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61e année prix 2 euros | 17 mars-avril 20

BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 MARS-AVRIL 2017


sommaire

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e prix 2 euros | 61e anné mars-avril 2017

3 Édito par La Gauche La place du Trumpisme dans l'Histoire par Daniel Tanuro 4 Trump en Belgique les 24 et 25 mai: Le comitĂ© d'accueil se prĂ©pare 1 1 par Mauro Gasparini Trump et le mouvement ouvrier par Dan la Botz 1 2 En Italie, un mouvement fĂ©ministe de masse est en marche 1 4 par Nadia De Mond Que font rĂ©ellement les entreprises pour lutter contre le 1 6 rĂ©chauffement climatique? par Martin Willems Publifin-Nethys: L’éclatement d’une bombe Ă  fragmentations! 1 9 par Denis Horman

2 2 Fraude fiscale et sociale dans l’Horeca par Guy Van Sinoy Il y a 20 ans: 70.000 à Clabecq par Guy Van Sinoy 24

2 6 Pacte d’excellence: L’école (toujours plus) au service du capital par Pauline Forges 2 8 Zin TV: "Impliquer les mouvements sociaux dans la crĂ©ation mĂ©diatique" propos recueillis par Matilde Dugaucquier 3 0 France: Qu’attendre de la prĂ©sidentielle? par Christine Poupin 3 2 Petrograd, 8 mars 1917: "Le peuple veut la chute du rĂ©gime!" par Jean Batou Cinquante nuances de violences faites aux femmes 34 par Sophie Cordenos

35 À lire... La Une: Illustration d'une "matrioska" utilisĂ©e par les fĂ©ministes italiennes du mouvement "Non una di meno" contre les violences machistes le 26 novembre 2016 et pour la grĂšve globale des femmes le 8 mars 2017. twitter.com/nonunadimeno

ComitĂ© de rĂ©daction: SĂ©bastien Brulez, Matilde Dugaucquier, Pauline Forges, François Houart, Thibaut Molinero, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy Design: Little Shiva La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste RĂ©volutionnaire (LCR), section belge de la QuatriĂšme Internationale. Les articles signĂ©s n’engagent pas forcĂ©ment la rĂ©daction. Adresse et contact: 20 rue Plantin,1070 Bruxelles info@lcr-lagauche.org Tarifs et abonnements: 2 euros par numĂ©ro; 10 euros par an Ă©tranger: 20 euros par an Abonnement de soutien: 15 euros A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention"La Gauche”

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photomontage: Little Shiva — facebook.com/pedro.gatto.54

✒ par La Gauche Les manifestations du 8 mars dernier, Ă  l'occasion de la journĂ©e internationale des droits des femmes, n’avaient plus Ă©tĂ© aussi impressionnantes depuis plusieurs dĂ©cennies. Des mobilisations ont eu lieu dans plus de 40 pays et se sont doublĂ©es d'un appel Ă  la grĂšve pour "mettre Ă  jour la trame Ă©conomique de la violence patriarcale". Un mouvement de contestation Ă  l'Ă©chelle mondiale s'est coordonnĂ© sous nos yeux, dessinant une nouvelle gĂ©ographie et s'organisant Ă  travers les rĂ©seaux sociaux: "Une nouvelle pratique de l’internationalisme fĂ©ministe" (1). Par exemple, ce sont sans aucun doute les luttes fĂ©ministes en AmĂ©rique latine ou en Pologne qui auront contribuĂ© Ă  raviver un mouvement fĂ©ministe de masse en Italie [lire notre article en pages 14 et 15]. Cette Ă©mulation et cette coordination pourraient servir de source d'inspiration pour nos mobilisations Ă  venir. N’oublions pas que c'est la manifestation des femmes le 8 mars Ă  Petrograd qui a dĂ©clenchĂ© le processus rĂ©volutionnaire dans la Russie de 1917 [lire en pages 32 et 33]. Et pour combattre les effets dĂ©vastateurs que le capitalisme nĂ©olibĂ©ral entraĂźne Ă  l'Ă©chelle planĂ©taire, nos mobilisations se doivent elles aussi d'ĂȘtres planĂ©taires, tout en

articulant luttes locales et luttes globales. Ces mobilisations fĂ©ministes suivent de quelques semaines Ă  peine les "women's marches" de janvier (d’autres secteurs s’y Ă©taient joints mais l’initiative en Ă©tait clairement fĂ©ministe!) en rĂ©ponse Ă  l'Ă©lection de Donald Trump. Ces derniĂšres avaient essaimĂ© dans de nombreuses capitales, furent elles aussi multiples, massives et comptaient d'importantes revendications fĂ©ministes. Que ce soit contre le "Muslim ban" fin janvier aux Etats-Unis, contre la politique climatonĂ©gationniste de Trump le 22 avril Ă  Bruxelles (un rassemblement sera organisĂ© Place de la Monnaie Ă  16h) ou encore contre la venue du PrĂ©sident Ă©tasunien Ă  Bruxelles lors du sommet de l'OTAN des 24 et 25 mai [lire en page 11]. L'Ă©lection de Donald Trump et le "potentiel de barbarie sans prĂ©cĂ©dent" qu'elle recĂšle [lire en pages 4 Ă  10] ont ravivĂ© la contestation.

Ne pas se laisser Trumper, lutter ici et maintenant!

Malgré ces sursauts certes encourageants, la situation reste délétÚre. Et focaliser nos dénonciations sur Trump sans démasquer "nos" petits Trumps nationaux serait une grave erreur. Les murs de l'Europe forteresse (de Ceuta et Melilla à la GrÚce en passant par la

Ă©dito

GĂ©ographie mondiale des contestations Hongrie) n'ont rien Ă  envier au mur que Donald Trump veut finir de construire entre les États-Unis et le Mexique. La politique migratoire du sinistre Theo Francken, les attaques rĂ©pĂ©tĂ©es de Maggie De Block contre le systĂšme de santĂ© et la politique du gouvernement Michel de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, sont autant de raisons de se mobiliser. Mais, comme pour Trump, se battre contre la droite implique aussi de couper court Ă  toute les illusions sur le retour d'un "moindre mal". Le rapport publiĂ© rĂ©cemment par l'Onem est lĂ  pour nous le rappeler: 37.000 personnes ont Ă©tĂ© exclues des allocations d’insertion sur les deux derniĂšres annĂ©es, suite aux mesures entamĂ©es par le gouvernement Di Rupo et poursuivies par le gouvernement Michel. Contre la cure d'austĂ©ritĂ© qui nous est infligĂ©e par la droite (nationaliste flamande et libĂ©rale francophone) on ne peut se contenter de vouloir revenir Ă  une austĂ©ritĂ© "douce" administrĂ©e par une socale dĂ©mocratie "dont le cƓur saigne"! La seule voie possible est celle d'une alternative anticapitaliste Ă  construire par les gens eux/elles-mĂȘmes, sans dĂ©lĂ©guer notre pouvoir Ă  quelques tribuns que ce soit. ■ (1) Lire Comment s’est tissĂ© l’appel Ă  la GrĂšve Internationale de Femmes? par Collectif Ni Una Menos, www.lcr-lagauche.org/comment-sest-tisselappel-a-la-greve-internationale-de-femmes

Manifestantes Ă  New York (Washington Square Park) le 8 mars 2017 la gauche #81 mars-avril 2017 3


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La place du Trumpisme dans l'Histoire ✒ par Daniel Tanuro Trump a un projet: gĂ©rer les EtatsUnis comme une grande entreprise, transformer celle-ci en forteresse du "capitalisme judĂ©o-chrĂ©tien", la restructurer Ă  la hussarde, puis lui rendre une hĂ©gĂ©monie mondiale sans partage. HarcĂšlement du personnel, brutalitĂ© avec les concurrents, dĂ©ni des externalitĂ©s environnementales sont simplement copiĂ©s/ collĂ©s du niveau de son business Ă  celui de la sociĂ©tĂ©. Milliardaire populiste inculte, nationaliste, raciste, sexiste, homophobe, islamophobe, antisĂ©mite, Trump ambitionne de remodeler la sociĂ©tĂ© US et la carte du monde au marteau, en faisant fi de ce qui existe et en brisant ce qui rĂ©siste. Diverses fractions de la classe dominante suivent les foucades du nouveau PrĂ©sident avec inquiĂ©tude. Pourront-elles le canaliser? Devront-elles s’en dĂ©faire? Les deux options sont ouvertes. Mais une troisiĂšme ne peut ĂȘtre exclue: que le boutefeu, par une fuite en avant, fasse basculer le monde dans un cauchemar de guerre et de dĂ©sastre climatique. Car Trump ne tombe pas du ciel, il est un produit des contradictions capitalistes inextricables que la gouvernance nĂ©olibĂ©rale maĂźtrise de plus en plus difficilement et qui fragilisent Ă  l’extrĂȘme les superstructures

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politiques dans un monde en crise d’hĂ©gĂ©monie. Dans ces circonstances, l’autonomie relative du politique ainsi que des individus tend Ă  s’accroĂźtre. Le pouvoir fort est tendance. Non seulement chez le protectionniste Trump, mais aussi chez ses concurrents mondialistes d’Europe et d’Asie. La menace est globale, la riposte sociale doit ĂȘtre Ă  la hauteur. ApprĂ©hender la signification du Trumpisme implique de prendre du recul sur les contradictions du capital et leur Ă©volution, d’oĂč dĂ©coule la situation actuelle. On sera alors mieux Ă  mĂȘme de comprendre que l’élection de Trump Ă  la prĂ©sidence des Etats-Unis n’est pas un accident de parcours mais le symptĂŽme de quelque chose de plus profond, pouvant marquer le dĂ©but d’une Ăšre nouvelle. Une des caractĂ©ristiques majeures du capitalisme est la contradiction croissante entre la rationalitĂ© partielle des entreprises et l’irrationalitĂ© globale du systĂšme. Les entreprises – les grandes en particulier – mettent la science la plus moderne au service du profit pour organiser rigoureusement le travail et planifier les investissements. Par contre, l’économie et la sociĂ©tĂ© dans son ensemble se dĂ©veloppent sans plan, d’une maniĂšre chaotique, selon les contraintes et les hasards du marchĂ©.

Cette contradiction est le produit de la nature mĂȘme du mode de production. D’une part, les dĂ©cisions sur ce qui doit ĂȘtre produit, comment, pour quoi, pour qui et en quelles quantitĂ©s sont prises par des capitalistes concurrents, en fonction de leur seul objectif de profit. Pour survivre, chaque propriĂ©taire de capital est tenu de ne rien laisser au hasard. D’autre part, la socialisation de la production se fait Ă  l’aveugle. L’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en fait, ne se dĂ©finit qu’en creux: comme la maniĂšre dont la sociĂ©tĂ© et l’environnement se plient, pas Ă  pas, aux impĂ©ratifs de la production de survaleur.

Un tournant majeur pour les USA, un moment charniĂšre pour le monde

Une fonction clĂ© des superstructures politiques et Ă©tatiques est de dissimuler cette rĂ©alitĂ©, afin d’assurer au mode de production la lĂ©gitimitĂ© sociale sans laquelle il ne pourrait survivre. Or, l’idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale et le mode de re-rĂ©gulation qui en dĂ©coule sont bien en peine, dĂ©sormais, d’assumer cette tĂąche. Surtout aux Etats-Unis. Le sauvetage des banques lors de la crise de 2007-2008 constitue Ă  cet Ă©gard un point tournant. L’idĂ©e que le systĂšme, tel qu’il est, fonctionne dans l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, a volĂ© en Ă©clats. S’y ajoute le fiasco de la


photomontage: Little Shiva — facebook.com/ar tistjohngraham

De la boucherie de 14-18 Ă  l’obsession de la stabilitĂ©

Plus la rationalitĂ© partielle du capital se dĂ©veloppe, plus l’irrationalitĂ© globale du systĂšme s’accroĂźt et devient menaçante. Elle s’exprime par la crise pĂ©riodique de surproduction et de suraccumulation et, si nĂ©cessaire, par la guerre. Car la guerre capitaliste n’est que le prolongement de la guerre de concurrence par d’autres

moyens, pour paraphraser Clausewitz. Comme la crise, la guerre a sa place dans la rationalitĂ© partielle du capital: forme extrĂȘme de la "destruction crĂ©atrice" chĂšre Ă  Schumpeter, elle Ă©limine des forces productives excĂ©dentaires, favorise l’innovation technologique et ouvre de nouveaux champs Ă  la valorisation du capital. Au cours du 20e siĂšcle, l’irrationalitĂ© globale s’est manifestĂ©e une premiĂšre fois dans toute son ampleur sous la forme de la boucherie de 1914-1918. La rĂ©volution russe de 1917 ouvrit une brĂšche mais resta isolĂ©e, de sorte que la folle course productiviste du capital repartit de plus belle sur le reste de la planĂšte. On connaĂźt la suite: la rationalitĂ© partielle des capitaux en lutte dĂ©boucha sur la crise de 1928. Ce fut ensuite la victoire du nazisme, une deuxiĂšme guerre mondiale, la Shoah et les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki
 Comme le soulignait Ernest Mandel, les Trente Glorieuses d’aprĂšs-guerre ont Ă©tĂ© rendues possibles par l’ampleur des destructions qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©es (1). Dans la seconde moitiĂ© du siĂšcle, la possibilitĂ© que le systĂšme bascule dans l’autodestruction commença Ă  effrayer jusqu’à ses propres reprĂ©sentants politiques. Un moment, certains envisagĂšrent d’en finir militairement avec le "camp socialiste" (qui n’avait plus rien de "socialiste", mais continuait d’échapper Ă  l’investissement capitaliste)... En fin de compte, cependant, une autre voie fut adoptĂ©e. Sous la houlette de la superpuissance US, et grĂące Ă  la longue pĂ©riode d’expansion d’aprĂšs-guerre, le capitalisme se dota d’institutions politiques et Ă©conomiques pour tenter d’empĂȘcher

un nouveau dĂ©rapage dans la barbarie gĂ©nĂ©ralisĂ©e. La stabilitĂ© du monde devint une obsession. La clique bureaucratique au pouvoir en URSS la partageait, Ă  partir de ses intĂ©rĂȘts spĂ©cifiques: ce fut la "coexistence pacifique". AprĂšs l’effondrement du Bloc de l’Est et le rĂ©tablissement du capitalisme en Chine, les dirigeants russes et chinois intĂ©grĂšrent le club des chefs capitalistes qui dĂ©fendent leur part du gĂąteau tout en collaborant Ă  la stabilitĂ©. Le nĂ©olibĂ©ralisme lancĂ© par Thatcher et Reagan plus de dix ans auparavant servit de bible commune, et les mĂ©dias reprirent Ă  l’envi la formule de Fukuyama sur la "fin de l’histoire". C’était oublier que le capitalisme est incapable de juguler durablement ses contradictions. En 2007, la crise financiĂšre Ă©clatait, prouvant que la rationalitĂ© partielle des capitaux n’avait pas cessĂ© d’entasser des matiĂšres explosives au cƓur du systĂšme. Au contraire, elle en accumulait plus que jamais.

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guerre en Irak – fomentĂ©e Ă  coups de mensonges sur les "armes de destruction massive" – qui donne des arguments aux partisans de l’isolationnisme amĂ©ricain. La dĂ©stabilisation est profonde, la crise des deux grands partis bourgeois en tĂ©moigne. La question du (rĂ©gime du) capitalisme est posĂ©e. Sur la gauche, cette dĂ©stabilisation a produit les mouvements Occupy, Black Lives Matter, le mouvement pour les 15 dollars et la campagne de Bernie Sanders. Sur la droite, elle a produit le Tea Party puis Trump qui prolonge, radicalise et dĂ©passe le Tea Party. Sa victoire constitue un tournant majeur. Vu le poids dĂ©cisif des Etats-Unis dans tous les domaines, on peut risquer l’hypothĂšse que nous sommes Ă  un moment charniĂšre de l’histoire mondiale, comparable aux grandes crises du 20e siĂšcle. Un tournant majeur, plus profond, donc, que celui qui avait Ă©tĂ© impulsĂ© par Reagan et Thatcher. Ce qui est Ă©branlĂ©, en effet, c’est non seulement l’ordre nĂ©olibĂ©ral instaurĂ© depuis les annĂ©es 80, mais aussi l’équilibre des relations entre puissances, le systĂšme d’hĂ©gĂ©monie tel qu’il s’est mis en place et a Ă©voluĂ© aprĂšs la seconde guerre mondiale. C’est de cela qu’il faut essayer de prendre la mesure. En se rappelant de quoi le capitalisme est capable


L’épuisement d’un systĂšme

On le mesure aujourd’hui. Dans le sillage de 2008, le monde fut secouĂ© par les rĂ©volutions (et les contre-rĂ©volutions) arabes ainsi que par la crise de l’Union europĂ©enne – avec l’étranglement de la GrĂšce, puis le Brexit. Entre-temps, la guerre inter-capitaliste n’était dĂ©jĂ  plus que commerciale: l’impĂ©rialisme US avait relancĂ© la guerre tout court, en Afghanistan et en Irak. Ces guerres locales avaient un enjeu global: garder le contrĂŽle du Moyen-Orient, lieu stratĂ©gique de l’hĂ©gĂ©monie US sur la planĂšte. Le rĂ©sultat, on le sait, fut Ă  l’opposĂ©: l’Irak en ruines fournit le terreau de l’Etat islamique; toute la zone est aujourd’hui dĂ©stabilisĂ©e, avec De gauche Ă  droite: un agriculteur par Millet, soldats 14-18, une usine Ford des annĂ©es 30, discours de Nikita Khrouchtchev sur la "coexistence pacifique" et Trump par John Graham

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C’est lĂ  que nous en sommes: ce rationalitĂ© partielle qui est la cause du rĂ©gime atteint ses limites. Il alimente chaos est vue comme le moyen d’en la crise du politique qui revient comme finir avec le chaos. Alors que la frĂ©nĂ©sie un boomerang vers les gouvernants et de profit du capitalisme est responsable devient un Ă©lĂ©ment majeur du chaos. Au en derniĂšre instance de la crise sociale, fondement de ce phĂ©nomĂšne, il y a le y compris de la crise du politique, des fait que les institutions de la dĂ©mocratie "capitaines d’industrie" sont vus comme parlementaire bourgeoise sont largement les sauveurs capables de dĂ©barrasser la vidĂ©es de leur contenu. Cette rĂ©alitĂ© est sociĂ©tĂ© de l’engeance des politiciens, des particuliĂšrement insupportable pour bureaucrates et du mauvais capitalisme les bourgeois et les petits-bourgeois qui, des copains – financier, cosmopolite, sans d’un cĂŽtĂ©, ne peuvent pas imaginer la fin foi (le "crony capitalism", selon Bannon) du capitalisme et, de l’autre, n’ont pas qui gĂąte le bon capitalisme d’antan (4). prise sur les lieux de pouvoir mondiaux Pour rĂ©soudre les problĂšmes, il "suffirait" oĂč le nĂ©olibĂ©ralisme tente de gĂ©rer ses qu’un Chef rĂ©tablisse l’ordre, dĂ©barrasse contradictions ("le parti de Davos", entreprises et citoyens des "charges" qui comme dit Steve Bannon). Des travailleurs les Ă©touffent, et restaure la domination de (blancs, et mĂąles surtout) peuvent ĂȘtre l’Occident chrĂ©tien. Trump pousse cette logique jusqu’à la abusĂ©s, mais le Trumpisme exprime caricature. Avec son Ă©quipe de milliardaires avant tout une rĂ©volte rĂ©actionnaire des bigots et de gĂ©nĂ©raux galonnĂ©s, le couches petites-bourgeoises et bourgeoises nouveau locataire de la Maison Blanche intermĂ©diaires, enragĂ©es contre la s’est mis en tĂȘte de gĂ©rer les Etats-Unis Ă  gouvernance nĂ©olibĂ©rale globalisĂ©e qui les la baguette, comme une grande entreprise. a dĂ©possĂ©dĂ©es de leur pouvoir politique (3). Il est facile de tourner le personnage en Ramener USA Inc. dans le giron ridicule, mais il serait dangereux de le du bon capitalisme d’antan sous-estimer. Car Trump a un projet, qui Marx ironisait volontiers sur le fait consiste pour ainsi dire Ă  restructurer que, dans la sociĂ©tĂ© capitaliste, la rĂ©alitĂ© radicalement la multinationale USA Inc. marche sur sa tĂȘte. C’est le cas avec Il sait que le groupe est encore dominant Trump et ses supporters. Dans l’univers mais en danger de perdre sa position de mental de ces gens, en effet, la fausse leader mondial. Dans son esprit, il faut donc frapper vite et fort. Que fait un patron qui arrive Ă  la tĂȘte d’une entreprise dans une telle situation? Il donne rapidement quelques signes clairs de sa dĂ©termination, se dĂ©fait des activitĂ©s qui ne sont pas (assez) rentables, sĂšme la peur, licencie du personnel (femmes et immigrĂ©s en premier), recentre le groupe sur son core business, augmente les cadences de travail, remonte les bretelles de ses directeurs de succursales (c’est bien ainsi que Trump a traitĂ© le PrĂ©sident du Mexique et le Premier ministre australien!) et Ă©tablit de nouvelles alliances stratĂ©giques pour prĂ©parer l’affrontement avec ses ennemis principaux. Le parallĂšle est assez clair avec les premiers pas de la nouvelle prĂ©sidence.

HĂ©gĂ©monie, guerre sainte Ă  l’extĂ©rieur et rĂ©action Ă  l’intĂ©rieur Dessin de l'artiste amĂ©ricano-cubain Edel Rodriguez publiĂ© Ă  la Une Der Spiegel. twitter.com/edelstudio

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Ce qui rend Trump extrĂȘmement dangereux potentiellement, c’est la crise d’hĂ©gĂ©monie, autrement dit l’absence de toute puissance – ou de toute relation stable entre puissances – Ă  mĂȘme d’établir des rĂšgles, de tracer des lignes Ă  ne pas franchir entre forces impĂ©rialistes

r tbf.be/info/dossier/donald-trump-president-nouvelle -page - de -l-histoire -americaine/detail_le -spiegel-met- en-une -un- dessin- de -trump- decapitant-la-statue - de -la-liber te?id=9521752

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menace d’embrasement rĂ©gional gĂ©nĂ©ralisé  Pour le coup, les consĂ©quences sont planĂ©taires: l’Union europĂ©enne joue sa survie dans la "crise des rĂ©fugiĂ©s", le gendarme Ă©tasunien ne parvient pas Ă  rĂ©cupĂ©rer ses capacitĂ©s d’intervention, la Chine et la Russie profitent de la situation pour avancer leurs pions sur l’échiquier capitaliste mondial. Le tableau est brossĂ© Ă  trĂšs gros traits, pour faire apparaĂźtre la montĂ©e des contradictions du systĂšme et de sa gouvernance nĂ©olibĂ©rale globale. Sorte de mĂ©canisme despotique de construction de consensus sous contrainte de maximisation du profit capitaliste, cette gouvernance a permis d’éviter ou de mitiger des crises, mais ses dispositifs, de plus en plus nombreux et opaques, ne font que reporter les Ă©chĂ©ances sans rien rĂ©soudre. Les tensions objectives continuent Ă  se dĂ©velopper, parce qu’il est de plus en plus difficile au capitalisme de compenser la baisse du taux de profit par l’accroissement de sa masse, comme le souligne François Chesnais (2). Concomitamment, la difficultĂ© subjective de maĂźtriser ces tensions s’accroĂźt parce que les partis au pouvoir s’usent Ă  n’ĂȘtre plus que les exĂ©cutants d’un monstre technocratique qu’ils ont crĂ©Ă© pour se soumettre Ă  ses rĂšgles.


photomontage par orionnebula — designcrowd.com/community/contest.aspx?id=1671725

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ou "camps opposĂ©s". Lors de la crise des missiles Ă  Cuba (1962), le monde fut Ă  deux doigts de la guerre nuclĂ©aire. Tirant les leçons de l’affaire, Moscou et Washington Ă©tablirent une ligne directe entre le Kremlin et la Maison Blanche: le "tĂ©lĂ©phone rouge". Il n’y a rien de semblable aujourd’hui entre la Chine, la Russie et les USA. Cette situation n’est pas sans rappeler les premiĂšres annĂ©es du 20e siĂšcle, lorsque le dĂ©clin du Royaume-Uni et la montĂ©e de l'Allemagne ont dĂ©bouchĂ© sur la PremiĂšre guerre mondiale. On ne peut exclure que la montĂ©e des tensions crĂ©e Ă  l’avenir une situation oĂč il suffirait d’une Ă©tincelle pour mettre le feu aux poudres. En Mer de Chine du Sud, ou ailleurs
 L’essentiel pour Trump, apparemment, c’est la lutte contre la montĂ©e en puissance de la Chine capitaliste, seule rivale susceptible de menacer un jour l’hĂ©gĂ©monie US dĂ©clinante. Sur le plan gĂ©ostratĂ©gique, il faut donc sĂ©parer Moscou de PĂ©kin et, pour cela, donner un os Ă  Poutine: par exemple, une partie de ce que la Russie considĂšre comme son "espace vital" en Europe centrale et au Moyen-Orient (Syrie)
 De cette alliance avec le Kremlin, Trump escompte par ailleurs une collaboration dans la guerre sainte contre l’islamisme, qui est son autre obsession. Du coup, les dĂ©clarations sur "l’obsolescence" de l’OTAN et en faveur du Brexit sont moins absurdes qu’elles n’en ont l’air, et seuls les naĂŻfs peuvent croire que le coup de tĂ©lĂ©phone Ă  la dirigeante de Formose Ă©tait une erreur due Ă  l’inexpĂ©rience. Sur le plan intĂ©rieur aussi, il y a une logique: le racisme, l’homophobie, le sexisme, l’islamophobie, le mur avec le Mexique, le soutien aux "pro-vie", le "Muslim ban", etc., ne visent pas seulement Ă  semer la division dans le monde du travail en dĂ©signant des boucs Ă©missaires, pour prĂ©parer les attaques de rĂ©gression sociale (contre l’Obamacare, notamment). Ces thĂšmes ont aussi pour fonction de souder les forces et rĂ©seaux rĂ©actionnaires blancs – dont le soutien militant sera bien nĂ©cessaire Ă  Trump pour affronter la rĂ©sistance sociale, voire les oppositions au sein de sa propre classe.

Cachez cette crise climatique que je ne saurais voir

Dans ce melting-pot, le climatonĂ©gationnisme occupe une place spĂ©cifique dont il faut dire deux mots. On a signalĂ© d’entrĂ©e de jeu que la contra-diction entre rationalitĂ© partielle et irrationalitĂ© globale tend Ă  s’approfondir au fur et Ă  la gauche #81 mars-avril 2017

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Trois exemples: 1. Une partie des dirigeants syndicaux amĂ©ricains espĂšrent que le protectionnisme relancera l’emploi aux Etats-Unis [lire en pages 12 et 13]. Comme le dit Lance Selfa, "Ces dirigeants syndicaux offrent Ă  Trump la couverture dont il a besoin pour peindre son programme Ă©conomique sous une couleur ‘populiste’ et favorable aux travailleurs". Ils "fournissent une couche de lĂ©gitimitĂ© Ă  une administration dont l’intention est d’attaquer des sections entiĂšres de la classe laborieuse, y compris les immigrĂ©s et les sans-papiers." (6); 2. Le fait que Trump se rĂ©jouisse du Brexit ne fait pas de lui un "alliĂ© objectif" de la gauche opposĂ©e Ă  l’Union europĂ©enne, comme certains "souverainistes de gauche" semblent le penser. La gauche combat l’UE au nom d’une alternative anticapitaliste, donc internationaliste. Elle n’a rien Ă  voir, ni de prĂšs ni de loin, avec le camp des Trump, Farage, Le Pen et Cie. 3. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, la gauche n’a pas Ă  se rĂ©jouir quand Trump parle d’obsolescence de l’OTAN. Nous combattons l’OTAN parce que nous refusons la guerre et le militarisme. Notre objectif ne peut pas ĂȘtre de crĂ©er "un autre dispositif de sĂ©curitĂ© europĂ©en intĂ©grant Moscou". Un tel dispositif augmenterait l’influence de la principale force rĂ©actionnaire du continent – la Russie – et donnerait aux USA les mains libres pour un conflit avec la Chine
 Vous avez dit "pacifisme"? Le Trumpisme n’est certes pas un nazisme, mais l’usage systĂ©matique du mensonge, le nationalisme et la mobilisation rĂ©actionnaire des petits bourgeois enragĂ©s Ă©voquent les annĂ©es 30. Par ailleurs, comment ne pas rapprocher "America fisrt" et "Deutschland ĂŒber alles"? "Je suis le candidat de la loi et de l’ordre", a martelĂ© Trump pendant sa campagne Ă©lectorale. Le voici Ă  la Maison Blanche et il plaide ouvertement pour l’usage de la torture, donne l’ordre de publier hebdomadairement une liste des crimes commis par des Ă©trangers, et attaque les journalistes au nom de "faits alternatifs"
 Il serait dangereux de laisser l’indignation et la vigilance retomber en misant sur le fait que la majoritĂ© de la classe dominante amĂ©ricaine ne soutient pas ces foucades.

Autonomie relative du politique, rîle des individus dans l’histoire

Les grands mĂ©dias se sont empressĂ©s de dire que le nouveau prĂ©sident devrait forcĂ©ment "mettre de l’eau dans son vin".

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photo: DPA — thelocal.de/20170227/in-pics- german- carnival-floats-show-trump-no-merc y

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mesure du dĂ©veloppement du capital. mystification dont il faut se dĂ©barrasser Cet approfondissement n’est pas que d’urgence. Ils ne veulent de cette quantitatif: de nouveaux problĂšmes conclusion Ă  aucun prix. apparaissent. La crise Ă©cologique joue Or, le changement climatique est le ici un rĂŽle clĂ©, en particulier le dĂ©fi comble de l’irrationalitĂ© globale. Peut-on climatique. En effet, les mesures Ă  prendre en effet imaginer folie plus complĂšte ont Ă©tĂ© si longtemps diffĂ©rĂ©es qu’il devient que celle-ci: une sociĂ©tĂ© d’une haute impossible de parer le danger sĂ©rieusement scientificitĂ©, et qui a les moyens d’agir, sans mettre en question la logique sait avec une quasi-certitude que sa d’accumulation capitaliste. dynamique d’accumulation menace de La feuille de route de la gouvernance destruction des centaines de millions globale intĂšgre dorĂ©navant les objectifs de gens et d’innombrables richesses du "dĂ©veloppement durable" et de naturelles, mais ne fait en gros rien d’autre "l’internalisation des externalitĂ©s". Mais que des dĂ©clarations d’intentions
 Pour ni les milliers de pages sur les bĂ©nĂ©fices Trump et Cie, cette contradiction est de trop. d’une "Ă©conomie verte" ni les accords Incapables de l’affronter, ils choisissent pĂ©niblement nĂ©gociĂ©s dans les sommets tout simplement de nier ce qui la fonde, et internationaux ne dissuadent le capital fourrent les accords internationaux dans de brĂ»ler massivement des combustibles le sac Ă  jeter de la mondialisation. VoilĂ  fossiles. Le rĂ©chauffement continue de comment le nĂ©gationnisme climatique, plus belle, menaçant l’humanitĂ© d’une chassĂ© du dĂ©bat public par la porte de la mĂ©ga-catastrophe irrĂ©versible, d’une science, parvient Ă  y revenir par la fenĂȘtre ampleur inimaginable: qui peut se de la politique. reprĂ©senter les consĂ©quences d’une hausse Un projet rĂ©actionnaire global de douze mĂštres du niveau des ocĂ©ans? Le projet de Trump est global et fait Dans un moment de luciditĂ©, peser une menace globale. C’est le projet Nicholas Stern avait Ă©crit que "le rĂ©actionnaire d’un capitalisme voyou, changement climatique est l’échec le brutal et trĂšs autoritaire, sorti tout droit plus grave de l’économie de marchĂ©" (5). de la tĂȘte d’un patron nationaliste qui Cet aveu a Ă©tĂ© vite enterrĂ©: trop explosif. peste contre toute contrainte: "les charges Ce n’est pas un hasard: d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les capitalistes, leurs idĂ©ologues sociales", les syndicats, les concurrents, et leurs reprĂ©sentants politiques sont "la paperasserie", la presse, les Ă©cologistes, littĂ©ralement incapables de comprendre les rĂšgles de la "bonne gouvernance"
 que l’irrationalitĂ© globale dĂ©coule de Un patron qui, face Ă  ces dĂ©fis, cherche la rationalitĂ© partielle du capital. Leur Ă  diviser les travailleurs par des attaques position de classe les en empĂȘche. Ils racistes et sexistes. Ce projet doit ĂȘtre devraient admettre que la rationalitĂ© combattu en tant que tel. Dans tous du capital est une fausse rationalitĂ© qui ses aspects, sans aucune ambiguĂŻtĂ©. Ce entraĂźne l’humanitĂ© vers un gouffre, une jugement ne fait pas l’unanimitĂ© Ă  gauche.


de Trump lors de la primaire rĂ©publicaine, suffisante, la majoritĂ© du patronat peut s’y puis son Ă©lection Ă  la Maison Blanche, rallier, ou laisser faire. montrent que cette autonomie est bien Analysant en dĂ©tail l’ordre exĂ©cutif rĂ©elle. Les observateurs qui avaient sur le “Muslim ban”, Laleh Khalili estime pronostiquĂ© que le tycoon serait battu qu’il a Ă©tĂ© conçu dĂ©libĂ©rĂ©ment pour crĂ©er parce que Wall Street ne voulait pas de lui “l’incertitude et l’arbitraire nĂ©cessaires Ă  se sont trompĂ©s. l’exercice du pouvoir par le fait accompli" (10). En outre, l’auteure attire l’attention Le coup montĂ© sur le fait que cet ordre exĂ©cutif de comme mĂ©thode politique Trump a Ă©tĂ© appliquĂ© immĂ©diatement Comparaison n’est pas raison, mais et avec zĂšle par les fonctionnaires de le grand capital allemand a mis Hitler au l’administration des frontiĂšres, un milieu pouvoir pour qu’il casse le mouvement trĂšs favorable au nouveau prĂ©sident. On ouvrier, pas pour qu’il l’entraĂźne dans peut se demander comment l’affaire la deuxiĂšme guerre mondiale et dans la aurait Ă©voluĂ© sans la rĂ©sistance sociale Shoah. Or, il avait prĂ©vu de le faire, et il antiraciste spontanĂ©e et massive. l’a fait
 en trompant ses interlocuteurs La crise des partis US, notamment sur ses intentions, puis en instaurant sa celle du Parti rĂ©publicain, crĂ©e un condictature
 Et qu’ont fait les magnats de texte favorable Ă  la "stratĂ©gie du choc", et Thyssen, Krupp, IG Farben, Allianz et autres on ne peut que suivre Laleh Khalili quand fleurons de l’économie allemande? Ils se elle note que "cette mĂ©thode convient parsont accommodĂ©s de la situation, et ont faitement au style autoritaire de Trump et bien profitĂ© de la "destruction crĂ©atrice". de ses conseillers". Le principal de ceux-ci, Il ne faut se faire aucune illusion et garder Ă  l’esprit que c’est la dictature – et Steve Bannon, est un stratĂšge d’extrĂȘmepas la dĂ©mocratie – qui est inhĂ©rente au droite, fondamentaliste chrĂ©tien qui systĂšme capitaliste. Elle est quotidienne ambitionne de dĂ©truire l’establishment dans les relations de travail au sein des US pour instaurer une dictature qui fera entreprises et sur le "marchĂ© de l’emploi". la guerre Ă  l’islam et Ă  la Chine. Une fois Le mouvement ouvrier, par la lutte, a que des individus de ce style s’emparent du conquis des droits dĂ©mocratiques, mais pouvoir politique, on ne peut pas exclure ceux-ci sont remis en cause dĂšs que qu’ils parviennent effectivement Ă  forcer la classe dominante sent son pouvoir l’avenir, dans certaines limites. menacĂ©. C’était vrai dans les annĂ©es Un potentiel de barbarie trente, cela reste vrai aujourd’hui. Trump sans prĂ©cĂ©dent inquiĂšte des fractions des possĂ©dants, Les consĂ©quences seraient redoutables. mais il rĂ©pond en mĂȘme temps, Ă  sa Sur le plan socio-politique, bien sĂ»r. Mais maniĂšre, Ă  une "demande" capitaliste, aussi sur le plan environnemental – avec car l’approfondissement des politiques des rĂ©percussions sociales et sanitaires d’austĂ©ritĂ© nĂ©cessite un pouvoir fort. Que majeures. A ce propos, il faut lire le rĂ©cit ce soit sous la forme populiste ou sous de l’audition devant la commission du la forme nĂ©olibĂ©rale, la tendance autori- SĂ©nat de Scott Pruitt, que Trump a dĂ©signĂ© taire s’affirme partout: Erdogan, Poutine, pour diriger l’Agence de Protection de Junker, Xi Jiping, Fillon
 l’Environnement: Pruitt ment effrontĂ©-

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Il est vrai que son Ă©quipe paraĂźt divisĂ©e et hĂ©tĂ©roclite: le pourfendeur populiste de Wall Street, Steve Bannon, y cĂŽtoie Gary Cohn, numĂ©ro deux de Goldman Sachs, qui dirigera le Conseil Ă©conomique. Cependant, au cours de sa premiĂšre semaine, Trump a concrĂ©tisĂ© la plupart de ses promesses populistes, Ă  bride abattue. Il n’est pas certain qu’il pourra continuer. D’une part, la hiĂ©rarchie militaire – dont la stratĂ©gie impĂ©rialiste est fort constante depuis Bush – n’apprĂ©cie certainement pas de voir Bannon la supplanter dans le Conseil National de SĂ©curitĂ©. D’autre part, des cercles trĂšs influents du grand capital US sont opposĂ©s Ă  Trump, en particulier sur quatre points qui sont liĂ©s entre eux: la politique internationale, le protectionnisme, les migrants et la rĂ©forme fiscale. Si Trump n’est pas "recadrĂ©" sur ces questions, une partie de la bourgeoisie US pourrait vouloir se dĂ©barrasser de lui comme la bourgeoisie britannique s’est dĂ©barrassĂ©e de Thatcher en 1990 (lors de la poll tax). Car c’est la classe dirigeante – pas les individus – qui dirige en derniĂšre instance. A l’appui de cette thĂšse, on peut citer les rĂ©actions capitalistes au "Muslim ban" – l’interdiction d’entrĂ©e aux USA pour les ressortissants de sept pays du Moyen-Orient. En effet, un grand nombre de patrons d’entreprises clĂ©s (Facebook, Google, Starbucks, Goldman Sachs, Citigroup, MasterCard, Ford, Coca-Cola, Amazon
) ont critiquĂ© cette interdiction ouvertement, et parfois durement. Certains (Uber, Syft) l’ont fait par crainte d’un boycott des consommateurs, mais le fond de l’affaire est que le nationalisme blanc de Trump est en dĂ©calage complet par rapport au cosmopolitisme du personnel des grands groupes technologiques, Ă  tous les niveaux (7). Cependant, la partie est plus complexe. D’une part, le capital est divisĂ©: ainsi, les importateurs (Wal-Mart) sont opposĂ©s au projet de taxe aux frontiĂšres, mais les exportateurs (Boeing, General Electric) y sont favorables. D’autre part, la "base Trumpiste" se mobilise aussi: lundi 30 janvier, en rĂ©action aux dĂ©clarations du CEO de Starbucks contre le "Muslim ban" #BoycottStarbucks Ă©tait le hashtag le plus populaire sur Twitter aux Etats-Unis (8)
 Affirmer que la classe dirigeante dirige "en derniĂšre instance" – ces trois petits mots sont importants – signifie qu’il y a une double autonomie relative: de la sphĂšre politique par rapport Ă  la sphĂšre Ă©conomique, et des individus par rapport Ă  la sphĂšre politique (9). La nomination

Le "Muslim ban", un coup d’essai

ment, mais ne parvient pas Ă  cacher qu’il ambitionne de dĂ©manteler non seulement Donald Trump n’est pas un politicien la (trĂšs insuffisante) politique climatique, bourgeois comme un autre. C’est un menmais aussi des lĂ©gislations clĂ©s portant sur teur sans scrupules et un manipulateur, la rĂ©gulation des Ă©missions de plomb, de Ă  l’instar d’Hitler, de NapolĂ©on III et de mercure, etc. (11) quelques autres figures du mĂȘme acabit. Jeremy Legget pense que la capacitĂ© Or, dans les pĂ©riodes de crise politique et de nuisance de Trump dans le dossier clide dĂ©sarroi, oĂč la bourgeoisie elle-mĂȘme matique est limitĂ©e, parce que la transition est profondĂ©ment divisĂ©e, les personnages Ă©nergĂ©tique capitaliste est irrĂ©versible (12). de ce genre sont capables de monter des coups afin de crĂ©er le prĂ©texte de leur dic- Elle est sans doute irrĂ©versible, en effet, tature – comme Hitler le fit avec l’incendie vu que la chute des prix de l’électricitĂ© du Reichstag. Aux yeux de la bourgeoisie, d’origine renouvelable condamne les fosle national-populisme raciste, en dĂ©sig- siles dans les dĂ©cennies qui viennent. Mais, nant des boucs Ă©missaires, peut faciliter d’une part, cette transition capitaliste ne l’instauration d’un rĂ©gime autoritaire. S’il sauvera pas le climat, car elle ne respecte ne rencontre pas une rĂ©sistance sociale ni les contraintes en termes de rĂ©duction la gauche #81 mars-avril 2017

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10 la gauche #81 mars-avril 2017

1) Ernest Mandel, Les ondes longues du dĂ©veloppement capitaliste. Une interprĂ©tation marxiste, Syllepse, Paris, 2014 2) Lire François Chesnais, "Le capitalisme a-t-il rencontrĂ© des limites infranchissables?" www.alencontre.org/laune/le-capitalisme-a-t-ilrencontre-des-limites-infranchissables.html 3) Kim Moody, "Who Put Trump in the White House?", Against The Current, Jan-Feb 2017 4) Bannon a exposĂ© sa vision stratĂ©gique dans une confĂ©rence donnĂ©e en 2014 dans des locaux du Vatican (!) La lecture de ce texte est essentielle. www.dignitatishumanae.com/index.php/this-ishow-steve-bannon-sees-the-entire-world 5) Stern Review, The Economics of Climate Change, 2006 6) Lire Lance Selfa, "Qu’est-ce que signifie ‘rendre l’AmĂ©rique Ă  nouveau grande’?", www.alencontre. org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-quest-ceque-signifie-rendre-lamerique-a-nouveau-grande. html 7) Dan La Botz, “Trump Makes Early Enemies”, www.internationalviewpoint.org/spip. php?article4854 8) Financial Times, 31 jan. www.ft.com/ content/315f7568-e6fe-11e6-893c-082c54a7f539 9) Sur le rĂŽle des individus dans l’histoire, lire Ernest Mandel, "Les individus et les classes sociales: le cas de la Seconde guerre mondiale", www. ernestmandel.org/new/ecrits/article/les-individuset-les-classes 10) Laleh Khalili, “With Muslim Ban, Trump and Bannon Wanted Chaos, but Not Resistance”, www.truth-out.org/news/ item/39298-sowing-mayhem-to-reap-power-thesinister-strategy-behind-trump-s-muslim-ban 11) www.nrdc.org/experts/john-walke/ trump-epa-nominee-answers-senators-contemptand-extremism?utm_source=tw&utm_ medium=tweet&utm_campaign=socialmedia 12) Jeremy Legget, "State of The Transition, December 2016", www.jeremyleggett.net/2017/01/ state-of-the-transition-december-2016-asfossil-fuel-diehards-take-over-the-white-housethe-evidence-of-a-fast-moving-global-energytransition-has-never-been-clearer 13) Sur l’impact possible des mesures climatonĂ©gationnistes que prendrait Trump, lire D. Tanuro, "EmpĂȘchons Trump de commettre un crime climatique", www.lcr-lagauche.org/ empechons-trump-de-commettre-un-crimeclimatique-contre-lhumanite-et-lenvironnement

autocollant Cheetolini par par tyfar ty — redbubble.com/people/par tyfar ty/

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orienter dans un sens anticapitaliste. Car il s’agit de tirer la leçon du succĂšs de Bernie Sanders dans la primaire dĂ©mocrate: c’est seulement en opposant une rationalitĂ© Ă©cosocialiste – la rationalitĂ© de la satisfaction des besoins humains rĂ©els, dĂ©mocratiquement dĂ©terminĂ©s dans le respect de l’environnement – Ă  la fausse rationalitĂ© partielle du capital qu’il est possible de faire barrage Ă  Trump. Il est de l’intĂ©rĂȘt des exploitĂ©.e.s et des opprimĂ©.e.s partout dans le monde de marquer leur solidaritĂ© la plus large et la plus active avec les mobilisations aux Etats-Unis. D’ailleurs, il ne s’agit pas de solidaritĂ©, mais de combat commun. Car l’intĂ©rĂȘt commun des exploitĂ©.e.s et des opprimĂ©.e.s du monde entier est de battre Trump. Sa dĂ©faite sera celle de tous les despotes – ou candidats despotes – qui jouent du nationalisme ou du populisme pour asservir les populations. L’épreuve de force engagĂ©e aux Etats-Unis est de portĂ©e planĂ©taire. Si le Rien n’est jouĂ©, Trumpisme est battu, ou s’il doit "dĂ©gager" tout dĂ©pend de la lutte sous la pression de la rue, cette victoire Une expression anglaise bien connue encouragera partout la contre-offensive affirme que "Every cloud has its silver des peuples. S’il devait gagner, par lining" [tout nuage a son lisĂ©rĂ© d’argent]. contre, il faudrait commencer Ă  craindre L’impuissance de la gouvernance sĂ©rieusement le risque d’une troisiĂšme nĂ©olibĂ©rale face Ă  l’irrationalitĂ© globale –7 fĂ©vrier 2017 croissante ne s’exprime pas seulement Ă  guerre mondiale. ■ droite dans le Trumpisme. Elle s’exprime aussi Ă  gauche dans la forte radicalisation Merci Ă  Dan La Botz et Ă  Charles-AndrĂ© rendue visible par le mouvement Occupy, Udry pour leurs suggestions. puis par la campagne de Bernie Sanders pour l’investiture dĂ©mocrate. L’élection de Trump renforce spectaculairement cette polarisation. Les exploitĂ©.e.s et les opprimĂ©.e.s ont rĂ©agi immĂ©diatement par des mobilisations massives, largement spontanĂ©es. Une semaine aprĂšs la gigantesque Marche des Femmes du 21 janvier, c’est contre le "Muslim ban" que des centaines de milliers de personnes sont passĂ©es Ă  l’action. D’autres luttes suivront. DĂ©jĂ , l’appel Ă  une People’s March for Climate le 29 avril a toutes les chances de dĂ©passer en ampleur la grande manifestation "climat" qui avait rassemblĂ© 300.000 personnes Ă  New York en 2014. Dans cette lutte, il n’y a rien Ă  attendre des politiciens dĂ©mocrates. Bernie Sanders les effrayait davantage que Trump. Ils parlent de dĂ©mocratie, mais incarnent une politique nĂ©olibĂ©rale Ă  bout de souffle et qui devient elle-mĂȘme de plus en plus autoritaire. La seule stratĂ©gie rĂ©aliste consiste Ă  dĂ©velopper les mobilisations et Ă  les faire converger en tentant de les des Ă©missions, ni les Ă©chĂ©ances de celle-ci. (13) D’autre part, comme Legget l’admet lui-mĂȘme, la politique internationale de Trump pourrait, par une fuite en avant dans la guerre, crĂ©er une situation de fait oĂč la classe dominante US serait contrainte, qu’elle le veuille ou non, de renvoyer la lutte contre le rĂ©chauffement au XĂšme rang des prioritĂ©s
 Etant donnĂ© que nous sommes sur le fil du rasoir, le rĂ©sultat serait terrible, et probablement irrĂ©versible. De ce point de vue, le potentiel de barbarie de Trump dĂ©passe tout ce dont le capitalisme s’est montrĂ© capable dans le passĂ©. Comme l’écrit François Chesnais [op. cit.]: "La rencontre par le capitalisme de limites qu’il ne peut pas franchir ne signifie en aucune maniĂšre la fin de la domination politique et sociale de la bourgeoisie, encore moins sa mort, mais elle ouvre la perspective que celle-ci entraĂźne l’humanitĂ© dans la barbarie."


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Trump en Belgique les 24 et 25 mai:

Le comité d'accueil se prépare

"Pissing in the Hellhole" — illustration: Little Shiva

✒ par Mauro Gasparini Donald Trump, prĂ©sident de la premiĂšre puissance Ă©conomique et militaire mondiale, devrait poser les pieds Ă  Bruxelles au mois de mai. Un sommet de l'OTAN est en effet prĂ©vu les 24 et 25 mai prochains. Un rendez-vous important pour cette organisation militariste et impĂ©rialiste nĂ©e en pleine Guerre froide et vieille de 68 ans. La rĂ©sistance s'organise... A l'agenda du sommet, par exemple, il y a la question de la modernisation des arsenaux nuclĂ©aires, dans un contexte oĂč Trump a eu des dĂ©clarations laissant entendre qu'il dĂ©fendrait une nouvelle course aux armes nuclĂ©aires. Autre question Ă  discuter lors de ce sommet, le respect de l'objectif de l'alliance que chaque Etat membre consacre 2% de son PIB au budget militaire au plus tard en 2024. Seuls cinq des 28 pays de l'Organisation du TraitĂ© de l’Atlantique Nord (OTAN) respectent actuellement cet objectif, dont la GrĂšce... L'administration Trump envoie des signaux contradictoires entre le prĂ©sident US qui dĂ©clare l'OTAN obsolĂšte et son secrĂ©taire Ă  la dĂ©fense, le gĂ©nĂ©ral Mattis – appelĂ© "le chien fou" – qui dĂ©clare le soutien indĂ©fectible des EtatsUnis Ă  l'alliance impĂ©rialiste. Trump pourrait donc bien demander la hausse de cet objectif de dĂ©penses militaires. L'agression russe en Ukraine offre du pain bĂ©nit aux partisans d'un renforcement de l'OTAN Ă  l'Est. Les Etats baltes ou encore "Mad Dog" Mattis

la Pologne rĂ©clament plus de soutien de leurs alliĂ©s occidentaux. L'OTAN envisage aussi de renforcer des partenariats en Asie, comme avec le Japon. Le Brexit favorise les dĂ©bats au sein des classes dominantes, notamment en France et en Allemagne, sur un renforcement de la militarisation de l'Union europĂ©enne (UE), pendant que l'OTAN joue dĂ©jĂ  Ă  la chasse aux rĂ©fugiĂ©.e.s en MĂ©diterrannĂ©e, en soutien Ă  l’agence Frontex et Ă  l'Europe forteresse. En Belgique, le gouvernement Michel a approuvĂ© un plan en juin 2016 pour que le budget de la DĂ©fense atteigne 1,3% du PIB en 2030 – contre 0,9% aujourd'hui. Soit une hausse d'au moins 2,6 milliards d'euros. Ajoutons Ă  cela l'achat de 34 avions de chasse F-35 prĂ©vu par notre gouvernement pour la somme de 15 milliards d'euros (tous frais compris), et on constate une fois encore que l'offensive capitaliste, raciste et autoritaire actuelle dĂ©gage une odeur de soufre et de guerre. Une campagne a lieu contre l'achat de ces avions, justement adaptĂ©s pour porter les armes nuclĂ©aires modernisĂ©es des Etats-Unis et stockĂ©es chez nous Ă  Kleine Brogel. Mais le mouvement dit "antiguerre" est mal en point, en Belgique aussi. Beaucoup d'organisations, comme Intal, Vrede et mĂȘme la CNAPD (Coordination nationale d’Action pour la Paix et la DĂ©mocratie) ont sombrĂ© partiellement ou parfois totalement dans la justification de graves agressions militaires et de crimes de guerre que ce soit en Syrie ou en Ukraine, au nom d'une politique qui dĂ©nonce l'OTAN comme unique source de guerre, qui euphĂ©mise de façon caricaturale les guerres d'Assad et Poutine; et qui efface dans son discours l'existence mĂȘme de mouvements sociaux dans les pays concernĂ©s. Les anticapitalistes et internationalistes, dont nous sommes, n'ont pas cĂ©dĂ© sur les principes: nous nous sommes opposĂ©.e.s aux interventions militaires de la Belgique, que ce soit en Afghanistan ou

plus récemment en Irak. Celles-ci n'ont jamais eu pour but d'aider les populations locales. Pour autant, nous n'avons eu de cesse de dénoncer la brutalité d'Assad et Poutine, entre autres, et de défendre une solidarité internationale des mouvements populaires pour la justice sociale, les libertés démocratiques et contre toutes les guerres contre-révolutionnaires, celles des dictatures bourgeoises corrompues comme celles des puissances impérialistes de premiÚre ou de seconde zone.

Une occasion pour reconstruire le mouvement antiguerre

Cela Ă©tant, la venue de Trump en Belgique est une occasion de choix pour le mouvement social, toutes composantes confondues, de se rĂ©veiller, de se rĂ©unifier, et de le faire sur des bases politiques saines et unitaires. Trump, par l'agenda capitaliste, hĂ©tĂ©ro-sexiste, raciste, militariste et destructeur de la planĂšte qu'il reprĂ©sente, nous met face Ă  nos responsabilitĂ©s tout en permettant une convergence des luttes comme on en a rarement vue! C'est pourquoi un processus se met en place pour prĂ©parer une manifestation qui, pour ĂȘtre massive et pluraliste en mai, devrait reflĂ©ter de façon dĂ©mocratique toutes les composantes du mouvement social en Belgique, et ne pas Ă©pargner non plus les petits Trump belges, comme ThĂ©o Francken, ou simplement les laquais du Trumpisme, comme Charles Michel. Le mouvement doit s'appuyer sur les mobilisations fĂ©ministes, celles des scientifiques et celles des anti-guerre notamment, mais sans oublier la dimension antiraciste, la lutte contre l'Europe forteresse et pour la rĂ©gularisation des sans-papiers, et, last but not least, le mouvement syndical. Rendezvous le 24 mai pour montrer au monde que la Belgique ne veut pas de Trump et de son monde! ■ la gauche #81 mars-avril 2017

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Trump et le mouvement ouvrier

Made In China

Donald Trump a gagnĂ© l'Ă©lection prĂ©sidentielle principalement en raison du vote des riches et de la classe moyenne, mais le vote ouvrier Ă©tait Ă©galement important et il n'aurait pas pu gagner sans lui. Trump a fait campagne pour la PrĂ©sidence sur une plate-forme destinĂ©e Ă  conquĂ©rir des Ă©lecteurs de la classe ouvriĂšre, mais surtout les travailleurs blancs. Son programme nationaliste promettait, d'une part, des projets d'infrastructure tels que la construction d'autoroutes, de ponts et de chemins de fer, et, d'autre part, l’érection d’un mur le long de la frontiĂšre sud de la nation pour repousser les immigrant.e.s qui sont des concurrent.e.s Ă  faible salaire pour des travailleurs/euses amĂ©ricain.e.s natifs/ves. La combinaison des incitations Ă©conomiques et de la xĂ©nophobie s'est rĂ©vĂ©lĂ©e juste assez forte pour gagner quelques centaines de milliers d'Ă©lecteurs de la classe ouvriĂšre blanche de la Rust Belt qui ont fourni Ă  Trump sa faible majoritĂ© au collĂšge Ă©lectoral.

Le cabinet du travail de Trump

Alors qu'il promettait des emplois, Trump n’a jamais promis de respecter les syndicats, les contrats syndicaux, les salaires. Trump a dĂ©signĂ© Andrew Pudzer comme SecrĂ©taire au Travail et Betsy DeVos comme SecrĂ©taire Ă  l'Education. Tous deux sont connus pour leurs positions antisyndicales. Devos, une milliardaire, a Ă©tĂ© une dirigeante du mouvement appelĂ© "Choix de l'Ă©cole": elle a promu les Ă©coles privĂ©es contre les Ă©coles publiques, en utilisant une partie de sa fortune immense pour le faire. Le SĂ©nat l'a confirmĂ©e par un vote. Les syndicats d'enseignant.e.s la considĂšrent comme un ennemi mortel. Le candidat au poste de SecrĂ©taire au Travail, Pudzer, qui pĂšse 25 millions de dollars, est le PDG de CKE Restaurants, qui gĂšre les chaĂźnes de fast-food Hardee et Carl's Jr. Il s'oppose aux lois sur le salaire minimum ainsi qu’à la protection de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© des travailleurs. Son palmarĂšs en tant qu'employeur est choquant. Ses employĂ©.e.s ont dĂ©posĂ© de

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nombreuses plaintes contre ses franchises, l’accusant de vol de salaire, de harcĂšlement sexuel et de pratiques de travail dĂ©loyales. Il a Ă©galement illĂ©galement employĂ© une travailleuse sans-papiers comme femme de mĂ©nage et a Ă©tĂ© accusĂ© d'abus par sa femme. Trump pourrait bien avoir Ă  retirer la nomination de Pudzer. (*)

Gagner les syndicats de branche

Lors de son premier jour de mandat, Trump a rencontrĂ© les dirigeants des syndicats du bĂątiment. Ces mĂ©tiers sont historiquement la section la plus conservatrice du mouvement ouvrier amĂ©ricain, composĂ© de mĂ©tiers tels que les charpentiers et les Ă©lectriciens. Les dirigeants corpulents de ces syndicats de branche se rĂ©pandent avec enthousiasme sur le nouveau PrĂ©sident qui a parlĂ© aux dirigeants syndicaux de ses plans d’autoroutes, de ponts et, bien sĂ»r, du mur Ă  la frontiĂšre. "Nous sommes de la mĂȘme industrie", a dĂ©clarĂ© Garvey Sean McGarvey, prĂ©sident du North America’s Building Trades Unions. "Il comprend l’importance de l’ascension sociale, de l’accĂšs Ă  la classe moyenne." Un accĂšs rĂ©servĂ© Ă  certains,

blancs en majorité, bien entendu. Il y a cinquante ans, les travailleurs de la construction étaient presque tous des hommes blancs. Aujourd'hui, à l'exception de la Laborers International Union, qui compte beaucoup de membres noirs et latinos, ces syndicats restent en général essentiellement blancs et masculins. Le tournant de Trump vers ces métiers est destiné à consolider sa base parmi la classe ouvriÚre blanche. Pourtant, ce plan ne va pas sans problÚmes. Le programme de 2016 du Parti républicain demande l'abrogation de la loi Bacon-Davis de 1931, qui stipule que les projets de travaux publics paient les salaires locaux en vigueur (généralement l'échelle syndicale). Cette loi a été absolument essentielle au maintien des salaires et des revenus des travailleurs de la construction. Si Bacon-Davis était renversé, l'impact sur les métiers serait désastreux. Quand Trump a été interrogé sur Bacon-Davis, il a refusé de s'engager mais, quelques jours plus tard à peine, le sénateur républicain Jeff Flake de l'Arizona a présenté un projet de loi pour suspendre Bacon-Davis sur les projets

photo: Sean Posey — billmoyers.com/stor y/workers-arent-hearing- democrats/

✒ par Dan La Botz


L'AFL-CIO – NeutralisĂ©

La stratĂ©gie Trumpiste de sĂ©duction des mĂ©tiers du bĂątiment semble avoir neutralisĂ© efficacement l'AFL-CIO, la plus grande et la plus importante organisation ouvriĂšre du pays, qui avait soutenu Hillary Clinton. Le prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration, Richard Trumka, ancien prĂ©sident du United Mine Workers Union (UMW) – dont les membres ont largement votĂ© pour Trump parce qu'il soutient l'utilisation du charbon – semble hĂ©siter Ă  dĂ©fier directement Trump par crainte de perdre le soutien de puissants syndicats de branche. Trumka a dĂ©clarĂ© aux mĂ©dias que l'Ă©lection Ă©tait un rĂ©fĂ©rendum "sur le commerce, sur la relance de l’industrie, sur la relance de nos communautĂ©s". Il a ajoutĂ©: "Nous allons travailler Ă  faire de plusieurs de ces promesses une rĂ©alitĂ©. S'il est prĂȘt Ă  travailler avec nous, conformĂ©ment Ă  nos valeurs, nous sommes prĂȘts Ă  travailler avec lui". Il n'est pas surprenant que Trumka ait visitĂ© le PrĂ©sident quelques jours aprĂšs l’élection et ait dit qu'il avait eu une "conversation productive".

Gel de l’embauche au fĂ©dĂ©ral, une gifle aux syndicats de fonctionnaires

Tout en Ă©treignant les ouvriers blancs des mĂ©tiers de la construction, Trump a simultanĂ©ment agressĂ© les fonctionnaires fĂ©dĂ©raux, dont un nombre important sont des travailleuses noires. Il a signĂ© une ordonnance exĂ©cutive qui gĂšle l'embauche pour les organes de l’exĂ©cutif, qui comptent 1,2 million d'employĂ©s. Les syndicats fĂ©dĂ©raux ont rapidement critiquĂ© cette dĂ©cision, formulant leurs objections en termes de service Ă  la sociĂ©tĂ©

afin de gagner l'appui du public. "Ce gel de l'embauche signifierait des files plus longues dans les bureaux de la SĂ©curitĂ© sociale, moins d'inspections du travail, moins de surveillance des pollueurs et plus de risques pour l'approvisionnement alimentaire et en eau potable de notre nation", a dĂ©clarĂ© J. David Cox Sr., de l’American Federation of Government Employees (AFGE). Le gel de l’embauche rĂ©duira Ă©galement une source majeure d'emplois permanents, Ă  temps plein, – bien que souvent faiblement rĂ©munĂ©rĂ©s – avec des vacances et des avantages pour la santĂ© de nombreux travailleurs, surtout des travailleurs noirs et des femmes.

La Cour suprĂȘme et les États

Le choix du juge fĂ©dĂ©ral Neil M. Gorsuch pour la Cour suprĂȘme sera trĂšs probablement approuvĂ© par le SĂ©nat. L'arrivĂ©e de Gorsuch crĂ©era une majoritĂ© conservatrice pour trancher dans l’affaire "Janus vs. AFSCME". Cela signifie qu’il sera trĂšs probablement mis fin Ă  la capacitĂ© de l’American Federation of County, State and Municipal Employees (AFSCME) de percevoir les cotisations des membres non syndiquĂ©s qu'ils sont obligĂ©s de reprĂ©senter. Il en rĂ©sultera la disette financiĂšre pour de nombreux syndicats d'employĂ©s publics, ce qui les obligera Ă  rĂ©duire le personnel et les rendra moins efficaces. Beaucoup pourraient carrĂ©ment disparaĂźtre. Les syndicats des secteurs public et privĂ© seront confrontĂ©s au dĂ©fi des lois dites du "droit au travail" qui mettent les syndicats sur la touche. Le but est de mettre fin au systĂšme dit du "closed shop" qui consiste en ceci que, sur le lieu de travail, si la majoritĂ© vote pour un syndicat, tous les travailleurs doivent adhĂ©rer au syndicat et payer des cotisations. Vingt-huit États disposent actuellement de lois sur le "droit au travail". Partout oĂč les rĂ©publicains ont le pouvoir, ils vont passer des lois sur le droit au travail au niveau de l'État. Le 1er fĂ©vrier, les reprĂ©sentants Joe Wilson, R-S.C., et Steve King, R-Iowa, ont dĂ©posĂ© au CongrĂšs un projet de loi qui instaurerait le "droit au travail" dans tout le pays.

Certains travailleurs se joignent à la résistance

Alors que les métiers de la construction et les Teamsters ont adopté le projet de Trump, de nombreux autres syndicats sont entrés dans l'opposition. Les enseignant.e.s ont été à l'avant-garde de la résistance. La Fédération américaine des Enseignants (AFT) a mobilisé 250 sections

locales dans plus de 200 villes la veille de l'inauguration, dans le cadre de la JournĂ©e nationale d'Action "Reclaim Our Schools", contre Trump. L'Association nationale de l'Education (National Education Association), le plus grand syndicat du pays avec 2,7 millions de membres, a demandĂ© Ă  ses membres de quitter les Ă©coles le jour de l'inauguration, pour protester contre Trump. Les membres de la section locale 10 de l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU) Ă  Oakland, en Californie, un syndicat de dockers avec une longue histoire radicale et 50% d’affiliĂ©s noirs, ont cessĂ© le travail le jour de l'inauguration. En dehors du mouvement syndical, les travailleurs/euses du secteur des services et de l'industrie des technologies de l'information ont Ă©mis des protestations importantes. La New York Taxi Workers Alliance – qui est une ONG, pas un syndicat – dont de nombreux membres sont des immigrĂ©s musulmans, s’est manifestĂ©e Ă  l'aĂ©roport de JFK, contre la politique de Trump Ă  l’égard des migrant.e.s. Dans le mĂȘme temps, les techniciens de Google en Californie et Ă  Comcast Philadelphie manifestaient aussi contre cette politique. Sur ce point, les sections non organisĂ©es du mouvement ouvrier semblent plus actives que celles des syndicats.

dossier

routiers fĂ©dĂ©raux. Le prĂ©sident gĂ©nĂ©ral des Teamsters (chauffeurs de camion), James P. Hoffa, fĂ©licite Ă©galement Trump. Beaucoup de Teamsters travaillent dans les mĂ©tiers du bĂątiment, conduisant les camions Ă  benne, les camions de ciment et livrant les poutres d'acier sur le chantier [j’ai fait ce job]. Les Teamsters ont louĂ© Trump pour ce qu'ils appellent le "but de bon sens" de ses projets d'infrastructure. M. Hoffa a Ă©galement fĂ©licitĂ© Trump pour avoir retirĂ© les États-Unis du Partenariat transpacifique, ainsi que pour sa promesse de rĂ©viser ou d'abandonner l'Accord de libre-Ă©change nord-amĂ©ricain (ALENA). Les Teamsters veulent aussi que Trump modifie la clause de l'ALENA qui permet aux camionneurs mexicains de franchir la frontiĂšre vers les États-Unis.

Un moment critique

L'attaque de Trump contre les syndicats intervient Ă  un moment critique. Le taux de syndicalisation est seulement de 10,7%, soit une baisse de 0,4 point par rapport Ă  2015. L'adhĂ©sion syndicale a diminuĂ© d'un quart de million de travailleurs/euses au cours de la mĂȘme pĂ©riode pour s'Ă©tablir Ă  seulement 14,6 millions. Les grĂšves aux États-Unis restent peu nombreuses. C’est le cas depuis longtemps, mais surtout depuis la Grande RĂ©cession de 2008. Les travailleurs/euses et les syndicats continuent Ă  encaisser le choc de la prĂ©sidence de Trump, Ă©lu il y a quelques semaines Ă  peine, mais on peut s’attendre Ă  une rĂ©sistance croissante lorsque ses politiques anti-ouvriĂšres se clarifieront. Nous avons besoin Ă  la fois d'un mouvement Ă  la base dans les syndicats et de campagnes de syndicalisation des travailleurs/euses non syndiquĂ©.e.s, combinĂ©s Ă  la vision radicale que les travailleurs/euses doivent avoir un rĂŽle dominant dans le syndicat, sur le lieu de travail et dans la sociĂ©tĂ©. ■ *Cet article a Ă©tĂ© Ă©crit avant que Pudzer renonce Ă  ĂȘtre SecrĂ©taire au Travail.

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d’une femme par un fiancĂ©, un mari ou un ex n’est que la pointe de l’iceberg. Ainsi, de la confluence des pratiques Depuis dĂ©sormais plus de trois mois un nouveau mouvement fĂ©ministe, qui des collectifs de jeunes fĂ©ministes et de surprend par son ampleur, sa composition l’expĂ©rience de centres antiviolence gĂ©rĂ©s et sa radicalitĂ©, a fait irruption sur la scĂšne par les femmes, est nĂ© un appel Ă  la mobiliitalienne. Les premiers signes de la matu- sation nationale Ă  l’occasion de la journĂ©e ration d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration fĂ©ministe, du 25 novembre. Cette mobilisation a Ă©tĂ© avec ses propres codes d’expression et sa conçue comme le dĂ©but d’un processus propre sensibilitĂ© politique, Ă©taient dĂ©jĂ  de rĂ©flexion et d’action qui s’en prend Ă  visibles ces deux derniĂšres annĂ©es dans toutes les formes de violences structurelles les initiatives italiennes, notamment Ă  envers les femmes. L’appel, rĂ©digĂ© Ă  Rome Rome, pour le plein exercice du droit Ă  sous le nom de "Non Una di Meno", a l’avortement – prĂ©vu par la Loi 194 mais Ă©tĂ© accueilli avec enthousiasme et dans qui n’est pas garanti dans la pratique des plusieurs villes des assemblĂ©es locales se hĂŽpitaux Ă  cause de la prĂ©sence crois- sont auto-convoquĂ©es pour prĂ©parer la sante des "objecteurs de conscience" – et manifestation. Contrairement au passĂ©, en solidaritĂ© avec les luttes des femmes ces rendez-vous – parfois Ă  l’initiative de espagnoles contre le projet de loi anti- nouveaux collectifs de jeunes fĂ©ministes ou de groupes informels souvent liĂ©s aux avortement du ministre Gallardon. Cette fois aussi l’inspiration est espaces occupĂ©s – qui se sont adressĂ©s Ă  venue des mobilisations fĂ©ministes tout le monde Ă  travers les rĂ©seaux sociaux internationales contre la violence ont connu un grand succĂšs. machiste dans de nombreux pays latino- 150.000 femmes dans les rues amĂ©ricains, et pour l’égalitĂ© salariale en de Rome Islande et en Pologne, qui ont encouragĂ© Le samedi 26 novembre 2016, au l’envie de rĂ©agir Ă  une situation de moins 150.000 femmes, LGBTIQ et un violence structurelle envers les femmes certain nombre de (jeunes) hommes qui caractĂ©rise l’Italie et dont l’assassinat solidaires sont dĂ©scendu.e.s dans la rue

✒ Nadia De Mond

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en formant une marĂ©e colorĂ©e, joyeuse et incontenable qui a envahi le centre de Rome. Cette manif, pleine d’énergie et de volontĂ© de bouleverser le monde, auto-organisĂ©e, sans le support des structures traditionnelles de la gauche, s’est dĂ©roulĂ©e dans un esprit unitaire, inclusif des instances antiracistes, antipatriarcales et LGBTIQ. Il s’agit d’un mouvement qui est certainement hostile envers les gouvernements du PD (Renzi d’abord et Gentiloni ensuite) Ă  cause des attaques Ă  la santĂ© publique, aux conditions de vie des travailleuses et des prĂ©caires, Ă  l’autodĂ©termination des femmes en matiĂšre reproductive (voir la promotion du "Fertility Day" de la ministre Lorenzin). A cause aussi de la suspension des financements aux centres antiviolence et de la politique migratoire qui, dans les faits, est punitive et empĂȘche les nouveaux/elles arrivĂ©.e.s d’avoir une vie digne sur notre territoire. Mais en mĂȘme temps, le mouvement ne se reconnait dans aucune autre force politique ou syndicale Ă©tablie. Cette manifestation, qui est allĂ©e au-delĂ  de toute expectative, a Ă©tĂ© suivie d’une journĂ©e d’élaboration de contenus, avec une assemblĂ©e nationale articulĂ©e

photo: Isabel Viele — radioeco.it/non-una- di-meno-26-novembre -2016

féminisme

En Italie, un mouvement féministe de masse est en marche


s’engager pleinement pour sa rĂ©ussite, tandis que la CGIL [ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale italienne du Travail] a dĂ©cidĂ© de ne pas adhĂ©rer mais d’inviter seulement sa base Ă  faire des assemblĂ©es dans les lieux de travail sur le sujet. Ce nouveau mouvement fĂ©ministe, qui exprime un refus radical de l’existant, tire sa force de la combinaison d’actions massives de protestation et d’action directe avec les expĂ©riences capillaires d’autogestion et d’entraide, dans les centres antiviolence, dans l’éducation Ă  la diffĂ©rence, dans les collectifs d’étudiantes et dans les espaces occupĂ©s, qui font allusion Ă  la construction d’une sociĂ©tĂ© libĂ©rĂ©e du machisme, du racisme, de l’homo-lesbo-transphobie, et qui dĂ©passe les logiques du marchĂ© capitaliste. Il se sent partie d’une marĂ©e – seraitce la fameuse troisiĂšme vague? – de protagonisme des femmes qui traverse le monde et qui met en cause les politiques misogynes et excluantes d’un establishment qui a perdu toute crĂ©dibilitĂ©. C’est le premier mouvement de masse qui secoue le sentiment d’impuissance et de passivitĂ© qui semble avoir frappĂ© l’Italie depuis que le centre-gauche de Renzi est arrivĂ© au pouvoir en promettant de moderniser le pays en faisant redĂ©marrer l’économie, en rajeunissant sa classe politique et en alignant son fonctionnement aux standards d’efficience europĂ©ens. EspĂ©rons que ce mouvement, unique par sa force d’autoorganisation, dirigĂ© par une nouvelle gĂ©nĂ©ration de femmes – dans lequel nous sommes pleinement engagĂ©es – pourra se consolider et donner un nouvel Ă©lan pour la reprise des mouvements sociaux dans leur ensemble. ■

féminisme

en huit tables (chacune d’environ 200 nationale, qui s’est conclue rĂ©cemment Ă  personnes, provenant de tout le pays) Bologne, a dĂ©fini la plateforme – rĂ©sultat qui se sont penchĂ©es sur les diffĂ©rents des discussions approfondies lors des aspects de la violence (hĂ©tĂ©ro)patriarcale: tables – et les modalitĂ©s de la grĂšve: choix du cadre juridico-lĂ©gal Ă  la violence d’endroits symboliques pour rĂ©aliser Ă©conomique, au travail et dans le welfare; des flashmob, soutien aux travailleuses de l’éducation sexiste Ă  l’école aux medias; prĂ©caires ou soumises au chantage du de l’accompagnement fĂ©ministe pour patron Ă  travers des "actions de trouble" sortir de la violence au plan de santĂ© sex- (qui dĂ©rangent le dĂ©roulement du service uelle et reproductive; de la double ou triple ou de la production), choix d’un symbole violence que vivent les femmes immigrĂ©es unique – les couleurs noir et fuchsia et au sexisme dans les mouvements sociaux. les poupĂ©es russes – Ă  exposer Ă  la fenĂȘtre Cette Ă©laboration mĂšnera Ă  l’écriture d’un ou Ă  porter pour manifester l’adhĂ©sion Ă  plan fĂ©ministe antiviolence, partant d’en la grĂšve aussi de la part de celles qui ne bas, en contraste avec celui qui est en sont pas en mesure de quitter leur poste; prĂ©paration de la part du gouvernement et en plus des assemblĂ©es dans les lieux de travail et dans les Ă©coles pour bloquer qui sera prĂ©sentĂ© en juin. les cours et discuter de la violence et de Refuser les comportements l’oppression des femmes. de genre imposĂ©s Ensuite on se donnera rendez-vous Pendant ce temps, "Non Una di sur les places centrales de toutes les villes Meno" a accueilli positivement l’appel Ă  la fin de l’aprĂšs-midi, oĂč on crĂ©era des "Ni Una Menos" argentin Ă  une grĂšve connexions nationales et internationales internationale des femmes Ă  l’occasion entre manifestantes, pour conclure du huit mars 2017. Une journĂ©e dans dans quelques villes en soirĂ©e avec des laquelle nous proclamerons: "Si nos vies cortĂšges du type "reprenons-nous la nuit" ne valent rien, nous nous arrĂȘtons". Nous (Reclaim the Night) ou sous le slogan "les ne produisons pas, nous ne soignons pas, rues sures sont faites par les femmes qui y nous ne consommons pas, nous "faisons passent" (et pas par les "forces de l’ordre"). grĂšve" en refusant les comportements de genre imposĂ©s. Autogestion, entraide et GalvanisĂ© par la manifestation Ă©ducation Ă  la diffĂ©rence ocĂ©anique, dans laquelle des milliers Tout en gardant bien en main de jeunes filles – et garçons – sont l’autonomie du mouvement, "Non Una descendues dans la rue pour la premiĂšre di Meno" a lancĂ© l’invitation et le dĂ©fi fois, le mouvement s’est encore Ă©tendu Ă  tous les syndicats, majoritaires et de en s’articulant dans des assemblĂ©es base, Ă  rejoindre l’action en proclamant par ville, qui travaillent dans l’optique une grĂšve gĂ©nĂ©rale de 24 heures, le seul soit d’approfondir les thĂšmes des tables moyen par lequel les employĂ©es peuvent nationales soit de prĂ©parer concrĂštement faire grĂšve lĂ©galement. Jusqu’ici il n’y a la grĂšve des femmes du huit mars chacune que quelques syndicats de base qui ont sur son territoire. Une deuxiĂšme assemblĂ©e rĂ©pondu positivement Ă  l’appel sans

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✒ par Martin Willems, secrĂ©taire permanent CNE "Les entreprises sont les plus importants moteurs de crĂ©ation d’activitĂ© Ă©conomique, d’emplois et de richesse pour notre pays. Une croissance Ă©conomique durable passera donc inĂ©vitablement et prioritairement par une amĂ©lioration de la compĂ©titivitĂ© des entreprises." – Accord du gouvernement belge, 10 octobre 2014 Dans la vulgate de l’économie dite libĂ©rale, les entreprises sont les moteurs de l’action; les mĂ©canismes de marchĂ© les rĂ©gulent et rĂ©solvent naturellement les problĂšmes. La solution aux dĂ©fis environnementaux serait la "croissance Ă©conomique durable", qui rĂ©sultera naturellement d’un tissu d’entreprises dynamiques et compĂ©titives. Cette croyance religieuse est professĂ©e avec une foi aveugle par notre gouvernement; en tĂ©moignent son catĂ©chisme, l’accord gouvernemental d’octobre 2014 et sa politique constante depuis. Mais qu’en est-il en rĂ©alitĂ©? L’inquiĂ©tude quant au rĂ©chauffement climatique ne date pas d’hier; nous fĂȘterons bientĂŽt les 20 ans du protocole de Kyoto. Avec l’accord de Paris (COP 21) fin 2015, le monde entier (Trump exceptĂ©) prend enfin au sĂ©rieux ce rĂ©chauffement et s’engage Ă  un effort d’envergure en vue de le limiter Ă  deux degrĂ©s, voire 1,5 degrĂ© s’il Ă©tait encore possible. [Lire "Cette ‘transition Ă©cologique’ n’est pas la nĂŽtre!", La Gauche #80, janvier-fĂ©vrier 2017] Dans ce contexte, nous devrions maintenant constater que les acteurs Ă©conomiques prennent le problĂšme Ă  bras le corps et changer drastiquement nos habitudes. Mais les entreprises, puisque d’elles devrait provenir notre salut, sontelles vraiment occupĂ©es Ă  lutter avec acharnement contre le rĂ©chauffement climatique?

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Les résultats au niveau national de la lutte contre le réchauffement climatique

L’évolution des Ă©missions de CO2 de la Belgique n’est pas mauvaise (-14,3% entre 1990 et 2013). Mais les observateurs s’accordent Ă  y voir surtout le rĂ©sultat de la conjoncture: cette diminution est moins l’effet de bonnes politiques que l’effet de la crise Ă©conomique. Par ailleurs il faut comprendre qu’il s’agit lĂ  des Ă©missions dites "territoriales". Soit les Ă©missions liĂ©es Ă  l’activitĂ© sur le territoire. Mais cela ne reprĂ©sente pas les Ă©missions liĂ©es Ă  la consommation des habitants du territoire. En effet, ce chiffre ne reprend pas les Ă©missions causĂ©es dans d’autres pays par la production des biens et services importĂ©s. Lorsque cette correction est faite et que l’on intĂšgre les flux de marchandises, on constate que le rĂ©sultat est cette fois une augmentation des Ă©missions de 19,2% sur la mĂȘme pĂ©riode (1). La conclusion n’est pas difficile Ă  tirer. Oui, les Ă©missions de CO2 de la Belgique, et plus largement de l’UE, ont diminuĂ© en comparaison avec 1990. La diminution est la plus importante dans le secteur industriel. Par contre le secteur des transports a trĂšs fortement augmentĂ©. Comment expliquer cela? La Belgique et l’UE connaissent une trĂšs importante dĂ©sindustrialisation. Les industries polluantes sont dĂ©localisĂ©es dans d’autres rĂ©gions du monde. Les marchandises produites sont ensuite importĂ©es vers nos pays. Au total, les Ă©missions de nos rĂ©gions, flux de marchandises intĂ©grĂ©, n’ont jamais cessĂ© d’augmenter. Et encore ne prend-on pas en compte les Ă©missions liĂ©es aux transports intercontinentaux, qu’ils soient maritimes ou par avion. Vu leur nature extraterritoriale, ils ont toujours Ă©tĂ© laissĂ©s de cĂŽtĂ© par les diffĂ©rents protocoles climatiques. Pourtant leur Ă©volution pose question; avec une quote-part d’environ respectivement 4 et 3,5% des Ă©missions mondiales, et surtout des progressions de l’ordre de 10% par an,

il s’agit d’un enjeu majeur. On retrouve donc dans ces chiffres la traduction de la mondialisation: dĂ©localisation de la production et inflation des transports. Au niveau mondial, les Ă©missions de CO2 ont augmentĂ© de 61% depuis 1990!

Les entreprises face aux mesures publiques de protection de l’environnement

Les pouvoirs publics, tant europĂ©ens que nationaux, ont pris diverses mesures en vue d’inciter les entreprises Ă  diminuer leur consommation Ă©nergĂ©tique. Notamment le "marchĂ© europĂ©en du carbone", le systĂšme communautaire d’échange de quotas d’émission. En janvier 2017, le quotidien flamand De Morgen rĂ©vĂ©lait que 40 millions d’euros du fonds flamand pour le climat avaient Ă©tĂ© utilisĂ©s en subsides aux entreprises consommant beaucoup d’énergie, afin de compenser l’augmentation du coĂ»t de celle-ci du fait des politiques environnementales. Le ministre rĂ©gional compĂ©tent justifiait ainsi cette politique: "Les pays voisins le font aussi. Si nous ne le faisons pas, ces entreprises pourraient quitter l’Europe et causer encore plus de tort au climat". L’article prĂ©cise encore que ces entreprises ont obtenu plus de compensations que le surcoĂ»t rĂ©el, certaines jusqu’à quatre fois plus (2). Les exemples sont nombreux de ces industries lourdes qui ont obtenu – gratuitement – des quotas d’émission de la RĂ©gion wallonne et qui, lorsque leur activitĂ© s’arrĂȘte, continuent Ă  les recevoir pendant des annĂ©es. Elles les revendent ensuite sur le marchĂ©, ce qui tombe Ă  point nommĂ© pour faire financer par la collectivitĂ© le coĂ»t du dĂ©mantĂšlement de leur outil ou leur passif social. L’effet de la politique Ă©nergĂ©tique publique est donc neutralisĂ© pour les entreprises qui, en passant, non seulement font payer la facture de la transition Ă©nergĂ©tique au citoyen (dont les impĂŽts alimentent ce "fonds climatique" et ces quotas

illustration: Little Shiva

chronique syndicale

Que font réellement les entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique?


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L’action des entreprises, au niveau micro-Ă©conomique

Qu’en est-il des prĂ©occupations environnementales au niveau microĂ©conomique, dans la vie quotidienne des entreprises? Les entreprises et leurs travailleurs/euses ne sont pas insensibles Ă  la question. Mais quel en est le rĂ©sultat concret? Parmi les rĂ©alisations que l’on peut communĂ©ment observer, on trouve: – Les entreprises qui promeuvent les dĂ©placements "propres": remboursement des kilomĂštres parcourus en vĂ©lo, installation de parkings, de vestiaires et de douches pour les cyclistes, mise Ă  disposition de vĂ©los, de vĂ©los Ă©lectriques ou de voitures Ă©lectriques et/ou de bornes de rechargement. – Les entreprises qui se soucient de l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique de leurs bĂątiments: construction de bĂątiments Ă  faible consommation Ă©nergĂ©tique voire passifs, installation de panneaux photovoltaĂŻques ou d’éoliennes, etc. – De plus en plus d’entreprises ont une politique de tĂ©lĂ©travail partiel (le plus souvent il s’agit d’un travail partiel au domicile). Dans cette politique interviennent des considĂ©rations environnementales (diminution des dĂ©placements) parmi d’autres (comme la diminution des espaces de bureau en vue d’économies). Ces efforts ne sont malheureusement pas encore gĂ©nĂ©ralisĂ©s. Quand ils existent, ils ne font pas toujours partie d’une rĂ©elle politique de moyen et long terme; ils sont parfois purement cosmĂ©tiques, voire paradoxaux comme les trĂšs visibles bornes Ă©lectriques destinĂ©es uniquement Ă  recharger les gros vĂ©hicules dits "hybrides" des dirigeants, qui n’ont de vert que leur vernis, tant leur bilan Ă©nergĂ©tique est dĂ©sastreux. Mais on constate rarement une rĂ©flexion sur l’ensemble de l’activitĂ© de

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l’entreprise, sur le chemin de production, sur le cycle de vie des produits. Ainsi en va-t-il de la politique de mobilitĂ©. Une entreprise fait circuler ses travailleurs qui, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, doivent se rendre chaque jour sur leur lieu de travail. La circulation automobile liĂ©e aux dĂ©placements professionnels ne fait qu’augmenter, provoque une congestion et une part significative des Ă©missions polluantes. Il y a des initiatives Ă  la marge, souvent venant des travailleurs euxmĂȘmes: tĂ©lĂ©travail, covoiturage, etc. Mais je n’ai jamais vu d’entreprise mettre au point une politique ambitieuse de rĂ©duction des dĂ©placements de ses travailleurs/ euses, notamment en incitant Ă  la proximitĂ© du domicile, en tenant compte de ce facteur Ă  l’engagement, en dĂ©plaçant ses sites d’exploitation en fonction, en favorisant significativement le covoiturage, l’utilisation du vĂ©lo et des transports en commun. Au contraire, l’effet le plus marquant des entreprises sur la mobilitĂ© en Belgique, c’est bien sĂ»r la prolifĂ©ration des vĂ©hicules de sociĂ©tĂ©, ce pour des raisons purement fiscales et parafiscales, avec pour rĂ©sultat un trĂšs fort incitant Ă  l’utilisation individuelle de la voiture pour les dĂ©placements professionnels. Plus fondamentalement, la tendance de fond des entreprises Ă  dĂ©localiser le travail vers des pays socialement moins exigeants ne fait que s’accroĂźtre. Si presque tout le monde s’est rĂ©signĂ© Ă  voir disparaĂźtre petit Ă  petit l’industrie lourde de notre pays, c’est aussi le cas des activitĂ©s de service. TrĂšs nombreuses sont les entreprises du secteur tertiaire Ă  dĂ©localiser leurs activitĂ©s comptables et financiĂšres, leurs activitĂ©s techniques (IT et ingĂ©nierie), voire leur activitĂ© de marketing et de vente. DerriĂšre l’automatisation et la vente en ligne, il y a toujours un volet dĂ©localisation. Si les caissiĂšres de supermarchĂ© sont remplacĂ©es par des bornes automatiques, ces bornes sont gĂ©rĂ©es Ă  distance en near- ou offshore. DerriĂšre un site de vente en ligne, il y a une Ă©quipe technique dĂ©localisĂ©e.

Ces dĂ©localisations de l’activitĂ©, et mĂȘme lorsqu’il ne s’agit que de gestion informatique Ă  distance, ont toujours un coĂ»t environnemental significatif, en termes d’énergie et de transports, que ce soit des marchandises ou bien des travailleurs. S’il y a une tendance au tĂ©lĂ©travail partiel, il y a aussi une multiplication des dĂ©placements longs et lointains des travailleurs/euses, suite Ă  une organisation de plus en plus internationale du travail dans les grandes entreprises. Lorsqu’une entreprise envisage de se restructurer, elle doit mener une concertation sociale, notamment dans le cadre de la procĂ©dure Renault (cas des licenciements collectifs). Lorsqu’on objecte Ă  un projet de dĂ©localisation le coĂ»t environnemental que cela induit, cet argument n’est jamais pris sĂ©rieusement en compte.

Organiser collectivement l’économie

Qu’on le veuille ou non, l’impact environnemental des entreprises est externalisĂ© et n’est donc que marginalement pris en compte dans les dĂ©cisions de ces entreprises. Les tentatives d’internaliser cet impact, comme le marchĂ© des quotas d’émission de CO2, sont totalement inefficaces, voire contre-productives. Il y existe bien sĂ»r quelques entreprises plus visionnaires mais qui le sont justement parce qu’elles s’écartent, par choix politique, des rĂšgles communes de gestion. Croire que des mĂ©canismes de marchĂ© dĂ©coulera la prĂ©servation de notre environnement et de la vie sur terre est donc totalement illusoire. Continuer Ă  le croire est criminel alors que nous sommes aujourd’hui au bord du prĂ©cipice. La solution ne peut venir que de la mise en place d’une autre organisation de l’économie. Une organisation dans laquelle le profit individuel n’est pas considĂ©rĂ© comme la valeur suprĂȘme; une organisation dans laquelle le choix de savoir que produire, oĂč et comment, n’est pas considĂ©rĂ© comme une libertĂ© individuelle et n’est plus laissĂ© Ă  l’arbitraire des plus riches, mais dĂ©cidĂ© et organisĂ© collectivement avec comme seule mesure d’efficacitĂ© le bien commun. ■ (1) Ozer, P. (2016) L’impact climatique du dĂ©veloppement. In A., Zacharie (Ed.), La nouvelle gĂ©ographie du dĂ©veloppement - CoopĂ©rer dans un monde en mutation (pp. 89-102). Bruxelles, Editions Le Bord de l’Eau, Collection La Muette, http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/204296 (2) www.demorgen.be/wetenschap/ veertig-miljoen-uit-klimaatfonds-gaat-naarvervuilende-bedrijven-b83791ca/

bikearc.com

chronique syndicale

"gratuits"), mais en profitent pour se sucrer au passage si elles en ont l’occasion. Lorsqu’il est question de politiques environnementales publiques, le scĂ©nario est cousu d’avance: les entreprises crient au handicap de compĂ©titivitĂ©, menacent de dĂ©localiser, font du chantage Ă  l’emploi et exigent des compensations. Peu de rĂ©sultat au final, si ce n’est des systĂšmes opaques et compliquĂ©s, mis en place laborieusement, qui occasionnent distorsions Ă©conomiques et dĂ©tournement d’argent public. Les tentatives d’intĂ©grer la prĂ©servation de l’environnement dans les mĂ©canismes de "marchĂ©" sont donc des Ă©checs patents.


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L’éclatement d’une bombe Ă  fragmentations! ✒ par Denis Horman Fin dĂ©cembre 2016, coup de thĂ©Ăątre! La presse rĂ©vĂšle que 24 membres du PS, MR et CDH, la plupart originaires de la province de LiĂšge, siĂ©geant dans les "comitĂ©s de secteur" de Publifin – la plus grosse intercommunale de Wallonie – touchaient, depuis juin 2013, entre 1.340 et 2.871 euros bruts par mois, pour des rĂ©unions peu frĂ©quentes et seulement consultatives! Cette situation est apparue d’autant plus choquante que plusieurs mandataires n’assistaient que trĂšs rarement aux rĂ©unions. Vu l’ampleur du scandale, on n’a pas tardĂ© Ă  supprimer ces "comitĂ©s de secteur", dont l’utilitĂ© fut alors perçue comme particuliĂšrement douteuse, si ce n’est pour entretenir, entre mandataires, la discrĂ©tion, le silence sur un systĂšme Ă©difiĂ©, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, Ă©tape

par Ă©tape, avec la complicitĂ© des instances politiques, socialistes d’abord, mais aussi social-chrĂ©tiennes et libĂ©rales. DerriĂšre les "lampistes", c’est bien tout un systĂšme Ă©litiste, gangrenĂ© par le pouvoir et l’argent, qui allait ĂȘtre poussĂ© sur la place publique. L’intercommunale Publifin (exTecteo) est nĂ©e du regroupement de plusieurs entitĂ©s liĂ©geoises actives dans la distribution de l’énergie (Ă©lectricitĂ©, gaz). Elle est aujourd’hui une structure hybride, Ă  mi-chemin entre le public et le privĂ©. C’est un vĂ©ritable holding, structure faĂźtiĂšre d’une sĂ©rie de filiales (une septantaine de sociĂ©tĂ©s), dĂ©lĂ©guant ses activitĂ©s opĂ©rationnelles Ă  sa filiale Nethys, sociĂ©tĂ© anonyme de droit privĂ©. Les actionnaires de PublifinNethys sont 76 communes, la Province de LiĂšge et la RĂ©gion wallonne (1). L’intercommunale Publifin a donc organisĂ© de fait la privatisation d’un bien public, avec la bĂ©nĂ©diction du parlement wallon. Celui-

Belgique

Publifin-Nethys:

ci avait, lors de la lĂ©gislature prĂ©cĂ©dente (PS-CDH-Ecolo), votĂ© deux dĂ©crets permettant que les distributeurs de gaz et Ă©lectricitĂ© soient des sociĂ©tĂ©s de droit privĂ©. Sous l’impulsion de son patron, son administrateur-dĂ©lĂ©guĂ© StĂ©phane Moreau (PS, bourgmestre dĂ©missionnaire de la commune d’Ans), Nethys, privatisĂ©e en 2012-2013, est devenue un puissant groupe Ă©conomique, avec des soutiens politiques, les fĂ©dĂ©rations provinciales socialiste, libĂ©rale et humaniste. L’ensemble du groupe Publifin-Nethys a rĂ©alisĂ©, en 2016, un chiffre d’affaire estimĂ© Ă  plus d’un milliard d’euros pour un bĂ©nĂ©fice net de 70 millions d’euros. Il occupe un total de 3.000 emplois directs et un millier d’indirects (2). Comme le rĂ©sume le quotidien financier l’Echo: "Bienvenue dans ce que certains appellent le "systĂšme Moreau", fait de cache-cache juridique, de mĂ©lange

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privĂ©es dans le but de payer moins d’impĂŽts ou de les Ă©lucider. Quelle incohĂ©rence chez certains parlementaires socialistes d’agir de la sorte" (5). Il aurait pu ajouter – ce qu’il s’est bien gardĂ© de faire – qu’à la tĂȘte de PublifinNethys il y avait trois hommes, AndrĂ© Gilles (PS), Dominique Drion (CDH) mais aussi Georges Pire (MR). Tous trois cumulant les mandats publics et privĂ©s dans plusieurs conseils d’administration du groupe Publifin-Nethys et percevant, pour l’ensemble de leurs mandats respectifs, des dizaines de milliers d’euros bruts, chaque annĂ©e: 365.600 pour AndrĂ© Gilles, 150.900 pour Dominique Drion et 309.000 pour Georges Pire (6).

Le pouvoir, les comportements oligarchiques, la loi du silence, l’argent
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Le sĂ©isme provoquĂ© par la nĂ©buleuse Publifin-Nethys n’est pas circonscrit Ă  la province de LiĂšge. Pas une semaine ne passe sans que l’on apprenne que des Ă©lus, ayant des fonctions Ă  diffĂ©rents niveaux des institutions, accumulent mĂȘme parfois des dizaines de mandats dans des organismes publics ou privĂ©s et usent de leur pouvoir politique pour s‘en mettre plein les poches. Certes, tout cela dans la lĂ©galitĂ©: les Ă©lus belges, comme dans la plupart des pays, ont le droit d’exercer de front une autre profession ou d’ĂȘtre rĂ©tribuĂ©s comme membres de conseils d’administration

d’entreprises privĂ©es. Mais cela peut mener Ă  de graves soupçons de conflits d’intĂ©rĂȘts. Et surtout provoquer une vague d’indignation, alors que la moitiĂ© des salariĂ©.e.s belges gagnent moins que le salaire mĂ©dian (1.950 euros nets). L’affaire fit grand bruit, Ă©galement en Flandres, en fĂ©vrier: Siegfried Bracke, le PrĂ©sident de la Chambre, l’homme politique le mieux payĂ© du pays (16.900 euros nets par mois), exerçait en mĂȘme temps un mandat non dĂ©clarĂ© et bien rĂ©munĂ©rĂ© dans l’entreprise privĂ©e Telenet. Depuis, il a dĂ» dĂ©missionner de ce mandat. L’indignation est encore plus grande dans une partie de la population, sensible aux "valeurs socialistes", quand des Ă©lus du monde socialiste s’adonnent, sans Ă©tat d’ñme, aux mĂȘmes pratiques et, qui plus est (cela se passe aussi dans les autres partis), osent tenir des discours lĂ©nifiants sur "l’éthique en politique". Il en va ainsi quand ces citoyen.ne.s apprennent que StĂ©phane Moreau, CEO de Nethys, touche un salaire brut par an (salaire fixe et partie variable), estimĂ© Ă  960.000 euros; quand la presse rĂ©vĂšle que quatre des cinq membres de la commission de vigilance de la fĂ©dĂ©ration liĂ©geoise du PS Ă©taient financiĂšrement liĂ©s au groupe Publifin. Depuis, ils ont Ă©tĂ© pressĂ©s de dĂ©missionner... des dĂ©missions en cascade ici ou lĂ . C’est qu’il faut se redonner une belle apparence pour les prochaines Ă©lections!

photo: L'Avenir

Belgique

des genres entre politique et Ă©conomie, d’opacitĂ© et de filiales Ă  tiroirs, d’un brin d’intimidation et d’une politique de rĂ©munĂ©ration gĂ©nĂ©reuse, n’incitant pas ceux qui en bĂ©nĂ©ficient Ă  se poser trop de questions" (3). Ainsi, en 2014 et 2015, Newin, une des filiales de Publifin-Nethys dans l’intĂ©gration des services informatiques, aurait versĂ© au total 4,4 millions d’euros de tantiĂšmes Ă  ses douze administrateurs, parmi lesquels huit politiques (six mandats PS, un MR et un CDH). Si la somme a Ă©tĂ© partagĂ©e Ă©quitablement entre les douze, chacun aurait reçu 190.000 euros au titre de 2014 et 170.000 euros l’annĂ©e suivante. Pour les deux annĂ©es en question, Nethys (Publifin), l’actionnaire unique de Newin se serait donc volontairement privĂ© de 90% des bĂ©nĂ©fices de sa filiale (4). C’est autant que l’intercommunale Publifin (avec ses 76 communes) n’a pas reçu pour assurer ce que devrait ĂȘtre sa mission de service public d’intĂ©rĂȘt communal. Le dĂ©putĂ© europĂ©en Louis Michel (MR) y a Ă©tĂ© de son petit refrain perfide: "Publifin, c’est de l’argent public, gĂ©rĂ© par un mĂ©canisme d’économie privĂ©e, sans que les porteurs de ce genre d’activitĂ©s n’aient le moindre compte Ă  rendre. Ce sont les gens qui crient haro sur le libĂ©ralisme et le capitalisme qui ont mis en place des structures opaques et nĂ©buleuses. Et ce sont les mĂȘmes qui crĂ©ent des sociĂ©tĂ©s


Stéphane Moreau, administrateur délégué de Nethys

Chaque parti et instance politique y va subitement de ses propositions pour la suppression ou du moins la limitation du cumul des mandats, pour la transparence et la publication des rémunérations, des patrimoines, de la liste complÚte des mandats publics et privés, etc.

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La politique: une carriĂšre ou un engagement?

"Je ne suis pas sĂ»r que certaines pistes lancĂ©es aujourd’hui soient les plus indiquĂ©es", signale Louis Michel. "Limiter le parlementaire Ă  un mandat rĂ©munĂ©rĂ© 4.800 euros nets par mois? Vous obtiendrez un Parlement coupĂ© de la rĂ©alitĂ©, peuplĂ© de fonctionnaires et d’enseignants, mais dĂ©sertĂ© par le monde de l’entreprise et les avocats" (7). Quel mĂ©pris pour les fonctionnaires, les enseignants
! En fait, pour ce parlementaire, il faut laisser le job aux professionnels de la politique, "ceux qui ont le talent, l’intelligence et la formation pour accomplir un job oĂč ils pourront tout simplement gagner davantage". Regardez moi, voudrait nous dire ce cher Louis, comme tout eurodĂ©putĂ©, je gagne 6.600 euros nets par mois, hors indemnitĂ©s de toutes sortes et jetons de prĂ©sence aux rĂ©unions
 Tout cela, parce que je le vaux bien! Quoi d’étonnant si la rĂ©ponse d’une enseignante Ă  ces propos du tĂ©nor libĂ©ral a fait un carton, avec plus de 25.000 partages en 24 heures. Une carte blanche qui rappelait Ă  tous les Ă©lus que "la politique n’est pas un jeu dont le but est de s’en mettre plein les poches et dont les rĂšgles sont Ă©dictĂ©es par ceux-lĂ  mĂȘmes qui en profitent". La politique n’est pas une carriĂšre professionnelle: "C’est un engagement Ă  organiser la sociĂ©tĂ© au service de la population". Il y en a qui en font une carriĂšre dans les parlements de 15, 20 ans et plus, alors qu’une tournante, avec deux lĂ©gislatures maximum, le non cumul des mandats et une rĂ©munĂ©ration ne dĂ©passant pas, par exemple, celle d’un travailleur qualifiĂ©, comblerait dĂ©jĂ  fortement le fossĂ© entre des Ă©lus dĂ©connectĂ©s de la rĂ©alitĂ© et la prĂ©caritĂ© de larges couches de la population.

L’affaire Publifin-Nethys montre de maniĂšre saisissante et Ă©cƓurante comment ceux qui sont chargĂ©s d’administrer le bien public le vampirisent au profit de leur intĂ©rĂȘt personnel. Comment ils se transforment en capitalistes, profitant de leur pouvoir politique pour siphonner les sociĂ©tĂ©s qu’ils sont sensĂ©s administrer pour le bien des citoyens. Ils jettent ainsi, encore un peu plus, le discrĂ©dit sur un secteur public dĂ©jĂ  trop souvent perçu comme inefficace, gaspilleur, bureaucratique et dĂ©jĂ  tellement malmenĂ©, dĂ©mantelĂ©, ouvert Ă  la concurrence, Ă  la privatisation, depuis plusieurs annĂ©es. Avec, il faut bien le dire, la caution des instances politiques, non seulement "libĂ©rales", "humanistes", mais aussi "socialistes", voire mĂȘme "Ă©cologistes". Alors, va-t-on continuer Ă  le dĂ©rĂ©guler, le dĂ©manteler, le privatiser, au nom de la lutte contre les "pourris"? Ou alors va-t-on lutter pour que le bien public devienne ou redevienne un bien commun, sous le contrĂŽle effectif des communautĂ©s locales?

Pour une démocratie active!

Nous avons besoin d’un contrĂŽle dĂ©mocratique direct! Ainsi pourrait-il en ĂȘtre de conseils d’administration Ă©lus oĂč siĂšgent des conseillers communaux, des reprĂ©sentant.e.s d’organisations de consommateurs, des syndicats, des organisations sociales et de citoyen.ne.s directement Ă©lus. Il nous appartient, mouvements de gauche – politique, syndical, social, dĂ©mocratique
 – de dĂ©battre et d’avancer, ensemble, une sĂ©rie de propositions, de revendications concrĂštes pour imposer, Ă  la base, un contrĂŽle actif et effectif sur la gestion du bien public. Des expĂ©riences de dĂ©mocratie participative, comme celle de l’instauration, il y a plusieurs annĂ©es, d’un budget participatif au niveau communal Ă  Porto Alegre au BrĂ©sil – et bien d’autres – devraient stimuler notre rĂ©flexion commune. ■

Qu’est-ce qu’une intercommunale?

Belgique

Que fait-on du secteur public?

C

’est une association de plusieurs communes, au moins deux, qui doit servir Ă  gĂ©rer une matiĂšre d’intĂ©rĂȘt communal. Ainsi retrouve-t-on des intercommunales dans la gestion du gaz, de l’électricitĂ©, de la distribution de l’eau, dans la gestion des dĂ©chets, dans le secteur des soins de santĂ©, etc. Des services qui, lorsqu’on les regroupe, permettent aux communes de rĂ©aliser des Ă©conomies d’échelle parfois trĂšs importantes. Selon les chiffres du Crisp (2015), il y a en Belgique quelque 323 intercommunales (au moins 106 en Wallonie), affichant un chiffre d’affaires dĂ©passant les 10 milliards d’euros et occupant plus de 38.000 emplois. Les intercommunales sont (devraient ĂȘtre!) par dĂ©finition des structures entiĂšrement publiques, dont le capital est dĂ©tenu par les communes, les provinces ou encore, pour les intercommunales interrĂ©gionales, sous la tutelle d’un gouvernement rĂ©gional. Leurs activitĂ©s de service public doivent (devraient!) contribuer au bien-ĂȘtre de la population et les bĂ©nĂ©fices ristournĂ©s aux actionnaires que sont les diffĂ©rentes instances politiques doivent (devraient!) contribuer Ă  une amĂ©lioration continue des services rendus Ă  la population. Aujourd’hui, ce n’est qu’une minoritĂ© d’intercommunales qui fonctionne avec des structures entiĂšrement publiques. La majoritĂ© a un statut hybride, avec une multitude de filiales, de sociĂ©tĂ©s anonymes Ă©chappant Ă  tout contrĂŽle. Publifin en est un bel exemple. ■

1. Le conseil provincial – avec la majoritĂ© actuelle PS-MR – (61,1%); 76 communes – quasiment toutes dans la province de LiĂšge – (38,4%) et la RĂ©gion wallonne (0,4%) 2. L’Echo, 21/01/2017 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Le Vif, 03/02/2017 6. Le Soir, 02/02/2017 7. Le Vif, 03/02/2017

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✒ par Guy Van Sinoy, Inspecteur d’administration fiscale retraitĂ© "Qu’est-ce qu’on fait avec le montant de la TVA? On partage en deux?" A peine la question posĂ©e au garçon de restaurant que celui-ci fait un rapide aller-retour vers la caisse et m’apporte la souche TVA. Comme c’est le cas dans pas mal de restaurants, la souche TVA n’est pas remise spontanĂ©ment au client au moment oĂč arrive l’addition. C’est pourtant une obligation lĂ©gale. Dans les quartiers oĂč abondent les touristes, tels celui de la Grand Place de Bruxelles, il m’est arrivĂ© de devoir attendre un bon quart d’heure avant que le patron ne retrouve derriĂšre le comptoir son carnet de souches TVA qu’il n’utilisait jamais! Par ailleurs, toutes les marchandises achetĂ©es par un restaurant pour prĂ©parer et servir des repas (aliments, boissons, serviettes de table en papier, accessoires, etc.) doivent faire l’objet d’un bon de livraison et d’une facture dĂ©livrĂ©s par le fournisseur. Cela permet notamment lors d’un contrĂŽle fiscal d’avoir une premiĂšre estimation du

chiffre d’affaires sur base des achats et du rendement moyen dans le secteur. Il est donc tentant, pour un patron de l’Horeca [Hotels, restaurants, cafĂ©s], d’effectuer une partie de ses achats sans facture et ainsi de ne pas dĂ©clarer toutes ses recettes.

A quoi sert une souche TVA?

Les souches TVA dĂ©livrĂ©es par un restaurateur permettent de contrĂŽler ses recettes. Elles servent d’autre part Ă  justifier les dĂ©ductions fiscales de certains contribuables (indĂ©pendants, professions libĂ©rales, sociĂ©tĂ©s) qui ont la possibilitĂ© de dĂ©duire des "frais de reprĂ©sentation" (notamment des repas pris au restaurant avec de prĂ©sumĂ©s clients en vue de conclure des affaires). Dans la mesure oĂč ces frais de reprĂ©sentation sont fiscalement dĂ©ductibles, inutile de vous dire que les intĂ©ressĂ©s n’oublient pas de rĂ©clamer la souche TVA qui leur permettra une Ă©conomie d’impĂŽt! Mais alors qu’en est-il du client ordinaire qui ne peut pas dĂ©duire des frais de restaurant? S’il paie par carte bancaire, le restaurateur Ă©mettra une souche TVA

(car il existe alors une preuve bancaire de recette) sans toutefois la remettre au client s’il ne la rĂ©clame pas. Cette souche TVA Ă©mise mais non remise au consommateur servira Ă  gonfler fictivement des frais de restaurant d’autres clients qui ont la possibilitĂ© de les dĂ©duire. Il est frĂ©quent que des comptables proposent Ă  leurs clients de gonfler leurs frais professionnels en mettant Ă  leur disposition des souches TVA Ă©mises par des restaurateurs mais non remises aux convives. Et si le particulier paie en liquide, il est fort probable que la souche TVA ne sera pas Ă©mise du tout. Dans ce cas, le restaurateur gagne sur les deux tableaux: il encaisse la TVA payĂ©e par le consommateur tout en ne la reversant pas Ă  l’administration de la TVA et il encaisse une recette "en noir" qui ne sera pas comptabilisĂ©e dans son chiffre d’affaires. Et le montant des recettes "en noir" peut rapidement grimper quand on sait, par exemple, qu’une bouteille de vin se paie dans un restaurant 3 Ă  4 fois son prix dans le commerce de dĂ©tail!

Fraude fiscale et fraude sociale

Quand un commerçant encaisse de l’argent "en noir", cet argent n’apparaĂźtra jamais dans sa comptabilitĂ©. Cet argent noir servira Ă  payer "en noir". A payer quoi? D’une part des marchandises. Certains petits Ă©tablissements de l’Horeca achĂštent ainsi dans certaines grandes surface oĂč l’on voit parfois des "particuliers" pousser des mĂ©ga chariots remplis Ă  ras bord d’un mĂȘme aliment (chips, riz, huile, pĂątes). A ce stade, cela reste de la fraude Ă  petite Ă©chelle. Les grands Ă©tablissements de l’Horeca ne vont pas, eux, se fournir au petit magasin du coin. Il est arrivĂ© dans le passĂ© que certains fournisseurs de produits plus onĂ©reux (vins, alcools, viande, poisson, etc.) aient mis sur pied une ingĂ©nierie comptable permettant de livrer sans facture Ă  grande Ă©chelle. Par exemple, en gonflant les bons de livraison de viande livrĂ©e aux collectivitĂ©s (cantines scolaires, maisons de repos) et en fournissant en noir une partie de la marchandise au secteur Horeca.

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legabox.be/2014/07/05/la-souche -tva-va- disparaitre

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Fraude fiscale et sociale dans l’Horeca


A consommer sur place ou Ă  emporter?

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Baisse du taux de TVA et flexi-jobs

De tous temps, les responsables du secteur Horeca se sont lamentĂ©s, prĂ©tendant ĂȘtre victimes d’une "fiscalitĂ© excessive". En 2004, ils ont Ă©tĂ© entendus pas le ministre des Finances de l’époque, Didier Reynders, car le taux de TVA des boissons non alcoolisĂ©es servies dans l’Horeca est passĂ© de 21% Ă  6%. Vous avez vu le prix de votre cafĂ© ou de votre Coca baisser, vous? Moi pas! En 2010, rebelote, le taux de TVA pour les repas servis dans les restaurants est passĂ© de 21% Ă  12%. A l’époque, Reynders faisait mĂȘme miroiter un Ă©ventuel passage du taux Ă  6% pour les repas servis dans les restaurants. Le gouvernement Michel est allĂ© plus loin en crĂ©ant, depuis le 1er dĂ©cembre 2015, le statut de flexi-jobs pour les travailleurs du secteur Horeca. Celles et ceux qui travaillent 4/5e temps dans une entreprise de ce secteur peuvent ĂȘtre engagĂ©.e.s dans le cadre d’un flexi-job (payĂ© 9,50€ l’heure!) dans une autre entreprise du mĂȘme secteur. Il n’y a pas de cotisations sociales Ă  charge de l’employeur pour ce genre de contrat: seulement une cotisation spĂ©ciale libĂ©ratoire de 25% du flexi-salaire (donc 25% de 9,50€ l’heure = 2,38€ l’heure!) et ce flexi-salaire n’est pas soumis Ă  l’impĂŽt des personnes physiques. En clair, il s’agit de lĂ©galiser le travail au noir. Comme il n’y a pas de cotisations sociales cela ne compte pas pour la pension, pour les congĂ©s payĂ©s, pour le pĂ©cule de vacances et pour le calcul des indemnitĂ©s de chĂŽmage ou de maladie.

Belgique

L’usage le plus rĂ©pandu dans l’Horeca est cependant le paiement d’une partie du personnel "en noir": soit totalement (emploi de travailleurs sans papiers sous-payĂ©s), soit partiellement (heures supplĂ©mentaires payĂ©es mais non dĂ©clarĂ©es). La fraude fiscale (Ă  la TVA, aux impĂŽts directs) dĂ©bouche inĂ©vitablement sur la fraude sociale (fraude Ă  la SĂ©curitĂ© sociale, au prĂ©compte professionnel des salariĂ©s). Ces pratiques de fraudes Ă  grande Ă©chelle constituent un flĂ©au pour tout le personnel du secteur Horeca, y compris pour le personnel des entreprises en rĂšgle sur le plan fiscal et social et qui sont soumises Ă  une concurrence dĂ©loyale. Il faut casser cette fraude si l’on veut sortir les travailleuses et travailleurs de l’Horeca de la prĂ©caritĂ©. Les organisations syndicales du secteur Horeca connaissent d’ailleurs les moutons noirs du secteur.

Par contre cette cotisation libĂ©ratoire de 25% est dĂ©ductible fiscalement pour l’employeur! Cela ouvre la voie Ă  tous les abus car comment s’assurer que les travailleurs concernĂ©s travaillent bien Ă  4/5e temps dans un secteur oĂč le travail au noir est un sport national? A ce jour, il existe plus de 20.000 contrats de flexi-jobs dans l’Horeca
 Notez bien qu’une fois lancĂ©, pourquoi s’arrĂȘter en si bon chemin? Le 6 fĂ©vrier dernier, Philippe De Backer, SecrĂ©taire d’État (Open VLD) Ă  la Lutte contre la Fraude fiscale (sans rire!) vient de proposer que le systĂšme des flexi-jobs soit Ă©tendu aux pensionnĂ©s car "les pensions ne sont pas Ă©levĂ©es". D’un cĂŽtĂ© on restreint les pensions en allongeant la durĂ©e de la carriĂšre et en neutralisant les pĂ©riodes assimilĂ©es, et de l’autre on voudrait Ă©tendre les flexijobs aux pensionnĂ©s. C’est Ă  vomir!

De la Black Box Ă  la Blague Box

Le cadeau des flexi-jobs accordĂ© par le gouvernement Michel aux patrons de l’Horeca Ă©tait censĂ© "compenser" l’entrĂ©e en vigueur Ă  partir de 2016 d’une Black Box [boĂźte noire] reliĂ©e par cĂąble Ă  chaque caisse enregistreuse et censĂ©e comptabiliser pour le compte de l’administration fiscale toutes les recettes des restaurants ayant une recette annuelle de plus de 25.000€ (donc quasiment tous les restaurants). Outre le fait qu’il est inouĂŻ d’accorder une "compensation" aux entreprises qui dĂ©clarent la rĂ©alitĂ© (c’est-Ă -dire qui ne fraudent pas), il s’avĂšre que cette fameuse

uand vous passez commande au McDo ou au Quick, on vous demande: "Pour emporter ou pour consommer sur place?" Ce n’est pas seulement pour savoir s’il faut prĂ©parer un plateau ou un sachet pour emballer la boustifaille. C’est d’abord pour connaĂźtre le taux de TVA Ă  appliquer. EmportĂ© c’est 6%, consommĂ© sur place c’est 12%. Mais le prix est le mĂȘme, me direz-vous! Et oui, si c’est pour emporter, McDo ou Quick mettent un peu plus de sousous dans leur popoche! ■ – GVS

Black Box tourne Ă  la blague. DĂ©but 2017, il s’avĂšre que la plupart de ces boĂźtes ne sont tout simplement pas connectĂ©es, qu’il est impossible pour l’administration fiscale de contrĂŽler Ă  distance si elles le sont et que le nombre de contrĂŽleurs fiscaux en charge de ce secteur est insuffisant pour contrĂŽler sur place les 25.000 restaurants du pays
 Alors que faire? Il ne faut pas compter sur ce gouvernement de droite, qui a mis sur les rails les flexi-jobs, pour lutter efficacement contre la fraude fiscale et sociale dans l’Horeca. Les outils pour endiguer une telle fraude ne manquent cependant pas. Il suffirait, par exemple, de permettre Ă  chaque client d’un restaurant de pouvoir Ă©changer sa souche TVA contre un billet de Win for Life auprĂšs de la Loterie nationale pour voir affluer vers celle-ci un dĂ©luge de souches TVA (et un dĂ©luge de rentrĂ©es fiscales dans les caisses de l’État). Mais chacun peut, avec ses moyens, lutter contre la fraude fiscale et sociale dans le secteur de l’Horeca. Chaque fois que vous vous rendez dans un restaurant, exigez une souche TVA et de prĂ©fĂ©rence payez par carte (les Ă©tablissements qui refusent les cartes sont Ă  priori suspects de fraude). Il ne s’agit pas seulement de justice fiscale, il s’agit surtout de s’opposer aux pratiques mafieuses qui plongent les travailleurs de ce secteur dans une prĂ©caritĂ© sans fond. ■ la gauche #81 mars-avril 2017

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70.000 Ă  Clabecq ✒ par Guy Van Sinoy Le dimanche 2 fĂ©vrier 1997, Ă  l’appel de la dĂ©lĂ©gation syndicale des Forges de Clabecq, 70.000 personnes manifestent pour l’emploi dans les rues de la localitĂ©. C’est la premiĂšre fois (et la seule Ă  ce jour) qu’une dĂ©lĂ©gation d’usine mobilise autant de manifestant.e.s. Ce jour-lĂ , le JT de 13 heures de la RTBF s’est mĂȘme fait en direct depuis la cour de l’usine. Mais revenons d’abord quelques annĂ©es en arriĂšre pour comprendre les raisons de cette mobilisation impĂ©tueuse.

La lutte contre les brimades patronales

Dans les annĂ©es 50, la dictature patronale rĂ©gnait aux Forges de Clabecq. Pour un oui ou pour un non, un ouvrier Ă©tait sanctionnĂ©. La plupart des dĂ©lĂ©guĂ©s FGTB de l’aprĂšs-guerre Ă©taient devenus contremaĂźtres et des centaines d’affiliĂ©s, dĂ©goĂ»tĂ©s, avaient brĂ»lĂ© leur carnet syndical dans la cour de l’usine. La situation a changĂ© Ă  l’automne 1962: Ă  la suite d’une diminution de prime et de la mise Ă  pied d’un ouvrier lamineur, tous les ouvriers sont partis en grĂšve en rĂ©clamant la levĂ©e des sanctions et une prime de fin d’annĂ©e de 200 heures de salaire. AprĂšs 26 jours de grĂšve, les ouvriers ont obtenu satisfaction.

Le renforcement de la force syndicale ne s’est cependant pas opĂ©rĂ© de façon linĂ©aire. En 1970 deux dĂ©lĂ©guĂ©s FGTB, Alphonse Sabbe et Émile Desantoine ont Ă©tĂ© licenciĂ©s – ainsi qu’une vingtaine d’ouvriers combatifs (dont pas mal de travailleurs immigrĂ©s) – pour "fait de grĂšve". Cette dĂ©faite, qui illustre la fĂ©rocitĂ© de la rĂ©pression patronale, va marquer la nouvelle gĂ©nĂ©ration de militants syndicaux qui Ă©mergera au cours des annĂ©es 70 et 80, Ă  l’époque oĂč la crise de la sidĂ©rurgie Ă©clate. Giovanni Capelli, le premier ouvrier italien Ă©lu dĂ©lĂ©guĂ© FGTB rappelait: "Dans les annĂ©es 70, le travail lourd et insalubre Ă©tait gĂ©nĂ©ralement rĂ©servĂ© aux immigrĂ©s. Il y avait beaucoup de racisme. Comme je connaissais le français, beaucoup me demandaient de les aider pour les papiers. J’ai passĂ© des jours et des nuits Ă  discuter pour casser l’autoritarisme des cadres et des petits chefs."

La lutte contre les pertes d’emplois

Au dĂ©but des annĂ©es 70 des dizaines de milliers d’ouvriers travaillaient en sidĂ©rurgie en Belgique. Ces effectifs vont fondre comme neige au soleil au fil des plans de restructurations et des fusions. Les appareils syndicaux mĂ©tallos FGTB, puissants

Francine Dekoninck Ă  la manif en Wallonie, vont se livrer Ă  une "guerre des bassins" mortelle entre LiĂšge (Gillon) et Charleroi (Staquet) pour tenter de se sauver en laissant couler les autres. Dans cette rivalitĂ© entre bureaucrates, les usines de taille moyenne (Clabecq, BoĂ«l) ne pesaient pas lourd. En 1982, la manifestation nationale des sidĂ©rurgistes Ă  Bruxelles donna lieu Ă  des affrontements spectaculaires (300 blessĂ©s dont 200 gendarmes). Les travailleurs des Forges vont se battre pied Ă  pied contre les licenciements et lutter pour arracher Ă  chaque fois un plan social lors de la fermeture de certains outils: le train Ă  fil (1975), l’usine Ă  oxygĂšne (1980), la fonderie (1984), les Cokeries de Vilvorde (1986). Le nombre de travailleurs est passĂ© de 5.750 en 1973 Ă  4.475 en 1979.

Un noyau combatif de militants FGTB Ă©merge

Dans ce contexte de lutte Ă  reculons, un noyau syndical FGTB combatif va se cristalliser. Au dĂ©but des annĂ©es 80, alors que la direction de Clabecq licencie un Ă  un plusieurs dizaines d’ouvriers pour "absentĂ©isme", la tension monte au sein de la dĂ©lĂ©gation FGTB sur la riposte Ă  mener. Quelques militants dĂ©cidĂ©s Ă  mener un syndicalisme plus combatif forment un petit noyau oppositionnel qui va grandir au fil des ans pour bientĂŽt regrouper plusieurs dizaines de militants. Aux Ă©lections sociales de 1987, le comitĂ© Agir autrement Ă©labore un programme de syndicalisme de combat grĂące auquel la FGTB remporte les Ă©lections sociales. En 1989, une grĂšve permet d’arracher l’embauche de 150 temporaires, la garantie salariale pour les ouvriers reclassĂ©s, l’augmentation des primes d’équipe, une augmentation du salaire horaire.

La lutte contre le plan Dessy

En septembre1992, Dessy, patron des Forges, annonce un nouveau plan de restructuration: 300 pertes d’emplois dans l’immĂ©diat, une baisse de salaire de 10% pendant un an, la suppression de la prime de fin d’annĂ©e pendant trois ans et Ă  terme la fermeture de la phase liquide (aciĂ©rie, haut-fourneau, coulĂ©e

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photos fournies par Guy Van Sinoy

histoire rebelle

Il y a 20 ans:


La lutte contre la fermeture

En 1996, les actionnaires privés, (Dessy) se retirent des Forges et la Région wallonne prend le relais. La fermeture

Le plus beau jour de ma vie prochaine s’annonce d’autant plus que la Commission europĂ©enne, reprĂ©sentĂ©e par Karel Van Miert (spa), s’oppose Ă  la recapitalisation des Forges par la RĂ©gion wallonne sous le prĂ©texte de "ne pas fausser la concurrence". Quand la dĂ©lĂ©gation FGTB s’adresse Ă  la Centrale des MĂ©tallos FGTB pour demander son aide, celle-ci rĂ©pond: "Tout ce qu’on peut faire c’est vous payer 1 jour de grĂšve!" La dĂ©lĂ©gation des Forges sait qu’elle ne peut pas compter sur le soutien de l’appareil syndical. C’est pourquoi, depuis des annĂ©es, elle a tissĂ© des liens avec tous les secteurs qui luttent (Cockerill, Sidmar, VW, Caterpillar, les enseignants, les Ă©tudiants, etc.). A chaque manifestation, il y avait une importante dĂ©lĂ©gation des Forges et une banderole. Cette solidaritĂ© patiemment tissĂ©e au fil des ans portera ses fruits Ă  la Marche multicolore du 2 fĂ©vrier 1997. Le 20 dĂ©cembre 1996, alors que la faillite s’annonce, les travailleurs apprennent en assemblĂ©e que la RĂ©gion wallonne a signĂ© un protocole permettant aux banques d’ĂȘtre les crĂ©anciers prioritaires. La manifestation qui suit l’assemblĂ©e descend sur Tubize et saccage tous les siĂšges bancaires. La faillite est prononcĂ©e le 3 janvier 1997 et le 13 janvier chaque travailleur reçoit son C4. Ils n’auront dĂ©sormais plus besoin de l’indemnitĂ© de grĂšve de leur centrale pour continuer la lutte. Comme les curateurs proposent de supprimer tout de suite 500 emplois et de supprimer tous les acquis sociaux, la tension monte entre les ouvriers et les curateurs. L’usine est de fait occupĂ©e par les ouvriers qui empĂȘchent la sortie des produits finis. Les assemblĂ©es de mobilisation se succĂšdent en prĂ©paration de la Marche du 2 fĂ©vrier annoncĂ©e dĂšs 1996. AprĂšs chaque assemblĂ©e, des dizaines d’autocars emmĂšnent les ouvriers aux quatre coins du pays pour y diffuser des centaines de milliers de tracts. Michel Nollet, PrĂ©sident de la FGTB, tentera de freiner la mobilisation, en vain. Et lorsqu’il prendra conscience que la marche du 2 fĂ©vrier est un succĂšs considĂ©rable, il proposera Ă  la dĂ©lĂ©gation des Forges de prendre la parole au meeting final pour remercier les manifestants de venir si nombreux. "Cela on peut le faire nous-mĂȘmes!", ont rĂ©pondu les dĂ©lĂ©guĂ©s de Clabecq. ■

C

e matin du 28 mars 1997, je suis Ă  l’assemblĂ©e des travailleurs de Clabecq, dans la vieille usine. L’ambiance est tendue car beaucoup d’ouvriers ont cru qu’aprĂšs la marche multicolore des 70.000, la situation serait dĂ©bloquĂ©e pour sauver l’emploi. Le sentiment gĂ©nĂ©ral est qu’il faut passer Ă  l’action. La dĂ©lĂ©gation a pris contact avec le cabinet du ministre de l’IntĂ©rieur Vande Lannote pour informer qu’on allait occuper symboliquement l’autoroute Ă  Wauthier-Braine. Nous parcourons Ă  pied les 6 km jusqu’à la bretelle d’autoroute. En chemin, on apprend que Vande Lanotte a donnĂ© un accord verbal. Quand nous arrivons au pied de la bretelle, les gendarmes sortent des bois et nous attaquent. Les autopompes entrent en action. Les gendarmes pensaient sans doute que les travailleurs Ă©taient venus les mains vides. Ce n’est pas le cas: quelques camions transportent du sable, des bĂątons et quelques outils. Deux bulldozers tractopelles montĂ©s sur pneus accompagnent la manifestation. Ils s’inter­posent Ă  l’avant et neutralisent les canons Ă  eau sous haute pression des autopompes. Les pierres volent, les bĂątons aussi, les gendarmes reculent, certains en pleine dĂ©bandade. Quelques camions de gendarmerie sont renversĂ©s Ă  coups de tractopelles. Cela dure une dizaine de minutes mais c’est du costaud. Nous n’avons pas pu finalement occuper l’autoroute, mais nous rentrons fiers de nous Ă  l’usine. Comme dans AstĂ©rix, oĂč les Gaulois dĂ©rouillent les lĂ©gions romaines, des ouvriers exhibent leurs trophĂ©es sur le chemin du retour: matraques, boucliers, casques arrachĂ©s aux gendarmes. Sur le chemin du retour, des habitants nous apportent du cafĂ©, les enfants d’une Ă©cole sont sortis pour nous applaudir: leur pĂšre ou un oncle travaillent peut-ĂȘtre aux Forges. ArrivĂ©s Ă  l’usine, chacun fait sĂ©cher son pull sur des fils tendus devant un feu de palettes. Je suis fourbue car j’ai marchĂ© plus de 10 km, mais c’est le plus beau jour de ma vie. Celui oĂč les ouvriers de Clabecq ont flanquĂ© une raclĂ©e aux gendarmes. A l’instant mĂȘme, personne ne sait encore que les images de cette bataille homĂ©rique vont faire le tour du monde sur toutes les chaĂźnes tĂ©lé ■ – Francine Dekoninck

histoire rebelle

continue) ce qui ramĂšnerait l’emploi de 2.100 Ă  900. Les travailleurs rĂ©agissent par une manifestation Ă  Tubize (5.000 participants) le 30 septembre. Fin octobre le bureau de conciliation impose un rĂ©fĂ©rendum sur l’acceptation du plan Dessy. La dĂ©lĂ©gation FGTB refuse car cela reviendrait Ă  cautionner le licenciement de collĂšgues sous la pression d’une menace de restructuration. Une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de 1.800 ouvriers rejette le principe du rĂ©fĂ©rendum sur le plan Dessy. La dĂ©lĂ©gation FGTB organise un rĂ©fĂ©rendum alternatif sur la fermeture de la phase liquide, la baisse de salaire de 10%. 89% des travailleurs votent "Non". La direction refuse le rĂ©sultat de ce rĂ©fĂ©rendum alternatif et impose d’autoritĂ© une baisse de salaire de 10%. La grĂšve Ă©clate le 5 novembre. Pour tenter d’imposer son plan, Dessy enregistre une vidĂ©o dans laquelle il pleurniche devant la camĂ©ra que "Nous sommes tous dans le mĂȘme bateau
", et fait rĂ©aliser 2.000 copies qui sont acheminĂ©es par porteur au domicile des travailleurs. La propagande patronale s’invite ainsi dans le salon de chaque famille ouvriĂšre. Pour faire monter la pression, Guy Spitaels, Ministre-prĂ©sident de la RĂ©gion wallonne, conditionne l’octroi d’une aide de la RĂ©gion wallonne de 200 millions de FB (5 millions €) Ă  l’acceptation du Plan Dessy. Fin novembre, aprĂšs plusieurs semaines de grĂšve, une lĂ©gĂšre majoritĂ© d’ouvriers se rĂ©signe Ă  accepter la baisse de salaire de 10%. La dĂ©lĂ©gation CSC signe la convention, la dĂ©lĂ©gation FGTB refuse car elle ne veut pas cautionner la baisse des salaires. Il suffit qu’un syndicat signe pour que la convention soit valable. La bureaucratie syndicale nationale des mĂ©tallos FGTB fait cependant pression pour que la dĂ©lĂ©gation de Clabecq signe. Comme elle refuse, la dĂ©lĂ©gation FGTB des Forges est "suspendue" par l’appareil syndical et n’est pas autorisĂ©e Ă  participer au congrĂšs national des MĂ©tallos FGTB. La dĂ©lĂ©gation FGTB mobilise alors ses militants, loue des autocars et ce sont 150 militants FGTB des Forges qui dĂ©boulent au congrĂšs national. La rupture est dĂ©sormais totale entre l’appareil syndical des MĂ©tallos FGTB et la dĂ©lĂ©gation FGTB des Forges qui a Ă©chappĂ© Ă  son contrĂŽle.

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L’école (toujours plus) au service du capital ✒ par Pauline Forges Le Pacte d’excellence, c’est ce projet de rĂ©forme de l’enseignement amenĂ© par la ministre de l’Enseignement CDH de l’époque, JoĂ«lle Milquet (et repris par la ministre qui lui a succĂ©dĂ©, Marie-Martine Schyns). La grande innovation repose sur la "consultation large" Ă  la base du Pacte: en effet, tous les acteurs de l’enseignement ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  participer Ă  son Ă©laboration Ă  travers des groupes de travail. En fĂ©vrier, les syndicats enseignants se sont pourtant prononcĂ©s contre le Pacte. Pourquoi? Commençons par le dĂ©but: comment est nĂ© le projet du Pacte d’excellence? Une Ă©mission d’Arte (*) a menĂ© l’enquĂȘte et dĂ©montre que le 31 juillet 2014, JoĂ«lle Milquet, alors Ă  peine nommĂ©e ministre de l’Education, a rencontrĂ© Etienne DenoĂ«l, le patron belge de McKinsey (un des plus gros cabinets de consultance au monde). Une note confidentielle ressort de cet entretien, dans laquelle on retrouve les grandes lignes du Pacte. Par la suite, le gouvernement confiera Ă  McKinsey le diagnostic de l’éducation wallonne. En mars 2016, le Pacte d’excellence rentre dans sa deuxiĂšme phase: durant trois jours, plein d’acteurs de l’éducation sont rĂ©unis Ă  Spa pour amener leurs propositions. Des consultants de McKinsey assistent aux dĂ©bats, analysent et chiffrent les propositions Ă©mises selon leurs critĂšres (coĂ»t et efficacitĂ©). Ainsi, la fin du redoublement est considĂ©rĂ©e comme une mesure trĂšs rentable. InterrogĂ©e sur l’implication de McKinsey dans le Pacte, la ministre Schyns a dĂ©clarĂ©: "Qu’on puisse bĂ©nĂ©ficier du soutien, en termes d’aide Ă  la dĂ©cision, de la part d’un consultant qui en plus, a une expertise dans d’autres pays sur le monde de l’éducation, moi ça me paraĂźt important. Je pense qu’il ne faut pas voir non plus le mal partout oĂč il est; je veux croire que, clairement, il n’y a pas toujours des arriĂšre-pensĂ©es dans ce genre

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de soutien, mais qu’il y a une rĂ©elle plusvalue et une volontĂ© pour que nos Ă©lĂšves en soient les premiers bĂ©nĂ©ficiaires." On aimerait croire Ă  cette fable: des entreprises qui financent l’école dans un but altruiste, pour participer Ă  l’élaboration d’un monde meilleur... Retour Ă  la triste rĂ©alitĂ© capitaliste: si la Wallonie n’a payĂ© le gĂ©ant de la consultance qu’à hauteur de 38.000 euros pour des services dont le coĂ»t est estimĂ© entre six et huit millions d’euros; si le reste a Ă©tĂ© financĂ© par des fondations d’entreprises, c’est Ă©videmment parce que l’enseignement reprĂ©sente un enjeu crucial pour les entreprises, pour peu qu’il soit mis Ă  leur service. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer.

Les Ă©lĂšves, dans le Pacte, ne sont perçus que sous deux angles: comme de futurs consommateurs, et comme une future main-d’Ɠuvre. En rĂ©alitĂ©, toutes les propositions Ă©mises ont pour objectif de bien les prĂ©parer Ă  ces futurs rĂŽles. L’accent est mis sur "l’acquisition des compĂ©tences de base", de la 1Ăšre maternelle Ă  la 3Ăšme secondaire? Parce que la formation qui suit, de la 4Ăšme Ă  la 6Ăšme secondaire, et axĂ©e sur la rĂ©flexion et le dĂ©veloppement de l’esprit critique de l’élĂšve, n’a pas d’intĂ©rĂȘt dans cette vision des choses (elle est mĂȘme perçue comme nĂ©gative). Le cours d’histoire disparaĂźt au profit d’un cours gĂ©nĂ©ral, mĂȘlant gĂ©ographie, histoire, formation Ă©conomique et sociale? MĂȘme chose, un cours d’histoire approfondi a peu d’intĂ©rĂȘt pour former la main-d’Ɠuvre de demain. On met l’accent sur l’importance de "rendre l’élĂšve autonome dans ses apprentissages", de le rendre capable

"de se former lui-mĂȘme tout au long de sa vie"? Du pain bĂ©nit pour les futurs employeurs. C’est assumĂ©: il s’agit d’"assurer l’adĂ©quation de l’enseignement avec le monde socio-Ă©conomique" (comme l’a dĂ©clarĂ© JoĂ«lle Milquet). Si l’esprit critique s’y fait rare, on retrouve tout au long des 300 pages du Pacte d’excellence "l’esprit d’entreprendre", parmi un vocable chĂ©ri du patronat: "mobilitĂ©", "adaptabilitĂ©", etc. Et puis, il y a les conditions de travail des enseignants. La taille des classes n’est pas abordĂ©e dans le pacte (alors qu’imposer une taille minimale est indispensable pour pouvoir mener une pĂ©dagogie diffĂ©renciĂ©e). Il n’est pas non plus question de refinancer l’enseignement: les mesures envisagĂ©es dans le Pacte le sont avec l’enveloppe budgĂ©taire actuelle (le budget Ă©voquĂ© – 300 millions d’investissements, "avec 250 millions d’effet retour" – ne permet pas de rĂ©el changement des conditions actuelles). Si les heures de coordination, de planification, de formation augmentent de maniĂšre spectaculaire (on parle dans le pacte d’un "cadre organisationnel souple"), il n’est pas question de revalorisation salariale. On parle par contre de "pilotage par objectifs". Cette pratique de management consiste Ă  contractualiser les missions d’enseignement sur base d’objectifs Ă  atteindre (avec une obligation de rĂ©sultats), Ă©valuĂ©s en fonction d’indicateurs – et ce dans un contexte de renforcement du pouvoir des directions. La rĂ©pĂ©tition de deux mentions "dĂ©favorables" consĂ©cutives pourra conduire Ă  la fin de la relation de travail avec l’enseignant... Toutes ces mesures constituent autant de violentes attaques contre le mĂ©tier d’enseignant. Enfin, il y a ces belles idĂ©es comme celle du tronc commun (il s’agit d’ailleurs d’une revendication des syndicats, et de la LCR). Le principe: offrir la mĂȘme formation Ă  tou.te.s les Ă©lĂšves, de la 1Ăšre maternelle Ă  la 3Ăšme secondaire, sans dis-

illustration: Little Shiva

enseignement

Pacte d’excellence:


enseignement tinction entre filiĂšres gĂ©nĂ©rale, qualifiante ou professionnelle. Ces diffĂ©rentes approches (y compris l’approche artistique) seraient intĂ©grĂ©es Ă  une formation unique, commune Ă  toutes et tous. ProblĂšmes: rien ne garantit, dans le Pacte, que ce soit un rĂ©el tronc commun, c’est-Ă -dire qu’au sein du tronc commun certaines Ă©coles ne feront pas des classes par niveaux, ni qu’il ne s’agisse pas d’un instrument pour ramener l’adossement (consistant Ă  "adosser" les Ă©coles primaires aux Ă©coles secondaires et Ă  regrouper des Ă©coles entre elles, cette mesure aurait pour consĂ©quence la disparition de nombreuses petites Ă©coles). A l’issue du tronc commun, les Ă©lĂšves n’auront plus le choix qu’entre deux filiĂšres: la transition, menant aux Ă©tudes supĂ©rieures; et la qualification, aboutissant Ă  un mĂ©tier. Aucun passage entre ces deux filiĂšres n’est prĂ©vu. Ces derniĂšres dĂ©cennies ont vu l’école se calquer toujours davantage sur les attentes des entreprises. L’approche par compĂ©tences ou la certification par unitĂ© d’apprentissage Ă©taient autant de pas dans cette direction. Ce n’est pas par hasard que le Pacte d’excellence bĂ©nĂ©ficie du soutien de tant de lobbys et d’entreprises comme McKinsey: il permet de franchir de nouvelles limites en adaptant non seulement le contenu des apprentissages aux attentes du patronat, mais aussi la structure de l’enseignement – en adoptant les pratiques managĂ©riales du privĂ©. Non, ce Pacte n’est pas pensĂ© pour les Ă©lĂšves: ils et elles en sont la proie. ElĂšves, parents, enseignant.e.s: si on veut le combattre, mobilisons-nous maintenant! ■ *Vox Pop, "McKinsey sur les bancs de l’école", www.youtube.com/watch?v=_9T1Hvmk-hA

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✒ propos recueillis par Matilde Dugaucquier Quelques camĂ©ras, l'un ou l'autre micro et beaucoup de bonne volontĂ© ont Ă©tĂ© Ă  l'origine de Zin TV. En quelques annĂ©es, ce mĂ©dia citoyen qui se dĂ©fini aussi comme une "tĂ©lĂ© d'action collective" a gagnĂ© une lĂ©gitimitĂ© incontestĂ©e au sein des luttes et des mouvements sociaux. Rencontre avec Anne-Sophie, permanente bĂ©nĂ©vole Ă  Zin TV.

Peux-tu revenir aux origines de Zin TV? De quel constat est né ce projet et comment a-t-il démarré? Il y a en fait eu plusieurs points de départ. Ronnie, un des permanents, animait des ateliers vidéo dans les quartiers, mais il s'est rendu compte que ça restait de l'ordre de l'occupationnel et qu'il n'existait pas d'espace de diffusion pour la parole qui s'y exprimait. Par ailleurs,

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Zin TV part du postulat que les gens des quartiers ou des mouvements connaissent mieux que personne ce qu'ils vivent. On veut donc leur donner les outils qui leur permettent de s'exprimer car souvent ces personnes se trouvent mal ou peu reprĂ©sentĂ©es dans les mĂ©dias. On s'est donc inspirĂ© de pas mal d'initiatives. Une partie d'entre nous a travaillĂ© dans les mĂ©dias communautaires au Venezuela oĂč, suite au changement politique qui a eu lieu, le gouvernement a dĂ©ployĂ© de grands moyens dans la crĂ©ation de mĂ©dias communautaires pour relayer des problĂ©matiques locales. Ce projet se basait lui-mĂȘme sur des modĂšles plus anciens, notamment l'expĂ©rience des groupes Medvedkine en France.

Du coup de quels horizons viennent les membresfondateurs de Zin TV? La bande de départ était assez multiculturelle et c'est de là qu'est venu le nom. Le Zineke c'est un personnage métissé, multiculturel, un peu bùtard

mĂȘme. C'Ă©tait important de prĂ©senter une grande mixitĂ©, car il y a aussi une culture dominante Ă  la tĂ©lĂ©vision. Et il faut dire que les cultures dites "Ă©trangĂšres" ne sont pas vraiment bien reprĂ©sentĂ©es, surtout en ce moment. Mais Ă  part les quatre permanents, il y a plein de personnes qui sont passĂ©es par Zin TV, et c'est plutĂŽt elles qu'il faut mettre en valeur.

Justement, Zin TV n'est pas seulement un outil de communication, c'est aussi un outil pĂ©dagogique, un lieu d'apprentissage et d'Ă©change. Qui participe et que peut-on y faire? On se veut ĂȘtre un mĂ©dia d'action collective, ça veut dire qu'il faut donner les outils aux gens pour qu'ils puissent se reprĂ©senter eux-mĂȘmes. Nous ne sommes pas une boĂźte de production gratuite: on essaie d'impliquer les mouvements sociaux et les gens dans la construction de leur propre message politique. Ça passe par des ateliers, des formations, la mise Ă  disposition de matĂ©riel, etc. Les ateliers qu'on propose exigent diffĂ©rents niveaux d'implication, parce que les participants ont la plupart du temps un boulot et peu de temps Ă  investir. C'est pour cela qu'on a mis en place la permanence vidĂ©o des luttes sociales – PVLS – oĂč on apprend Ă  couvrir des sujets courts sur le tas. Donc ça ne demande pas quatre jours de formation: les gens viennent et nous on leur fournit les clĂ©s pour qu'ils puissent partir, filmer et monter leur vidĂ©o rapidement, sans avoir Ă  ĂȘtre dĂ©sespĂ©rĂ©s par la quantitĂ© d'images au montage. C'est une approche plutĂŽt branchĂ©e sur l'actualitĂ©, oĂč on a moins le temps de rĂ©flĂ©chir au format. Car un autre enjeu, qui constitue aussi une rĂ©flexion continue, c'est de ne pas rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes formes que le journalisme classique. On est tellement inondĂ©s d'images qu'il est difficile de sortir de ces cadres. C'est lĂ  que la formation plus

cecinestpasunjeune.org/index.php/zin-tv

interview

Zin TV: "Impliquer les mouvements sociaux dans la création médiatique"


Du coup, ça m'amĂšne Ă  me demander comment vous vous situez par rapport aux mĂ©dias dominants... C'est une bonne question, et nous mĂȘmes nous rendons compte qu'on n'est pas encore vraiment parvenus Ă  se dĂ©finir, bien qu'on y travaille avec le temps. On se demande tout le temps ce qu'est le journalisme citoyen. Je pense qu'en fait on ne fait pas le mĂȘme boulot. Eux ont des contraintes de production, notamment. RĂ©cemment un article assez virulent, intitulĂ© "Le journalisme citoyen n'exite pas" est sorti dans La Libre (1), auquel nous avons soumis une rĂ©ponse qui n'a pas Ă©tĂ© publiĂ©e (2). L'auteur, AndrĂ© Linard, prĂ©tend que les journalistes relatent la rĂ©alitĂ© et que la parole citoyenne n'a pas la neutralitĂ© qu'eux estiment avoir. Et ce qui fait notre diffĂ©rence, c'est que nous, justement, on veut assumer une subjectivitĂ©, on n'est pas en train de se voiler la face: toute image est suggestive. Et si eux ne l'admettent pas, on a un problĂšme. Ce qui pourrait Ă©galement nous diffĂ©rencier, c'est que notre but n'est pas de produire nous-mĂȘmes, comme je le disais

tout Ă  l'heure. Notre but est d'arriver Ă  ce que le message des quartiers soit relayĂ© et que les mouvements s'impliquent. On peut aussi ĂȘtre une plate-forme qui permette de rassembler les mouvements sociaux, ce que ne fait pas forcĂ©ment le journalisme (rires). AprĂšs, sur la question du financement par exemple, je pense que nous aussi on va y ĂȘtre confrontĂ©s, et qu'on va devoir se demander comment rester indĂ©pendants des organes qui nous financent. Les journalistes revendiquent Ă©galement un certain professionnalisme. Effectivement les gens avec qui nous travaillons n'ont pas fait d'Ă©cole de journalisme: ils apprennent Ă  raconter quelque chose via les ateliers qu'on leur donne. Mais est-ce qu'un journaliste qui a fait cinq ans d'Ă©tudes connaĂźt mieux le terrain que quelqu'un qui le vit au quotidien? Nous on n'est pas d'accord avec ça. AprĂšs, apprendre aux gens Ă  s'Ă©carter de leur propre subjectivitĂ© c'est aussi tout un travail. Nous pensons que montrer deux points de vue opposĂ©s ne revient pas Ă  ĂȘtre objectif, on trouve ça dĂ©bile. Mais prendre ses distances avec sa propre rĂ©alitĂ© c'est aussi important.

On a dĂ©jĂ  abordĂ© certaines des difficultĂ©s auxquelles vous faites face: il y a quelque chose que tu veux ajouter par rapport Ă  cela? Je te lirais bien la phrase de conclusion de notre rĂ©ponse Ă  l'article de La Libre: "Cher Monsieur Linard, si tous les journalistes faisaient vraiment et correctement leur boulot, il n’y aurait point de lanceurs d’alerte, de WikiLeaks, il n’y aurait pas

Kairos, Zin TV et Sans Papiers TV
 ou mĂȘme le collectif Krasnyi, radio Panik
 il n’y aurait pas de journalisme citoyen!" Parce que si tous ces mĂ©dias existent, c'est que fondamentalement certaines paroles ne sont pas relayĂ©es. VoilĂ  pourquoi on est lĂ  aussi. AprĂšs, ce qui est compliquĂ©, et je veux insister lĂ -dessus, c'est comment impliquer les mouvements dans la crĂ©ation de ce mĂ©dia. C'est aussi Ă  eux de venir proposer des sujets, de rĂ©aliser que ça prend du temps, de s'impliquer dans les ateliers et dans les rĂ©unions de rĂ©daction qu'on va mettre en place, pour inviter les partenaires Ă  venir prĂ©senter leurs projets aux Ă©quipes de tournage. On veut que ce soit un vrai lieu de rencontre. Car si on se contente de recevoir un mail et d'envoyer une Ă©quipe de tournage on se retrouve dans cette position oĂč on ne connaĂźt pas les gens qu'on va filmer. L'une des difficultĂ©s supplĂ©mentaires c'est qu'on n'a aucune source de financement ni de personnel. Mais les contributions ne doivent pas forcĂ©ment ĂȘtre financiĂšres, c'est la participation qui est importante. Car plus on produira, plus on fera circuler nos vidĂ©os, plus on pourra avoir un impact sur l'opinion publique et amener notre point de vue sur le monde. ■

interview

professionnelle – de cinĂ©ma – intervient. Par ailleurs, on alimente en permanence le site avec des rĂ©flexions sur ce qu'est une image. Car l'image raconte quelque chose et constitue un acte politique en soi, ou au moins un acte de positionnement dans le monde. Pour te donner un exemple assez frappant: une de nos Ă©quipes est allĂ©e filmer la grĂšve des cheminots et une relation de confiance s'est Ă©tablie car elle y Ă©tait souvent et suivait la grĂšve de l'intĂ©rieur. Et forcĂ©ment, quand ils filmaient, ils Ă©taient proches des cheminots. À tel point que les journalistes sont venus se plaindre que l'Ă©quipe Zin TV Ă©tait tout le temps dans le cadre et les empĂȘchait de faire leur boulot. Et c'est lĂ  toute la diffĂ©rence: eux sont Ă©loignĂ©s et filment en tĂ©lĂ©objectifs et nous, on Ă©tait avec les cheminots. Affirmer cette subjectivitĂ© fait aussi partie de notre dĂ©marche. Ce qui Ă©tait chouette dans ce cas, c'est que ce sont les cheminots qui ont pris notre dĂ©fense face aux journalistes, en affirmant notre lĂ©gitimitĂ© Ă  ĂȘtre lĂ , avec eux. Car notre but c'est aussi d'ĂȘtre avec les mouvements et ça, ça demande que ceux-ci s'investissent dans le mĂ©dia. Ce sont eux qui peuvent amener d'autres porte-paroles, d'autres images et d'autres messages. Nous on amĂšne des outils pour cadrer cela et le rendre intelligible.

(1) AndrĂ© Linard, "Le journalisme citoyen n’existe pas", La Libre, 30 septembre 2016, www.lalibre.be/ debats/opinions/le-journalisme-citoyen-n-existepas-57ed2de7cd70871fc422cc0f (2) Journal Kairos, ZIN TV, Sans Papiers TV, collectif Krasnyi, radio Panik, "Ainsi, le journalisme citoyen n’existerait pas?", Zint TV, 7 octobre 2016, www.zintv. org/Ainsi-le-journalisme-citoyen-n

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France

Qu’attendre de la prĂ©sidentielle?

▌ Jean-Luc Melenchon, Benoit Hamon,

Emmanuel Macron,Francois Fillon, Marine Le Pen

✒ par Christine Poupin Il y a quelques mois, une seule question rĂ©sumait l’enjeu de la prĂ©sidentielle: qui se retrouverait face Ă  Marine Le Pen au second tour: Hollande, le prĂ©sident sortant – Ă©ventuellement son premier ministre Valls – ou Sarkozy, sorti il y a cinq ans? Depuis, Sarkozy puis Hollande puis Valls ont Ă©tĂ© Ă©jectĂ©s de l'arĂšne Ă©lectorale.

Rien ne se passe comme prévu

Ces rebondissements sont la partie immergĂ©e de la crise profonde qui secoue le Parti socialiste (PS) et Les RĂ©publicains (ex-UMP), les deux partis qui ont Ă©tĂ© alternativement au gouvernement. Ils payent d'une impopularitĂ© record les politiques qu'ils ont mis en Ɠuvre au service des capitalistes, comme la majoritĂ© de leurs partis jumeaux en Europe et ailleurs. Cependant, les institutions de la 5Ăšme rĂ©publique donnent en France une dimension particuliĂšre Ă  cette crise. La primaire, inaugurĂ©e par le PS pour la prĂ©sidentielle de 2012 est devenue incontournable Ă  droite, au PS et chez les Verts. Ces "Ă©lections-avant-l'Ă©lection" ont systĂ©matiquement sorti les sortants – ou Ă  dĂ©faut les plus proche de l’exercice du pouvoir. Ni Sarkozy, ni Valls, ni mĂȘme Duflot, n'ont franchi le premier tour.

Ni à droite


La droite semblait avoir trouvĂ© son champion. Fillon l’avait emportĂ© en bĂ©nĂ©ficiant du rejet de Sarkozy. Il avait mobilisĂ© la fraction la plus rĂ©actionnaire de l'Ă©lectorat de droite en jouant sur son image de pĂšre-la-morale. Il se prend aujourd'hui les pieds dans le tapis (de luxe): Emplois fictifs, nĂ©potisme, appropriation d'argent public, conflits d’intĂ©rĂȘts, trafic d'influence... Faute de solution de rechange, la droite est Ă  ce jour contrainte de garder un candidat carbonisĂ©. Au-delĂ , c'est tout le systĂšme politique qui est en cause comme en tĂ©moigne le silence assourdissant des autres partis. Un dĂ©putĂ© sur cinq emploie un membre de sa famille. Les affaires Fillon rĂ©vĂšlent aussi que les partis "de gouvernement" sont liĂ©s aux mĂȘmes

30 la gauche #81 mars-avril 2017

cabinets de conseils des intĂ©rĂȘts capitalistes dans une seule et mĂȘme oligarchie.

Ni au PS

Le Parti socialiste est rattrapĂ© par le bilan du quinquennat. La baisse du chĂŽmage se fait attendre, le pouvoir d’achat des classes populaires recule, les conditions de santĂ© et de logement se dĂ©tĂ©riorent, les grands projets productivistes se mettent en place contre les populations concernĂ©es. Attentats instrumentalisĂ©s pour renouveler sans cesse l'Ă©tat d'urgence, migrant.e.s traquĂ©.e.s et harcelĂ©.e.s, ce gouvernement mĂšne une politique encore plus sĂ©curitaire que son prĂ©dĂ©cesseur sur fond de racisme et d'islamophobie d’État qui ne font qu'encourager les violences policiĂšres, accroĂźtre les discriminations et la criminalisation des quartiers populaires... Hollande ne peut mĂȘme pas se prĂ©senter, Valls qui prend la place est battu dĂšs le premier tour de la primaire. Le vainqueur, Hamon, candidat "frondeur" bĂ©nĂ©ficie d'un vote sanction, d'un effet diffĂ©rĂ©, certes dĂ©formĂ©, de la mobilisation du printemps 2016, du refus du projet d'aĂ©roport Ă  NotreDame-des-Landes ou de la dĂ©chĂ©ance de nationalitĂ©... La crise du PS est dĂ©sormais ouverte entre l’orientation social-libĂ©rale portĂ©e par Hollande et Valls, assumĂ©e par l’essentiel de l’appareil, d’évolution vers une force rĂ©publicaine-dĂ©mocrate; et celle de Hamon de maintien d’un PS dans la gauche social-dĂ©mocrate traditionnelle.

Un "antisystĂšme" tellement dans le systĂšme!

Crise globale de lĂ©gitimitĂ© oblige, l’étiquette la plus revendiquĂ©e, la plus

usurpĂ©e aussi, est celle de candidat "horssystĂšme", voire "anti-systĂšme". Emmanuel Macron joue le candidat hors parti, s’exonĂšre du bilan du quinquennat, alors qu’il est dĂ©sormais le seul candidat Ă  porter l’essentiel du bilan des gouvernements socialistes. Il a Ă©tĂ© secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral adjoint de la PrĂ©sidence dĂšs 2012, Ă  l’origine du CICE [CrĂ©dit d’impĂŽt pour la compĂ©titivitĂ© et l'emploi] et du pacte de responsabilitĂ©, puis ministre de l’Économie, portant les deux lois les plus rejetĂ©es par les classes populaires (celle qui porte son nom et la loi Travail). Il a le culot d’intituler son livre "RĂ©volution" alors qu’il met en Ɠuvre la contre-rĂ©volution nĂ©o-libĂ©rale. Ayant le vent en poupe dans les sondages et les mĂ©dia, faisant salle comble pour ses meetings, il engrange les ralliements de transfuges du PS et de la droite.

"Le ventre est encore fĂ©cond, d'oĂč a surgi la bĂȘte immonde"

Le Front national avait recueilli le plus grand nombre de voix lors des rĂ©gionales fin 2015 et la mobilisation contre la loi Travail n’a pas inversĂ© cette dangereuse situation. MalgrĂ© l'Ă©limination de Hollande-Valls et Sarkozy, ses "meilleurs ennemis", Marine Le Pen est en tĂȘte dans tous les sondages pour le premier tour. L’extrĂȘme-droite reste le principal rĂ©ceptacle d’un vote protestataire rĂ©actionnaire, raciste, de rejet des partis ayant gĂ©rĂ© le pays depuis vingt ans. Bien qu'elle soit mouillĂ©e dans un dĂ©tournement d’argent public au Parlement europĂ©en de plus d’un million d’euros, Marine Le Pen se prĂ©sente comme "la candidate de la


MĂ©lenchon 2017

La campagne de MĂ©lenchon n'est pas celle du candidat du Front de Gauche en 2012. MĂ©lenchon 2017 veut rassembler "le peuple" contre la "caste" et "l'oligarchie financiĂšre", un discours populiste qui cible le mauvais capitalisme financier pour mieux Ă©pargner ce qui serait le bon capitalisme productif. Revendication d'un "indĂ©pendantisme français", dĂ©nonciation de "l'Europe allemande", la Marseillaise qui clĂŽt tous ses meetings n'est pas qu'un symbole! Pire, avec le dĂ©rapage sur les travailleurs dĂ©tachĂ©s qui "volent le pain des français", le burkini "provocation politique" ou sa volontĂ© de lutter "contre les causes des migrations", il tourne le dos au nĂ©cessaire combat contre l’islamophobie, au combat antiraciste et humanitaire pour la libertĂ© de circulation et d’installation, comme il bafoue aussi la plus Ă©lĂ©mentaire solidaritĂ© internationaliste Ă  l'Ă©gard du peuple syrien en refusant de condamner Poutine et Assad. La campagne est menĂ©e sous l'Ă©gide de la France Insoumise, sous une apparente horizontalitĂ©, un outil taillĂ© sur mesure pour s'affranchit de toute dĂ©mocratie et de toute dĂ©marche unitaire. LancĂ©e trĂšs tĂŽt en prenant ses anciens partenaires de vitesse, cette candidature apparaissait nĂ©anmoins comme le seul outil Ă©lectoral anti-austĂ©ritĂ© et anti-FN.

PhotothĂšque Rouge/JMB

Nous n’avons pas besoin d’un super champion pour se battre dans le cirque, mais d’en finir avec le cirque!

La victoire de Hamon suscite une pression unitaire avec pas moins de trois appels, "Pour un front solidaire et Ă©cologique", "Pour une coalition entre Hamon, MĂ©lenchon et Jadot", "Un candidat mais pas trois!". Nous partageons l’inquiĂ©tude des militant.e.s pour le climat, des opposant.e.s Ă  la loi travail, des soutiens aux migrant.e.s, des fĂ©ministes,

des altermondialistes qui soutiennent ces appels car l'extrĂȘme-droite et la droite extrĂȘme sont menaçantes et Macron serait un remĂšde qui empirerait le mal. Mais nous ne sortirons pas de cette situation catastrophique avec les outils qui l’ont crĂ©Ă©e. Ni Hamon ni MĂ©lenchon ne renonceront Ă  leur candidature et surtout aucune n’est un levier pour construire le rapport de force sans lequel rien n’est possible, ni la rĂ©sistance, ni la conquĂȘte des quelques mesures positives qu’ils avancent. Nous reprĂ©senter nous-mĂȘmes, construire nos propres outils politiques, Ă©laborer notre programme Ă  partir des exigences portĂ©es par nos luttes voilĂ  ce que nous devons impĂ©rativement faire ensemble.

France

France du peuple", "contre la droite du fric et contre la gauche du fric". Le racisme baptisĂ© "prioritĂ© nationale" reste le pivot de son discours, la dĂ©nonciation de "l’ultralibĂ©ralisme" et de l’Europe ne peut masquer le refus d’affronter le MEDEF [Mouvement des entreprises de France] et le patronat en gĂ©nĂ©ral: pas d'augmentation du SMIC [Salaire minimum de croissance – le salaire horaire minimum lĂ©gal] mais les bonnes vieilles recettes de dĂ©fiscalisation des heures supplĂ©mentaires et d'exonĂ©rations de cotisations sociales, sans parler du trĂšs rĂ©actionnaire salaire maternel...

Construire une alternative radicalement anticapitaliste

Cette impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© d’une nouvelle expression politique des exploitĂ©.e.s et des opprimĂ©.e.s est la raison d’ĂȘtre de la campagne du NPA. Sous le slogan "Nos vies pas, leurs profits" sont mises en avant des mesures qui rĂ©pondent aux principales urgences sociales et Ă©cologiques: la rĂ©duction massive du temps de travail ; la continuitĂ© du salaire pour tou.te.s payĂ©e par les cotisations patronales; des services publics et la gratuitĂ© pour satisfaire de maniĂšre Ă©galitaire les besoins essentiels et mettre en Ɠuvre la transition Ă©nergĂ©tique vers 100% de renouvelables; l’arrĂȘt du nuclĂ©aire et des projets productivistes
 Ces mesures imposent l’expropriation des banques et des secteurs clĂ©s (Ă©nergie, eau, transports, distribution
) et leur socialisation sous gestion ouvriĂšre et citoyenne, la planification dĂ©mocratique, une dĂ©mocratie rĂ©elle qui rompe avec la politique professionnelle, les institutions de la VĂšme rĂ©publique et de l’Union europĂ©enne. RĂ©solument antiraciste, fĂ©ministe et internationaliste, Ă  l’opposĂ© de tous les "votez pour moi, je m’occupe de tout", la campagne du NPA avec Philippe Poutou veut contribuer Ă  la construction d’un outil utile pour les mobilisations et porteur d’un projet Ă©mancipateur Ă©cosocialiste. Les mobilisations suite Ă  l’interpellation violente et au viol d’un jeune homme en banlieue parisienne montrent que rien n’est Ă©crit d’avance. La manifestation du 19 mars pour la justice et la dignitĂ©, contre la hogra [terme de l'arabe algĂ©rien qui signifie mĂ©pris], l’humiliation, le racisme, les violences policiĂšres et la chasse aux migrant.e.s peut bousculer une ambiance Ă©lectorale dominĂ©e par les options racistes et sĂ©curitaires. ■

Philippe Poutou la gauche #81 mars-avril 2017

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histoire rebelle

Petrograd, 8 mars 1917:

"Le peuple veut la chute du rĂ©gime!" ✒ par Jean Batou La rĂ©volution russe a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e par les manifestations et les grĂšves spontanĂ©es suscitĂ©es par la JournĂ©e internationale des femmes dans les quartiers ouvriers de Petrograd. Ce rendezvous avait Ă©tĂ© proposĂ© par les femmes du Parti socialiste d’AmĂ©rique, dĂšs 1909, avant d’ĂȘtre repris par la DeuxiĂšme Internationale, en 1910, sur proposition de Clara Zetkin et d’Alexandra KollontaĂŻ. Le 19 mars 1911, plus d’un million de manifestantes avaient ainsi dĂ©filĂ© pour le suffrage fĂ©minin, l’arrĂȘt des discriminations et le droit au travail, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse. Quelques jours plus tard, 140 ouvriĂšres, dont une majoritĂ© d’Italiennes et de juives d’Europe orientale, pĂ©rissaient brĂ»lĂ©es dans une fabrique textile de New York, liant plus que jamais les luttes des femmes Ă  celles du mouvement ouvrier.

Agir sans ordre et désobéir aux ordres


Dans les jours qui prĂ©cĂšdent le 8 mars 1917 (23 fĂ©vrier, selon le calendrier julien), les cercles sociaux-dĂ©mocrates russes prĂ©parent des actions mesurĂ©es (rĂ©unions, discours, tracts, dĂ©brayages) dans un climat Ă©lectrisĂ© par la guerre, le froid polaire et les interminables files d’attente devant les boulangeries. Personne ne songe Ă  une vĂ©ritable grĂšve, encore moins Ă  une insurrection. Les dirigeants bolcheviks considĂšrent que tout mouvement d’envergure serait prĂ©maturĂ©. Or, le lendemain Ă  midi, tandis qu’une foule immense de femmes marche vers le centre-ville, les ouvriĂšres textiles de Vyborg (nord-ouest de la capitale) ont abandonnĂ© leur travail dĂšs le matin, enjoignant les mĂ©tallos Ă  la solidaritĂ©. Les militant.e.s des partis ouvriers ne peuvent dĂšs lors que soutenir un mouvement de grĂšve qui touche vite plus de 100.000 travailleurs/ euses. Mais comment la police et la troupe va-t-elle rĂ©agir Ă  une telle dĂ©monstration,

32 la gauche #81 mars-avril 2017

de surcroĂźt en temps de guerre? Quelques drapeaux rouges surgissent, tandis que les femmes se dirigent vers le parlement pour exiger du pain. Le lendemain, la moitiĂ© des ouvrier et ouvriĂšres sont en grĂšve, tiennent des meetings devant les usines, avant de converger vers le centre, aux cris de "À bas l’autocratie!", "À bas la guerre!". "L’expĂ©dition avait les allures d’une armĂ©e d’ouvriers famĂ©liques partant en guerre", Ă©crit Orlando Figes (La RĂ©volution russe, 2007). La foule envahit les quartiers, dĂ©jouant les barrages policiers, assommant des gendarmes. Le pouvoir attendra le 10 mars pour ordonner Ă  la police de tirer, tandis que la grĂšve se gĂ©nĂ©ralise. La foule rend coup pour coup, mais cherche Ă  fraterniser avec l’armĂ©e: "Plus hardiment que les hommes, [les femmes] s’avancent vers les rangs de la troupe, s’agrippent aux fusils, supplient et commandent presque
" (Trotsky, Histoire de la RĂ©volution russe, 1950). Le mĂȘme jour, le tsar tĂ©lĂ©graphie au commandant de la place pour qu’il en finisse avec les troubles. L’armĂ©e va donc devoir parler: tandis que la capitale dispose de 3.500 policiers, sa garnison compte 150.000 hommes – des bataillons de rĂ©serves, destinĂ©s Ă  retourner au front. BercĂ© par une Ă©trange douceur printaniĂšre, le dimanche 11 mars s’annonce dĂ©cisif: de tous les faubourgs, la foule dĂ©ferle vers le centre, Ă©vitant les ponts fermĂ©s par la police, traversant la Neva sur la glace. Les tirs sont plus nourris: le nombre de blessĂ©s et de tuĂ©s augmente. Que va faire la garnison de Petrograd? Dans l’aprĂšsmidi, des Cosaques ont acceptĂ© un bouquet de roses rouges – symbole de paix et de rĂ©volution – d’une jeune fille sortie des rangs des manifestant.e.s; ailleurs, ils sont intervenus contre la police aux cĂŽtĂ©s de la population. Ce soir-lĂ , une compagnie s’est mutinĂ©e pour protester contre le mitraillage de la foule. À ce moment, "les nouvelles proportions des forces gĂźtaient mystĂ©rieusement dans la conscience des

ouvriers et des soldats" (Trotsky, ibid.).

L’insurrection imprĂ©vue

Le lundi 12 mars, dans la foulĂ©e de la grĂšve gĂ©nĂ©rale et des manifestations, l’heure est Ă  l’insurrection armĂ©e, mĂȘme si les partis, jusqu’aux bolcheviks, n’en perçoivent pas l’imminence. Devant les casernes, les ouvriers se heurtent au feu des mitrailleuses. Mais comment obtenir d’autres armes que les pistolets pris Ă  la police? Le sort de la rĂ©volution repose sur le ralliement des moujiks [paysans pauvres] en uniforme... Au matin, l’une aprĂšs l’autre, les casernes se mutinent. Il n’est plus temps de reculer. Des officiers subalternes, animĂ©s de sympathies dĂ©mocratiques, et des ouvriers, prennent la direction des opĂ©rations. Ainsi, le sergent socialiste-rĂ©volutionnaire Fedor Linde voit une jeune fille se faire Ă©craser par un cheval cosaque: "Elle a hurlĂ©. C’est son hurlement inhumain, pĂ©nĂ©trant, qui a dĂ©clenchĂ© quelque chose en moi. J’ai sautĂ© sur la table et j’ai criĂ© Ă  tue-tĂȘte: ‘Amis! Amis! Vive la rĂ©volution! Aux armes! Aux armes, ils tuent des innocents: nos frĂšre et sƓurs [
] Plus tard, on a dit qu’il y avait quelque chose dans ma voix qui rendait mon appel irrĂ©sistible
 Ils ont suivi sans comprendre
 Ils m’ont tous rejoint dans l’attaque contre les Cosaques et la police. Nous en avons tuĂ© quelques-uns. Les autres ont battu en retraite
" (citĂ© par Figes). Le feu fait rage, certaines unitĂ©s refusant de cĂ©der. Pourtant les mutins se sont emparĂ©s de l’Arsenal, ils ont rĂ©quisitionnĂ© les automobiles, jusqu’à la Rolls-Royce d’un grand-duc. "Ce fut la premiĂšre rĂ©volution sur roues", dont les voitures, hĂ©rissĂ©es de baĂŻonnettes ressemblaient Ă  "d’immenses hĂ©rissons devenus fous", tĂ©moignera Gorki. Toute la population civile fait corps face Ă  l’appareil rĂ©pressif. Les postes de police, les prisons, les tribunaux sont mis Ă  sac. Le langage corporel change: les soldats portent leur casquette Ă  l’envers, laissent


il ne sera pas question dans l’immĂ©diat, ni de la fin de la guerre, que l’on se contentera dĂšs lors de dĂ©clarer "dĂ©fensive". Les Ă©vĂ©nements des 8 au 12 mars 1917 Ă  Petrograd n’ont pas Ă©tĂ© rĂ©volutionnaires parce qu’ils ont Ă©tĂ© menĂ©s par une direction rĂ©volutionnaire, mais parce qu’ils ont vu "l’irruption violente des masses dans le domaine oĂč se rĂšglent leurs propres destinĂ©es" (Trotsky, ibid.). De la mĂȘme façon, il y a 6 ans, le renversement des dictatures de Ben Ali et de Moubarak par les masses tunisiennes et Ă©gyptiennes a marquĂ© le dĂ©but d’un processus rĂ©volutionnaire
 Pour autant, une fois une rĂ©volution amorcĂ©e, son issue dĂ©pend de nombreuses circonstances, et parmi elles, avant tout, des forces politiques qui rĂ©ussissent Ă  en prendre la direction, ainsi que de leur programme, ce qu’a bien montrĂ© la Russie de 1917, d’avril Ă  octobre, mais aussi, a contrario (pour le moment), la rĂ©gion arabe, depuis fin 2010. ■

histoire rebelle

leur tunique dĂ©boutonnĂ©e; les femmes s’habillent en hommes, "comme si en inversant les codes vestimentaires sexuels, elles renversaient aussi l’ordre social"; on flirte, on s’embrasse, on fait mĂȘme l’amour dans la rue (Figes, ibid.). Le soir tombĂ©, on ne compte pas le nombre de victimes – sans doute 1.500 (beaucoup plus qu’en octobre). Mais la rĂ©volution est installĂ©e au Palais de Tauride, siĂšge du parlement (la Douma), qui va bientĂŽt abriter le Soviet et le Gouvernement provisoire. Le reste du pays emboĂźtera le pas Ă  Petrograd sans confrontations, avec quelques jours de retard dans les grandes villes, quelques semaines dans les rĂ©gions plus Ă©loignĂ©es des centres. La RĂ©volution de fĂ©vrier, initiĂ©e par des dĂ©brayages et des manifestations de femmes, a triomphĂ© grĂące Ă  une grĂšve gĂ©nĂ©rale et Ă  une insurrection, appuyĂ©es in extremis par une mutinerie de la garnison. Que voulait-elle? Du pain, des droits populaires, et la conclusion rapide de la guerre. Aucun parti ne l’avait dirigĂ©e, encore moins planifiĂ©e. Comme l’écrira le socialiste-rĂ©volutionnaire de gauche Mstislavski, en 1922: "La rĂ©volution nous a surpris, nous autres membres du parti, profondĂ©ment endormis, comme les Vierges folles de l’Evangile".

â–Č L'Empereur Nicolas II

et sa famille

â–Œ Manifestation des ouvriĂšres

de Petrograd le 8 mars 1917

rbth.com/longreads/1917

"Le paradoxe de février"

Mais Ă  qui les insurgĂ©s victorieux allaient-ils remettre le pouvoir? Aux chefs socialistes qui n’avaient jouĂ© aucun rĂŽle significatif dans la rĂ©volution, et qui allaient se charger de mettre en place un "comitĂ© exĂ©cutif provisoire du soviet des dĂ©putĂ©s des ouvriers", dont les 50 membres ne comptaient pas un seul dĂ©lĂ©guĂ© d’usine. Pourtant, ils n’entendaient pas prendre la direction des affaires eux-mĂȘmes. À partir d’une vision "marxiste" rĂ©ductrice, ils jugeaient que la bourgeoisie d’affaires pouvait seule exercer le pouvoir dans un pays aussi "arriĂ©rĂ©" que la Russie, s’empressant pour cela de le cĂ©der Ă  un groupe de dĂ©putĂ©s libĂ©raux de la Douma, favorables Ă  une monarchie constitutionnelle. Ce dernier allait former un gouvernement provisoire, soutenu par le Soviet, sous condition de garantir un ordre dĂ©mocratique. C’est ce que Trotsky a appelĂ© "le paradoxe de fĂ©vrier". Seules les abdications successives de Nicolas II, sous la pression de l’étatmajor, puis de son frĂšre Michel, sous la pression populaire, forceront les nouveaux dirigeants du pays Ă  dĂ©lĂ©guer le choix de nouvelles institutions Ă  une AssemblĂ©e constituante future. Du partage de la terre, la gauche #81 mars-avril 2017

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✒ par Sophie Cordenos Alors que la suite des aventures d’Anastasia Steele et Christian Grey, Cinquante nuances plus sombres est sorti dans les salles obscures pour la date symbolique (et Ă  haut potentiel marketing!) de la Saint-Valentin, il est bon de se repencher sur ce best-seller douteux et d’en comprendre les mĂ©canismes qui tendent Ă  rendre la violence conjugale
 glamour! Dans un style mĂ©diocre, le premier tome du roman (tout de mĂȘme vendu Ă  quelques 40 millions d’exemplaires Ă  travers le monde Ă  sa sortie!), rempli de formulations grotesques et de rĂ©pĂ©titions, se prĂ©sente comme un "porno pour mamans" ou bien encore comme un "manuel d’éducation sexuelle pour jeunes filles". Or trĂšs vite au cours de la lecture, on se rend compte que non seulement la relation entre les personnages est trĂšs lointaine de la rĂ©alitĂ©: une jeune femme vierge de 21 ans rencontre un jeune milliardaire autoritaire, accro au sexe et aux pratiques sadomasochistes (SM); mais qu’en outre, elle semble faire dĂ©libĂ©rĂ©ment l’éloge du viol et de la violence conjugale. FascinĂ©e et manipulĂ©e par le beau milliardaire, l’hĂ©roĂŻne accepte coups, viols, fessĂ©es "Ă©rotiques", violence psychologique, privations des libertĂ©s Ă©lĂ©mentaires, etc. Il est intolĂ©rable et dangereux de prĂ©senter ce rĂ©cit comme une romance, car la relation et la sexualitĂ© apparaissent ici

E.L. James, auteure de la série "50 Nuances..."

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clairement comme abusives. Plus qu’une pratique de jeux sexuels SM, il s’agit ici d’une tentative de dĂ©gradation de l’autre, de dĂ©shumanisation, et de sexualitĂ© non Ă©galitaire. Pire encore, le livre, et donc le film par extension, tend Ă  faire croire aux femmes qu’ĂȘtre dominĂ©e et manipulĂ©e est leur dĂ©sir profond et cachĂ©.

L’histoire tend Ă  faire croire aux femmes qu’ĂȘtre dominĂ©e et manipulĂ©e est leur dĂ©sir profond et cachĂ©. En effet, le roman insinue, tout au long du rĂ©cit, qu’une femme doit s’abandonner Ă  un homme puissant et dominateur pour une sexualitĂ© Ă©panouie. Pour les plus novices en matiĂšre de relation amoureuses et sexuelles, le message du roman est assez clair: n’hĂ©sitez pas Ă  forcer votre partenaire, elle ne sait pas ce dont elle a besoin, elle aimera sĂ»rement ça! La chercheuse en psychologie Amy Bonomi, de l’UniversitĂ© du Michigan, a analysĂ© la maltraitance exposĂ©e dans le rĂ©cit et en conclut qu’Anastasia Steele "souffre des rĂ©actions typiques des femmes maltraitĂ©es". Il est interpellant de constater que les statistiques sur le lectorat

de Cinquante nuances de Grey de cette docteure en santĂ© publique montrent que les lectrices de ce roman auraient 25% de plus de chances d’avoir un partenaire qui abusent d’elles verbalement, 34% de chances en plus que leur partenaire les suivent dans la rue, et plus de 75% de chances qu'elles fassent des rĂ©gimes radicaux ou consomment des produits amincissants.

En bref, cette sĂ©rie littĂ©raire Ă©rotique banalise sans complexe la violence conjugale jusqu’à la rendre glamour. Il est dangereux de constater que de nombreuses jeunes femmes dĂ©clarent s’identifier Ă  l’hĂ©roĂŻne soumise et violentĂ©e et la dĂ©crivent comme "ordinaire". Le succĂšs de ces romans prouve Ă©galement et tristement que les jeunes femmes semblent manquer cruellement de confiance en elles et ce, mĂȘme au sein de leurs relations amoureuses. Il est trĂšs inquiĂ©tant d’imaginer les consĂ©quences que la popularitĂ© de ce best-seller, dont 70 millions d’exemplaires sont Ă  l’heure actuelle en circulation, pourrait avoir sur certaines femmes. Faire la promotion d’un tel rĂ©cit est moralement condamnable. En conclusion, si "Cinquante nuances" semble ĂȘtre une lecture sexy et divertissante et si aller voir le film en amoureux pour la Saint Valentin semble romantique, l’image de la sexualitĂ© qu’il vĂ©hicule va Ă  l’encontre de la dignitĂ© et de l’émancipation des femmes. Selon une Ă©tude menĂ©e en 2015, en Belgique, 12,7% des femmes ont dĂ©clarĂ© avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles. Plus de 25% de ces coups et blessures ont lieu au sein mĂȘme du couple. ■ Sources: SOS Violence www.sosviolence. brussels, Vie FĂ©minine, Collectif contre les violences familiales et l’exclusion

yahoo.com/news/fifty-shades-ask- e -l-james-twitter- chat-145756707.html

culture

Cinquante nuances de violences faites aux femmes


Octobre 1917: forts du soutien de milliers de soldats, de marins et d’ouvriers en armes, les bolcheviks prennent le pouvoir Ă  Petrograd. Encore calomniĂ©s, pourchassĂ©s et emprisonnĂ©s quelques semaines auparavant. Ils marchent Ă  la tĂȘte d’un mouvement qui s’apprĂȘte Ă  bouleverser le cours de l’histoire mondiale en instaurant le premier systĂšme politique communiste Ă  l’échelle d’une nation tout entiĂšre. A contre-courant des historiographies traditionnelles de la rĂ©volution russe – stalinienne et occidentale – Alexander Rabinowitch dĂ©crit magistralement l’enchaĂźnement des Ă©vĂ©nements qui, de la chute du tsar en fĂ©vrier, ont conduit au renversement du gouvernement provisoire et Ă  la rĂ©volution d’Octobre. Un rĂ©cit au jour le jour oĂč l’on suit LĂ©nine de cachette en rĂ©union secrĂšte. Trotsky haranguant Ces articles de Yassin al-Haj Saleh, les soldats Ă  la forteresse Pierre-et-Paul, grande figure intellectuelle de l’opposition les longues sĂ©ances du ComitĂ© central ou dĂ©mocratique syrienne, n’ont jusqu’à les efforts de Kamenev pour s’allier les prĂ©sent jamais Ă©tĂ© regroupĂ©s en un seul socialistes plus modĂ©rĂ©s, jusqu’à l’épisode volume, ni en arabe ni dans une autre tragi-comique de la prise du palais d’Hiver. langue. PrĂ©cĂ©dĂ©s d’une introduction L’activitĂ© incessante des militants au sein prĂ©cisant le contexte de chacun d’eux des multiples organes du parti durant et classĂ©s par ordre chronologique, ils ces mois dĂ©cisifs tĂ©moigne d’un fonccouvrent l’histoire du soulĂšvement syrien tionnement Ă  mille lieues du mythe de depuis son dĂ©clenchement en mars 2011 l’avant-garde disciplinĂ©e, aux ordres de et constituent l’analyse interne la plus fine LĂ©nine: un parti bolchevik dĂ©centralisĂ© et de cet Ă©vĂ©nement majeur dans l’histoire traversĂ© de dĂ©saccords, en dĂ©bat permanent moderne du Proche-Orient. Analyse origi- et Ă  la tactique mouvante, qui a su mieux nale non seulement du rĂ©gime nĂ© du coup qu’aucune autre force politique ressentir et d’État de 1970, Ă  partir de ses slogans et porter les aspirations des masses populaide ses emblĂšmes, mais aussi des origines res. Une Ă©tude classique et un remarquable sociales et culturelles de l’extrĂȘme vio- tableau politique et social de Petrograd en lence dont il a toujours fait preuve, ainsi 1917. que de la militarisation du soulĂšvement et de l’intrusion des djihadistes, qui, en se Alexander Rabinowitch (2016) conjuguant, ont abouti Ă  ce que l’auteur Les bolcheviks prennent le pouvoir: dĂ©signe comme le “nihilisme guerrier”. La rĂ©volution de 1917 Ă  Petrograd Le dernier texte, le plus dense, “Le sultan Ed. La Fabrique, Paris moderne”, fait la synthĂšse des dizaines (530 pages, 28 euros) ■ d’articles et chroniques publiĂ©s par lui durant une dizaine d’annĂ©es dans la presse sur la nature du rĂ©gime des Assad, pĂšre et fils, alliant despotisme, communautarisme, clanisme en un “État sultanien” (par rĂ©fĂ©rence entre autres aux mamelouks) de type nouveau.

La Question syrienne

Yassin al-Haj Saleh (2016) La Question syrienne Actes Sud, Paris (240 pages, 22 euros) ■

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Les bolcheviks prennent le pouvoir

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Volders

Avenue Jean Volders 40 1060 Saint-Gilles

Charleroi Carolopresse

Boulevard Tirou 133 6000 Charleroi

Wavre Librairie Collette Dubois Place Henri Berger 10 1300 Wavre

La plupart des ouvrages commentĂ©s ou recommandĂ©s dans La Gauche peuvent ĂȘtre commandĂ©s en ligne Ă  la librairie La BrĂšche Ă  Paris.

Librairie La BrĂšche

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la gauche #81 mars-avril 2017

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Du 24 au 26 mars 2017 Ă  Molenbeek De Bruxelles Ă  Washington, en passant par Madrid, l’instabilitĂ© politique est porteuse de dangers mais aussi d’espoirs, Ă  condition de s’organiser et de passer Ă  l’action. Les Rencontres anticapitalistes de printemps de la Formation LĂ©on Lesoil sont un rendez-vous incontournable de ce dĂ©but d’annĂ©e pour faire le point avec celles et ceux qui rĂ©sistent. Anticapitalistes, antiracistes, fĂ©ministes, Ă©cologistes et syndicalistes, militantEs et auteurEs de la gauche critique, des quatre coins de Belgique, de l’Europe et mĂȘme au-delĂ , vous y retrouveront pour se rencontrer, pour prĂ©parer ensemble les batailles Ă  venir
 et pour faire la fĂȘte!

OÙ?

À l’auberge de jeunesse GĂ©nĂ©ration Europe, 4 rue de l’Elephant, 1080 Bruxelles

COMMENT?

Inscriptions sur le formulaire en ligne: http://bit.ly/2lCjvkE et en effectuant un virement avec la communication RAP 2017 sur le compte ECF, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles. IBAN: BE40 7320 4262 3063 BIC: GKCCBEBB

COMBIEN?

Informations et tarifs sur le site www.lcrlagauche.org ou au 0472/57.84.67 Facebook: Rencontres Anticapitalistes De Printemps 2017 Twitter: #ReleverLaTĂȘte

éditeur responsable: André Henry, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles // design: Little Shiva


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