La chanson du flûtiau avait purifié la souffrance du chasseur ; elle avait purifié le souvenir d’Agnes. Pays des Sept-Châteaux ! Certes, son cœur l’avait parfois rêvé, mais seul le flûtiau l’avait rendu réel. Et comme le flûtiau sonnait avec force et puissance, le chasseur se répétait : « Ni faute ni péché ! » Le chemin est clair et clair est le but. Ne faut-il pas se jeter dans l’abîme pour gagner le paradis ? Agnes avait pris ce chemin ; il la rejoindrait, oui, il rejoindrait Agnes. Les gens de Hameln suivaient leur guide assombri et pensif, le chant impérieux et puissant de son flûtiau. Il les entraînait et les poussait toujours plus loin. Plus loin, jusqu’à la porte. Ils chancelaient sans regarder le chemin, ils tombaient, se relevaient et continuaient. Ils n’entendaient que le chasseur, ne voyaient que le chasseur. Et, comme ils marchaient, l’abîme s’ouvrit soudain devant eux. Le chasseur se tenait au-dessus de l’abîme, encore plus sombre, encore plus majestueux. Son flûtiau sonnait avec force et puissance. Parmi les gens de Hameln, personne ne s’arrêta devant la porte, à l’exception de Sepp Jörgen qui contemplait la surface de la rivière. Au son du flûtiau, ils passèrent tous avec un sourire discret, les bras tendus : pays de Transylvanie ! Tous passèrent et disparurent sans mot dire. Et leur guide sombre et muet sifflait tant et plus. Au son du flûtiau, la foule diminuait : enfin le chasseur resta seul au bord du gouffre. Il se souvint de son « oui », prononcé un soir de printemps. Il se souvint d’Agnes, qui l’avait précédé, mais qu’il pouvait rejoindre. Il se pencha au-dessus de l’abîme. Il y régnait un étrange silence. Le flûtiau tomba des mains du chasseur. Or son flûtiau, c’était la vie. Le flûtiau sembla résonner encore dans sa chute : sa musique guidait le chasseur comme elle avait guidé la foule – ( 98 )
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