Le 13 du Mois n°4

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SOLDES À ITALIE 2

SURCONSOMMATION DE STAGIAIRES

FERMETURE DU THÉÂTRE DU LIERRE

Le magazine indépendant du 13e arrondissement N° 04 — Février 2011 | www.le13dumois.fr | En vente le 13 de chaque mois

3,90 €

LE COUP DE GUEULE DU DIRECTEUR

DÉCHETS LE MASTODONTE D’IVRY

BIO

LES NOUVELLES PRATIQUES DU 13e CANTINES SCOLAIRES PANIERS BIO JARDINS PARTAGÉS COMPOSTAGE

REPORTAGE

DERRIÈRE LES MURS DES FRIGOS

LE GUIDE CONSO


— BRÈVES

FIN DE MALAIKAS :

ENVOYÉ SPÉCIAL, L’USURE... ET LA POLITIQUE

L’

association Malaikas est née en 2005 suite au tragique incendie qui avait coûté la vie à 17 personnes d’origine africaine dans un immeuble du boulevard Vincent Auriol. Elle a mis un terme à ses activités en décembre dernier. Son objectif initial était de promouvoir la prévention et la lutte contre les incendies. Au gré des années, elle avait élargi ses activités à la prévention de la délinquance, organisant en mai dernier à la demande de la mairie une « Fête de la jeunesse ». Son vice-président, Ghislain Bryks était même apparu en septembre en tant qu’expert jeunesse dans un reportage d’« Envoyé spécial » (France 2) consacré aux « bandes » de l’arrondissement. Une participation qualifiée d’« erreur » par l’association aujourd’hui : « Nous avons été leurrés par la journaliste et de ce fait avons nui à l’image des participants au reportage. Pour mémoire il devait établir un constat sur la réalité de la vie des jeunes en montrant les dérives négatives mais aussi, et avant tout, les forces vives. Or, le bilan est 95% dérives pour 5% forces vives. » Si ce reportage a accéléré le processus de démantèlement de l’association, il était déjà dans les cartons en dépit d’un bilan dont les membres s’affirment être « fiers » : « C’était mûrement réfléchi,

Ghislain Bryks dans le reportage d’Envoyé Spécial du 16 septembre 2010. nous explique Wahabou Jammeh, président de Malaikas, on était arrivé à un point où nous étions fatigués, on n’avait plus de vie personnelle. Dans le milieu associatif, on donne énormément pour parfois se faire descendre par derrière, sans compter que certains dans le 13e font du business social et voient d’un mauvais œil les bénévoles. » Autre hypothèse : Malaikas serait-elle devenue un frein aux éventuelles ambitions politiques de Ghislain

Bryks ? Ce dernier, qui a publiquement soutenu le maire Jérôme Coumet lors des dernières élections municipales, s’était vu proposer le poste de secrétaire du député du 13e, Jean-Marie Le Guen. Pas du tout, nous assure Wahabou Jammeh : « Il a refusé car ça ne l’intéressait pas. Lui et la politique, ça fait 8 000. » Le principal intéressé reste quant à lui injoignable depuis la diffusion du reportage sur France 2.

DE VÉRITABLES SPÉCIALISTES À LA TÊTE D’UN NOUVEAU CENTRE D’ANIMATION

L’

association Macaq Troubadours vient d’obtenir la gestion du tout nouveau centre d’animation Masséna-Goscinny pour 2,1 millions d’euros, alors que les six autres centres du quartier sont gérés par la Ligue de l’enseignement. Le Canard enchaîné, dans son édition du 2 février, s’est étonné de ce choix : « Alors que sept autres candidats faisaient des offres entre 2,5 et 3,5 millions, Macaq a proposé 1,99 millions. Pile ce que voulait la Ville, qui a estimé le marché à 2,08 millions. » Et il est vrai que cette attribution est d’autant plus surprenante que Macaq vient d’être mise en cause pour sa gestion du squat de la rue de la Banque situé dans le 2e arrondissement. Dans ce lieu, baptisé « ministère de la Crise du logement », qui accueille également Jeudi noir et le Droit au logement (DAL), Macaq sous-louait illégalement un étage à une société de production audiovisuelle. Julien Boucher,

directeur général de Macaq... et élu PS à la mairie du 17e, s’était ainsi justifié auprès de Libération, qui a révélé l’affaire : « Si la ville de Paris nous versait une subvention digne de ce nom en temps et en heure, nous n’aurions pas à nous arranger avec la loi. La vérité, c’est que Macaq est un collectif d’extrême gauche revendiqué et que cela gêne du monde. On véhicule une idée de convergence culturelle et populaire que la Mairie craint réellement. Nous sommes blacklistés. » Une explication étonnante pour une organisation dirigée par un socialiste qui a touché en 2010 environ 30 000 euros de subventions de la Ville de Paris. L’association évaluait d’ailleurs dans son budget prévisionnel à 113 000 euros les financements indirects dont elle comptait bénéficier sous forme de loyers préférentiels et exonérations diverses. Gageons qu’avec pareille expérience, elle saura gérer au mieux le nouveau centre d’animation… www.le13dumois.fr — Février 2011

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VIVRE ICI

LE BUSINESS DES TRADITIONS

DANSE DU DRAGON :

Les journées qui ont précédé le traditionnel défilé du Nouvel An chinois auront été marquées par d’innombrables danses du lion devant les commerces du quartier asiatique. Derrière cette tradition se cache un bon moyen pour les associations de danseurs de se faire un peu d’argent.

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mpossible de passer à côté du Nouvel An chinois quand on se promène aux alentours de l’avenue de d’Ivry quelques jours avant le grand défilé. De toutes parts explosent les pétards et retentissent les tambours. À chaque coin de rue, des attroupements et… d’inévitables altercations avec des automobilistes peu enclins à la patience. Rue Caillaux, un petit restaurant vietnamien compte sur des lions du Shaolin Chowgar Quach - une des cinq troupes de danseurs du lion du quartier - pour chasser le mauvais sort. Du coup, peu avant midi ce jeudi 3 février, cinq félins multicolores se sont réunis devant la porte d’entrée, directement sur une place de livraison. Les animaux s’agitent en rythme, grognent et secouent leur tête inclinée. Ils roulent des yeux et claquent des mâchoires, le tout dans un tintamarre fait de roulements de tambour, de fracas de cymbales puis d’explosions de pétards. Pascal, le patron, est tout sourire : « On offre aux lions des clémentines et une salade, symbole de fortune et de prospérité. Ils doivent la dévorer avant que l’on allume les pétards », raconte-t-il. C’est une grande première pour son restaurant récemment agrandi : « L’année dernière, il n’y avait pas la place pour les lions », explique-t-il. Avant de partir, il n’oubliera pas la traditionnelle enveloppe rouge (hong bao) : elle contient 200 euros, ce sont les étrennes pour les danseurs. Traditionnellement distribuée par les adultes aux enfants comme des porte-bonheur, elle est aussi un moyen pour les associations de danseurs du lion de se faire un peu d’argent. Ce petit spectacle se reproduira des dizaines de fois pendant quatre jours, avec à chaque fois son lot d’enveloppes, plus ou moins épaisses selon le nombre de lions, la présence ou non d’un dragon - plus grandiose mais 8

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aussi plus cher - ou encore si le patron est ami avec la troupe. Plus loin, une autre équipe de douze personnes s’affaire devant un restaurant coréen de la rue de Tolbiac. Jean-Marc, responsable de l’Association française de danse du dragon et du lion chinois (AFDDLC) est en plein rush, l’œil rivé sur son planning du soir. « En temps normal on fait une ou deux représentations par mois pour des mariages ou des séminaires de grandes entreprises, mais pendant le Nouvel An on travaille toute la journée. On fait en gros 30 boutiques par jour », nous confiait-il quelques temps plus tôt. Mais nous n’en saurons pas

Par David Even Photographie Mathieu Génon

plus sur les montants récoltés à l’occasion du Nouvel An. Pour Jean-Marc, cet argent est essentiel afin que l’association rentre dans ses frais : « Une tête de lion coûte très cher, entre 300 et 500 euros. Elles viennent de Malaisie, comme notre dragon qui coûte, lui, près de 3 000 euros », explique-t-il, pas peu fier d’être en mesure de ramener, chaque année, plusieurs de ces éléments dans le 13e. Ainsi, depuis la création de l’association il y a sept ans, 40 têtes de lion et 3 dragons ont été importés de Malaisie, histoire d’être sûr de se renouveler chaque année.

Danse du Lion dans un restaurant de la rue de Tolbiac, samedi 5 février.


VIVRE ICI Que s’est-il passé après ce « coup de pouce » ? Ça a été le début d’une période durant laquelle on ne nous disait plus trop les choses. Nous avons commencé à nous inquiéter en 2008. Nous n’avions plus beaucoup de contacts, on n’entendait plus trop parler du projet alors que dans les documents on faisait toujours état du nouveau Théâtre du Lierre. Que vous a dit la Ville ? On nous répondait qu’il fallait attendre. Que ce soit au cabinet de Christophe Girard [élu à la culture auprès de Bertrand Delanoë, ndlr] ou à la mairie du 13e, on était d’un seul coup moins pressé. Nous, on essayait de leur faire comprendre que plus vite on connaîtrait la date d’emménagement, mieux nous pourrions nous y préparer. Le dernier rendez-vous sérieux s’est déroulé à l’Hôtel de Ville fin 2008 en présence de David Kessler [conseiller culture de Bertrand Delanoë, ndlr] et de l’adjoint de Christophe Girard. Nous pensions que ça allait se débloquer et, finalement, ils ont passé une heure à nous expliquer qu’il nous fallait patienter. Et ensuite silence radio ? Exactement. On devenait une patate chaude. S’ils m’avaient dit il y a deux ans : « Finalement on ne vous donne pas le nouveau théâtre », je ne dis pas que j’aurais été heureux mais au moins nous aurions fini en beauté et profité de ces deux dernières années. Ça aurait eu le mérite de la clarté et de l’honnêteté. Là où j’en veux à la Ville, c’est qu’elle construit des machins sans trop savoir quoi en faire. Regardez le Centquatre ! Quant à nous, si nous perdons notre activité, nous serons dans l’obligation de licencier six personnes employées à plein temps plus tous les intermittents, soit un total d’au moins quinze personnes. Nous sommes dans une situation merdique. À quand remonte votre dernière prise de contact ? Nous avons vu la Direction des affaires culturelles il y a quelques semaines. On nous a dit qu’il ne fallait « pas trop nous attendre » à avoir le nouveau théâtre. Le message n’est toujours pas clair. Ils attendent quoi ? Que nous nous fassions hara-kiri pour pouvoir ensuite dire : « Pourtant nous n’avions rien contre eux » ? Jérôme Coumet me dit n’être pas au courant, pareil pour Philippe Moine [conseiller de Paris délégué à la culture, ndlr]. Mais qui donc est au courant dans cette histoire ? C’est hallucinant ! C’est tout juste s’ils savent que ce ne sera pas nous. Nous sommes en février et rien n’a encore été officialisé pour l’an prochain. Soit ils cachent leur décision et une équipe travaille déjà sur la nouvelle saison, soit personne n’y travaille et je vois mal comment, en si peu de temps, on pourrait encore faire quelque chose de sérieux. C’est hallucinant et très grave. Pourtant il s’agit bien d’argent public. Il serait légitime de savoir qui prendra la suite du Lierre… Attendez, rien ne fonctionne comme ça. C’est le fait du prince évidemment ! Depuis de nombreuses années, la Ville de Paris favorise l’art bling-bling avec le Centquatre, l’éphémère au détriment du long terme. On veut casser ce qui est enraciné. 10

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Et puis ne pas choisir le Lierre, c’est un moyen de maîtriser les futurs directeurs. Chez nous ce sont les artistes qui dirigent le théâtre. Or, par nature, un artiste est rebelle et ça, cela ne plaît pas aux politiques. Si on maîtrise la direction, on peut caser les copains et avoir des gens aux ordres. La politique, c’est aussi sommaire que ça.

— « Ils attendent quoi ? Que nous nous fassions hara-kiri ? » —

À qui en voulez-vous le plus : la Mairie ou l’État ? Pour en vouloir à quelqu’un il faut l’avoir aimé [rires] or je n’ai jamais aimé l’appareil sarkozyste et ce que fait la DRAC est dans la logique du système sarkozyste. En revanche, je ne m’attendais quand même pas à ça venant d’élus socialistes. J’en veux bien plus à la Ville de Paris parce que j’ai voté pour eux. D’ailleurs, dans les centaines de lettres de soutien que l’on a reçues depuis la mi-janvier et qui ont été envoyées à la Mairie, on s’aperçoit que le Lierre a un public de gauche. Beaucoup de ces gens expliquent avoir toujours voté Parti socialiste (PS) et que si le théâtre ferme, ils ne voteront plus PS. On peut lire dans certains commentaires postés sur l’Internet que le Lierre se serait « gavé pendant 30 ans » ou encore qu’il ne faut pas « toujours subventionner les mêmes ». Qu’en dites-vous ? Personne ne m’a dit quoi que ce soit en face et cela en trente et un ans. Si on veut parler de nos subventions, on avait 400 000 euros de la DRAC et 250 000 euros de la Mairie. 60% de cette somme va directement aux emplois avec des salaires compris entre 1 500 et 2 500 euros, c’est-à-dire des salaires faibles. Moi, je gagne 2 600 euros net par mois alors que, selon les barèmes syndicaux, je devrais toucher au moins le double. Je ne m’en suis jamais foutu plein les poches. On a fait croûter beaucoup de gens et puis zut ! [ému] Ce lieu produit des spectacles, diffuse des productions, accueille dans de très bonnes conditions des compagnies qui n’ont pas de locaux, fait de la pédagogie, fait des opérations hors les murs dans le 13e. Un centre dramatique national coûte cinq fois plus cher ! Deux autres exemples : le Théâtre de la Bastille reçoit environ 500 000 euros de la Ville et la même somme de l’État. Le Théâtre 13 reçoit de l’ordre de 500 000 euros alors qu’il ne produit pas de spectacle. Je défie qui que ce soit de faire mieux avec le budget que nous avions. Vous-même avez, par le passé, mis la main à la poche, n’est-ce pas ? Oui, au moment de la création du théâtre en 1980, je me suis personnellement endetté à hauteur d’un million de francs. Aujourd’hui, le théâtre me doit encore 40 000 euros [262 000 francs, ndlr]. Tout le monde a été remboursé sauf moi. Alors qu’on ne vienne pas dire que Paya s’est gavé !

Les trois derniers spectacles : Électre, du 2 au 6 mars. Une fable sans importance ou l’importance d’être Oscar Wilde, du 23 au 27 mars. Cendres, du 27 avril au 1er mai. Renseignements sur www.letheatredulierre.com www.le13dumois.fr — Février 2011

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DOSSIER

BIO

LES NOUVELLES PRATIQUES DU 13e CANTINES SCOLAIRES PANIERS BIO JARDINS PARTAGÉS COMPOSTAGE LE GUIDE CONSO

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Par Jérémie Potée Photographie Mathieu Génon

BIO À LA CANTINE : PEU DE PRODUITS, BEAUCOUP DE CONTRAINTES

Quelques produits bio sont servis depuis 2009 dans les cantines du 13e. État des lieux d’une mise en place complexe et coûteuse.

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ans les cantines du 13e, le bio, c’est carottes râpées et yaourt une fois par semaine et pain à tous les repas. À eux seuls, ces trois produits comptent pour 11% du budget cantine de l’arrondissement, de l’ordre de 3,5 millions d’euros. Une telle proportion pour si peu d’offre s’explique, selon Jean-Pierre Ruggieri, président de la Caisse des écoles du 13e, par le fait que ces produits, introduits en 2009, sont deux à trois fois plus coûteux que leurs équivalents non bio. Si les Caisses des écoles des arrondissements parisiens dotées chacune d’un budget autonome et travaillant en régie directe - consentent de tels efforts, c’est qu’elles sont tenues depuis 2007 dans le cadre du Plan Climat voté par la Ville de Paris de proposer un quota de produits bio au menu des cantines scolaires. Fixée à 20% à l’horizon 2012, cette proportion devra atteindre les 30% en 2014. Mais ces objectifs restaient jusqu’à ces derniers jours encore imprécis. Quel mode de calcul retenir ? La part accordée par le budget des Caisses des écoles, ou alors le nombre de composantes bio proposées ? Jean-Pierre Ruggieri, sur notre demande, a récemment obtenu confirmation auprès des services centraux de la Mairie qu’il s’agissait bien d’une question de volume. De ce point de vue, le 13e, qui propose déjà pour 17% de produits bio aux scolaires, aura peu à faire pour parvenir aux niveaux exigés.

DES FOURNISSEURS INCAPABLES DE RÉPONDRE À LA DEMANDE Par ailleurs, une expérimentation 100% bio a bien été menée entre 2002 et 2006 à l’école Wurtz. Noël Gutierrez, chef à la cuisine centrale du groupe scolaire Château-des-Rentiers, en charge de l’approvisionnement de six écoles, se souvient de la difficulté à tenir le rythme. La faute essentiellement à l’inadaptation des filières de distribution : « Ils n’arrivaient pas à fournir pour 350 élèves, alors imaginez pour toutes les écoles ! Il fallait en plus tout commander six mois à l’avance, alors qu’on travaille en temps normal à la semaine. »

Dans la cuisine centrale de la rue du Château-des-Rentiers. Un constat confirmé par Jean-Pierre Ruggieri, dont les services ont procédé à un appel d’offres pour la fourniture de volaille : « Celui qui décrochera le marché avec nous sera heureux : il y en a pour plus de 500 000 euros. Nous avons envisagé la piste bio mais, parmi les cinq candidats qui se battent pour le marché, je peux déjà vous dire qu’aucun d’entre eux n’est en mesure de fournir 12 000 cuisses de poulet bio... » www.le13dumois.fr — Février 2011

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DOSSIER

Par Ôna Maiocco Photographie Mathieu Génon

En quête de valeurs bio, le citadin s’essaie au retour à la terre dans les jardins partagés de la capitale. Reportage au milieu des HLM, boulevard de l’Hôpital.

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es flaques d’eau sont gelées ce dimanche matin dans les allées des jardins familiaux du boulevard de l’Hôpital. Fatima, bien couverte et armée de sa bonne humeur, sort sa clé et ouvre le cabanon. Elle y choisit une fourche avec soin et emporte un seau violet en plastique souple. Passée la frêle clôture qui sépare les plantations du reste du jardin public, elle s’exclame en souriant : « Ma parcelle n’est vraiment pas la plus jolie ! Regardez plutôt les choux de mon voisin portugais, ils sont superbes. » Sa parcelle est en effet pratiquement nue, en cette fin janvier. Seuls subsistent un pied de thym citron florissant, quelques feuilles d’oseille et un solide rosier. « Cela fait 5 ans que je vis ici avec mes trois filles. Un moment, j’ai voulu renoncer à cette parcelle et ce sont elles qui m’ont poussée à la garder. Elles jardinent peu, mais y tiennent beaucoup », confie-t-elle.

Pour environ 90 euros par an versés à la Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs (FNJFC, voir encadré), Fatima a la possibilité de cultiver fleurs et légumes sur plus de 15 m2, presque au pied de son immeuble. Elle considère que c’est une chance, d’autant que les parcelles, réservées ici aux locataires de Paris Habitat-OPH (habitats à loyer modérés), sont très convoitées. Elle raconte : « Au départ, deux projets étaient en concurrence, le jardin et une aire de jeux pour les jeunes, mais comme il y avait du trafic de drogue en bas des immeubles, ils ont préféré implanter un jardin qui, de plus, profite aux habitants de tous âges. »

LE BIO PARISIEN, VRAIMENT ? On est en droit de se demander ce qui peut bien pousser dans un jardin encerclé d’im18

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VERT Dans le jardin partagé du boulevard de l’Hôpital. meubles subissant de plein fouet les conséquences néfastes de la pollution parisienne. Force est de constater que tout ou presque se cultive ici, si l’on veut bien s’en donner les moyens. « En été, c’est un vrai plaisir de déguster mes tomates bio », souligne la jardinière amatrice. Vraiment bio, ces tomates ? Si la revue bimestrielle de la FNJFC que reçoit Fatima est pétrie de conseils en jardinage écologique (semis et récoltes en fonction des phases de la lune, associations bénéfiques entre espèces végétales, etc.), en pratique, les jardiniers expérimentent au jour le jour et mettent au point leurs solutions, bio ou moins bio - dans le cabanon, la bouteille de purin de prêle côtoie un insecticide nommé « Pucerons foudroyant ».

« Ici, on préfère dire naturel que bio », précise Jean, voisin de Fatima et délégué local de la FNJFC. Quand nous l’interrogeons sur la productivité du jardin, il répond : « Les récoltes constituent un petit appoint pour les vingt-six familles concernées, en particulier à la belle saison. Mais ce jardin, c’est avant tout du loisir et de l’amitié. Des liens se créent autour d’une passion commune : le jardinage. »

POUR TOUS LES GOÛTS On veut bien le croire, notamment parce qu’à première vue, et même au plus rude de l’hiver, le jardin semble étonnamment vivant. Chaque parcelle porte l’empreinte de son jardinier. Ici, des graviers blancs ratissés à la japonaise, là, des carrés paillés ornés de minuscules haies de buis rappelant des parterres


DOSSIER

AMAP : DES IDÉAUX PLEIN LE PANIER BIO Par David Even Photographies Mathieu Génon

L’association Consom’solidaire, seule du genre dans le 13e, essaie depuis 2005 de concilier consommation de produits bio et soutien des agriculteurs d’Île-de-France. Pour eux, le bio rime avec militantisme.

Le 3 février, dans les locaux de l’AMAP de la rue Albert.

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ue Albert, tous les jeudis soir, le petit local de la Maison du quartier Régnault Oudiné Chevaleret se transforme en mini marché bio. Nous sommes dans l’un des deux lieux de distribution - l’autre est situé rue du Moulinet - de l’association Consom’solidaire, l’AMAP (1) du 13e qui compte deux cents membres. Le principe est simple : l’association et les producteurs/fournisseurs s’engagent à l’avance par contrat sur le prix et les quantités livrées. À ce jour, 90% des produits proposés sont estampillés bio, le reste étant encore en phase de transition. Mathieu Barrois est arboriculteur, il produit à Cergy 29 variétés de pommes, 5 de poires ainsi que des fruits rouges. Pour lui, ce système présente de nombreux avantages. Ainsi, 50% des « Amapiens », comme il les appelle, le paient avant même la récolte : « C’est un soutien énorme. Cela nous permet d’avoir de la trésorerie pour embaucher des saisonniers et d’être assurés d’écouler notre production », explique-t-il, ravi de pouvoir en plus échanger chaque jeudi soir avec 20

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les consommateurs de ses produits.

PAS DE DÉMARCHE COMMERCIALE Mais ce soir là, il n’y a pas foule. En février, on se bouscule rarement entre les quatre tables du local sur lesquelles ne sont disposés que pommes, poires, champignons, fromages et céréales bio. En revanche, dès le mois de mars et l’arrivée des paniers de légumes, il faut faire la queue voire même s’inscrire sur la liste d’attente - seuls 80 paniers sont distribués - pour espérer faire partie de ce cercle plutôt fermé de « consom’acteurs » comme ils se baptisent eux-mêmes. « On n’est pas dans une démarche commerciale », lance à peine arrivé, William Elie, un des fondateurs de l’association. Il précise ne pas être à la recherche de publicité supplémentaire : « On ne veut pas attirer plus de monde pour ne pas devenir de simples distributeurs de paniers. L’engagement de chacun dans l’association est essentiel », poursuitil. On l’aura compris, a priori pas question de se présenter rue Albert uniquement pour acheter

ses carottes ! Il faut s’investir personnellement : participer aux activités pédagogiques, se rendre régulièrement (en covoiturage) sur les lieux de production ou encore tenir un stand les soirs de livraison lorsque les producteurs ne sont pas sur place.

« ON PORTE UNE CERTAINE ÉTIQUETTE » Il faut aussi donner de son argent - comptez 16 euros d’adhésion annuelle auxquels s’ajoutent entre 12 et 16 euros par panier de légumes selon la taille. Une quinzaine d’adhérents bénéficient chaque année d’un tarif préférentiel en fonction de leurs revenus, jusqu’à 50% de ristourne sur le prix du panier. Cécile, adhérente depuis trois ans, vend ce soir-là les produits de la coopérative Andines : riz, sucre, quinoa et fonio. « J’ai conscience d’avoir de la chance de pouvoir me payer ces produits qui sont plus chers qu’ailleurs », confesse-t-elle avant de poursuivre sur l’origine de son engagement : « Je suis issue d’un milieu plutôt aisé qui possède un domaine en Beauce dont


13e ŒIL

PHOTOREPORTAGE —

Incinérateur d’Ivry Par Jerémie Potée Photographies Mathieu Génon

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— PHOTOREPORTAGE

LES SECRETS DU MASTODONTE Qui habite le 13e connaît forcément cette imposante forteresse coiffée de deux cheminées de 100 mètres de haut qui crachent inlassablement leur fumée. Le centre multifilière d’Ivry, dont l’entrée se situe dans l’arrondissement, rue Bruneseau, traite les ordures ménagères d’ 1,2 millions habitants du sud de Paris et du Val-de-Marne. Géré par le Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères (SYCTOM), le centre d’Ivry est le plus gros des trois centres d’incinération d’Île-de-France - Issy et SaintOuen complètent le trio. L’incinérateur a été inauguré en 1969, complété par un centre de tri sélectif en 1996. Vieillissant, le centre est en passe de se diversifier : compost et bio-gaz devraient peu à peu concurrencer l’incinération.

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13e ŒIL

PHOTOREPORTAGE —

Il y a dans cette fosse de réception 1500 tonnes de déchets déversées chaque jour par 300 camions-poubelles. L’air y est capté, neutralisant les odeurs – à l’intérieur, ça ne sent pas si mauvais tout en alimentant les deux fours d’incinération pour favoriser la combustion.

La combustion des déchets génère deux types de résidus. À gauche, les ferrailles, réutilisées en sidérurgie. À droite, les gravillons, ou mâchefers, transformés en goudron à Lagny-sur-Marne (77). Ils sont transportés par tracteur, par la route, jusqu’au pont de Tolbiac à 200 mètres de là pour être ensuite acheminés par voie fluviale.

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700 000 d’ordures


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tonnes par an

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13e ŒIL

REPORTAGE —

MAIS QU’Y A-T-IL DANS LES FRIGOS ?

Par Julien Badaud Photographies Mathieu Génon

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Implantés depuis 90 ans, les « Frigos » ont connu de nombreuses péripéties depuis leur création. Mais qui connaît réellement leur histoire ? Le 13 du Mois est allé à la rencontre de ses locataires pour enquêter sur les clichés bâtis autour du site.


— REPORTAGE

« LES FRIGOS N’ONT JAMAIS ÉTÉ UN SQUAT ! » À la fin de la Première Guerre mondiale, les Frigos sont construits par la Compagnie des entrepôts et gares frigorifiques (CEGF) pour stocker d’importantes réserves de denrées alimentaires, destinées à approvisionner l’ancien marché des Halles de Baltard à Paris. Pendant cinquante ans, le bâtiment remplit cette fonction de stockage jusqu’au jour où les Halles déménagent à Rungis. Abandonné par la CEGF, le bâtiment est racheté en 1972 – pour un franc symbolique – par la SNCF qui se chargeait jusqu’à présent de la livraison des marchandises. Elle décide de louer partiellement ces espaces laissés en friche à de petits entrepreneurs enthousiasmés par la possibilité d’investir ces grands locaux vides. Ainsi, au début des années 80, les Frigos se peuplent successivement de locataires aussi diversifiés dans leur profil que dans leurs activités. Artisans, artistes et ouvriers reconvertissent les anciens plateaux frigorifiques en ateliers de travail, loués en l’état, sans fenêtre, ni électricité. À la charge de chacun d’aménager son local, nécessairement en fonction de ses moyens. Tous les résidents rencontrés tiennent ainsi à le revendiquer fermement : « Les Frigos n’ont jamais été un squat ! » Ils sont, depuis leur arrivée, des « locataires » qui paient chaque mois un loyer entre 500 et 2 500 euros selon le local.

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ncongrus au milieu des nouvelles constructions du projet Paris RiveGauche, les Frigos ne peuvent qu’intriguer le badaud. Murs vieillots recouverts de graffitis, grande tour en surplomb : le bâtiment a l’allure d’un entrepôt désaffecté mais vibre pourtant d’une activité bouillonnante. Un étrange décalage confirmé par les chiffres : les 8 900 mètres carrés renferment en réalité 87 ateliers où s’affairent chaque

jour près d’une centaine d’artistes, artisans et petites entreprises. Si le nom de Frigos est bien connu des habitants du 13e – et au-delà – le passé et l’actualité du site le sont en revanche beaucoup moins. Quelques impressions recueillies aux alentours suffisent à s’en rendre compte. Tout y passe : c’est un « squat », « élitiste », « subventionné »... Son histoire est en réalité complexe et s’inscrit dans la durée.

En 1991, le Conseil de Paris vote le plan d’aménagement du projet Paris Rive-Gauche. Celui-ci prévoit la construction d’un quartier d’affaire, remettant en cause l’existence des Frigos. De cet épisode naissent l’Association pour le développement du 91 quai de la Gare (APLD91) et l’actuelle Association des locataires du site des Frigos (ALSF) qui militent pour la défense de leur entrepôt. Elles obtiendront gain de cause quatre ans plus tard. Mais un autre combat , juridique cette fois, a été depuis engagé par les résidents : celui de leur statut. Les locaux, rachetés en 2004 par la Ville de Paris, sont toujours loués sous des conventions précaires renouvelées chaque année depuis maintenant trente ans (voir encadré).

« CE N’EST PAS UN BÂTIMENT D’ARTISTES ! » Le deuxième cliché dont les résidents cherchent à se dépêtrer est celui de l’assimilation du lieu à un bâtiment d’artistes. Ici, peintres, musiciens, comédiens côtoient ¤ www.le13dumois.fr — Février 2011

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CULTURE

CES CINÉMAS QUI CASSENT

LES PRIX Dans le 13e on peut trouver les cinémas les moins chers de la capitale. Pourquoi ici ? État des lieux d’une politique tarifaire très localisée.

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i différents festivals offrent des réductions significatives - mais ponctuelles - sur l’achat d’une place de cinéma, peu de salles pratiquent des offres tarifaires intéressantes tout au long de l’année, en dehors des cartes de fidélité. C’est pourtant le cas dans le 13e arrondissement, tout du moins pour les jeunes. Stéphanie, 24 ans, croisée devant le Gaumont-Gobelins explique venir jusque dans notre arrondissement alors qu’elle habite de l’autre côté de Paris, dans le 17e, juste pour aller au cinéma : « C’est ici que se trouvent les salles les moins onéreuses, du coup je préfère traverser tout Paris pour aller au ciné. » En effet, le 13e abrite aujourd’hui trois des quatre salles les moins chères de la capitale. Seul l’UGC Ciné Cité Bercy est situé en dehors du 13e. Le groupe UGC a été le premier à instaurer un système de places à tarif réduit à 3,90 euros pour les moins de 26 ans en 2004. L’idée a d’abord été testée à Rouen et Orléans, où les ventes ont augmenté de 70%. Les cinémas Gaumont-Pathé, souffrant progressivement de cette offre tarifaire « exceptionnelle » et imbattable ont décidé de réagir en 2008, directement à Paris, aux Gobelins. Le choix de ce cinéma n’est pas anodin : selon Céline Bertrand, gérante, « le quartier comporte de nombreuses écoles et annexes de facultés. Du coup on essaye d’attirer les étudiants à qui on offre une programmation spécialement riche en blockbusters. »

UNE CONCURRENCE À L’ÉCHELLE LOCALE Mais, depuis lors, le Gaumont des Gobelins n’est plus seul dans la danse. Ses voisins, l’UGC et le MK2 Bibliothèque, se sont à leur tour alignés et permettent désormais aux jeunes cinéphiles de se divertir à moindre coût. Auparavant, des places à 7 euros étaient proposées aux étudiants de moins de 26 ans dans la plupart des salles parisiennes. Pourtant, selon Céline Bertrand, « c’était encore trop cher et la fréquentation des salles diminuait sans cesse : rien n’arrivait à enrayer ce mouvement ». 40

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Par Philippe Gomont Photographie Mathieu Génon Depuis que le dispositif à 3,90 euros a été mis en place en 2008, le Gaumont a doublé ses entrées : « C’est une réussite mais ce n’est pas à l’ordre du jour de l’étendre à tous les Gaumont », prévient-elle. Idem au MK2 Bibliothèque pour qui l’offre reste « exceptionnelle ». Le dispositif serait-il menacé ? « C’est parce que les autres l’ont fait que nous le faisons aussi. Mais ça ne va pas durer », argue-t-on, sans enthousiasme, à la direction du complexe qui n’applique cette offre que depuis l’année dernière - alors que les deux autres enseignes s’étaient lancées dans la course dès 2008.

UNE AFFAIRE DE PROXIMITÉ Pour Marion, étudiante en histoire à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), les cinémas de l’avenue des Gobelins sont une véritable aubaine : « J’ai cours dans le 5e arrondissement mais j’habite Porte de Choisy. Quand je rentre chez moi, il m’arrive souvent de m’y arrêter. » Pourtant, elle pousse parfois jusqu’au MK2 Bibliothèque, à deux kilomètres de là, pour « trouver d’autres types de films. La programmation change d’un cinéma à l’autre mais le prix reste le même ». Jean, 19 ans, qui habite Daumesnil, préfère se rendre dans le MK2 qu’il aime pour ses prix « pas chers et ses beaux sièges ! », dit-il, sarcastique. Seules les places à 3,90 euros trouvent grâce à ses yeux : « Même cinq euros, c’est encore beaucoup trop cher. Moi je préfère acheter un DVD pour ce prix », lance-t-il. Bien sûr des cartes illimitées existent mais elles demandent un investissement certain, difficile à assumer pour des jeunes au budget serré. Karim, étudiant en anglais, n’est pas dupe. Il voit dans cette stratégie commerciale « un moyen de fidéliser les gens le plus tôt possible ». Les bonnes dispositions tarifaires des cinémas visent d’une part à accoutumer la nouvelle génération à une fréquentation assidue des salles obscures et d’autre part à inscrire cette fréquentation dans la durée : une fois passée la limite fatidique des 26 ans, ces cinéphiles endurcis payeront alors le prix fort. Les enseignes ont effectivement tout à y gagner.


CULTURE

Théâtre

PROFESSION : AUDIODESCRIPTRICE

Par Caroline Vaisson Photographie Mathieu Génon

Au Théâtre 13, Chantal Liomain, fondatrice de l’association « Prête moi tes yeux au théâtre », vient régulièrement réaliser l’audiodescription de pièces pour des personnes non-voyantes ou malvoyantes, leur offrant ainsi un meilleur accès à l’art. Rencontre.

Q

uelques minutes avant que le rideau ne s’ouvre et après avoir équipé une femme non-voyante d’un casque relié à un boîtier-récepteur, Chantal Liomain s’installe dans l’obscurité de la régie. Elle allume une faible lampe pour éclairer ses textes et, au moyen de son microphone-émetteur, murmure : « Je vais commencer par vous décrire le décor : six pans de murs se font face… » De sa voix douce et posée, elle présente ensuite les principaux protagonistes de la pièce, leurs costumes et la période durant laquelle se déroule l’œuvre. Puis elle s’interrompt. La scène s’éclaire et les personnages apparaissent. Profitant d’un silence, elle glisse : « Margit est perchée sur une échelle, à ses côtés sa sœur Sygne la regarde avec appréhension. » Dans la salle, la non-voyante, touchée par une dégénérescence des cellules rétiniennes, est suspendue aux lèvres de l’audiodescriptrice. Elle confie : « Seule, je suis souvent perdue dans une pièce de théâtre car il y a de nombreuses choses que je ne peux pas saisir. Les textes descriptifs et le timbre de voix agréable de Chantal m’aident beaucoup. » 42

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Ainsi, durant une heure et demie de représentation, entre chaque réplique, Chantal Liomain va dépeindre costumes, changements de décors mais aussi les pauses, la gestuelle des acteurs et notamment leurs expressions. Elle résume : « Les non-voyants ne peuvent suivre un spectacle uniquement par les bruits et le texte. Ils font travailler leur imagination pour visualiser la situation, mais ce n’est pas la réalité. Ils ressentent une frustration intellectuelle. Mon rôle est d’être leurs yeux. » Et « être les yeux » d’un autre nécessite une importante préparation en amont. Il faut filmer le filage (1) puis le visionner avec les textes fournis par le metteur en scène. Entre les dialogues, lors des silences, Chantal retranscrit par écrit ce que ses yeux lui permettent de comprendre, au-delà des textes. Elle ajoute : « Je préfère lire mon script en direct que de le préenregistrer. Je peux ainsi éprouver les sentiments des spectateurs, les transposer dans mes paroles et faire des adaptations de dernière minute afin d’offrir la meilleure qualité possible. »

UN ENGAGEMENT PERSONNEL C’est dans le cadre de son travail en milieu hospitalier, au contact de personnes non-voyantes, qu’elle a eu le déclic. Plusieurs tentatives infructueuses pour intégrer des organismes et structures d’audiodescription l’ont décidée à fonder sa propre association, dont elle s’occupe seule durant son temps libre. Après des collaborations avec des théâtres de banlieue, en 2003, elle propose ses services au Théâtre 13, pour lequel elle travaille désormais exclusivement avec trois pièces par saison (de juin à septembre). Son administrateur, Fabian Chappuis, raconte : « On a immédiatement été séduit par le concept. Cela entre dans le cadre de notre engagement : accessibilité du théâtre pour tous, que ce soit pour des personnes en fauteuil roulant ou des personnes ayant un handicap visuel. » Ce qui est loin d’être le cas de tous les théâtres. Cela est notamment dû aux diverses contraintes techniques : « D’abord, toutes les œuvres ne sont pas adaptables à l’audiodescription. Ensuite, une régie dissociée de la salle du théâtre est nécessaire et cela n’est pas toujours le cas », explique Chantal. Aujourd’hui, seuls une dizaine de théâtres parisiens et une vingtaine dans le reste de la France utilisent l’audiodescription. Pourtant, avec 80 000 non-voyants et 300 000 malvoyants en France, les progrès nécessaires se font attendre. La télévision ne montre pas l’exemple puisque les programmes en audiodescription - disponible à partir des décodeurs TNT et des boîtiers accompagnant les box ADSL - se comptent sur les doigts d’une main.

(1) Le filage est la mise en scène d’une pièce de théâtre dans les conditions réelles mais sans le public.

COPPOLA, PÈRE DE L’AUDIODESCRIPTION Le concept d’audiodescription est arrivé en France en 1989 après avoir vu le jour en 1975 aux États-Unis. Un professeur d’université confia à son doyen avoir un couple d’amis dont l’épouse décrivait à son mari non-voyant ce qu’il ne pouvait percevoir à la télévision. Le doyen, frère du réalisateur Francis Ford Coppola, s’intéressa au sujet et créa un programme académique. Et en 1988, le premier film en audiodescription, Tucker réalisé par Francis Ford Coppola, était présenté à des non-voyants.


PORTRAIT Mustapha Boutadjine Par Cécile Rousseau Photographie Mathieu Génon série de collages sur les Black ». En 1998, les souvenirs s’assemblent comme un puzzle. Il entame sa galerie de portraits « Black is toujours beautiful ». En bonne place, son idole, Frantz Fanon et les Black Panthers, évidemment. Mais aussi le révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture en passant par le musicien Miles Davis. Auparavant, Mustapha avait exploré la face cachée des États-Unis, en dénonçant ses dérives, dans la série « America Basta ». Pour son exposition « Sous les pavés, le Gitan », présentée en novembre dernier, l’artiste a eu le déclic en rencontrant Émilien Bouglione. L’héritier du cirque éponyme était venu le féliciter pour un de ses tableaux : « Il m’a demandé de faire le portrait de son père mais je ne travaille pas sur commande ! Comme je m’intéresse aux gens rejetés, aux minorités, je me suis décidé à travailler sur les Gitans. »

À travers ses collages, Mustapha Boutadjine distille un art PRÉCIS COMME UN HORLOGER engagé. L’artiste détourne des publicités pour dresser le portrait Si le choix de ses modèles est militant, sa techde personnages en lutte. nique de collage est une autre forme d’engagement. Ainsi, en « détourn[ant] des publicités de ¤

À

l’entrée de l’atelier-galerie de Mustapha Boutadjine trône un champignon atomique reconstitué avec des canettes. L’exposition sur Hiroshima annonce la couleur politique. « C’est Emiko, une artiste japonaise qui l’a réalisé avec des canettes de bières américaines », précise malicieusement l’artiste. Dans son antre de la rue Brillat-Savarin, Mustapha compose ses portraits : un savant collage de publicités déchirées dans les magazines. Ses sources d’inspiration sont toujours des rebelles ou des populations stigmatisées comme les Gitans ou les Noirs : « Je veux montrer des gens dont on ne parle jamais, faire un travail sur la mémoire et démocratiser les archives », explique-t-il, la mine sérieuse. Au mur, un énorme portrait d’Émiliano Zapata, héros de la révolution mexicaine. Une œuvre qui lui a donné du fil à retordre. Juste en dessous, la chanteuse capverdienne, Césaria Évora. En évoquant ses icônes, l’artiste d’origine algérienne a l’œil qui brille et la moustache qui frise. Avec sa gouaille et son foulard bleu marine à

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pois blancs, Mustapha Boutadjine, 58 ans, est un personnage baroque. Un artiste repéré dès l’école primaire : « Mes instituteurs me disaient que je dessinais bien les fruits, que je devais faire les Beaux-Arts. Mais je ne savais même pas ce que c’était ! », s’exclame Mustapha en faisant de grands gestes. Dans sa famille, il est le premier à embrasser une carrière artistique.

DES BLACK PANTHERS AUX GITANS En 1974, il sort diplômé des Beaux-Arts d’Alger en architecture d’intérieur. En 1978, il fait un saut aux Arts décoratifs à Paris. Mais, dans les années 70, c’est à Alger, sa ville d’origine, que tout se passe. La cité post-coloniale bouillonne. « Les mouvements de révolution du monde entier avaient pignon sur rue. Les Black Panthers (1) venaient nous demander des affiches aux Beaux-Arts ! », raconte Mustapha. Stimulé par cette atmosphère, il découvre les livres de Frantz Fanon. Ce psychiatre antillais avait dénoncé les ravages de la colonisation : « Petit, j’ai vécu cette période d’occupation. Frantz Fanon m’a directement inspiré pour la

Émiliano Zapata – Série « Insurgés »


MUSTAPHA BOUTADJINE EN QUELQUES DATES

Le 16 mai 1952 Naissance à Alger. 1974 Diplôme de l’École nationale des beaux-arts d’Alger en architecture d’intérieur. 1978 Diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris en design.

1979 à 1988 Maître-assistant et chef de département de design à l’École nationale supérieure des beaux-arts d’Alger. 1986 1er prix international de l’affiche Radio France Internationale (RFI). 1988 Exil en France. www.le13dumois.fr — Février 2011

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LOISIRS

PAR PHILIPPE BUI DO DIEP —

Culture culinaire

CE SOIR,

ON PASSE

À LA

CASSEROLE !

Dans la foulée de la Saint-Valentin, évoquons la cuisine aphrodisiaque avec deux de ses ingrédients fétiches : les huîtres et le gingembre. Entrée, plat, dessert, tout y passe ! Chaud devant…

V

ous ne le saviez peutêtre pas mais l’arme absolue « anti-panne » est à disposition dans les épiceries et supermarchés du 13e. Car la croyance populaire a toujours attribué des vertus au gingembre, une racine appartenant à la famille des rhizomes aromatiques (curcuma, galanga...) originaire de la mystérieuse Asie (Inde, Chine). D’ailleurs, le Kâmasûtra, dans son chapitre 7, en évoque les bienfaits… décuplés avec la présence d’une sauce aux huîtres : un beau mariage pour notre recette de fricassée de poulet (voir ci-dessous) En février et mars, mois en « r », c’est toujours la saison des mollusques. Ceux-ci constitueront une belle entrée en matière pour nos agapes. Précisons qu’à notre connaissance, il n’existe aucune étude tendant à prouver les effets « fortifiants » de la consom-

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mation d’huître, non plus que pour le gingembre. En entrée, des huîtres servies avec une chantilly au wasabi - la moutarde japonaise au raifort donneront le ton du repas : tonique ! Il suffira de monter une chantilly avec de la crème entière liquide, de la saler légèrement et de l’assaisonner au final avec une noisette de wasabi. Enlever ensuite la première eau des huîtres et servir en direct d’une cuillère à soupe de crème aromatisée. Enfin, le dessert, réduit à sa plus simple expression… car il s’agira de se fournir en abondance en pastèques, le fruit fétiche de la Fête du Têt [Nouvel An vietnamien, ndlr]. Selon le site Health News (1), des chercheurs de l’Université du Texas ont découvert que la peau et les pépins de ce fruit recelaient de la citrulline, un acide aminé facilitant la re-

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laxation des vaisseaux sanguins dont les effets sont comparables à ceux du Viagra ! Précision utile : cela concerne principalement les

pastèques de couleur jaune. (1) http://fr.healthnews.com

Recette : Poulet au gingembre et sauce d’huître TEMPS DE PRÉPARATION : 40 MINUTES INGRÉDIENTS POUR 2 PERSONNES : 650 g de poulet (½ poulet) 25 g de gingembre 1 petite gousse d’ail 1 petit oignon 1 pincée de sucre 1 pincée de poivre noir 3 cuillères à soupe de sauce d’huître 2 cuillères à soupe d’huile PRÉPARATION : Étape 1 : Éplucher le morceau de gingembre, l’ail et l’oignon. Pour ce dernier, détailler grossièrement tandis que l’ail et le gingembre seront hachés

très finement. Découper le poulet en morceaux avec l’os, au couperet ou, à défaut, désosser et prendre des morceaux de la taille d’une bouchée (temps de cuisson à ajuster). Étape 2 : Faire chauffer le wok à feu vif et y ajouter deux cuillérées d’huile. Mettre ensuite le poulet en remuant très régulièrement puis baisser à feu moyen. Au bout de 15 minutes, le poulet est bien saisi, on ajoute l’ail, le gingembre et l’oignon découpé. Continuer à remuer et verser ensuite la sauce d’huître uniformément sur le poulet qui va caraméliser grâce à une pincée de sucre. Assaisonner de poivre : le poulet sera cuit au bout de 20 minutes.

En collaboration avec le blog culinaire de Philippe Bui Do Diep - www.canardumekong.com


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