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LA MAGIE DE LA PÉDIATRIE

ENTREVUE AVEC ALEXANDRA HINSE, PHARMACIENNE À L’HÔPITAL DE MONTRÉAL POUR ENFANTS

PAR ILIYA DMITRIEV (III)

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Quel est votre parcours?

J’ai fait mon Pharm.D. à Québec de 2013 à 2017, puis ma maîtrise en pharmacothérapie avancée à l’Université de Montréal de 2017 à 2018. Depuis 2019, je suis pharmacienne à l’Hôpital de Montréal pour enfants (CUSM), principalement en pédiatrie générale.

En quoi consiste votre poste?

Je suis principalement pharmacienne clinicienne intégrée à l’équipe de pédiatrie générale sur les étages. Je suis aussi pharmacienne au service de consultation en pédiatrie. Cela fait en sorte que je pratique beaucoup en pédiatrie générale, mais que je réponds aussi à des questions plus spécialisées dans différents domaines, que ce soit en neurologie, en psychiatrie, en gastroentérologie, etc. Cela s’applique autant à des patient.e.s hospitalisé.e.s qu’en ambulatoire.

Pour quelle raison avez-vous choisi de travailler en hôpital?

Lors de mes études, j’ai travaillé dans un petit centre hospitalier à Cowansville. J’ai fait beaucoup de bilans comparatifs sur les unités de soins et j’ai beaucoup apprécié

le contact avec les patient.e.s. Ils/elles avaient plus de temps à nous accorder en comparaison avec certain.e.s patient.e.s en pharmacie communautaire qui souhaitent s’en aller le plus vite possible. J’ai également apprécié le fait d’avoir beaucoup d’informations à ma portée. Certains ont l’impression que c’est trop, mais je trouve que cela permet de traiter les patients dans leur globalité. Il y a aussi un bel esprit d’équipe dans les centres hospitaliers. En communautaire, je trouvais la relation avec les médecins un peu difficile. J’avais peur de les déranger en pleine consultation avec un.e patient.e quand je les rejoignais. Cela va de même pour les autres professionnel.le.s. Jamais je n’allais appeler la physiothérapeute, l’ergothérapeute ou la nutritionniste pour avoir son évaluation. En établissement de santé, tous ces gens sont autour de toi. Tu prends donc plus le temps de leur poser des questions, ce qui te permet de recueillir plus d’informations. Cela te permet de mieux répondre aux besoins du patient, mais aussi d’approfondir tes connaissances dans plein de domaines.

Pour quelles raisons avez-vous choisi de travailler en pédiatrie?

Lors de ma 4e année au Pharm.D., j’ai fait un stage en néonatologie à Sherbrooke et j’ai trouvé l’expérience vraiment intéressante. À Sherbrooke, il y avait une unité de néonatologie et une unité de pédiatrie. À la distribution, on validait beaucoup d’ordonnances de pédiatrie et je me suis dit qu’il serait intéressant que j’aie un background afin de pouvoir gérer les ordonnances et les thérapies chez les jeunes. J’ai donc décidé de prendre plus de stages en pédiatrie. Pour mon premier stage, j’ai choisi un stage à l’Hôpital de Montréal pour enfants, et j’ai simplement adoré mon expérience! Il y avait plusieurs raisons, entre autres mes collègues en pédiatrie, qui m’ont marqué.

Par exemple, si un.e patient.e en médecine interne est hospitalisé.e pour un diabète débalancé, les équipes médicales ne sont pas toujours enclines à aller fouiller plus loin, car elles se concentrent sur le traitement aigu, puis préfèrent laisser la gestion des autres problèmes de santé au médecin généraliste. Ceci est tout à fait acceptable. En pédiatrie, nous allons souvent tenter d’améliorer tous les problèmes de santé des patient.e.s, autant aigus que chroniques. Les professionnel.le.s veulent tellement

bien faire pour l’enfant qu’ils/elles sont plus proactifs.ves et se permettent d’ap-

porter plus de modifications à la thérapie. Cela est peut-être aussi lié au fait que les enfants sont souvent suivis par d’autres spécialistes dans le centre, ce qui permet à l’équipe de consolider tous les changements en une hospitalisation. Bref, en pédiatrie, j’ai vraiment l’impression de prendre en charge les patient.e.s dans leur globalité.

Lors de ma maîtrise, j’ai continué dans la même direction et j’ai sélectionné deux stages en pédiatrie à Sherbrooke. Finalement après ma maîtrise, je suis retournée au Children’s en tant que pharmacienne clinicienne.

Selon votre expérience, quelles sont les grandes différences entre un hôpital pédiatrique et un hôpital général?

L’approche avec les patient.e.s. Que cela nous plaise ou non, travailler en pédiatrie développe nos capacités de communication multiple. Entre un enfant de quelques mois où l’on communique exclusivement avec les parents, à un enfant de quelques années qu’on commence à inclure dans notre communication, jusqu’à un jeune adolescent de 16-18 ans, je trouve qu’on a à développer des qualités de communicateur.trice variées. Cela aide beaucoup aussi à vulgariser l’information pour les patient.e.s. Du côté adulte, on s’adapte tout de même au niveau d’éducation, mais pas au même niveau qu’en pédiatrie. Outre la communication, il y a aussi les gens qui travaillent avec nous. Lorsqu’on tra-

vaille avec les enfants, on dirait que c’est impossible de ne pas être de bonne

humeur. Tout le monde est positif! Lorsqu’on travaille auprès des enfants, c’est comme si on n’avait pas le choix d’être positif.ive. J’ai l’impression qu’il a aussi moins d’égocentrisme en pédiatrie. On dirait que tout le monde veut travailler ensemble pour le bien des patient.e.s. C’est aussi vrai du côté adulte, mais quand c’est un enfant au centre des soins, on a l’impression que les gens se rappellent encore plus que c’est le ou la patient.e et sa famille qui sont importants.

À votre avis, qu’est-ce qui distingue l’Hôpital de Montréal pour enfants des autres centres pédiatriques?

La langue bien sûr. Mais au-delà de ça, les gens. Au CUSM, il y a des étudiant.e.s qui viennent de partout dans le monde, chacun ayant son propre background médical de leur pays d’origine. Il y a un partage de connaissances authentique et une découverte de perspectives. Au Québec, on est chanceux d’avoir accès aux technologies et aux ressources médicales : on peut faire des IRM, des PET scans et une multitude d’autres tests hyperspécialisés. Pourtant, on a tendance à surutiliser ces ressources et parfois prescrire des tests pour rien. Maintenant, on est vraiment dans l’ère de déprescription des tests avec le choosing wisely. Partager avec des gens venant d’ailleurs, n’ayant pas toujours accès à ces ressources et avec des backgrounds différents nous permet de remanier les idées et de développer une ouverture sur le monde. Cela prévient la pensée en tunnel!

Il y a aussi une grande diversité de patient.e.s au CUSM, que ce soit par leur ethnie ou leurs croyances. Dans le passé, il m’est arrivé que la communication soit plus difficile avec des familles en raison de différences culturelles. Mais en parlant à d’autres professionnel.le.s avec des backgrounds similaires à ceux de ces familles, ça m’a permis de voir la situation d’un autre point de vue. Cela contribue à agrandir mes perspectives comme clinicienne. J’ai l’impression que la diversité au CUSM, que ce soit par les résident.e.s, les médecins ou les patient.e.s, nous permet de nous améliorer en tant que professionnel.le de la santé, mais surtout en tant qu’humain!

Quelle est la place du pharmacien/de la pharmacienne dans la pratique hospitalière pédiatrique?

Plus je travaille au Children’s, plus je me rends compte qu’on a un très grand rôle à jouer. Les médecins avec qui on travaille apprécient notre rôle et le mettent de l’avant. Par exemple, on vient d’ouvrir un service de consultation en pédiatrie. Les pharmacien. ne.s sont de plus en plus consulté.e.s par des professionnel.le.s qui n’avaient pas nécessairement fait affaire avec le service de pharmacie auparavant. Nos connaissances et notre expertise sont bien reconnues. Le rôle des pharmacien.ne.s est vraiment essentiel. On est une partie intégrante de l’équipe médicale, d’autant plus considérant que beaucoup de médicaments en pédiatrie sont utilisés off-label et qu’il y a peu d’études avec de grands échantillons. Lorsqu’on parle de zones grises, la pédiatrie en est majoritairement une. Les choses qui sont écrites noir sur blanc, tout le monde les connaît. C’est dans ce qui est gris que le/la pharmacien.ne aide l’équipe à naviguer. Cela s’applique autant à des maladies communes, qu’à des maladies rares que l’on voit peut-être deux fois dans toute une carrière. L’opinion du/de la pharmacien.ne est fortement considérée dans les prises de décisions. On fait partie de l’équipe médicale à 100 %. On sait qu’on sert à quelque chose et qu’au final notre expertise sert vraiment aux patient.e.s.

Si je parle de pédiatrie générale, c’est du lundi au vendredi de 8h à 16h30. Normalement, on est deux pharmacien.ne.s clinicien.ne.s pour trois équipes. Dans chaque équipe, il y a environ une douzaine de patient.e.s.

À quoi ressemble une journée typique pour vous?

Le matin, j’arrive et je prends connaissance des nouvelles admissions. Ensuite, j’explore un peu l’historique d’admission des patient.e.s. Idéalement, j’essaie de voir les patient.e.s avant la tournée pour faire l’histoire médicamenteuse en lien avec l’admission afin de voir s’il y a des causes potentiellement liées à la pharmacothérapie. Je veux toujours m’assurer que le/la patient.e n’est pas à l’hôpital à cause d’un médicament! La tournée commence à 10h et dure à peu près deux heures. Celle-ci se déroule avec les étudiant.e.s en médecine, les résident.e.s junior et senior, ainsi que le patron et les infirmières.iers. En après-midi, je continue de voir les patient.e.s que je n’ai pas nécessairement eu le temps de voir, puis je fais mes suivis et mes notes cliniques. On répond aussi beaucoup aux questions des différents types de professionnel.le.s, que ce soit au téléphone ou en les croisant dans un couloir. On a la chance d’avoir notre place au sein de l’équipe et d’être très faciles d’approche. Les infirmières.iers vont fréquemment venir nous poser des questions quant à la dose ou à la méthode d’administration, ce qui nous permet d’intercepter bien souvent les erreurs médicamenteuses.

Quels sont les cas que vous voyez dans votre pratique?

C’est très diversifié en pédiatrie générale. On a tout de 0 jours de vie à 18 ans. On a de l’infectiologie, avec des ostéomyélites, des méningites et des endocardites. On a de la rhumatologie avec beaucoup de syndromes inflammatoires post-COVID tel que le PIMS ces jours-ci. On a aussi de la gastroentérologie, dont des diagnostics de maladie de Crohn’s et de colite ulcéreuse. Il y a beaucoup de médecine adolescente, donc des troubles d’alimentation ou des idées suicidaires. Parfois, on a de jeunes enfants qui font juste une fièvre qui nécessitent une investigation médicale plus poussée. On a aussi des troubles du spectre d’autisme et des maladies génétiques rares. C’est vraiment très diversifié et il y a souvent des maladies qu’on n’a jamais vues de notre vie. C’est ce qui est fun et challengeant!

Quel est l’intérêt de la pédiatrie pour les étudiant.e.s?

Une raison c’est le choix des formes pharmaceutiques. Même si un.e étudiant.e ne veut pas nécessairement faire de la pédiatrie, la façon dont on va adapter les formes pharmaceutiques en pédiatrie est transposable à plein de milieux de pratique. La découverte de différentes voies d’administration alternatives est surtout un atout! En effet, l’administration des médicaments en pédiatrie est toujours un challenge puisque les goûts ne sont pas toujours de notre bord.

Sinon, les stages permettent aux étudiant.e.s de se familiariser avec le développement de l’enfant. À moins d’avoir tes propres enfants, il est assez difficile de savoir si le comportement d’un enfant est normal lorsqu’un parent inquiet t’appelle. Connaître les maladies les plus fréquentes, mais surtout les drapeaux rouges permet de te sentir plus confortable pour répondre aux questions de parents inquiets, peu importe le milieu de pratique. Cela permet de ne pas manquer les détails et de mieux diriger les patient.e.s dans le processus de soins. Par exemple, savoir qu’après 5 jours de fièvre un enfant doit être investigué pour le syndrôme de Kawasaki peut lui permettre d’accéder à un traitement plus rapidement. Un stage en pédiatrie permet aussi d’acquérir des habiletés de communication. De plus, ça permet une bonne révision des notions de pharmacocinétique. Surtout chez les enfants, la pharmacocinétique évolue selon l’âge. Elle permet d’expliquer les interactions, puis de déterminer pourquoi certains médicaments ne peuvent pas être utilisés en pédiatrie à certains âges. La pédiatrie permet aussi de développer des capacités d’analyse de littérature, étant donné qu’il n’y a pas autant de méta-analyse que du côté adulte.

La résilience des enfants. Il y a des enfants où on regarde leur dossier et on se dit : « pauvre enfant, cela n’a pas de sens ». Cependant, quand on rentre dans sa chambre, tu vois l’enfant le plus content de la vie. Il saute partout, il veut te montrer ses dessins et il veut te raconter sa vie. Je pense que c’est la résilience des enfants qui m’impressionne quotidiennement.

Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans votre travail?

Quels sont les défis que vous rencontrez dans votre pratique?

Je dirais les zones grises. C’est un gros défi en soi. Parfois, il n’y a pas de réponse. Même avec un diagnostic, il peut être difficile de trouver un traitement. Dans certains cas, il n’y a aucune donnée en pédiatrie donc c’est un gros challenge. Il a aussi le défi des parents. Qu’on le veuille ou non, leurs enfants sont malades et donc la communication avec un parent stressé n’est pas toujours facile. Cependant, il est extrêmement gratifiant quand on réussit à bien expliquer un traitement aux parents. Cela leur permet d’autant plus d’être en confiance pour la suite. C’est un des plus gros défis je trouve, mais très gratifiant.

Un mot de la fin pour les étudiant.e.s :

Je suggère à tous et à toutes de se lancer dans un stage en pédiatrie, même si cela ne les intéresse pas trop ou s’ils n’aiment pas tant les enfants. Ça vaut vraiment la peine car c’est un domaine qui donne des compétences uniques. Bien sûr, il y a les connaissances sur le développement de l’enfant qu’on apprend, mais aussi les compétences de communication, d’adaptation de forme pharmaceutique et d’ajustements pharmacocinétiques adaptés à l’âge. Comprendre les différences entre l’adulte et l’enfant permet aussi de développer des réflexes et de mieux naviguer dans le gris. En pédiatrie, il y a tellement de zones grises que les étudiant.e.s n’ont pas le choix d’apprendre à les naviguer. Cela leur donne beaucoup de compétences pour prendre en charge les maladies plus rares qu’ils et elles sont moins habitué.e.s de voir. Cela les prépare pour leur vie comme nouveau/nouvelle pharmacien.ne tout.e seul.e devant un.e patient.e. La pédiatrie permet aussi de développer des compétences de recherche. Il y a tellement de nouveaux concepts et d’éléments inconnus qu’on ne peut pas toujours se fier à nos connaissances. On n’a pas le choix de découvrir les références qui existent et de développer nos habiletés de recherche à travers la littérature. La matière évolue tellement rapidement que l’on n’a pas le choix de développer nos compétences de recherche. J’encourage donc les étudiant.e.s à venir en pédiatrie – on apprend mieux à naviguer les zones grises et à chercher l’information!

Crédit : Meme Master & Meme Lord

MOTS CROISÉS PHARMACEUTIQUES

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