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Entretien avec
I vonne P apin
En 2023, le musée de Lodève fête les cinq ans de sa réouverture. Entre 2018 et 2022, plus de 140 000 visiteurs ont découvert ses nouvelles salles, montrant ainsi l’engouement autour du lieu. Dans cet entretien, Ivonne Papin revient sur le projet du nouveau musée, les spécificités des collections et les projets autour des expositions temporaires.
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Il y a cinq ans, le musée de Lodève rouvrait ses portes après plusieurs années de travaux. Quel était alors le projet ?
Le musée a rouvert le 7 juillet 2018. Lors des travaux, il y avait plusieurs problématiques à régler et une volonté politique à suivre. Les problèmes concernaient certains équipements, dont l'accès aux personnes à mobilité réduite. Les espaces d'accueil en général étaient vraiment devenus exigus. Enfin, il n’existait pas réellement de réserve dans l'ancien musée, il fallait donc en construire une pour garantir la conservation dans de bonnes conditions.
En terme politique, l'approche des élus était de faire du musée un équipement structurant pour le territoire en valorisant les collections permanentes, jusqu’alors peu mises en valeur. C'est ce qui m’a amené à proposer un projet scientifique et culturel reliant les trois collections permanentes, pourtant très différentes. Ce lien tout trouvé est celui de l’empreinte : celles de la faune et de la flore que l’on retrouve dans la plus grande collection du musée, le parcours Sciences de la Terre. Pour les collections archéologiques, nous avons mis en avant la trace. Enfin, l’empreinte est devenue la mémoire pour la collection Paul Dardé, sculpteur intimement lié à son territoire qui a marqué les esprits.
La question de l’ancrage du musée de Lodève dans son territoire transparait effectivement tout au long du parcours. Ce qui fait l'identité de ce musée, c'est que les objets ou les œuvres présentées dans les trois collections ont été prélevées ou créées sur le territoire. Notre propos, c'est de partir des collections les plus emblématiques, les plus riches et d'en faire un récit. Nous voulons raconter des histoires à partir des objets, montrer comment ils ont été conçus, à quoi ils servaient, de manière imagée et accessible. Les collections reflètent vraiment le territoire et ses spécificités.
En même temps, ce n’est pas parce que le musée est fortement attaché à une identité territoriale qu'il ne pose pas de questions universelles. Enfin, il y a le rapport à l'espace-temps, qui est assez vertigineux dans les collections Sciences de la Terre. Nous parlons de choses qui se sont passées il y a des millions d’années et nous voulons rendre cette échelle perceptible pour le visiteur.
Cinq ans après la réouverture, quels sont les retours du public ?
En général, les retours sont très positifs. Ceux qui connaissaient le musée avant sont ravis du changement et ceux qui ne le connaissaient pas sont un peu béats. De l'extérieur, ils ne s'imaginent pas que ce bâtiment recèle des collections aussi riches, présentées de manière aussi moderne et attractive. Souvent, le public est emballé par le parcours Sciences de la Terre qui, même si c’est une matière un peu difficile, devient accessible grâce à la présentation qui en est faite. Le musée a mené une grande réflexion sur l’utilisation du multimédia et a trouvé le bon équilibre.
Le musée de Lodève propose aussi plusieurs fois dans l’année une grande exposition temporaire dont la thématique n’est pas toujours liée aux collections permanentes. Pourquoi ce choix ?
C’était le cas jusqu’alors, mais cela devrait bientôt changer ! Les expositions temporaires étaient peu liées aux collections et cela est tout simplement dû à l'histoire du musée. Au début, il présentait surtout de grandes expositions et mettait peu en avant sa collection. Le public venait pour des expositions prestigieuses dont le parti pris était de présenter de grands noms de la peinture. Lorsque j’ai pris mes fonctions, en 2008, j’avais une double feuille de route. La première était de réussir le projet de rénovation et d'agrandissement. La seconde de poursuivre une politique d'exposition d'envergure telle qu'elle existait. Aujourd'hui, nous essayons de plus en plus d’imaginer des expositions transversales qui permettent d'intégrer des problématiques développées dans les collections permanentes. L’exposition Violaine Laveaux en est un exemple. Plus qu’une invitation en résidence, nous avons donné carte blanche à une artiste contemporaine. Elle a alors engagé un dialogue avec l’une des collections du musée, celle du sculpteur Paul Dardé. Cette exposition préfigure ce que l’on souhaiterait développer pour mettre plus en lien expositions et collections.
Est-ce que l’on retrouvera ce lien dans l’exposition Brésil, présentée dès cet automne ?
Cette exposition présente des artistes non-académiques, tous autodidactes. Ce sont des peintres du XXᵉ siècle fortement marqués par le Brésil : un territoire extrêmement complexe. J'ai donc construit l'exposition autour d’une question : comment ces artistes représentent, de manière plus ou moins imagée, leur pays, leurs racines, leur culture ? C'est cela qui m'intéressait et j'y vois une manière, même un peu éloignée, de les rapprocher de Paul Dardé qui a aussi travaillé autour de la question du rapport au paysage.
Finalement, ce qui fait du musée de Lodève un lieu d’exposition unique, c'est son identité multiple.
Oui, et c'est un avantage autant qu’un inconvénient ! C'est une vraie richesse, car cela permet d'aborder des questions transversales tout en ayant une matière de départ différente. Le musée permet de s'ouvrir l'esprit, de ne pas rester cantonné dans quelque chose de classique ou uniquement dans de l'archéologie. L'inconvénient, c'est que cela peut le rendre difficilement lisible. Par exemple, lorsque l’on a rouvert le musée, nous nous sommes interrogés sur l’axe de communication. Le musée était connu pour ses grandes expositions et l'on ouvrait un tout nouveau lieu qui mettait vraiment à l'honneur ses collections permanentes. Mais, il y avait aussi une riche exposition temporaire sur le thème du Faune. On a donc choisi de communiquer sur les deux. Ce faisant, on a probablement un peu perdu notre ancien public, habitué à des expositions d'artistes de renom. Néanmoins, on a gagné d’autres visiteurs, des amateurs d'art comme des familles.
Maintenant que le public s’est habitué à ce nouveau lieu, quels sont les projets pour le musée de Lodève ?
Le musée, comme la société d'aujourd'hui, évolue extrêmement vite. Nous sommes sans cesse en train de nous interroger sur le renouvellement de notre offre. À cela s’ajoute la question du développement durable, notamment dans le cadre des expositions temporaires. De nombreux directeurs de musée utilisent les collections de leur musée plutôt que d'aller chercher des œuvres dans le monde. Ces questions font partie de mes réflexions actuelles. Mon idée première est de proposer des expositions transversales dans lesquelles, par exemple, les Beaux-Arts pourraient se mêler aux Sciences de la Terre. L’idée est d'explorer la richesse de nos collections en l'abordant différemment, en la confrontant à d’autres univers.
Recueilli par Eva Gosselin