Le 13 du Mois n°10

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COUPE DU MONDE DE RUGBY N° 10 — Septembre 2011 | www.le13dumois.fr | En vente le 13 de chaque mois

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LES FRIGOS 13e, PRÉSIDENTIELLE, GRAND PARIS — APRÈS L’AFFAIRE DSK, LA RENTRÉE POLITIQUE DE JEAN-MARIE LE GUEN

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE — COMMENT S’EN SORTENT LES LIBRAIRIES DU 13e ?


LA CARTE

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N°10 — SEPTEMBRE 2011

Ce mois-ci, c’est là que ça se passe

Édito Courrier des lecteurs

www.le13dumois.fr

03 06

LE 13 EN BREF SOCIÉTÉ

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Démolition de la tour Bédier : Chroniques d'un relogement

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POLITIQUE

Entretien : La rentrée politique de Jean-Marie Le Guen Resto : Chez Van

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NOTRE DOSSIER

12 Jean-Marie Le Guen entame la rentrée politique à bride abattue. 13e, Grand Paris, présidentielles, législatives et succession de Delanoë : entretien avec un toubib qui ne cache pas ses ambitions.

Que vont devenir

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LES FRIGOS ?

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SOMMAIRE

13e ŒIL

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Portfolio : Mon logement étudiant

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CULTURE

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Ossyane au Théâtre 13

LES FRIGOS

Portrait : King Ju

Théâtre 13 « bis »

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Resto : Noodle Bar

Spécial rentrée littéraire : Le billet de Franck Évrard Comment s'en sortent les librairies de quartier ? Un théâtre 13 « bis » Critique théâtrale : Ossyane d' Amine Maalouf Agenda

PORTRAIT

King Ju du groupe Stupeflip

30 31 33 34 35

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16 Les Frigos sont à la croisée des chemins. La Ville s'apprête à pérenniser leur situation de locataire. La fin de la précarité ? Tous l'espèrent. Mais ils sont nombreux à craindre que l'« esprit » des lieux ne s'évapore.

SPORT

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À un an des JO : Dans la ruche du Comité olympique français Coupe du monde de rugby À Vitry les filles plaquent aussi Où regarder les matchs à 7h du mat'

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Comité olympique français M

LOISIRS

Tour Bédier

Culture culinaire : Le café vietnamien Bon plan resto : Spécial pâtes fraiches chinoises

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Rugby féminin à Vitry

S’ABONNER COMMANDER LES ANCIENS NUMÉROS

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Sur scène, King Ju, chanteur du groupe punk-rap-conceptuel Stupeflip affiche des tenues excentriques et évolue dans un univers déjanté. Rencontre.

Photographie de couverture : Mathieu Génon 4

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LE 13 EN BREF

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10 ÉCRANS À LA PLACE D’UN GRAND

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© M.G.

inq années après sa fermeture, l’immense salle du Grand Écran de la place d’Italie sera finalement bientôt transformée par Pathé en un

multiplexe de 10 salles pour 1 250 places. C’est ce qu’a annoncé en grande pompe, le maire du 13e arrondissement, Jérôme Coumet fin août. L’édile, qui a tenu à le faire savoir « personnellement » aux Parisiens par voie de presse, s’est félicité de voir le cinéma réinvestir des lieux un temps promis à la transformation en magasins de vêtements. Cette nouvelle, plutôt réjouissante pour tout cinéphile, a été accueillie avec nettement plus de réserves par les membres de l’association Sauvons le Grand Écran. « Ça fait des années qu’on se bat pour le maintien de la grande salle. On est parvenu jusqu’à aujourd’hui, grâce à divers recours en justice, à empêcher sa destruction. Au final la salle sera détruite », regrette Marie-Brigitte Andreï, la présidente de l’association. Selon elle il n’y a « aucun intérêt à se retrouver avec dix petites salles alors qu’on avait avec le Grand Écran la chance de disposer dans le 13e d’un équipement culturel à la pointe de

VU DANS LA PRESSE

Démolition de la tour Bédier

la technologie et unique en Europe ». Cette dernière va même jusqu’à dénoncer une « récupération politique » de la part d’une municipalité « qui se vante d’avoir aujourd’hui un multiplexe alors qu’elle n’a pas hésité à autoriser la démolition de la salle au profit des magasins ». De son côté, Jérôme Coumet, est très clairement lassé : « Certes la salle est détruite mais l’essentiel est que des cinémas soient maintenus place d’Italie. » Et de conclure, laconique : « Dans la vie il faut être bon perdant, mais il faut aussi savoir être bon gagnant. » Marie-Brigitte Andreï admet, sur ce point, que leur positionnement est difficile à tenir : « Nous sommes déçus mais le multiplexe est une avancée. Nos membres sont très partagés entre l’envie de continuer à se battre et de tout arrêter. Le risque est évident et compréhensible que nous passions pour des "jamais content". » À l’heure où nous imprimons, l’association n’avait pas encore décidé de sa stratégie future.

Par Ornella Guyet Photographies Mathieu Génon

SOCIÉTÉ

CHRONIQUES D’UN RELOGEMENT Construite en 1961, la tour Bédier de la porte d’Ivry, située en bordure du périphérique, est en cours de démolition. C’est le premier des quatre immeubles parisiens à disparaître dans le cadre du renouvellement urbain des quartiers populaires. Mais avant, il a fallu reloger. Quatre générations d’habitants témoignent.

LE PREMIER FILM DES CHINOIS DE PARIS

L

e magazine en ligne Slate s’est longuement attardé le 31 août sur la situation des sans-abri sur notre continent. Où il apparaît que la France est la « plus mauvaise élève en Europe » en matière d’accueil des SDF. Slate rapporte ce chiffre édifiant : « Notre pays compte ainsi 52 SDF pour 100 000 habitants, tandis que l’Angleterre n’en compte que 19 pour 100 000 et la Finlande 9 pour 100 000. » Visée : la politique sociale française, par trop

centralisée. Un contre-exemple cependant : la Villa de l’Aube, boulevard Vincent Auriol dans le 13e. Gérée par l’association la Mie de Pain, l’institution est portée aux nues comme un modèle de réinsertion sociale, si rare en France. Cette « pension de famille » accueille 40 à 60 personnes, seules ou en couple, pour un accompagnement personnalisé. Pour mémoire, le 13e reste à Paris l’un des arrondissements les mieux dotés en structures d’aides aux sans-abri. — Slate.fr

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© M.G.

Accueil des SDF : la France mauvaise élève, le salut dans le 13e ?

Parmi la multitude de films réalisés dans le 13e cet été, c’est Shangaï-Belleville de la Taïwanaise Show-Chun Lee qui a fait le plus parler de lui. Tourné quelques jours dans l’avenue de Choisy, ce long métrage est le premier issu de la diaspora asiatique de Paris. La réalisatrice de 41 ans arrivée en France en 1991 s’attaque à l’immigration clandestine et à l’esclavage, sujets qu’elle a déjà mis

en lumière dans différents documentaires : « Je filme la vie des clandestins chinois depuis 1997, mais aujourd’hui, je n’arrive plus à faire entrer une caméra chez eux. À cause de la peur, mais surtout parce que ces gens sont devenus mes amis. La fiction est le seul moyen d’assumer mon travail de cinéaste et de métamorphoser leur réalité parfois inhumaine. » Sortie prévue courant 2012.

Trop proche du périph’, la tour Bédier n’a pu être démolie à l’explosif, mais par la technique du « grignotage » étage par étage.

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SOCIÉTÉ

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HAYET, DERNIÈRE À PARTIR

Avant, après — Construite en 1961 Porte d’Ivry, la tour Bédier est bordée par le périphérique dès 1968. Composée de 64 logements sur 12 niveaux, elle a été désaffectée en 2007 et son démontage - démolition à l’explosif impossible si près du périphérique - a commencé en août. Elle devrait être remplacée par une Maison internationale de séjour aménagée par la Semapa, qui sera composée d’une résidence de loisirs de plus de 200 logements pour les jeunes en échange scolaire ou universitaire et d’une résidence d’environ 180 logements pour étudiants ou jeunes adultes.

Hayet, 47 ans, a passé plus de dix ans au 9e étage de la tour avec son ex-mari. Elle y a élevé ses deux enfants, et son meilleur souvenir reste la naissance de son fils, qui a été l’occasion pour sa mère de venir la voir depuis la Tunisie. Le pire : son divorce. Même si son appartement était petit, elle note, un brin nostalgique : « Moi j’aimais bien, ça m’a fait beaucoup de peine. » Parmi les dernières à partir, Hayet est restée un temps seule à son étage, devenu un terrain de jeu idéal pour les jeunes du quartier. Un moment marquant reste la tempête de 1999, au cours de laquelle la tour a bougé et s’est légèrement affaissée, prélude à sa démolition. Son ex-mari était alors en visite pour les fêtes : « Je me suis dit, presque contente : au moins, on va mourir tous ensemble. » Après avoir été relogée provisoirement pendant deux ans dans un autre immeuble du quartier, Hayet a été la

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première à emménager dans le nouvel immeuble, alors que les travaux n’étaient pas terminés : elle est restée une semaine sans électricité. Elle dispose désormais d’un appartement plus grand avec une chambre pour chacun de ses enfants, d’un grand ascenseur et d’un parking souterrain. Les nouveaux logements sont aussi insonorisés. En vis-à-vis, plus de périph’, mais les immeubles voisins. Et ça, Hayet aime moins.

Plus cher, moins sûr ?

ALICE, LA DOYENNE Alice, elle, habite juste derrière, au 7e étage d’une barre ancienne. Elle n’a pas pu emménager dans l’immeuble flambant neuf d’Hayet, question de prix : « Avec ma petite retraite, ce n’était pas possible. Ils auraient dû me donner le même type de logement au même prix, dans la mesure où c’est eux qui nous ont obligés à partir. » À 86 ans, elle a vécu pendant quarante ans dans la tour Bédier et regrette son ancien logement, un trois-pièces qu’elle a été dans l’obligation de quitter pour emménager

Jean-Claude, l’homme en colère.

dans un appartement plus petit. Elle a dû se séparer de nombreux meubles, et regrette sa grande cuisine. Toujours vaillante, elle met un point d’honneur à se débrouiller seule, grimpant même les escaliers lorsque l’ascenseur est en panne. Alice est aussi une proche amie d’Hayet, qui la considère « comme une mère. » Les deux femmes ont fait connaissance à Bédier, et le mari d’Alice, aujourd’hui décédé, venait parfois faire quelques réparations chez Hayet après son divorce. Depuis le décès de son époux, c’est au tour d’Hayet de veiller sur la vieille femme et de lui rendre de menus services.

JEAN-CLAUDE ET ANGÉLIQUE, LES DÉÇUS

Alice (à droite) en compagnie d’Hayet.

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SOCIÉTÉ

Jean-Claude, 62 ans, regrette amèrement son ancien logement, alors même qu’il a été relogé dans le bâtiment neuf à quelques pâtés de là. « On était super bien, très tranquille à côté d’aujourd’hui ! », s’exclame-t-il d’emblée. Il se plaint des rixes entre jeunes et critique vertement l’environnement social : « Ici

c’est bruyant, il y a des vols, des feux de parking et des feux de poubelles. » Comme d’autres, Jean-Claude déplore également une forte hausse du loyer, « presque le double ». Sans être aussi catégorique, Angélique, 40 ans, qui a habité la tour Bédier depuis l’âge de deux ans, évoque avec une pointe de tristesse sa vie d’avant et le démontage de l’immeuble qui l’a vue grandir, où sa mère est décédée. Elle habitait pourtant au rez-de-chaussée, côté périphérique. Relogée dans la même barre qu’Alice il y a six ans, elle regrette de ne pas être allée rejoindre Jean-Claude et d’autres voisins dans le nouveau bâtiment : « C’est plus petit ici qu’à Bédier, même si j’ai une chambre en plus. Et surtout il y a pas mal d’humidité, et j’ai l’impression qu’il y a plus de poussière. » En effet, les murs et les plafonds sont rongés par les moisissures et l’office HLM ne fait rien pour y remédier. Elle n’en démord pas : « Si la tour Bédier avait été reconstruite à neuf, je serais retournée là-bas. » !

— Outre la question de l’insécurité, un reproche revient souvent : les loyers des nouveaux logements sont plus élevés, parfois près du double par rapport à ceux de Bédier. Du côté de Paris-Habitat, on affirme ne pas avoir noté de difficultés particulières du point de vue de la sécurité, « sinon on aurait demandé des patrouilles de GPIS ». Concernant le prix des loyers, l’office HLM indique que « tous les gens concernés par le relogement ont pu visiter leurs nouveaux appartements, bénéficier d’une présentation tarifaire, et tous ont accepté. » De plus, Paris-Habitat a pris en charge les frais et la logistique des déménagements.

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POLITIQUE

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Entretien

Êtes-vous d’ores et déjà candidat à votre propre succession au poste de député du 13e ? Oui. J’ai toujours essayé de gérer les affaires du 13e tout en veillant au renouvellement du PS qui s’est fait de façon notable ici.

LA RENTRÉE POLITIQUE DE JEAN-MARIE LE GUEN

Vous pensez à des personnalités comme Jérôme Coumet par exemple ? Oui. Classiquement, des gens comme moi combinent le statut de maire et de député. Je ne l’ai pas fait.

Privé de son champion DSK et rallié de fraîche date à François Hollande, Jean-Marie Le Guen entame la rentrée politique à bride abattue. 13e, Grand Paris, présidentielles, législatives et succession de Delanoë : entretien avec un toubib qui ne cache pas ses ambitions.

Le 13 du Mois : Le 25 août dernier vous avez annoncé votre soutien à François Hollande dans la course aux primaires socialistes. Pourquoi ce candidat ? Jean-Marie Le Guen : Je pense qu’il est le mieux placé pour l’emporter face à Sarkozy. Cela vient de sa capacité, plus forte que chez les autres, à rassembler. Il a une personnalité plus consensuelle, à la fois à gauche mais aussi au-delà de la gauche. Je suis plus proche de Strauss-Kahn, je pense qu’il a plus de créativité. Mais François Hollande a été le premier à parler de la croissance comme une question essentielle de la campagne électorale. Je crois à ça, moi qui suis plutôt parmi les pragmatiques sur le plan économique. Il ne s’agit pas de refaire la croissance d’hier, il faut trouver de nouveaux chemins. La santé notamment ne doit pas être considérée comme l’un des volets d’une politique sociale ni comme un coût, mais comme un élément de la relance économique. Pourquoi alors avoir donné votre parrainage à Ségolène Royal il y a deux mois ? Parce qu’elle me l’a demandé et que je n’imaginais pas qu’elle soit absente de la course des primaires. Pour les primaires de 2007, je ne l’ai pas soutenue, je l’ai même critiquée. J’ai ensuite fait campagne avec elle et ça c’est d’ailleurs assez mal passé. Mais c’était une période désagréable où les choses ne se sont pas bien emmanchées au PS. Toujours est-il que je trouve qu’elle a une combativité et un courage tout à fait réels.

Pourquoi ? Pour élargir les prises de responsabilité et mettre en place une nouvelle génération. C’est ce que j’ai fait avec Jérôme Coumet ou bien Bruno Julliard. Propos recueillis par Jérémie Potée & David Even Photographies Mathieu Génon

« DSK est l’une des dix personnes capables de nous sortir de la crise » Le 13e est bel et bien votre fief ? Oui c’est vrai, j’ai organisé tout le travail de reconquête du 13e arrondissement par la gauche. J’ai commencé quand j’étais étudiant à la Pitié-Salpêtrière. Depuis, je connais la sociologie de presque toutes les cages d’escaliers. J’y ai mené tous les combats pendant 30 ans, aussi bien pour la restructuration du PS que vis-àvis de la droite dominée par une personnalité - assez talentueuse il faut dire - en la personne de Jacques Toubon.

engagement politique : comment faire coexister les différences sociales dans une ville mixte ? Quand j’étais responsable du PS à Paris dans les années 1990, c’est moi qui ai remis à l’ordre du jour la question du Grand Paris.

Vos ralliements de juillet à Ségolène Royal puis maintenant à François Hollande vous ont d’ailleurs valu un récent deuxième prix de la girouette en politique… Je dégage l’image d’un homme carré, ça l’a un peu cassée. En ce sens, j’ai pris ce deuxième accessit plutôt comme un compliment…

C’est une préoccupation d’élu local. Non, c’est une vision stratégique de l’organisation de la société. Je crois beaucoup à l’urbain dans une société comme la nôtre : être productif, faire en sorte que la France soit compétitive, créative, solidaire. Je n’ai pas de mépris pour le rural, mais je constate que c’est le phénomène urbain qui tire les sociétés. Je veux une urbanité, pas un urbanisme, une urbanité civilisée. C’est une vraie question de politique nationale.

Le candidat DSK envolé, on ne saura jamais quel programme vous auriez concocté. Au-delà des questions de santé, quels sont les sujets qui vous touchent de près ? Ce qui me passionne depuis toujours, c’est la question de l’organisation du Grand Paris. Ça a été un des moteurs de mon

Souhaitez-vous le retour de DSK en politique ? Il est utile qu’il revienne. Je fais partie de ceux qui pensent que DSK est une des dix personnes en Europe capables de nous sortir de la situation économique dans laquelle nous sommes.

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POLITIQUE

N’y a-t-il pas un risque de parasitage à court terme ? Il faut effectivement être attentif. À court terme, pour la primaire socialiste, il y a un risque que le fait qu’on parle de Dominique soit un élément de pollution du débat politique. Les candidats doivent pouvoir s’affirmer par eux-mêmes et ne pas être gênés par son intervention. Et pour la campagne présidentielle ? Ah, ça on verra. On se retrouvera tous au mois de janvier : ce sera un autre monde. Imaginons que François Hollande gagne la présidentielle. Un portefeuille ministériel, la santé par exemple, vous intéresserait ? S’agissant du domaine de la santé qui est le mien, c’est une responsabilité dont j’aimerais pouvoir assurer la direction. Oui ca m’intéresserait, oui je me sens en situation de pouvoir le faire, mais est-ce que c’est un but de ma vie, de mon action politique ? Non.

Comment expliquez-vous ce basculement radical du 13e de la droite vers la gauche ? Sociologiquement le 13e aurait toujours pu être à gauche. Mais la personnalité de Toubon, homme politique habile et très actif, et la gestion centralisée et assez manipulatrice de Chirac ont permis la mainmise de la droite sur Paris. Jacques Toubon nous a lui-même confié ne pas avoir réussi à créer d’électeurs de droite… Il ne le pouvait pas. Les phénomènes sociologiques dépassent les maires quels qu’ils soient, aussi actifs soient-ils. Entre le temps où vous décidez de faire quelque chose et le temps de sa réalisation, il se passe 20 ans. C’est d’ailleurs un vrai problème d’urbanisme. Toubon a lancé la ZAC Paris RiveGauche, en 1987 et elle n’est pas terminée aujourd’hui. Et puis il y avait déjà 35% de logements sociaux dans le 13e avant Toubon. La politique municipale depuis 50 ans, ça a été de construire des logements sociaux dans le 13e et pas dans le 15e. Si Toubon avait réussi à s’imposer [à la place de Philippe Séguin, ndlr], la gauche aurait eu plus de difficultés en 2001. Que retenez-vous de dix années Delanoë ? Beaucoup de choses, des éléments très positifs sur la problématique des déplacements et de la place de la voiture → 13


DOSSIER

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DOSSIER

Les Frigos sont de nouveau à la croisée des chemins. L'immense bâtisse, menacée de destruction au tournant des années 1990, est bien connue pour avoir survécu au projet Rive-Gauche grâce à l'opiniâtreté de ses occupants. La Ville, désormais propriétaire, s'apprête à pérenniser leur situation de locataire. La fin de la précarité ? Tous l'espèrent. Mais nombreux sont les artistes, artisans ou chefs d'entreprise qui y travaillent à craindre que l'« esprit » des lieux ne s'évapore.

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QUE VONT DEVENIR LES FRIGOS Par Jérémie Potée & David Even Photographies Mathieu Génon

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?

ux Frigos, on entrevoit la fin de la précarité, tandis que certains craignent la normalisation. Entendez par là que la Ville, propriétaire depuis 2003, va bientôt faire en sorte que les Frigos se fondent un peu mieux dans le décor. Dans le quartier flambant neuf qui les entoure d’abord : en effet, la façade décrépite, décorée à qui mieux mieux, détonne dans ce coin encore aseptisé. Il faut dire qu’au bout de trente ans passés dans des locaux « faits main » et mal sécurisés, beaucoup de locataires ne diraient pas non à un meilleur standing. Après tout, la moyenne d’âge ici tourne autour de la cinquantaine : les premiers arrivés dans les années 1980 sont, pour l’essentiel, toujours là. La Mairie est également sur le point de leur proposer des statuts locatifs qui collent un peu mieux à la loi et, par la même occasion, à la diversité des professionnels qui occupent les Frigos. La nouvelle a été accueillie avec un ouf de soulagement par la grande majorité d’entre eux. Cependant, les modalités de cette régularisation divisent deux associations, qui tirent chacune à elle la couverture de la représentativité de l’ensemble des locataires.

LES ACTEURS DU CHANGEMENT Il y a d’abord l’Association pour le développement du 91 quai de la Gare (l’ancien nom des Frigos) ou APLD 91, présidée par le sculpteur Jean-Paul Réti. Pourquoi elle ? Parce que son président, hyperactif, est, depuis le début, de toutes les batailles médiatiques. Ça se voit, ça s’entend et ça gêne parfois. Allez un jour aux Frigos, et vous le croiserez immanquablement un

tract incendiaire à la main, tentant de rallier à sa cause qui veut bien l’écouter, visiteur ou locataire. De l’autre côté, il y a l’Association des locataires du site des Frigos (ALSF). Entre les deux associations, il n’y a pas que cinq étages - Réti au rez-de-chaussée, l’ALSF au dernier -, il y a surtout deux façons d’envisager l’avenir. Par le passé pourtant, les deux associations ont souvent fait front commun. Aujourd’hui, leur division fatigue certains locataires – ils sont nombreux à adhérer aux deux associations - et tend à brouiller leur message quand il s’agit de s’adresser à la Mairie. Mais qui pénètre aux Frigos hors de leurs fameuses portes ouvertes, qui ont lieu une fois l’an, se rendra compte que les rapports humains y sont pour le moins complexes. Il faut dire que les locataires des lieux ont la peau endurcie par trente ans de lutte commune. Aux Frigos, l’accueil peut laisser songeur : dès le premier jour de notre enquête de terrain, nous avons eu la mauvaise idée de vouloir profiter de leur parking. Avec son aspect de friche industrielle aux murs tagués dans leurs moindres recoins, il fait jaser les nouveaux habitants du quartier - et pas seulement ceux qui aimeraient bien y garer leur voiture. Pour que la barrière se soulève, il faut un code, que nous demandons à une locataire. Et de nous enguirlander, nous traitant de « petits cons » avant de céder à contrecœur pour les besoins de la cause. C’est que nous avons rendez-vous avec Jean-Paul Réti… ce qui peut valoir passedroit. Pendant six heures d’un discours réfléchi, nous saisirons toute l’épaisseur du sujet. Les mots, ici, ont un sens et gare aux raccourcis ! → 17


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LA RÉGULARISATION, ENFIN ! En substance, Jean-Paul Réti milite pour que soit préservée l’« expérience » des Frigos. Il plaide depuis toujours pour l’élaboration d’un contrat unique, sans différenciation de loyers en fonction des professions, quitte à « faire jurisprudence » en l’absence de textes légaux ad hoc. Doux rêve ? Lui et tous ses voisins – y compris ceux qui ne sont pas sur ce sujet sur la même longueur d’onde - rappellent qu’à leur arrivée, tout était insalubre. Il leur a fallu percer des fenêtres, amener eau et électricité à leurs frais et travailler en bonne entente. Tout cela pourrait mériter, à croire Jean-Paul Réti, un statut dérogatoire. Depuis 1980, date de l’arrivée des premiers occupants, ceux qui doivent en permanence lutter contre les préjugés qui leur collent à la peau - « squatters », « anarchistes », « privilégiés » etc. - bénéficient de contrats de location précaires. Conclus de gré à gré avec les propriétaires successifs - SNCF, Réseau Ferré de France (RFF), Ville de Paris -, les loyers varient ici du simple au triple. Mais la Ville, mise en demeure d’acquérir le bâtiment en 2003 pour une somme modique - 5 millions d’euros, somme qui tenait compte des travaux de sécurisation mal assumés par la SNCF et RFF - a décidé récemment d’y mettre un peu d’ordre. Il s’agira sous peu de concocter des baux professionnels d’une durée de six ans pour les professions libérales et des baux commerciaux

LES FRIGOS EN CHIFFRES

65

euros le m², c’est le montant moyen des loyers. Du fait des contrats précaires et d’absence de règlement clair, d’importantes disparités - du simple au triple - peuvent être observées d’un atelier à l’autre.

4 000 m² 8 900 m²

spécifiques aux artisans, aux entreprises et aux artistes qui cotisent à la Maison des artistes, d’une durée de dix ans.

France Mitrofanoff « avec nos baux précaires, on est tous depuis trente ans sur un siège éjectable. Comment travailler sereinement dans ces conditions ? » JeanPaul Réti y voit au contraire la fin d’une unité de traitement entre les différentes professions. Laquelle n’existe pourtant qu’en théorie : une poignée d’occupants →

DES BAUX DIFFÉRENTS, DES LOYERS À LA HAUSSE L’ALSF accueille cette proposition à bras ouverts. Pour sa secrétaire, la peintre

« ÇA VA SE TRANSFORMER EN MAISON DE RETRAITE ICI »

M

ichel Birot est un des doyens des Frigos. Arrivé en 1981 pour y installer un studio photo, il a été témoin de toutes les histoires qui ont forgé

viennent d’être livrés à proximité immédiate des Frigos par la Ville. Cette « restitution » était attendue depuis des années par les locataires après la démolition du bâtiment dit Mitjavile. « Les 4 000 » accueilleront des artistes et un studio d’enregistrement qui occupera à lui seul plus de la moitié de la surface.

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ateliers, répartis sur cinq étages sont loués par la Ville à des artistes, artisans et PME.

MICHEL BIROT - PHOTOGRAPHE ET ÉDITEUR :

c’est la surface du bâtiment historique et principal des Frigos.

PAOLO CALIA - DANDY DÉCORATEUR :

les lieux. « Les premiers mois la SNCF nous a fait grâce des loyers, se souvient-il, pour pouvoir au moins se payer l’installation de l’eau, de l’électricité et percer quelques fenêtres. » 30 ans plus tard, les murs ont vieilli et les occupants avec : « Ça va se transformer en maison de retraite ici », lance amusé ce passionné de rugby arrivé ici en tant que simple photographe et désormais mué en patron de presse. À la fin des années 90, il a eu l’idée de lancer Rugby Attitude, un bimestriel « haut de gamme » de 62 pages entièrement dédié à la culture du ballon ovale. « Après avoir

couvert la Coupe du monde de 1995, j’ai eu envie de me lancer dans l’aventure d’un magazine entièrement dédié au rugby », raconte-t-il. Un peu plus de 10 ans après son changement de carrière, l’Aurillacois n’a pas à regretter son pari. Son magazine, dont il réalise la quasi-totalité des clichés, est distribué à plus de 60 000 exemplaires et les publicitaires le suivent. Ils sont une petite dizaine à travailler sur le projet dans une rédaction très proprette où s’affichent leurs plus belles Unes. Et pour la suite, place à la Nouvelle-Zélande où il couvrira les exploits de l’équipe de France.

« ICI, LES QUERELLES M’AMUSENT »

C

handeliers, anges, dorures au plafond, bienvenue chez Paolo Calia, un décorateur et photographe sarde des plus dandy. Son univers de 300 mètres carrés, qu’il loue près de 3 000 euros par mois, lui sert à la fois d’atelier et de logement. L’ancien assistant de Fellini est arrivé là en 1985. Il se souvient avoir pris possession du dernier atelier disponible, « un dépotoir sans fenêtre où les autres locataires jetaient ce dont ils n’avaient plus besoin ». Aujourd’hui, les querelles entre associations l’« amusent ». Paolo Calia a mis vingt ans pour créer ce lieu excentrique et baroque, à son image finalement : « Avant, je vivais dans un immeuble chic du 8e. C’était la grande époque du Palace et des bals masqués. Quand je rentrais chez moi déguisé en ange ou en diable, je sentais que ça ne passait pas avec mes voisins », raconte hilare ce personnage haut en couleurs de 64 ans, dont l’accent à couper au couteau rajoute à l’exotisme de son loft. Aux Frigos, ses retours de soirées en tenues excentriques interpellent moins et ça l’arrange ! Appelé

1970

1985

1989

1997

2003

Fin des activités de gestion de denrées alimentaires en chambre froide débutées en 1921. Les Frigos, propriété de la SNCF, sont désaffectés.

Année communément admise comme date d’investissement quasi complet des Frigos. Ceux qui prennent possession d’un atelier payent un loyer à la SNCF et se débrouillent de leur côté pour faire venir l’eau, l’électricité et percer des fenêtres.

Création de la ZAC Paris Rive-Gauche qui débouchera en 1991 sur un premier plan d’aménagement de zone qui menace explicitement la sauvegarde des Frigos.

Modification du plan d’aménagement de zone qui sauve l’aile nord et le parking des Frigos désormais qualifiés de « site de création et de production ».

Les Frigos sont vendus par Réseau Ferré de France (RFF) à la Ville de Paris après quatre années d’une procédure de mise en demeure d’acquérir. La Ville débourse plus de 5,7 millions d’euros correspondant à la valeur

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DOSSIER

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© Pascal Yuan

DOSSIER

par les plus grands noms - têtes couronnées incluses - pour décorer leurs mariages ou évènements de grande ampleur, Paolo Calia tient farouchement secret les détails de son carnet d’adresse et des soirées très privées qui se tiennent à l’occasion dans son loft. L’homme est aujourd’hui à la télé comme tête de gondole du nouveau programme d’M6, « Ma maison est la plus originale de France ».

2011

vénale moins 1,18 millions d’euros de travaux de mise aux normes obligatoires qu’aurait dû réaliser RFF. Les Frigos entrent dans le giron de la Direction des affaires culturelles de la Ville (DAC).

La DAC tente de faire passer les Frigos dans le domaine public, ce que rejettent les associations de locataires.

Gestion par la Direction du développement économique, de l’emploi, de l’enseignement supérieur (DDEEES). La Ville annonce la mise en place de contrats différenciés entre artistes et autres locataires. On se dirige vers la fin des contrats précaires et l’égalisation des loyers à la hausse. 19


DOSSIER

DES FRIGOS ET DES RESTOS

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assurés qu’il n’en était absolument plus question. Malgré tout, l’Association des locataires a attaqué la Ville sur le sujet. Déboutée en première instance, l’association a fait appel.

© Corinne Bertelot

DE MITJAVILE AUX « 4 000 »

Vue des Frigos et du bâtiment dit « Mitjavile ». Ce dernier a brûlé en 1996.

logique des choses, voire nécessaire au développement de certaines entreprises. Il se rappelle avoir obtenu à l’époque son atelier dans des conditions douteuses, devant notamment supporter des « frais d’agence » sortis du chapeau par le gestionnaire délégué de l’époque. Un autre exemple du laisser-faire un brin miraculeux qui a pu donner corps aux Frigos : en ramassant des matériaux dans les environs alors « pourris » pour les be-

soins de ses sculptures, il a eu la surprise d’obtenir spontanément une autorisation manuscrite d’un chef de district de la SNCF. « Tout était un peu comme ça. Il est peut-être temps que → ça cesse », confie-t-il. Son cheval de bataille : le risque que le bâtiment fasse office de délégataire de service public, révocable à la minute, pour la réalisation de projets pensés en haut lieu. La menace du Centquatre, une fois encore. Contactés, les services de la Mairie nous ont pourtant

« AU DÉPART ON NE SAVAIT PAS TROP QUOI FAIRE DES FRIGOS » Bon gré mal gré, Jacques Toubon, maire du 13e de 1983 à 2001, a dû faire avec les Frigos dans l’élaboration de « son » quartier Paris Rive-Gauche. Chaque année, il fait un « petit pèlerinage » à l’occasion des portes ouvertes. Le 13 du Mois : Dans quelle mesure les Frigos ont-ils gêné la mise en place du nouveau quartier Paris Rive-Gauche ? Jacques Toubon : On ne peut pas dire que les Frigos aient véritablement gêné la mise en place du projet Paris Rive-Gauche. Au contraire, ils sont un des éléments identifiants de l’Est parisien depuis les années 80 et ils permettaient de dire qu’il se passe quelque chose à l’Est. Mais c’est vrai qu’une fois le projet du nouveau quartier acté, s’est posée la question d’intégrer ou non les Frigos. Au départ on ne savait pas trop qu’en faire même s’il paraissait clair qu’il devenait difficile de tout raser tant, dans le quartier, ce lieu était le seul à attirer des gens de tout Paris.

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Dernier sujet parmi les nombreux thèmes épineux : la Ville vient de livrer 4 000 mètres carrés de locaux en restitution d’une partie des Frigos, dite Mitjavile, détruite par les flammes en 1996. Plusieurs hic cependant : la moitié de la surface disponible a été attribuée par la Ville, sans concertation, aux célèbres studios de musique Luna Rossa. Les loyers y sont 50% plus élevés et le lien avec le site des Frigos est plus que ténu : une barrière « anti-graffiti » sépare les deux bâtiments. À l’intérieur, pas de monte-charge pour les artistes. Là-dessus, les deux associations des Frigos sont unanimes dans la critique. " Plus d’infos : www.les-frigos-apld91.com www.les-frigos.com www.alsfrigos.com

Il a quand même bien fallu convaincre du monde, l’architecte Christian de Portzamparc en tête, de conserver un bâtiment ancien, en grande partie délabré, au beau milieu d’un quartier ultra moderne ? C’est vrai. Ça a été plusieurs années de discussions et de réflexions. Par contre, si nous avons au final retenu le projet de Christian de Portzamparc, comme architecte directeur de l’ensemble du quartier, c’est bien parce son projet prévoyait le maintien des Frigos. Les Frigos sont-ils aujourd’hui un atout pour le quartier, le 13e et Paris en général ? Indéniablement. Les Frigos sont un élément important du patrimoine industriel parisien. C’est un des derniers bâtiments en région parisienne qui témoigne de l’activité ferroviaire au sens large. La diversité mais surtout la qualité des gens qui y travaillent sont également une richesse. Ces gens sont bons et c’est bien d’avoir ce type de communauté d’artistes dans Paris intra-muros et pas seulement en proche banlieue. Personnellement, pour dire les choses comme elles sont : si les premières orientations qui avaient été prises au début des années 90 et qui remettaient en cause les Frigos, avaient été maintenues et réalisées, je le regretterais aujourd’hui.

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DOSSIER

L’AIGUILLAGE GALERIE :

« FAIRE UNE GALERIE D’ART OÙ ON PEUT MANGER »

Q

ui a dit que les Frigos étaient fermés comme une huître ? À l’Aiguillage galerie, vous trouverez un concentré de bon accueil dans un cadre pas piqué des hannetons. Le principe est assez simplement résumé par Corinne Bertelot, photographe et gérante des lieux : « Avec quelques copains du milieu culturel, on a voulu faire une galerie où on pouvait manger. Dans l’absolu, une galerie, c’est froid, il n’y a pas foule, et aux Frigos en plus... » Cinq ans plus tard, c’est gagné : le resto a ses habitués venus des maisons d’édition et autres entreprises alentour, trop heureux de fuir les grandes chaînes du quartier. L’ambiance familiale est renforcée par un système d’adhésion assez malin, qui permet de faire circuler le programme de la galerie. Car à l’Aiguillage, l’art de la table s’accommode de l’art tout court grâce à un aménagement subtil et aéré qui permet de détailler à son aise les œuvres exposées. Pour une poignée d’euros, vous aurez droit à une carte d’adhérent et l’accès à un menu très abordable, préparé avec le même souci du détail que le décor - au choix, un plat principal à 9 euros ou une tarte salée à 7 euros, les desserts et le vin à l’avenant. L’Aiguillage a dû faire à ses débuts avec quelques réticences : lieu d’ateliers, les Frigos n’étaient pas faits, de l’avis de certains, pour accueillir ce type d’activité. Aujourd’hui, la question ne se pose plus pour les locataires qui, eux aussi, y ont trouvé leur compte. Mais le concept reste compliqué, ajoute Corinne Berthelot. Beaucoup de boulot pour une rentabilité ric-rac, à quoi s’ajoute un environnement tout aussi compliqué. Il arrive à l’Aiguillage d’organiser des soirées spéciales pendant lesquelles il faut composer avec des énergumènes attirés par la réputation sulfureuse des Frigos. À propos de l’avenir du bâtiment, Corinne Bertelot conclut donc : « Sans vouloir en faire un endroit nickel chrome, je n’aurais rien contre le fait que ce soit un peu moins sale. »

LA MAISON DES FRIGOS :

« DANS MON MENU, JE METS PLEINS DE TRUCS, MAIS JE NE VOUS DIRAI PAS QUOI »

B

ienvenue chez Mariko, artiste peintre japonaise et cuistot depuis quatre ans. Son petit établissement du rez-de-chaussée, très justement baptisé La Maison des Frigos, incite à passer un moment chez elle. À peine installé, la maîtresse de maison vous somme d’éteindre votre portable : « Pas de ça chez moi ! » Mais Mariko, originaire d’Osaka a plus d’un tour dans son sac pour vous amadouer. Sa terrasse est très agréable dans un quartier qui en manque cruellement. Les pots de fleurs, on nous l’apprendra, ont la double utilité de décorer et d’empêcher les tagueurs « de dégrader la façade ». À l’intérieur pas plus de 4 ou 5 tables entourées d’œuvres des artistes des étages supérieurs et, dans le fond son coin à elle, une cuisine ouverte, un peu désordonnée. Mais puisqu’on vous dit qu’on est à la maison… Et comme chez maman, pas question de manger ce que l’on veut : menu unique obligatoire pour tous avec « plein de trucs dedans mais je ne vous dirai pas quoi ! » Si l’entrée nous aura laissés sur notre faim, le plat - un saumon aux saveurs nippones - et le dessert auront largement rattrapé le coup. Dommage que ce soit un peu cher (19€). Toujours est-il que le lieu a ses habitués du quartier. 23


13e ŒIL

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Portfolio Par Mathieu Génon

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MON LOGEMENT ÉTUDIANT

LUCILE & QUENTIN – 22 et 21 ans Rue Mirabeau – Ivry-sur-Seine En colocation « familiale » 39 m² – 810 euros/mois à deux

13e ŒIL

C'est un fait marquant de la rentrée : le panier de l'étudiant est en hausse. Le logement, bien entendu, l'alourdit considérablement. Voyez comment vivent des étudiants qui habitent et/ou étudient dans le 13e.

CLAIRE - 24 ans Rue de la Butte-aux-Cailles En studio 18 m² - 500 euros/mois

— 1ère année en école de chiropractie à l’IFEC, 1ère année en BTS de gestion d’informatique dans le 17e

— 1ère année de master Histoire de l’art à la Sorbonne

Après avoir habité rue Caillaux dans l’équivalent d’une cellule monastique, Quentin s’est installé en colocation avec sa cousine Lucile en juillet dernier. La recherche d’appartement a duré trois mois, nécessité près de dix visites et cinq fois plus d’appels. C’est finalement leurs garants respectifs et le CDI d’alors de Lucile qui leur auront permis d’obtenir ce 39 m² à cinq minutes de la ligne 7. « Nous avons déjà habité ensemble, nous nous entendons bien et si quelque chose ne va pas nous saurons nous le dire. » Les années qui suivront seront décisives pour ces deux étudiants gonflés à bloc en cette rentrée. Règle première : « Pas de soirée en semaine. »

Claire vient de passer la fin de l’été à rédiger un mémoire sur l’artiste libanais Walid Raad. Il y a quelques jours son appartement croulait sous les notes et les bouquins. Notre venue a été un prétexte pour tout ranger. Originaire d’Annecy, elle a débuté ses études à Grenoble avant de rejoindre Paris, rue Barrault dans le 13e. Elle a vite délaissé ce logement des plus sommaires pour reprendre l’appartement de sa sœur, sur la Butte. Claire partage aujourd’hui son temps entre ses cours d’histoire de la photo à l’Institut national d’histoire de l’art et un boulot d’assistante d’éducation dans un collège du quartier.

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CLAIRE - 26 ans Rue du Jura En colocation 55 m² – 1 055 euros/mois à deux

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13e ŒIL

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ELIJA – 29 ans Fontainebleau En couple 50 m² - 750 euros/mois

— En reprise d’étude dans une école d’audiovisuel

— Doctorant en biologie moléculaire à — Paris Diderot

Claire est arrivée à Paris après un BTS en audiovisuel à Toulouse. D’abord hébergée par son oncle et sa tante à deux pas de l’avenue de Choisy, elle s’est installée en colocation en 2007. Elle voulait le 15e, mais tout y était trop cher. Elle a fini par atterrir dans le 13e, en bordure du 5e. « C’est idéal pour vivre à deux sans se gêner et c’est abordable. » Les coloc’ passent, elle reste : « À chaque nouvel arrivant, c’est l’occasion de faire une pendaison de crémaillère ! » Camerawoman depuis 2008, elle reprend cette année une formation en alternance dans une école d’audiovisuel à la Plaine Saint-Denis.

Né en Russie, Elija a grandi en Allemagne et étudié en Espagne avant d’intégrer le laboratoire de Biologie moléculaire de l’université Paris Diderot, dans le 13e, où il poursuit aujourd’hui sa thèse. Après avoir résidé dans une cité U, puis dans le 18e avec sa copine Anna, Elija a préféré partir s’installer avec elle à Fontainebleau. Principales motivations : l’espace et le loyer. D’abord dans un 20 m² à 650 euros, ce jeune couple a trouvé deux fois plus grand pour à peine plus cher, au rezde-chaussée d’une maison.

CLEMENS – 29 ans Tour Athènes - Les Olympiades En colocation 67 m² – 1 700 euros à trois — Doctorant à Télécom Sud Paris (Ivry) Clemens entame sa quatrième année en France et sa première en colocation. Originaire de Fribourg-en-Brisgau en Allemagne, Clemens a d’abord vécu à la Cité universitaire internationale, avant de devoir la quitter au terme des trois années imparties. Durant l’été, il a repris la colocation d’un ami pour désormais partager son appartement avec Élisabeth et Capucine : « J’ai vraiment aimé la vie à la cité U, mais je pense que le temps était venu de commencer une vie un peu plus calme… »

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CULTURE

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Spécial rentrée littéraire

1. 2.

Comme le beaujolais nouveau, la baguette et le béret basque, la rentrée littéraire est une exception française que le monde culturel entier ou presque nous envie. Il faut être fou ou Français pour concentrer la parution des livres sur une aussi courte période.

Même si le nombre de sorties, le plus bas depuis dix ans, reflète un malaise évident, ce phénomène qui se caractérise par une inflation de papier défie de façon réjouissante la crise économique, nargue la politique d’austérité du gouvernement et contredit un phénomène aussi naturel que la chute automnale des feuilles. D’ailleurs, on notera que les lauriers des prix littéraires se cueillent en novembre, juste avant les fêtes de Noël et sa tradition d’offrir un Goncourt non lu à une personne chère qui ne le lira pas non plus.

3.

À la différence des autres lecteurs occidentaux, le Français serait animé par une délicieuse vocation masochiste qui le pousse à acheter des livres brochés alors que financièrement délesté par les vacances, pris à la gorge par les urgences prosaïques de la rentrée, sommé par le corps enseignant d’acheter manuels scolaires et poches classiques, il ne dispose ni d’argent ni de temps. Une passion aussi gratuite ne peut être que gratifiante. 30

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BONNES RAISONS D’AIMER LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

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Par Franck Évrard, professeur de lettres et essayiste.

654 romans dont 435 français envahiront les librairies d’ici fin novembre. Ce tir groupé porte un nom : la rentrée littéraire. Comme personne n’échappera à ce tsunami livresque, voici 13 bonnes raisons de convertir une « ventrée » cauchemardesque en une réouverture lumineuse de l’esprit.

4.

Contrairement à certaines idées reçues, peu de libraires sont morts asphyxiés sous les tombereaux de livres reçus, aucun critique ne s’est vu puni de cécité à force d’envoyer des signaux de parution et de faire une promotion phare (le « flamboyant », « éblouissant » et presque aveuglant Du temps qu’on existait de Marien Defalvard, petit génie rimbaldien de 19 ans à la maturité proustienne), nul auteur de premier roman n’a encore ingéré de dépit un exemplaire de son opus. Faute d’être un blockbuster, ce dernier peut se consoler en devenant grâce à la magie du pilon un acteur du développement durable.

5.

La rentrée littéraire a la vertu de faire croire aux maisons d’éditions qu’elles sont encore des institutions culturelles, à la corporation déprimée des critiques professionnels que leur avis est un peu plus légitime que la critique émotionnelle et subjectiviste du « coup de cœur » qui fleurit dans les blogs et sur les post-it des libraires, et aux jurys des prix que leurs préférences pèsent sur la vie culturelle.

6.

Une rentrée 2011 qui fait voisiner Limonov d’Emmanuel Carrère - le portrait d’un aventurier, héros ou salaud - avec Le Système Victoria d’Éric Reinhardt - une interrogation sur les relations de la jouissance sexuelle avec le capitalisme et la mondialisation -, qui décline la mythologie rock et pop avec Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin et Hymne de Lydie Salvayre fascinée par le solo de Hendrix -, qui sonde la monstruosité engendrée par la société (le gang des Barbares) avec Tout, tout de suite de Morgan Sportès, ne peut être foncièrement mauvaise.

7.

Cette rentrée réserve aussi son lot de bonnes (Jean d’Ormesson n’est pas mort, le dernier roman de Frédéric Beigbeder n’est pas un roman !) et mauvaises nouvelles (Amélie Nothomb n’a pas épuisé ses fonds de tiroir !).

8. 9.

Comment être Américain (Freedom de Jonathan Franzen), Japonais (1Q84 de Haruki Murakami), Israélien (Une femme fuyant l’annonce de David Grossman) ? La rentrée littéraire française sera planétaire ou ne sera pas. Il semble que l’autofiction narcissique et cyniquement trash a définitivement disparu du paysage littéraire au profit d’écritures de l’intime explorant l’expérience du vide intérieur (O solitude de Catherine Millot) ou le voyage initiatique du corps souffrant (Son corps extrême de Régine Detambel).

CULTURE

11.

12.

10.

13.

La pléthore de livres en librairie conduit le lecteur à développer des stratégies de plus en plus subtiles. Parmi celles-ci, la « théorie de la page 99 » conçue par un éditeur anglais est assez radicale : « Ouvrez à la page 99 et toute sa qualité vous en sera révélée. » Beaucoup de livres surestimés risquent de tomber des mains. Pendant près de quatre mois, la littérature se glissera à la une des journaux, évinçant les dernières circonvolutions de l’affaire DSK, la saga des primaires socialistes et le dernier fait divers compassionnel. Les écrivains comédiens et martyrs joueront à être des écrivains dans les lucarnes et tout le reste ne sera que… réel.

Pour les auteurs habitant notre cher arrondissement, la rentrée littéraire parisienne a les yeux de Chimène. Après le Goncourt 2010 qui récompensait à juste titre Michel Houellebecq pour avoir immortalisé le Casino du boulevard Vincent Auriol, un prix pourrait revenir aux Souvenirs de David Foenkinos ou même à Clèves de Marie Darrieusecq, une ancienne habitante. Le 13e revient et c’est toujours le 13e.

À titre personnel, la rentrée littéraire des uns fait la sortie des autres, dont je fais partie. Finie l’heureuse période estivale où mon Érotique du tennis (Hermann) et mes Petits paradoxes à jouer et à déjouer (Carnets de l’info) qui avaient l’ambition de délier les neurones sur la plage, recueillaient quelques échos ! Mais tant pis, si je ne joue pas dans la cour des grands, j’ai aussi ma rentrée…des classes !

À CRISE GLOBALE, RÉPONSES LOCALES Par Virginie Tauzin Photographie Mathieu Génon

Alors que la rentrée littéraire s’étale sur des kilomètres dans les grandes enseignes que l’on dit atteintes de la crise du livre, les librairies indépendantes, comme ici dans le 13e, n’ont pas dit leur dernier mot. Il leur reste une arme infaillible : l’affection de leurs clients.

I

ci, tout pousse à la confidence : les allées étroites et les murs resserrés, l’éclairage subtil et enveloppant, le silence des livres fermés, leurs secrets que l’on imagine, et enfin le mot avenant d’un libraire qui aimerait vous les dévoiler. Le livre est en crise, certes. De récents chiffres nationaux le prouvent : durant la troisième semaine d’août,

l’activité a chuté de 16% par rapport à la même période l’année dernière. Mais, dans les librairies indépendantes du 13e arrondissement, si la baisse des ventes est générale, avec plus ou moins d’amplitude selon les années et les endroits, l’ambiance n’est pas à la panique. « Tant que la clientèle nous reste fidèle, nous sommes sauvés », assure une libraire. → 31


PORTRAIT

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PORTRAIT

King Ju du groupe Stupeflip

CELUI QUI SURGIT HORS DU SYSTÈME

Par Ornella Guyet Photographie Mathieu Génon

Sur scène, King Ju, chanteur du groupe punk-rap-conceptuel Stupeflip affiche des tenues excentriques et évolue dans un univers déjanté. Dans la vraie vie, Julien Barthélémy est un homme réservé, « solitaire » de son propre aveu. Enfant du 13e - un arrondissement qu’il a fini par détester -, nous l’avons rencontré autour d’un café, place d’Italie, à quelques semaines d’un concert à l’Olympia.

C’ SES DATES

l’ère du Stup », élément central de la mythologie de Stupeflip.

1968

1980

Naissance à Paris.

En 6e, le prof de physique de Julien convoque son père et lui dit « Monsieur Barthélémy, votre fils est sur une pente savonneuse ».

1972 Fondation du C.R.O.U, organisation mystérieuse dont le but est de « terroriser la population et par là même instaurer une nouvelle ère :

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1989 Julien joue dans un groupe de hard core-fusion, Apologize. Il se jure par la suite d’être son propre chef.

2000 Ses voisins font une pétition contre lui pour l’interdire de fêtes.

1987

2002

1er album de Public Enemy.

Premier album de Stupeflip.

est le courriel d’un fan qui nous a mis sur la piste : « J’ai appris tout à fait fortuitement que je suis voisin du chanteur du groupe Stupeflip, alias King Ju, Julien Barthélémy de son vrai patronyme. Stupeflip, si tu ne connais pas, est un groupe complètement déjanté, dont le style est assez indéfinissable («punk, rap et variété» indique Wikipedia, c’est assez proche en effet). » Diantre ! Il nous fallait vérifier ça. Rendez-vous pris, Julien arrive sans sa cagoule de super-héros King Ju - il nous conduira plus tard chez lui pour les photos - le regard caché derrière des lunettes noires et un tee-shirt affichant « Stupeflip » sur le torse. Certes, c’est un enfant du 13e, mais assez vite il déclare : « Après trente-huit ans passés ici, j’en ai ras-le-bol. J’en peux plus de ce quartier ! Tous mes copains se sont barrés sauf moi et à huit heures il n’y a plus rien. On est trop excentré, c’est encore la banlieue ici. » Il soupçonne en outre les gens de « voter Sarko » avant d’ajouter : « Vivement que les Chinois mangent tout le 13e, ça va devenir humain ! »

Accordant une grande importance à l’architecture dans son appréciation de l’arrondissement, Julien trouve celle du 13e plutôt laide, notamment parce qu’il n’y a quasiment « pas d’haussmannien ». Et d’affirmer : « Je fais de la musique pour sortir du 13e. »

ESPRIT PUNK ? La musique, justement, parlons-en. Notre fan poursuit sa missive : « En plus, lorsqu’on les définit comme héritiers de l’esprit « punk », je trouve que ça a vraiment du sens : ils se sont complètement grillés avec le système des labels et des majors, ils aiment cracher sur les « Fnacs à prix verts », ils ont fait n’importe quoi à la télé quand ils ont eu l’opportunité d’y passer, et sur scène, pour les avoir vu récemment, c’est l’anarchie ! Ils sont tellement punks et grillés qu’ils ont autoproduit leur dernier album en faisant un appel via leur site web à leurs fans pour le pré-financer. Une démarche alternative hyper intéressante : j’y ai souscrit et ai été parmi les 1 000 et quelques à avoir le privilège de posséder un collector de la première «pression» du dernier album. » → 39


SPORT

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SPORT

Par-dessus le périph’ — Vitry-sur-Seine

RUGBY : LES FILLES SE CRAMPONNENT

se sentir rassurées, en confiance, et cela nécessite d’être présent tout le temps. Et puis il peut y avoir des jalousies, donc l’entraîneur joue aussi le rôle du médiateur. » Pour des hommes, entraîner le sexe opposé possède, de plus, une limite évidente : « On ne peut pas entrer dans les vestiaires à n’importe quel moment ! », plaisante Guillaume. Pas de place à l’ambiguïté, donc. Au début de l’entraînement, Frédéric, lui, a lancé un : « Je suis à vous » aux filles. « Ca paraît anodin, mais j’ai immédiatement pensé que je devrai à l’avenir surveiller mon langage », dit-il, prudent.

À L’OVALIE

Dans l’ombre de leurs homologues masculins, vedettes de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, les filles s’adonnent à la pratique du rugby avec le même courage et les mêmes rêves de victoires. Reportage au petit club de Vitry-sur-Seine, à l’entame de la saison. Par Virginie Tauzin Photographies Mathieu Génon

É

milie, Amandine, Léo, Marie, Jennifer, Juliette et Cynthia. Ce jeudi 1er septembre, sept paires de chaussettes montantes sautillent, trépignent, se mêlent et s’entrechoquent. L’entraînement reprend à peine au stade Gabriel Péri de Vitry-sur-Seine. « Toutes n’ont pas encore attaqué la saison, ça va se faire au compte-gouttes », regrette le nouvel entraîneur, Frédéric Perrier. Mais pour celles qui sont là, pas question d’y aller mollo : deux heures de course et d’exercices rugbystiques, ce n’est pas ce qu’on appelle une reprise en douceur. « Je leur fais faire des exercices de mecs et il n’y en a pas une qui bronche », poursuit le coach, satisfait.

VITRY, RÉTROGRADÉ POUR INSUFFISANCE D’EFFECTIFS En 2007, lorsque la section féminine de l’ES Vitry est créée, forte des filles venues du Paris université club (PUC), le succès ne tarde pas. Championnes de France 2007-2008 de fédérale 2, l’équipe s’impose sur la scène nationale amateur. De quoi se sentir pousser des ailes. Pourtant, cette année, Vitry est rétrogradée en fédérale 3, pour insuffisance non pas de résultats, mais d’effectifs. Selon Frédéric 44

Perrier, il est très difficile de maintenir une équipe au haut niveau sur la durée : « On n’est pas à l’abri que l’une ou l’autre nous file entre les doigts, soit parce qu’à l’approche de la trentaine, elle veut faire un bébé, soit par lassitude ou dilettantisme. » Mais, fait-il remarquer : « J’entraînais les hommes la saison dernière et c’était pire, j’avais droit à toutes sortes d’excuses pour manquer la préparation ou les matches. » Au milieu du terrain, ce jour d’entraînement, pas de nonchalance palpable. Au rythme du sifflet, les séances sont intenses. Ça sue et ça souffre. « C’est demain que ça va être marrant, les filles, quand vous ne pourrez pas vous lever... », ironise Frédéric. En cette rentrée, deux nouvelles recrues gonflent l’effectif. Elles n’ont jamais pratiqué le rugby en club avant ce jour, mais tiennent le coup. « Je galère, je suis claquée, lâche Amandine entre deux grandes inspirations, mais ça fait du bien, ça défoule. » Pourquoi choisir le rugby pour se défouler ? « Je faisais de la natation avant, qui est un sport individuel, mais j’aime le rugby depuis longtemps et je me suis dit que ma force pourrait servir. »

Comme elle, deux autres novices vont, le mois prochain, pour le premier match de la saison - contre Castres à domicile -, directement plonger dans le bain de la compétition. « Ce qui est particulier avec les filles, explique Juliette Bolland, membre de l’équipe depuis les débuts (voir encadré), c’est qu’il n’existe pas ou peu de sections cadettes. Elles commencent donc tard, souvent après avoir pratiqué d’autres sports, et apprennent la technique en même temps qu’elles débutent dans la compétition. C’est du “sans transition”. »

« LE RUGBY A CHANGÉ MA VIE »

Juliette Bolland, (ballon à la main) à l’entraînement.

Juliette Bolland, 32 ans, est la doyenne de l’équipe de Vitry, qu’elle incarne, avec quelques autres, depuis la naissance de la section féminine.

FEMME/HOMME : MODE D’EMPLOI DIFFÉRENT Sur le bord du terrain, Guillaume Alberti observe. S’il affirme qu’il ne voit « pas des filles, mais des joueuses », le prédécesseur de Frédéric Perrier concède qu’entraîner des femmes est totalement différent des hommes : « Il faut tout anticiper avec elles. C’est comme aux échecs, il faut avoir dix coups d’avance. Elles posent tellement de questions... Julien Lepers à côté ce n’est rien ! » Sans compter le travail relationnel : « Elles ont besoin de

Le 13 du Mois : Votre ancien entraîneur dit de vous : « Elle est toujours là, été comme hiver, elle s’investit à 100%, a un super état d’esprit. C’est une hyper consciencieuse. » Juliette Bolland : Eh bien, j’aurais bien aimé entendre ça ! C’est vrai que je m’investis, je donne tout ce que j’ai quand je joue. Par attachement au club, mais aussi parce que c’est dans mon caractère. Je n’aime pas faire les choses à moitié. Une âme de leader ? Avant de faire du rugby, j’étais d’une timidité maladive. Ce sport a

Tous, joueuses et entraîneurs, s’accordent à dire qu’ils partagent les valeurs du rugby. Mouiller le maillot et aller au bout de soi-même sont des impératifs qui peuvent transcender les joueuses. « Sur l’aspect mental on peut en faire des mecs », lance Guillaume Alberti. Et quand le groupe est soudé, « on assiste à des miracles ». Après plusieurs récentes désaffections, l’ES Vitry espère la reformation d’un effectif complet, uni et désirant accomplir des merveilles, dans les plus brefs délais. À bonne entendeuse... " Coordonnées du club, ES Vitry rugby féminin, Stade Gabriel Péri, 94 rue Gabriel Péri, 94400 Vitry-sur-Seine

changé ma vie. Quand j’étais ado j’adorais le foot, mais maintenant ses valeurs me déplaisent. Le rugby féminin a-t-il de l’avenir ? On souffre d’une sous-médiatisation importante. Certains n’y croient pas vraiment, mais quand ils viennent voir, ils sont surpris de l’intensité que peut revêtir un match féminin, même si c’est un peu moins bourrin, moins rapide. Mais qui sait, peut-être qu’à l’image des filles au foot, les rugbywomen vont réaliser des exploits dans les grandes compétitions et voler la vedette aux hommes !

OÙ VOIR LA COUPE DU MONDE À 7H DU MAT’ ? Si certains envisagent de regarder les matches de la Coupe du monde depuis leur lit douillet, comptant sur les intonations de Bernard Laporte pour les maintenir éveillés, d’autres seront à coups sûrs levés à 6h du mat’, échauffement, concentration et tout, à regretter de pas être avec les « copaings » pour vivre ça. Dans le 13e, certains bars ont quand même eu la bonne idée, malgré l’heure matinale due aux 10 heures de décalage, de retransmettre les matches, et proposent de troquer la bière fraîche contre le croissant chaud. « Mais on fait marcher le fût quand même ! », prévient Babeth, du Village de la Butte, rue de la Butte-aux-Cailles. Ce bar-resto à la gloire du rugby et de son équipe, Clermont-Ferrand, ne loupe pas une miette de la compétition et sert des planches de charcuterie auvergnates dès l’aube. Au Shannon River, rue du Chevaleret, les formules petit-déjeuner et brunch sont assurées. Le bar ouvre dès 7h30 et diffuse les matches de l’équipe de France et tous les quarts de finale sur écran géant. Le Réveil-Matin, situé rue des Gobelins, est fermé le dimanche, mais pour tous les autres jours, c’est rugby. Enfin, The Frog & British Library, avenue de France, face à la BNF, retransmet les matches de la France et de l’Angleterre ainsi que tous les quarts, sauf ceux de 8h du matin le week-end - le bar ouvrant plus tard -. Croissants et pains au chocolat vous y attendent. Rappelons que les prochains matches de l’équipe de France auront lieu les dimanche 18 et samedi 24 septembre et 1er octobre. The Frog & British Library, 114 avenue de France, M° Bibliothèque François-Mitterrand Le Village de la Butte, 23 rue Butte-auxCailles, M° Corvisart Le Shannon River, 153 rue du Chevaleret, M° Chevaleret Le Réveil-Matin, 32 avenue des Gobelins, M° Gobelins

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LOISIRS

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Culture culinaire

Nguyen est censée avoir reproduit par traitement enzymatique la maturation des grains de café du rarissime café chon dans leur paquet « Legendee »... au goût effectivement très particulier. Il vous en coutera seulement une dizaine d’euros pour un paquet, rien à voir avec le vrai café chon qui atteint des sommets : il se vend autour de 5 000€ le kilo. Mais, loin de ces folies pécunières, vous pouvez aussi apprécier une tasse d’un

C’EST LA RENTRÉE :

CARBUREZ AU CAFÉ VIETNAMIEN ! Vous connaissiez peut-être le café turc : tout aussi fort, voici un café du continent asiatique, encore plus exotique… et très, très haut en couleurs ! Il est disponible dans les boutiques du 13e.

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ue l’on se rassure, ce ne sont pas les fantômes de l’Indochine qui viennent à nouveau hanter ces colonnes, mais bien plutôt les conséquences heureuses du mariage des cultures culinaires francaises et vietnamiennes. Car ce sont à nouveau les Français qui sont à l’origine du mot vietnamien ca phé et de l’implantation de ce produit agricole venant d’Afrique, au cours du 19e siècle. Auparavant, les colons hollandais avaient certes introduit la culture du café en Asie dans leurs plantations d’Indonésie pour répondre à une demande en constante augmentation. Aujourd’hui, le Vietnam, qui est devenu deuxième producteur mondial derrière le Brésil, ne jouit curieusement que d’une renommée confidentielle en la matière. 46

Précisons qu’en raison des coûts et des conditions locales - altitude, moindre entretien -, c’est le café robusta qui a été développé en lieu et place de l’arabica. Il faut savoir que le robusta en vrac est destiné directement à l’industrie agroalimentaire car il est réputé plus amer et moins gouteux (22 chromosomes contre 44 pour l’arabica). D’où l’absence de référence aux hauts plateaux du centre du Vietnam dans les grands crus mondiaux.

UN CAFÉ CACA…OTÉ C’est à ce moment là qu’un animal providentiel va intervenir pour soutenir partiellement la cause du café vietnamien : la civette palmiste. Elle raffole des fèves de café et a pu pendant longtemps s’en repaître à loisir car les agriculteurs indonésiens travaillant dans les plantations des colons hollandais avaient

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breuvage plus classique car le Vietnam a beaucoup progressé dans la qualité de ses moutures, souvent des mélanges de robusta, d’arabica et de moka avec un goût de chocolat très agréable. Pour ce faire, il vous faudra déguster le café « à la vietnamienne », c’est-à-dire en respectant toutes les petites subtilités qui lui donne son caractère inimitable : il faut sacrifier, entre autres, au rite du petit système de filtre en métal indi-

viduel, contrebalancer la force du café par la douceur du lait concentré sucré. Mais n’hésitez pas à préparer un café provenant du Vietnam, même sans ces petites cafetières filtres qui assurent le folklore, votre machine habituelle fera presque - aussi bien le travail ! Ainsi, en attendant un jour de goûter au café chon si particulier, vous pouvez d’ores et déjà apprécier les saveurs insoupçonnées de l’or noir vietnamien.

PRÉPARATION :

Selon les tous derniers chiffres du Département américain de l’Agriculture, le Brésil est le premier producteur de café au monde avec 54 500 sacs. Bien que loin derrière, le Vietnam avec 18 725 sacs (97 % de robusta) n’en est pas moins deuxième. Le trio de tête est complété par la Colombie (9 500 sacs) devant l’Indonésie.

— ÉTAPE 1 —

INGRÉDIENTS POUR 1 CAFÉ interdiction de ramasser les baies de café pour leur propre consommation. S’étant aperçus que des animaux sauvages comme la civette, un lointain parent du chat, avalaient les fèves et les rejetaient presque entières dans leurs déjections, les paysans recueillaient ce café « spécial » (café kopi luwak) dont l’ingestion révèle les subtiles saveurs de sa fermentation unique, sans rentrer dans les détails, rubrique culinaire oblige ! Son goût exceptionnel en fait aujourd’hui le café le plus cher au monde. À l’instar de leurs voisins indonésiens, les Vietnamiens se sont à leur tour emparés du phénomène pour produire avec l’aide de civettes palmistes le café chon, dont la rareté et le prix ont incité des entreprises privées à tenter d’en reproduire chimiquement la fermentation. Ainsi, la marque vietnamienne Trung

LOISIRS

Verser au fond de chaque tasse du lait concentré sucré. Faire bouillir de l’eau et préparer une tasse en dévissant le filtre à café que vous mettrez au-dessus. Il y a à l’intérieur de ce filtre en métal individuel un système de vis pour emprisonner le café moulu quand l’eau est versée. Remplir ce filtre de café et revisser légèrement puis ajouter un peu d’eau chaude pour humidifier la mouture. Verser ensuite petit à petit le reste de l’eau et fermer avec le couvercle. :

1,5 cuillère à soupe de café vietnamien 1,5 cuillère à soupe de lait concentré sucré 1,5 tasse d’eau bouillante. Matériel : filtres à café vietnamiens

— ÉTAPE 2 —

Le café va s’écouler lentement et, pour maintenir la tasse bien chaude, on peut la mettre dans un bol rempli d’eau bouillante. Quand le café est passé, une variante est de le laisser refroidir puis d’y ajouter des glaçons en remuant bien dans un verre pour mélanger le lait concentré, le café et la glace. Vous pouvez aussi ne pas mettre de lait concentré mais attention au café qui ressemblera à du concentré et à la teneur en caféine très élevée dans le robusta.

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