Un toit, c'est plus qu'un droit

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Un toit, c’est plUs qU’Un droit

récit précaire

Klaeo

Préface

Mes anecdotes de vie en squat et de vie collective sont innombrables. Toutefois, ce ne sont pas ces multiples récits et aventures que je vais narrer ici.

Peut-être une autre fois, nous verrons.

La vie en squat est tour à tour idéalisée ou diabolisée. Mais ce qu’on oublie le plus souvent, c’est que cette condition est très souvent et avant tout le fruit de la nécessité.

De la nécessité d’être à l’abri, d’avoir un toit (pour peu qu’il ne fuie pas), d’être entouré.e, alors qu’en réalité et déjà, nous n’avons plus rien - ou si peu - pour la plupart d’entre nous.

Me retrouver en squat fut un mélange de nécessité et de conviction. Lorsque je pu enfin finalement partir de chez ma mère avec qui j’avais vécu pendant près de dix ans, je me trouvais déjà pauvre, mal intégré, mal à l’aise, incapable de garder un emploi, de me constituer un patrimoine, une retraite, etc. A un moment donné donc; c’était le squat, ou la rue.

De plus, ayant été tôt confronté à l’adversité de la vie, j’ai vite développé une sensibilité politique qui me rapprocha de l’extrême gauche, du communisme libertaire ou de l’autonomie ouvrière.

Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si je me suis retrouvé dans des squats anarcho-autonomes ou des squats d’artistes à un moment donné, et non pas dans des centres d’aide catholiques, musulmans ou protestants, par exemple.

Le récit qui va être narré au travers des pages qui suivent est le fruit d’une prise de note qui a été effectuée sur une période de quatre jours.

Une très courte période qui relate l’une de mes expérience de vie la plus particulière, pas nécessairement la plus plaisante.

En effet, à un moment donné, ne me sentant plus en sécurité en compagnie des gens qui m’entouraient, je pris la décision de quitter le collectif avec qui j’avais vécu pendant près de trois ans.

Ayant temporairement trouvé refuge chez deux amies qui m’hébergèrent pendant environ trois mois, j’ai profité de ce court moment de relatif répit afin de tenter

d’ouvrir une nouvelle maison dans ma ville de naissance, Vevey, ville dans laquelle j’ai commencé à vivre en squat durant l’été 2010.

Cette expérience n’était pas sensée être si courte, ni si solitaire. Malheureusement, les événements en ont décidé autrement.

Il ne me reste de cette expérience que ces lignes, ainsi que quelques photos inintéressantes stockées sur un disque dur, et dont jamais rien je ne ferais.

Mais aussi le souvenir d’une période où il ne m’était pas possible de m’arrêter, et où chaque jour, il fallait lutter.

Forcément, contre vents et marées.

Dimanche 16 mars 2014 00h16

Environ trois heures se sont écoulées depuis mon entrée dans la maison. Tout est calme, tout se passe bien. Je pensais appeler les flics une fois installé histoire d’accélérer les procédures avec la ville, mais je n’en ai rien fait. Besoin de calme et de tranquilité. Je me sens bien, j’écoute Judith Reyes, sa voix me porte.

Quelques heures auparavant, un ami m’a aidé à transporter mes deux lourds sacs à dos, avant de retourner chez lui en s’enfonçant dans la nuit, me laissant seul face à ma besogne. Avant ce soir là, je n’avais jamais escaladé la façade aussi rapidement, et je fus surpris de mon aisance à ce moment là.

Néanmoins, je suis tout de même sur mes gardes, sur le qui-vive. Bien que, chose étonnante, je ne ressente aucune espèce d’angoisse ou d’anxiété. L’issue de cette histoire est bien incertaine, mais il n’est plus question ni possible de reculer à présent. Circonstances oblige, c’est la première fois que je squatte seul, sans collectif. J’y ai souvent songé par le passé, pensant que j’en serais capable le moment venu, mais jusqu’à ce jour, je ne m’étais jamais retrouvé confronté à telle nécessité.

La pièce dans laquelle je me suis installé est très agréable. Il m’a été possible de l’aménager avec ce que j’ai pu récupérer dans la maison: deux tables hautes, un matelas, un fauteil, un canapé, une caisse en bois trouvée au grenier et dans laquelle j’y stocke ma nourriture. J’y ai même trouvé un chauffage qui contenait encore du pétrole: parfait pour réchauffer la pièce le matin.

Niveau décoration, là aussi j’ai composé avec ce que j’ai pu trouver dans la maison: une carte du monde, un gros stickers en forme de caméra de cinéma que j’ai collé au-dessus de ma table me servant de bureau, mais aussi de plan de cuisine et de table à manger. J’ai également trouvé un tapis, pas très beau, mais tant pis.

M’activer m’a fait du bien. Maintenant je me repose et en profite pour écrire ces quelque premières lignes.

Il ne m’a pas été possible de rétablir l’eau courante.

La vanne se trouvant sur la rue était scellée: je ne pensais pas que ce serait le cas. Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai senti une vague de panique monter en

moi et me traverser le tronc car en effet, je n’avais pas emporté suffisemment d’eau. Sans eau: pas de thé, pas de pâtes, pas moyen de se laver les mains - des mains forcément sales. Je me suis donc résolu à ressortir afin d’aller acheter six grandes bouteilles d’eau. Tout s’est bien passé et la frayeur est maintenant passéemalgré le fait qu’il y ait effectivement peu de chances pour que je parvienne à rétablir l’eau courante. Et pour ce qui est de l’électricité, je verrais demain.

Pour l’heure, je pense me mettre à lire. J’ai apporté quatre livres: L’Imérialisme de Hannah Arendt, Histoire de la sexualité de Michel Foucault, Ecrits sur la photographie d’Allan Sekula et Pornoterrorisme de Diana J. Torres. Mais avant de me mettre à lire, il me faut rassembler un peu de matériel de cuisine. Là encore, je ferais avec ce qu’il me sera possible de trouver dans la maison: une tasse, une fourchette, une cuillère, une assiette...

Et de me rouler et de fumer une dernière cigarette avant de m’affairer à nouveau.

Suis-je libre ?

Il serait aisé de le penser ou même carrément, d’y croire.

Mais cependant, je ne pense pas que ce soit tout à fait le cas. Besoin de boire, besoin de manger, besoin de se chauffer, de dormir, besoin d’un toit, besoin de sécurité... telle est notre condition, cella à laquelle nous ne pouvons échapper.

Certes en ce moment, je me sens libre. Bien plus libre que quiconque logeant dans un appartement ou pire, dans un studio. Il m’a été possible de m’installer librement dans cette pièce, il m’a été possible de l’aménager librement, le tout avec ce que l’on considère habituellement comme des déchets, des objets inutiles devenant alors primordiaux ici, au regard de la situation présente, des objets permettant une vie digne, à minima.

Alors oui, il serait aisé de dire que je me sens libre, alors qu’en réalité, je me trouve actuellement dans l’un des bas-fonds de la pyramide des classes sociales. Et le relatif confort dont je jouis ne parviendra par à remédier

à cela. Il faut dire aussi que ce confort à minima fut aussi largement déterminé par la « chance » et par ce qu’il m’a été possible de trouver dans la maison. Si celle-ci avait été absolument vide de tout, je me serais retrouvé une nouvelle fois bien embêté. J’aurais sans doute à nouveau paniqué, puis improvisé de nouvelles solutions.

Cette liberté a donc bien un prix. Car tout se paie: tant les paquets de pâtes que l’affront fait à la propriété privée. A la différence que le second prix est bien plus élevé que n’importe quel paquet de pâtes, même les plus luxueuses, celles dont rafolent les bobos.

Mes téléphones sont éteints, je n’écoute plus de musique. Je n’ai pas emporté d’ordinateur, ni de console de jeu ou de radio. Les habitudes changent vite, et se libérer des écrans libère l’esprit. Poutant, il m’est possible par moments de ressentir une sorte de manque.

Mais mon temps de cerveau m’est ici absolument disponible: il n’est plus du temps de cerveau. Ainsi, j’écris, je lis, je m’active, me repose, pense et réfléchi.

Je fatigue depuis un bon moment déjà, je ne vais pas tarder à aller me coucher.

L’air est frais. Je le sens à la surface de peau, mais aussi à la consistance épaisse de l’encre de mon stylo sur le papier. Mon sac de couchage me tiendra chaud.

J’espère que tout ira bien.

Même jour que la nuit précédente 11h37

La première nuit est passée. J’ai plutôt bien dormi et je n’ai pas eu froid un seul instant. Il fait grand beau au dehors, la pièce peinte en jaune renforce agréablement la puissante lumière émise par notre étoile.

Je me suis fait un thé, j’ai mangé une banane et ai fumé deux cigarettes. Puis, j’ai fait un tour dans la maison, car c’est en réalité la toute première fois que je la vois à la lumière du jour. Il y a beaucoup de travail, et une fois mon repérage terminé, je vais gentiment m’y mettre.

Deux de mes six bouteilles d’eau sont déjà vides. Je rationne beaucoup et je bois moins de thé que d’habitude. Ainsi le veut ma fragile économie de subsistance. J’ai faim, mais je mangerais plus tard, après avoir avancé dans le nettoyage de la maison.

Bon allez, je me refais un thé. Je voudrais me prélasser d’avantage mais je ne suis pas là pour ça.

Pas de flics en vue, rien. Ma présence passe inaperçue, je ne gêne absolument personne et c’est très bien ainsi.

Mes tâches dans la maison avançent bien.

La pièce qui était la plus remplie de déchets et à présent totalement nettoyée. Cela m’a creusé et j’ai de plus en plus faim. J’ai donc à présent hâte de me préparer à manger. Mais pour l’instant, je vais continuer de m’activer quelques minutes encore. Il y a vraiment beaucoup à faire pour une seule personne. D’autant qu’il ne me sera peut-être pas possible de rester... pour l’heure, je n’en sais rien.

Il fait frais mais pas froid. Il fait toujours aussi beau au dehors. J’ai enfin pu voir le potager à la pleine lumière et celui-ci semble entretenu. Mon nez coule, j’éternue souvent et je me mouche beaucoup. J’ai attrapé froid il y a quelques jours. Fort heureusement, je suis tombé sur un stock de rouleaux de papier toilette

A parler de toilettes, l’idée même de déboucher les toilettes et de décrasser la cuisine me lèvent le coeur tant certaines pièces de cette maison ont été sacagées et souillées d’immondices par des junkies ayant squatté précédemment.

Toujours pas de flics en vue, tant mieux.

En écrivant, et surtout en me relisant, je réalise qu’il

m’arrive parfois d’oublier des lettres ou même des mots entiers.

C’est là le symptôme d’une pensée jaillissante et désordonnée qui constamment vous glisse entre les doigts alors qu’elle se présente subitement à vous, une pensée bien plus vive et véloce que ne saurait l’être la lenteur de la pointe du crayon ou du stylo griffonnant le papier.

Alors que tout semble parfois possible, tout n’est aussi que limite(s).

Dure est la matière, solides sont mes quatre murs.

Toujours occupé à m’activer. Les nettoyages et les rangements avançent bien, je me sens satisfait. Toujours pas de flics en vue, toujours aussi tranquille, le moral est bon. Un ami m’a appelé, j’ai dû décrocher de mes mains sales. Je les laverais plus tard, lorsque quand j’aurais achevé mes besognes du jour, économie d’eau oblige. Il reste cependant encore beaucoup à faire.

J’entends parfois des voix et des cris d’enfants à l’exté-

rieur, le bruit des voitures provenant de la route toute proche, le bruit du train, tout proche lui aussi. J’ai le très net sentiment d’être invisible. Et un sens, en étant enfermé dans cette maison comme je le suis et étant ainsi coupé du monde extérieur, je le suis effectivement.

Je pense beaucoup lorsque je m’active. Moins lorsque j’écris, les pensées se concentrant alors afin de pouvoir être couchées sur le papier.

J’aime tant écrire au stylo tant la pointe glisse sur le papier. Si celui-ci venait à me lâcher, ce serait fâcheux.

Je vais cesser de m’affairer pour un moment, l’occasion d’enfin me laver les mains et de me préparer à manger. Mon moral est toujours très bon mais je me sens irritable, plus faible, en proie à quelques vertiges, sans parler des tiraillements provenant de mon estomac, en grande partie vide.

Mes lunettes elles aussi, n’avaient jamais été aussi sales.

Les pâtes cuisent, j’ai hâte de manger. En plus d’une fourchette en plastique dont il va me falloir prendre grand soin, j’ai aussi récupéré quelques livres m’ayant semblé intéressants tout à l’heure, en rangeant et en nettoyant la bibliothèque du rez de chaussée.

Pas vraiment de lectures critiques mais «Manuel de l’action sociale en Suisse», «Histoire de la pêche sur le lac de Neuchâtel du Moyen-Âge à nos jours», «Violence scolaire» ou encore «Terminologie et société» me semblèrent être des ouvrages intéressants.

Ce plat de pâtes est vraiment délicieux, et tout autant bienvenu: salsa al pesto, pasta al dente, perfetto.

Je me suis finalement attaqué au nettoyage de la cuisine du rez.

Je n’avais ni jamais vu ni jamais ramassé une telle épaisseur de pâtes en décomposition: répugnant. Mais fort heureusement, les pâtes n’atteignent pas le niveau de puanteur des légumes pourrissants. Cela a rendu la tâche plus aisée, mais ce n’est pas encore tout à fait terminé.

Après avoir passé cette journée à m’affairer, je commence à sérieusement sentir la fatigue me gagner. Une douche serait tellement agréable et bienvenue, mais sans eau courante, ce n’est pas d’actualité.

Une toilette sommaire fera l’affaire.

La journée fut bonne. Je suis sorti voir un ami et remplir mes bouteilles d’eau tout à l’heure. Le lavabo du haut, celui qu’il m’est possible d’utiliser, est bouché. Il va falloir que je démonte le syphon afin de tenter de le désobstruer en profondeur.

Toujours pas de flics en vue, je suis toujours aussi invisible.

Sortir m’a fait du bien. Mais lorsque je suis sorti, je me suis alors senti comme perché, déconnecté. Certes, cela m’a fait du bien de voir un ami, de discuter un moment, de marcher au bord du lac, d’admirer le lac, les étoiles et la lune presque pleine, mais néanmoins, au fond, toujours cette désagréable sensation. Je n’avais d’ailleurs pas du tout le coeur à me retrouver dans un endroit bondé, ce qui heureusement ne fut pas le cas.

Nous sommes allés boire un verre dans un bar tranquille, nous avons discuté, j’ai bu un sirop à la framboise, délicieux. Nous avons parlé, cinéma, littérature, le monde, ce genre de choses. Avant de partir, je me suis rendu aux toilettes du bar afin d’y remplir mes bouteilles d’eau fraîche.

Alors que nous discutions mon ami et moi, je ne cessais

d’avoir des blancs, des trous de mémoire. A certains moments, impossible de me souvenir du nom de tel acteur ou actrice...

Je déteste lorsque le cerveau n’en fait ainsi qu’à sa tête, c’est très frustrant.

La mémoire n’est ainsi pas infaillible et a aussi ses failles.

Son plus grand ennemi est l’oubli.

Nous voilà rentrés, mes bouteilles d’eau et moi. Il est tard et il fait nuit depuis longtemps déjà. Ce soir, c’est petit-pois carottes en conserve et nuggets végés, le tout péniblement cuisiné à la casserole de camping, rendant le tout un peu plus raté. Ce n’est clairement pas de la haute gastronomie, mais ça passe plutôt bien néanmoins.

Il ne m’a pas été possible de déboucher le syphon de ce fichu lavabo, ce malgré trois tentatives. En fait, ça ne vient pas du syphon: c’est obstrué plus loin dans le tuyau d’écoulement et je n’ai pas à disposition les outils appropriés pour ainsi déboucher en profondeur. En revanche, l’écoulement de la douche se trouvant juste à côté ne semble pas être obstrué. Cela pourra me servir pour y faire ma vaisselle, me laver les mains ou m’y brosser les dents.

Cet après-midi, alors que je me trouvais au rez dans la cuisine, j’ai entendu des gens rôder autours de la maison, des bruits des pas, quelques paroles inaudibles. Il ne m’était pas possible de voir à l’extérieur étant donné que tout les volets sont fermés. Je me déplaçais alors si-

lencieusement, essayant, depuis l’intérieur, de voir sans être vu. Je n’ai rien vu, mais j’ai entendu une voix féminine, une voix d’un certain âge. «Des tables et des chaises» à fait entendre la voix alors que je me trouvais au niveau inférieur, celui des caves.

Mon coeur battait la chamade.

Puis, les voix se sont tues, et je suis retourné au nettoyage de la cuisine parsemée d’immondices. D’abord doucement, sans trop faire de bruit. Puis, peu à peu, je me suis remis à travailler normalement, ne faisant alors plus attention au bruit que je pouvais faire et que l’on aurait pu entendre depuis l’extérieur.

Demain lundi, la municipalité de la ville devrait recevoir mon courrier: le sort en est jeté. Néanmoins je suis et resterais seul sur ce projet. Les quelques personnes ayant initialement souhaité me rejoindre se sont finalement désistées. Une si grande et belle maison pour une seule personne; quel gâchis.

J’ai bien mangé, sans que cela soit pour autant incroyable. Les pâtes au pesto sont bien meilleures que des nuggets péniblement cuits au fond d’une ridicule petite casserole de camping.

J’ai commencé la lecture de L’Impérialisme de Hannah Arendt cet après-midi. C’est la première fois que je m’attaque à l’un de ses bouquin, son contenu est très dense, mais aussi très intéressant.

Pour info, la période à proprement dite de l’impérialisme à cessé officiellement avec la déclaration d’indépendance de l’Inde face au colon Britannique en 1947.

C’était hier.

C’est toujours bon à savoir, et je n’ai lu là que la préface. Cependant, je ne vais pas tarder à aller me coucher, tant je tombe de fatigue.

Deuxième jour

Lundi 17 mars 2014 11h18

J’ai à nouveau bien dormi cette nuit. J’ai toutefois fait une foule de rêves dont je ne me souviens plus. Il est en effet très rare que je me souvienne de mes rêves. Et tant mieux d’ailleurs: tant ces rêves s’avèrent être plutôt des cauchemars, la plupart du temps.

J’attends la venue des flics aujourd’hui, mon courrier à dû arriver, je suis aux aguets. Mais pour l’heure, aucune alerte, ni cette nuit, ni ce matin.

Comme à mon habitude, je me suis préparé un thé que j’ai dégusté en fumant une cigarette, ce tout en profitant du soleil depuis la fenêtre. Il fait toujours aussi beau et il ne fait pas froid. J’éternue et me mouche beaucoup pourtant, sans doute à cause de la poussière ambiante.

Une fois bien réveillé, je vais me remettre à ma besogne et ainsi continuer de remettre cette maison en état.

Les dés sont jetés, alea jacta est comme on dit. J’espère avoir une longueur d’avance dans les négociations avec la municipalité, mais rien n’est sûr.

Patience. J’espère aussi - et surtout - que les politicien.nes de la ville ne seront pas trop dur.es de la feuille, et j’espère tout autant ne pas tomber sur une patrouille de flics débiles, si sûres qu’iels peuvent être du pouvoir malsain que leur confère leur flingue et leur uniforme.

Le potager se trouvant à l’arrière de la maison est bel est bien entretenu. Je viens d’apercevoir un homme âgé, marchant à l’aide d’une béquille, s’asseoir avec peine sur un tabouret, à l’extérieur. Il était accompagné d’une mamie très énergique, vu la vitesse à laquelle elle creusait ses sillons dans la terre.

Je suis vraiment dans l’attente du dénouement de ma situation, et cette position n’a rien de confortable.

Il ne me reste que neuf feuilles de papier à cigarette, c’est très peu. Et pas moyen de sortir avant ce soir. Je relativise en me disant qu’il me reste en revanche bien assez d’eau à disposition, de quoi tenir jusqu’au soir.

Il est midi.

Les enfants sortent de l’école et les cloches des églises sonnent. Je vais bien, mon moral est bon.

Mais lorsque je m’imagine confronté aux flics, je sens l’anxiété monter et s’emparer de tout mon tronc.

Et cette réponse émotionnelle est bien légitime étant donné que... ce sont des flics.

Il n’est pas possible de faire confiance à un.e flic. Ces gens sont les traîtres en puissance de la classe laborieuse et ouvrière, toujours prêt.es à se retourner contre les pauvres et les précaires sitôt l’ordre donné.

Tout va bien.

Enfin... pas tant que ça. Je viens d’avoir une frayeur.

Je me trouvais au niveau des caves, affairé à nettoyer une première pièce quand, lorsque je me suis relevé, à un moment donné, j’ai aperçu un homme d’un certain âge, tout de noir vêtu et les cheveux grisonnants, rôder à l’extérieur de la maison.

Je me suis éclipsé en un éclair. Je ne sais pas si il m’a vu ou entendu; il ne me semble pas que ce soit le cas. Je suis directement remonté dans les étages afin de guetter, mais je n’ai rien vu, ni personne.

Et ainsi donc, j’ai attaqué le nettoyage du niveau des caves. S’y trouvait aussi un sacré merdier, vivement qu’on puisse y faire de la musique, d’autant qu’il y a bien de quoi y faire répéter deux ou trois groupes.

Il est prévu que deux amies viennent me voir tout à l’heure; j’ai hâte. Un peu de compagnie et de soutient est toujours agréable et bienvenu.

Je commence à avoir sérieusement faim, mais je me préparerais à manger plus tard.

En effet, il me faut toujours régler cette histoire d’approvisionnement en électricité qui pour l’heure, n’est toujours pas réglée. J’espère vraiment y parvenir sans quoi, j’aurais sans doute besoin du coup de main d’un.e camarade qui s’y connaît de manière plus poussée.

Je pense aussi accrocher les banderolles cette nuit. Mais en attendant, je vais sans doute en confectionner encore une ou deux supplémentaires. En rangeant la maison, j’ai en effet trouvé des morceaux de tissu supplémentaires, et même de la peinture. Ce serait bête de se priver d’en faire usage.

Un toit est + qu’un droit fait partie des slogans peints.

Je vais manger une mandarine, cela va me faire du bien et me redonner de l’énergie.

J’en ai bien besoin.

Je fournis beaucoup d’efforts et je n’ai pas beaucoup mangé.

Je commence à avoir mal à la tête, et il me faut boire, malgré mon rationnement de l’eau.

Malgré cet inconfort cérébral et corporel, mes travaux, nettoyages et rangements avancent bien.

La journée fut bonne, la visite de mes deux amies dans l’après-midi m’a fait du bien. L’une d’elle m’apporté une grande bouteille d’eau ainsi que quelques victuailles, c’est vraiment super.

Au soir, je suis sorti quelque heures. Je me suis rendu chez une amie avec qui nous avons beaucoup discuté, nous avons mangé et il m’a même été possible de me doucher - un vrai luxe. Je suis rentré depuis peu, et je réalise que sortir quelques heures de cette maison m’a vraiment fait le plus grand bien.

J’ai trop poussé aujourd’hui. Je n’avais pas beaucoup mangé, et en fin de journée, je n’avais vraiment plus d’énergie. Je me sentais faible, en prise à des vertiges, à des chutes de pression. Mon humeur était maussade et le mal de crâne me gagna. Il me faut faire plus attention, je le sais bien pourtant.

Il faudrait que je pose les banderolles ce soir, mais je souhaite en peindre encore une dernière. Et puis il y a cette histoire d’électricité, qui n’est toujours pas réglée. Les bougies, comme chaque soir, feront l’affaire.

J’ai donc réalisé deux nouvelles banderolles: je suis satisfait. Niveau électricité, il m’a été possible d’alimenter le tableau principal, ce qui est déjà pas mal. J’ai posé les caches et rajouté les fusibles manquants, il ne me reste que quelques raccords à effectuer, et vu que je ne suis pas un spécialiste, je vais utiliser mon tâteur afin de vérifier quelles parties de la maison sont alimentées ou non.

Certains circuits sont sans doute assez anciens, et je ne peux pas me permettre de bouter le feu à cette maison.

Pour ce qui est de l’eau en revanche, ça devrait prendre plus de temps que prévu. Les raccords que j’ai apporté avec moi ne sont en effet pas du bon diamètre.

A choisir, très sincèrement, je préférerais que l’eau coule des robinets. Avec le jus électrique, il n’est pas possible de se laver les mains, de cuire les pâtes ou de faire la vaisselle.

C’est la guigne.

Troisième jour

Mardi 18 mars 2014 11h04

Toujours rien.

Aucun mouvement, aucun flic en vue, aucun coup de téléphone, rien. Ça en devient extrêmement pesant.

Je me demande aussi ce qu’il est advenu de ma lettre adressée à la municipalité.

Ma stratégie est en effet la suivante: être fixé au plus vite sur la possibilité - ou non - de tenir cette maison.

C’est quitte ou double.

Sinon, je commence la journée avec un peu de Sepultura dans les oreilles, c’est toujours sympa.

Les travaux et les nettoyages avançent toujours bien, c’est très satisfaisant.

J’ai achevé d’arracher les tapis vieux et usés qui recouvraient les marches des escaliers. Leur bois brut est à présent apparent, les rendant ainsi très beaux. J’ai également continué de nettoyer la cuisine. Le résultat, après bien efforts et des nausées, commence enfin à se faire voir.

J’ai fait le choix de (re)peindre encore une banderolle avant ce soir. L’un de celle que j’ai réalisée le jour prédédent n’est pas assez belle à mon goût.

Il est important que les choses que nous réalisons nous plaisent et soient plaisantes. Sans quoi, nous ne serionsnous pas ce que nous sommes effectivement; des êtres sensibles et sentients, des animaux humain.es.

L’après-midi est déjà bien entamée, et je suis enfin sur le point de manger.

Pâtes au pesto; on remet ça.

Après ce frugal repas une nouvelle fois, je pense sortir un moment. Je n’en peux plus d’être pareillement isolé et enfermé dans cette maison, enclosé, compressé, caché entre tous ces murs.

J’ai donc passé l’après-midi dehors, j’ai vu des gens, nous avons causé, de tout, de rien. Ce fut agréable et une nouvelle fois, bienvenu.

En rentrant, j’ai appelé l’ami d’un ami avocat afin de recueillir quelques conseils et ainsi éventuellement assurer mes arrières dans le cas où la situation viendrait à mal tourner.

Mon moral est bon.

J’ai continué d’oeuvrer sur une des banderolles. J’attends que la peinture sèche avant de passer à la seconde couche. Et cette fois-ci, elle est vraiment très belle. Toujours pas de flics en vue. Comme me l’a expliqué l’ami de l’ami avocat, il y a peu de chances que ceuxci interviennent avant demain matin. J’espère que les choses vont bouger - dans le bon sens, de préférence.

Sinon, et malgré tout le travail fourni, j’ai finalement pris la décision de ne pas déployer les banderolles, dumoins

pas tant que je serais seul. Je ne souhaite en effet pas

attirer les junkies qui squattaient cette maison avant moi - et en cela générer une situation par laquelle je pourrais vite être dépassé.

Mon stylo commence à montrer quelques signes de faiblesse. Ce qui est très embêtant, car je n’en ai pas d’autre à disposition.

Je suis sur le point de ressortir afin de rendre visite à un couple d’amis vivant dans un village voisin.

Cela aussi, va me faire le plus grand bien.

Nouveaux signes de faiblesse de mon stylo, inquiétant.

Je vais le laisser reposer debout la pointe en bas en partant, cela devrait faire l’affaire le temps que je me dégote un stylo neuf.

Quatrième jour

Mercredi 19 mars 2014 10h57

Il y a à peu près une demi-heure, je me suis réveillé en sursaut. J’ai entendu des bruits en bas ainsi que des voix à l’extérieur. Je me suis rapidement habillé, histoire d’être un minimum « présentable », au cas-où. Par une des fenêtres, j’ai apperçu des gens qui semblaient porter des habits de travail, mais je n’en suis pas sûr. Je n’ai pas pu comprendre ce qu’ils se disaient. Puis je les ai finalement vu et entendu partir sur des scooters dont les moteurs hurlèrent de façon stridente et désagréable.

Bizarre. Toujours pas de flics en vue, personne. Pas de nouvelles de la ville non plus. Je suis spécialement aux aguets aujourd’hui, car les événements pourraient se précipiter à n’importe quel moment.

Ayant eu trop chaud la nuit dernière, il m’a été difficile de trouver le sommeil.

A l’usure, c’est finalement le sommeil qui m’a trouvé, et il m’a finalement été possible de dormir de façon à peu près convenable durant quelques heures.

Hier soir, je suis donc sorti un moment afin d’aller visiter ce couple d’amis. Ceux-ci sont parents à présent, et galèrent pas mal. Nous avions vécu ensemble par le passé dans une autre maison occupée.

J’ai à nouveau entendu des voix à l’extérieur…

Fausse alerte.

J’ai donc passé un moment en leur compagnie et ce fut fort sympathique.

Puis, alors que la nuit était déjà tombée, je suis parti et je suis allé prendre le train. Malheureusement, m’étant trompé d’horaire, il va me falloir attendre une demiheure. Cela m’a contrarié car je commençais à avoir sérieusement faim. Aussi, en attendant, je suis allé faire de l’autostop vers une station service paumée proche de la gare.

Il faisait déjà nuit et j’ai tout à coup été empli de ce sentiment étrange que l’on éprouve uniquement lorsque l’on se retrouve au milieu de nulle part.

Bien évidemment, personne ne m’a ramassé.

J’ai donc finalement pris le train, j’ai pu rentrer et enfin me préparer à manger.

Une fois mangé, je me suis directement mis au lit. J’y ai lu jusqu’à ce que les bougies se soient tout à fait consumées.

Attendre est vraiment très angoissant.

En ce début d’après-midi, j’ai passé quelques coups de téléphone, dont l’un fut assez fructueux. J’ai pu causer avec un type de la gauche radicale et j’ai pu apprendre foule de détails intéressants que je n’exposerais pas ici.

Je vais à présent tenter de contacter un ou deux journalistes, de ceux qui nous avaient écrits de bons papiers par le passé.

Bon échange au téléphone, un journaliste va me tenir au courant. Mon moral est bon. Malgré la stagnation générale, les choses semblent avancer.

J’attends avec beaucoup d’impatience le dénouement de la situation, et alors que le bras de fer n’a pas encore vraiment commencé. Cette impatience provient du besoin de pouvoir me projeter tout d’abord, mais aussi de la nécessité de pouvoir rapidement passer à autre chose en cas d’échec.

Et ainsi continuer ailleurs mon tortueux chemin dans l’extrême précarité.

A nouveau, je m’interroge: pouquoi suis-je ici ?

Mon ambition pour ce lieu dépasse de loin mon intérêt propre: cette maison doit devenir un projet social et collectif.

Mais si aussi je suis ici, c’est bien en raison du fait que je me suis très vite retrouvé pauvre et précaire dans ma vie. A un moment donné en effet; c’était le squat et la vie collective, ou la rue et la solitude.

A un moment donné donc, j’ai plutôt choisi le squat ainsi que la vie collective, à la solitude et au danger de la vie à la rue.

Et ainsi la lutte continue, comme on le dit encore parfois.

Cinquième jour (et dernière nuit)

Jeudi 20 mars 2014 01h47

Le navire a sombré.

Je me suis fait expulser, et je n’ai pas eu la force de maintenir le bateau à flot. A cinq flics contre un, en pleine nuit, alors que je n’avais pas mangé - car trop occupé à réparer la porte défoncée par ces mêmes flics quelques heures auparavant - je n’ai pas eu la force nécessaire afin de résister et de monter sur le toit.

Présentement, je suis encore sous le choc. Il ne m’est pas possible de penser tout ce qui vient de se dérouler ces quelques dernières heures.

Il y a tant à dire, tant à écrire.

Pour l’heure, je m’en veux terriblement. Je m’en veux de ne pas avoir réussi à tenir. Je m’en veux de ne pas être parvenu à aller aussi loin que ce que j’aurais souhaité aller.

Je suis en colère, brisé, fatigué, épuisé.

Tant d’efforts, pour rien.

Ne jamais faire confiance à un.e flic; je le sais bien pourtant.

Bien qu’il ne me faille pas être trop dur envers moimême après tout ce que je viens de traverser, j’ai tout de même en moi ce sentiment d’avoir merdé. De ne pas être parvenu à déployer mon projet jusqu’à son terme souhaité.

Dans un moment de faiblesse, dominé par le nombre, j’ai cru bon de penser que je pouvais faire confiance à un flic.

Néanmoins, jusqu’au bout, la tête haute. Mais ça n’a pas payé.

En Suisse, l’honnêteté ne paie jamais.

Je pense continuer à écrire demain si je trouve le temps. Je m’arrête pour ce soir, me disant à titre de maigre consolation que Marx ou Orwell, ainsi que tant d’autres, ont aussi connus la dèche, la confrontation ou la misère.

Impossible de trouver le sommeil dans ce foyer de nuit et dans ce dortoir bondé.

Et ça pue sérieusement les pieds.

Trop en colère.

Contre moi-même, contre le monde, contre les flics, contre la ville, contre tout.

Tout ce qui vient de se passer est tellement humiliant.

Je n’ai pas réécrit le lendemain, Je m’y suis remis huit ans plus tard, et la roue a quelque peu tourné depuis.

Je vis actuellement dans un minuscule studio de 25m2 se trouvant à cinq minutes à pied de l’endroit où se trouvait cette fameuse maison dans laquelle j’ai pu vivre durant quatre jours.

Aujourd’hui rasée, celle-ci a offert d’avantage de terrain permettant de développer des jardins communs.

Sinon, sans doute vous demanderez-vous ce qu’il s’est passé entre 14h37 et 01h47 du matin...

Ce fut une longue journée qui pourtant avait bien commencé.

Mais en fin d’après-midi, alors que j’étais sorti quelques heures pour faire un tour en ville, voir des gens et surtout remplir mes six bouteilles d’eau qui étaient vides: première alerte.

En rentrant, le long du chemin menant à la maison, j’ai vu une voiture de flics garée juste à côté de l’entrée du parking. J’ai donc continué à marcher comme si je n’avais rien à faire là, ce dans le but d’effectuer un long détour me permettant d’observer en passant puis, après ce long détour, je me suis posté discrètement au loin afin d’attendre que la voiture et les flics s’en aillent.

Au bout de quinze minutes environ, j’ai enfin vu la voiture s’en aller. J’ai attendu quelques minutes supplémentaires avant de finalement m’approcher à nouveau de la maison.

Depuis l’extérieur, rien à signaler. Je suis donc rentré, j’ai fermé la porte à clé derrière moi et je suis monté dans les étages. Là non plus, rien à signaler, rien ne semblait avoir bougé. Mais en arrivant au dernier étage, celui où je m’étais installé, c’est avec un certain effroi que je ne pus que constater l’état de ma porte, porte qui avait été défoncé et éclatée en mille morceaux par les flics.

Je me suis posé quelques minutes histoire de digérer cet événement, puis je me suis préparé un thé et j’ai fumé une cigarette.

Je me suis alors dit que la priorité était alors de réparer ma porte, ce à quoi je me suis immédiatement attellé - alors qu’en réalité, au lieu de réparer cette porte, il aurait plutôt fallu je mange à ce moment là.

Il devait être entre 19h et 20h environ.

Les choses avançaient plutôt bien.

Il m’avait été possible de récupérer une serrure intacte sur une autre porte de la maison, serrure qu’il me sera possible d’installer sur une autre porte de la maison, elle aussi intacte également. Tout allait pour le mieux à ce moment là et je ne pensais même plus aux flics.

Le plus important pour moi à ce moment était ma porte. En effet, je ne pensais pas que les flics reviendraient ce soir là, ni durant la nuit. Je ne le savais pas encore; mais je me trompais.

Pour ce qu’il m’était possible de faire, mes réparations étaient terminées. A savoir qu’il m’était à nouveau possible de fermer ma porte ainsi que de la fermer à clé, tant depuis l’extérieur que depuis l’intérieur.

Une fois cette tâche enfin achevée, je me suis enfin mis à me préparer à manger. C’est en allant au bout du couloir pour y nettoyer ma vaisselle que je les vis.

Cinq flics avançaient en ligne sur le large parking se trouvant en face de la maison. Je me suis immédiatement baissé et je suis reparti dans la chambre accroupi pour y éteindre toutes les bougies.

Avec un peu de chance ils repartiront au bout de quelques minutes, me suis-je naïvement dit.

Mais ce n’est pas ce qui se produisit. Ils ont commencé à appeler, tout en tournant frénétiquement autours de la maison: nous savons que nous êtes là, montrez-vous ! et moi de rester planqué sous la fenêtre pendant environ quinze bonnes minutes.

Il ne m’avait pas été possible de manger, je me sentais faible et sous adrénaline à la fois. Au bout d’une quinzaine de minutes, et voyant qu’ils ne partaient pas, j’ai craqué.

J’ai donc tenté d’entamer le dialogue par la fenêtre du haut. J’ai expliqué que je refusais de descendre tant que la municipalité ne se prononcerait pas. J’ai dû tenir comme ça environ 10 autres minutes, jusqu’à ce que je comprenne que la municipalité elle-même demandait l’expulsion.

J’ai donc craqué, et n’en pouvant plus de toute cette pression, je suis descendu jusqu’au sous-sol. J’ai ouvert la porte de la cave, j’ai passé ma carte d’identité et là, c’en était fini de ma petite aventure.

Nous avons commencé à dialoguer. J’ai expliqué ma situation, pourquoi j’étais là et tout mais rien à faire, forcément. Néanmoins, je résistais intérieurement et psychiquement. De tout mon coeur je ne souhaitais pas partir et il me fut assez difficile de sortir du déni, surtout si rapidement et si abruptement, face à cinq flics.

Nous avons gravi les escaliers, passé les étages qui, il y a encore une semaine, étaient encore parsemés de déchets et d’immondices.

Ayant déjà intervenus ici par le passé, même les flics ont reconnus qu’ils n’avaient jamais vu cette maison dans un tel état.

A savoir; si propre et si rangée.

Cela me fit une belle jambe.

Nous arrivâmes finalement dans la chambre et la pièce dans laquelle je m’étais installé, celle dont la porte fut défoncée quelques heures auparavant.

Je ne me souviens pas exactement de combien de temps dura ce cirque (car oui, il s’agissait bien d’un cirque). Mon acuité psychique était à son paroxysme, je tremblais intérieurement, mais mes idées étaient claires.

Aussi nous échangions et je m’éforçais de leur faire comprendre ma situation: le fait que je ne pouvais pas

laisser mes affaires ici, que je n’avais nulle part où aller pour la nuit, que je ne dérangais personne en vivant dans cette maison, etc. A un moment donné, l’un des flics sortit un papier de sa poche, papier qu’il me tendit. Ce papier contentait des adresses de lieux d’hébergement d’urgence pour les personnes telles que moimême; en grave difficulté sociale.

J’ai donc regardé cette liste, j’ai ri un coup, sans doute nerveusement, et j’ai dit au flic: mais mec, toutes ces adresses je les ai faites ces derniers mois, mon assistante sociale m’a passé le même document que celui que vous me montrez. Pourquoi croyez-vous que je me retrouve ici à vivre ainsi?

Le flic parut étonné, et resta planté là, un peu con. Visiblement toujours étonné que l’on puisse être SDF, vivre en squat et être ordré et ordonné.

Nous continuâmes d’échanger et à un moment donné, la fliquette du groupe me dit : vous semblez avoir beaucoup de préjugés vis-à-vis de la police...

Et moi de lui répondre, à la volée, sans trop avoir besoin d’y réfléchir: vous semblez avoir beaucoup de préjugés vis-à-vis des personnes dont vous pensez qu’elles ont des préjugés vis-à-vis de la police.

Elle aussi resta plantée là, un peu bête.

Pendant ce temps là, tout en échangeant, je rangeais peu à peu mes affaires et me faisait peu à peu une raison. Nous sommes parvenus à nous entendre sur le fait que je pourrais revenir récupérer le reste de mes affaires le lendemain dans l’après-midi.

Cela m’allait.

Puis vint le moment de partir.

Comme je n’avais aucun endroit où passer la nuit, les flics se voyaient dans l’obligation de me déposer dans un foyer d’urgence de nuit. Et de toute manière, étant dans l’obligation de m’amener quelque part de toute manière, si iels souhaitent me faire quitter la maison, c’était soit le foyer de nuit, soit la cellule du poste.

Ayant donc préféré le foyer de nuit à la cellule du poste ou à la rue, nous sommes parti.es, n’ayant d’autre choix que de les suivre dans leur véhicule.

Je ne serais pas à proprement parler arrêté. Je n’ai jamais été poursuivi et je n’ai jamais été jugé ou condamné pour quoi que ce soit. Néanmoins, je serais tout de même mennoté, les mains dans le dos, même pour un si court trajet.

Par sécurité, disent-iels toujours.

Etant donné que le refuge de nuit se trouve en réalité à peine à 5 minutes à pied, le trajet à l’aide de leur puissante voiture ne dura qu’une à deux minutes, tout au plus. Je n’ai rien dit durant le trajet; j’étais abattu.

Arrivé devant le refuge, je me revois monter les escaliers de l’imposante bâtisse de pierre et lancer un dernier regard derrière moi, alors que l’un des flic me souhaita bonne chance.

Et moi de lui répondre quelque peu sèchement: effectivement, c’est bien là quelque chose que vous pouvez me souhaiter.

Et le flic, encore une fois, parut bien embêté.

Puis, sans plus regarder derrière moi, j’ai gravit les marches du large perron de pierre, et je suis rentré dans l’imposante bâtisse de pierre.

Dans mon souvenir, tout baignait dans une lumière

jaune nuit un peu crasse, semblable à ce que j’ai pu connaître dans les années nonantes, alors que ma mère et moi sillonnons parfois les routes de France.

Passé l’entrée, je me revois monter un étage, puis un second, jusqu’à arriver dans une petite pièce, puis tourner à gauche jusqu’à arriver dans un petit bureau au centre duquel se trouvait une petite table ainsi que deux chaises.

Epuisé tel que je l’étais, je ne comprenais pas tout ce qui m’arrivait. Je me laissais simplement guider.

Et toujours ce jaune crasse et faiblard dans lequel alors tout baignait.

Je fus invité à m’asseoir sur une des deux chaises par une dame. Car même pour une seule nuit, il fallait m’enregistrer et remplir un formulaire. Et je devrais moimême payer cinq francs pour cela.

C’est à ce moment que j’ai craqué et que je me suis mis à pleurer.

J’étais vraiment à bout.

La dame en face de moi, une dame d’un certain âge déjà, visiblement habituée à ce type de situation, me demanda: vous n’avez pas choisi de venir ici hein ?

Et moi de lui expliquer, entre deux sanglots que: ben non vous voyez, moi il y a encore trente minutes, j’avais un toit, une maison, j’étais tranquille.

Et la dame de compatir.

Et moi de continuer de pleurer tout en sortant péniblement une pièce de cinq francs de mon porte-monnaie, puis de signer le papier. On me donna ensuite des draps propres afin que je puisse faire mon lit pour la nuit. Malheureusement, il était trop tard pour que je puisse me doucher. Je dormirais donc crade, mais dans des draps propres.

Ah et oui, le lit...

Au moment ou les flics tentaient de me caser dans un refuge de nuit, tous étaient complets, y compris celui dans lequel je me trouvais à présent. J’ai eu donc droit au lit de secours, qui est le dernier lit disponible en cas d’ultime urgence durant la nuit. En fait un simple lit de camp qui sera déplié au centre d’une pièce bien remplie dans laquelle tout le monde dormait et dans laquelle régnait une forte odeur de pieds, de vêtements mal lavés et de renfermé.

Impossible de trouver le sommeil. Trop en colère, contre les flics, contre la ville, contre à peu près tout, y compris envers moi-même. Je me suis donc relevé afin de me

rendre au réfectoire. Je m’y suis préparé un thé, et alors que l’eau chauffait lentement, je me suis roulé une cigarette. Puis je suis sorti fumer et déguster mon thé sur le balcon. Quelqu’un ne trouvant également pas le sommeil m’a rejoint et je n’ai aucun souvenir de ce que nous nous sommes dits à ce moment là. A vrai dire j’étais ailleurs, je n’avais pas spécialement le coeur à converser.

Une fois ma cigarette consumée, je suis rentré et je me suis installé à la table du réfectoire. J’y ai écrit mes quelques dernières lignes, il y a maintenant 8 ans.

J’ai passé une très mauvaise nuit, je n’arrivais évidemment pas à dormir.

J’ai dû somnoler à peine deux heures, quelque part entre 3 heures et 5 heures du matin. Dès les premières lueurs du jours, je me suis levé et je suis parti pour la ville voisine, là ou deux amies m’accueilleront temporairement quelques temps encore.

Le lendemain, après avoir pu enfin me laver et après avoir pu dormir quelques heures, je me suis rendu à nouveau à l’emplacement de la maison en début

d’après-midi afin d’y récupérer mes affaires, comme convenu le soir précédent. Pensant tout d’abord que la maison avait été refermée, j’ai attendu les flics pendant quelques minutes.

Mais ne voyant personne arriver, j’ai refait un tour de la maison et surprise ! la porte arrière n’avait pas été verrouillée.

Je suis donc rentré et ai traversé une dernière fois cette maison dans laquelle j’ai mis tant de coeur et d’espoirs pendant quatre jours.

Les caves, qui n’entendront pas de groupes de musique répéter, le premier étage et sa vaste cuisine dans laquelle plus personne jamais ne préparera de bons petits plats, le second étage et sa grande pièce commune qui ne vera jamais de soirées discussions, films ou canapés, et enfin le dernier étage où se trouvait ma chambre, qui ne verra plus jamais personne dormir ici.

Arrivé dans la chambre, j’ai achevé de ranger mes affaires dans des caisses trouvées dans la maison, caisses que j’ai ensuite sanglées sur un petit chariot qui m’accompagnait.

Une fois chose faite, je suis parti sans me retourner.

Arrivé à la gare, mon second téléphone s’est mit à sonner. C’était les flics, j’ai répondu. J’ai entendu une voix à l’autre bout de film me demander: vous êtes où ? Et moi de répondre, vraiment exaspéré: mais mec, ça fait une bonne demi heure que j’ai terminé et que je suis parti. J’ai raccroché abruptement, sans politesse, j’ai éteint puis ouvert le téléphone afin d’en retirer la carte SIM.

C’en était terminé.

Mes affaires et moi avons pris le train afin de regagner la ville voisine, là où m’hébergaient mes deux amies pendant quelques jours encore. Néanmoins, il me fallait trouver une nouvelle solution afin de me loger et je

n’étais pas encore tiré d’affaire.

Suite à ce squat en solitaire, il m’a été possible de rejoindre un nouveau collectif avec lequel je vivrais quelques temps.

J’ai beaucoup dormi les mois suivants, tant l’épuisement était important.

Par chance, le collectif dans lequel je me suis retrouvé vivait dans une maison qui tiendra encore quelques mois à partir du moment où j’y suis arrivé.

Mais cette stabilité ne dura pas et une nouvelle fois, il faudra partir. Une nouvelle phase très éprouvante se présenta à moi - et je ne savais pas encore à quel point.

Mais cela est une toute autre histoire.

3.4 milliards de personnes vivent avec moins de 5.50 dollars par jour.

1.9 milliards de personnes vivent avec moins de 3.20 dollars par jour.

780 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté, soit avec moins de1.90 dollars par jour.

Plus de 160 millions d’enfants risquent de ne pas sortir de l’extrême pauvreté d’ici à 2030*.

La majorité sont des femmes**.

*. www.breakpoverty.com

**. www.un.org

Il en va de même pour le mal logement ou pour les discriminations basées sur le sexe, le genre, la classe ou l’ethnie.

Les femmes seules ou avec enfants et/ou ayant subis des violences conjugales ou sexuelles sont les plus fragilisées et les plus confrontées à la précarité, à la pauvreté ou au mal logement*, les enfants également.

Il en va de même pour la plupart des personnes faisant partie des communautés LGBTQIA+ à travers le monde, surtout les hommes trans et les femmes trans ainsi que les jeunes. Sur 20’000 personnes interrogées sur l’année 2020, 60% disent avoir subis des discriminations**.

*. www.fondation-abbe-pierre.fr

**. www.humanrights.ch

Un toit, c’est plUs qU’Un droit

Fait et vécu à Vevey

2014 - 2024

Klaeo

Récit sans IA garanti.

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