"Je suis ici" - 5

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Pendant quatre mois, nous avons retrouvé chaque semaine des étudiant.e.s en Français Langue Étrangère à l’Université d’Amiens. Réparti.e.s selon leur niveau en deux groupes, ils/elles sont originaires de plusieurs pays sur différents continents : Afrique, Asie, Amérique du Sud et Europe. Certain.e.s se sont exilé.e.s seul.e.s, la plupart sont venus en France avec leur famille. Le travail a commencé par un atelier de pratique théâtrale avec Denis lachaud : « je me suis efforcé de donner aux participant.e.s confiance en leur propre parole, quelles que soient les difficultés rencontrées pour s’exprimer. J’ai ensuite réorienté la forme de nos sessions en simples conversations, assis.e.s autour d’une grande table, après que j’ai mesuré le désir, le besoin de parler, de trouver un cadre dans lequel s’exprimer en français, de mettre à l’épreuve une nécessaire pratique, sans la peur de se tromper, d’être mal compris, avec du temps pour se corriger, poser des questions relatives à la compréhension ou la grammaire, expliquer. Le climat de grande confiance qui s’est peu à peu installé a permis à chacun.e de confier quelques aspects de sa vie en exil. » Valérie Debure et Joséphine Herbelin ont animé des séances de discussion avec les étudiant.e.s, axées sur les souvenirs du pays et principalement de leurs premiers amours. Les histoires, dessinées en aparté, leur étaient restituées au fil des séances créant un jeu d’échange de paroles contre dessins. Et de ces premiers amours, toutes sortes de débats d’idées ont surgi sur les cultures des quatres coins du monde. Nous tenons à remercier tou.te.s les participant.e.s pour la chaleur, la générosité et la bienveillance avec lesquelles ils/elles se sont confié.e.s et écouté.e.s. Denis Lachaud / Valérie Debure et Joséphine Herbelin

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En exil

Conversations avec les étudiant.e.s de Français Langue Étrangère à l’université d’Amiens La guerre est en moi. Toujours. À côté de moi. En moi et à côté de moi. Les deux. La guerre continue pour ma famille, mes amis. La guerre, je la mets dans une boîte, à l’intérieur de moi. Je la contrôle. Parfois. Pas toujours. Je suis né en 1969. Quand je suis né, l’Irak était en guerre et l’Irak est toujours en guerre, jusqu’aujourd’hui. On quitte son pays, on se sépare de son ancienne vie comme si on mourait. La nouvelle vie, c’est comme une réincarnation. On gagne sa liberté, ce n’est pas chose facile, ça coûte très cher. Il faut recommencer au niveau zéro et monter. Tristesse, culpabilité, nostalgie. On se souvient de tout ce qui nous manque aujourd’hui. On a cherché la paix et la sécurité pour nos enfants mais ici, ils n’ont pas de grand-mère, pas de cousins, pas de tantes... On a peur pour notre famille, ceux qui sont restés dans notre pays d’origine. On a deux vies : la vie actuelle et l’autre vie, avec notre famille. Dans mon pays, j’ai des racines, des branches et des fruits. Maintenant je dois vivre sur une seule racine. Très petite. Mon comportement a changé, de façon générale. L’exil a modifié mon caractère, ma façon de comprendre les autres. Quitter mon pays, c’était déjà énorme. Je ne savais pas ce qui m’attendait. C’est une expérience. Il y a du positif, du négatif. Je ne regrette rien de ce que j’ai vécu. L’intégration est difficile. Il faut faire deux fois plus d’efforts. On n’a pas d’histoire ici. Je suis sorti de mon pays pour trois raisons : connaître d’autres pays, m’informer, chercher un travail. Ici, quand on est formé, il y a pas mal de possibilités. Je cherche des niches que personne n’a trouvées. Si je suis venu, il faut que j’apprenne comment ça

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fonctionne. Il faut parler la langue, trouver un travail, gagner de l’argent. J’apprends en regardant, en faisant des connaissances. Après dix ans, j’ai perdu la peur. Aujourd’hui, la France, c’est mon pays. J’ai une double chance, une double famille. Avant, j’avais beaucoup de travail, il y avait beaucoup d’action dans ma vie. Maintenant non. Juste un foyer et l’apprentissage de la langue française. Tous les jours, je cherche où je peux apprendre un peu plus la langue. Tous les jours se ressemblent, c’est très difficile pour moi. Je suis perdue. L’exil, c’est comme une boîte. On essaie d’en sortir. Quand on parle avec les Français, il y a une plaque de verre entre nous. Le masque social est différent. C’est difficile de savoir ce que les Français ressentent. En Syrie, on est plus direct pour montrer ses émotions. Les Français de mon entourage me disent que nous ne parlons pas assez. On a peur du malentendu, on ne sait pas encore s’exprimer. La langue, ce n’est pas seulement le vocabulaire et la grammaire. C’est le cerveau de la société. En apprenant la langue, nous entrons dans le cerveau de la société française. C’est une expérience nouvelle. Je regrette toujours quand je n’arrive pas à exprimer ce que j’ai dans la tête. Quand je suis en colère par exemple, et que je n’arrive pas à discuter. J’ai peur de répondre au téléphone. Si la personne parle trop vite, que je ne comprends pas tout ce qu’elle dit, que je dois prendre une décision... Je n’ai pas beaucoup de choses dans ma vie. Je suis jeune. Il faut commencer par aimer la langue. Au Nigeria, j’ai eu des cours de français. Je n’aimais pas ça. Quand je suis arrivée en France, je n’aimais pas le français. Après deux ans, j’ai commencé à m’y intéresser. Je vieillis chaque jour, je veux faire des choses, je dois progresser en français. Il faut continuer jusqu’à la fin. Il faut de la confiance, de la persévérance. J’ai attendu quatre ans pour faire des phrases en français. Pour me lancer dans l’apprentissage. Pour prendre des cours. C’est un sujet lourd pour moi. Au début, quelqu’un a dit « à tes souhaits ». J’ai compris « Tais-toi ». j’ai voulu le répéter, alors quand quelqu’un a éternué, j’ai dit « tais-toi ! » En Amérique du sud on touche les gens quand on parle. Ici, non. Je ne connais pas encore la musique du français. Je ne sais pas quand monter, quand descendre. Je parle comme une machine. J’adore apprendre la langue française. Je suis très content de trouver asile en France. Je regarde un film tous les soirs avant de dormir. La nuit, dans mes rêves, je parle mieux français que le jour.

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La société française est très mélangée, je trouve ça très riche. À mon avis, la clef c’est la communication. Apprendre la langue. C’est la première étape. Au début, toute notre concentration était mobilisée par les papiers administratifs. Puis par la langue. Maintenant, elle va sur la recherche d’un travail. Nous sommes dans un circuit normal de vie. Quand je suis arrivé en France, j’étais joyeux de retrouver ma sœur. Quand je suis arrivé, j’ai vu les routes, la technologie. Je comparais avec mon pays. J’étais jaloux. Je voulais voir mon pays comme ça. Ici, les gens sont optimistes. Ils rient beaucoup. Je vois des gens souriants. Mon mari est plus optimiste que moi. Il essaye de maintenir l’optimisme dans notre famille. Nous avons besoin d’être optimistes. Nous sommes optimistes, au fond, c’est pour ça que nous sommes ici. On a pas d’autre choix. Nous sommes optimistes pour le futur. Quand tombe la neige, je suis heureux. Je vis dans une communauté petite mais agréable. Il y a de la chaleur, de la communication. Ce n’est pas monochrome. Au début, tout me choquait. La première semaine a été difficile. Le premier mois, la première année. Après un an c’est plus facile au quotidien, mais spirituellement, c’est plus difficile. Le premier mois je n’ai pas parlé. J’avais trop peur, j’étais trop stressée. Je dis bonjour, on ne me répond pas, je dis bonjour on ne me répond pas, je dis bonjour, on ne me répond pas, je passe sans dire bonjour. 80% des Français sont gentils. 80% c’est beaucoup. Ça dépend où tu vis. Moi je vis chez les 20%. On a la chance d’avoir des amis français qui nous aident beaucoup, c’est comme notre famille, ils sont comme nos parents. Pour nous, c’est un grand soutien. Vous habitez dans la France des 80%. La société française, c’est comme partout. On trouve de tout. En France, ce n’est pas assez bien organisé pour que les étrangers apprennent le français. Une formation par ci, une formation par là... Quelques heures... Des jours sans rien... C’est décourageant. On perd du temps. En Allemagne, ils apprennent la langue en un an et ensuite ils vont travailler. En France, il y a beaucoup de familles avec une mère et des enfants. Sans père. Beaucoup de séparations. La famille en France est une petite unité. Chez nous, c’est plus grand. Chez nous, la famille, c’est plus de cent personnes. C’est une chose positive et négative en même temps. Chez nous, on ne laisse pas mourir les vieux tout seuls. Mais ça pose aussi beaucoup de problèmes. Les vacances, c’est sacré en France. Tout le monde aime les vacances. Il y a beaucoup plus de vacances en France que dans mon pays. C’est dans la loi, les congés payés.

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Les vacances, c’est une bonne chose pour la santé psychologique. On a été en vacances en Bretagne. C’était magnifique. Je suis allé au Mont Saint-Michel. Génial. C’est important les vacances. Sinon, tu ne peux pas continuer. On n’a pas de travail, on est toujours en vacances. Il faut de l’argent pour partir en vacances. Si on n’a pas de travail, on n’a pas d’argent. Si on n’a pas d’argent, pas de vacances. La CAF donne de l’argent pour payer les vacances. Mais pour une famille, ça ne suffit pas. On ne part pas. Les Champs Elysées, c’est pas magique, pas comme je les avais imaginés. Il y a beaucoup de partis. À droite, à gauche... Tout le monde a son opinion. Parfois, le train est annulé à la dernière minute. Je paye trop d’argent de péage. Il y a un nombre important de personnes qui prennent de la drogue. J’ai été surpris quand j’ai vu les sans-abris. énormément Surtout à Paris. C’est bizarre. C’est la France, quand-même. Ça m’est arrivé de rester deux ou trois jours dans la rue. Je n’ai pas honte de le dire. Je ne pensais pas connaître ce type d’expérience, la rue en plein hiver. Quand la neige arrive, il fait très froid. La Sécurité Sociale est basée sur des idées communistes. C’était pareil en Russie. Ma mère me l’a raconté. Ça a disparu avec la chute de l’URSS. La médecine n’est plus gratuite. L’enseignement non plus. Je n’ai pas payé l’université mais c’était déjà rare de pouvoir en bénéficier. Aujourd’hui, c’est payant pour tous. Je pensais que ce système n’avait existé qu’en Russie. Et je l’ai trouvé en France. En Irak, il y avait une Sécurité sociale jusqu’à la guerre de 2003. En Syrie, il existe un système de santé gratuit. Il est très mauvais. En Syrie, il faut travailler jusqu’à la mort. La Sécurité Sociale française, c’est l’équivalent du Zakat, un des piliers de l’Islam, qui oblige à redistribuer une partie de son argent quand on en a. Avant, le Zakat était obligatoire. Aujourd’hui, la Sécurité Sociale française est plus efficace que le Zakat. C’est très bien pour la fraternité de la société. Si je suis malade, je peux aller à l’hôpital, c’est facile. En Syrie, soit vous payez cher, soit vous attendez longtemps. Mon grandpère avait un grave problème cardiaque. Il a dû attendre l’opération plus de deux ans. Ici les gens ont un chien. Ils le sortent, ils le promènent. Chez nous, les chiens gardent la ferme. Dans mon pays on les chasse à coups de pied. Le chien domestique, ce n’est pas une chose habituelle.

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Chez nous, c’est plus le chat, l’animal domestique. J’ai peur des chiens. Dans mon pays, le mauvais animal, c’est le chat. J’ai un problème avec les chiens dans la ville. Dans le village, c’est pas grave. J’habite à Balzac. Dans ma tour, il y a 90 appartements, il y a 75 chiens. Ça sent mauvais dans l’ascenseur. Les Français n’apprécient pas les compétences des étrangers. Je suis parodontiste, j’ai 25 ans d’expérience et je ne peux pas exercer, alors qu’il n’y en a qu’un seul dans toute la Picardie. C’est très compliqué d’obtenir des équivalences. Moi je suis gynécologue, mais je reste à la maison. J’ai beaucoup d’énergie, mais je n’ai pas le droit de l’utiliser. En France, les diplômes qui ne viennent pas de pays développés sont jugés faux. On a besoin d’un chemin pour étudier, travailler. Quand je suis arrivé en France, j’ai attendu un an avant de pouvoir m’entretenir avec le juge. À mon avis, l’administratif fonctionne bien en France, tu peux tout faire par internet en télé-procédures, mais c’est la bureaucratie qui est longue. C’est autre chose. Tout dépend de la personne qui s’occupe de ton dossier. Et aussi de la ville où tu le déposes. Je n’imagine pas la France sans papiers administratifs. Les demandes administratives sont souvent bizarres. Il y a beaucoup de rendez-vous administratifs inutiles. Il n’y a aucun conseil pour savoir comment les satisfaire. Vous devez savoir parler français, sinon c’est compliqué. Tout est très long. Il y a beaucoup d’erreurs. On recopie mal ton nom, ton prénom. Moi, j’ai une stratégie. Quand je vais à la préfecture, j’emporte tous les papiers possibles. Parce qu’en plus des listes de papiers demandés, on te dit qu’il manque ceci ou cela. Alors je sors de mon sac le papier réclamé au dernier moment et je repars avec ce que je suis venu chercher. Dans les pays arabes, il n’y a pas de stratégie. C’est comme si on vivait dans une grande forêt. Nous n’avons pas assez de conscience sociale. Nous les Arabes, nous pensons trop au passé. Nous n’avons pas de vision du futur. Ceux qui ont une vision sont écartés par la société et les politiques. En France, il y a une instabilité dans les relations, ici. Je discute avec une femme, on rit ensemble et quelques jours plus tard je la rencontre à nouveau, je lui dis bonjour,

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elle me regarde bizarrement, elle ne veut pas me parler. Ma fille me dit qu’elle vit ça, elle aussi, à l’école. Il y a une culture policière. Dans la rue, tu parles avec quelqu’un, tout le monde t’écoute. Comme un policier qui fait une enquête. Et souvent, les gens entrent dans la conversation. Je me demande ce qui a bien pu se passer avant pour que ce soit comme ça... Ici, il y a une vigilance. Rien à voir avec la surveillance chez nous. Les Syriens voient un policier, ils ont peur. Même en France. Ça reste. Il y en a qui sont venus pour surveiller les autres. C’est l’héritage de Staline. Je n’aime pas avoir de problèmes avec la police. À Alep, nous faisions toujours des manifestations sur la place de la justice pour demander la liberté et l’égalité. Je m’intéresse à la laïcité en France. En Iran, nous avons beaucoup de problèmes pour séparer religion et politique. Dans notre pays, il y a un mélange de civilisations. Ce qui n’est pas normal, c’est quand on peint la société d’une seule couleur. Je n’aime pas chanter, à cause des événements en Syrie. Je n’imagine pas vivre en France s’il n’y a pas de guerre dans mon pays. Il parle comme ça parce qu’il n’est pas marié. J’ai 4 enfants, ils vont à l’école en France. Même si je retournais en Syrie, ils ne pourraient plus me suivre. L’école, c’est magnifique. La structure, l’environnement. Si l’enfant a un problème, la maîtresse appelle les parents. J’aime jouer au football le week-end. Jouer, c’est bon pour la santé. Le sport, c’est nécessaire pour tout le monde. Dans les sports collectifs, on peut communiquer. J’ai fait dix ans de ninjutsu en Iran. J’ai été entraîneur. Ici je ne peux pas pratiquer. Il n’y a pas de club à Amiens. Pour les enfants, c’est plus facile de s’adapter. Ce qui est difficile pour eux, c’est de trouver un équilibre entre notre culture et la culture française. C’est beaucoup de travail pour les parents, quand on ne veut pas que notre culture disparaisse. Parler ne suffit pas. Tous les gestes du quotidien comptent. Mes filles refusent de parler français à la maison. Elles ne veulent pas oublier leur langue. Ma fille a 5 ans, elle ne veut pas parler français avec nous, seulement arabe. Elle dit que le français c’est pour l’école. Quand on va à une fête chez des Français, je l’observe de loin. Je l’entends parler français parfaitement. C’est très surprenant pour moi. Nous aimerions parler français avec nos enfants, ça nous serait utile. Eux, ils ne veulent pas. Ça ne leur sert à rien.

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Ma fille de 14 ans commence à oublier la grammaire arabe. Elle a besoin de rattrapage. J’imagine que ma fille, si elle retourne en Irak, aura une personnalité différente de celle qu’elle a ici, mais aussi différente de celle des Irakiennes. J’ai une amie qui vit en Irlande depuis 1994. Elle n’est plus tout à fait Irakienne. Elle est aussi Irlandaise. C’est ce qu’elle dit. Pour moi, l’exil, c’est une opportunité. Il y a des obstacles, des barrières, mais à partir du moment où j’ai décidé de quitter mon pays, je ne peux plus lâcher. Ma fille a six ans. Le soir, elle veut que je lui raconte une histoire. Puis une autre histoire. Puis elle veut boire, aller aux toilettes. Elle ne veut pas dormir. Elle refuse qu’on ferme sa porte. Parfois elle se lève vers minuit et si j’ai fermé sa porte, elle la rouvre et elle me demande pourquoi je l’ai fermée. Mon fils de 18 mois ne s’endort pas avant 11 heures, minuit. Si on essaie de le forcer à dormir, il pleure. Souvent, le matin, je retrouve mes trois enfants autour de nous, dans notre lit. Ma fille a quitté la Syrie à deux ans et demie. Elle se souvient de tout. Il est vrai que je raconte souvent comment était notre vie en Syrie. Elle a ses propres souvenirs et elle s’imprègne de mes histoires. Elle les transforme en souvenirs. Quand ma femme était petite, elle n’est jamais allée à la crèche. Sa mère était assistante sociale. Elle ne voulait pas l’amener à la crèche. Elle avait vu des maîtresses mal se conduire avec des enfants. À cet âge-là, les enfants ne peuvent pas parler. Ils ne peuvent pas dire à leur parents qu’on les tape, qu’on les maltraite. C’est différent à l’école primaire et au lycée. Le plus important, c’est le présent. Je me concentre sur le présent, pas le passé. Il faut garder l’enfant en chaque personne. Mon devoir, c’est de rester connecté à mon enfance. Regarder les enfants grandir, c’est magnifique. Ils doivent être intouchables. Quand je vois les enfants, j’oublie la fatigue, les malheurs, je suis contente. J’ai de l’espoir pour les enfants. Ils apprennent quelque chose, ils n’oublient pas. C’est gravé dans la pierre. Nous remplissons leur mémoire comme nous remplissons la mémoire des ordinateurs. J’aime jouer avec les enfants et leur apporter du bonheur. Ils ont de l’énergie à revendre.Ils sont spontanés. Ça me fascine. Ça m’entraîne dans leur monde. Les enfants sont toute ma vie. Quand mes enfants sont nés, ils m’ont m’ont donné la force de travailler et de penser à demain. On a bien profité de notre enfance. L’école, en Irak, c’est de 8h à 13h, c’est tout. Une fois adultes, nous imaginons que l’enfance, c’est l’âge d’or. Rester tranquille, sans responsabilités. Mais c’est l’âge de la transformation. On oublie ce qui a été difficile. Enfant, j’avais beaucoup d’énergie. Je sautais partout, je ne tenais pas en place. Jusqu’à

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la nuit. Puis je m’effondrais, épuisée. Je m’endormais. Je pensais que la nuit durait cinq minutes. Aujourd’hui les enfants n’ont pas d’énergie parce qu’ils passent toute la journée à l’école. Quand ils rentrent, ils sont fatigués. Le portable, c’est la crise de notre époque. Les enfants passent des heures dessus, c’est très difficile de les en éloigner. C’est impossible. C’est possible, mais c’est difficile. Il faut leur proposer autre chose à la place. Des activités physiques, sortir, se promener... Les enfants ont besoin d’aller à l’école pour construire le futur. La civilisation contemporaine n’est pas très mature. La transformation de l’enfant à l’adulte est trop rapide. Alors les adultes sont immatures. La maturité est une valeur, on ne la respecte pas aujourd’hui. Les enfants ont besoin d’amour, de jouer, d’être gardé, de toutes choses. C’est fatigant pour les parents. Les enfants sont le futur, parce qu’ils suivent le chemin de la famille. Si les parents parlent honnêtement, les enfants n’ont pas besoin du mensonge. Les parents sont les murs de la maison. Mes parents me donnent de l’espérance. Ils m’ont donné la force. Ils sont tout dans ma vie. Ils sont mes bons souvenirs. Les parents nous donnent de la tendresse sans compter. Il n’y a pas de mots dans le monde pour décrire mes parents. Mon père et ma mère sont mes modèles. Ils n’hésitent pas à se sacrifier pour leur famille. Si notre père meurt en prison, je serai triste. Il est très vieux, il a 94 ans. Le respect c’est important. Dans notre culture, il faut respecter les anciens, les professeurs, les femmes, les femmes enceintes, les malades, les handicapés. Le respect, c’est la première étape pour communiquer avec les autres. C’est important d’apprendre, pour la vie, pour construire la société, la civilisation. Dans la religion musulmane, on doit apprendre de la naissance à la mort. J’adore les chansons françaises. Le premier chanteur français que j’ai connu, c’est Jean Ferrat. Les chanteurs français que je préfère sont d’origine étrangère. Oui. Il y a plus de sentiment dans leur voix. Charles Aznavour... La relation avec la peinture française a commencé quand j’étais enfant. À 23 ans, j’ai découvert les impressionnistes. J’adore les impressionnistes. Depuis longtemps. Je vois encore leurs couleurs dans la nature, en France. Ça me rend euphorique. Puis j’ai découvert le dadaïsme, le surréalisme. Pour moi, la France est le pays de la peinture. Les Français ont une éducation visuelle très spécifique. Les artistes ont un esprit plus ouvert. Je suis dentiste, je ne suis pas artiste. Les artistes sont plus gentils que les dentistes. L’art est le mur derrière lequel se cachent les sensations que ne voient pas les gens. L’art reflète la culture du pays.

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Il y a de la magie dans l’art. L’art peut te faire oublier tes problèmes. L’art est juste une activité. L’art est une expression variée des activités humaines dans la création d’œuvres visuelles ou auditives ou de performances de mouvement pour exprimer les idées créatives ou conceptuelles artistiques de l’auteur et destinées à être appréciées pour leur beauté. La culture de la lecture n’existe pas dans mon pays. Je pense que c’est à cause d’un problème économique. Dans 5 ans, je vais continuer mes études, puis je veux travailler. J’espère que je maîtriserai la langue, après je prendrai la nationalité française et je créerai un restaurant syrien. Je continuerai à apprendre le français, puis je ferai un an de droit et je m’inscrirai au barreau. Je serai reparti vers mon pays, si Dieu veut, je me marierai. Je ferai un master en informatique. Je continuerai mes études de comptabilité puis je travaillerai comme comptable. J’aimerais trouver un travail comme agriculteur. Je serai professeure de mathématiques dans un collège. Je ferai des études d’informatique puis je créerai en Afrique une entreprise technologique comme la NASA. Dans 20 ans, j’aurai des enfants, j’achèterai une maison, je veux avoir une grande famille, je veux faire beaucoup d’enfants, mes enfants seront grands, je travaillerai à la ferme, j’espère que je retrouverai ma famille, je finirai de travailler, je réaliserai peutêtre quelque chose de grand, je retournerai dans ma patrie, la Syrie, je participerai à la justice, je défendrai les victimes des crimes, je reconstruirai la Syrie, j’espère l’égalité dans mon pays, j’ouvrirai un hôpital en Ethiopie, je souhaite que le travail soit fait par des robots, je veux partir en Afrique en TGV, j’unifierai les pays arabes en un seul, je respirerai sous l’eau, dans la mer, je construirai une maison dans le ciel, j’aimerais pouvoir voler comme les oiseaux.

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Je suis ici

Ces étudiant·e·s, de tous âges, de toutes formations, viennent d’Afghanistan, Albanie, Équateur, Éthiopie, Géorgie, Irak, Iran, Niger, Nigéria, Palestine, Somalie, Soudan, Syrie, Turquie. Débutant·e·s ou avancé·e·s dans la connaissance du français, ces personnes s’expriment ici, lors d’ateliers de 2 niveaux de connaissance du français (A1 et B2) : • Des images mêlées aux mots et Une journée ordinaire, avec Marie Claude Quignon, plasticienne, Alex Jordan, graphiste et Christophe Baticle, socio-anthropologue, en mai-juin 2019 ; • Un atelier de pratique théâtrale, puis Des conversations en table-ronde avec Denis Lachaud, écrivain, metteur en scène, comédien, de novembre à février 2020 ; • Récits dessinés avec Valérie Debure et Joséphine Herbelin, graphistes, découpages d’une vie à une autre, en octobre, et, en mars 2020, bande dessinée. Puis le confinement dû à la Covid 19 sonne l’arrêt définitif de ce travail. * La Forge (www.laforge.org) est un collectif d’artistes et de scientifiques uni.e.s pour produire des regards partagés, croisés, pour tenter de faire entendre celles et ceux qui sont tu·e·s. Leurs créations sont issues de ce qui advient après un temps long d’échanges répétés. Depuis 2010, La Forge explore la notion d’« Habiter » : • un bord de fleuve, la Somme, Nous sommes ici, puis, • un bord de ville, Amiens-Nord, Hors la République ?, éd. Dumerchez, • Un bord de monde, éd. Helvétius, • en Territoire Nord-Picardie, « Habiter la nature », en cours.

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Nous Travaillons Ensemble.2021

Après avoir travaillé avec des élèves exilés du Lycée professionnel de l’Acheuléen d’Amiens, le collectif La Forge* est intervenu dans le cadre du Programme d’Accueil et de Formation en FLE - Français Langue Étrangère - à destination des réfugiés et demandeurs d’asile, programme de la Direction des Relations Internationales et à sa suite, de la Maison des Langues de l’Université de Picardie Jules Verne.


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