MÉMOIRE de master en architecture

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POUR UNE
EN MILIEU U R BA IN à partir d’une ressource et d’une flière locales A R CHI TE C T U RE D E
TERRE C R U E
DIFFUSION

Remerciements

Je tiens à remercier l’équipe enseignante du séminaire Architecture Environnement Construction : Roberta Morelli, Christine Simonin, Teïva Bodereau, et particulièrement Mohamed Benzerzour pour son suivi tout au long de ce travail.

Je remercie également Magali Castex de Grand Paris Aménagement, d’avoir pris le temps de me recevoir et de répondre à mes questions.

La briqueterie DeWulf, d’avoir partagé avec moi les raisons de leur engagement dans le matériau terre.

Au même titre, je remercie les architectes PaulEmmanuel Loiret et Serge Joly, d’avoir organisé une réunion afn de transmettre aux élèves leurs visions et savoirs sur le matériau.

Enfn, merci à mes amis, à Virginie Mure et Sarah Boulerhcha pour leur soutient quotidien dans la rédaction de ce travail, ainsi qu’à ma famille, tout particulièrement à ma mère Véronique Dropsy, pour ses précieuses relectures.

Laura Brasé

Mémoire de master Janvier 2019

Séminaire “ Architecture, Environnement, Construction”

Directeur du mémoire : Mohamed BENZERZOUR

Autres enseignants : Roberta MORELLI, Christine SIMONIN, Teïva BODEREAU

ENSA Paris-Belleville

A R CHI TE C T U RE

D E

U R BA

à partir d’une ressource et d’une flière locales

POUR UNE
TERRE C R U E
DIFFUSION EN MILIEU
IN

ABSTRACT

Titre

Architecture de terre crue, pour une difusion en milieu urbain, à partir d’une ressource et d’une flière locales

Mots clés

Terre crue - matière - matérialité - ressources naturelles - architecture - milieu urbain - échelle - économie - soutenabilité - sobriété - énergie - écologie industrialisation - artisanat - savoir-faire - technique - mise en œuvre préfabrication - flière - local - global - réversibilité

Résumé

La terre est un matériau de construction naturel, immédiatement à disposition et recyclable, ne nécessitant souvent que peu de transformations et donc énergétiquement très avantageux. Il est utilisé dans la construction depuis des millénaires, mais a cependant été peu à peu efacé des pratiques architecturales en France. Pourtant présent partout et notamment dans les grandes métropoles qui creusent beaucoup, il est pertinent de se questionner aujourd’hui comment il pourrait se réactiver en s’appuyant sur des initiatives durables et collectives émergentes.

Ce travail propose donc, en trois temps, de recontextualiser l’art de la construction en terre crue en France, en faisant le constat qu’il pourrait incarner un renouveau pour l’architecture de nos villes, et en proposant des perspectives de difusion à plus grande échelle.

L’analyse se base sur des entretiens avec des acteurs de sa réactivation dans la région francilienne, et sur l’analyse bibliographique de certains ouvrages et articles portant sur ses diverses caractéristiques environnementales, sociales, historiques, techniques et physico-chimiques.

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Les deux salles de classes

construites dans le cadre

d’un design build studio, au Kenya

AVANT-PROPOS

Le choix du sujet de ce mémoire se fonde sur une expérience qui prend source dans les souvenirs de l’enfance : le modelage de l’argile. Cette première expérience révèle les qualités haptiques liées à sa matérialité, sa chaleur, son humidité, ses sensations de bien-être, mais aussi un caractère fonctionnel, permettant de multiples usages de la vie quotidienne.

Ensuite, c’est une seconde expérience personnelle récente qui réanime l’intérêt pour la matière terre crue, mais cette fois-ci à l’échelle architecturale : en 2017, sous la forme d’un design build studio, avec un petit groupe d’étudiants en architecture nous imaginons et construisons deux salles de classe d’une école dans un milieu rural de la côte kényane1. La terre crue est envisagée et étudiée comme structure porteuse mais vite abandonnée faute de temps et d’expertise des travailleurs locaux. Elle ne sera utilisée que comme enduit. Cette expérience, qui remet la matière au centre de l’apprentissage architectural, va amorcer la naissance d’un intérêt pour ce matériau méconnu.

C’est précisément parce qu’elle représente un tournant dans la façon de concevoir l’architecture, et qu’elle permet à celle-ci d’adopter une nouvelle posture, que la terre crue a été choisie pour sujet d’étude.

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1 Février à juin 2017, projet consultable sur https://scskenyaoslo.wordpress.com

I/ ÉTAT DES LIEUX : CONSTRUIRE EN TERRE CRUE AUJOURD’HUI EN FRANCE

A. Intérêts environnementaux de la terre crue

1. Énergie grise : un faible bilan carbone

2. Elle est biodégradable

3. Améliore le niveau de confort et minimise les besoins énergétiques

B. Un savoir-faire latent

1. Les diférentes techniques

2. Un patrimoine important dans le monde

3. Le cas de la France

C. Les acteurs et les outils immatériels

1. La recherche et l’expérimentation

2. La communication : publications et expositions

3. Le projet architectural

4. Le réseau professionnel

D. Contexte normatif et économique

1. Le contexte normatif actuel

2. Le coût

II/ UN QUESTIONNEMENT ACTUEL EN MILIEU URBAIN, EN ÎLE-DE-FRANCE

A. La disponibilité d’une ressource urbaine et locale

1. Une ressource abondante

2. Une logistique néanmoins complexe

3. Une opportunité environnementale et économique

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SOMMAIRE INTRODUCTION
11 15 17 21 34 46 56 58

B. La problématique de l’urbain

1. Quel modèle ? Quelle échelle ?

2. Quels usages et quels systèmes constructifs ?

3. Comment intégrer la terre crue dans la ville ?

C. Comment constituer une flière ?

1. Fédérer un écosystème d’acteurs

2. La question de l’approvisionnement : faciliter l’accès à la ressource

3. Favoriser l’expérimentation et la formation

III/ DES PERSPECTIVES DE DIFFUSION : 4 ÉTUDES DE CAS

Méthodologie

Cas_1. Le Domaine de la Terre, 1985 un retour d’expérience

Cas_2. La Maison des plantes de Ricola, Martin Rauch, Herzog & De Meuron la préfabrication d’éléments en terre crue

Cas_3. Groupe scolaire des Hauts du Moulin, à Villepreux, Joly&Loiret s’appuyer sur les compétences des briqueteries

Cas_4. Manufacture sur Seine, Réinventer la Seine, Wang Shu, Lipsky&Rollet, Joly&Loiret une hybridation matérielle et une esthétique urbaine spécifque

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CONCLUSION ET PERSPECTIVES ANNEXES BIBLIOGRAPHIE CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES 66 73 81 83 90 18 124 136 154 165 218 220

“Absorbing Modernity” présenté par Rem Koolhaas à la 14ème Biennale de Venise, en 2014

INTRODUCTION

Contexte

La réfexion s’ouvre sur un postulat simple : les territoires de notre planète semblent s’artifcialiser, s’industrialiser, et s’uniformiser toujours plus. Dans le contexte des grandes métropoles, les phénomènes d’urbanisation s’accélèrent et instaurent instabilités et changements dans les dynamiques de fux. Les matières premières et les ressources naturelles s’amenuisent. Un indicateur, l’«Earth Overshoot Day», qui correspond à la date de l’année où l’humanité est supposée avoir consommée l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an, en témoigne. En 1970, c’était le 23 décembre. En 2018 c’était le 1er août. À ce rythme là, l’ONG Global Footprint Network nous avertit que d’ici 2030 il faudrait l’équivalent des ressources de deux planètes

Terre pour soutenir la consommation actuelle2 .

Conjointement à cette consommation efrénée de nos ressources naturelles, de nos énergies fossiles, on assiste à une crise environnementale. Cette activité humaine provoque un changement signifcatif du climat qui a d’ores et déjà des répercussions importantes : pollution, inondations, ouragans, sécheresse, canicules. Le secteur du bâtiment a lui seul serait responsable de 44 % de l’énergie consommée en France, loin devant le secteur des transports3 En tant qu’architecte, cela oblige à se positionner, et à se questionner sur les injustices et les bouleversements que cette course à la consommation implique, en engageant une pensée très concrète sur la matière en relation avec son milieu. Comment articuler les forces de la nature, les ressources naturelles, avec notre culture contemporaine ? Autrement dit, comment serait-il possible d’inventer et de réactiver d’autres alliances matérielles, sociales et techniques entre nature et culture ?

2 Données consultables sur http://www. overshootday.org

3 d’après le Ministère de la Transition écologique et solidaire

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Champ d’étude

Dans ce contexte, le champ de la réfexion s’inscrit dans la revalorisation d’une technique vernaculaire et son potentiel de développement dans le monde contemporain : la construction en terre crue.

On estime aujourd’hui que la moitié de la population mondiale vit dans une habitation en terre crue. Hors, ce matériau n’est que trop peu représenté dans les pays développés. La plupart des acteurs du bâtiment ne retiennent souvent que la vulgarité de la terre, mais paradoxalement, la vertu principale du matériau découle précisément de ce caractère banal et commun, car il permet d’ériger une diversité de structures et d’éléments architecturaux. À cela, s’ajoute un manque de connaissance des vertus écologiques du matériau, qui permettraient de fournir des solutions et des pistes face aux défs énergétiques et climatiques actuels. Dans le monde occidental, les initiatives en terre crue restent ponctuelles car ses modes de production ne permettent pas encore de s’étendre à l’échelle urbaine, à tel point qu’aujourd’hui, il n’existe aucune manifestation de ce matériau en ville dense. Ses modes de production sont lents et ancrés dans un territoire, et apparaissent opposés à une construction dense et efrénée, et donc à sa difusion à une échelle plus globale.

Parallèlement, on observe que la ressource terre est présente partout et en grandes quantités, et notamment dans les grandes métropoles qui, dans leur course à la croissance et au développement, creusent beaucoup et se retrouvent submergées par des milliers de tonnes de terres excavées.

Objectifs

Par le biais de ce travail, l’idée est donc de proposer une résolution du paradoxe d’une ressource extrêmement abondante, pourtant inexploitée dans la construction des villes d’aujourd’hui, en montrant le potentiel d’un

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développement et d’une difusion de la construction en terre crue à plus grande échelle. L’objectif est donc de comprendre comment, par quels moyens et selon quel modèle, la terre crue pourrait trouver sa place dans la construction urbaine actuelle, tout en préservant ses qualités environnementales.

Problématique

Comment concilier l’abondance de la ressource locale qu’est la terre, et une difusion raisonnée à plus grande échelle du matériau terre crue dans l’architecture contemporaine de nos villes ?

Cette problématique engendre de multiples questionnements annexes. Elle interroge sur l’expansion d’un matériau portant des valeurs locales et environnementales dans un contexte d’urbanisation global.

Cela mène à essayer de comprendre comment une flière pourrait s’organiser autour du matériau terre afn de se faire une place dans le monde de la construction. De quels outils les acteurs de cette flière se dotent-ils ? Sur quels savoirs s’appuient-ils ? Quels freins et leviers rencontrent-ils ? Quelles sont les techniques et les mises en œuvre les plus économiquement et environnementalement intéressantes à développer ? Comment amorcer un processus de transformation efcace sans rentrer dans une industrialisation lourde ? Comment rendre ces matériaux compétitifs ?

Hypothèse

Nous formulons l’hypothèse que ce mode de construction, s’inspirant des pratiques vernaculaires et ancré dans un processus de transformation local, trouvera sa place en milieu urbain et se difusera de manière raisonnée, lorsqu’il parviendra à un juste équilibrage entre données environnementales, économiques, production et mise en œuvre, ressources, échelle d’action, savoir-faire et technologies.

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Méthodologie

Afn de répondre à cette problématique et à toutes les questions qu’elle engendre, ce travail se développera en trois temps.

D’abord, il s’agira de faire l’état des lieux de la construction en terre crue, aujourd’hui en France, en mettant en lumière ses caractéristiques environnementales, physico-chimiques, culturelles, historiques et actuelles, ses outils immatériels et réglementaires. Pour cela, nous décrypterons des ouvrages historiques et théoriques spécialisés sur la terre crue.

Dans un second temps, nous mettrons en exergue les problématiques urbaines auxquelles se confronte actuellement un territoire dense : la région francilienne. Celle-ci fait émerger un certain nombre de questionnements et de défs quant à notre gestion de la matière terre, et à la perspective d’avenir de la construction en terre crue dans ce milieu dense. Par l’analyse d’un entretien réalisé avec un acteur actif du territoire : Grand Paris Aménagement, ces questionnements seront complétés par des pistes de réfexion d’un projet actuellement au stade d’une ambition, le projet Cycle Terre.

Enfn, afn de répondre à un certain nombre de ces questionnements, nous constituerons une grille de lecture pour nous permettre d’analyser quatre projets en terre crue choisis car il proposent des innovations constructives en continuité avec la culture ancestrale de l’art de bâtir en terre crue, et en cohérence avec la problématique environnementale.

Ils nous permettront de dégager des éléments de réponse, des perspectives et des leviers, comme des obstacles et des freins, autour de la difusion du processus de construction en terre crue en milieu urbain aujourd’hui.

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I/ ÉTAT DES LIEUX : CONSTRUIRE EN TERRE CRUE AUJOURD’HUI EN

FRANCE

I/ ÉTAT DES LIEUX : CONSTRUIRE EN TERRE CRUE AUJOURD’HUI EN FRANCE

A_Intérêts environnementaux de la terre crue

Enjeux

Nous l’avons dit : le secteur du bâtiment en France représente plus de 44% du bilan carbone. L’objectif et les enjeux de notre époque résident donc dans notre capacité à réduire nos émissions de carbone. Une réponse semble pouvoir s’incarner dans l’utilisation de matériaux naturels, dont la terre crue fait partie. Quels sont les intérêts environnementaux de la terre crue ? Comment permettraitelle une décarbonation de notre environnement bâti ?

1. Énergie grise : un faible bilan carbone

Énergie grise

L’énergie grise représente l’énergie qui est utilisée pour fabriquer un matériau. C’est une valeur qui est fortement dépendante du transport de la matière, de son processus de transformation, et de sa mise en œuvre. En analysant cette donnée, on va ainsi pouvoir connaître les émissions embarquées par la matière lors de ses déplacements et de ses transformations, de sa fabrication à sa mise en œuvre.

Le cycle de transformation d’un matériau en terre crue est, dans la plupart des cas, court et local : extraction et préparation de la terre, transformation, mise en œuvre, et transport, si la terre n’est pas transformée in situ. Si toutes ces étapes sont faites dans un périmètre restreint, alors la terre présentera un bilan carbone très faible. À l’inverse, si elle nécessite un long transport et une lourde transformation, et notamment un séchage mécanisé, alors son bilan carbone va exploser : il n’y aura plus d’intérêt à l’utiliser d’un point de vue environnemental. Tout l’enjeu de la terre crue réside donc dans l’optimisation de sa logistique de mise en œuvre.

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1 JUSSELME Thomas, “Tableronde : les freins et les leviers de la flière terre dans le bâtiment”, conférence Amàco, 2016

Quel bilan carbone pour la terre crue ?

Énergie primaire non renouvelable pour une tonne de matériau1 :

-Terre crue 100 à 200 kWh

-Béton 170 kWh

-Ciment 330 kWh

-Béton armé 850 kWh

-Acier 3560 kWh

Les matériaux en terre crue ne sont pas fabriqués selon un protocole industriel. Leur process de fabrication dépend à chaque fois d’un milieu, d’une ressource, d’un chantier, d’une nouvelle terre, d’un nouvel approvisionnement, d’une technique de production. C’est pourquoi il n’existe pas encore d’analyse de cycle de vie assez précise faite sur ce sujet.

Le bilan carbone de la terre crue peut malgré tout être estimé2 : on le situe entre 100 et 200 kWh par tonne de terre. Cela représente l’énergie primaire non renouvelable pour une tonne de matériau terre. Ce qui est inférieur au ciment ou au béton, et environ quatre fois inférieur à celui du béton armé, puisque c’est surtout l’armature qui consomme de l’énergie grise.

2. Elle est biodégradable

Nous l’avons vu, le ciment représente 5 à 6% des émissions mondiales de gaz à efet de serre. Un des grands écueils de la terre crue dans l’architecture contemporaine réside dans sa stabilisation à l’aide d’un adjuvant chimique, le plus souvent du ciment ou de la chaux.

Dans l’analyse du cycle de vie du matériau, il convient donc de prendre en compte cette donnée.

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2 Idem

Recyclabilité du matériau

Si la terre n’est pas stabilisée, alors elle sera totalement biodégradable. Les bâtiments en fn de vie pourront ainsi être déconstruits et retourner à la terre sans polluer les sols, ou être retransformés en matériaux de construction.

3. Améliore le niveau de confort et minimise les besoins énergétiques

La terre crue n’est pas isolante3. Cependant, elle possède d’autres caractéristiques thermiques intéressantes qui lui permettent de contribuer grandement au confort d’un bâtiment et ainsi de réduire l’énergie consommée.

Régulateur hygrothermique

Elle a une capacité d’absorption de la vapeur d’eau. Grâce aux argiles qu’elle contient, elle possède un grand pouvoir absorbant qui lui permet de s’imprégner de la vapeur d’eau jusqu’à ce qu’un équilibre s’établisse entre le matériau et l’air.

Une brique de terre crue peut ainsi capter 3% de son poids en vapeur d’eau, soit jusqu’à 13,2 kg d’eau absorbés par 1 m2 de mur de 22 centimètres d’épaisseur4. La vapeur d’eau est ensuite restituée dans la pièce. Cet échange dynamique permet de maintenir une hygrométrie constante (autour de 40 à 50% d’humidité). Cette caractéristique physique ne fonctionne que si la terre n’est pas stabilisée et que la surface des murs n’est pas recouverte, auquel cas la matière serait fgée et ne pourrait pas interagir avec son environnement.

Une inertie intéressante

Dans sa phase d’utilisation, la terre va aussi permettre de conserver et de stocker de l’énergie, pour ensuite la dissiper. Cela est dû à plusieurs facteurs :

3 “Thermique : la terre crue améliore le confort hygrothermique”, Les cahiers techniques du bâtiment, mars 2010

4 Idem

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5 “Thermique : la terre crue améliore le confort hygrothermique”, Les cahiers techniques du bâtiment, mars 2010

6 Idem

- sa capacité thermique, qui exprime la capacité du matériau à stocker de la chaleur par rapport à son volume (en W/m3°C : 590 pour le béton, 510 pour le pisé et 380 pour l’adobe5 ). Elle est cependant moins intéressante que celle du béton.

- sa grande efusivité thermique, qui représente la vitesse avec laquelle le matériau va absorber la chaleur (en W.h0,5/m2.°C : 26,6 pour la terre crue, et 6 pour le bois6). La terre va donc absorber rapidement la chaleur

7 Ibid

- sa faible difusivité thermique, qui exprime le temps de déphasage de la chaleur (en m2/h : 2,53 pour la terre crue et 5,92 pour la brique cuite7). La terre va dissiper lentement la chaleur.

C’est intéressant d’une part, pour stocker des apports solaires, utiles en hiver pour les réutiliser la nuit, et d’autre part, pour déphaser cette chaleur en été pour limiter les augmentations de température. Si bien isolée, cela permet de réduire les apports de ventilation ou de chaufage mécaniques, et ainsi de minimiser grandement les dépenses énergétiques.

Là encore, pour que l’inertie thermique fonctionne, la terre doit au maximum rester au contact de l’air, et donc ne pas être recouverte. L’isolation thermique peut être extérieure ou intégrée au mur.

Un matériau sain

8 LOIRET Paul-Emmanuel, JOLY Serge, “Terres de Paris, de la matière au matériau”, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2017, p6

Dans les espaces intérieurs, si la terre n’est pas enduite de plâtre ou recouverte de peinture, c’est un matériau sain. En efet, elle ne dégage pas de COV, de Composés Organiques Volatils, qui constituent la principale source de pollution intérieur des édifces. Car, aujourd’hui à Paris, on considère que l’intérieur d’un logement est davantage pollué que les rues alentour8, en raison des COV émis par les diférents matériaux chimiques mis en œuvre, comme la peinture, les diférents enduits, etc.

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B_Des savoir-faire latents

1. Les diférentes techniques

Dans le monde, on dénombre de très nombreuses techniques de construction en terre crue, qui dérivent de la tradition, et qui sont déclinés avec une infnité de variantes qui traduisent l’identité des milieux et des cultures, mais aussi diférents états hydriques de la matière : sec, humide, plastique, visqueux, liquide. On connait principalement douze modes d’utilisation de la terre crue dans la construction, qui découlent de diférentes actions : former, couler, extruder, mouler, empiler, façonner, comprimer, couper, remplir. Parmi ces techniques, cinq sont très couramment employées1. Nous allons les décrire plus en détail ici.

1 HOUBEN Hugo et GUILLAUD Hubert, “Traité de construction en terre”, Éditions Parenthèses, CRAterre, 1989, p15

- Le pisé est un procédé traditionnel qui consiste à façonner des murs massifs monolithiques, entre 40 et 60 centimètres d’épaisseur, en compactant de la terre humide par petites couches successives, dans un cofrage. Celui-ci est enlevé immédiatement après que la terre ait été damée. L’outil qui sert à compacter la terre est appelé un pisoir ou un fouloir. Aujourd’hui, ceux-ci sont mécanisés. C’est une technique relativement longue à édifer, et qui nécessite une forte main d’œuvre2

2 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p28

Fig.1 : Le cycle de production du pisé

Composition

0 à 15% Graviers

40 à 50% Sable

20 à 35% Limon

15 à 25% Argile

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Composition

15% Graviers

25% Sable

15% Limon

15% Argile

- La bauge est un procédé qui consiste à empiler des boules de terre malléables les unes sur les autres et à les tasser légèrement à l’aide des mains ou des pieds jusqu’à confectionner des murs monolithiques de 50 centimètres environ. La cohésion de la terre permet de faire tenir le mur. Cette technique a l’avantage de se passer de cofrage. Pour éviter les fssurations, des fbres végétales sont mélangées dans la préparation3 .

4 Ibid, p78

- Le torchis consiste à élaborer une structure porteuse en bois garnie de terre. La terre n’assume ici aucun rôle porteur et est posée sur un léger lattis de bois. C’est une technique peu laborieuse à mettre en œuvre : la structure légère en bois étant rapide à monter et le garnissage en terre facile à poser. Cette association de terre et de bois est aujourd’hui déclinée dans d’autres systèmes constructifs, comme métal et terre4 .

Composition

15% Sable

25% Limon

25% Argile

Fibres végétales

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Fig.3 : Le cycle de production du torchis
3
Fig.2 : Le cycle de production de la bauge
Idem, p70

- L’adobe est une technique ancestrale qui repose sur la réalisation manuelle d’une brique de terre crue. À l’origine, les briques étaient moulées à la main à l’état plastique, sans compactage, puis laissées séchées à l’air libre, pendant plusieurs semaines. Aujourd’hui, elles sont soit fabriquées manuellement à l’aide de moules, soit à l’aide de machines. Les adobes peuvent être produites en série, et sont synonyme d’une grande rapidité d’exécution. Elles sont réalisées avec très peu d’outils et permettent de mettre en œuvre tous les éléments de la maçonnerie traditionnelle5 .

5 Ibid, p42

Fig.4 : Le cycle de production de l’adobe

Composition

65% Sable

20% Limon

15% Argile

Fibres optionnelles

- Les BTC, les blocs de terre comprimée sont une adaptation récente d’une technique plus ancienne. Pendant longtemps les blocs de terre étaient fabriqués dans des moules dans lesquels on comprimait la terre humidifée à l’aide d’un petit pilon ou en rabattant avec force un couvercle très lourd. Ce procédé a depuis été mécanisé et il existe plusieurs sortes de presses. Les blocs obtenus peuvent être directement stockés et utilisés et permettent de mettre en œuvre des murs de maçonnerie traditionnelle6 .

6 Ibid, p82

Fig.5 : Le cycle de production des BTC

Composition

15% Graviers

25% Sable

15% Limon

15% Argile

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1 DETHIER Jean, “17891979, l’art moderne de bâtir en terre crue : une saga universelle initiée en France”, D’architectures, juil./août 2017, n°255, p45

2. Un patrimoine de terre crue important dans le monde

La naissance des architectures de terre crue

Les cultures constructives en terre crue ont été initiées il y a plus de 10 000 ans par la révolution néolithique : le passage progressif des hommes du nomadisme à la sédentarité. Cela impliqua une nouvelle nécessité, celle de se construire un habitat fxe, d’abord dans les villages, puis quelques millénaires plus tard, vers -4000 avant J.-C., au cœur des villes et des capitales comme en témoignent les plus vieilles cités du désert tels Shibam au Yémen (voir fg.1), ou Ghadamès à la lisère de la Tunisie et de l’Algérie1. Mais c’est d’abord en Mésopotamie que de nombreuses inventions virent le jour, et de par la rareté du bois et de la pierre, c’est avec la principale ressource du sol que s’inventèrent les premiers savoir-faire constructifs en terre crue.

2 Dans la ville de Shibam, au Yémen, voir fg.1

Les méthodes constructives qui y ont été développées sont sophistiquées et permettent de construire des édifces de toute envergure : de la simple hutte à des immeubles de 10 étages de 29 mètres de haut2 .

Universalité

3 HOUBEN Hugo et GUILLAUD Hubert, “Traité de construction en terre”, Éditions Parenthèses, CRAterre, 1989, p16

Les régions du monde où existent des témoignages de construction en terre crue sont nombreuses sur tous les continents habités. Selon le département de l’énergie américain, 30% de la population mondiale, soit près de 1,5 milliards d’êtres humains, vit dans une construction en terre crue3 (voir fg.2). Pour les pays en voie de développement, il s’agit de 50% de la population, en majorité rurale, et au moins 20% de la population urbaine et périurbaine. Ainsi, 60% des habitations du Pérou ont été répertoriées en adobe ou en pisé. Au Rwanda, 38% des logements sont en terre. En Inde, un recensement de 1971 établissait que 72,20% du bâti était construit en terre. Sur le continent Africain, la majorité des constructions rurales et même urbaines sont en «banco» (Afrique de l’Ouest), en «thobe» (Egypte), en «daga» (Sud-Est) ou en «leuh» (Maroc).

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Fig.1 : Les immeubles de terre crue de la ville de Shibam, au Yémen, les plus vieux gratte-ciel du monde (XVIè siècle).

Fig.2 : Carte des zones de répartition des architectures de terre crue dans le monde (en hachuré)

Ces diférentes appellations rendent bien compte de la diversité des techniques de construction et des savoir-faire en terre crue

Pérennité

4 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p31

Aujourd’hui encore, on trouve dans le monde une multitude d’ouvrages en terre crue construits il y a des centaines d’années. Citons par exemple le Temple d’Horyuji au Japon, classé au patrimoine de l’UNESCO et vieux de 1300 ans. Une partie de ce temple a été construite en pisé non stabilisé et existe encore aujourd’hui4 .

En s’appuyant sur cet exemple, nous pouvons admettre que l’architecture de terre crue est plutôt résistante. Cependant, il est important de noter que ceci s’applique seulement si la construction est adaptée, et est mise en

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œuvre dans de bonnes conditions.

L’expression «de bonnes bottes et un bon chapeau»5 couramment utilisée dans la construction en terre signife que l’édifce doit systématiquement être doté d’une bonne couverture, de débords de toiture conséquents, et d’un soubassement évitant les remontées capillaires et les eaux de rejaillissement.

En efet, si la terre n’est pas protégée, les intempéries, les pluies et les vents dominants causent l’érosion des murs en terre. Cela est dû à l’énergie cinétique battante des gouttes de pluie.

Les évolutions contemporaines

En Europe, notamment en Allemagne et en Autriche, et dans de nombreux pays industrialisés comme les États-Unis, l’Australie, ou encore le Japon, les diférentes techniques constructives de terre crue connaissent de nombreuses évolutions contemporaines, notamment grâce à des innovations techniques. En efet, depuis le premier choc pétrolier de 1973, les ressources naturelles apparurent soudainement limitées6. Cela engendra un regain d’intérêt pour les réponses apportées par les habitats traditionnels vernaculaires en cohésion avec leur site et le climat dans lesquels ils s’intégraient, en mobilisant des matériaux disponibles localement pour répondre aux besoins des habitants. Cela se manifesta, en autres, par la réactualisation de l’utilisation de la terre crue dans la construction par de nombreux architectes et entrepreneurs. Nous allons en voir ici quelques exemples.

Aux États-Unis, dans les années 1970 de nouvelles compétences et innovations techniques autour de l’architecture en pisé se développent sous l’infuence de l’entrepreneur David Easton. Il fonde en 1976 Rammed Earth Works, entreprise avec laquelle il imagine et construit plus d’une centaine de structures en pisé7. En 2011, il continue à moderniser les techniques de

5 BUI Quoc-Bao, “Stabilité des structures en pisé : durabilité, caractéristiques mécaniques”, Thèse doctorale, 2008, p55

6 RAEL Ronal, “Earth architecture”, Princeton Architectural Press, 2009, p7

7 GAUZIN-MÜLLER Dominique, “Architecture en terre d’aujourd’hui”, Museo éditions, CRAterre, 2016, p48

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construction en terre crue en s’associant à l’entreprise Watershed Materials8

La mission de cette dernière étant de réduire l’utilisation de ciment dans la fabrication de matériaux de construction en terre crue. Car, en efet, aux ÉtatsUnis, toutes les références contemporaines mettent en œuvre de la terre crue stabilisée avec du ciment. On peut donc se poser la question de la relative soutenabilité de ces modes de production.

En Australie, dès les années 1980, la technique du pisé s’afrme comme un procédé moderne et industrialisé9. De nombreuses entreprises spécialisées voient le jour et réalisent en partenariat avec divers architectes une multitude d’édifces : maisons individuelles, habitats collectifs, grands ensembles hôteliers, etc. Ce renouveau vient du fait que le pays se dote de normes spécifques pour la construction en terre crue, pour favoriser le développement et l’expansion de techniques de construction écologiques. Cependant, celles-ci imposent de rajouter un pourcentage considérable de ciment pour atteindre des résistances mécaniques et structurelles très élevées. La terre crue perd ainsi toutes ses qualités thermiques et écologiques.

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9 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p54-55 Fig.3 : une innovation technique mise au point par David Easton
8 watershedmaterials.com
Fig.4 : bâtiment en pisé conçu par l’architecte Peter Quinn, à Perth, en Australie

À Mayotte, une flière terre est mise en place dès les années 1980, dans le cadre d’un grand programme d’amélioration de l’habitat mené par le laboratoire CRAterre. Une vingtaine de briqueteries voient le jour dès 1982, et en 20 ans, plus de 15 000 bâtiments, soit plus d’un million de mètres carrées de logements et d’équipements collectifs sont construits en BTC10 Cependant, il est important de noter que cette terre a été excessivement stabilisée au ciment, à tel point que celle-ci ne représente plus aucun aspect environnemental.

En Autriche, dès 1999, avec son entreprise Lehm Ton Erde, le céramiste de formation Martin Rauch, réactualise l’argile, et plus particulièrement la technique du pisé comme matériau de construction11. Il améliore le mélange, les techniques de compression, la forme des cofrages. Chacune de ses collaborations donne lieu à de nouvelles innovations, toujours à la croisée de savoir-faire artisanaux et des nouvelles technologies. L’entrepreneur autrichien refuse toute utilisation de ciment pour stabiliser la terre, afn que l’édifce puisse suivre un cycle naturel, sans contamination du sol et sans déchets.

10 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p86-87

11 KAPFINGER Otto et SIMON Axel, “The Rauch House : a model of advanced clay architecture”, Birkhauser, 2011, p10

29
Fig.5 : maisons construites en BTC à Mayotte, par le laboratoire CRAterre Fig.6 : la maison Rauch, construite en pisé non stabilisé, 2008

1 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p34

France

Une diversité de techniques

En France aussi, dans l’histoire, dès que le bois et la pierre ont fait défaut, la construction en terre s’est développée dans le bâti ancien : elle représente environ 15% de l’ensemble du patrimoine architectural français1

Comme on peut l’observer sur la fgure 7, c’est l’un des rares pays à déployer sur son territoire l’ensemble des quatre principales techniques constructives en terre crue précédemment décrites (voir p.23-25).

On retrouve par exemple, dans le Nord de la France, en Normandie, en Picardie, en Champagne, en Alsace, de nombreuses maisons à colombage avec un remplissage en torchis. Elles représentent 60% du bâti traditionnel dans ces régions2 .

La région Rhône-Alpes, quant à elle, témoigne du plus riche et dense patrimoine en pisé d’Europe, et ce, autant en milieu rural que dans les villes, en particulier à Lyon. Dans cette région, 40% des maisons traditionnelles rurales sont construites en pisé3. Dans les territoires du nord de l’Isère, ce chifre atteint même 90%.

Dans l’Ouest de le France, notamment en Bretagne, en Vendée et en Normandie, c’est la technique de la bauge qui se développe.

Enfn, dans la région du Sud-Ouest, dans le Gers et dans la région de Toulouse, c’est la technique de l’adobe qui se répand4

Les techniques sont une résurgence des milieux

Cette diversité des techniques est due à la grande variété des sols présents dans les diférentes régions de France, ainsi qu’à leur diférents états hydriques5. La terre est toujours composée des mêmes ingrédients : des argiles, particules très fnes, des limons (des sables très fns), des sables, des

30
3. Le cas de la
2 Idem 3
4
et
Ibid 5 Ibid, p102-107

Fig.7 : Carte de France localisant les diférentes techniques de construction en terre crue, établie par le CRAterre

Le pisé, en région

Rhône-Alpes-Auvergne

L’adobe, dans la région de Toulouse

Le torchis, en Alsace, dans le nord-est et le nord-ouest

La bauge, en Normandie et en Bretagne autour de Rennes

31

6 DETHIER Jean, “17891979, l’art moderne de bâtir en terre crue : une saga universelle initiée en France”, D’architectures, juil./août 2017, n°255, p45

graviers et des cailloux, qui viennent de la décomposition de la roche. Selon l’endroit où l’on se trouve, le sol va être composé de toutes ces particules, mais en diférentes proportions, et avec diférentes quantités d’eau. Les diférents squelettes granulaires, et donc l’aspect de la matière et la physique des grains, ont fait émerger diférents gestes de bâtisseurs, et donc diférentes techniques. Les cultures constructives sont donc apparues par rapport à une matière, une ressource. Les architectures de terre sont des réponses situées. En Rhône-Alpes, par exemple, le sol est plutôt composé de gros cailloux. Cela a généré la technique du pisé, et l’émergence d’une culture constructive propre à cette technique.

La théorisation des techniques

7 Ibid, projet non réalisé de la ville nouvelle de Napoléon-Ville à vocation militaire, destinée à loger en Vendée 15 000 habitants.

Après cet épisode ancestral de l’art de bâtir en terre crue porté durant des millénaires par des constructeurs anonymes, il semblerait qu’il y ait un vide dans l’histoire de l’architecture de terre crue. Cependant, celle-ci connaît bien une seconde évolution, moins connue que la première, se manifestant sous forme d’une théorisation des usages traditionnels. Ce second épisode, a été porté, durant la révolution industrielle initiée en France en 1789, par un maître-maçon lyonnais : François Cointeraux6. Originaire de la région RhôneAlpes, il agit alors pour moderniser et actualiser la technique traditionnelle du pisé, et mettre en pratique sa technique du Nouveau Pisé.

Il en résulta une édifcation de bâtiments utilitaires et de manufactures en milieux ruraux et suburbains. En 1807, Napoléon Ier eu même le projet d’appliquer cette technique dans la construction d’une ville nouvelle7 .

8 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p35

Dans les années 1820, des immeubles d’habitation de cinq à sept étages

furent construits en Nouveau Pisé dans le centre historique de la CroixRousse de la ville de Lyon, et demeurent aujourd’hui encore parmi les édifces les plus hauts du monde construits en terre crue8 .

32

Des savoir-faire encore latents dans la construction contemporaine Étrangement, en France, les évolutions contemporaines de l’architecture de terre crue restent confdentielles.

Nous verrons par la suite, que c’est pourtant ici, dans les années 1980, que la plus importante réhabilitation des techniques de construction en terre crue vit le jour, grâce à la création du laboratoire CRAterre. Sous son impulsion, une opération importante est construite en 1985 : le Domaine de la Terre9 , un quartier de 2,2 hectares, entre Lyon et Grenoble, qui met en œuvre la terre

crue selon diverses techniques.

Ce projet sera étudié en troisième partie de ce travail, pour dégager les raisons, entre autres, pour lesquelles ce quartier n’a donné aucune suite en France.

Car, ce n’est que très récemment qu’on assiste à un réel engouement et médiatisation de la terre crue dans l’architecture contemporaine, et notamment dans le cadre des problématiques environnementales.

33
Fig.8 : des immeubles d’habitation en pisé du centre historique de Lyon, datant des années 1820. 9 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p38-39

1 “Terres de Paris, de la matière au matériau”, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2016, p26

C_Les acteurs et outils immatériels

1. La recherche et l’expérimentation

CRAterre

C’est en 1979, à Grenoble, au sein de l’École d’architecture, que le Centre de Recherche et d’Application en terre est fondé. À l’origine, ce n’était autre qu’une association d’étudiants, le groupe Palaftte1, destiné à actualiser et promouvoir les connaissances scientifques et techniques sur la construction en terre crue. Leur ambition était de valoriser les vertus d’un matériau omniprésent et de moderniser son emploi pour proposer une alternative aux matériaux coûteux en énergie. Progressivement, l’association s’est agrandie pour devenir un laboratoire de recherche, et rassemble aujourd’hui une trentaine de chercheurs, professionnels et enseignants autour de champs disciplinaires divers (architecture, anthropologie, sociologie, ingénierie, archéologie, etc)2 .

Il y a quarante ans, parce que toutes les techniques avaient disparu, il fallait réinventer les façons d’analyser la terre, de la comprendre, de la formuler. Le CRAterre prônait alors l’ajout de ciment dans les constructions en terre, pour des questions d’assurabilité, et dans le but d’une meilleure et plus efcace difusion du matériau dans la construction. Cependant, ils semblent encore être aujourd’hui dans la même logique, alors que les techniques ont largement évolué, et que certaines constructions commencent à être acceptées sans ciment.

Ils développent actuellement trois axes de recherche3 : un axe matériau, où ils vont réféchir aux classes d’emploi des diférentes techniques et à leur mise en œuvre. Pour cela, ils adoptent ici plutôt le point de vue d’un maçon; un axe patrimoine, où ils interviennent un peu partout dans le monde pour

34
2 craterre.org 3 Idem

restaurer du patrimoine ancien en terre ; et un axe habitat d’urgence où ils vont reconstruire des maisons dans les pays du Sud.

Ils développent certains partenariats avec d’autres laboratoires comme l’ESPCI, l’École Scientifque de Physique Chimie de Paris, ou encore l’INSA, l’Institut National des Sciences Appliquées, qui vont eux plutôt apporter des connaissances physico-chimiques, à l’échelle de la matière, sur la physique des grains et leurs comportements. Ils développent des matériaux en terre très performants, cependant sans vraiment se poser la question de leur mise en œuvre.

Amàco

En 2012, Amàco, Atelier matières à construire, voit le jour en partenariat avec le CRAterre et l’école d’architecture de Grenoble, et initie un programme

pédagogique intitulé «Grains de bâtisseurs» qui propose d’expérimenter avec la matière et la «physique des milieux granulaires secs et humides et la physico-chimie des argiles»4 sous forme d’ateliers pédagogiques.

C’est un lieu destiné aux scolaires, au grand public, mais également aux professionnels de la construction. En expérimentant et en élaborant des matériaux, les architectes et ingénieurs d’Amàco souhaitent mettre en avant le cheminement de la transformation d’une matière naturelle en un matériau de construction.

Le projet d’Amàco est porté, entre autres, par les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, situés entre Lyon et Grenoble. C’est un lieu dédié à l’expérimentation et à la construction de prototypes en grandeur réelle, qui permettent de tester des innovations, et avancées technologiques, et qui font progresser le champ de connaissance du matériau terre.

35

5 Patrice DOAT, Alain HAYS, Hugo HOUBEN, Silvia MATUK, François VITOUX, “Construire en terre”, Collection AnArchitecture, 1979

6 HOUBEN Hugo et GUILLAUD Hubert, “Traité de construction en terre”, Parenthèses, 1989

7 Idem, p10-11

8 DETHIER Jean, “Le CRAterre, l’expérience made in France”, EcologiK, déc/janv 2010, n°12, p56

CRAterre et Amàco entament un travail essentiel de pédagogie et de conseil. Ils agissent sur le terrain pour faire reconnaitre les architectures de terre et le matériau terre auprès du grand public, collectivités et habitants, mais surtout auprès des professionnels de la construction, maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage.

et

Du fait d’une faible culture générale sur les architectures de terre crue, les architectes consacrent en efet du temps à expliquer et rassurer en permanence les maîtres d’ouvrage et les diférents intervenants au cours d’un projet. Le CRAterre intervient donc dans de nombreux projets en tant qu’accompagnateur et expert. Il rassure les professionnels, les assureurs, les bureaux techniques, les maîtres d’ouvrage, par des références reconnues en capitalisant les données techniques, scientifques et culturelles existantes au sein d’ouvrages ofciels.

2. La communication : publications et expositions

Publications

CRAterre publie «Construire en terre»5 (fg.1) en 1979, puis en 1989, le «Traité de construction en terre»6 (fg.2), premières synthèses dans le domaine de la construction en terre crue, qui s’appuient sur l’analyse et la réinterprétation de témoignages universels d’architectures vernaculaires en terre crue. En étudiant leur intelligence constructive, ils mettent en lumière pour la première fois le matériau terre, ses modes d’utilisation, les procédés de construction, et les éléments de conception des bâtiments en terre7. Ces ouvrages, d’une «exhaustivité encyclopédique»8, traduits en de nombreuses langues et difusés sur tous les continents, permettent à de nombreux bâtisseurs d’avoir accès, pour la première fois, à des référentiels techniques

36
La pédagogie et le conseil Parallèlement, et en lien avec la recherche
l’expérimentation,

concernant ce matériau de construction millénaire.

Plus récemment, en 2015, dans le cadre du Terra Award, un prix international récompensant des architectures contemporaines en terre crue, un livre9 a été publié, à l’initiative du CRAterre, Amàco et de la revue EcologiK. Le but de cette publication est d’identifer des projets remarquables en terre crue, mais aussi de souligner le courage des maîtres d’ouvrage qui ont fait le choix de la terre. En faisant cela, le Terra Award entend prouver la modernité du matériau aux professionnels et au grand public.

Cependant, ce livre reste assez décrié par certains professionnels de la terre crue. En efet, près des trois quarts des projets présentés mettent en œuvre de la terre largement stabilisée au ciment. L’aspect environnemental du matériau semble dangereusement délaissé, dans le seul but de favoriser sa difusion dans l’architecture contemporaine.

Fig. 1 : Le premier ouvrage du CRAterre, Construire en terre, Éditions Alternative et Parallèles, 1979

Fig. 2 : Le second ouvrage du CRAterre, Traité de construction en terre, Parenthèses, 1989

9 GAUZIN-MÜLLER

Dominique, “Architecture en terre d’aujourd’hui”, Museo Editions, 2016

37

10 DETHIER Jean, “Des architectures de terre, ou l’avenir d’une tradition millénaire”, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1981, p14-15

Une exposition historique

En 1981, Jean Dethier, un architecte et urbaniste belge, monte une exposition au Centre Georges Pompidou intitulée «Des Architectures de Terre, ou l’avenir d’une tradition millénaire». Après le choc pétrolier de 1979, lorsque survient la crise mondiale de l’énergie, il s’interroge sur la manière d’aborder l’épuisement des ressources terrestres par le biais de l’architecture10 . À une époque où on ne parlait que d’architecture moderne, il exprime l’idée qu’il faudrait favoriser l’usage de matériaux naturels nécessitant peu de transformation et de transport, et ne générant presque pas de pollution. La terre crue répondait à ces critères.

11 Idem

Cependant, à cette époque en France, l’idée qu’il puisse y avoir une architecture moderne de terre était jugée totalement utopique. Pour appuyer l’idée que la terre n’était pas en opposition avec la modernité, un livre catalogue11 synthétisant l’exposition, et enrichi de textes complémentaires est publié. En raison d’un fort intérêt du public, l’exposition s’est fnalement prolongée de quinze ans, sous forme itinérante dans divers pays. Cette exposition, les publications associées et toute la communication qui a été entreprise autour ont largement contribué à la réactivation des connaissances autour de ce matériau.

Une exposition-expérimentation

En 2009, est inaugurée à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette

l’exposition intitulée «Ma terre première, pour construire demain» et permettait

12 FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, “Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture”, Paris Belin Cité des sciences et de l’industrie, 2009, p5

d’éprouver physiquement les qualités du matériau. Un livre l’accompagne :

«Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture»12

Ce n’est que sept ans plus tard, en 2016, qu’est inaugurée, dans la région francilienne, la troisième exposition concernant le matériau terre dans

38

Fig.3 : Vue des maquettes géantes de l’exposition «Architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire» au Centre Pompidou, en 1982

l’architecture : «Terres de Paris, de la matière au matériau» 13. Il s’agissait plutôt d’une exposition-expérimentation créée par le Pavillon de l’Arsenal, et sous la direction des architectes Serge Joly et Paul-Emmanuel Loiret14, en collaboration avec le CRAterre et Amàco.

Les deux architectes lancent d’abord le débat sur la construction en terre dans la métropole, dans le cadre du concours Réinventer Paris15, en 2015, pour lequel ils avaient proposé une petite tour d’une dizaine d’étages en terre crue dans le treizième arrondissement de Paris.

13 Exposition “Terres de Paris, de la matière au matériau” présentée du 13 octobre 2016 au 8 janvier 2017

14 De l’agence d’architecture Joly & Loiret située dans le 13ème arrondissement de Paris.

39

15 “Réinventer Paris, appel à projets urbains et innovants”, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2016

16“Terres de Paris, de la matière au matériau”, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2016, p4

Cette exposition s’inscrit dans la continuité d’un questionnement sur la matière naturelle en ville. De l’extraction aux tests de transformation, l’exposition propose un autre cycle de la matière, de la ressource au matériau, pour fabriquer la ville de demain. C’est l’occasion de proposer, en plus de présenter des prototypes de matériaux innovants tels de la terre coulée non stabilisée, un changement dans le processus de fabrication de la ville. La transformation de la matière serait à l’émergence de tout processus de fabrication de l’architecture, et en changeant le mode de production, on pourrait aussi impacter la fabrication des villes16 .

3. Le projet architectural Un témoignage

Avant l’exposition de 2016 au Pavillon de l’Arsenal, les architectes Joly&Loiret, font une première expérience de mise en œuvre de la terre crue dans un de leur projet : en 2013, dans le cadre du projet de la Maison du Parc Naturel Régional du Gâtinais, à Milly-la-Forêt, dans l’Essonne.

17 Conférence “La voie des milieux” par Joly&Loiret, à la Cité de l’architecture, le 28 mai 2018

Le bâtiment déploie une structure en bois, un sous-bassement en pierre de Grès et un bardage en Pin. À l’intérieur, au centre du bâtiment, telle la colonne vertébrale du projet, les architectes souhaitaient réaliser un mur en terre crue avec pour vocation «d’introduire une matérialité particulière mais aussi d’apporter l’inertie thermique qui n’était pas assurée par la construction bois, le bois n’ayant pas cette capacité à emmagasiner et restituer la chaleur ou le froid»17 .

Dans leur démarche, ils se sont retrouvés confrontés à la problématique de l’approvisionnement en ressource locale. Il y avait des terres proches et réutilisables en région parisienne, ils voulaient donc absolument construire avec ce qui était là. Cependant, ils n’avaient pas connaissance de qui pourrait mettre

40

en œuvre la terre crue dans la région. Tout simplement, cela n’existait pas alors en Île-de-France. Dans certaines régions, comme la région de Grenoble par exemple, nombre d’acteurs locaux, artisans et ouvriers, ont connaissance de la terre dans la construction. Dans les délais et les problématiques économiques qui se posent dans les projets de la région francilienne, une mise en œuvre locale fut alors

impossible. Ils ont donc été contraints d’importer la terre d’Allemagne18 Malgré l’incohérence du processus, ils vont au bout de leur démarche et construisent ce mur en briques d’adobes avec un enduit mono-couche de terre, comme illustré sur la fgure 5.

de l’Arsenal en 2016

18 Conférence de lancement Cycle Terre, le 27 septembre 2018 au Pavillon de l’Arsenal

41
Fig. 4 : Vue de l’exposition “Terres de Paris, de la matière au matériau”, au Pavillon

Fig. 5 : Vue du mur d’adobes et enduit terre en chantier, dans la Maison du Parc Naturel Régional du Gâtinais, à Milly-laForêt, par Joly & Loiret, en 2013

Par le projet architectural, cette première expérimentation architecturale en terre crue leur a permis d’identifer les freins qu’il fallait débloquer pour aller plus loin et construire par la suite à Paris, en terre locale.

Le rôle des architectes

Le projet d’architecture et les architectes jouent donc un rôle essentiel dans le développement de la flière terre. Ils sont à l’origine d’un réel élan et exercent un véritable pouvoir de persuasion auprès des maîtres d’ouvrage en faveur d’utilisation de matériaux naturels en milieu urbain. Ils permettent de fédérer une équipe solidaire autour de la terre le temps d’un projet et de faire émerger des compétences sur le long terme dans un territoire dépourvu de

42

véritable flière. Cependant, de sa phase d’esquisse à sa phase de livraison, un projet est limité dans le temps, et s’il n’y a pas de volonté de la part d’un maître d’ouvrage ou d’un maître d’œuvre de prolonger l’expérience de la terre crue dans de futurs projets, le réseau d’acteurs ne peut pas se mettre en place sur le long terme.

4. Le réseau professionnel

Asterre

L’Association Nationale des professionnels de la Terre crue, AsTerre, a été fondée en 2006, d’un désir mutuel de collaboration et de communication entre les diférents partenaires qui œuvrent depuis une trentaine d’années à la reconnaissance des savoir-faire des architectures en terre crue19. Elle a pour but de fédérer les acteurs de la construction en terre crue : artisans, chefs d’entreprises, producteurs de matériaux, architectes, ingénieurs, organismes de formation, mais aussi les collectivités locales ou autres associations développant des activités autour de l’architecture de terre.

Des flières localisées et dispersées

Jusqu’à présent, en France, le développement de la terre crue s’est basé sur la mise en place de flières localisées et dispersées sur le territoire, à l’initiative d’acteurs locaux engagés, sans lien les unes avec les autres20 . AsTerre permettrait donc de les regrouper et de favoriser les échanges et le dialogue entre les diférents acteurs à l’échelle du pays.

Répertorier les acteurs

L’association met à disposition sur son site internet un Annuaire des professionnels de la terre crue, qui en 2015 regroupait 65 professionnels en France et qui aujourd’hui, en 2018, en regroupe 94, dont seulement 8 en

19 asterre.org

20 “Architecture en terre crue, quel avenir en France?”, EK mai/juin/juil 2016, n°50, p64

43

21 asterre.org/pros-asterre. htlm

région Île-de-France. Ils sont répartis en cinq catégories : artisans, formateurs, associations, architectes, producteurs-distributeurs et autres21 .

22 “Architecture en terre crue, quel avenir en France?”, EK mai/juin/juil 2016, n°50, p65

D’après Patrice Doat22, cofondateur du CRAterre, «les acteurs de la terre sont bien plus nombreux qu’à la création du laboratoire de recherche, mais ils ne sont pas encore vraiment organisés».

En atteste la comparaison des deux cartes de répartition du réseau professionnel entre 1999 et aujourd’hui (fgures 6 et 7). Certaines régions, comme les régions Rhône-Alpes, Auvergne, Normandie ou Bretagne, ont en efet un réseau plus actif que d’autres. Ces flières localisées sont très présentes dans leur région mais ne tissent pas de liens avec les autres régions. On ne peut donc pas vraiment parler de flière nationale

23 Idem

24 be-terre.fr

En outre, même si de plus en plus d’architectes sont attirés par la terre, les bureaux d’études spécialisés dans la terre crue restent très rares. Certes, le nombre d’entreprises augmente, mais celles-ci «ont souvent plusieurs métiers et travaillent rarement à 100 % avec le terre crue»23 . Le bureau d’étude BE-Terre24 en est un des seuls, et est basé entre Grenoble et Lyon.

Le cas de l’Île-de-France

25 aussi connue sous le nom de briqueterie d’Allones

Dans la région, il est intéressant de noter que dans l’annuaire d’AsTerre, parmi les 8 acteurs répertoriés, nous ne retrouvons pas certains architectes comme Joly & Loiret, ou encore la Briqueterie DeWulf 25, qui est la briqueterie la plus proche de la région Île-de-France. Pourtant, ce sont des partenaires essentiels à l’établissement de la flière Île-de-France.

En région francilienne, on ne peut pas parler de flière organisée. Nous verrons par la suite que le territoire compte un certain nombre d’acteurs engagés, mais qui ne tissent pas encore de liens entre eux. Hors, il s’agit aujourd’hui de promouvoir sur ce territoire des coopérations qui valorisent l’ensemble des expériences acquises sur de multiples territoires.

44

Fig.6 : Le réseau d’acteurs en 1999

Source : “Le torchis”, Maison Paysanne de France, 1999

Fig.7 : Le réseau d’acteurs en 2018

Source : “La flière terre crue en France”, Elvire LEYLAVERGNE, 2012, p21 + Annuaire des professionnels de la terre crue

Les acteurs

Artisans/Entreprises

Producteurs

Sensibilisation

Maîtres d’œuvre et BE Formations

Laboratoires

45

1 Publication Afnor, “Bâtiment : bien utiliser les textes de référence”, 2017

D_Contexte normatif et économique

1. Le contexte normatif actuel

Aujourd’hui, il existe peu de références techniques pour la construction en terre crue. Cependant, l’élaboration de référentiels et de méthodes scientifques de caractérisation du matériau permettent l’ébauche d’une normalisation.

Deux domaines : traditionnel et non traditionnel

On distingue le domaine traditionnel regroupant les Documents Techniques Unifés (DTU), les normes, et les Règles Professionnelles, du domaine non traditionnel qui regroupe les travaux du type : Avis Techniques (ATec), Documents Techniques d’Application (DTA), Appréciations Techniques d’Expérimentation (ATEx) et autres textes relevant des nouvelles réglementations et des nouvelles technologies1 .

Actuellement, la plupart des techniques et mises en œuvre de la terre crue ne font l’objet d’aucun texte ofciel, et ne rentrent donc dans aucun des deux domaines précédents : ce sont des techniques dites non courantes2 .

2 Idem

Il existe cependant quelques travaux, et notamment deux certifcations relevant du domaine traditionnel, et d’autres procédures comme des ATEx, sur des techniques spécifques de construction en terre crue.

Deux réglementations relavant du domaine traditionnel

- En octobre 2001, la norme AFNOR XP P13-901 «Bloc de terre comprimée pour murs et cloisons» adaptée au contexte de Mayotte à été mise en place3 (voir fg.1).

4 “Publication semestrielle C2P”, Édition juillet 2018

- En mars 2012, une Règle Professionnelle a été adoptée concernant «la mise en œuvre des enduits sur supports composés de terre crue»4 (voir fg.2).

46
3 afnor.fr

Trois catégories d’ATEx5

Par la validation d’ATEx (Appréciations Techniques d’Expérimentations), le CSTB, Centre Scientifque et Technique du Bâtiment, permet aux diférents acteurs de la construction de tester et d’expérimenter en vraie grandeur de nouvelles techniques de construction innovantes.

- l’ATEx de type A vise une innovation qui peut être appliquée sur diférents chantiers pendant une durée limitée (généralement trois ans).

- l’ATEx de type B s’applique à une technique constructive pour un projet précis et un chantier identifé, et est donc à usage unique.

- l’ATEx de type C permet une nouvelle expérimentation d’une technique ayant préalablement fait l’objet d’une ATEx de type B.

47
5 “Pourquoi une Atex ?”, Les cahiers techniques du bâtiment, 2014 Fig. 1 : Couverture de la norme AFNOR XP P13-901 sur la BTC Fig. 2 : Couverture de la règle professionnelle sur les enduits terre

6 Conférence “Construire avec la terre” du 8 octobre 2018 à la Maison de l’Architecture, Paris

Plusieurs travaux relevant du domaine non traditionnel

Dans le cadre de diférents projets en terre crue, plusieurs ATEx ont déjà été rédigées. Par exemple6, en 2013, la Maison de la Santé de Badonviller (54), par l’agence Mil Lieux, a nécessité la rédaction d’une ATEx de type B, pour la mise en œuvre de murs intérieurs en pisé préfabriqué.

En 2017, le Pôle Culturel de Cornebarrieu (31) imaginé par APM Architecture a fait l’objet d’une ATEx de type A, dans le cadre de la mise en œuvre de murs porteurs en briques de terre crue comprimée (BTC).

Les ATEx sont la voie réglementaire la plus utilisée concernant la construction en terre crue. Ce sont cependant des procédures longues et coûteuses, ce qui décourage parfois les maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage.

Assurabilité

Ne pas bénéfcier de règles écrites empêche la terre crue de rentrer facilement sur le marché de la construction et pose donc la question assurantielle.

En efet, tous ces outils normatifs sont indispensables du point de vue contractuel. Ils permettent aux assureurs de délivrer la garantie décennale pour le gros œuvre, et bisannuelle pour le second œuvre, et protègent donc les entreprises et architectes7 .

Favoriser le développement de la flière

Du point de vue du développement de la flière, ces textes sont nécessaires car ils soutiennent activement l’ensemble des dynamiques de formation, de sensibilisation et de recherche. En développant des outils facilitant l’assurabilité des mises en œuvres des techniques en terre crue, on élabore ainsi des procédures permettant de valider l’emploi de ressources naturelles.

48
7 Publication Afnor, “Bâtiment : bien utiliser les textes de référence”, 2017

Les guides de bonnes pratiques

Parallèlement, et en complément, à l’élaboration des ces normes, règles professionnelles, et appréciations techniques, des guides de recommandation technique sont établis.

L’objectif de ces guides de bonnes pratiques est de sensibiliser les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre sur la capacité des systèmes constructifs en terre crue. En plus de cela, leur ambition est de faire passer des systèmes constructifs non industrialisés en terre crue d’une technique non courante à une technique courante. Ces guides renvoient à des obligations de résultats et non de moyens.

Par exemple, en 2010, un ATEx de type A est rédigé sur l’emploi du pisé pour la période 2010-2015, qui est alors complétée par un «Guide de recommandations techniques sur le pisé, sa mise en œuvre, ses caractéristiques et ses développements destinés principalement aux artisans et entreprises et autres acteurs du bâtiment»8. Cette démarche tend à valoriser la technique constructive du pisé sur un territoire précis. Elle s’applique à tout projet intéressé par son utilisation, et pas seulement à un projet spécifque. Cependant, ce code de bonne pratique, bien qu’élaboré et reconnu par les professionnels, et notamment le laboratoire CRATerre, n’engage aucune validation par les organismes de certifcation.

Normer des matériaux ou un niveau de compétence ?

Il est intéressant de se demander si dans le domaine de la construction en terre crue il ne serait pas plus pertinent «d’appréhender l’acte de construire par l’évaluation du niveau des compétences mis en œuvre pour atteindre le résultat, plus que le contrôle des diférents éléments et étapes de fabrication, qui prennent comme hypothèse la répétabilité des processus et

8 CRATerre, “Code de bonne pratique du pisé”, Contrat de développement durable Rhône-Alpes Isère Porte des Alpes et Val Du Dauphiné, 2010-2015

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9 RIGASSI Vincent, Un édifce sans qualités, A’A’ n°381, p29-36, 2011

une homogénéisation des constituants»9 Faut-il normer des produits ou bien régulariser des techniques de construction et des savoir-faire ?

Certains procédés comme la technique de la BTC, sont certainement plus appropriés à une fabrication en série, que d’autres techniques, telle celle du pisé, qui demande une mise en œuvre très particulière.

En outre, nous l’avons vu, en fonction des milieux, la terre est changeante.

Une homogénéisation des techniques de production d’éléments en terre crue semble donc pratiquement impossible, ce qui rend leur normalisation et assurabilité beaucoup plus complexe et longue. Car le but ne serait de ne pas bloquer l’usage par la normalisation.

Le permis d’expérimenter

10 “Permis de déroger aux règles de construction”, Le Moniteur, 23 novembre 2018, n°6004, p12-15

Récemment, le 30 octobre 2018, une ordonnance a été votée, autorisant les maîtres d’ouvrage à déroger à un certain nombres de règles, «à condition de prouver qu’ils atteindront, via des moyens innovants, un résultat équivalent à celui visé»10. Ce dispositif va permettre de donner plus de libertés aux acteurs de la construction pour innover, et rend compte d’une volonté d’évoluer «d’une culture de la norme vers une culture d’objectifs» 11 .

11 Idem

Dans le domaine de la construction en terre crue, cela va permettre aux maîtres d’ouvrage de s’engager moins fébrilement dans des processus peu référencés.

Les fches FDES

12 inies.fr/produits-deconstruction/

Les Fiches de Déclaration Environnementales et Sanitaires12, sont des documents normalisés qui présentent les résultats du cycle de vie d’un matériau. Elles comportent des données sur la traçabilité, l’énergie nécessaire pour le produire, et l’énergie qui va être nécessaire pour le recycler en fn de vie.

Dans le cadre de matériaux en terre crue, c’est un outil intéressant pour permettre de minimiser au maximum l’énergie grise qui leur est associée.

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