Bâtir des villes pour tous en Afrique

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Bâtir des villes pour tous en Afrique. Leçons de quatre expériences

Écarts entre hypothèses de départ et résultats du recensement Plusieurs facteurs expliquent ces écarts. L’opérateur du recensement avait élaboré sa méthodologie ainsi que ses estimations de départ en prenant comme unité de référence la concession. Faute d’avoir été consultés sur la définition des unités socio-spatiales de référence, les habitants refusèrent dès le premier jour de se faire recenser de cette manière. Sous la pression, le recenseur se résigna à prendre en considération non plus la concession, mais la baraque. D’après le rapport final de l’opérateur, le résultat total (14 319 ménages) incluait une estimation de 5 % de ménages « fictifs ». Il s’agissait de familles qui possédaient plusieurs baraques dont certaines n’étaient pas à usage d’habitation et qui ont fait enregistrer plusieurs membres, dont certains n’étaient pas chefs de ménage. Ainsi trouve-t-on dans certains cas un homme, sa femme, leur fils et leur fille, parfois en bas âge, recensés tous les quatre en tant que chefs de ménage sur quatre baraques différentes. Ce phénomène a été ensuite appelé « démultiplication des familles ». Le deuxième support du recensement (photo) était destiné à contrer ce phénomène, qui avait été anticipé. Il permettait de croiser les informations. Malheureusement, cette vérification n’a pas toujours été possible, les fiches familles et les photographies n’ayant pas toujours été réalisées en même temps. Il n’a donc pas été possible de croiser correctement les informations. 14 315 photographies ont été prises pour 14 319 fiches familles, et dans certains cas plusieurs photos existaient pour une même fiche alors que dans d’autres il n’y en avait pas ; l’écart entre le nombre de fiches familles et le nombre de photographies s’explique par une défaillance logistique du recenseur : en nombre insuffisant, les photographes prenaient des clichés des chefs de ménage parfois le lendemain du passage des agents recenseurs chargés de remplir les fiches familles. Les limites étaient notées par l’opérateur de recensement dans son rapport final. Cependant, la pression politique pour le passage à la mise en œuvre – l’objectif était de terminer la viabilisation du quartier avant les élections présidentielles de 2003 – a empêché que le travail de correction du recensement puisse être mené. Même si l’opérateur avait eu le temps de corriger, la première liste établie valait pour tous les acteurs de l’opération et il n’aurait pas été possible de la remettre en cause. Cette liste a servi de base de référence pour toute la durée de l’opération de restructuration de la kebbé d’El Mina.

À l’issue du recensement, un plan d’action de réinstallation (PAR) précisant les critères d’éligibilité à l’opération a été établi conformément aux directives de la Banque mondiale. Le document précise que « tous les propriétaires de bâtiments habitables et habités recensés lors du recensement de 2000 seront éligibles au bénéfice du recasement. La notion de bâtiment habitable exclut les hangars, vérandas, tentes, magasins et autres structures à l’évidence non destinées à l’habitation. Nous ne recommandons pas de rendre les locataires et hébergés gratuits éligibles au bénéfice du recasement. En effet, cela risque de créer un précédent qui serait très difficile à gérer à l’avenir pour les autorités mauritaniennes. »81 Les locataires ont donc été exclus de l’opération malgré les recommandations de l’étude d’impact social réalisée quelques mois plus tard : « nous proposons que le critère d’éligibilité pour l’acquisition des lots soit d’habiter à n’importe quel titre (propriétaire ou locataire) dans la kebbé. Cela éviterait d’encourager la spéculation des personnes aisées habitant dans d’autres quartiers qui gardent des ménages pauvres comme gardiens dans l’attente du lotissement, pour les déguerpir par la suite. »82 La base de référence produite dans le cadre du recensement n’a finalement pas été corrigée à partir des critères d’éligibilité définis dans le PAR. Elle a ainsi pu intégrer des ménages locataires comme des spéculateurs extérieurs au quartier, sans qu’il soit néanmoins possible de les quantifier précisément.

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Giovannetti F., Plan d’action de réinstallation. Restructuration du quartier El Mina à Nouakchott, Amextipe, Nouakchott, décembre 2000. Martella A., Étude d’impact social El Mina, Ryiad, Dar Naim, Teyarett Nord, Amextipe, janvier 2001.

GLTN, ONU-Habitat, Gret - Collection Études et travaux - Série en ligne n° 31

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