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LA FLEXIBILITÉ DE DÉROGER

Par Jean-Benoît Nadeau

À huit ans, l’honorable Alexandre Bien-Aimé, BCL/LLB’10, rêvait déjà d’être avocat.

« Mon idée était remplie des clichés de la télé, mais je trouvais ça stimulant », confie-t-il. Convaincu qu’il fera du droit pénal longtemps avant son entrée à la faculté de droit de l’Université McGill, le jeune Alexandre lit les biographies de criminalistes flamboyants et de juges.

« Je ne connaissais aucun avocat et c’était ma manière de découvrir leur quotidien. »

Nommé juge à la Cour supérieure du Québec à 35 ans en février 2023, Alexandre Bien-Aimé est certes l’un des plus jeunes juges à accéder à ce tribunal au Québec. « Mais, tient-il à préciser, je ne suis pas la première personne noire. J’ai deux prédécesseures, Marie-Hélène Dubé et Guylène Beaugé. »

De ses années à McGill, il a gagné de solides amitiés parmi la communauté étudiante et l’administration. Il cite également un conseil inoubliable formulé par Charmaine Lyn, doyenne adjointe à l’époque :

« Elle m’a dit de rester ouvert et d’avoir la flexibilité pour déroger de mon plan. » Et c’est ainsi que le jeune Alexandre, qui avait hâte de commencer une pratique en droit criminel, s’est permis quelques détours formateurs comme auxiliaire juridique auprès de l’hon. Thomas A. Cromwell à la Cour suprême du Canada, avant de faire une maîtrise en droit à Harvard. Ces expériences lui ont permis de se familiariser avec une pluralité d’environnements. Le hasard des rencontres l’a amené à travailler à Trinité-et-Tobago — où la peine de mort teinte encore le droit. L’été entre sa troisième et quatrième année d’études en droit, il prend la direction de New York et découvre la pratique juridique à une nouvelle échelle : « J’ai été impressionné par la fréquence à laquelle se présentaient des dossiers gargantuesques, mobilisant des dizaines de juristes » se souvient-il. Quelques années plus tard, après son admission au Barreau du Québec, il deviendra d’ailleurs membre du Barreau de New York.

« J’ai eu accès à des collègues généreux qui m’ont permis de me développer très vite », souligne Alexandre Bien-Aimé. Avant d’avoir célébré ses trente ans, le juriste agit déjà comme avocat principal dans des dossiers d’envergure. Le regretté Richard Shadley [BCL’63], criminaliste de grand renom, lui propose alors de se joindre à lui comme associé. Leur association permet à Alexandre Bien-Aimé d’accéder beaucoup plus tôt que d’usage à un nouveau chapitre de sa carrière, où il se retrouve intimement impliqué dans la croissance et le rayonnement d’un cabinet.

Aussi fulgurante que puisse sembler la progression de sa carrière, elle n’en a pas été linéaire pour autant. « J’ai aussi connu mon lot d’échecs : des dossiers que j’étais certain de gagner, des emplois que j’étais certain d’obtenir », raconte le nouveau magistrat. Il s’inquiète de percevoir chez les étudiantes et étudiants une grande anxiété pour la réussite rapide alimentée par la peur de l’échec. « Le succès ne suit pas nécessairement une ligne droite. L’échec du plan A ne signifie pas la fin du parcours. Et c’est souvent le plan B, survenu à la dernière minute, qui est la bonne voie. Mais le plus drôle là-dedans, c’est qu’on n’aurait pas découvert le plan B si on n’était pas passé par le plan A. Et il y a de la beauté dans la découverte de son chemin. »

Conscient de la portée symbolique de sa nomination, Alexandre Bien-Aimé tient néanmoins à réduire les attentes. Nommé juge seulement 13 ans après son accession au barreau, il ne veut surtout pas laisser son âge le distraire. « C’est le travail qui parle. Je ferai le meilleur travail possible. » Et le travail, il connaît. À son retour des États-Unis en 2016, il avait assumé une charge de cours à la Faculté de droit tout en développant et en cosignant un ouvrage didactique sur la procédure pénale (Criminal Procedure: Cases and Materials).

Ancien vice-président du chapitre québécois de l’Association des avocats noirs du Canada, Alexandre Bien-Aimé croit à l’importance de la diversité dans nos institutions et y voit, comme le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner, un lien avec la santé de la démocratie. Pour le reste, il se fait cependant plus circonspect: « Comme juge, on est censé parler par la voix de nos jugements et c’est ce que j’ai l’intention de faire. »

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