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Le salutaire retour des nations

Pour le philosophe, non seulement la nation est à distinguer du nationalisme, mais elle peut encore constituer le socle d’un projet politique progressiste écologique et social. Par Henri PENA-RUIZ

Henri Pena-Ruiz maître de conférence à l'institut d'études politiques de Paris.

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Révolutionnaire et progressiste au moment de la bataille de Valmy (20 septembre 1792), la nation a subi une véritable malédiction idéologique après les deux guerres mondiales du XXe siècle. Quelles représentations s'affrontaient ainsi ? Dans le premier cas, la nation manifestait l'émergence de la souveraineté populaire comme refondation égalitaire et libertaire de la puissance publique. D'où sa valorisation progressiste. Dans le second cas, elle attestait une dérive dite nationaliste, où l'affirmation d'un soi collectif se serait faite à travers le rejet de l'autre. D'où sa disqualification aveugle. Pourtant, lors du processus de décolonisation, les mouvements de libération nationale, comme leur nom l'indique, ont redonné sens et vertu à la nation. Restitués à leur souveraineté, les pays décolonisés ont goûté cette liberté qui valait autodétermination et se sont affirmés comme nations indépendantes, affranchies de toute tutelle. La souveraineté, un pôle de résistance

Mais voilà que la mondialisation capitaliste fait apparaître un cosmopolitisme néolibéral qui s'acharne à détruire les nations souveraines dès lors qu'elles maintiennent des régulations économiques et sociales dans leurs périmètres respectifs. La nation reprend alors des couleurs, non comme entresoi porteur d'exclusion mais comme lieu et vecteur de souveraineté populaire, capable de résister à la destruction des droits sociaux. Comme on le sait, l'internationale des capitaux n'a d'égard que pour la hausse des actions en Bourse. Elle externalise tout ce qui concerne le souci de l'humain, la solidarité sociale et le respect de la nature. N'en déplaise à ceux qui s'en tiennent à une disqualification obscurantiste de la nation, il devient alors révolutionnaire de réaffirmer les souverainetés nationales, pôles de résistance à la déshumanisation financière de l'économie. La souveraineté populaire promeut alors la dimension sociale de l'économie, allant jusqu'à la prise de mesures protectionnistes, pour mettre en échec le nivellement par le bas du coût du travail.

Faut-il pour autant renoncer à tout horizon internationaliste et cosmopolitique ? Évidemment non. Déjà, au XVIIIe siècle, un philosophe de langue allemande, Kant, a plaidé pour la conciliation possible entre un nationalisme ouvert et un internationalisme cosmopolite conçu comme construction de rapports de droit et non de force entre les nations.

Il a même invité à une hospitalité universelle dont le sens humanitaire ne contredit nullement la souveraineté nationale. De son côté, Fichte, auteur, en 1807, du célèbre Discours à la nation allemande, dans lequel il appelait à la résistance à Napoléon, n'a pas renoncé pour autant à l'universalisme, ni aux principes émancipateurs de la Révolution française. Plus tard, Marx luimême, dans les statuts rédigés en 1864 pour l'Association internationale des travailleurs, invitera les prolétaires à s'organiser d'abord sur des bases nationales puis à définir des convergences internationales dans la conquête des droits sociaux, à rebours d'un capitalisme en voie de mondialisation.

De nouvelles formes de lutte à inventer

C'est pourquoi le « retour des nations » n'est pas nécessairement celui des nationalismes d'exclusion, mais il est aussi celui d'entités propres à réguler le capitalisme des multinationales. Un tel retour est souhaitable dès lors qu'il va dans ce sens. La réhabilitation des souverainetés populaires est essentielle pour réguler le capitalisme mondialisé en Tempérant sa soif de profit. Par exemple, il s'agit de le forcer d'un même mouvement à se plier à une authentique transition écologique, mais aussi à une refondation sociale afin de mettre un terme au développement vertigineux des inégalités entre les revenus du travail et ceux du capital. Pour cela, de nouvelles formes de luttes internationales sont sans doute à inventer, mais il faut rompre avec la disqualification de la souveraineté populaire dont la souveraineté nationale reste une manifestation majeure. Dernier ouvrage paru : Karl Marx, penseur de l'écologie, Seuil, 2018.

Marianne – 23 au 26 novembre 2020