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Au programme : IMMERSION EN GESTION DE CLIENTÈLE
Par Jean-Benoît Nadeau
En première année du programme BCL/JD, chaque session commence par une « semaine d’intégration », réservée à des capsules de formation intensives.
La grande nouveauté de l’hiver 2023 aura été une formation sur la gestion des clientèles vulnérables, offerte aux 180 membres de la cohorte de première année. « En trois jours, on leur a fait survoler ce que les études en travail social enseignent en trois ans », dit l’organisatrice du programme, la professeure Alicia Boatswain-Kyte de l’École de travail social de McGill.

L’idée en revient au doyen de la faculté de droit, Robert Leckey, qui cherchait depuis plusieurs années un moyen de sortir les étudiantes et étudiants de l’abstrait. « La formation médicale appuie beaucoup sur l’interaction avec le patient. Les facultés de droit, bizarrement, sont moins dans l’humain. Or, la pratique du métier d’avocat, elle, se fait rarement dans une catégorie juridique pure. Et elle déborde souvent sur autre chose que le droit. »
Zola Leslie Mbimbi, étudiante en première année, a adoré l’expérience. « Les travailleurs sociaux, on va les côtoyer durant toute notre carrière. C’était passionnant de voir l’arrière-boutique. Comment se disent les choses. Comment ils regardent. Comment ils travaillent la relation. » Celle qui a fondé en 2019 sa propre boîte de consultante en immigration, Inside Immigration, croit que les juristes se doivent d’être agiles et capables de s’adapter. « Ce que nous avons appris avec les clientèles les plus vulnérables s’appliquerait dans presque toutes les situations à des degrés divers. »
Le programme était composé de quelques séances plénières, d’ateliers en sous-groupes animés par des travailleurs sociaux et de visites de centres, telle la Ligne AAA contre la maltraitance des personnes âgées, un refuge pour les femmes violentées, la Mission Old Brewery et Chez Doris pour les personnes en situation d’itinérance, la Chambre de la Jeunesse de la Cour du Québec, et la Société John Howard pour les personnes incarcérées.
Les ateliers, construits autour d’études de cas, visaient à développer les compétences d’écoute active et d’empathie afin d’accueillir et mettre à l’aise la clientèle. « On voulait que nos participantes et participants comprennent aussi comment réagir quand on reçoit des témoignages très chargés. Quand est-ce qu’on consulte, qu’on réfère ? » explique la professeure et travailleuse sociale. Elle avait également demandé au personnel des centres d’aides de ne pas se gêner de partager ses frustrations devant la machine juridique, notamment le manque de soutien, d’accès, d’accompagnement et aussi la déshumanisation de la pratique.
Pour un avocat, qui se perçoit comme l’expert, c’est un changement de paradigme.
Tant l’étudiante que le doyen ont été fascinés par l’idée maîtresse de ce cours pratique : le client comme expert. « Pour un avocat, qui se perçoit comme l’expert, c’est un changement de paradigme », dit le doyen Leckey. « La grande aptitude des travailleurs sociaux, c’est l’écoute et le respect. Leur rôle est d’accompagner la personne pour l’amener à prendre la décision par et pour elle-même. » Zola Leslie Mbimbi a trouvé elle aussi cette idée très forte : « La personne qui vit la situation peut juger de ce qui est le meilleur. L’avocat, là-dedans, agit comme support. »

La plénière sur la pleine conscience (mindfulness) était un autre volet qui a impressionné les juristes en devenir. « Les clients en difficulté exigent beaucoup de la personne qui les aide. La demande émotionnelle peut être considérable. Il faut apprendre à gérer des émotions qui peuvent se manifester de toutes les manières », dit le doyen Leckey. « Les travailleurs sociaux sont entraînés à la pleine conscience, et j’en vois l’utilité dans une profession où l’on est très peu enclin à montrer ses vulnérabilités. »
Alicia Boatswain-Kyte, elle, a été surprise par le niveau d’intérêt des étudiantes et étudiants. « Beaucoup nous ont dit que ce cours avait été marquant pour eux. Les juristes ne se destinent pas tous au droit commercial, et certains sont là pour le social, pour l’aide juridique », dit la professeure.
Après le franc succès de cette première édition, le doyen Robert Leckey promet que l’expérience se répétera au pavillon Chancellor-Day. « Le sujet reviendra dans une forme ou l’autre, j’en suis sûr. »