L'ARCHITECTURE DE LA COLLECTIVITÉ

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L’ARCHITECTURE DE LA COLLECTIVITÉ

Laurie BARTELDT École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble 2019

Atelier encadré par Mougib El Rahman Aboamer Responsable de l’enseignement : Théa Manola

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Photographie de couverture : De Biasi Mario, « Pattinatori » (Skaters), 1953 3


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AVANT PROPOS

Si je devais me décrire en un mot, je choisirai le mot Art. Je pense que c’est la base de ma construction personnelle, de mon moi intérieur. J’ai toujours entretenu une relation proche avec l’Art en général, dans toutes ses formes, jusqu’à l’encrage de ces lettres dans ma peau. Née dans une famille d’artistes, j’ai été bercée par le dessin, la peinture, et toutes les autres disciplines artistiques qui s’en rapprochent de près ou de loin, grâce à ma mère, mes grands-parents et ma soeur. Notre relation débute lors de cette fameuse hospitalisation que j’ai vécu lorsque j’étais bébé, que ma mère me raconte depuis toujours. Hospitalisée à l’âge de 2 ans, ma mère demandait à un infirmier de m’apporter une feuille et des crayons pour que je puisse m’occuper dans ma chambre, ce à quoi il lui avait répondu que ce n’était pas la peine, « à cet âge là, ça ne dessine pas un enfant ». Ma mère insistait, réussissait à avoir ces crayons et cette feuille blanche, et voilà que du haut de mes deux ans je réalisais un dessin devant le regard perplexe du personnel de l’hôpital. Le dessin a toujours été pour moi une manière de m’exprimer, avant même que je ne sache faire de vraies phrases je racontais des histoires du bout de mes doigts. En grandissant aux côtés de ma soeur cadette, artiste quand elle en a la patience, j’ai appris à observer attentivement le monde qui m’entoure. L’Art a commencé à se manifester sous d’autres formes, principalement par la photographie vers mes 10 ans. Quelle bonne idée a eu ma famille de m’offrir un appareil photo compact et une imprimante. Je me rappelle exactement de ces objets, tant dans leur esthétique que dans leur fonctionnement, qui ont réellement changé ma vision des choses. À l’adolescence, je me suis vraiment investie dans la photographie, qui avait même pris le dessus sur le dessin. J’aimais photographier les fleurs de très près, capter les expressions des visages. Je passais du temps dehors seule, à observer le monde et ses plus infimes recoins, à composer mes tableaux et à créer de réelles scénographies pour pouvoir capturer des instants. Je m’extasiais devant la beauté de la nature que j’observais à travers mon objectif, puis sur mon écran d’ordinateur lorsque je retouchais mes clichés. À ce moment-là, je faisais sans me rendre compte un grand travail sur moi-même et sur mon ouverture d’esprit, chose que j’estime essentielle à la construction personnelle. Ce que j’aime dans la retouche d’image, c’est créer de nouveaux univers grâce aux couleurs, à la lumière, qui sont une manière de transmettre ma vision du monde, tout comme le dessin.

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Figure 1. Un de mes premiers clichés, pris lors d’un spectacle de cirque en 2013. Cette image est sans doute celle que je préfère dans ma collection personnelle. C’est un instant, une émotion, une ambiance spécifiques qui créent cette image. On peut voir l’innocence et la stupéfaction de cet enfant à cet instant précis, tout petit face à l’immensité du spectacle qui se déroule autour de lui, comme s’il était spectateur du temps qui s’écoule devant ses yeux. Cette image raconte une histoire et transmet une émotion forte, et c’est pour cela que j’aime la photographie.

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Durant la même période, ma vie a été ponctuée par divers déménagements. Mes parents étant séparés depuis mes 5 ans, ma soeur et moi avons vécu dans différentes familles, plus ou moins grandes, aux côtés d’enfants à qui nous nous sommes beaucoup attachées. À l’âge de 14 ans, nous emménagions dans une grande maison de campagne dans mon village natal, celle de ma nourrice que je côtoyais depuis la séparation de mes parents. Il y avait déjà 5 enfants dans ce foyer, et nous sommes venues nous rajouter à l’équation. Voilà que nous formions une grande famille de 9 personnes. J’apprenais à vivre avec les autres, à partager mes lieux de vies, et je m’adaptais facilement à ce mode de vie collectif où je me sentais bien. Pour ma soeur, tout ne se passait pas aussi bien, et pourtant nous avions le même parcours, et nous partagions les mêmes lieux et rythme de vie. Sur le coup, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi elle ne vivait pas cette vie collective aussi bien que moi, pourquoi avec les mêmes ingrédients nous n’avions pas le même résultat. C’est une question qui m’a suivi tout au long de mon adolescence, et même encore maintenant. Cet emménagement a été initié par la grossesse de mon ancienne nourrice, qui donna naissance à notre petit frère en décembre 2012. Une nouvelle séparation vient rythmer mon quotidien deux ans plus tard, lorsque mon père décidait de quitter ce foyer. Ce changement a été très brutal pour moi et m’a beaucoup touchée, à tel point qu’il m’était impossible d’envisager ma vie sans ces enfants qui étaient devenus mes frères et soeurs. Aujourd’hui, cette séparation ne m’a pas empêché de garder une relation fraternelle avec ces personnes, qui font toujours partie intégrante de mon quotidien. J’étais une nouvelle fois contrainte de m’adapter à un nouveau mode de vie, seule avec mon père et mon frère, puisque ma soeur décida d’aller vivre chez notre mère. C’est à ce moment-là que je développe une grande autonomie que ce soit dans ma vie personnelle ou au lycée, en m’occupant autant que je peux de mon petit frère et en travaillant le reste du temps pour obtenir mon baccalauréat. Cette période de ma vie est à l’origine du besoin d’indépendance que je ressens au quotidien. Lorsqu’il a fallu commencer à travailler, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateurs) pour travailler auprès des enfants. J’avais ce besoin de travailler au contact des autres, d’avoir un lien social et de me sentir utile et responsable. La formation d’animateur a eu une influence très importante sur ma manière de travailler, de m’organiser et de réfléchir en collectivité. Les méthodes de travail étaient très riches, ludiques, participatives et extrêmement efficaces. En une semaine, nous avions réussi à créer une réelle cohésion de groupe qui nous a poussé à aller plus loin, à travailler plus et à fournir un travail plus qualitatif. Durant cette semaine, nous avons appris à vivre tous ensemble dans tous les temps de la vie quotidienne, avec des personnes que nous ne connaissions pas. Ce qui ne nous a pas empêché de nouer des liens riches et forts, qui m’ont aidé à prendre confiance en moi et à me connaitre un peu mieux. Je commençais à comprendre ce que peut nous apporter la collectivité, et je n’avais qu’une envie c’était d’apprendre encore et encore de cette intelligence collective. La dernière expérience marquante qui constitue la femme que je suis aujourd’hui est mon dernier voyage à Amsterdam. En compagnie de mes amis les plus proches, je suis partie à la découverte de cette ville merveilleuse, féérique, pleine de charme et propice à l’imaginaire. Ce voyage est arrivé à un moment de ma vie où j’avais besoin de me retrouver avec moi-même, de me ressourcer pour mieux repartir, et ce fût chose faite. Merci à mes amis de me pousser à faire mieux chaque seconde, et merci Amsterdam pour toutes les leçons que tu m’as apprises.

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SOMMAIRE

Introduction L’ARCHITECTURE EST UN OUTIL QUI FACILITE LA VIE QUOTIDIENNE ET COLLECTIVE

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LA NOTION D’HABITER COMME BESOIN PRIMAIRE DE L’HOMME introduction : La notion d’habiter 1.1 Les besoins de l’Homme et les facteurs du bien-être 1.2 Les enjeux sociaux de l’habitat à plusieurs échelles

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L’ARCHITECTURE RÉPOND AUX BESOINS DE LA COLLECTIVITÉ introduction : La collectivité en architecture 2.1 La vie collective est un outil de développement humain 2.2 Les moyens architecturaux qui permettent l’épanouissement collectif

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L’APPROPRIATION DE L’ESPACE ET LE BIEN-ÊTRE introduction : L’appropriation de l’espace en architecture 3.1 L’appropriation par l’architecture vernaculaire et l’architecture participative 3.2 Le bien-être remis en question (cas de l’Arlequin à Grenoble)

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Conclusion LA CONCEPTION ARCHITECTURALE : UNE RESPONSABILITÉ SOCIALE ET GÉNÉRATRICE DE BONHEUR QUOTIDIEN page 34

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Introduction

L’ARCHITECTURE COMME OUTIL POUR FACILITER LA VIE QUOTIDIENNE ET COLLECTIVE

Qu’est-ce que la vie quotidienne ? La vie quotidienne, c’est celle que l’on arpente tous les jours, de notre premier jusqu’à notre dernier souffle. C’est celle que l’on apprécie parfois pour son train train journalier qui nous rend heureux, ou bien celle que l’on déteste pour ses aléas malencontreux. Selon comme nous décidons de la prendre, elle peut être banale ou bien extraordinaire. En d’autres termes plus scientifiques, le mot quotidien est un dérivé du latin quotidie qui signifie « chaque jour ». Parler du quotidien, c’est parler de ce qu’il se passe chaque jour, de ce qui se répète quotidiennement. Ce sont nos habitudes, nos repères qui rythment nos journées. Le quotidien est pour chacun subjectif, car c’est la manière dont nous nous approprions les journées. Comme l’exprime le célèbre proverbe « métro, boulot, dodo », notre quotidien se forme de nos expériences de tous les jours. Une personne qui travaille est régulée par son activité professionnelle et sa vie de famille, où elle répétera les mêmes actions chaque jour du moment où elle se lève jusqu’à ce qu’elle aille se coucher. Ces habitudes nous suivent toute notre vie, mais sont différentes pour chacune de ses étapes. Un enfant n’aura pas le même quotidien qu’un adolescent, qui n’aura pas le même quotidien qu’un adulte, qu’un retraité, etc. La vie quotidienne répond au besoin primaire de l’Homme de se situer dans le temps, d’avoir des repères temporels qui le rassurent et qui instaurent un rythme de vie. « Le quotidien est le tout premier monde, celui qui nous a été donné d’éprouver dès notre première expérience et que nous n’avons jamais cessé depuis lors de parcourir et de connaître. Nul homme ne peut vivre s’il ne vit quotidiennement. »2. L’Homme qui vit sans habitudes n’a pas une santé mentale et physique épanouie car il n’a pas de base stable sur 2

Bégout Bruce, « Lieu Commun, le motel américain », éditions Allia, 2011, p9. 10


laquelle se reposer. Il est craintif, a peur du lendemain, ne sait pas de quoi demain sera fait. Sans dire que le quotidien exclu toute forme de dérive dans l’habitude, l’Homme a parfois besoin de rebondissements, de moments d’émotions forts pour éviter une certaine monotonie qui risquerai de devenir lassante. Cependant, pour les accueillir avec sérénité, il a d’abord besoin d’avoir des bases stables et sures. Mais l’être humain a également besoin de repères spatiaux pour avoir une vie stable et évoluer de manière constructive. Ces repères spatiaux rythment notre quotidien au même titre que nos habitudes ; ce sont nos logements, nos espaces personnels comme les chambres, mais aussi les lieux que nous fréquentons régulièrement comme le travail, l’école, etc. Le besoin d’habiter chez l’Homme s’est toujours manifesté et est essentiel à sa survie. Avec l’arrivée de la civilisation et de la société, l’Homme a de plus en plus développé un besoin dérivé de celui d’habiter : l’intimité. Progressivement, les espaces privés et intimes apparaissent et finissent par devenir essentiels, puisque nous avons besoin de temps où nous nous retrouvons seuls, en petite autarcie pour ensuite apprécié la vie collective et le contact avec les autres. C’est à ce besoin primaire que répond l’architecture de manière temporaire ou pérenne. Non seulement ponctuée par des repères temporels et spatiaux, la vie quotidienne de l’Homme est aussi influencée par un autre besoin qui lui est primaire : la société. En effet, l’être humain n’est pas constitué pour vivre reclus et solitaire, mais pour évoluer au contact de la société. Ce phénomène que nous appelons communément la société est concrètement illustré par la collectivité, ou bien le vivre ensemble qui consiste en « la capacité […] des habitants à partager harmonieusement leur lieu de vie »3. Nous sommes tous amenés à côtoyer la collectivité depuis toujours, en famille, à l’école, au travail et même dans la rue. Dès le plus jeune âge on nous habitue à vivre en société et ce jusqu’à la fin de notre vie malgré nous, avec des personnes que l’on ne connait pas forcément. C’est un phénomène qui nous touche tous au quotidien, auquel nous sommes soumis depuis toujours. C’est aussi une manière pour l’Homme de se développer intellectuellement grâce à l’intelligence collective, qui consiste à réfléchir à plusieurs et à nourrir sa propre réflexion de celle des autres pour aller plus loin, plus rapidement. En vivant en autarcie, nous développons une autre forme d’intelligence plus primitive et moins moderne, qui n’évoluera pas avec son temps. La collectivité participe alors de la santé publique, qu’elle soit mentale ou physique, et il est donc essentiel qu’un cadre de vie sain soit instauré autour de la collectivité. De cette réflexion découlent plusieurs questionnements auxquels nous allons répondre dans le développement qui va suivre. Comment la vie quotidienne est-elle influencée par la vie en collectivité ? Qu’est-ce qu’un cadre de vie sain et le vivre-ensemble ? Ou bien encore qu’est-ce que l’architecture a à apporter à la vie quotidienne collective et comment l’influence-t-elle ? Il va donc s’agir de comprendre quels sont les besoins de l’Homme au quotidien en tant qu’individu, puis en tant que faisant partie d’une collectivité. Nous définirons également les facteurs nécessaires au bien-être individuel et collectif. Dans un premier temps, nous explorerons la notion d’Habiter en tant que besoin primaire de l’Homme. Puis, dans un second temps, l’architecture viendra comme une réponse aux enjeux que soulèvent la collectivité. Pour terminer, nous aborderons la notion d’appropriation de l’espace comme moyen qui permet le bien-être.

« Vivre ensemble », brochure préparée par le Conseil de l’Europe dirigé par Yasha Lange, avril 2009, p.56. 3

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1 LA NOTION D’HABITER COMME BESOIN PRIMAIRE DE L’HOMME

Ce qui relie l’homme à sa demeure, c’est l’action d’habiter. Depuis toujours, l’Homme s’est instinctivement construit des abris, des refuges, de manière à se protéger de tous les dangers tels que les intempéries ou les prédateurs. Ce nid qu’il se confectionne est pour lui un repère spatial qui lui permet de vivre, d’être rassuré et d’avoir une vie privée. L’habitat est un lieu propice à l’appropriation, qui est souvent le reflet de la personnalité de son propriétaire. Ce phénomène est observé depuis l’apparition de la vie sur Terre, bien avant celle de l’Homme. L’être humain, comme tout animal sociable, s’est approprié l’habitat et en a rapidement fait un logement évolutif. Pour habiter un lieu, il faut avoir un domicile fixe, y résider et y vivre de manière permanente et habituelle. On habite un espace lorsque l’on a l’habitude de s’y rendre régulièrement voire quotidiennement. L’Homme organise le milieu où il vit de manière à s’y sentir chez lui, et c’est ce qu’on appelle communément l’habitat. En clair, c’est l’ensemble des conditions relatives au logement, à l’habitation. Le philosophe Martin Heidegger énonce sa propre définition de la notion d’habiter dans sa conférence « Bâtir, habiter, penser » le 5 août 1951, qui lui permet de construire une réflexion sur la conscience du monde et la conscience de soi. Selon lui, habiter c’est prendre soin du monde qui nous entoure et être attentif à celui-ci en le cultivant. Avoir conscience d’habiter c’est ménager notre environnement en ayant conscience qu’il existe, pour que nous puissions nous l’approprier.

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LES BESOINS DE L’HOMME ET LES FACTEURS DU BIEN-ÊTRE Qu’est-ce qu’un besoin, et quels sont ceux qui sont propres à l’Homme ? Un besoin est un manque ressenti comme une nécessité. Il peut-être aussi bien mental, physique que social. Un besoin est une envie qu’il est nécessaire de satisfaire pour permettre à l’Homme de vivre et de se développer : c’est ce que l’on appelle les besoins vitaux. Afin d’identifier les besoins qui sont propres à l’Homme, nous allons nous appuyez sur les recherches du psychologue et humaniste américain Abraham Maslow. Il développe une théorie sur les besoins fondamentaux dans laquelle il affirme qu’il en existe 5, hiérarchisés dans la pyramide qui suit :

Accomplissement personnel

Estime personnelle et des autres (respect, confiance)

Besoins sociaux (amour, amitiés appartenance, intimité)

Sécurité (du corps, de l’emploi, de la santé, de la propriété)

Besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer,…)

Figure 2. La pyramide de hiérarchie des besoins selon Maslow, graphisme par l’auteur, inspiré de Fabrice Renault dans « Les besoins fondamentaux de l’être humain », 21 avril 2019.

Comme toute pyramide, celle-ci repose sur une base solide qui sont les besoins vitaux. Ceux-ci rassemblent tous les besoins dit physiologiques comme « la faim, la soif,

l’élimination, le maintien de la température corporelle, la respiration, le logement, le sommeil, la sexualité » (Renault Fabrice, 2015). La satisfaction de ces derniers est

nécessaire à la survie et arrive donc en premier lieu, avant les besoins psychologiques. Chaque étage correspond à un niveau de besoin, et pour atteindre le haut de la pyramide, il faut franchir les étapes et donc assouvir les besoins de niveau 1, puis de niveau 2, etc. Le besoin de sécurité nécessite un environnement familial et social stable, calme et régulé. C’est ici qu’intervient le quotidien, qui ne doit pas être rythmé par de l’anxiété et de la colère. Le passage d’une catégorie à une autre est un thème repris par plusieurs autres auteurs, comme par exemple Carl Rogers avec la citation suivante : « … car ce n’est que lorsqu’une personne se sent en sécurité qu’elle a le temps et la

force de rechercher l’amour et l’appartenant et de partager cet amour avec d’autres. » Carl Rogers, psychologue humaniste. 15


ENCADRÉ 1 « Habiter ou réaliser son être au monde » enseignement de Céline BoniccoDonato, 2018

ENCADRÉ 2 Expérience du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), travail saisonnier en centre aéré avec des enfants de 3 à 12 ans, 2016-2018

Le troisième pallier regroupe les besoins sociaux d’amour et d’appartenance. C’est l’appartenance à un groupe, à une communauté qui nous estime et nous accepte pour qui nous sommes. Il faut être accepté et accepter les autres avec leurs différences, d’où la nécessité d’être entouré de proches, d’amis avec qui nous entretenons des relations durables et saines. Les besoins de catégorie 4 et 5 sont à propos de la réalisation de soi, qui passe par une bonne estime de soi-même afin de se réaliser pleinement, par ses connaissances cognitives et la nécessité d’esthétique. C’est ce que Martin Heidegger développe dans « Bâtir, habiter, penser » ; une réflexion qui fait le lien entre les besoins de l’Homme et l’architecture. En effet, la notion d’Habiter pour le philosophe réside dans le besoin de stabilité dans un monde instable. L’habitat est alors une réponse à cette nécessité et nous permet de prendre conscience du monde qui nous entoure, car il le rend moins étranger et plus accessible. En d’autres termes, l’habitat ramène le monde extérieur à notre portée et crée une relation intime entre lui et nous qui fait que nous n’en avons plus peur, que nous pouvons l’apprivoiser sans le craindre. Ce besoin d’Habiter se manifeste plus concrètement par le désir de posséder un chez-soi, un lieu physique auquel on se raccroche et qui est notre principal repère spatial au quotidien. Il répond aux problématiques de protection climatique, du danger, d’intimité, donc à des besoins de tous les niveaux. Le bon déroulement du quotidien réside dans le bien-être personnel et collectif. Ce bien-être ne peut être atteint que dans un cadre de vie sain, qui regroupe plusieurs conditions essentielles ; comme une bonne santé mentale et physique. Afin d’y arriver, le quotidien doit être rythmé par des règles et une discipline bien définis, comme un mode de vie sain. Premièrement, la santé physique passe par une alimentation saine et adaptée à chacun en complément d’une activité physique régulière, qui va permettre de se sentir bien dans son corps et dans sa tête. Cet argument est à relié avec le besoin d’estime de soi, et de relations saines avec son entourage car plus on se sent bien avec son corps et son esprit, plus droites et stables seront nos relations avec les autres. Il faut apprendre à écouter activement les autres et leur montrer qu’ils sont importants pour les rassurer. C’est en grande partie par là que le bien-être collectif passe. Elle n’est pas souvent remarquée à sa juste valeur, mais la nature a également une place importante dans notre quotidien. C’est une source d’inspiration riche à portée de main dont nous n’avons pas conscience la plupart du temps. C’est une vitamine qui fait diminuer le stress et l’anxiété que nous fait ressentir la société. À son contact, nous améliorons notre créativité, nous sommes plus attentifs et plus productifs. Pour finir d’évacuer ce sentiment d’oppression, le jeu prend une place très importante car il nous permet de s’évader de cette société sérieuse, sévère et stricte qui nous stigmatise. Il faut savoir rêver, prendre du temps pour imaginer. Voir la vie comme un jeu libère nos émotions enfouies pour ne pas qu’elles nous rongent. Dans la société actuelle, l’amusement est réservé à l’enfance et la folie, considérée comme divergente est réprimandée. Certains artistes se nourrissent de cette idée, comme par exemple la street artiste Petite Poissone qui décore les rues des grandes villes de ces phrases utopiques et romantiques. « Le temps de dire ouf et tu le deviens » est sans doute l’une de ses citations que je préfère, car elle exprime parfaitement le Figure 3. Citation de Petite Poissone, fait que tout nous est accessible du moment visuel fait par la boutique Petit Shirt à dont on en a envie, et c’est ce qui importe. Grenoble. Source : petit-shirt.fr 16


Le minimalisme, ou « l’art de la simplicité volontaire » (Delcourt Fabien, 2016) est également un facteur du bien-être. La société de consommation prône un attachement matériel et nous pensons que posséder de plus en plus va nous rendre plus heureux. Pour illustrer ce propos, prenons une image qui nous parle à tous. Nous avons tous déjà souhaité être riche une fois dans notre vie pour nous offrir tout ce dont nous rêvons depuis toujours. Mais imaginons que cela se réalise, serions-nous réellement plus heureux de tout avoir et de ne rien désirer ? Est-ce que ce n’est pas le désir que l’on éprouve pour l’objet qui le rend si précieux à nos yeux et pas sa valeur marchande ? C’est une forme de perversion de la société qui nous incite à consommer. Comme le dit Mies Van Der Rohe avec son manifeste « Less is more », il est préférable de consommer moins mais de meilleure qualité car cela est plus bénéfique à notre santé. Le dernier facteur essentiel à un cadre de vie sain est le sommeil. Avoir un cycle de sommeil régulier et adapté permet d’être en bonne santé physique et mentale, car rappelons-le dormir est un besoin vital pour l’Homme.

LES ENJEUX SOCIAUX DE L’HABITAT À PLUSIEURS ÉCHELLES En France et dans le monde entier, les modes de vie sont bien différents. En 2018, plus de 15 millions de personnes vivent seules en France contre environ 8 millions en 1970, soit une nette augmentation. Les situations de ces solitaires sont bien divergentes : certains vivent seuls par choix, d’autres sont séparés ou divorcés et n’ont pas retrouvé de partenaire de vie, tandis que certains encore sont veufs. Auparavant, il était inscrit dans les moeurs et dans les esprits qu’il fallait être en couple toute sa vie, idéalement avec la même personne, se marier et fonder une famille. Cette vision de la vie ayant bien évoluée, les esprits sont de moins en moins marqués par ces stéréotypes et de nouveaux modes de vie apparaissent. Ces habitudes sont aussi modifiées par la baisse du nombre de personnes dans les foyers, car nous avons en général moins d’enfants qu’avant. Les conditions de logement influent grandement sur ces chiffres, car la population ne devient pas plus riche alors que le prix des logements augmente. La vie collective se manifeste à plusieurs échelles et soulèvent de nombreux enjeux sociaux. La cohésion de la société découle directement de l’organisation de la ville, des quartiers et même des logements.

ENCADRÉ 3 « Politique des atmosphères : urbanisme et jeux de pouvoir », cours de Céline BoniccoDonato, licence 3, semestre 6, ENSAG, 2019

Avant, le pouvoir répressif appliqué sur la société contrôlait tout le monde, en séparant la ville en pôles sans échanges entre les différents quartiers et classes sociales (le Paris d’Haussmann, modèle urbain d’une ville organisée en îlots). Cette forme de ségrégation permettait d’avoir un contrôle sur eux car en les séparant ils étaient moins forts, plus contrôlables. La société nous impose de rentrer dans une normalité dictée, mais les mentalités actuelles tendent à la faire évoluer vers l’acceptation de la différence comme une richesse précieuse et essentielle au bien-être commun. Ce modèle utopique de villes hiérarchisées ne fonctionne donc plus. On créé des espaces publics pour que tout le monde s’y retrouve, avec des espaces de cohabitation de plusieurs moyens de transport, de manière à mélanger la population. Il n’y a plus de ségrégation sociale. On cherche à ce que la population soit mixte et riche de différences car le bien-être en société passe par l’autoévaluation de ses propres comportements. Le fait que l’architecture urbaine nous place tous dans les mêmes lieux, fait que nous nous regardons les uns les autres : nous nous comparons avec des personnes d’autres classes sociales ce qui induit une plus large ouverture d’esprit. Nous acceptons mieux la différence, et comprenons que nous sommes distincts. À l’échelle de la ville, les enjeux sociaux de la collectivité se manifestent dans la cohabitation d’une population très diversifiée. Pour des relations saines, il faut que la ville soit organisée et partagée intelligemment. Les places publiques et aménagements urbains 17


ENCADRÉ 4 « Espaces publics », cours de Magali Paris, licence 3, semestre 5, ENSAG, 2018

ENCADRÉ 6 Voyage en Allemagne et en Angleterre avec ma famille, 2012-2014

ENCADRÉ 7 Expérience personnelle de vie en communauté, depuis 2012.

doivent être réfléchis de manière à hiérarchiser tous les modes de déplacement et à faire cohabiter équitablement ces derniers. La différenciation du domaine public et du domaine privé se ressent à toutes les échelles, et particulièrement dans les quartiers. Mes divers voyages, notamment ceux en Angleterre, Allemagne et Irlande ont nourri ma pensée à ce sujet. En France, le degré de privatisation des espaces est très marqué : toute habitation privée est sécurisée, clôturée de barrières infranchissables et accessible grâce à un code. Tandis que dans les pays du Nord la transition public / privé est bien moins brutale. En Allemagne par exemple, les jardins privés arrivent à se confondre avec la voie publique car il n’existe pas cette limite physique entre les espaces. De simples petites clôtures d’un mètre de haut maximum sont plantées autour des jardins pour signifier la transition, mais la population ne cherche pas à se protéger derrière une muraille. Les cultures de l’intimité sont bien disparates selon les origines, et reflètent les enjeux sociaux de la ville. Comment vivre en communauté quand nous avons peur des autres, quand nous n’avons pas confiance en eux ? Il existe un réel problème sociétal de hiérarchisation des espaces puisque le respect de la vie privée d’autrui en France n’est pas une valeur commune. L’éducation de chacun nous inculque des principes hétérogènes en fonction de nos origines. Dans ces pays étrangers, le respect et la discipline sont bien plus ancrés dans les moeurs et perpétuent la tradition d’ambiguïté entre intérieur et extérieur, privé et public. En ce qui concerne la plus petite échelle du logement, la notion de confort mental et physique est l’un des enjeux les plus importants. « Dans une société caractérisée par une

forte individualisation de la vie privée, vivre dans le même logement contraint chacun des habitants à tenir compte des autres. » 4 . À travers mes nombreuses expériences de vie en

collectivité, en famille, au travail ou même à l’école, j’ai toujours ressenti le besoin de satisfaire le bien-être des autres avant le mien. Lorsque nous avions une télévision pour dix, je ne pensais jamais imposer mon programme à mon entourage et préférais regarder celui qu’ils choisissaient, alors que d’autres étaient frustrés. J’avais et j’ai encore cette crainte de gêner les autres et d’altérer leur confort, et je me contente très bien de faire des concessions. Mon bonheur personnel passe par celui des autres : lorsque leurs besoins sont comblés, je me sens bien. À mon sens, l’architecture a une place importante dans ce soucis de confort par la liberté d’agir et d’intimité. La chambre est un lieu d’intimité essentiel au bien-être individuel, puis collectif. C’est notre repère, l’espace qui nous ressemble, dans lequel on se reconnait et on se sent bien. Une chambre se doit d’être saine et de pouvoir accueillir plusieurs usages, et pas seulement celui de dormir. Lorsque nous avons besoin d’extérioriser des sentiments, de nous retrouver seul pour travailler, ou juste réfléchir au calme, elle est une réelle nécessité. Sans ces espaces intimes personnels, nous vivrions toujours ensemble et ces moments d’extériorisation se feraient collectivement, ce qui nuirait fortement à la tranquillité et la sérénité des foyers. L’intimité est donc un outil primordial au bon déroulement de la vie collective.

Les personnes qui vivent ensemble apprennent à se respecter, toujours au moins un peu. (...) Dans la vie privée, un individu se définit, ou est défini, à certains moments, avant tout comme un être « avec », et à d’autres comme un individu « seul ». L’appartement ou la maison est souvent divisé selon cette dualité avec ses espaces collectifs et ses espaces personnels. La vie ensemble est faite de ces oscillations alors que la personne qui vit seule est chez elle, de manière dominante, « individu seul ». La cohabitation apprend une certaine souplesse identitaire, étant donné les contraintes de la co-existence, du nécessaire partage des territoires. » 5 4

Bardagot Anne-Monique, cours « Qualités d’usage et habitats », ENSAG, 2017.

De Singly François, « Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune », éditions Nathan, 2002. 5

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2 L’ARCHITECTURE RÉPOND AUX ENJEUX DE LA COLLECTIVITÉ

Qu’est-ce que la société ? Quelle différence existe-t-il entre société et collectivité ? La société est très largement définie par un regroupement d’individus ou une réunion de personnes. Autrement dit, la société c’est l’ensemble des rapports et des relations qu’entretiennent les êtres humains entre eux. Pour être considérés en tant que société, ces personnes doivent partager des lois, des coutumes, des modes de vies communs. La notion de communauté est directement induite de l’essence de la société, qui est un état de la vie collective vécu en compagnie habituelle et quotidienne. Par définition, ces deux termes de société et de collectivité sont étroitement liés, et l’un engendre l’autre. Lorsque l’on parle de la collectivité en architecture, on pense lieux publics, cohabitation, collocation. C’est le sujet traité par le Conseil de l’Europe en 2009, sur la question du vivre-ensemble qui consiste en la « capacité (…) des habitants à partager harmonieusement leur lieu de vie » 6 . Mais pour vivre en collectivité, il ne suffit pas de fréquenter régulièrement et physiquement un lieu au même moment que d’autres personnes, il y a également des règles à respecter pour parvenir au bien-être collectif.

« Vivre ensemble », brochure préparée par le Conseil de l’Europe dirigé par Yasha Lange, avril 2009, p.56. 6

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LA VIE COLLECTIVE EST UN OUTIL DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN ENCADRÉ 8 Expérience du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), formation théorique, travail saisonnier en centre aéré avec des enfants de 3 à 12 ans, 2016-2018

Durant ma vie, j’ai souvent été confrontée à la vie en collectivité, que ce soit dans le cercle familial ou dans ma vie professionnelle. J’ai commencé à travailler auprès des enfants après avoir obtenu mon BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), qui a été une formation très enrichissante. À travers les cours théoriques qui ont précédé l’exercice professionnel en centre aéré, nous avons appris les enjeux de la socialisation, particulièrement chez les enfants en bas âge. Lorsque nous mettons un enfant à la crèche ou bien en maternelle, il apprend très vite à se socialiser à l’aide de la vie collective. Ce moyen de socialisation présente plusieurs avantages comme l’apprentissage des valeurs essentielles de l’éducation : le partage, la tolérance, le respect, l’autonomie, ainsi que la conscience des autres et de soi-même. C’est au contact des autres enfants et durant les temps communs qu’ils partagent (le repas, la sieste, les jeux) qu’ils développent tous ces sens. Par exemple, ce n’est qu’à partir de l’âge de 2 ans qu’un enfant va avoir conscience du moi et donc conscience des autres. Le mettre dès le plus jeune âge en interaction avec la société l’aide à se développer plus vite moralement et physiquement car il est bien plus stimulé que s’il était seul chez lui avec ses parents. Cela l'aide à s’affirmer face aux autres. Le contact avec la société fonctionne comme une auto-éducation où nous apprenons des autres à tout âge, à se nourrir des comportements alentours pour évoluer. C’est à ce moment-là qu’un enfant prend conscience qu’il est un individu à part entière faisant partie d’un grand ensemble. L’environnement proche joue beaucoup sur le développement de l’Homme plus particulièrement dans les premières années de sa vie, d’où la nécessité de grandir dans un cadre de vie sain. Ainsi, la société agit comme un réel outil d’éducation sur les hommes.

Figure 4. Illustration de la sociabilité et du partage chez les enfants. Photographie par l’auteur, Crémieu, 2016.

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ENCADRÉ 9 Gilles Marty et son discours sur « l’intelligence collective » en studio, ENSAG 2019

Pour aller plus loin dans cette métaphore de la société comme outil d’éducation, prenons le discours de Gilles Marty, architecte et professeur à l’ENSA Grenoble. Sa réflexion porte sur ce qu’il aime appeler « l’intelligence collective », qui consiste à favoriser le travail en groupe pour produire des résultats plus qualitatifs. Lorsque l’on travaille en équipe, nous sommes poussés par l’effet de groupe qui applique une pression sur nous et sur ce que nous avons à produire. Cette pression, loin d’être malsaine, nous permet de travailler plus efficacement et d’en faire profiter tout le groupe. Au fur et à mesure nous nous nourrissons des avis des autres sur notre travail et il est plus facile de se remettre en question et de corriger nos erreurs. Le résultat final sera plus affiné, plus recherché, plus abouti. Le processus d’écoute active, qui admet le fait d’écouter quelqu’un sans l’interrompre en se concentrant sur ses dires, rejette toute interprétation personnelle. Ce concept aussi nommé « écoute bienveillante » est initialement pensé par Carl Rogers, psychologue américain. Avec cette technique, il est plus simple de faire un projet qui va plaire au client. En l’écoutant activement, nous apprenons de son vécu, de sa personnalité, qui nous servira pour concevoir le projet.

ENCADRÉ 10 Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité de JeanJacques Rousseau Le mythe du bon sauvage

À l’inverse, Jean-Jacques Rousseau développe en 1755 dans « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité », le mythe du bon sauvage. Le bon sauvage est un homme primitif bon, qui ne connait ni le bien ni le mal. Il a des besoins et des pensées simples qu’il arrive à satisfaire seul : la nourriture, le sexe et le repos. Ceux que l’auteur nomme « sauvages » sont des êtres qu’il estime auto-suffisants, naïfs et pacifiques, alors que l’Homme civilisé serait animé par l’amour propre et l’égoïsme. L’Homme sauvage, quant à lui, ressentirait instinctivement de la pitié, le poussant naturellement vers les autres. Tous les hommes sont ici égaux et ne connaissent pas les vices que connait la société. C’est au XVIIIe siècle que le mythe est remis en question par Diderot, lorsqu’il affirme son opposition à l’existence du bon sauvage7. « L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt » (Rousseau Jean-Jacques). Par cette citation, Rousseau affirme que c’est la société qui perverti les hommes et les rend mauvais. L’apparition de la notion de société et de propriété creuse l’inégalité entre eux, pourtant tous égaux à l’origine. Les inégalités de propriété font naître de nouveaux sentiments inconnus jusque lors : la jalousie, le vice, et l’envie. C’est là qu’apparaissent les premiers conflits d’intérêt, opposant les riches et les pauvres et créant des classes sociales. Si l’inégalité est due à la propriété, sa croissance elle est due au développement de l’esprit humain. En abordant une approche plus moderne de ce phénomène, on peut dire que c’est la société de consommation qui a perverti la nature de l’homme, et il est maintenant par nature modifié par toutes les civilisations passées qui ont évoluées dans ces climats de rivalité, de guerre. Les sociétés se sont modifiées avec le temps, ont évoluées de manière différente et le mythe du bon sauvage n’existe plus.

Figure 5. « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons nous? » peinture de Paul Gauguin, 1897. Interprétation du mythe du bon sauvage de Jean-Jacques Rousseau, 1755. 7

Diderot Denis, « Supplément au voyage de Bougainville », 1772 22


LES MOYENS ARCHITECTURAUX QUI PERMETTENT L’ÉPANOUISSEMENT COLLECTIF Afin de parvenir à l’épanouissement individuel puis collectif des usagers, l’architecte doit créer des dispositifs accueillants et chaleureux. Chaque projet se distingue par son programme, son identité architecturale, mais aussi et surtout par la demande du client. La satisfaction de celui-ci passe par la qualité de la réponse qu’apporte l’architecture à sa commande, et à ses besoins. L’architecte se doit donc d’être très attentif à ces facteurs, qui se doivent d’être définis clairement par le client. L’essence même du projet est constituée par ces attentes, et exprime sa raison d’être en lui donnant du sens. ENCADRÉ 11 studio CMAU_G avec PaulEmmanuel Loiret, Sébastien Fabiani, Guillaume Daïdé, Licence 2, S4, ENSAG 2018. Une nouvelle méthode de conception du projet.

Cette méthode de conception du projet m’a été introduite et enseignée par PaulEmmanuel Loiret, lors de son atelier de studio CMAU_G en fin de seconde année de licence. Le sujet consistait à concevoir un lieu de dispersion de cendres dans la campagne Grenobloise. C’est la première fois que l’on aborde le projet par une longue étape d’analyse. Nous analysons bien évidemment le site, le contexte, mais surtout les usagers et leurs besoins, leurs ressentis à travers l’évolution du deuil. Nous apprenons ainsi que le deuil est divisé en plusieurs étapes, et que l’attention portée à l’usager et à son déplacement dans l’espace vont être différents tout au long de son parcours. Selon nos observations, nous concevons des dispositifs architecturaux variés qui permettent aux usagers de vivre toutes les étapes du deuil dans des conditions optimales. Par exemple, il faut laisser libre choix aux personnes de vivre leur deuil comme elles le souhaitent, en leur proposant des espaces de réunion comme des espaces d’isolement. Ces espaces d’isolement seront des lieux propices à l’introspection et au silence ; l’usager est face à lui même. Il ne doit donc pas, dans cette étape du deuil, être dérangé par n’importe quelle distraction, quelle soit sonore, visuelle ou olfactive. L’espace sera pur, neutre, éclairé par une lumière zénithale maitrisée. Cette interprétation de l’étape d’isolement dans le deuil est propre à ma pensée personnelle en tant qu’architecte, et elle est différente chez les autres étudiants. Ce qui importe c’est donner du sens aux dispositifs que l’on conçoit en réponse à des besoins, et chaque architecte doit trouver sa propre définition du sens et sa personnalité architecturale. Lorsque l’on traite des sujets sensibles comme la mort, on cherche à accompagner les personnes instables mentalement avec un architecture stable et ancrée, qui rassure et procure une impression de sécurité et de sérénité.

PLAN 1:100

ÉCHELLE 1:50

COUPE 1:50 0

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Figure 6. « Un lieu de dispersion de cendres dans la campagne grenobloise - ambiances », planche réalisée par l’auteur, studio CMAU_G, ENSAG 2018. Les différentes étapes du deuil et leur accompagnement par l’architecture.

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Ainsi, la conception de l’architecture débute par l’identification des besoins des usagers, suivi d’un organigramme qui met en évidence les liens entre les usages et les fonctions, qui invitent à des dispositifs architecturaux sensés, et enfin c’est lors de la réunion de ces dispositifs que la forme architecturale apparait. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il existe autant de personnalités que de personnes, et que cette diversité doit nourrir le projet et en être une ses richesses. Il est important de concevoir des dispositifs qui laissent place à l’imaginaire, qui permettent aux utilisateurs de se projeter et de se reconnaître dans ces lieux, malgré leur différence. L’architecture doit aussi bien pouvoir être arpentée par un enfant de 5 ans que par un adulte de 70 ans, et ces deux personnes doivent pouvoir s’y reconnaitre et s’y sentir à l’aise. Dans les moments de troubles émotionnels forts, comme le deuil, l’architecture doit permettre à la personne de supporter collectivement cette conscience de la mort, de la rendre plus douce et acceptable grâce au contact avec les autres. Le dispositif architectural idéal est celui qui ne rejette personne et qui au contraire, accepte tout le monde. Pour cela, il est nécéssaire de faire preuve de simplicité dans la forme et dans l’espace, car c’est cette simplicité qui va permettre l’appropriation. Dans le domaine de l’architecture, on fait souvent l’analogie des termes simplicité et minimalisme. On peut alors se demander, pourquoi le minimalisme et en quoi ça consiste ? D’abord, commençons par ses origines pour comprendre son apparition en architecture. Le minimalisme a commencé à se manifester à travers « l’art minimal » en peinture au début des années 1960, se plaçant comme réponse aux courants artistiques du Pop Art ou de l’Expressionnisme. Il réside dans l’abstraction géométrique, comme on l’observe dans les oeuvres des peintres Mondrian et Malevitch. C’est évoluant petit à petit que le minimalisme se rapproche de l’architecture en commençant par s’exprimer en sculpture. C’est donc un mouvement artistique majeur du XXe siècle, qui peut-être considéré comme une évolution du Modernisme et du Bahaus des années 1920. « Une bonne architecture doit accueillir l’être humain, le laisser vivre et habiter et ne pas lui faire de baratin. Peter Zumthor Ce qui me semble essentiel dans cette citation, c’est le terme « baratin » que j’entends comme des obstacles, des éléments superflus, des complexités inutiles. La simplicité est la première qualité architecturale nécessaire au bien-être. L’habitat occidental est superficiel et ne répond pas pleinement à nos envies la plupart du temps. La notion de superflu, de foisonnement d’information est induite par la société de surconsommation dans laquelle nous vivons, mais ce n’est pas sain. Pour s’épanouir, nous avons besoin d’une architecture pure et non superficielle, une architecture honnête qui s’offre à nous dans sa plus grande simplicité, et qui nous invite à la modeler à notre image.

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3 L’APPROPRIATION DE L’ESPACE ET LE BIEN-ÊTRE

L’appropriation peut se résumer par l’action d’adapter ce qui nous entoure à un usage précis ; de le rendre propre, de l’adapter à notre personnalité, nos goûts et nos envies. C’est mettre quelque chose à notre convenance, pour le rendre moins étranger et plus personnel. La notion d’appropriation est aussi décrite par le fait de s’approprier quelque chose, de décider qu’il devient notre propriété. L’appropriation de l’espace se pose comme facteur de la réussite d’un projet d’architecture. Lorsque l’on s’approprie un espace, nous créons un lien de confiance et d’intimité avec lui. Nous développons des relations affectives avec le lieu puisque qu’il devient un repère où l’on aime se rendre. Nous le trouve beau, nous en sommes fiers. Il prend ainsi une certaine valeur et un sens à nos yeux. Ce n’est plus un lieu anonyme en devenant « notre chez-nous », « notre » maison, « notre » appartement. En s’appropriant un lieu, on cherche à l’améliorer à notre manière, on cherche à lui ajouter des qualités. C’est un processus subjectif qui permet à chacun de se sentir bien à sa manière dans les lieux qu’il fréquente. Ce comportement d’appropriation est depuis toujours observé chez l’Homme. Prenons l’exemple de la chambre à coucher. C’est un lieu propre à chacun que l’on arpente au quotidien, à tout moment de notre vie. Un enfant souhaitera que sa chambre lui ressemble et soit colorée, au même titre qu’un adolescent y collera toute sorte de poster à l’effigie son groupe musical préféré, qu’un adulte qui préférera la sobriété, etc. Dans le développement qui suit, nous allons aborder le processus d’appropriation par l’architecture participative, puis par une approche plus actuelle des problématiques qu’il génère.

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L’APPROPRIATION PAR L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE ET L’ARCHITECTURE PARTICIPATIVE Lorsque je rejoins une nouvelle vie collective, j’aime partager avec les autres mon savoir faire artistique en leur apprenant à faire de même, en leur montrant ce qu’il est possible de faire avec ses mains et des matériaux simples. Je ressens également l’envie d’apprendre des autres ce qu’ils ont à m’apporter, ce que j’appelle souvent la « soif d’apprentissage ». Le faire ensemble est un processus important dans ma vie, et je le retrouve en architecture avec la démarche de projet participatif. ENCADRÉ 12 Cours et TD de Théa Manola sur « la démarche participative », 2018

Mais qu’est-ce que l’architecture participative ? Premièrement, il faut savoir que ce concept est né dans les années 1970, et prenait le nom « d’habitat groupé auto-géré ». C’était une nouvelle forme de logement collectif alternatif, co-conçu avec les futurs habitants de manière à ce qu’ils organisent eux-mêmes leurs futurs lieux de vies, en passant par les espaces privés jusqu’aux espaces communs. Il y a 40 ans, cette démarche s’est essoufflée à cause de manques de moyens juridiques et financiers, mais ce n’est pas pour autant qu’il a été oublié car l’architecture participative, comme on l’appelle aujourd’hui, séduit de nouveau. Dans cette démarche, il faut voir les usagers d’un bâtiment comme des créateurs dans un premier temps, puis comme des consommateurs. En co-construisant leur logement, les habitants vont être fiers de ce qu’ils ont produit. Faire de l’architecture participative c’est donner le pouvoir de créer et de construire aux habitants. C’est une manière directe de les impliquer collectivement dans leur projet de vie. C’est un premier pas vers la collectivité, dès lors qu’en construisant leur logement ensemble ils apprennent à se connaître, mais aussi à se respecter et à s’entraider. Ainsi, les habitants se reconnaitrons dans ce lieu car ils se l’auront approprié. Comme le dit l’architecte Nina Martiz à propos de ses propres projets, la démarche participative consiste en la « création d'environnements bienveillants, positifs, qui agissent plutôt en addition qu'en atteinte à la vie des gens ». La construction participative est alors une manière de mettre en œuvre l’autonomie de la population en la responsabilisant. Mais cela fonctionne uniquement quand les habitants jouent le jeu et ont envie de se donner les moyens d’y arriver. Lorsque Nina Maritz réalise des projets d’architecture, elle porte une attention particulière aux sites, aux matériaux et coutumes locales. Son architecture se veut même vernaculaire, au delà d’être participative. Par architecture vernaculaire, j’entends utilisation de matériaux éco-responsables, qui permettent d’avoir un rayonnement très large de cet apprentissage. Ce n’est pas seulement acquérir du savoir-faire et de l’autonomie, mais c’est aussi prendre conscience qu’il faut évoluer vers une démarche écologique, responsable à toutes les échelles. Ce type de démarche peut être vu comme un essai permettant de tester si la réponse actuelle que nous apportons aux problématiques de logement collectif est la plus adaptée. Les projets d’habitats participatifs permettent aux futurs habitants de concevoir comme bon leur semble leurs logements et leurs lieux de partage. Cela créé des architectures radicalement différentes de celles des promoteurs classiques, qui cherchent à diminuer les espaces communs, à standardiser les appartements et à diminuer les interactions et rencontres entre voisins. Lorsque ce sont les habitants qui conçoivent, les tendances sont bien différentes, voire contraires. Les espaces communs sont bien plus généreux, avec des ateliers de bricolage, des chambres d’amis communes, des jardins, des potagers et des vergers, des toits-terrasses, des buanderies, des salles polyvalentes, etc. Les habitants cherchent à vivre en communauté pour créer des liens avec les autres, alors que nous architectes avons tendance à individualiser et privatiser les espaces de vies. Il faut apprendre à écouter les envies des clients, et ce pas seulement dans le logement individuel mais surtout dans le collectif. 27


Figure 7. Tuiles de revêtement de toit fabriquées à partir de fûts d'huile recyclés sablés, du Centre d'accueil Twyfelfontein, Namibie. Nina Maritz Architects et Dennis Mc Donald. Source : http://www.afritecture.org/profiles/nina-maritz-understandingresponding-context, consulté le 25 avril 2019 Pour résumer, on peut dire que ce type d’habitat prône l’équilibre entre la vie privée et la vie collective, comme une cohabitation saine. Afin que cet habitat collectif fonctionne, il faut qu’il instaure un certain respect. Il est nécessaire de construire en utilisant des matériaux qualitatifs et une mise en oeuvre soignée pour que les usagers donnent de la valeur au lieu. En apprenant aux habitants à se soucier des détails dans la construction et dans les finitions, ils se rendent compte de la quantité de travail fourni, de l’investissement et des moyens mobilisés. Un résultat satisfaisant et qualitatif dont nous sommes fiers ne peut qu’instaurer un climat de respect. À l’inverse, un lieu fait avec des matériaux low-cost et peu de moyens aura du mal à rester intact durant une longue période. `

LE BIEN-ÊTRE REMIS EN QUESTION (CAS DE L’ARLEQUIN À GRENOBLE) Dans quelques cas particuliers, l’appropriation de l’espace présente des côtés négatifs indéniables. Prenons l’image des logements sociaux, où l’appropriation atteint une limite et soulève de réels enjeux contemporains. Après la Révolution industrielle, l’histoire du logement social a rapidement évoluée à cause de l’accroissement important de la population urbaine. Les conditions déplorables des logements des classes laborieuses étaient auparavant considérées comme fatales, et aucune démarche n’était mise en place pour les améliorer. Les habitants de HLM sont devenus plus pauvres avec les années, ce qui hiérarchise ce type de logement à un logement précaire, de pauvreté, de qualité 28


Figure 8. « Vue de la galerie de l'Arlequin depuis le parc central », photographie datant des débuts de l’Arlequin, vision de cette cité colorée et utopique, source : http:// grenoble-cularo.over-blog.com/2017/06/le-projet-villeneuve-4/5-villeneuve-de-grenobleentre-reve-et-realite-1968-1983.html, consulté le 25 avril 2019.

Figure 9. « Le lagon au milieu du parc, il manque juste les cocotiers », photographie datant des débuts de l’Arlequin, vision utopique de la vie dans la cité, source : idem que 29 la figure 8.


médiocre. En 1973, il y avait seulement 12% des locataires de HLM qui touchaient un salaire bas (inférieur à 1200€), contre 39,8% en 2006 8. À partir des années 1970, les grands ensembles d’habitat social sont systématiquement répertoriés comme les figures urbaines de l’exclusion et du mal vivre. Ils renvoient une image négative de concentration des problèmes causés par la pauvreté, la précarité, le chômage et l’exclusion sociale. Prenons l’exemple d’un grand ensemble : La Galerie de l’Arlequin au sud de Grenoble. « En 1968, le projet retenu consiste alors à ériger une véritable ville dans la ville

avec la disponibilité de tous les équipements sur place : écoles, centre de santé, garderies, commerces et di- vers autres... Il prévoit de construire trois quartiers entourant un parc de 15 hectares ainsi qu’un centre-relais, qui deviendra par la suite un grand centre commercial (Grand’Place). La construction se développe en deux tranches distinctes, afin de permettre l’installation d’habitants dès l’achèvement de la première. » Jean MARTIN, 2018 Le projet de l’Arlequin a été érigé durant les années 70 dans le but de favoriser la mixité sociale et d’attirer des personnes de tous horizons, en mélangeant logements sociaux et propriétés. Un des principaux enjeux était de lutter contre la ségrégation sociale grâce à l’architecture avec ce projet utopique de cité modèle. Au niveau architectural, les rez-de-chaussée sont totalement ouverts et libres d’accès pour tout le monde, puisque les appartements sont surélevés. Ainsi, il est prévu que ces barres ne coupent pas la circulation et au contraire la favorisent entre l’intérieur de l’ensemble et le reste de la ville. Les galeries du bas se retrouvent aussi dans les niveaux coursives accessibles grâce à des escaliers et ascenseurs ouverts à tous (absence de hall sécurisés). Les couloirs des étages sont donc des rues, où les habitants du quartier peuvent se croiser, discuter, échanger des moments de convivialité. Aujourd’hui, elle est l’une des plus grandes cités de France et rassemble plus de 14000 habitants. Malgré ces bonnes intentions utopiques, ce quartier a évolué dans le sens contraire. C’est aujourd’hui une cité fermée, où l’on appréhende de se rendre si nous ne sommes pas familier au quartier. À l’intérieur, c’est une succession de galeries et de couloirs où les interventions des secours et des forces de l’ordre sont devenues impossibles. Les recoins, les couloirs sans fin, la circulation continue tout le long de l’ensemble sont un réel problème dans ces bâtiments à l’heure actuelle, et ne font que renforcer la déviance sociale et le climat d’insécurité. De plus, le langage complexe de la numérotation des bâtiments, des étages, et des appartements ne facilitent pas les interventions internes. ENCADRÉ 13 Stage ST2 chez Aktis Architecture à Grenoble, projet de Réhabilitation de l’Arlequin, juillet 2018 et février 2019

C’est à ce moment là qu’intervient l’architecte, en apportant des solutions durables et efficaces pour réhabiliter cet ensemble. Aktis Architecture Urbanisme et Paysage est l’agence en charge de cette réhabilitation. Le parti pris principal est de proposer une nouvelle organisation des galeries en les fragmentant, pour en faire plusieurs couloirs à une échelle plus raisonnable. De plus, il s’agit de rajouter des cages de circulation (ascenseurs et escaliers) plus accessibles aux secours sur l’extérieur de la façade. Il s’agit de créer plus de logements plain pied s’ouvrant à un public plus large. Après avoir travaillé sur ce projet aux côtés de l’agence, mon diagnostic personnel est bien tranché. L’architecture qui a été livrée aux habitants dans la cité de l’Arlequin était bien trop finie, trop détaillée, avec des usages et des fonctions trop prescrits par la forme. Les usagers ne s’y sont alors pas reconnus et n’ont pas réussi à se l’approprier de manière saine, à s’imaginer leur vie ici. Tout était déjà fait et plus rien ne restait à faire : ils ont donc défait, en dégradant.

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INSEE - enquête logement 1973 à 2006 30


Figure 10. « 140 galerie de l’Arlequin », photographie par Emeline Wuilbercq, 5 juin 2013, Grenoble, source : http://emelinewuilbercq.blog.lemonde.fr/2013/06/05/nuitblanche-pour-les-veilleurs-de-quartier/, consulté le 28 avril 2019.

Le logement ne doit pas être trop déterminé par l’architecte, les pièces ne peuvent être conçues exclusivement pour une seule fonction. Les occupants ne doivent par être privés de la liberté de donner au logement leur propre contenus. 9 ENCADRÉ 14 Cours d’AnneMonique Bardagot, « Qualités d’usage et habitats », licence 2, ENSAG 2017.

Mais un autre facteur entre dans l’équation, celui de la qualité matérielle des logements. En effet, ces bâtiments ont été construits avec des moyens financiers restreints, ce qui n’a pas instauré un climat de confiance et de sécurité entre l’architecture et l’Homme. En effet, des locaux matériellement peu qualitatifs n’invitent pas au respect et au soin, donc ils ne font pas attention et détériorent même volontairement pour se les approprier. Une fois modelé à leur façon, les habitants s’y reconnaissent. L’ensemble des locaux communs de l’immeuble sont dégradés, parfois même saccagés, et font peur aux nouveaux venus. Les habitants se sont renfermés sur eux-mêmes sans s’en rendre compte avec ces comportements déviants, en excluant ceux qui ne vivent pas ici. La mixité sociale n’est plus foisonnante et au contraire, ces comportements ne font qu’entretenir une certaine ségrégation au sein de la ville. Les quartiers sont vus comme des endroits dangereux à ne pas fréquenter. C’est l’effet que la société a sur nos comportement en communauté, en entretenant l’effet de groupe qui nous tire vers le bas, nous renferme dans des climats s’insécurité et de peur. Mais si le fonctionnement de l’Arlequin révèle les symptômes d’une crise sociale, comme la majeure partie des barres de logements sociaux, leur disqualification parait exagérée. Au contraire, d’autres ensembles vivent très bien leur vie en collectivité, faut-il alors prendre des mesures drastiques et démolir ces grands ensemble, pour reconstruire et repartir sur de nouveaux modes de vie ? Ou bien faut-il faire avec ce qui existe déjà et uniquement faire évoluer les mentalités et les modes de vie ?

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Bardagot Anne-Monique, cours « Qualités d’usages et habitats », ENSAG 2017. 31


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Conclusion générale

LA CONCEPTION ARCHITECTURALE : UNE RESPONSABILITÉ SOCIALE ET GÉNÉRATRICE DE BONHEUR QUOTIDIEN Une semaine nous sommes deux, une autre nous sommes dix ; une semaine chez papa, une autre chez maman. Depuis toujours, je côtoie la vie en collectivité à toutes les échelles. Ayant eu une enfance assez instable, je cherche depuis que mon âge le permet à réunir les éléments d’une vie stable. Mais vivant en communauté, j’apprends en même temps à faire attention au confort des autres. Je fais le choix de travailler au contact des enfants, pour qui je prends beaucoup de responsabilités. Leurs yeux innocents et émerveillés devant les productions manuelles que je leur fais faire me rendent plus qu’heureuse. J’aime faire plaisir aux autres, et j’aime quand la vie collective participe au bonheur de tous. En rentrant à l’ENSAG, puis en suivant les cours de sociologie, j’arrive à comprendre ce qui rend heureux les habitants d’un même lieu : leur maison. Ils sont heureux car ils habitent un endroit qu’ils aiment, qu’ils portent dans leur coeur. C’est l’architecture qui créé le bien-être. En tant que future architecte, je pense qu’il est important d’avoir une conscience claire de ce que l’on propose avec nos projets et de l’incidence de nos choix sur la vie quotidienne de habitants. La difficulté réside dans la traduction spatiale des besoins des clients, souvent mal formulés. Le défi de l’architecte est donc de concevoir un logement permettant de répondre aux besoins immédiats, tout en prenant en compte que l’architecture n’est jamais figée et qu’elle évolue avec le temps. Elle est le fruit d’une recherche et d’appropriations permanentes, qui évoluent en même temps que ses habitants. La qualité architecturale est atteinte lorsque l’architecte est prêt à comprendre et à admettre que le changement est inévitable. Globalement, l’enjeu est de concevoir des espaces adaptatifs qui réunissent les conditions propices au bien-être des usagers. 34


L’architecte doit développer une attention particulière à la part de responsabilité sociale qu’il engage dans ses projets. En tant que future architecte, je souhaite m’engager socialement dans mes projets pour permettre le bien-être en collectivité. Je veux offrir aux gens des espaces où il fait bon vivre, habiter, travailler, rêver, imaginer. Je veux être l’initiatrice du bonheur de la population et de leur épanouissement collectif. Les différences au sein de la société forment de réelles richesses qui ne font que rendre les projets plus profonds et sensés. Mon architecture se veut accueillante pour tous et belle de toutes les personnalités des usagers. Les projets sont nourris de notre culture, de notre appartenance sociale, et de tout ce qui nous constitue en tant qu’être humain à part entière. Les choix et inspirations de l’architecte résultent de son vécu, de ses expériences passées, de ce qu’il aime ou n’aime pas, mais surtout de sa perception de l’individu au sein de la société. Le processus de conception architecturale a en premier lieu une dimension de résolution des problèmes sociaux de son époque, avant d’être un assemblage de murs et de toit. La forme est l’étape finale de la conception, lorsque les ambiances sont finement aiguisées par des dispositifs travaillés et complets. En procédant de manière inverse, on risque de faire de l’architecture insensible qui n’est pas appréciée et vécue à son juste titre. Finalement, ce que je trouve intéressant et essentiel dans la conception du logement ce n’est pas l’organisation de l’espace en lui-même, mais une certaine uniformité et neutralité des espaces permettant l’appropriation par des aménagements différents. La simplicité ouvre à l’imaginaire et extériorise la part de rêve quotidienne dont nous avons besoin pour vivre pleinement. Il faut sortir de la société normalisée dont nous faisons partie et faire évoluer nos modes de vies standardisés, en étant libre de décider comment nous souhaitons vivre. Il est important de rendre le logement appropriable et de ne pas viser une optimisation fonctionnelle de l’espace, mais d’apporter un certain degré de liberté pour que l’habitat crée le sien qui lui ressemble. Il faut prévoir des espaces multifonctions capables de dialoguer avec le plus grand nombre. L’architecture doit permettre un équilibre entre vie privée et vie collective, en offrant des espaces de communion comme des espaces d’isolement. Nous devons entendre le désir de vivre ensemble des habitants et en faire la force de nos projets. En ce qui concerne mes choix de master, ils concerneront seulement mon année de master 2 puisque je pars l’année prochaine faire mon master 1 à l’étranger, en Amérique latine. Suivant ma vision de l’architecture, deux thématiques s’offrent à moi et mon coeur balance. Soit AEdification, Grands Territoires, Villes ou Architecture, Ville et Ressources. Dans le premier, la démarche de travail à plusieurs échelles et d’aller-retour permanent entre ces différents plans pour comprendre la culture de l’habiter me plait. Mais d’un autre côté, je pense qu’Architecture, Villes et Ressources est une thématique contemporaine qui répond à des enjeux sociaux et environnementaux actuels. L’identification de ce qui ne fonctionne pas dans les villes dans le but de les revaloriser grâce à la restructuration d’espaces existants est un réel enjeux de notre futur. Les villes regorgent de bâtiments vacants, et tout démolir pour tout reconstruire n’est surement pas la meilleure des solutions à l’aube du siècle de l’écologie.

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BIBLIOGRAPHIE

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• Centre d’observation de la société, « La vie en solo : vers une stabilisation ? », 7 juin 2018, source : observationsociete.fr, URL : http://www.observationsociete.fr/ structures-familiales/personnes-seules/evol_vie_solo.html consulté le 26 avril 2019 • Conseil de l’Europe dirigé par Yasha Lange, brochure « Vivre ensemble », avril 2009, p. 56, consulté le 5 mars 2019 • Coste Claude, analyse des pages 201 à 215 de Barthes Roland, « Comment vivre ensemble », 2002, source : journals.openedition.org, URL : https:// journals.openedition.org/recherchestravaux/107, consulté le 15 mars 2019 • Renault Fabrice, « Les besoins fondamentaux de l’être humain », 2015, URL : https:// www.mieux-vivre-autrement.com/les-besoins-fondamentaux-etre-humain.html, consulté le 21 avril 2019. • Martin Jean, « Le projet Villeneuve (4/5) : Villeneuve de Grenoble : entre rêve et réalité (1968-1983), 1er décembre 2018, source : grenoble-cularo.over-blog.com, URL : http:// grenoble-cularo.over-blog.com/2017/06/le-projet-villeneuve-4/5-villeneuve-de-grenobleentre-reve-et-realite-1968-1983.html, consulté le 27 avril 2019 • M.D, « Habitat participatif : 300 projets lancés en France, 28 juillet 2015, source : macarchi.com, URL : https://www.amc-archi.com/article/habitat-participatif-300-projetslances-en-france,2382, consulté le 6 avril 2019 • Monnet Lisa, « VoisinageS », 2018, consulté le 8 avril 2019 • Marteau Élodie, Hon Lydie, Konteh Ibrahim, Di Pierto Raphaël, « Le minimalisme, analyse d’une tendance », 11 avril 2015, source : slideshare.net, URL : https:// fr.slideshare.net/ElodieMarteau/analyse-dune-tendance-le-minimalisme, consulté le 23 avril 2019 • Sinaï Agnès (journaliste), interview de l’architecte allemande Anna Heringer « Mon architecture est un lieu d’appropriation collective », 27 juillet 2011, source : actuenvironnement.com, URL : https://www.actu-environnement.com/ae/news/ architecture-durable-global-award-anna-heringer-13142.php4, consulté le 18 avril 2019 • Vatov Marie-Christine, « Comment partager l’espace public ? » in Traits urbains, 2013, été, n°62S, p.6-14, consulté le 2 mars 2019 SITES INTERNET • cntrl.fr, URL : http://www.cnrtl.fr/definition/appropriation, consulté le 21 avril 2019 • larousse.fr, URL : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9tail/24748 consulté le 23 avril 2019 • wedemain.fr, URL : https://www.wedemain.fr/L-architecture-comme-arme-demancipation_a3298.html, consulté le 5 mars 2019 • wikipedia.org, URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dessin_d%27architecture, consulté le 27 avril 2019

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ICONOGRAPHIE • Photographie de couverture : De Biasi Mario, « Pattinatori » (Skaters), 1953, source : undr.tumblr.com, URL : https://undr.tumblr.com/post/47363723693/mario-de-biasipattinatori-skaters-1953, consulté le 1er mai 2019 • Figure 1. Cirque Medrano, Lyon, 2013. Photographie réalisée par l’auteur • Figure 2. « La pyramide de hiérarchie des besoins selon Maslow », schéma réalisé par l’auteur, inspiré de Fabrice Renault dans « Les besoins fondamentaux de l’être humain », consulté le 21 avril 2019 • Figure 3. « Le temps de dire ouf et tu le deviens », citation de Petite Poissone, visuel fait par la boutique Petit Shirt à Grenoble, source : petit-shirt.fr, consulté le 20 avril 2019 • Figure 4. Illustration de la sociabilité et du partage chez les enfants. Photographie réalisée par l’auteur, Crémieu, 2016 • Figure 5. « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons nous? », peinture de Paul Gauguin, 1897. Interprétation par du mythe du bon sauvage de Jean-Jacques Rousseau, 1755 • Figure 6. « Un lieu de dispersion de cendres dans la campagne grenobloise ambiances », planche réalisée par l’auteur, studio CMAU_G, ENSAG 2018. Les différentes étapes du deuil et leur accompagnement par l’architecture. • Figure 7. Tuiles de revêtement de toit fabriquées à partir de fûts d'huile recyclés sablés, du Centre d'accueil Twyfelfontein, Namibie, Nina Maritz Architects et Dennis Mc Donald. source : afritecture.org, URL : http://www.afritecture.org/profiles/ninamaritz-understanding-responding-context, consulté le 25 avril 2019 • Figure 8. « Vue de la galerie de l'Arlequin depuis le parc central », photographie datant des débuts de l’Arlequin, vision de cette cité colorée et utopique, source : grenoble.cularo.over-blog.com, URL : http://grenoble-cularo.over-blog.com/2017/06/ le-projet-villeneuve-4/5-villeneuve-de-grenoble-entre-reve-et-realite-1968-1983.html, consulté le 25 avril 2019 • Figure 9. « Le lagon au milieu du parc, il manque juste les cocotiers », photographie datant des débuts de l’Arlequin, vision utopique de la vie dans la cité, source : idem la figure 8. • Figure 10. « 140 galerie de l’Arlequin », photographie par Emeline Wuilbercq, 5 juin 2013, Grenoble, source : emelinewuilbercq.blog.lemonde.fr, URL : http:// emelinewuilbercq.blog.lemonde.fr/2013/06/05/nuit-blanche-pour-les-veilleurs-dequartier/, consulté le 28 avril 2019.

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