Journal Le Cheval n°326 du 06/04/20

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6 avril 2020 - N°326 - 4€

FEMME DE CHEVAL

Les Coudrettes : la trajectoire aventurière d’Emmanuèle Perron-Pette Pages 10 et 11

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Le Cheval

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Christophe Ameeuw : « Nous avons tout à réinventer » Il a été le premier organisateur de CSI 5* (International Jumping Competition) à annuler un événement, le Longines Masters of Hong Kong et la Asia Horse Week, initialement prévus du 13 au 16 février. Et vient d’annoncer l’annulation du Longines Masters de Lausanne. Reconnu comme un visionnaire par ses pairs, Christophe Ameeuw a su profiter de cette « avance » sur le monde du sport pour enrichir sa réflexion et commencer à envisager le « nouveau monde ». Plus d’un mois et demi après cette décision, quels enseignements tirez-vous de cette crise, vous qui vivez aux côtés du COVID-19 depuis son arrivée en Chine en décembre ? Christophe Ameeuw : Il y a quelques jours, j’ai retrouvé un message que le bureau asiatique d’EEM m’avait envoyé le 5 janvier et qui faisait état de cinquante malades dans la province chinoise de Wuhan, dont l’état de santé était déjà inquiétant. Mi-mars, quelques semaines plus tard, nous sommes dans une crise mondiale chaotique, dont le monde sortira incontestablement changé : rien ne sera plus jamais comme avant, cette crise nous aura poussés à tous nous remettre en question. La première leçon tirée de cette crise est donc celle de la fragilité du modèle événementiel équestre et sportif. Nous, organisateurs de concours de premier rang, croyions que rien ne pouvait nous arriver, nous arrêter. Et pourtant… Rien n’est jamais acquis et cette crise nous pousse à la conclusion que le système événementiel et plus généralement le système mondial, globalisé, vivaient dans des excès, qui les rendaient très fragiles. La deuxième leçon est celle de l’humilité. Ce COVID-19 nous a tous renvoyés à la case départ, et nous prévient aujourd’hui que le monde va changer : à nous de nous faire une place dans ce nouveau monde à venir, car ce nouveau monde ne voudra plus de nos anciens modèles. La troisième leçon que je tire de cette double annulation et de ce que vit le monde actuellement est celle de la hauteur à prendre. En mandarin, le signe

« crise » désigne également l’opportunité. C’est le moment ou jamais de remettre en question cette bulle artificielle que le monde a construite, y compris dans notre domaine, et dans laquelle nous vivions tous ; il faut profiter de cette crise pour se réinventer, se réorganiser, se structurer pour trouver un modèle bien plus solide, qui trouvera tout de suite sa place dans ce nouveau monde. C’est nécessaire, indispensable.

Le monde du cheval était lui aussi dans la surconsommation, avec un nombre incalculable d’événements, de voyages, les institutions paraissaient régulièrement débordées. Nous devons aujourd’hui regarder vers l’avenir, laisser derrière nous tout ce qui n’était pas nécessaire et au contraire développer tout ce qui nous tirera vers le haut, dans le respect des signaux que cette crise nous envoie. Dans le cas précis du Longines Masters de Hong Kong et de l’Asia Horse Week, la décision a été particulièrement difficile à prendre. Elle revenait à l’organisateur, donc à EEM, puisque les institutions nous imposaient chaque jour de nouvelles contraintes, mais ne nous interdisaient pas de maintenir les événements. À trois semaines du concours, alors que tout le matériel était déjà en mer, puisque rien ne peut être stocké, faute de place, à Hong Kong, même cette annulation était un challenge, que nous avons remporté, grâce aux relations saines et durables que nous avons bâties avec nos partenaires, privés et institutionnels, qui tous, nous ont témoigné un soutien et une reconnaissance qui font le plus grand bien. Le Longines Masters de Hong Kong et l’Asia Horse Week sont des événements très importants dans cette partie du globe, qui se tiennent dans une ville où nous sommes les bienvenus, où même nous sommes attendus, au même titre que deux autres grands événements, le World Rugby Sevens et Art Basel. Au moment de prendre la décision d’annuler le Longines Masters de Hong Kong et l’Asia Horse Week, j’ai d’ailleurs consulté les organisateurs de ces deux événements pour avoir leur avis. L’événementiel équestre ne doit pas rester cloisonné et doit inévitablement ouvrir ses horizons, notamment pour bénéficier de leviers de négociation réels : l’union fait la force (Devise de la Belgique, ndlr). Comme d’autres, vous évoquez un nouveau monde qui naîtra de cette crise planétaire. Appliqués au monde de l’équitation, quels messages devront absolument être retenus de ceux que nous envoie l’actuelle crise ? C. A. : Ces dernières années, la communauté équestre n’avait qu’un mot à la bouche : celui du bien-être des chevaux. C’est une notion primordiale dans notre sport et il n’est pas question de la remettre en cause.

D’énormes progrès ont été réalisés dans ce domaine, qui ont donné de la crédibilité et de la respectabilité à notre sport. Pour autant, cette notion de welfare occupera désormais le haut des priorités avec d’autres objectifs que la crise mondiale que nous traversons nous pousse à prendre davantage en compte. Cette crise est celle de la sur-mondialisation, de la surconsommation, d’une bulle économique inexistante et irréelle, de l’irrespect de la nature, de l’environnement et de la planète, du non-sens finalement de nombreuses de nos actions et de notre mépris pour les générations à venir. Je le répète : nous avons tout à réinventer, en trouvant une place pour notre sport dans ce nouveau monde, en étant conscients que ce nouveau monde ne tolérera sans doute plus nos garden-parties, nos camions qui pourraient transporter des maisons mais qui ne transportent que trois chevaux, nos structures ultraéphémères surdéveloppées pour trois ou quatre jours de concours. Alors que rien ne vous y obligeait, vous venez d’annoncer l’annulation du Longines Masters de Lausanne. Pour quelles raisons ? C. A. : Pour deux raisons. La première, c’est celle de la date, du 18 au 21 juin. À ce jour, nul n’est capable de savoir si nous serons sortis de cette crise, si nous serons capables d’accueillir des chevaux et du public, et de livrer l’événement. Je répondrais : « Peut-être, c’est possible… Mais peut-être que non également ». La deuxième raison, plus fondamentale encore, était celle du dialogue avec les fournisseurs, les partenaires, les clients, qui, étant donné le contexte actuel, peuvent se montrer frileux, voire ne pas pouvoir intervenir du fait du confinement et/ou de l’économie à l’arrêt. Cette période est difficile, étrange : à nous, acteurs de la filière équestre mondiale, de tirer les bons enseignements et de commencer à construire dès aujourd’hui le monde d’après.

Demain ne meurt jamais

« Le ciel est par-dessus le toit Si libre, si calme » Verlaine était lui aussi confiné, en prison, lorsque sa « sagesse » lui a inspiré cette prose. Sous ce ciel bleu, si calme, de ce début de printemps, la planète respire, libérée momentanément de nos ravageuses turpitudes. Elle va se refaire une santé alors que la nôtre, les nôtres sont entrées en collision frontale avec ce fichu virus. Nous sommes évidemment touchés au cœur par cette guerre de l’ombre. Comme tous les secteurs de l’économie, la filière cheval tout entière va sortir exsangue de cette crise pandémique. Fini, l’âge d’or ? C’est ce que semble prédire Christophe Ameeuw dans l’article ci-contre. Surconsommation ditil, modèle fragile. Tout réinventer, réorganiser, structurer. Le chantier va être énorme, ici comme ailleurs. Covid-19 a fait et fera encore des milliers de morts. Il a aussi, très certainement, tué cette perverse manie hégémonique qu’est la mondialisation. Et c’est tant mieux. Etait-ce utile de transporter chevaux et cavaliers d’un bout à l’autre de la planète chaque weekend ? Etait-ce utile d’aller chercher en Asie ce qu’on savait faire chez nous ? Nos institutions cheval devront changer, s’adapter à vivre ensemble et non plus côte-à-côte. Quid des ressources, quid du fonds Eperon à court terme ? Heureusement le temps du poulinage apporte son lot de joies dans la tourmente. Profitons-en. Mais vivement demain, l’après Covid. E. R.

SHF : un sondage de Jean-Luc Dufour pour préparer l’après confinement (page 4)


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Journal Le Cheval n°326 du 06/04/20 by Etienne Robert - Issuu