Nourrir la terre par Daniel Baertschi

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MANIFESTE POUR UNE AGRICULTURE RÉGÉNÉRATRICE

DANIEL BAERTSCHI

Daniel Baertschi

Nourrir la terre

Manifeste pour une agriculture régénératrice

Table des matières

Avant-propos ................................................... 13 Introduction ...................................................... 17 Chapitre Un – Un système alimentaire non viable ? Comment tout a commencé ................................. 21 L’agriculture pour la vie ......................................... 23 Dans l’impasse ..................................................... 27
Deux – Plus que durable : l’agriculture régénératrice Les principes sont plus importants que les définitions .. 34 Effet positif sur le climat ......................................... 38 Le sol : la ressource la plus précieuse ........................ 39 Les animaux protègent la Terre ............................... 42 Un sol sain, une alimentation saine, des personnes saines . 44 Économie régénératrice, société régénératrice ........ 47
Trois – Du champ à l’assiette : rendre l’économie agricole régénératrice De la vision à la mise en œuvre pratique .................. 50 La voie de l’avenir ................................................ 52 Repenser la formation, le conseil et la recherche ...... 55
Chapitre
Chapitre
Développer et investir dans l’exploitation agricole de manière régénératrice .......................................... 62 Faire un usage judicieux de la numérisation .............. 65 Un système de commerce régénérateur .................. 67 Faire le meilleur usage des ressources naturelles ........ 70 Politique agricole et structures ................................ 71 Transparence et contrôle ...................................... 75 Des nutriments au lieu des calories .......................... 77 Conclusion........................................................ 81

Pour ma femme Kathrin, qui m’encourage et me soutient constamment.

Pour mes parents, qui m’ont tracé le chemin.

Pour mes enfants, qui sont passionnés par la nature.

« Les bons agriculteurs qui prennent au sérieux leurs devoirs de gardiens de la création et d’héritiers de leurs terres contribuent davantage au bien-être de la société que celle-ci ne le reconnaît généralement ou même ne le sait. Ces agriculteurs produisent des biens naturels de valeur, mais ils protègent également le sol, ils conservent l’eau, ils protègent la faune et la flore, ils conservent les terrains ouverts, ils entretiennent le paysage. »

(Wendell Berry, 2009, Bringing it to the Table: On Farming and Good)

Wendell Berry est un essayiste, poète, romancier, militant écologiste, critique culturel et agriculteur américain. Il vit et travaille avec sa femme Tanya dans la ferme qu’ils partagent à Port Royal, dans le Kentucky (États-Unis).

Avant-propos

Le fait que vous lisiez ce livre montre une chose : la nourriture a une signification pour vous. Bien sûr, nous mangeons tous pour pouvoir vivre. Cependant tout le monde ne se demande pas ce qu’il faut faire, quels efforts sont nécessaires pour mettre de la nourriture dans son assiette. Le sujet est trop complexe, les processus trop opaques. Le nombre incroyable de marques, de labels et la quantité presque infinie de produits sur les étagères des magasins sont souvent déroutants.

Manger implique bien plus que le simple apport de calories et de nutriments. Il s’agit d’un plaisir, d’un lien profond avec notre culture, de moments de partages et de rencontres. Manger fait partie de notre identité et tient une place importante dans notre vie.

Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous disposent de nourriture en abondance et ne font jamais l’expérience réelle de la faim. Nous sommes confrontés au défi de choisir ce qui nous convient le mieux parmi une gamme débordante de produits et de les consommer avec modération. Cela est tout sauf évident. Ce n’est qu’en utilisant soigneusement la nature qu’il est possible de manger en harmonie avec notre planète.

Notre terre et notre sol sont à l’origine de notre alimentation, malgré tous les progrès techniques. En réalité, la terre produit assez de nourriture pour tout le monde si elle est bien utilisée et si nous mangeons de façon équilibrée, en quantité raisonnable, et surtout des plantes. Un sol sain constitue donc la base de plantes saines, d’animaux sains – et de personnes saines.

Dans le monde entier, on assiste à une diminution alarmante des terres agricoles disponibles. L’érosion et la désertification augmentent de façon

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spectaculaire. Les sécheresses et les inondations détruisent chaque année des millions de tonnes de nourriture dans les champs. Les guerres et les conflits chassent les familles d’agriculteurs de leurs terres.

Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? L’agriculture régénératrice peut-elle être une solution ? Au fil de votre lecture, vous verrez qu’un changement est nécessaire, et que chacun peut y contribuer. Après avoir refermé ce livre, vous serez en mesure de faire de meilleurs choix quant au contenu de votre assiette. Notre santé dépend de nos choix personnels, ainsi que de la santé de notre planète.

Guérissons notre terre en mangeant sainement !

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Introduction

Depuis des dizaines d’années, je me demande à quoi ressemblerait une agriculture qui utiliserait avec sagesse les ressources naturelles et les conditions propres à chaque lieu, et qui produirait des aliments en harmonie avec la nature. Ayant grandi dans une ferme biologique pionnière de l’Emmental, en Suisse, j’ai fait l’expérience directe et immédiate, dès l’enfance, de la complexité et de l’exigence de l’agriculture pour répondre à cette question.

À la suite d’une expérience personnelle traumatisante, mes parents ont converti la ferme familiale à l’agriculture biologique au début des années 1970, à une époque où l’agriculture s’intensifiait à grande vitesse. Un voisin a utilisé un pesticide chimique autorisé contre le capricorne des maisons dans la charpente de sa ferme. Le produit a été pulvérisé sur les poutres du toit –directement au-dessus du stockage du foin. Manifestement, une partie du produit s’est retrouvée sur le foin, puis dans l’estomac des vaches, et enfin dans le lait. Ce fermier fournissait la laiterie du village, qui produisait de l’Emmental, un très bon fromage qui était même exporté aux États-Unis. Un jour, les autorités sanitaires américaines ont confisqué le fromage et détruit toute la livraison. Un conteneur rempli d’Emmental a été jeté, car il s’est avéré qu’il contenait des résidus de cet agent chimique. La cause a été rapidement trouvée et l’agriculteur concerné a dû verser son lait dans la fosse à purin pendant un an avant d’être autorisé à livrer à nouveau la fromagerie. Cet incident a incité mes parents à porter un regard critique sur les bienfaits du progrès technico-chimique.

Façonné par mes parents ainsi que par mes propres expériences, je me suis préoccupé très jeune de savoir à quoi pourrait ressembler une agriculture et

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un système alimentaire sains. En travaillant dans les champs et les étables, j’ai essayé de le faire de manière pratique. J’ai bénéficié d’une alimentation de qualité grâce aux nombreux produits de notre ferme. Je considère comme un privilège d’avoir grandi en mangeant des aliments biologiques. La salade fraîchement récoltée sur la table, la viande et le lait de nos propres animaux, les légumes dans toutes leurs variétés, les conserves et le cidre doux de la cave – tout cela était naturel, normal et évident pour moi.

Toutes les discussions au sujet de l’agriculture biologique autour de la table familiale, dans les champs et dans l’étable sont des souvenirs inoubliables.

En tant qu’enfant et adolescent, on veut suivre son propre chemin et se faire sa propre opinion, ce que j’ai fait. J’ai donc appris à devenir agriculteur, j’ai étudié l’économie agricole. J’ai travaillé comme consultant et manager en Suisse et d’autres pays dans de nombreux domaines, la coopération au développement, la sécurité au travail, la gestion d’un musée de la nature, jusqu’à la création de ma propre entreprise de conseil. Je me suis préoccupé d’alimentation saine et de son lien avec la protection du climat, et pendant huit ans j’ai été directeur de Bio Suisse, l’organisation mère de l’agriculture biologique suisse. Mon souhait était et est toujours, que les gens apprécient la nature, et l’utilisent de manière responsable. Nous ne sommes pas propriétaires de la terre, du sol, de la nature ; nous n’en sommes que les gardiens.

Mon chemin vers l’agriculture régénératrice a pris un nouvel élan il y a quelques années lorsque j’ai quitté mon poste de directeur général de Bio Suisse et que je me suis engagé sur une voie allant au-delà du bio. J’ai été inspiré par de nombreuses personnes, en particulier par l’auteur, agriculteur et philosophe américain Wendell Berry et les agriculteurs régénérateurs et leaders d’opinion

Joel Salatin, Gabe Brown, Allan Savory, Charles Massy, David Montgomery, Tony Rinaudo, Allen Williams et d’autres. J’ai également été encouragé sur ce chemin par des films tels que Tout est possible (The biggest little farm), Polyfaces, Kiss the Ground, Sacred Cow, pour n’en citer que quelques-uns.

Au cours de ma vie professionnelle je me suis intéressé à l’agriculture conventionnelle, qui poursuit son chemin en ayant la prétention de contrôler

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la nature et de l’influencer à notre avantage au moyen de toutes sortes d’outils – avec l’objectif unilatéral de rendements élevés. Je n’oublierai jamais ce jour de ma formation d’agriculteur dans une grande exploitation de Suisse romande, lorsque j’ai enfilé pour la première fois un équipement de protection avec masque et combinaison, que j’ai parcouru le champ de pommes de terre avec un pulvérisateur et que j’ai appliqué un herbicide efficace contre toutes les mauvaises herbes. Le résultat de cette opération fut un champ libre de toute végétation – sauf les pommes de terre. L’idée qu’après la récolte il subsisterait des résidus de ce désherbant dans le sol et dans les pommes de terre a un peu refroidi le plaisir de la récolte six mois plus tard.

Entre-temps, j’ai visité des exploitations agricoles dans plus de 50 pays, j’ai appris à connaître toutes les formes de production possibles – et impossibles – et j’ai souvent rencontré des personnes qui travaillent dur et qui cultivent leur terre avec des outils très simples. Ces agriculteurs utilisent le sol comme moyen de subsistance avec cœur et âme, mais sont fortement dépendants d’une agro-industrie extrêmement puissante et d’une politique agricole mal avisée ou aveugle. Dans de nombreux endroits, j’ai observé une perturbation massive du sol et de l’environnement, une dégradation de la vie des animaux et une exploitation des travailleurs. La rencontre avec de petits agriculteurs de l’État indien de l’Uttar Pradesh a été dramatique pour moi. Dans cet État, des familles d’agriculteurs se sont endettées pour acheter des semences « modernes », vendues avec leurs pesticides et engrais, qui étaient censés leur apporter un rendement supplémentaire. Lorsque la sécheresse a frappé, les prêts ne pouvaient plus être remboursés. Beaucoup ont alors choisi le suicide comme moyen de s’en sortir. Avec quoi ont-ils fait ça ? Avec les pesticides achetés à crédit !

Pourquoi avons-nous laissé les choses aller si loin, malgré la science et la technologie ? Quelles sont les causes sous-jacentes de l’exploitation abusive de la nature ? Pourquoi sommes-nous incapables de produire nos aliments en harmonie avec la nature ? Pourquoi n’y a-t-il pas assez de nourriture pour tout le monde ? Je pense que nous nous posons tous des questions, sous une forme ou une autre.

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Une autre agriculture est envisageable, elle est même nécessaire, qui aura un effet positif pour nos enfants et petits-enfants. Nous devons commencer par comprendre et respecter la nature en profondeur et, à partir de là, trouver une forme de production qui soit adaptée à chaque lieu. Il s’agit de réformer le commerce et la consommation, de renforcer la création de valeur ajoutée locale et d’adopter des politiques agricoles sages. Tout cela a pour objectif de permettre aux gens de mener une vie meilleure grâce à une alimentation saine.

Il n’existe pas de formule magique qu’il suffirait de sortir d’un tiroir pour résoudre tous les problèmes, et la solution ne consiste pas non plus dans l’une application schématique de normes et de lignes directrices. Il s’agit plutôt de mettre en œuvre des principes clairs établis par la nature. Nous, les humains, avons la noble tâche de prendre notre rôle d’intendants compétents de la planète Terre au sérieux, avec l’humilité et le respect dus à cette merveilleuse création. Cela inclut l’estime pour le travail des agriculteurs et agricultrices. Ce sont eux qui sont à l’origine de notre nourriture, et ils ont la possibilité de changer la face du monde grâce à leur travail.

Il appartient à chacun – agriculteurs, consommateurs, entreprises de commerce et de transformation, politiques, groupements et organisations – de façonner un avenir digne d’être vécu pour nos enfants et petits-enfants. Cette voie n’est pas nouvelle, ni radicale, ni coûteuse ; cette voie est bonne pour les personnes, les animaux et l’environnement – elle est bonne pour tous et pour tout !

Le chemin mène – si nous le suivons jusqu’au bout – à une agriculture plus que durable, à savoir une agriculture régénératrice. Pourtant tout n’a pas besoin d’être inventé, on peut combiner des connaissances anciennes avec des innovations scientifiques récentes, comprendre et tirer parti de la nature sous un angle différent, emprunter courageusement des chemins inexplorés et passer du statut de connaisseur à celui d’apprenant – tout au long de la vie et dans la joie.

Embarquons ensemble sur la voie de l’agriculture régénératrice ! Partons pour un voyage de découverte des principes et des effets simples et efficaces de cette forme ancienne et pourtant nouvelle d’une agriculture « plus que durable ».

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