À BIENTÔT MÉXICO

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Récit de voyage - rapatriement Laurie Barteldt


VENDREDI 13 MARS 2020 France : 3661 cas confirmés, 79 décès Mexique : 12 cas confirmés, 0 décès

Tout se passe à merveille à Guadalajara, quand j’apprends que la France a annoncé hier soir la fermeture des restaurants, bars et commerces non considérés de première nécessité, due au Covid-19. Les écoles aussi seront fermées à partir du lundi 16 mars. Je commence à me poser des questions sur l’ampleur que cette épidémie va prendre, un peu partout, sachant qu’au Mexique tout va bien et que personne n’en parle vraiment. À midi, nous recevons un mail de l’UdG (Universidad de Guadalajara) qui nous annonce la fermeture de l’école durant 14 jours à partir du lundi suivant, sur ordre de l’État de Jalisco. Cumulé avec les deux semaines de vacances incluant la semaine sainte, l’école rouvrira normalement ses portes le 20 avril. Nous avons donc un mois devant nous, sans mettre un seul pied à l’école. L’université tente de nous rassurer en nous disant que nous allons poursuivre nos cours sur internet, mais connaissant le système scolaire mexicain et l’investissement de certains professeurs, rien n’est sur…

MERCREDI 18 MARS 2020 France : 9134 cas confirmés, 244 décès Mexique : 82 cas confirmés, 0 décès

C’est aujourd’hui que je me rends vraiment compte de l’importance de la situation : la France entière est en quarantaine depuis hier midi. Plus le droit de sortir de chez soi sauf pour quelques motifs hautement justifiés, et pas sans attestation signée. Je commence à envisager un retour anticipé en France, mais j’ai peur pour mon année scolaire. Je me rassure en me disant que de toute façon, quarantaine au Mexique ou en France, ça reste une quarantaine chez soi. Et puis je serai bien au Mexique en quarantaine dans ma grande maison pleine d’étudiants, avec mes amis et le soleil. Nous recevons des mails de l’ENSAG nous assurant que si jamais nous décidons de rentrer avant la fin de l’année scolaire, la validation de notre année ne sera pas mise en péril, puisque nous avons accès à des cours en ligne. Mes amis m’avertissent que les assurances internationales auxquelles nous avons souscrit ne couvrent pas nos frais d’hospitalisation en cas d’épidémie ou de terrorisme. Ok, là on est en plein dedans; si je décide de rester ici et que je tombe malade, je devrai payer mes frais d’hôpital. La situation commence sérieusement à se compliquer. J’appelle alors ma famille, pour leur demander conseil, car à ce moment là je suis un peu perdue. Après plusieurs coups de fil, je décide de peser les pour et les contre d’un retour anticipé; la conclusion : il faut rentrer. Non pas que je ne pourrai pas me confiner ici, à Guadalajara, c’est juste que si je décide de rester ce sera pour un temps indéterminé. L’école ne risquera pas de reprendre car le 20 avril est dans un mois, et dans un mois le Mexique sera sûrement au maximum de l’épidémie. Logiquement, il n’y aura donc pas de reprise des cours. Mes cours sont en ligne donc je peux très bien les suivre de la France. Bon, c’est décidé, je rentre. Minuit, je vais chez mes amis français pour parler de la situation et récolter leurs avis. C’est bien ce que je pensais, ils sont dans le même état d’esprit que moi. On a peur de comment la situation peut évoluer au Mexique, sachant qu’ils ont peu d’hôpitaux, pas de système de sécurité sociale, que la population est assez pauvre, que l’économie est instable, etc. On prend nos billets pour la France, mercredi 25 mars à 19h55 Ciudad


de México - Paris Charles de Gaulle. Il nous coûte entre 550€ et 600€, ce qui fait une grosse somme pas prévue dans nos budgets, ça fait mal… Heureusement que nos familles sont là.

MERCREDI 18 MARS 2020 France : 10995 cas confirmés, 372 décès Mexique : 93 cas confirmés, 0 décès

Je

suis rentrée à 2h du matin chez moi, avec un billet retour pour la France, les émotions sont à leur maximum. Je n’ai fait que réfléchir, je n’ai pas réussi à dormir plus de 3 petites heures. Je n’ai pas faim non plus, je suis stressée et angoissée à l’idée de rentrer à la maison. C’est super difficile car la situation a basculé très très vite. Hier matin je me réveillais, allais bruncher chez mon ami Allan, et ce matin j’ai mon retour pour la France et je dois préparer mes valises. Je crois que je ne réalise pas vraiment ce qu’il est en train de se passer; mon année mexicaine va s’interrompre de la manière la plus brutale et inattendue. Bon, j’essaie de relativiser, j’appelle une amie et commence en même temps à faire ma valise. L’après midi, Clément débarque à la maison pour discuter. Il a besoin de parler de tout ça avec quelqu’un qui le comprend, dans le même cas que lui. On discute quelques heures, il me demande comment je fais pour être aussi calme et rationnelle, ce à quoi je lui réponds que je fais de mon mieux pour gérer de manière sereine cette situation complexe qui tourne au cauchemar. Lui, il a des problèmes de santé, de coeur et de respiration, et on sait que les personnes les plus vulnérables à ce virus sont les gens comme lui, déjà malades et considérés « à risque ». C’est un choix compliqué à faire, mais on sait pertinemment que la décision finale sera juste de retourner en France, pour de nombreuses raisons, qu’elles soient sanitaires, politiques, sécuritaires, familiales, etc. En discutant avec lui, on arrive à se poser quelques questions : y aura-til des vols de rapatriement vers la France dans quelques semaines ? quelqu’un va-t-il nous aider à financer et organiser ce retour, à trouver les billets d’avion ? l’école mexicaine comprendra-t-elle notre décision ? On décide d’appeler l’ambassade de France au Mexique qui a mis en place un numéro exceptionnel, joignable 24h/24 et 7j/7 pour les expatriés. Le gentil monsieur au téléphone essaie tant bien que mal de répondre à nos questions, tout en nous disant que la situation mondiale est en ce moment très grave et que nous devons rentrer au plus vite. Pas lundi, pas mercredi, pas vendredi prochain, non, aujourd’hui. Il nous demande de faire nos valises sur le champ et de rejoindre l’aéroport de la Ciudad de México, la capitale, et d’insister auprès d’AirFrance pour qu’ils nous mettent sur le premier vol en direction de Paris. Et là c’est le choc, ce dernier conseil de l’ambassade ne nous fait pas plaisir, et commence à nous faire paniquer. Mais qu’est-ce qu’on doit faire ? se précipiter sous les conseils des autorités et rentrer au plus vite se confiner vers nos familles avant que tout cela dégénère ici ? Oui, c’est ce qu’on doit faire. C’est irrationnel quand on y pense, de lâcher si vite tout ce qu’on a construit à l’autre bout du monde pendant tant de temps. Ça nous met un coup au moral, mais ce n’est pas le moment de se laisser aller. Nous devons nous prendre en main et agir rapidement, en restant calmes. Jeudi soir 22h, toujours en contact avec mes amis je les avertis de mon dernier appel à l’ambassade. C’est à ce moment là que nous décidons de regarder les avions pour México, bingo il y en a un demain matin 7h à une cinquantaine d’euros. On le prend


de suite, sans réfléchir. Ça y est, c’est fait, on rentre. Demain matin, on se rendra au guichet d’AirFrance à l’aéroport de la capitale pour négocier un échange de billet d’avion et surtout un rapatriement immédiat. J’avertis mes colocataires de mon départ soudain, mes amis mexicains, et je passe une dernière soirée improvisée en leur compagnie, en mangeant les dernières spécialités françaises que j’avais rapporté à Noël; foie gras et chocolats. Je finis mes valises, ma chambre est vidée en un claquement de doigts.

VENDREDI 20 MARS 2020 France : 12612 cas confirmés, 450 décès Mexique : 118 cas confirmés, 1 décès

4h00

du matin, je n’ai une fois de plus pas réussi à fermer l’oeil, mais cette fois vraiment pas une seule seconde. Je n’ai toujours pas mangé, je n’ai pas faim. Je dois me lever et partir pour l’aéroport dans 30 minutes. J’enfile une tenue confortable pour l’avion et le périple qui nous attend, je fais un dernier tour dans la chambre pour voir si je n’ai rien oublié, je ferme la valise et c’est parti. Nous prenons notre avion pour la capitale, nous sommes 5 filles, équipées de nos masques, lunettes, gants, savon et gels hydroalcooliques. Arrivées à México à 8h30, nous nous dirigeons vers le comptoir AirFrance, où nous allions passer une journée plus qu’éprouvante. Pour faire court, la journée est rythmée de hauts et de bas émotionnels « les gens annulent leurs vols vers la France, on vous met dans l’avion de ce soir il y aura des places c’est certain » « ah bah non, il y a déjà 63 personnes devant vous sur liste d’attente » « vous ne rentrerez sûrement ni ce soir, ni demain, ni après demain, et lundi il n’y a plus de vols ils sont annulés » « de toute façon, on ne peut pas vous assurer que votre vol de mercredi sera maintenu », et j’en passe. Au téléphone avec nos familles pour les avertir, on campe devant le comptoir assises sur le sol, surveillant nos valises contenant toute notre vie, durant 10 heures. On essaie de ne pas paniquer, de relativiser, c’est plus facile de se soutenir vu que nous sommes cinq. Très mauvaise organisation de la part d’AirFrance, on nous annonce une heure avant le départ du vol que nous ne partirons pas. Puis après une petite apocalypse créée par les Français en rage, on trouve une envoyée française travaillant pour les affaires étrangères à laquelle on demande d’être rapatriées d’urgence. Avec nous, des familles, des étudiants, des voyageurs, des personnes âgées; nous sommes tous dans le même cas, nous voulons seulement rentrer chez nous. Nous sommes en pleine anarchie dans l’aéroport, tout le monde hurle, pleure, crie au scandale face au manque d’organisation de la compagnie aérienne et leur incapacité à nous renvoyer dans notre pays. C’est super oppressant comme situation, même si j’essaie de garder mon calme, j’avoue me laisser un peu emporter par ce climat chaotique. Au dernier moment, Maëlle passe à travers la foule et se pointe face au supérieur des agents de la compagnie, lui faisant passer un message clair : nous devons monter dans cet avion ce soir, et vous devez arrêter de nous prendre pour des cons. À ce moment là, je venais de réveiller mes grands parents à 3h du matin heure française pour leur dire que je ne rentrerai pas de suite, et que j’étais sûrement coincée ici pour une durée indéterminée. La technique de Maëlle fonctionne, le cadre d’AirFrance nous hurle à travers la foule de lui donner nos passeports et il nous enregistre en catastrophe pour ce vol. On lui jette nos valises en surpoids, il ne prend même pas la peine de nous faire payer le surplus, nous file nos


billets et c’est parti. ENFIN, NOUS PARTONS POUR LA FRANCE. Course contre la montre pour nous rendre à la porte d’embarquement, mais on a réussi. On avertit nos familles, demain 13h35 heure locale nous serons sur le sol français. 20h, nous avons embarqué et l’avion décolle. On ne réalise toujours pas à quel point tout s’est passé très vite. Nous essayons de relâcher la pression, mais c’est compliqué sachant que nous rejoignons un pays en confinement total.

SAMEDI 21 MARS 2020 France : 14459 cas confirmés, 562 décès Mexique : 164 cas confirmés, 1 décès (uniquement cas importés, pas de transmission locale)

JEUDI 26 MARS 2020 France : 25600 cas confirmés, 1102 décès Mexique : 475 cas confirmés, 5 décès (début de la transmission locale)

Arrivées en France comme prévu, on récupère nos valises, toujours avec nos masques et lunettes, on se lave les mains dès qu’on peut, et on espère ne pas avoir chopé le virus en trainant une journée dans l’aéroport… Une fois de plus je n’ai pas dormi dans l’avion; voilà 72h que je n’ai pas réussi à fermer l’oeil. Le stress me tient éveillée. La maman de Mäelle nous attend, elle nous ramène en voiture jusqu’à Lyon. Pratique puisqu’il n’y a plus aucun train ni bus partant de Paris. D’ailleurs, l’aéroport est vide, désert. Les boutiques sont toutes fermées, notre avion est même le seul à atterrir. On est surprises de ne pas subir de contrôle de température ou de symptômes, on ne croise aucun douanier, on passe seulement à travers des portiques automatisés qui vérifient nos passeports. La pression redescend et on rentre tranquillement chez nous. Je pars me confiner avec mes amis à Lyon, en laissant les membres de ma famille se confiner ensemble. Je ne voudrais pas risquer de leur rapporter le virus du Mexique. Ma soeur et ma mère ont sûrement chopé ce foutu virus, elles ne sont pas très bien. Je m’inquiète pour mes grands parents, mais au téléphone ils me rassurent : ils ne sortent pas de chez eux. Que le confinement commence.

Une petite semaine plus tard, je suis prête à terminer ce récit. Je vais mieux, j’ai réussi à me calmer et j’ai surtout enfin pris conscience de ce qui m’était arrivé. Au final, c’est juste un retour anticipé. De toute façon, je devais bien rentrer un jour ou l’autre. Alors oui, le retour était initialement prévu pour le 24 juin, et je me disais que j’avais bien le temps de l’envisager. Mais non, la vie est faite d’imprévus. En quelques jours, quelques heures, quelques minutes, tout peut basculer. Tous nos plans, tous nos projets, tout s’envole. Tout ce qu’on met du temps à construire, de l’énergie, de l’amour, des sentiments profonds, tout est si fragile. C’est pas si grave, la vie continue. Les coeurs sont blessés mais guériront. Les esprits sont bousculés mais s’en remettront. Les fleurs ont fané mais renaitront. Cette expérience mexicaine m’aura tant appris, sur tellement de choses. Je remercie la vie de m’avoir envoyé à cet endroit-ci, à 10 000 km de chez moi, dans un nouveau chez moi finalement. Le Mexique c’était mon second choix pour cet échange universitaire, les sélections ont fait que c’est là-bas que j’ai été acceptée. J’ai du mal à croire au hasard, je pense que rien n’arrive sans raison. Merci à la vie d’avoir mis sur mon chemin des personnes aussi formidables, qui ont fait de mes 8 mois à l’étranger la


plus belle période de ma vie. C’est avec le coeur plus léger et soulagé que j’écris ces quelques mots, et surtout à coeur ouvert. Merci à Alina, Allan, Alex, Stef, Emma, Danahé, Jess, Daisy, Jérémy, la famille Marois, les français du Cuaad et de Guada, Sergio, Chino, Maëlle, Clément, et tellement d’autres encore, de m’avoir fait grandir, de m’avoir appris à voir le monde d’une nouvelle manière, de m’avoir compris artistiquement, de m’avoir fait rire à en avoir mal à la mâchoire, de m’avoir soutenue, de m’avoir transportée dans une autre réalité, dans un rêve éveillé. Merci à la Casa Moustache, au Cuaad, au Fucking Lonches Mezquitán, au bar Américas, aux Papas Cuaad, aux plages du Michoacán, à Guadalajara, merci México.

Le Mexique c’est terminé, mais l’amour ne meurt jamais. Je vous aime du plus profond de mon coeur. Te quiero para siempre, México.

L’épidémie pourrait durer jusqu’en octobre au Mexique, le gouvernement ne prend aucune mesure. Tout le monde n’a pas de couverture sociale, surtout les plus pauvres. Ils vivent au jour le jour de leurs revenus que leur rapportent les quelques repas vendus à la sauvette dans la rue. Le président estime que son rôle est de soigner le moral de la population. Ils continuent à braver les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé, organisent des rassemblements. Une quarantaine mexicaine aurait de fortes répercussions immédiates sur la société et l’économie, mais au même titre que dans le reste du monde qui lui est déjà en confinement. Mexique, je t’ai fui mais par raison. Mexique, j’ai peur pour toi et avec raison.


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