Les 36 méthodes (90 tomes au total)28 sur lesquelles se base notre observation sont dans leur ensemble destinées à de jeunes adolescents, grands adolescents ainsi qu’à des adultes. Les méthodes destinées aux enfants n’ont pas été soumises à l’examen pour la simple raison qu’en République tchèque, le français est plutôt enseigné en tant que deuxième langue étrangère, donc destinée aux élèves à partir de 13 à 16 ans ; la plupart des apprenants des écoles primaires choisissant l’anglais ou l’allemand comme première langue étrangère. C’est la raison pour laquelle les méthodes de FLE à destination des enfants sont quasi absentes des bibliothèques municipales, de celles des alliances françaises ainsi que de l’Institut français de Prague. Du fait de leur rareté dans le paysage éducatif tchèque, leur exclusion de notre observation ne limite alors en rien la pertinence de nos propos.
Comme il a été mentionné précédemment, au cours de notre observation, nous concentrerons, parmi toutes les composantes linguistiques, notre attention sur celles qui concernent l’enseignement/apprentissage de la phonétique et, plus particulièrement, sur les phénomènes prosodiques ; en ajoutant également les paramètres de conformité inhérents aux recommandations du CECRL, car, les méthodes ayant proclamé leur appartenance à celui-ci, leurs auteurs auraient dû s’engager à organiser leurs contenus (linguistique, sociolinguistique et pragmatique) selon les objectifs répertoriés dans ses échelles de compétence.
L’objet de l’observation suit les points suivants :
1) La méthode est-elle conforme aux recommandations du CECRL ?
2) La phonétique est-elle intégrée ou non à l’unité didactique ?
3) Si oui, sur quels éléments (segmentaux ou suprasegmentaux) est mis l’accent ?
4) La méthode utilise-t-elle l’API ?
5) Quels types d’activités de phonétique sont utilisés dans les méthodes ?
Ad 1) La méthode est-elle conforme aux recommandations du CECRL ?
D’après les résultats de notre observation, toutes les méthodes parues après la mise en exercice du CECRL en 2001 en font référence dans leurs avant-propos.
De plus, la majorité d’entre elles affirment préparer l’apprenant aux examens du DELF d’après les niveaux communs de référence (A1 – C2). Nous avons pu observer dans la partie précédente que le CECRL contient une échelle de maîtrise de compétence phonologique qui est vraisemblablement respectée par les auteurs des méthodes (au moins en ce qui concerne les niveaux A1, A2 et B1). En outre, même si les méthodes affirment être conformes au Cadre et ainsi travailler la prononciation, les faits segmentaux ainsi que les effets suprasegmentaux, nous allons constater dans les paragraphes suivants que la place réservée à la phonétique dans ces ouvrages méthodologiques est très réduite.
28 La liste complète des méthodes analysées ainsi que le tableau résumant les phénomènes observés est disponible à la fin de ce chapitre (tableau 2).
Ad 2) La phonétique est-elle intégrée ou non à l’unité didactique ?
Il est intéressant d’observer que la prononciation fait partie des méthodes mais seulement aux niveaux A1, A2 et B1. Dans celles de niveaux supérieurs (dans une certaine mesure car la majorité des méthodes analysées ne dépasse pas le niveau B1), la phonétique est déjà négligée, même si le Cadre détermine des progrès en prononciation jusqu’au niveau C1.
La partie réservée à la phonétique est souvent classée à la fin des leçons ou des unités et, sauf quelques exceptions, n’est pas liée aux autres disciplines linguistiques et aux activités présentées au cours de chaque unité didactique. La place qui lui est réservée est très restreinte. Nous pouvons alors constater que la phonétique est relativement présente dans quasiment chaque méthode de niveau élémentaire ou intermédiaire, mais n’est pas trop élaborée.
Nous pouvons également observer que quelques méthodes font référence à la « théorie phonétique ». Il y est d’abord expliqué théoriquement comment fonctionne le phénomène donné et seulement après, l’apprenant est invité à pratiquer les connaissances acquises en faisant des exercices. Alors si les enseignants du FLE souhaitent que leurs apprenants s’exercent à une prononciation correcte, ils doivent approfondir des informations souvent superficielles en utilisant des livres, des méthodes ainsi que d’autres documents et supports didactiques complémentaires.
Ad 3) Si oui, sur quels éléments (segmentaux ou suprasegmentaux) est mis l’accent ?
Au cours du point précédent, nous avons constaté la faible élaboration de la composante phonétique dans les méthodes de FLE. En majorité, les auteurs de manuels se contentent d’aborder le côté segmental de la prononciation du français (entraînement à la prononciation des voyelles, semi-voyelles et consonnes) mais négligent le côté suprasegmental, surtout dans les méthodes publiées avant la parution du CECRL (dans celles parues après la mise en exercice du Cadre, la présence des activités portant sur la prosodie y est beaucoup plus fréquente). Concernant les éléments suprasegmentaux, les auteurs abordent le plus souvent l’intonation dont le traitement est effectué par un travail de l’accent (tonique et d’insistance) ; les questions de rythme, de groupes rythmiques et de syllabation sont mentionnées par certaines méthodes. Le phénomène d’allongement final ou l’effet allongeant de certaines consonnes sont négligés par toutes les méthodes ayant été soumises à l’analyse. Toutefois, il faut indiquer que ces méthodes ont été conçues pour un large public, c’est-à-dire qu’elles peuvent être utilisées aussi bien par des locuteurs tchécophones que par ceux du monde entier. Il leur est donc très difficile de répondre aux besoins et particularités de diverses communautés linguistiques.
Ad 4) La méthode utilise-t-elle l’API ?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas abordé la question de l’alphabet phonétique internationale. Faisons alors une petite incursion dans ce domaine. Nous partageons la conviction de certains auteurs (Loiseau 2008, De Castro Sampaio et Torres Vulcani 2011) d’après lesquels les enseignants de langues étrangères devraient connaître les symboles de l’API des sons de la langue française pour pouvoir symboliser les phonèmes aux étudiants, afin qu’ils les identifient, les discriminent et les reconnaissent. Dans le cas du français, la connaissance des signes phonétiques s’avère d’autant plus importante que la langue écrite n’est pas phonologique. Ainsi, la graphie des sons est souvent une source d’erreurs pour les apprenants lors de la prononciation. Comme le soulignent De Castro Sampaio et Torres Vulcani (2011 : 5), il n’est pas nécessaire que les étudiants connaissent ces signes, il suffit qu’ils les reconnaissent. De plus, la connaissance de l’API peut servir à ceux qui cherchent des renseignements concernant la prononciation des mots dans les dictionnaires.
Nous remarquons alors le fait suivant : en général, les méthodes de FLE n’ont que peu de recours à l’API. Elles l’emploient principalement pour symboliser une différence entre les voyelles de différents timbres ou apertures. Certaines d’entre elles présentent des tableaux récapitulatifs à la fin des volumes, mais généralement l’API n’est pas employé systématiquement dans l’enseignement/ apprentissage de la phonétique.
Ad 5) Quels types d’activités de phonétique sont utilisés dans les méthodes ?
Les activités les plus utilisées pour l’entraînement et la pratique de la prononciation sont des exercices de discrimination auditive et de repérage. L’apprenant est invité à « écouter », « imiter », « observer » ou bien « décider entre des stimuli identiques ou différents ». La majorité des méthodes commence par l’alphabet, afin que l’étudiant puisse apprendre à épeler et à se familiariser avec les sonorités de la langue française. Toutes les méthodes s’appuient également sur le rapport écrit/oral. Par contre, aucune n’emploie d’exercices de transcription phonétique et de découpage régressif.
De rares exercices de phonétique ingénieux ou bien innovants et dont les enseignants de FLE pourraient s’inspirer pour leurs cours de phonétique ou de correction phonétique traitant l’aspect suprasegmental du français sont présents dans les méthodes Adosphère 2 (2012), Alter Ego 1+ (2012), Alter Ego 2+ (2012), Alter Ego 3+ (2013), Espaces (1990), Latitudes 2 (2009), Le Nouveau Taxi ! 2 (2009), Le Nouvel Espace 1 (1995), Libre Échange 2 (1991), Reflets 1 (1999), Reflets 2 (1999), Scénario 1 (2008). Ceux-ci font surtout partie des ouvrages didactiques complémentaires qui sont souvent difficilement accessibles aux enseignants. Dès lors, ils ne sont pas utilisés pendant les cours aux collèges et dans les établissements scolaires tchèques du second degré.