Trouverunautrenom extrait

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VERÓNICA se penche pour ramasser les feuillets éparpillés sur le sol, elle les lit, les relit… Tout en suivant le sens des phrases, elle enchevêtre des fragments de mots brisés situés au début et à la fin des pages et s’ efforce d’ aspirer l’ air qui semble se refuser à pénétrer les orifices de son nez… elle insiste et parvient à aspirer et à expirer l’ air à diverses reprises afin de ranimer ce courant essentiel de vie, tandis qu’ elle avance à genoux çà et là et empile les pages qui semblent vouloir lui résister, car elles s’ accrochent au sol, se serrent les unes contre les autres pour obstruer son impérieux désir de les absorber lettre après lettre, de s’ abîmer dans leurs signes, ces messages occultes extraits de glissements ténébreux, de corridors hasardeux et abrupts… Comme tendu par un rouet, son corps s’ incline, obsessionnel, sur ces pages opacifiées par le temps qui tentèrent (avec un tact automate contigu à la folie) de définir, d’ interpréter, de capturer les sens


trouver un autre nom à l’ amour

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égarés d’ un archange démoniaque : cet inquiétant aimant à la dérive, mage lubrique comme tout archange, apostat de l’ origine se récréant dans une fugue perpétuelle. Elle ferme les yeux et se remémore…

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Oui, il semble que certains jours il goûtait le bonheur d’ une douce foi exempte de nostalgie, l’ émotion indéfinie d’ une félicité omniprésente, bien qu’ impalpable, une régénération. Et en se remémorant, elle sent monter à son front une gratitude illimitée et un étonnement si fort et si fugace qu’ il devient insupportable. C’ est aussi ce paysage infiniment bas et paisible au sein duquel la nature et les animaux semblent se fondre dans un flottement ouaté de fin de journée, lorsque le bruit assourdissant de la rivière en crue recouvre cette parcelle d’ authenticité égarée et retrouvée. Le vent lui renvoie la sensation éprouvée il y a longtemps face à une ruine recouverte de tuiles brisées : souffle de printemps tardif, instant qui lui sera restitué autre part, pourvu d’ un autre souffle aux contours entrelacés. Elle se rappelle un dimanche, à la tombée du jour, la halte qu’ ils firent face à l’ arbre solitaire où il comprit si bien le sens de la purification symbolisée par l’ arbre incliné au-dessus du précipice. Il ne s’ agissait


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nivaria tejera

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pas d’ une quête ascétique, esthétique, d’ une expression de la volonté, ce qui eût encore été une autre manifestation du moi, mais du besoin vital de disjoindre la spontanéité du réel afin de s’ affranchir, en quelque sorte, du faix de l’ imagination, de son interprétation abusive, se limitant à une approche des choses qui composent l’ univers silencieux des mondes concrets. Mondes concrets dans lesquels il essaie de reconnaître sa voix emplie de duplicité, l’ incohérence de ses messages, l’ émanation qui les suscite. « Alors si l’ on ne fait qu’ un avec l’ arbre on peut voir le silence chasser le vent sur la paroi déserte. »

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« Bientôt – eût-elle aimé lui dire sans l’ aide des mots – nous serons l’ espace et le vent… bientôt nous serons la pierre et le pas, l’ écume et le sable. Et au crépuscule, au cours de l’ immense dîner, à cette heure où l’ esprit se referme sur soi, où les objets choient dans l’ insonorité, où les corps flottent, dispersés, nous serons l’ iris de la pénombre et le cristal de la nuit suspendus au-dessus de ces deux villes minuscules échouées sur les rives des yeux. » Alors, à travers la lucarne du grenier, ses mains répandraient des caresses depuis les cordes d’ argent de la guitare…


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