la diffusion : Jean-Claude Cartier

Routage - AAR 4, rue des marronniers 94 240 L’Hay-lesRoses

Editeur La Gazette est éditée par les “Amis de La Gazette” dont les administrateurs sont Georges Gros (président), Patrick Convercey (vice-président), Jacques Bassière (trésorier) et Jean Valion (secrétaire général)

Papier La Gazette est imprimée sur papier recyclé à 100% de qualité UPM brite 65 produit à l’usine de la Chapelle Darblay (groupe UPM Kymmene)

commission paritaire N° 0909 G 85883 ISSN 0398-988 7

CENTRAFRIQUE Rédacteur à Temps Nouveaux et correspondant de RFI à Bangui, Christian-Noël Panika devient président de la Section centrafricaine de l’UPF.

CARNET

ALBANIE : CANI Eva, GJERMIZI Fjorilda, MUSAI Drita, PULAKE Irma, PRIFTI Ilda ALGÉRIE : ARKAT Yahia, DERRADJI Anissa, HAOUCHINE Mohammed, LAFER Naryman - BELGIQUE : CHALUMEAU Nicolas - BÉNIN : ACCROMBESSI Robin, ADJOVI-AGBANGLANON Franck, ADJOMASSOKOU Jean-Discipline, ANIEATH ECKDONA Da Gloria, AHOUE Akoffio Claude, BIDIAS Marie-Louise, BRAHI Serge, DOSSOU-HOUNTONDJI Arsène, FANOU Bessan Ignace, GNACADJA Ange-Gabriel, KATAKOULA Dieu-Donné, KOUAKOU Amany-Théodort, LIGAN Dossou Charles, N’ZI Charles-Richard, SAGBO Hugues Arioste, ZOUMENOU Marcel – BURUNDI : NDESHIMANA Vincent - CALIFORNIE (USA) : BOHBOT Georges, BOUCQ Isabelle, GARANDEAU-MIRGUET Coralie, GREGORIADES Cécile, SERRERA Marc, PONS Emilie-Anne, SÉRINA Guillaume - CAMEROUN : BAYOCK Emmanuel, EKAMBY-MPESSAH Joël - CANADA : MONTAGUE Tony - CONGO-RD : BOSONGO Barthélémy, BWALYA-MALONGI Gudule, KANYINDA Dieubénit, KASONGA Tshilunde, KOKOLO Nganga, MULANGA Mimi, MASOLO BRUNA Bita, MBONGO-MPASI Madeleine, MUNSALA Didier, MUBOYAYI Polydor, MPOLO Gathy, MBOYO Patience, KASHAURI Thembo Kash – COTE D’IVOIRE : AKA Lambert, BAILLET Désiré, BARRY Josette, CHAUDET Pierre, CISSÉ Drissa, GNAHORE Djedeje Romain, HUIBAN Frédéric, KOFFI Kouame Michel, KRAIDI Agnès, KRA Kouakou Rober, LEBRY Léon Francis, MIQUELOT Géraldine, MORANCE Marianne, MOUSSAÏD Kadija, OBINDE Marie-Chantal, VIOLET Jacques, ZAGBEYOU Degbou Armand, ZAHUI Dasse Claude - FRANCE : BLANC Gérard, BOUZANDA Kiesse, BROU Marc J.Ettien, CAMARA Lanciné, COLAONE Michaël, CORGIER Jean-Louis, DEPERTHES Xavier, DESMET Nathalie, EDJANGUE-LENGUE Jean-Célestin, FEVILIYE Carmen, GAUVRIT-BLANC Isabelle, GRIVEL Thierry, FITTE Caroline, JEONG Jong Yeob, LOBOUÉ Aimé Jacob, MATHIEU Florence, MOUTHON Xavier-Serge, NDONG Noël, NOACK Martine, PROSENICA Nina, SIEGRIST Martine – STERN-MAREUSE Martine, WEISS Isabelle - GUINÉE : GUILAVOGUI M’mah, DIALLO Idrissa - HAÏTI : GAUS Noël – HONG KONG : DE LOYNES Thibaud - HONGRIE : FARKAS Lucie, MADARAS Gabor, VARUYONYI Tibor – ISRAËL : BOCHNER Jessy - LIBAN : ABDELKHALEK Vedyane, LAHOUD JAZZAR Désirée, YOUNES Paradis, EL HAKIM Charbel, MASSAAD Tatiana, MOUFARREJ Elsy, TORBEY Zeina, EL HELOU Rouba, CHAHLA Nayla, - MAROC : BENYASSIN Abdellatif, EL FAD Saïd, EL OMARI Iliays, HALIF Abir, JAWAD-ABDELJALIL Samir, SAHIMI Ayoub, WAHBI Aïssa - MONACO : CHABRIER Carole, DIACONESCO Gérard, MARCEL Matthieu - MONTÉNÉGRO : DURETIC-MRDAK Maja, KOVACEVIC Zorka, MIKCEVIC Snezana, PIPEROVIC Tatjana, VUKCEVIC Jovana - QUÉBEC : MAYEGA MA NDIHE Ferdinand - ROUMANIE : BANDILA Alina, COJOCARIU Eugen, DUMITRESCU Valentina, DIACONESCU Virgil, FRUMUSANI Daniela, LEPADATU Florin, MILOSESCU Monica, MIHAI Mihaida, MIHAIESCU Ligia, POP Alexandra, STANCESCU Ioama, SABAU Corina, TAROI Ileana, TUDOSE Mariana, ZERIRI Dalila - SERBIE : ILIC Ivan SUISSE : CALFELIS Charly, CHABOU Mohamed, WINDISCH Uli - TCHAD : DJEKOMBE François - VALLÉE D’AOSTE : BERTOLIN Elio, CHENUIL Michèle, FOSSON Jean-Pierre, PAROUTY Évelyne, REAN PEANO Paola, TRAVERSA Anna Maria, VEVEY Ortensia Danielle, WILLIEN Renato.

Journal bimestriel

La Section gabonaise est endeuillée par la mort, le 23 janvier, de la fille de Jean-Pascal Ndong, vice-président international de l’UPF. Étudiante en agronomie, DianeCharlotte a succombé, à 22 ans, à une crise de paludisme. A sa famille, nous adressons les condoléances de toute l’UPF. *** Nos condoléances vont aussi à la famille de Criwa Zeli Paulin. Secrétaire général de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (Unjci) et vice-président de la Section UPF de Côte d’Ivoire, Criwa

Paulin est décédé le 2 février à l’âge de 41 ans. Connu pour son dynamisme et sa disponibilité, notre confrère avait été la cheville ouvrière des 39e assises de l’UPF. *** Membre de la Section guinéenne de l’UPF, Mamadouba Sylla est décédé le 10 février. Diplômé de l’Institut supérieur des sciences de l’éducation à Manéah (Conakry), Mamadouba Sylla avait débuté dans l’enseignement avant d’opter pour le journalisme à la division Presse et Interprétariat de la présidence de la République de Guinée, dont il fut le chef de service. A 47 ans, notre confrère laisse derrière lui une femme et quatre enfants.


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Être français Pour la philosophe Chantal Delsol, « être français, c’est aimer sa patrie sans la travestir et sans en avoir honte. C’est assumer le passé avec ses grandeurs et ses pesanteurs».

Ê

tre français. Cela ne va plus de soi. Ce lien non choisi est devenu difficile à admettre. Beaucoup voudraient trier leur France… En premier lieu, être français, c’est assumer tout le passé de la France : se sentir et se savoir l’héritier des rois et des abbayes bénédictines, des guerres de religion, de l’espérance et de l’intolérance révolutionnaires, de quarante millions de pétainistes, et de l’intelligentsia stalinienne. Autrement dit, ce serait ne rien comprendre à la patrie que de vouloir choisir en elle ce qui, aujourd’hui, plaît, et pire encore, de tenter de réécrire le passé qui nous chagrine ou nous indigne : la France sans les racines chrétiennes, voire l’invention de racines musulmanes, pour faire plaisir au temps présent… Quand on reçoit un héritage, on n’accepte pas le château sans les dettes. Et il en va de même pour le présent. Être français, c’est se sentir et se savoir le compatriote des immigrés naturalisés, mais aussi des électeurs du Front national. C’est aimer ce pays avec sa cuisine et son élégance qui font pâlir d’envie nos voisins, mais aussi avec ses corporatismes étroits, son éternel ressentiment égalitaire. Il s’agit d’aimer un pays réel, avec ses grandeurs et ses catastrophes, ses erreurs et ses gloires, son charme et ses pesanteurs. S’inscrire dans un passé et dans un présent que nous n’avons pas forcément ratifiés, accepter les conséquences de situations auxquelles nous n’avons point part : répondre de ce dont nous ne sommes pas responsables. Etre patriote, c’est aimer sa patrie sans la travestir, et sans en avoir honte. Juste parce que c’est elle, et juste parce que c’est moi. Aussi, se sentir français aujourd’hui, c’est apercevoir, sans faux-semblant ni ruse de la raison raisonneuse, que nous héritons d’une patrie en perte de puissance. Que la France a pu être ou se croire le phare du monde, mais ne l’est plus. Cette puissance désormais moyenne doit se remettre en cause, non parce que ses trouvailles se révèleraient fausses, mais parce qu’elles se révèlent dépassées. Etre français aujourd’hui, c’est d’abord un étonnement douloureux, celui qui faisait dire au jeune Périclès, suspendu au manteau du Maître: « comment se fait-il, Socrate, que notre cité ait ainsi décliné? ». Comment cette patrie si brillante, fille aînée de l’Eglise et de la Révolution, est-elle devenue une puissance si moyenne, si essoufflée, si endettée, si enfermée dans ses propres préjugés ? Etre français aujourd’hui revient à faire le deuil de ce

que nous ne sommes plus, et nous apparaît si enviable. Etre français c’est une nostalgie, et l’analyse d’un manque irrémédiable, et la lucidité devant les béances laissées par l’histoire – dans tous les pays du monde où notre influence se faisait sentir, et ils sont nombreux, les soixantenaires de l’élite cultivée parlent encore français, les trentenaires parlent anglais. Mais la nostalgie n’est pas une réponse. Elle se transforme aisément en aigreur : celle qui nourrit la haine de l’Amérique, puissance qui monte pendant que nous descendons. Elle peut devenir une révolte, celle qui coupe le courant électrique pour conserver ses privilèges. La nostalgie se retourne contre son détenteur et ne transforme pas la réalité regrettable. Il nous faut tout mettre en oeuvre pour la dépasser. Peut-on alors oublier les rêves de puissance ? Se contenter d’une place médiocre ? Accepter la diminution comme ce sage auquel on a volé une partie de ses capacités, et qui rend grâce pour celles qui restent? Un individu peut faire son deuil de sa grandeur passée, parce qu’il se sait vieillissant et mortel. Mais une patrie ? N’a-t-elle pas pour projet l’immortalité, quoiqu’en dise Valéry ? Saurait-elle accepter de vieillir et de mourir ? Il faut prendre alors le pays fatigué tel qu’il est et combattre pour l’arracher des ornières où il se débat inconsciemment. Les Français ne peuvent plus se reposer sur l’héritage : la richesse du pays, ses institutions archétypales, sa langue admirée, sa parole universelle. Tous ces bienfaits sont en voie de dislocation, et nous n’emmènerons plus aucun peuple derrière nous

aux paroles de La Marseillaise. Etre Français, c’est, par affection pour la France, tâcher de comprendre les ressorts des maladies qui nous minent, oser en dévoiler les symptômes, avoir le courage de désacraliser nos certitudes qui nous entraînent par le fond : l’uniformité et l’égalité, les privilèges des corps, et autres tabernacles. En période de calme, la patrie s’identifie à ses institutions et à ses coutumes, à ce point qu’elle se défend par leur simple légitimation. Dans les époques de rupture, la patrie doit pour se sauver se défaire de bien des points d’ancrage qui autrefois la maintenaient. Nous en sommes là. Etre français, c’est aimer suffisamment la France pour vouloir la redéfinir, lui proposer d’autres piliers et d’autres rêves.

sommes un peuple heureux, que la fortune a comblé. Longtemps nous nous sommes crus immortels presque par nature, en tout cas par

l’ampleur de l’histoire qui nous enracine dans le sol. Mais l’histoire ne produit pas de miracle. Il nous faudra, comme tous les peuples, nous

Ce désarroi peut se muer en volonté nouvelle : c’est un défi, aujourd’hui, que d’être français. Car cela consiste à comprendre que la France n’est plus une sinécure, un hôtel 5 étoiles au jeu du Monopoly, un modèle par nature. Elle ne peut plus se reposer sur ses lauriers fanés. Il lui faut s’exposer pour survivre à elle-même. Etre français, pendant longtemps c’était savourer des épopées et jouir de l’influence gagnée par nos ancêtres. Aujourd’hui, être français c’est se risquer dans l’inconnu d’une métamorphose, penser la rupture, chercher des voies nouvelles par où s’imagineront d’autres forces, encore inconnues. Nous avons longtemps marché dans des sillons millénaires, balisés par la fierté. Il nous faut à présent tailler des chemins dans la forêt. Nous n’en avons pas l’habitude. Nous

Directeur de la publication : Georges Gros - 3, cité Bergère - 75009 Paris. Commission paritaire N° 0909 G 85883

battre contre nous-mêmes (nos habitudes, nos erreurs) pour conquérir temporairement cette immortalité dont aucun peuple n’a jamais cessé de rêver. Etre français peut signifier ainsi une fin autant qu’un recommencement. Celui-ci exige la lucidité. J’ai honte de ces élites qui cherchent à cacher notre diminution, afin de faire vivre le peuple dans un contentement artificiel. Les Français des faubourgs, des villages et des banlieues, ressentent cet étonnement et cette diminution, et ont envie de s’accrocher aux basques de Socrate : « comment se fait-il que notre cité ait ainsi décliné ? ». Nos gouvernants les renvoient à leurs affaires : de quoi parles-tu, Périclès ? Notre cité est grande et puissante, seuls nos ennemis la voient petite ; la preuve : tu conserveras tes 35 heures, que tous les étrangers t’envient… Etre français ce n’est plus donner des leçons au monde : c’est devenu une aventure de l’esprit. Il nous faut redessiner sans les perdre les référents qui nous ont construits. Etre français, c’est avoir besoin de ce courage-là.

« Le Figaro »


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