Magazine PALAIS #25

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Séance de spiritisme et science

une discussion entre Anicka Yi, Frank Cusimano, Hunter Giese & Ross McBee L’artiste Anicka Yi s’entretient avec trois biologistes avec lesquels elle a récemment collaboré pour une exposition. Il est alors question d’imaginer des moyens pour induire des perceptions, ou des médicaments qui susciteraient la tolérance, ou encore de s’interroger à propos de la beauté de la recherche scientifique.

Anicka Yi Quand nous nous sommes rencontrés dans le cadre de la préparation de mon exposition au Solomon R. Guggenheim Museum (New York), ma proposition était extrêmement abstraite. Je vous demandais de m’aider à fabriquer un produit agissant sur la perception. Comment avez-vous interprété cette demande ? On appelle cela un « projet » dans le monde de l’art ; en science, vous appelez cela un « problème ». Hunter Giese Ça a été en effet très simple pour moi, car tu as effectivement présenté ta demande comme un problème. Tu disais vouloir créer un produit permettant de contrôler l’esprit. Nous avons immédiatement éliminé toute possibilité de véritable contrôle. La question est alors devenue : « Comment induire des perceptions chez un individu ? » On ne peut pas amener une personne à tomber amoureuse ou à revivre son enfance, mais peutêtre peut-on faire en sorte qu’elle voit une couleur de la même manière qu’une autre personne, ou qu’elle puisse sentir une chose de la même manière qu’une autre. Le problème posé est alors devenu le suivant : « Comment enregistrer activement ce qu’une autre personne perçoit ? » Il faudrait trouver un moyen de schématiser la façon dont une personne parvient à percevoir, puis un moyen d’insérer ce schéma dans une autre personne. AY C’est une ombre, une couche performative… HG On ne comprend pas forcément comment les éléments de la chaîne constituant une perception sensorielle sont formés, mais on essaie de comprendre là où ils se connectent. AY J’ai trouvé intéressantes nos premières conversations sur les manières de s’emparer de cet objectif absurde. Ross McBee Ce que nous voulons, c’est parvenir au déclenchement d’un état neuronal particulier : ce qui déclenche l’état neuronal ; la manière dont il est interprété ; les filtres qui agissent sur lui ; ce à quoi cela ressemble réellement. Tout est déduction. La plupart du temps nous sommes amenés à travailler avec un modèle qui ne correspond pas réellement à la façon dont les choses se comportent vraiment. Et il nous arrive d’établir un mapping qui fait sens pour nous sans que cela reflète ce qui se passe réellement. La question « Comment décortiquer un problème complexe ? » est une véritable plaie… On utilise un modèle et on le décortique en composants que l’on segmente pour les traiter de manière systématique. AY Mais j’ai l’impression que cela nous éloigne beaucoup du fonctionnement effectif de la perception, de la façon dont cela fonctionne réellement dans le corps. Pour pouvoir percevoir ce que vous percevez en ce moment, il me faudrait remodeler mon cerveau sur le vôtre. HG Un cerveau n’est pas totalement unique. Il y a des circuits que l’on peut activer et ainsi peut-être induire des perceptions. AY Je trouve que la synesthésie est une chose très intéressante. Si on pouvait comprendre comment cela fonctionne, peut-être y aurait-il moyen de déclencher un mécanisme neurologique permettant, lorsque nous entendons de la musique, de goûter telle couleur ou telle saveur ?


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