Un portrait inversé
Jacob Wren —
Une femme a un portrait dans son grenier. Pendant qu’elle vieillit, le portrait rajeunit. Non pas sa représentation dans l’image, mais l’image en soi. Il n’existe pas d’autres mots pour expliquer la chose. Vous regardez l’image et, d’une manière ou d’une autre, vous savez que vous êtes en train de regarder une conception différente, inversée, du temps. Le cadre en bois rajeunit, le pigment, les coups de pinceau, l’idée même de réaliser l’œuvre au départ. Là-haut dans le grenier où pratiquement personne ne met les pieds, l’autoportrait, nonchalamment appuyé contre un mur, rajeunit. Pendant ce temps, la femme continue à vivre sa vie. Sa vie est la partie importante du présent récit, même s’il sera difficile de raconter cette histoire pour qu’elle demeure toujours limpide. Le problème qui se pose : elle sait ce qui se passe avec l’image dans le grenier et nous aussi. Ce serait exagéré de dire qu’elle y pense toujours, mais elle y pense de temps à autre, même davantage que de temps à autre. Pour elle, cette image représenterait ses « idéaux », ce sont ses idéaux qui rajeunissent ; mais pour nous, du moins jusqu’à maintenant, elle ne représente presque rien. C’est un prétexte, une fausse piste, une image qui vieillit, mais tout vieillit, à chaque minute de chaque jour. Non, je viens déjà de me fourvoyer. L’image ne vieillit pas, comme vous le savez déjà, l’image rajeunit en fait. C’est la partie contre-intuitive, magique, de ce récit. La partie qui n’a pas de sens. Ai-je déjà mentionné qu’il existe plusieurs images de la femme, qui sont là, de par le monde, des peintures (en fait, celle dans le grenier est la seule), des photos, des dessins, des illustrations. Elle apparaît même sur des images où, apparemment, elle n’apparaît pas, en arrière-plan, ou juste une parcelle d’elle
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Un portrait inversé
en bordure du cadre. Ces images ont été réalisées pour répondre à une grande diversité d’objectifs. Par exemple, l’une est une image qui a fait partie d’une campagne publicitaire projetée. Cependant, quand les responsables de la compagnie ont vu l’image, ils y ont opposé leur veto. Ils ont pensé à leur produit, et ils ont pensé à l’image, et ils en sont venus à la conclusion pavlovienne que l’une ne pourrait pas vendre l’autre. (Ils ne voulaient pas dire que le produit ne pourrait pas vendre l’image, quoique cela aussi aurait pu être vrai.) Cette image publicitaire non utilisée a été placée non pas dans le grenier, mais dans un classeur. Laissez-moi tenter de retourner à la vie de la femme dont nous savons encore très peu. La partie de cette histoire qui est la plus importante est la partie dont nous en savons le moins à date. Tel que je l’ai mentionné, la partie la plus importante, c’est la vie de cette femme. Un jour, la femme décide de tenter une expérience. Elle monte au grenier avec un appareil photo grand format et prend des photos du portrait. C’est une femme qui photographie un portrait d’elle-même, pendant que ce portrait rajeunit, pour découvrir si elle peut saisir photographiquement cette inversion peinte, magique, de l’âge. Ce faisant, elle réalise que la plupart des portraits historiques ont été créés sous forme de peintures, puis qu’une bonne part des portraits historiques récents ont été saisis sur pellicule photographique, alors que maintenant les portraits sont saisis de manière numérique et sont souvent appelés égoportraits. (Nous connaissons déjà la représentation proportionnelle du genre des peintres historiques en lien avec celle des sujets historiques. Cette histoire est contemporaine et les choses