Kiblind 66 - Automne 2018

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Maxime Lancien

La flânerie se prête aussi bien à Genève qu’à Paris ou Londres. Cette activité est essentiellement urbaine pour Baudelaire, le premier à l’incarner et dessiner le profil fugace du flâneur. La superficie de Genève, toute petite comparée à ces consœurs française et britannique, autorise la déambulation hasardeuse, sans risque d’épuisement. Passez le long du quai du Mont-Blanc, prenez le temps de profiter du spectacle depuis ce vaste balcon, observez les cygnes et les mouettes, voyez les vaporetti bicolores relier le quartier des Pâquis aux Eaux-Vives, de l’autre côté. Le jet d’eau n’est pas une simple attraction. « Il sanctifie l’esprit du lac et le matérialise dans son jaillissement », explique l’auteur Pierre Gascar, sensible à sa magie. « Ohhhhhhhh, aaahhhhh... » On imagine les exclamations, il y a cent ans, des Genevois qui admiraient le premier jet d’eau, soupape d’une usine à turbines un peu loin là-bas. La décision fut prise de déplacer le jet d’eau dans la rade. La colonne d’eau signale Genève très loin dans le paysage, que l’on arrive par le train depuis Lausanne ou par voilier, à la manière des marins d’eau douce du Léman, si chers à l’écrivain Guy de Portalès. Les grands hôtels le long du quai du Mont-Blanc vendent aux riches touristes le paysage originel de la peinture européenne. Rien que ça. La Pêche miraculeuse de Conrad Witz (une œuvre de 1444 exposée au Musée d’art et d’histoire) met en scène le Christ dans une vue d’ensemble avec les montagnes des Voirons, le Môle et le petit Salève. Le peintre Ferdinand Hodler représenta toute sa vie ce cadre naturel sublime. Le grand maître du XIXe siècle s’éteignait il y a cent ans tout juste dans son appartement du quai du Mont-Blanc.

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« – Très promenade, Genève. – En effet, très. On adore partir. Dans le Mandement par exemple, avec des petits pains dans un cornet. Comme ça stupidement, un dimanche, un lundi. »

Derrière cette prestigieuse adresse, on passe rue de Berne, rue de Fribourg et rue de Zurich. On s’y perd et découvre peu à peu l’atmosphère coquine des Pâquis (ce qui signifie pâturage en dialecte arpitan). C’est le Pigalle local, loin des banques austères et des sociétés de négoce. La gare Cornavin, toute proche, contribue au bourdonnement des piétons, des passants pressés. Les autorités ont placé les Pâquis sous vidéosurveillance il y a quatre ans mais le quartier conserve comme il peut une âme romantique, en décalé, un petit monde hors-la-loi assumé. À cinq minutes à pied des Pâquis, le Pont des Bergues mène à l’île Rousseau. La statue du philosophe rappelle l’origine genevoise de l’illustre homme. Rousseau contribua à la prise de conscience des Européens autour du paysage et à la renommée du Léman. Flâneur, rêveur et promeneur solitaire, la marche lui était aussi essentielle que la botanique. Interdit de séjour à Genève en raison de ses idées pro-


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