Magazine Lecoq Gourmand

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Alain Ducasse se revoit tout jeune dans sa chambre, au-dessus de la cuisine dans la ferme familiale à Castel Sarrazin, dans sa Chalosse landaise. Plein de souvenirs lui reviennent, ses sœurs Sylviane et Isabelle, André, son père, et Rolande sa mère qui travaillent à la ferme. Les odeurs de la cuisine de Jeanne, sa grand-mère, les virées en Moto bécane avec les copains, la cueillette des champignons avec son grand-père René, charpentier, excellent chasseur de cèpes. A la ferme, il y a veaux, vaches, cochons, poulets, dindons, canards, oies, et donc du foie gras qui agrémente les revenus de la famille, et les légumes du jardin : « on allait à l’épicerie que pour acheter le beurre, le sel et le poivre ». pour le dejeuner, vers onze heures, Alain va avec sa grandmère arracher ou cueillir les légumes: radis, pommes de terre... Le dimanche, c’est le jour de la poule au pot, du foie gras rôti entier, des haricots au jus de poulet… Dans sa chambre, le jeune adolescent rêve, tranquille, enivrant ses narines des fumets qui montent de la cuisine. Il a douze ans, il sait qu’il sera cuisinier. Et quand ce gamin a quelque chose dans le citron, il ne l’a pas ailleurs. Le voilà parti pour l’école hôtelière de Bordeaux–Talence dont il claquera la porte avant de passer le B.T.S. Le prof a décidé de refaire un cours sur la pâte à choux, Alain ronchonne: il veut apprendre, du nouveau ! Le prof : « Ducasse on va te virer ». Il ne se le fait pas dire deux fois et se barre. Il a dix-huit ans, le voilà chez Michel Guérard pour l’été et en hiver chez Lenôtre, à Plaisir (1976-77). Guérard l’initie à l’élégance. Gaston, en vacances à Eugénie-les-bains, lui apprend à faire les croissants. Il arrive ensuite chez Roger Vergé, au Moulin de Mougins où il reste un an; Jacques Maximin vient de partir pour la Bonne Auberge. L’école Vergé, c’est celle de la cuisine provençale et ses saveurs, la liberté de créer et aussi l’éclosion des premiers restaurants «people». À l’automne 77, il est chez Alain Chapel; pendant deux ans et demi, il apprend la cuisine juste : le juste assaisonnement, le juste accompagnement qui ne dénaturent pas la saveur originelle de chacun des ingrédients d’un plat. Puis, retour chez Vergé, cette fois en tant que chef au restaurant l’Amandier à Mougins. 1981, c’est l’année de ses deux premiers macarons qu’il décroche au restaurant La Terrasse de l’hôtel Juana à Juan-les–Pins. Trois ans plus tard, l’homme est brisé, cloué dans sa chambre d’hôpital. Il s’est payé un tour dans les nuages, on n’en a pas voulu… Avec patience, le phénix va renaître de ses cendres. Le prince Rainier veut une table d’exception, la plus luxueuse du monde. Le président de la Société des Bains de Mer (S.B.M), un ami du prince, Jacques Seydoux de Clausonne, fait le tour de France des grands chefs connus de Michel Pastor. C’est Alain qui décroche le contrat. En 1987, la S.B.M lui propose le poste de chef des cuisines de l’Hôtel de Paris à Mo-

naco, ainsi que la direction du restaurant Le Louis XV. Le deal : trois étoiles en trois ans. La Méditerranée le séduit, l’inspire et lui porte chance. La troisième étoile tombe au bout de 33 mois. Rétrospectivement, on pourrait dire que le cauchemar s’est transformé en conte de fées. Vous connaissez la suite. Pour Alain, tout cela « c’est que du rab !!! ...». Cadeau ! Car enfin voilà un jeune homme qui, au départ, n’est pas bouffi de dotations héréditaires et qui va réaliser à partir de 1995 un parcours professionnel, hors norme, en France et à l’international. Et la liste des réalisations ne cesse de s’allonger. Mais qu’est ce qui fait courir Alain Ducasse ? Sa quête incessante: découvrir ce qu’il ne connaît pas, assouvir sa curiosité sans jamais être satisfait, le plaisir des rencontres, la recherche des goûts nouveaux, de l’inattendu. Il veut se rapprocher des artisans partout dans le monde, connaître tous les terroirs de Porto Rico à Tokyo en passant par New-York. « Je suis comme une éponge, il faut que je nourrisse ma tête ». L’homme ne peut fonctionner sans ses repères fondamentaux qui sont passion, vision, valeurs et volonté. Alain aime être à l’écoute des autres, former des équipes, les animer et transmettre le savoir. Il a pour cela de bonnes relations avec le verbe. La vie, est une série d’évènements plus ou moins heureux selon Ducasse « quoiqu’il arrive, je pourrai toujours vendre des cuisses et des ailes de poulet à Moustiers, et je vivrai en mangeant les carcasses, c’est ce que je préf ère». C’est comme cela qu’il comprend l’existence. En accord avec sa conscience. Au milieu même des pires calamités, Ducasse se refuse au compromis, au faux-fuyant, c’est sa loi. Une autre préoccupation, essentielle, l’habite: « dans cinq ans je serai le numéro 1 au monde de l’édition culinaire, je suis pour l’accès à la connaissance du plus grand nombre au meilleur prix, c’est mon ambition…démesurée. »

QUI EST ALAIN DUCASSE AUJOURD’HUI ? Il est aubergiste, restaurateur, consultant, éditeur, chef d’équipes, homme d’affaires et l’un des plus nobles personnages de la cuisine... Belle prestance, un sourire franc, complice, l’homme est courtois, amical, chaleureux, fidèle en amitié. Les questions fusent vite, il veut tout savoir, il attend des réponses immédiates, prend des notes… Il ne faut surtout pas lui faire perdre son temps ! Il est discipliné, travaille rapidement et sûrement. Il n’est pas un homme à passer ses nuits sur un petit détail statistique, sur un « résumé des conclusions ». Il sait s’entourer. Parmi ses fidèles, son ami et associé: Laurent Plantier. Un blond au sourire d’enfant, jovial, sympathique, à l’intelligence vive. Alain est amoureux de son destin et ses idées sont entièrement tournées vers le futur, il marche droit dans la vie, vers le but où il a décidé de diriger ses pas, aidé en cela par la bretonne de son 39


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