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Nous, les moutons

C ourtoisie: Claude Cossette

Je rappelle deux anecdotes en guise d’introduction. Premièrement, le porte-parole publicitaire des automobiles Hyundai, l’acteur Guillaume Lemay-Thivierge, est largué par l’entreprise parce qu’il suscite la controverse en disant attendre pour être vacciné. Le comédien faisait pourtant vendre beaucoup d’autos. Deuxièmement, Facebook tombe en panne. C’est une frustration pour les internautes et une catastrophe économique autant pour les annonceurs que pour Facebook qui en perd ses profits alors qu’il accapare désormais une large part des budgets de publicité.

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LA PERSUASION CLANDESTINE

Toute communication est persuasive: peut-il se trouver une personne qui parlerait sans vouloir que son point de vue soit accepté par son interlocuteur? Convaincre, c’est s’adresser à la raison en argumentant alors que persuader, c’est jouer sur les sentiments. La publicité est une « persuasion clandestine » selon le titre du best-seller de Vance Packard. Le psychosociologue Serge Tchakhotine explique que la persuasion s’appuie sur quatre pulsions: les pulsions combative, alimentaire, sexuelle et parentale. C’est sur ces instincts que jouent les persuadeurs professionnels qui sont payés principalement par les grandes entreprises qui diffusent vers un maximum de cibles dans le but d’optimiser leurs ventes et leurs profits. Les technologies de l’information, médias sociaux et autres permettent de rassembler une masse d’information sur les individus (big data), si bien qu’à terme, les marketeurs arrivent à cibler de manière de plus en plus pointue les consommateurs, ce qui leur permet de concocter des messages qui se rapprochent de plus en plus de la communication interpersonnelle, la plus efficace.

DÉ-PENSER PLUTÔT QUE PENSER

Le Québec étant constellé de 400 000 lacs, les Québécois ont-ils vraiment besoin d’acheter leur eau en bouteille? Bien sûr que non: ils n’en ont pas besoin au sens physiologique du terme, mais les publicitaires ont créé ce besoin-désir irraisonné en présentant des demi-vérités, en jouant sur les émotions, en séduisant avec leurs images singulières et leurs beaux mots. En persuadant. Les publicitaires vivent de promesses de bonheur. Pourtant, Frédéric Beigbeder avoue dans son livre 99 francs: « Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas ». Les marchands ont tout intérêt à ce que le peuple s’active à dé-penser plutôt qu’à penser. Le célèbre économiste Keynes explique que consommer diminue… la pauvreté. Il faut consommer, dépenser, s’endetter s’il le faut, explique-t-il, car il faut faire rouler l’économie. Les riches s’enrichissent ainsi davantage, mais ce sont leurs projets luxueux, explique-t-il, qui payent le salaire aux ouvriers qui y travaillent. Ouais!

CRÉER OU CONSOMMER

Consommer ne rend pas heureux, c’est vrai, car tout être humain est d’abord un créateur: il ne peut éprouver un sentiment de réalisation que s’il crée lui-même. On vit davantage en créant qu’en consommant les productions des autres. Ceux qui ne créent pas cherchent une compensation. Cela se manifeste souvent par une frénésie à avoir: avoir un nouveau manteau, une rutilante auto, un grand bungalow, etc. On se rabat ainsi sur la consommation dans laquelle l’âme se consume. Or, dans notre civilisation de l’obsolescence, tout se démode, aussi bien les idées que les objets — quand ce ne sont pas les êtres humains eux-mêmes! Pour s’en guérir, il faut se défendre contre la publicité, cette charmante charmeuse comme le rappelle le titre du livre du publicitaire Oliviero Toscani: La pub est une charogne qui nous sourit. Pour le publicitaire, tout bien est « un bien ». Or, cette prétention cache le fait qu’elle mène à un immense gaspillage de nos ressources naturelles, de notre temps et de notre créativité. Chaque personne souhaite être elle-même. Pour y arriver, une bonne stratégie consiste à se couper de la persuasion clandestine, de quitter le troupeau de moutons dociles qui courent vers l’abattoir économique. Notre civilisation suffoque déjà sous la masse de déchets générés par la publicité. Avant de céder à son charme, posons-nous la question comme le fait Pierre-Yves McSween dans son livre intitulé: En astu vraiment besoin?

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