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L’industrie est-elle en rattrapage?
DIVERSITÉ ET PUBLICITÉ: L’INDUSTRIE EST-ELLE EN RATTRAPAGE?
Depuis quelque temps, un nombre grandissant de comédiens issus de la diversité culturelle est observable dans la publicité télévisuelle québécoise. Simple coïncidence, ou réel désir de représenter davantage sur nos écrans les différentes communautés ethniques qui partagent notre province et notre ville? L’industrie publicitaire du Québec serait-elle en rattrapage?
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Selon Isabelle Pichette, propriétaire de l’Agence Caractère, qui représente plus de 200 comédiens, mannequins et autres talents à Québec, une forme de rattrapage est définitivement en cours depuis un an. «Dans chaque breakdown [demande pour un talent] que je reçois, il est inscrit “représentation multiethnique souhaitée”.»
: sam antha-borges-fBwNDRgig_w-unsplash Crédit photo
Si les demandes pour de la diversité corporelle et d’âge ont également augmenté, selon Mme Pichette, l’exigence des annonceurs — gouvernementaux et commerciaux — en matière de diversité culturelle remporte la palme. À titre d’exemple, l’entrepreneure évoque cette récente campagne publicitaire pour le compte de la Ville de Québec où l’origine de chaque comédien devait être indiquée. «Nous devions préciser de quelle région ils venaient, de quel pays.» Celle qui voit ces changements d’un bon œil croit qu’ils sont le résultat d’une prise de conscience suscitée par les récents événements survenus aux États-Unis, notamment le meurtre de George Floyd en mai 2020. Les annonceurs comme les publicitaires «se sont peut-être rendu compte que tout le monde devait y mettre du sien pour faire en sorte que les gens soient mieux représentés, qu’ils soient mieux perçus à tous les niveaux», hypothétise celle qui œuvre dans l’industrie depuis plus de 25 ans.
UNE PRATIQUE UN PEU FORCÉE
Son de cloche similaire du côté de David Poulin, réalisateur et cofondateur de la maison de production publicitaire Nova Film, qui a constaté dans la dernière année une hausse «exponentielle» pour des gens issus de la diversité à l’écran. «C’est quasiment une des premières choses que les annonceurs nous demandent.» Si cette hausse pouvait «contribuer à l’acceptation» et à une «meilleure intégration» des communautés culturelles dans la société québécoise, celui qui est en affaires depuis maintenant 15 ans juge néanmoins la démarche «tirée par les cheveux», surtout venant de clients visant un marché comme celui de la ville de Québec. Selon les données recueillies lors du recensement de 2016, plus d’une personne habitant à Montréal sur trois (34,2 %) faisait partie d’une minorité visible. En comparaison, pour la ville de Québec, les chiffres de Statistique Canada indiquent que c’était une personne sur 16 (6,4 %). Avec un bassin aussi limité, le réalisateur se demande si ce désir de «représentativité» ne dissimulerait pas plutôt un désir, parfois exprimé de manière «maladroite», de se rattraper. Certaines agences de publicité, affirme-t-il, «vont même jusqu’à offrir un montant d’argent supplémentaire pour engager une personne issue de la diversité. Je trouve que c’est très forcé». À ces demandes systématiques pour de la diversité s’ajoute, pour bon nombre d’annonceurs locaux comme le Réseau de transport de la Capitale (RTC), l’exigence de travailler uniquement avec des gens venant de la Capitale-Nationale. «Le défi est énorme, et c’est ce qui explique qu’on voit souvent les mêmes visages à l’écran.»
REPRÉSENTER LA DIVERSITÉ, UN DEVOIR
Pour Pierre-Antoine Lavoie, chef de produits principal pour l’agence créative en marketing et communication Cossette, l’intégration de la diversité culturelle dans les concepts publicitaires ne se fait pas pour «“cocher des cases”, mais bien dans la perspective d’avoir un discours qui s’ancre dans la culture populaire et qui est juste normal». Selon lui, dans la mesure où la publicité «s’intègre dans le discours commun», c’est-à-dire qu’elle traite de sujets et d’enjeux qui touchent l’entièreté des citoyens, peu importe leurs origines, les acteurs de l’industrie ont le «devoir» d’y réserver une place pour la diversité culturelle. Celui qui travaille chez Cossette, bureau de Québec, depuis maintenant cinq ans est d’avis que ce sentiment de devoir semble aujourd’hui plus «répandu et uniformisé», non seulement au sein des agences, mais aussi du côté des annonceurs et des diffuseurs. S’il n’est ni «en avant de la parade» ni en arrière, M. Lavoie a la conviction que le Québec est somme toute «sur un bel élan».