Simple éclair

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Simple éclair

Collectif et éphémère

Simple éclair

Préambule

Un collectif éphémère de cinq photographes a réalisé une expérience singulière sur plusieurs mois et a fait une restitution lors de France Design Week à Tours, du 18 au 29 septembre 2024 à l’Hôtel Goüin. Ce livret en présente une sélection.

Le projet s’appuie sur un concept de Grégory Halpern, photographe documentaire américain de l’agence Magnum, qui suggère dans l’un de ses workshops, d'identifier le sujet auquel on est vraiment attaché, afin de concentrer son regard sur quelque chose qui est essentiel à titre personnel. Il propose alors le scénario suivant : " s'il vous restait trois mois à vivre et que vous puissiez laisser derrière vous une série de photos qui serait votre contribution photographique, que photographieriez-vous ? ".

Derrière cette proposition se profilent des notions essentielles, voir existentielles. Un choix doit s’opérer. Le choix, c’est déjà un mécanisme intrinsèque de la photographie, puisqu’une série de décisions s’opère immanquablement dans le processus de réalisation. Quelle lumière, quel boitier, quelle focale, quel cadre, quel papier, quel jus, quelle intention… Une foultitude d'arbitrages sont à faire. Celui qui est probablement le plus épineux, consiste à faire une sélection finale. Il faut extraire la série qui fonctionnera, qui sera une évidence et c’est assurément à cette étape que la simplicité est convoquée. La simplicité, comme une évidence... pour aller à l’essentiel. Pour être lu.

La simplicité en photographie se limite-t-elle à la forme, à une proposition minimaliste ou bien s’agit-il aussi d’un mode opératoire, d’un cheminement intime et personnel ?

Comme en philo, il n'y a pas de réponse toute faite, mais une succession de questionnements, d'errances et d'échecs pour illustrer ce principe de simplicité. Comme dirait mon coiffeur : " La simplicité, c'est compliqué ".

François Christophe

pour France Design Week

Préface

L'homme d'aujourd'hui, persuadé de sa suprématie sur ses ancêtres, néglige la sagesse éternelle de la simplicité. Dans un univers saturé de technologie et d'informations, j’aime l’idée de permettre à la nature sauvage de flirter avec la civilisation, offrant une respiration authentique à la personnalité. Ne nous contentons pas de regarder les images avec un esprit de consommateur. Apprenons à les écouter ; chaque modèle a une histoire à murmurer.

Les erreurs des siècles passés, souvent déguisées en évolutions, ont engendré de nouveaux maux. Chaque époque porte ses propres troubles, que nous tentons d'expliquer pour mieux nous en protéger. L'aventure photographique, en nous prémunissant contre le renoncement, utilise l'œil du photographe pour créer un langage universel, silencieux mais profondément expressif.

Sans un mot, cette parole s'exprime, mais elle ne peut exister sans liberté. Tous ne peuvent la saisir, et même ceux qui la détiennent peinent parfois à l'utiliser pleinement. Cet élan de spontanéité manifeste une contemplation du monde qui certes s’exerce de temps en temps depuis un canapé où le commentaire substitue l’action. Qu’il est simple de juger.

Le wifi nous connecte, mais il nous enchaîne également, remplaçant la lenteur de la promenade par la rapidité du web. L'infobésité garantit une performance incontrôlable, et les câbles sous-marins embarquent les esprits. Cette soumission volontaire délivre assez de dopamine pour nous faire oublier le besoin de repos. Nous nous équipons de technologie pour nous sentir appartenir à une société avancée, mais cette force repose sur des jambes dopées, branchées en permanence.

La simplicité est l'élégance de la pensée complexe, ce qui reste lorsque le visage aigri de l’ego se démaquille. La simplicité est l’espace de plaisir offert par le sophistiqué quand il se laisse aller à la paresse. Nous les partageons tous ces gestes quotidiens, comme appuyer sur la sonnette pour descendre du bus, apprécier le crépitement d’un vieux vinyle, déballer une tablette de chocolat, chercher la fraîcheur au fond du lit, écouter les vagues contre le sable, sentir les frissons d’une peau contre la sienne. Depuis combien de temps ne vous êtes-vous pas allongé dans l'herbe pour regarder les nuages valser dans le ciel ? Survivre au rythme de sa carrière peut donner un sentiment d'accomplissement, mais après vous, les tableaux Excel continueront de se remplir.

Les nénuphars de Monet n'excluent pas l'intérêt pour les cryptomonnaies. Ne revenons pas en arrière, n'abandonnons pas les promesses contemporaines. Gardons le cap avec lucidité, en laissant plus de place à l'inconnu. Un plan de société sans prévision financière invite la modestie, qui, à son tour, ouvre la porte à la simplicité et à de nouvelles opportunités. Il y a un saut vers le vivre-ensemble, exempt de vertige, une chute sans fin si nous nous accrochons à la frénésie des possibles.

François Gaugry

Les Mains de Leïla

Cette histoire débute par un matin de mars 2017. Ma fille Leïla, alors âgée d’une petite année, tente d’attraper une orange sur la table de la cuisine bien trop haute pour elle. Je photographie cet instant. Ce jour là, débute ma fascination pour l’évolution de ce geste simple : se servir de ses mains. Exceptions faites pour les personnes nées avec une malformation ou pour celles ayant subi un accident de la vie, à l’âge adulte, les mains sont un outil permanent. Pourtant, derrière l’apparente simplicité de l’utilisation de la main, se cachent autant de mouvements appris, répétés, enregistrés. Et parfois réappris, répétés à nouveau et oubliés avec le temps.

La simplicité d’un geste manuel quotidien, révèle beaucoup de complexité. Manger avec une fourchette, écrire, prendre un objet, lacer ses chaussures, caresser, tendre la main à une personne, toucher son téléphone. Puis travailler avec ses mains, tenir un guidon, cueillir un fruit, conduire, faire la cuisine,...

L’existence humaine s’écrit chaque jour au contact du monde. En cette année 2024, ma fille Leïla est âgée de huit ans , et, je continue à photographier ses nouveaux gestes. J’enregistre le mouvement de sa vie qui se dessine devant moi. L’apprentissage est quotidien. La transmission, l’expérimentation le sont tout autant, pour elle comme pour moi. Savoir se servir de ses mains pour gagner en autonomie et grandir. Tout simplement.

mousseau.damien

Une odeur sucrée

Après plusieurs années à l’étranger, beaucoup de voyages et un éloignement durable de notre beau pays, j’y suis revenu pour m’installer à Paris. De là, je me suis progressivement rapproché des terres de mon enfance jusqu’à ce qu’elles redeviennent familières et qu’elles reprennent une place dans ma vie. Dès que je le peux, je parcours ce territoire à vélo et la Vallée de la Loire joue désormais un rôle d’échappatoire bienfaiteur face aux tourments de la vie en ville. Cette terre, j’en connais la texture, les odeurs, les saisons, le brouillard et l’humidité, les visages, les accents, le piaillement des oiseaux et la lumière.

Lorsque je fais du vélo sur les sentiers qui longent la Loire, je répète invariablement les mêmes itinéraires, je les emprunte dans un sens, puis dans l’autre, souvent en fonction de la direction du vent, parfois je prends un train pour revenir au point de départ ou je fais une boucle si je suis dans un bon jour. Mais l’idée de répétition est constamment là, sur ce bout de terre que je connais si bien. Je vais, je reviens et je répète inlassablement les aller-retours. Il n’y a pas de nostalgie dans cette démarche, ce n’était pas mieux avant, il y a simplement du confort, du relâchement, mes sens y retrouvent les détails qui les animent, je vois et j’entends différemment, comme un animal dans son environnement primaire. Je passe aux même endroits dix ou vingt fois dans l’année, dans le froid de l’hiver ou dans la tiédeur d’un soir d’été.

Revenir sur les terres de son enfance, se les réapproprier, se les réinventer, évoquer le passé en lien avec le présent, c’est le cœur de ce projet photographique. Curieusement, je n’ai jamais pris de photos de ces moments passés sur les sentiers de la Loire et quand François m’a proposé ce projet collectif, c’est ce qui m’est venu tout de suite en tête. La traduction de ces moments solitaires n’a pas été simple, par quoi commencer, comment évoquer des sensations telles que le vent, l’odeur sucrée de l’été ou la vision furtive à vélo d’un beau rayon de lumière…

Photographe de commande, je réponds habituellement à une demande bien précise, j’ai un brief et un bon de commande ! Et puis, ma curiosité me pousse habituellement à photographier l’humain et c’est dans cette direction que je pensais être amené pour cette série. Il en a été autrement, même si je n’échappe pas totalement à ma nature et aux rencontres, je me suis surpris à faire aussi des photos plus évocatrices de ce que je ressens quand je parcours les terres de mon enfance. Je me suis installé dans une sorte d’abstraction un peu contemplative, en lâchant prise et en produisant non pas pour un client et selon ses termes, mais bien pour moi seul.

Et si c’était

Avoir un toit sur la tête

Sentir le vent sur sa peau

Recueillir la pluie qui nous fait vivre

S’immerger d’eau

Croire

Croire le sang qui coule dans nos veines

Et ce coeur qui bat Sentir les vibrations

Aimer plus grand que l’univers l’enfant que l’on a porté

S’émouvoir Transmettre Faire valoir Échouer

Cueillir la fleur qui raconte l’humeur du moment

Recevoir Apprendre Transmettre

Poser les pieds au sol et ressentir la terre au point de faire vibrer chaque particule de ce qui nous constitue

Et surtout respirer Respirer qui l’on est respirer Respirer la Terre

Cueillir le fruit qui nous nourrit Faire pousser pour être et devenir.

Se connecter à soi, à l’autre

A celui qui nous envahit

Celui qui nous veut du bien et celui qui nous veut du mal

Absorber la dualité la différence l’intolérance

Vibrer Rencontrer Revendiquer

Positionner ses choix et se tenir debout

Créer le mouvement

Rêver Imaginer Faire

S’immerger dans les tréfonds S’absoudre Partager Regarder Caresser l’ombre et la lumière

Marcher vers l’infiniment grand en gardant bien en tête l’infiniment petit

Évoluer Donner du sens Garder la mémoire Arroser nos ancêtres Tomber pour mieux se révéler Être en toute simplicité Nager dans l’immensité, Juste là en plein milieu de l’océan sur la ligne de l’équateur

Se déplacer grâce à la force du vent Comprendre Être à sa place Revenir aux sources Réparer Sédentariser Résilier Migrer Encore Respirer

Penser à retourner au jardin des simples Et toujours Respirer

annepiegu

Les eaux dorées

Je crée des histoires visuelles en argentique, avec un petit twist numérique en post-production. Mes photos sont un peu comme un rêve étrange : elles reflètent mon imagination et ma vision du monde, mais les couleurs sont volontairement décalées, influencées des appareils argentiques et les pellicules comme LomoChrome Purple et autres pellicules pré -teintées.

Mon univers est intime et un brin fantastique, la nature fait toujours partie du décor. Je capture des paysages colorés et vaporeux, que je mélange avec des portraits en surimpression. Pourquoi l'argentique ? Parce que j’aime son grain unique, ce suspense insoutenable de l’attente du développement, et surtout, le côté imprévisible du résultat. J'aime les photos granuleuses, floues, avec une exposition parfois bancale.

Sous la simplicité apparente de mes images se cache souvent une joyeuse complexité. Parfois, je crée des doubles expositions directement avec l’appareil, d'autres fois en photomontage. Et quand une photo est ratée, pas question de la jeter : je la recycle pour créer une autre image.

J'voudrais un truc simple, c'est pour ma femme

J'avais besoin de voir ma fille et je cherchais un far-west tant je déprimais en présence de cette pensée basse du front national. Je voulais changer d'air et l'opportunité d'aller voir Lou à Berlin où elle vit désormais, était une porte de sortie. Le jour J, après un bel orage qui fit peur à l'avion Low Cost, je me suis finalement retrouvé trente-six heures plus tard buvant une bière en plein milieu de la nuit de Kreuzberg, en étant passé brutalement de l'automne à l'été sans rien comprendre. Décalqué, je me suis écroulé sur un matelas posé sur des palettes, comme les Allemands aiment à le faire. Rien de précaire, la chambre de la colloc' était très accueillante, mais j'avoue avoir été surpris de constater que cela était bien plus confortable que la rusticité présagée et je dormis comme un berlinois.

Avec ma fille, les choses sont fluides. On se branche rarement, ou sinon pour des broutilles qui disparaissent aussi vite qu'elles sont arrivées. Étant donné qu'il me fallait un flash pour mon boitier, on décida rapidement d'aller voir Madame Braune avant toute exploration, telle l'Alice de Woody Allen s'en va consulter le Docteur Yang à Chinatown pour une potion d'invisibilité. Madame Braune ne s'appelle probablement pas Braune, mais son magasin de matériel photo, lui, se nomme Foto Braune. Elle ne sourit pas, elle est un peu austère, mais elle est de bon conseil et très attentionnée. Lorsque je la regarde s'affairer dans son antre où les néons enveloppent tout le mobilier d'une sorte de lumière verdâtre, je suis projeté dans l'histoire de Berlin avant la chute du mur ; je n'y peux rien, elle me fait cet effet là. Après quelques essais techniques de ses mains expertes, c'est donc surmonté d'un beau flash Agfa-Gevaert que mon Lomo fût équipé pour les coins sombres.

Boitier en bandoulière, je croisais parfois certains regards circonspects à la vue du drôle d'engin, et je repensais à cette période de ma vie où j'étais vendeur Fnac à Paris. Je me suis souvenu de ces cols blancs descendant de leur tour pour acheter un p'tit appareil à bobonne, où plus d'une fois j'ai entendu "j'voudrais un truc simple, c'est pour ma femme". Les questions-réponses qui suivaient étaient un grand moment de cache-cache. Si un appareil simple c'est pour les teubés, j'en suis. Cette simplicité, c'est ma liberté, ma carte d'immunité, mon philtre chinois. Rien de magique, mais elle me projette dans un acte créatif pur ou je fais (presque) tout ce que je veux. Je ne veux pas un truc super performant, super net, super beau, super gros, super cher ou même super super. Je veux un truc simple, comme je le voudrais chaque jour de ma vie... sans oublier le goût de l'aventure.

Simple éclair

Les photographies de ces portfolios ont été exposées à l'hôtel Gouïn de Tours lors de France Design Week 2024, en partenariat avec Valesens et Imprinova.

150 exemplaires de ce portfolio ont été imprimés en septembre 2024, par Lesage & Richardeau, partenaire de ce projet d'édition.

Les séries complètes des auteurs sont visibles sur www.labelinfidel.fr

Tous droits réservés pour tous pays. Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reproduite.

imprinova.fr

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